Quand l`obésité impose un régime minceur aux résultats scolaires
Transcription
Quand l`obésité impose un régime minceur aux résultats scolaires
Quand l’obésité impose un régime minceur aux résultats scolaires Mots clés : décrochage scolaire, élève à risque, dépistage, prévention, intervention Le surpoids et l’obésité chez les enfants et les adolescents sont associés à une diminution de la qualité de vie et à diverses difficultés scolaires, une moindre performance dans différentes matières, des problèmes pour faire les devoirs, de l’insatisfaction à l’égard de l’école, etc. À ce jour, il a été démontré que les enfants obèses sont plus susceptibles de présenter des résultats inférieurs à la moyenne en lecture et en mathématiques, de joindre une classe pour élèves en difficulté et de s’absenter plus souvent (à raison d’environ quatre jours par mois). L e problème du surpoids est particulièrement préoccupant considérant ses effets potentiels sur le décrochage scolaire et les possibilités ultérieures d’emploi. Les adolescents obèses sont plus enclins à envisager de mettre fin prématurément à leurs études. Pour leur part, les adultes qui étaient obèses à l’adolescence sont moins scolarisés que ceux qui n’ont jamais souffert de surpoids. Du côté de la recherche Dans le cadre d’un projet de recherche financé par le Fonds institutionnel de recherche de l’Université du Québec en Outaouais, nous avons étudié le lien entre le poids et le rendement scolaire d’enfants de 8 à 12 ans. Trois cent quarante-six enfants de Gatineau et l’un de leurs parents ont répondu à des questionnaires portant sur les habitudes de vie, /// Annie Aimé Ph. D. professeure Département de psychoéducation et psychologie Université du Québec en Outaouais MARS 2012 /// LE MONDE DE L’ÉDUCATION - 45 45 Tableau 1. Catégories d’IMC et performance en éducation physique Rendement en éducation physique Sous la moyenne Maigreur (23 enfants) Poids normal (254 enfants) Embonpoint (57 enfants) Obésité (12 enfants) 8,3% 2% 3,5% 25% Dans la moyenne 62,5% 51,6% 57,9% 58,3% Supérieur à la moyenne 29,2% 46,4% 38,6% 16,7% l’image corporelle, les préoccupations par rapport à l’alimentation, au poids et à la silhouette et le rendement scolaire. Le poids et la taille de chaque enfant participant ont été mesurés de manière à calculer son indice de masse corporelle (IMC). Des catégories d’IMC ont ensuite été créées, selon les standards établis. Les enfants ont été questionnés quant à la perception qu’ils ont de leur corps : ils devaient préciser s’ils se considéraient trop minces, corrects ou trop gros. Les parents devaient se positionner quant au degré de réussite de leur enfant en français, en mathématiques, en anglais, en sciences et en éducation physique. Nos résultats démontrent que l’IMC des enfants n’est pas associé à leur performance en français, en 46 46 - LE MONDE DE L’ÉDUCATION /// MARS 2012 mathématiques, en anglais et en sciences. Par contre, comme le montre le tableau 1, les enfants dont l’IMC se situe dans la catégorie d’obésité sont significativement plus nombreux à avoir des résultats inférieurs à la moyenne en éducation physique. Par ailleurs, lorsque nous considérons la perception que les enfants ont de leur corps et que nous évaluons son effet sur la performance scolaire, des différences significatives s’observent dans toutes les matières évaluées (voir tableau 2, page 47). Plus précisément, les enfants qui se considèrent maigres ou en surpoids sont plus susceptibles d’obtenir de moins bons résultats en français, en mathématiques et en sciences que ceux qui s’estiment corrects. En éducation physique, ceux qui jugent être en surpoids obtiennent la moins bonne performance. Par ailleurs, l’intensité des préoccupations par rapport à l’alimentation, au poids et à la silhouette conduit à des rendements inférieurs en sciences et en éducation physique. Nos résultats suggèrent que l’association entre le poids et la réussite scolaire est beaucoup plus complexe qu’elle n’y paraît de prime abord. En fait, le poids d’un enfant ne permet pas à lui seul de prédire ses résultats scolaires, et la perception du poids représente un facteur plus déterminant que le poids lui-même dans la réussite scolaire des enfants. Plus précisément, peu importe son IMC, lorsqu’un enfant de 8 à 12 ans considère son corps incorrect, c’est-à-dire trop mince ou trop gros, il risque de voir son rendement scolaire affecté à la baisse tant en français, en mathématiques qu’en sciences. De plus, comparativement aux enfants qui se perçoivent comme étant trop minces ou corrects, les enfants qui s’estiment trop gros sont nettement moins susceptibles d’obtenir des résultats élevés en éducation physique. L’intolérance face au surpoids La perception que les enfants développent de leur corps, ou, en d’autres mots, de leur image corporelle, est influencée par différents éléments, notamment par les représentations médiatiques, les modèles d’adultes qui les entourent, l’estime de soi et la discrimination par rapport au poids. Ce phénomène prévaut actuellement dans notre société et chez les jeunes enfants. Parallèlement à l’augmentation des taux de prévalence de surpoids et d’obésité, l’intolérance vis-à-vis toute forme de surpoids est de plus en plus marquée. L’exposition fréquente aux modèles de minceur proposés dans les médias n’est évidemment pas étrangère à cette intolérance; les expériences de socialisation sont également importantes : dès l’âge de trois ans, les enfants expriment une préférence pour les personnes minces et, lorsqu’ils commencent l’école, ils risquent de se forger une idée négative du surpoids. Une fois la scolarisation entamée, ils ont de plus en plus tendance à se comparer aux autres, à discuter du poids et de l’apparence physique Tableau 2. Perception du corps et performance scolaire Rendement scolaire Rendement en français -Sous la moyenne -Dans la moyenne -Supérieur à la moyenne Rendement en mathématiques -Sous la moyenne -Dans la moyenne -Supérieur à la moyenne Rendement en anglais -Sous la moyenne -Dans la moyenne -Supérieur à la moyenne Rendement en sciences -Sous la moyenne -Dans la moyenne -Supérieur à la moyenne Rendement en éducation physique -Sous la moyenne -Dans la moyenne -Supérieur à la moyenne Perception d’être trop mince Perception d’être Perception correct d’être trop gros 25% 54% 21% 11,6% 45,5% 42,9% 20% 50% 30% 20,8% 33,3% 45,8% 5,5% 36,4% 58,2% 12,5% 42,5% 45% 25% 41,7% 33,3% 17,5% 54,7% 27,8% 20% 50% 30% 8,7% 73,9% 17,4% 2,5% 52,5% 45% 5,9% 67,6% 26,5% 4,2% 54,2% 41,7% 2,2% 53,3% 44,5% 12,5% 60% 27,5% MARS 2012 /// LE MONDE DE L’ÉDUCATION - 47 47 aux autres ? Est-ce que la discrimination et les commentaires négatifs dont sont victimes les enfants en surpoids provoquent chez eux un désintérêt pour l’éducation physique et, en conséquence, une moindre performance ? Ce lien semble éminemment probable. En effet, il a été démontré que les enfants en surpoids et obèses sont fréquemment victimes de discrimination par rapport à leur poids, ce qui se traduit par un désir d’éviter les contacts interpersonnels et la pratique d’activités physiques, de manière à se protéger d’autrui. La nécessité de la prévention souhaitables et à fonder leur acceptation d’autrui sur l’apparence. C’est dans un contexte où la minceur est fortement désirée et associée à la valeur d’une personne que les enfants en viennent à juger de leur propre valeur en fonction de leur poids et de leur apparence et à manifester de l’intolérance à l’égard des enfants en surpoids. Ainsi, ces derniers sont non seulement mal dans leur peau et insatisfaits de leur image corporelle, mais ils voient en plus cet autojugement accentué et perpétué par celui des autres. Autant les autres enfants que les intervenants scolaires et les enseignants peuvent parfois, sans même s’en rendre compte, émettre des commentaires quant au surpoids. Or, ces commentaires viennent renforcer la crainte des enfants de prendre du poids ou leur impression d’être inadéquats en raison de leur surpoids. Bref, les expériences de discrimination et les préjugés à l’endroit du surpoids peuvent conduire à des perceptions négatives du corps, créant une situation nuisible à la performance scolaire des enfants. La classe d’éducation physique : un lieu de discrimination L’incidence de l’obésité et de la perception d’être trop gros sur la performance en éducation physique soulève certaines questions. Est-ce réellement le surplus de poids qui nuit à la performance ? Est-ce que la perception d’être trop gros favorise l’absentéisme en éducation physique parce que les enfants sont embarrassés d’exposer leur corps 48 48 - LE MONDE DE L’ÉDUCATION /// MARS 2012 Considérant le lien entre la perception qu’ont les enfants de leur corps et leur rendement scolaire, il est essentiel de s’arrêter sur la question de la prévention des problèmes d’image corporelle, et ce, dès le primaire. Un climat scolaire favorisant les apprentissages en est un où les enfants se savent protégés et outillés devant la discrimination par rapport au poids. L’intimidation dirigée contre le poids et l’apparence physique ne doit en aucun cas être tolérée. Il importe de valoriser chez l’enfant l’acceptation des différences corporelles ainsi que le développement d’un sentiment d’appartenance à son groupe de pairs. Références COLE, T.J, BELLIZZI, M.C., FLEGAL, K.M, DIETZ, W.H. (2000). Establishing a standard definition for child overweight and obesity worldwide : internationa survey. BMJ, 320, 1-6. COLE, T.J., FLEGAL, K.M., NICHOLLS, D., JACKSON, A.A. (2007). Body mass index cut offs to define thinness in children and adolescents: international survey. bmj.39238.399444.55 DATAR, A., STURM, R., MAGNABOSCO, J.L. (2004). Childhood overweight and academic performance: National study of kindergartners and first-graders. Obesity research, 12, 58-68. DAVIDSON, K.K., MARKEY, C.N., BIRCH, L.L. (2000). Etiology of body dissatisfaction and weight concerns among 5-year-old girls. Appetite, 35, 143-151. DITTMAR, H., HALLIWELL, E., IVE, S. (2006). Does Barbie make firls want to be thin? The effect of experimental exposure to images of dolls on the body image of 5- to 8-year-old girls. Developmental Psychology, 42, 283-292.