L`enfant, le savoir, sa maladie et la mort

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L`enfant, le savoir, sa maladie et la mort
L’enfant, le savoir,
sa maladie et la mort
Michèle Delage , Etienne Seigneur
Département d’oncologie pédiatrique, Institut Curie, 26, rue d’Ulm 75005 Paris
<[email protected]>
Selon la théorie psychanalytique, le désir d’apprendre de l’enfant dérive de la
curiosité sexuelle qui a été sublimée. Nous avons cherché à étudier les effets
d’une maladie grave comme le cancer sur le rapport de l’enfant vis-à-vis des
apprentissages et des connaissances. En oncologie pédiatrique, on est bien
souvent en présence de différents savoirs concernant la maladie de l’enfant :
celui des médecins, scientifique, implacable, tout puissant, mais également
celui de l’enfant ou de ses proches, moins absolu, plus ambivalent, qui vise bien
souvent à rendre la maladie supportable pour l’enfant ou du moins à lui donner
un sens. Ces différents savoirs ne s’excluent pas mais doivent au contraire
coexister et être respectés dans leurs fonctions pour l’enfant. La survenue du
cancer a une influence paradoxale sur le rapport qu’a l’enfant à la scolarité et
aux apprentissages. Le plus souvent, l’enfant a envie de savoir, de connaître des
choses sur sa maladie bien sûr, mais aussi sur d’autres sujets plus généraux. La
scolarité permet de mettre à distance la maladie et de se sentir vivant, élève
comme les autres. Parfois le travail intellectuel est au contraire désinvesti dans
un mouvement régressif favorisé par la maladie.
Mots clés : cancer, savoir, scolarité
L
orsqu’un enfant est atteint d’une
maladie grave comme le cancer,
c’est l’ensemble de son être et de son
rapport au monde qui est modifié.
Dans ces situations toujours extrêmes
pour les différents protagonistes (l’enfant malade, ses parents et le médecin)
du fait du risque de mort, nous nous
sommes interrogés sur la place du savoir et de la connaissance, et nous
avons tenté de réfléchir, sur la base des
concepts psychanalytiques, à ce que le
cancer pouvait modifier chez l’enfant
malade de son désir d’apprendre.
mtp
Tirés à part : M. Delage
L’enfant
et la connaissance : désir
d’apprendre, désir
de savoir
Dans la théorie psychanalytique,
le désir de connaissance de l’enfant
dérive classiquement de la curiosité
mt pédiatrie, vol. 7, n° 5-6, septembre-décembre 2004
sexuelle. C’est durant le stade urétral
ou phallique, généralement vers 3 à
4 ans, que l’enfant prend conscience
de la différence anatomique des sexes,
c’est-à-dire de la présence ou bien de
l’absence du pénis. De cette découverte découlent notamment des fantasmes liés à la scène primitive et des
tendances tour à tour voyeuristes et
exhibitionnistes. Dans Pulsions et destins des pulsions, Freud [1] a bien
montré les liens entre la pulsion épistémophilique (le besoin de savoir) et
la curiosité sexuelle. Cette pulsion
peut s’inhiber (inhibitions et retards
intellectuels), rester sexualisée ou encore se sublimer [2]. La sublimation
est un processus postulé par Freud
pour rendre compte d’activités humaines apparemment sans rapport avec la
sexualité, mais qui trouveraient leur
ressort dans la force de la pulsion
sexuelle. Freud a décrit comme activités de sublimation principalement
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L’enfant, le savoir, sa maladie et la mort
l’activité artistique et l’investigation intellectuelle. La pulsion est dite sublimée dans la mesure où elle est dérivée
vers un nouveau but non sexuel et où elle vise des objets
socialement valorisés [3].
La période dite de latence, classiquement de 7 à
12 ans, est celle durant laquelle le processus de sublimation peut se déployer pleinement et c’est justement ce qui
permet une disponibilité et une aptitude particulière de
l’enfant pour les apprentissages, même si l’énergie de ces
nouveaux intérêts est toujours issue des intérêts sexuels
originaux [2]. Une autre caractéristique de cette période
réside en une ouverture progressive de l’enfant à des
milieux extra-familiaux, ce qui participe habituellement à
la création de liens nouveaux (camarades, professeurs,
etc.) et à l’intérêt vis-à-vis d’activités sociales diverses.
En complément de ce rappel sur les principales considérations psychodynamiques concernant la genèse de
l’envie d’apprendre, il est utile de préciser que ces enjeux
affectifs sont en lien étroit avec le développement intellectuel de l’enfant et en particulier la mise en place progressive des aptitudes cognitives qui s’étayent sur ces mouvements pulsionnels et les soutiennent en retour. En effet, le
développement de l’enfant doit se concevoir comme le
fruit d’interactions permanentes entre l’intelligence et l’affectivité.
Il faut donc appréhender le désir d’apprendre chez
l’enfant comme directement lié à une envie de voir, de
savoir et de comprendre, ce qui par définition lui est et
restera encore un moment inaccessible puisque par définition l’enfant ne peut pas se représenter la jouissance
sexuelle de l’adulte. C’est donc le mystère, l’inconnu
concernant la sexualité, qui pousse l’enfant à chercher à
savoir ce qui de près ou de loin s’y rapporte. Cet
inconnu-là nous en évoque un autre, celui qui se rapporte
à la mort qui elle aussi par définition reste inaccessible et
non représentable. Peut-on penser que cet inconnu-là qui
porte en lui des réflexions sur la vie et la mort ainsi que sur
la question des origines, semblable donc en tous ces
points à l’inconnu de la sexualité, exercerait donc ce
même attrait et ce même pouvoir stimulant pour l’enfant ?
Dans cet article, nous évoquerons donc les effets de la
maladie grave, comme le cancer, sur l’enfant et son rapport au savoir.
Apprendre c’est aussi grandir et se séparer, puisque
toute connaissance fait progresser l’enfant vers une autonomie plus grande. Tout nouveau savoir éloigne l’enfant et
ses parents des débuts de la vie où l’un, le bébé, dépendait
pleinement des autres. Dans ce contexte, pour pouvoir
apprendre et donc se séparer, une certaine confiance et
une sécurité interne chez l’enfant sont de mise, tout
comme chez ses parents d’ailleurs. On peut imaginer que
certaines difficultés d’apprentissage ou inhibitions scolaires puissent être en lien avec notamment des angoisses de
séparation. En clinique, il n’est pas rare d’observer qu’un
refus d’apprendre chez un enfant correspond à la recher-
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che du maintien d’une relation de dépendance qui rappelle les toutes premières expériences relationnelles de la
vie.
Le savoir médical et les savoirs
de l’enfant malade
« – Sais-tu comment s’appelle ta maladie ? » demande
le médecin à Simon, 7 ans.
« – Non », répond l’enfant.
« – Veux-tu le savoir ? » questionne à nouveau le médecin. Simon se détourne et se bouche les oreilles.
Comment entendre ce « refus de savoir » de la part de
l’enfant ?
Savoir le nom de sa maladie, comme le propose le
médecin – et s’en tenir là –, lui sera-t-il utile ?
Si le médecin se contente de nommer la maladie en
utilisant un terme scientifique, « savant », comme « neuroblastome », « sarcome d’Ewing », est-ce là apporter un
savoir ou au contraire une façon – car cela ne représente
pour l’enfant rien de connu – de ne rien en faire savoir ?
Refuser d’entendre la réponse du médecin signifie-t-il
le refus d’entendre une réalité, une certitude supposée
absolue ?
Pour l’enfant (pour l’adulte malade aussi), le médecin
est celui qui sait (il faut bien qu’il sache puisque c’est lui
qui prend en charge la santé de l’enfant), son savoir se doit
donc d’être tout puissant, sans faille. Si le médecin énonce
une certitude, l’enfant ne va-t-il pas être enfermé, écrasé
par cette certitude qui ne laisse pas de place à la croyance,
au doute, à une pensée intime, au sens que lui peut donner
à ce qui lui arrive ?
Une petite fille hospitalisée dans le service pour une
rechute et qui avait des métastases pulmonaires dit un
jour : « – Si je rechute au niveau de mes poumons, c’est
que l’autre soir j’ai pris froid. Je suis allée sur la plage le
soir et je n’avais pas mis ma veste. J’ai attrapé froid.
Depuis, je tousse. »
Une soignante entendant cela et croyant bien faire
s’empresse de lui dire « non, tu n’y es pour rien. Même si
tu avais mis ta veste, tu aurais rechuté ». La petite fille
fondit en larmes et dit : « Si même quand je fais attention
le cancer peut revenir, alors ça veut dire qu’il pourra
toujours revenir. Je ne guérirai jamais. »
Le sens que la petite fille donnait à sa rechute – de
l’ordre de la croyance – la rassurait et lui permettait de
continuer à penser, à espérer, à avancer. La certitude
énoncée par l’infirmière lui ôtait tout espoir. Le retour de la
maladie pouvait être vécu comme la sanction d’une négligence, voire une culpabilité, mais en tout cas, un sens était
donné à la souffrance.
Si le savoir du médecin est absolu, il peut donc être
aussi savoir sur la vie et la mort. Ce savoir devient alors
insupportable, inentendable.
mt pédiatrie, vol. 7, n° 5-6, septembre-décembre 2004
Lors d’un staff médical, un médecin dit à propos d’un
enfant en fin de vie : « Il ne sera plus là ce soir » « Arrête ! » dit l’infirmière : « Je ne supporte pas qu’on parle
comme ça ». « C’est pourtant la vérité », insiste le médecin. « C’est possible » dit l’infirmière « mais on ne peut
pas dire ça. Comment oses-tu ? ».
Ce savoir-là est en effet impossible et inentendable.
En chacun de nous coexiste deux certitudes : celle que
nous sommes mortels et celle que nous ne mourrons
jamais. « Dans son inconscient, chacun est persuadé de
son immortalité » dit Freud [4].
Or, si l’enfant, conscient qu’il est atteint d’une maladie
grave laisse le médecin « dire » (à propos de la maladie), il
prend le risque de le laisser « trop en dire », dire ce qui
serait inentendable, à savoir qu’il peut mourir. Ce savoir-là
n’est pas partageable.
Le poète Rilke [5], qui était atteint d’une leucémie,
choisit délibérément, lorsque sa maladie lui fut révélée, de
ne pas questionner son médecin au sujet de son pronostic.
« Il ne jugeait pas sa maladie selon les critères de la
médecine et de l’anatomie ». « Etranges entretiens » raconte son médecin, « qui allaient toujours jusqu’au point
où le malade aurait dû prononcer le mot mort, mais tout à
coup s’arrêtait prudemment – de crainte peut-être que
l’inconcevable ne fût précisé au moyen d’un terme médical, ou interrompu par une parole de consolation ».
Parfois, l’enfant peut tenter, dans un mouvement défensif, de s’approprier le savoir médical en utilisant par
exemple son discours : « Je reviens car j’étais en aplasie
fébrile... Je n’avais que 500 blancs... Je manque aussi de
plaquettes... Il va falloir attendre pour ma cytaphérèse... ».
Cette pseudo-maîtrise du savoir médical est en quelque
sorte une façon pour l’enfant de s’extraire de sa position de
malade et de passer du côté des soignants. Mais, cette
appropriation médicale de sa maladie est-elle efficace,
comme imagine l’enfant, pour la maîtrise absolue de ce
savoir inentendable qu’est la mort possible ?
On pourrait dire d’une part que cela peut soutenir
l’enfant : tenant par ce moyen-là la mort à distance, il
régule son angoisse. Mais, d’autre part, on pourrait dire
également que, se tenant ainsi du côté du savoir médical,
l’enfant risque de ne pas laisser un espace suffisant à ses
fantasmes, à ses représentations, à son vécu, qui doivent
aussi faire partie du savoir de sa maladie.
De toute façon, le partage de ce savoir imaginé absolu
par l’enfant est impossible car, si l’enfant se l’appropriait,
ce savoir ne serait plus absolu : il en connaîtrait les limites,
les failles.
C’est pour cela sans doute que souvent l’enfant se
laisse aller à questionner l’infirmière (non investie, elle, du
savoir absolu). L’infirmière ne s’autorise pas à répondre,
mais transmet la question de l’enfant au médecin. Lorsque
le médecin se présente auprès de l’enfant, celui-ci n’a
aucune question à poser. Non, il n’a rien à demander. Tout
va bien. Il en sait assez.
Cette attitude de l’enfant par rapport au savoir médical
ne veut pas dire qu’il ne sait rien, ou qu’il ne désire rien
savoir ou qu’il se désintéresse de ce qui lui arrive, mais sa
perception intime de sa maladie et sa façon d’y faire face
peuvent lui importer davantage que la réalité de la maladie telle qu’elle peut être énoncée par le médecin. Ce que
la pensée peut construire pour donner un sens à la maladie
grave est aussi important.
C’est dans une rencontre possible entre le savoir du
médecin et sa perception intime, que l’enfant trouve son
propre savoir concernant sa maladie.
Les équipes médicales et soignantes doivent être capables d’accepter cette rencontre comme ce fut le cas pour
cette infirmière qui, cherchant à ce qu’un enfant cote sa
douleur lui-même, accepta de n’avoir pour réponse que
cette formulation personnelle : « C’est quand on me parle
que j’ai mal. » L’enfant souffrait bien, mais pas uniquement de la douleur physique que la soignante tentait
d’évaluer.
Ce que sait l’enfant a sa part de mystère et son savoir
n’est pas toujours dicible et partageable.
S’il arrive qu’à l’annonce du diagnostic les parents se
posent des questions sur ce que sait l’enfant de sa maladie,
ou s’ils vont parfois jusqu’à demander au médecin de ne
pas nommer le mot « cancer » ou « tumeur », arguant du
fait qu’eux-mêmes ne l’ayant pas prononcé, l’enfant ne le
sait pas – comme si le fait de « dire » une chose suffisait
pour qu’elle soit « sue » et que le fait de la taire suffisait
pour qu’elle soit ignorée –, lorsque l’enfant est dit « en fin
de vie », les parents se posent une autre question : « Sait-il
qu’il va mourir ? »
C’est dans une grande angoisse que le parent formule
sa question. L’idée que leur enfant saurait qu’il va mourir
est douloureuse, insupportable. Douloureuse car si l’enfant sait, cela veut dire que c’est vrai. L’enfant, à travers
son corps, aurait une connaissance, un savoir sur lui, qu’il
serait seul à avoir. Il ne pourrait pas se tromper, s’y tromper. Penser que l’enfant « sait », c’est faire de la mort une
certitude.
L’enfant qui aurait un savoir sur sa mort serait aussi un
enfant ayant sa propre pensée, un enfant qui n’aurait pas
besoin de ses parents pour penser. Or, il est impossible
pour ces adultes d’imaginer que leur enfant pense seul,
déjà sans eux.
Si l’enfant a un savoir sur sa propre mort, cela ne veut-il
pas dire également qu’il est déjà de « l’autre côté », qu’il
en sait plus sur la mort que nous, qu’il est une sorte
d’« initié » ? Cette pensée-là est insupportable. En effet,
que partager avec cet « autre » là ? « Sommes-nous toujours des « mêmes », pouvons-nous continuer à « être »
ensemble ? », peuvent se demander les parents. Ce savoir
de l’enfant sur sa propre mort, supposé par les parents, est
inquiétant. C’est un savoir qui sépare, un savoir définitif.
Cela, les parents ne peuvent l’accepter.
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L’enfant, le savoir, sa maladie et la mort
Le savoir et la curiosité intellectuelle
chez l’enfant atteint de cancer :
une situation paradoxale
L’enfant atteint d’une maladie grave comme le cancer
est confronté à toute une série de pertes et de séparations.
Il doit effectivement faire le deuil d’un corps sain et de
l’idée de son invulnérabilité, de la toute puissance parentale également puisque ses parents n’ont pu le protéger
contre la maladie. D’autre part, l’enfant est souvent brutalement séparé de son environnement familier et il est aussi
aux prises avec le spectre d’une séparation, celle-là radicale et définitive que provoquerait sa mort.
Habituellement, comme cela a été évoqué précédemment, c’est la distance qui existe entre les représentations
de l’enfant et la sexualité « agie » ou génitale qui rend
possible la curiosité et l’intérêt pour les apprentissages. Il
en va de même pour la question des origines, de la vie et
de la mort. Lorsque l’enfant se sait atteint d’une maladie à
risque létal, que cela lui ait été clairement formulé ou non,
il y a effraction dans la réalité. La mort n’est plus seulement
fantasmée... Tout se passe à l’image du traumatisme que
provoquerait l’irruption de la sexualité adulte chez un
enfant qui ne ferait encore que l’imaginer.
L’enfant malade se trouve alors pris dans un double
mouvement : d’une part, le désir d’apprendre, ce qui le
maintient dans un projet de vie et met à distance les
angoisses liées au cancer et, d’autre part, la tentation d’un
mouvement régressif en réaction au surgissement brutal
de l’idée de sa finitude. Le rapport qu’aura l’enfant malade
à la scolarité obéira également à l’alternance de ces mouvements. On observe régulièrement que l’activité intellectuelle constitue pour beaucoup d’enfants et d’adolescents
malades une preuve de leur intégrité alors que leur corps
bien souvent les trahit. Poursuivre ses apprentissages c’est
alors continuer à penser et donc à vivre. A contrario,
apprendre c’est renoncer à ses certitudes, les remettre en
question, c’est s’exposer. Pour l’enfant que la maladie met
déjà en danger, il est parfois difficile de prendre ce risque
supplémentaire. C’est ainsi que l’on peut parfois observer
certaines inhibitions ou désinvestissements scolaires qui
sont probablement à mettre en lien avec la peur que peut
avoir l’enfant de découvrir des choses dans les apprentissages et peut-être d’en savoir trop (sur lui, sur sa maladie,
sur son devenir, etc.).
Les enseignants qui interviennent dans les services
d’oncologie pédiatrique remarquent régulièrement que
l’investissement scolaire des enfants dont ils s’occupent
s’aménage différemment durant le temps de la maladie.
L’intérêt scolaire antérieur n’influence guère le désir de
scolarité [6]. Une utilisation différente du savoir se met en
place : les objectifs « utilitaires » de l’enfant (passer en
classe supérieure, avoir de bonnes notes, etc.) laissent
place à un désir plus centré sur la connaissance elle-même
(enrichissement personnel, apprendre des choses...). L’en-
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fant peut jouir du savoir et l’utiliser pour exprimer ses
émotions, transmettre son expérience. D’où le succès des
ateliers d’écriture, d’arts plastiques, de musique mis en
place dans ces services.
Parfois l’enseignant doit s’adapter et faire preuve d’inventivité, d’une grande disponibilité afin de rendre à nouveau possible une dimension de plaisir. La mère de Julien,
9 ans, scolarisé en CM1 et en cours de traitement dans le
service, explique qu’il a des difficultés graphiques et que
sa maîtresse a recommandé qu’il travaille son écriture.
L’institutrice du service lui propose un matériel pour faire
de la calligraphie. Julien éprouve un grand plaisir à faire
des pleins et des déliés, il se passionne pour cette activité
qui va rapidement faire disparaître ses tremblements et
hésitations.
Plutôt que son savoir-faire, c’est son savoir-être que
l’enfant va développer en utilisant ce qu’il connaît en vue
de son enrichissement personnel. Pour certains enfants, ce
savoir va permettre de mieux comprendre et de donner du
sens à ce qui leur arrive. La salle de classe représente un
lieu tiers dans le service qui permet à la fois d’aller à
l’école « comme tout le monde » et d’échapper aux regards des parents et des soignants. L’enfant se sent alors
reconnu dans ses compétences attendues vu son âge et
peut déposer des éléments de son vécu auprès de l’enseignant comme tout élève pourrait le faire dans sa classe.
Noémie, petite fille de 7 ans en fin de vie, va en classe.
L’institutrice, la sachant fatiguée, s’apprête à lui lire un
livre puis réalisant qu’elle sait lire s’exclame : « Mais tu
sais lire ! » et remarque alors la joie sur le visage de
celle-ci. Le plaisir naît ici de la reconnaissance de ses
capacités que les parents et soignants ne voyaient plus,
tout accaparés qu’ils étaient par la perspective de la mort
proche de cette enfant.
Dans ces situations de fin de vie d’un enfant, les
parents qui étaient jusque-là très demandeurs et exigeants
par rapport à la scolarité de leur enfant ont peur que
celui-ci se fatigue ou craignent de lui imposer des efforts
dorénavant devenus pour eux inutiles, allant jusqu’à rompre parfois tout contact avec l’enseignant. Ce désinvestissement anticipé de la part des parents n’échappe pas à
l’enfant qui le ressent très douloureusement, alors que son
désir d’apprendre peut persister jusqu’à un stade très
avancé de la maladie. D’autres parents au contraire refusent de lâcher ces attentes quant aux apprentissages, imposant à l’enfant des contraintes scolaires tout à fait inadaptées, et se protégeant en cela de la reconnaissance et
de l’acceptation de la réalité de la situation médicale de
leur enfant.
Conclusion
Chez l’enfant atteint de cancer, la question du savoir
pose différentes problématiques : Quel savoir ? Sur quels
mt pédiatrie, vol. 7, n° 5-6, septembre-décembre 2004
sujets ? Pour quels objectifs ? Le savoir est d’abord un
savoir sur la maladie et à ce propos on observe souvent
combien ce que l’enfant a envie de connaître de sa maladie ne correspond pas toujours exactement au savoir
médical, souvent trop obscur et inquiétant. L’enfant malade a besoin de construire, de se raconter une histoire,
son histoire à propos de ce qui lui arrive afin de donner un
sens à ce cancer et surtout de rendre la situation tolérable
pour lui sur un plan psychique. Le savoir, c’est également
les apprentissages scolaires et, nous l’avons vu, le rapport
de l’enfant malade au savoir est profondément remanié
par l’expérience du cancer. Le désir de connaissance peut
se trouver exacerbé par la maladie car l’enfant qui se sent
menacé corporellement peut investir le travail intellectuel
et trouver du plaisir à penser et à apprendre, en même
temps qu’une réassurance par rapport à une situation
normale d’élève. Ce désir-là, qui est également un désir et
un projet de vie, peut se maintenir très longtemps, y
compris chez des enfants ou adolescents en fin de vie.
Chez d’autres patients, ou encore à certains moments du
parcours thérapeutique, l’intérêt pour la scolarité est plus
ou moins totalement désinvesti dans un moment de régression ou de préservation face à ce qui demande un
effort supplémentaire et qui est potentiellement source de
difficultés ou d’échec. Ces mouvements-là, qui peuvent
évoluer au gré de l’évolution de la maladie et de ses
traitements, doivent être respectés dans leurs aspects positifs ou négatifs par les soignants qui prennent soins de ces
enfants et adolescents. En effet, c’est leur reconnaissance
et l’élucidation de leurs fonctions pour l’enfant qui permettent de suivre et d’aider l’enfant gravement malade au
plus près de ses besoins et aspirations.
Remerciements
Nous tenons à remercier Bénédicte Sylvestre, institutrice dans le
département d’oncologie pédiatrique de l’Institut Curie, pour sa
collaboration et l’apport de ses réflexions.
Références
1. Freud S. Pulsions et destins des pulsions. In : Métapsychologie.
Paris : Gallimard, 1915.
2. Laplanche J, Pontalis J-B. Vocabulaire de la psychanalyse. Paris :
Presses Universitaires de France, 1967.
3. Golse B. Le développement affectif et intellectuel de l’enfant.
Paris : Masson, 1985 ; Collection Médecine et Psychothérapie.
4. Freud S. Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort. In :
Essais de psychanalyse. Paris : Payot, 1951.
5. Michel F-B. Cancer : A qui la faute ?. Paris : Gallimard, 1987.
6. Bouffet E, Zucchinelli V, Blanchard P, et al. La scolarité en fin de
vie. Quels objectifs, quel espoir? Arch Pediatr 1996 ; 3 : 555-60.
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