Consommation collaborative : de belles idées mais rien de concret

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Consommation collaborative : de belles idées mais rien de concret
Consommation collaborative : de belles idées mais rien de concret
Ouverte depuis juin 2014, la Ruche qui dit oui installée dans le centre de Strasbourg compte déjà 900 membres (Photo FD / Rue89
Strasbourg )
Troc, location, circuits-courts, la « consommation collaborative » attire de plus
en plus d’adeptes. Mais ces initiatives citoyennes, basées sur l’idée de partage,
restent dispersées et souvent confidentielles. Malgré une promesse de
campagne, la municipalité tarde à soutenir ces nouvelles manières de
consommer.
Plutôt que d’acheter une tondeuse qui finira au fond du garage, pourquoi ne pas emprunter
celle du voisin ? C’est l’un des bons plans que l’on peut dégoter à Strasbourg sur le site de
petites annonces La Grande Débrouille, ouvert en janvier 2014. Les particuliers sont de plus
en plus nombreux à opter pour le système D pour répondre à leurs besoins. C’est ce qu’on
appelle la « consommation collaborative », une pratique basée sur la mutualisation des objets,
de la nourriture et des services. Une manière de réaliser des économies et de protéger, à son
échelle, l’environnement.
Les initiatives de consommation collaborative fleurissent un peu partout en France : des sites
comme Blablacar (de covoiturage) ou Airbnb (sous location immobilières courte durée)
surfent sur le phénomène. À Strasbourg, plusieurs associations croient en un changement des
habitudes de consommation.
« Une vraie demande des consommateurs »
C’est le cas de La Ruche qui dit oui, l’association nationale compte deux points de vente à
Strasbourg. Tous les lundis à partir de 18 heures, une dizaine de producteurs locaux investit le
foyer de l’église Saint-Guillaume sur le Quai des Bateliers. Confitures, pommes, volailles,
bière artisanale, sont disposés sur les étals de ce marché un peu particulier.
Lancée au mois de juin en plein centre-ville, La Ruche qui dit oui propose aux
consommateurs de achats groupés auprès de producteurs locaux. Les commandes doivent être
passées à l’avance et les producteurs livrent leur production seulement si un nombre suffisant
d’acheteurs s’est manifesté. Il suffit de s’inscrire sur le site de l’association pour faire ses
premiers achats. Alice Faverot, bénévole et responsable du point de distribution détaille le
fonctionnement du système :
« Il y a une vraie demande des consommateurs, ils sont entre 50 et 60 à venir chaque semaine.
Plus les membres de la Ruche commandent des produits, plus les producteurs pourront
écouler leur stocks de cette manière, avec peu d’intermédiaires (d’après la Ruche qui dit Oui
79% du prix de vente revient à l’exploitant ndlr). Ils sont certains de vendre leur production
en venant ici, parce que la commande et le paiement sont déjà faits. Le système reste flexible,
ce n’est pas un abonnement comme les AMAP. »
Son point de vente compte environ 900 membres depuis son ouverture. La deuxième ruche
installée rue d’Ankara depuis deux ans compte, elle, 2 000 adeptes.
Une promesse de campagne tombée dans l’oubli
Ces manières de consommer, hors des rayons aseptisés des grandes surfaces où les produits
locaux sont de toute façon rares, attirent les particuliers. Mais cela ne se limite pas à
l’alimentation, les objets du quotidien sont aussi concernés. D’ailleurs, lors des élections
municipales, Roland Ries, le maire (PS) de Strasbourg, proposait de soutenir la création d’un
site Internet d’échanges de biens à l’échelle des quartiers. Grâce à cette plateforme
numérique, tous les habitants pourraient prêter et échanger leurs objets avec « leur voisin ».
Sauf que cette proposition de campagne pourrait bien rester au stade de la belle idée.
La municipalité assure, par le biais de son service de presse, qu’elle n’a « pas vocation à créer
cette plateforme numérique d’échanges ». Elle souhaite que le projet soit proposé et porté par
une association locale. Pour l’instant, aucune structure ne s’est manifestée. La Mairie assure
de son côté qu’elle est en lien avec Zamma d’Acc. L’association pilote la création d’une
Accorderie, un réseau d’échanges de services et non d’objets comme le proposait Roland
Ries. Vincent Thomas, chargé de la communication autour du projet, regrette la passivité de
la municipalité à ce sujet:
« J’avais vu ce projet de prêts d’objets pendant la campagne municipale mais je n’ai pas
l’impression que ça avance. Le fait d’attendre qu’une association se manifeste pour porter ce
projet est étonnant. Il faudrait que la Mairie soit plus offensive pour qu’une association ait
vraiment envie de monter un réseau local de prêts. Je pense que c’est un sujet auquel les élus
restent sensibles et ils ont déjà beaucoup de travail avec les associations existantes. »
Si Vincent Thomas n’a pas oublié cette promesse de campagne, d’autres acteurs de la vie
associative semblent être passés à côté de cette proposition, comme Alice Faverot,
responsable de la Ruche qui dit oui du centre-ville :
« Je n’avais pas fait attention à cette promesse pendant la campagne municipale. Les
associations qui proposent des systèmes de partage sont souvent le fruit d’initiatives
citoyennes. Mais s’il y avait un soutien politique, cela pourrait permettre de vraiment
développer ces nouvelles manières de consommer. »
Des associations en manque de visibilité
L’étonnement est semblable du côté du Système d’échange local (Sel), l’un des premiers du
genre à s’être implanté à Strasbourg. L’organisation propose à ses adhérents un
fonctionnement où l’argent n’existe plus. Les euros sont remplacés par des « grains de Sel »
que l’on obtient en échange d’un service comme un cours de maths, faire le ménage, bricoler
chez quelqu’un d’autre, etc. Pour Anne Kauffman, la vice-présidente, la potentielle création
d’un réseau local soutenu par la Ville de prêts l’enthousiasme :
« Je pense que ce serait une très bonne chose de créer une plateforme d’échanges d’objets à
Strasbourg. Il y a beaucoup de personnes qui sont intéressées par cette manière de
consommer. Mais je ne suis pas certaine que ce soit vraiment le rôle de la Mairie de gérer ces
initiatives. Cela doit rester une démarche citoyenne. »
L’association compte à peu près 150 membres. Des effectifs qui évoluent « en dents de scie »
et le nombre de transactions a baissé de 40% entre 2013 et 2014, passant de 232 à 142. Anne
Kauffman reconnaît qu’il n’est pas évident de faire vivre une telle structure :
« Les personnes qui adhèrent à l’association cherchent de l’entraide. Le principe est simple :
en échange d’une heure de service chez quelqu’un, les membres obtiennent 60 grains de Sel.
Avec ses grains de sel, ils vont pouvoir demander un service à une autre personne de la
communauté. Mais pour que cela fonctionne, il faut que les gens soient très actifs. Je trouve
qu’on s’est un peu endormi ces derniers temps. »
Flora Vuillier, adepte de la consommation collaborative, est adhérente au Sel depuis neuf
mois. Elle aimerait que la démarche soit plus simple et plus répandue :
« Ce qui m’intéresse avec le Système d’échange local, c’est le côté humain. Un cours de
mathématiques ne vaut pas plus qu’un cours de jardinage par exemple. Je trouve que les
transactions avec les membres de l’association sont compliquées à Strasbourg. Ce n’est pas
très actif car le public est restreint. Il faudrait que l’association s’élargisse à d’autres milieux
sociaux. Je serais pourtant intéressée pour emprunter et échanger plus d’objets dans mon
quotidien, mais je ne vois pas bien à quelle organisation je dois m’adresser. Pour moi, c’est
clairement le rôle des politiques d’aider au développement de ces initiatives. »
Seuls 6 % de Français louent leurs biens
Un projet soutenu par la Région tente aussi de se faire une place, non sans difficultés avec
la plateforme numérique Zig et Zag, initiée dès 2011 par la Chambre de consommation ainsi
que la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire d’Alsace, mais seulement
ouverte en novembre 2013. Le site référence 122 structures, sauf que trouver un service via le
moteur de recherche relève de l’exploit et les organisations devront bientôt payer pour y
apparaître.
À Strasbourg, une « monnaie locale complémentaire » doit aussi voir le jour en 2015. Une
trentaine d’expériences a déjà vu le jour, notamment en Bretagne avec le Galleco et au Pays
basque avec l’Eusko. Le Stück a demandé deux ans de préparation aux associations EcoQuartier Strasbourg et Colibris 67. Les initiateurs du projet, qui vise à faciliter les échanges à
une échelle locale, ont même lancé un appel aux dons de 10 000 euros pour financer
l’élaboration et l’impression des 12 000 premiers billets, dernière condition pour sa mise en
circulation. Lundi 3 novembre en fin d’après-midi, 4 100 euros avaient été réunis.
La consommation collaborative a encore un long chemin à faire pour s’imposer dans le
quotidien des Strasbourgeois. D’ailleurs, bien que l’idée séduise énormément, seuls 11% des
Français se sont mis au troc et 6 % osent louer leurs biens selon une étude de l’ADEME. En
2011, les grandes surfaces du Bas-Rhin captaient près de 80 % de la consommation sur le
territoire.