Chapitre 4

Transcription

Chapitre 4
1964
mille neuf cent soixante-quatre
JOHN : Mersey Beaucoup !
GEORGE : En janvier 1964, on a donné une série de concerts à Paris. Le public était épouvantable. On
avait fantasmé sur toutes ces petites Françaises : « Hou la la », mais le public, du moins le premier soir,
était composé de gens d’âge mûr en habit et d’une bande de garçons à l’air légèrement gay qui attendaient
à l’entrée des artistes en criant « Ringo, Ringo ! » et couraient après notre voiture. On n’a vu aucune de
ces « Brigitte Bardot » auxquelles on s’attendait.
GEORGE MARTIN : Pendant q’ils passaient à l’Olympia, je suis allé à Paris et j’ai organisé une séance
pour eux au studio EMI. Ils devaient enregistrer des versions allemandes de « She Loves You » et de « I
Want To Hold Your Hand ».
Le directeur artistique en Allemagne m’avait dit que les Beatles ne vendraient jamais de disques là-bas
s’ils ne chantaient pas en allemand. J’avais tendance à ne pas y croire, mais c’était e qu’il affirmait et je
l’ai répété aux Beatles. Ils ont ri : « C’est n’importe quoi. » Alors, j’ai dit : « Si vous voulez vendre des
disques en Allemagne, c’est pourtant ce qu’on doit faire. » Et ils ont accepté d’enregistrer en allemand.
C’était effectivement n’importe quoi, mais la maison de disques a envoyé un certain Otto Demmlar pour
les aider à chanter en allemand. Il a traduit les paroles, et « She Loves You » est devenu « Sie Liebt Dich »
- pas vraiment subtil !
Le jour prévu j’attendais au studio avec Otto, mais ils ne sont pas venus. Comme c’était la première fois
depuis que je travaillais avec eux qu’ils me faisaient faux bond, j’ai appelé le George V où ils étaient
descendus et c’est Neil Aspinall qui a répondu. Il m’a dit : « Je suis désolé, ils m’ont demandé de vous dire
qu’ils ne viendront pas. » J’ai demandé : « Vous voulez dire qu’ils vous ont dit de me le dire ? Ils ne
veulent pas me le dire eux-même ? » - « C’est exact. » - « J’arrive tout de suite. »
J’y suis allé avec Otto. J’étais vraiment furieux et j’ai fait une entrée fracassante pour découvrir qu’ils
étaient en train de prendre le thé au milieu de la chambre. (Après tout, c’était des gens charmants.) Ca
ressemblait à la tea-party du Mad Hatter, avec Jane Asher en Alice au pays des merveilles aux cheveux
longs en train de servir le thé.
Dès que je suis entré, ils se sont égaillés dans toutes les directions, ils couraient se cacher derrière les
canapés et les fauteuils, s’est élevé un concert de : « Désolés George, désolés George, désolés George… » Je
n’ai pas pu m’empêcher de rire. J’ai dit : « Vous êtes des petits cons ! Allez-vous présenter vos excuses à
Otto ? » Et ils ont dit : « Désolés Otto, désolés Otto… »
En fin de compte, ils ont accepté de venir au studio et de travailler. Ils ont enregistré en allemand deux
chansons, qui sont les seules qu’ils aient jamais faites dans une langue étrangère. De toute manière, ce
n’était pas nécessaire. Ils avaient raison. Les disques se seraient vendus en anglais, et c’est ce qui est
arrivé.
NEIL ASPINALL : Il s’est passé un tas de choses excitantes pendant qu’on était au George V. En plus de
George Martin, qui était venu pour les enregistrements en allemand, il y avait Derek Taylor qui
interviewait George pour la chronique qu’il rédigeait pour lui dans le Daily Express. John travaillait sur
son deuxième livre, l’Hidalgo de service. A la même époque, ils venaient de se procurer le premier album
de Dylan et David Wynne était venu réaliser des sculptures des têtes des Beatles.
Les Beatles ont joué trois semaines à l’Olympia qui, si on excepte la Cavern et leurs passages à Hambourg,
est l’endroit où ils ont joué le plus longtemps.
GEORGE : Pour moi, la chose la plus mémorable du séjour est qu’on avait un exemplaire de l’album
Freewheelin’ de Bob Dylan et qu’on l’écoutait sans arrêt.
PARIS-61
JOHN : Je crois que c’était la toute première fois que j’entendais Dylan. Je crois que Paul avait obtenu le
disque d’un DJ français. On faisait un truc à la radio et le mec avait le disque dans le studio. Paul a
dit : « Oh ! j’entends tout le temps parler de ce type », ou alors il l’avait déjà entendu, je ne sais plus – et
on l’a rapporté à l’hôtel.70 On n’a pas arrêté de l’écouter pendant le reste de ces trois semaines à Paris.
On est tous devenus dingues de Dylan.
La première fois qu’on entend Dylan, on croit être le premier à le découvrir. Mais des tas de gens l’avaient
découvert avant nous.64
DEREK TAYLOR : En 1964, je suis allé à Paris pour rédiger la chronique de George. Il m’a dit : « Pour
rendre cette chronique intéressante, allons nous balader. On ira dans une boîte de nuit et on montera sur
la Tour Eiffel. On fera des trucs que font les Français. » Les voyages, c’était nouveau pour eux en ce
temps-là. Tout était nouveau.
A l’époque de Paris, je devais encore mériter leur confiance, et une nuit John m’a demandé : « Tu
prétends vraiment être de Liverpool ? » On était les derniers encore debout, on buvait quelques verres et
c’est ainsi que la conversation a pris ce tour délicat. J’ai répondu : « Je ne sais pas si je le prétends, mais je
suis de Liverpool. » Il a dit : « Ouais, né a Manchester. » Moi : « Ca, c’est une vision étriquée des choses.
Je vis en ce moment à Manchester. Un tas de gens ne sont pas nés à l’endroit où ils sont amenés à vivre
plus tard. Je suis né à Liverpool, j’ai vécu à West Kirby et ma femme est de Birkenhead. »
Conversation purement locale… Mais derrière l’abord abrupt de John, on pouvait avec une étonnante
rapidité découvrir un type sympa avec qui (une fois qu’on avait prouvé qu’on n’était pas de Manchester,
et donc bon à rien) il était possible d’avoir une conversation agréable sur quantité de sujets. Dont je n’ai
aucun souvenir d’ailleurs, parce qu’on s’est copieusement saoulés. J’ai beaucoup apprécié cette nuit, seul
avec John.
PAUL : Une nuit, on est arrivés à l’hôtel en revenant de l’Olympia et Brian a reçu un télégramme de
Capitol Records aux Etats-Unis. Il s’est précipité dans notre chambre en disant : « Hé, regardez. Vous êtes
numéro un en Amérique ! » « I Want To Hold Your Hand » était arrivé en tête des ventes.
Je ne peux pas décrire notre réaction. On a tous essayé de grimper sur le dos de Big Mal pour faire le tour
de la suite : « Youpi ! » On a plané pendant une semaine.
RINGO : On n’arrivait pas à y croire. On braillait « Ya-hoo ! » comme des cow-boys. Je crois que c’est la
nuit où on a fini assis sur un banc au bord de la Seine, rien ne que nous quatre et Neil. A l’époque, on
avait promis 20'000 livres à Neil s’il piquait une tête. Il l’a fait et, nous, on a dit : « Non, désolés. »
JOHN : J’aime « I Want To Hold Your Hand », c’est une belle mélodie.70 Je me souviens du moment où
on a trouvé l’accord qui est à l’origine de cette chanson. On était dans la cave chez Jane Asher, on jouait
du piano tous les deux et on avait déjà : « Oh ! you-u-u… got that something. »
Paul a joué cet accord et je me suis retourné vers lui : « C’est ça ! Refais-le ! » A cette époque-là, on
composait vraiment comme ça – en jouant chacun sous le nez de l’autre.80
PAUL : « From Me To You » est sorti en Amérique et a fait un bide. « She Loves You », gros succès en
Angleterre, grand numéro un en Angleterre, a fait un bide aux Etats-Unis. « Please Please Me » bide. Rien
jusqu’à « I Want To Hold Your Hand ».
JOHN: L’idée de faire un carton là-bas, en Amérique, ça paraissait absurde. C’était une chose
impensable. C’est du moins ce que je croyais. Et puis j’ai réalisé que les mômes aiment partout les mêmes
choses et que, ayant réussi en Angleterre, il n’y avait aucune raison qu’on n’y arrive pas aussi en
Amérique. Mais les disc-jockeys américains ignoraient tout des disques anglais, ils ne les passaient pas et
personne n’en faisait la promotion, alors personne n’avait de hits.
Ce n’est qu’après que Time et Newsweek sont venus nous voir et on publié des articles qui ont suscité un
intérêt pour nous que les disc-jockeys ont commencé à passer nos disques. Et Capitol a demandé : « On
peut avoir leurs disques ? » On les leur avait proposés longtemps auparavant, mais ils n’en avaient pas
voulu. Mais quand ils ont appris qu’on était devenus importants ici, ils ont demandé : « On peut les avoir,
maintenant ? » On a répondu : « Du moment que vous en faites la promotion. » Capitol a dont fait notre
promo et, avec ça et tous ces articles sur nous, les ventes ont décollé.
BRIAN EPSTEIN : Nous savions que l’Amérique ferait de nous des vedettes mondiales ou nous détruirait.
En définitive, elle nous a fait.64
PARIS-62
JOHN : On croyait n’avoir aucune chance. On n’avait pas du tout prévu ça. Cliff était allé en Amérique et
en était mort. Il avait figuré en quatorzième position sur l’affiche de Frankie Avalon.67 Quand on y est
allés pour la première fois, on venait uniquement pour s’acheter des albums. Je sais que notre manager
avait des projets concernant les émissions d’Ed Sullivan, mais on pensait qu’en arrivant on pourrait
percevoir quelque chose… C’est venu de nulle part. Vraiment de nulle part et on est restés K.O.64
PAUL : Je crois que l’argent a principalement été utilisé à L.A. pour convaincre des gens comme Janet
Leigh de porter des perruques Beatles et de se faire photographier avec, chose qui a tout déclenché.
Quand une star de cinéma faisait un truc comme ça, ça pouvait être revendu dans le pays
entier : « Regarde cette photo marrante. Janet Leigh avec cette perruque loufoque – la perruque « balai à
franges ». » Et tout le truc « balais à franges » a donc démarré là. Et ça a fait parler de nous.
Il y avait des millions de mômes à l’aéroport, chose que personne n’avait prévue. On a appris la nouvelle à
mi-chemin. Il y avait des journalistes dans l’avion et le pilote, qui avait appelé New York, leur a
dit : « Dites aux garçons qu’une foule énorme les attend. » On s’est dit : « Ouah ! On a vraiment réussi. »
Je me rappelle ce grand moment, quand on est montés dans la limousine et qu’on a allumé la radio et
entendu un reportage en direct : « Ils viennent de quitter l’aéroport et se dirigent vers New York City… »
C’était comme un rêve. Le plus grand de tous les rêves.
RINGO : C’était tellement excitant. Pendant qu’on volait vers l’aéroport, j’avais l’impression qu’un gros
poulpe avait pris l’avion dans ses tentacules et nous attirait vers New York. L’Amérique, c’était super !
C’était un rêve pour qui venait de Liverpool. J’ai adoré ça. La radio était hip et boppait, la télé restait
allumée, on allait dans des clubs. Et ils adoraient Ringo, là-bas. C’est pour ça que ça été aussi génial pour
moi, parce quand on est allés en Amérique ce n’était pas JOHN, PAUL, GEORGE et Ringo. La moitié du
temps, c’était RINGO, PAUL, GEORGE et JOHN. D’un seul coup, c’était l’égalité.
RINGO : La première chose qui m’a frappé quand on a fait le Ed Sullivan Show pour la première fois,
c’est qu’on a répété tout l’après-midi. Le matériel de prise de son de la télé était si mauvais (il l’est encore
aujourd’hui en général, mais à l’époque c’était vraiment mauvais) qu’après avoir enregistré la répétition,
on est montés tripoter les curseurs en régie. On a tout mis au point avec l’ingénieur du son et puis on est
partis faire une pause.
L’histoire raconte que le type du nettoyage est venu nettoyer la pièce et la console pendant qu’on était
sortis; il s’est dit : « Qu’est-ce que c’est que ces marques à la craie ? » et les a effacées. Et tous nos
préparatifs sont passés à la trappe. On a eu un mal fou à obtenir un son correct.
PAUL : Soixante-treize millions de gens ont regardé la première émission. Il paraît que c’est toujours une
des plus grosses audiences de tous les temps aux Etats-Unis.
Ca a été très important. On arrivait de nulle part avec nos drôles de cheveux, on ressemblait à des genres
de marionnettes. Ca a énormément joué. Je pense que c’est vraiment une des choses qui nous ont lancés –
la coiffure plus que la musique, au départ. Un tas de pères de familles ont voulu éteindre leur télé. Ils
disaient à leurs enfants : « Ne vous laissez pas avoir, ce sont des perruques. »
PAUL : Un tas de pères ont éteint la télé, mais un tas de mères et d’enfants les ont obligés à rallumer.
Tous ces gamins sont aujourd’hui des adultes qui nous disent qu’ils s’en souviennent. C’est comme la
question rituelle : « Où étiez-vous le jour où Kennedy a été assassiné ? » Je rencontre des gens comme Dan
Aykroyd qui me disent : « Oh, mec, si je me souviens de ce dimanche soir ! On ne comprenait rien à ce
qu’on venait de prendre en pleine gueule – assis là en train de regarder le Ed Sullivan Show. »
Jusqu’alors, il avait eu des jongleurs et des comiques du genre Jerry Lewis, et puis, d’un seul coup, les
Beatles !
RINGO : Murray the K était fou comme un lapin, un type fabuleux, un grand DJ qui connaissait bien la
musique. On l’a pratiquement tué, parce qu’il suivait la tournée et traînait avec nous à chaque fois le soir.
Et puis on tombait et on allait se coucher, tandis que lui devait commencer ses émissions. Il dormait vingt
minutes par nuit. On a vu cet homme « partir », disparaître devant nos yeux.
A New York, il y avait lui et le DJ Cousin Brucie. Murray est devenu le soi-disant « cinquième Beatle »
parce qu’il n’arrêtait pas de passer notre disque. Il a contribué à en faire un hit.
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JOHN : On avait appris les règles du jeu. Quand on est arrivés, on savait comme manipuler la presse. La
presse britannique est la plus féroce du monde, et on pouvait affronter n’importe quoi. On était parés. Je
sais que dans l’avion je me disais : « On n’y arrivera pas », mais c’est mon côté négatif. On savait qu’on
allait les balayer si jamais on trouvait le truc.70
Ca m’est égal que les gens nous descendent, parce que si tout le monde nous aimait, ça serait chiant. Il
faut qu’il y ait des gens qui vous descendent. Ca n’a aucun charme si tout le monde se met à plat ventre en
disant : « Vous êtes géniaux. » Et puis certaines critiques nous amusent, elles peuvent être drôles. Les
critiques intelligentes, pas celles de ceux qui ne connaissent rien à rien, sont rigolotes.
Ce qui nous a permis de continuer malgré « le bagne » du boulot, c’est l’humour entre nous. On peut rire
de tout, y compris de nous-mêmes. C’est comme ça qu’on fonctionne pour tout – en blaguant. Même chose
en ce qui nous concerne, on ne se prend jamais au sérieux.64
RINGO : On a vécu un moment très pénible à l’ambassade britannique de Washington. Au début des
années 60, il y avait encore un énorme contraste entre les gens du nord de l’Angleterre et les « gens des
ambassades ». Eux disaient : « Oh, très plaisant », un peu comme Brian Epstein, alors que nous, on
disait : « D’ac, mec, pas si mal. » Mais on y est allés, Dieu sait pourquoi. Peut-être parce qu’on était
subitement devenus des ambassadeurs et qu’ils voulaient nous voir, et puis je pense que Brian aimait se
dire que c’était la grande vie. On était là debout en train de dire « Hello, c’est très gentil » tout en buvant
un verre, quand quelqu’un a surgi derrière moi et ma coupé une mèche de cheveux. Ca m’a rendu
furieux. Pourquoi il avait une paire de ciseaux sur lui ? Je me suis retourné et j’ai dit : « Mais qu’est-ce
que vous foutez ? » Il m’a répondu « Oh, c’est OK, vieux… bla-bla-bla. » C’était tellement nul de vouloir
couper les cheveux d’un Beatle.
NEIL ASPINALL : Le concert de Washington a été compliqué parce qu’ils étaient sur un ring de boxe et,
comme il y avait du public tout autour, ils ont dû jouer pour les quatre côtés.
Ils changeaient de côté à chaque chanson, et nous, on devait sans cesse déplacer les micros. Ringo était
assis au milieu de la scène sur une plate-forme ronde qu’on devait faire tourner elle aussi – et cette saleté
de truc s’est coincée ! C’était un peu le bordel, mais ça a malgré tout été un bon concert. Ensuite, retour à
New York.
J’ai découvert vingt ans plus tard que le concert avait été filmé et télévisé ultérieurement dans toute
l’Amérique. Dans tout le pays, des mômes ont payé pour aller le voir au cinéma. Quand les Beatles sont
revenus tourner aux Etats-Unis en août, beaucoup de gens dans le public les avaient déjà vus en concert,
via la retransmission télévisée. Il y avait aussi les Beach Boys et un autre artiste, tous dans un seul
programme, diffusé dans les cinémas.
PAUL : On est passés au Carnegie Hall parce que Brian aimait l’idée qu’on joue dans une salle classique,
et puis on est allés à Miami pour le deuxième Ed Sullivan Show.
Miami, c’était le paradis. On n’était jamais allés dans un endroit où il y avait des palmiers. On était de
vrais touristes; on avait nos Pentax et on prenait des tas de photos, j’ai encore plein de photos de flics sur
leurs motos avec leurs flingues. On n’avait jamais vu de policiers armés, et ceux de Miami avaient une
sacrée allure. On a passé un séjour formidable là-bas. On a joué dans un des hôtels. Il y avait toujours des
cabarets dans le sous-sol des grands hôtels. Et puis on regardait la plage en contrebas où les fans avaient
écrit « J’aime John » sur le sable, en si grand qu’on pouvait le lire depuis notre fenêtre.
GEORGE : On faisait manifestement de l’effet, puisque tous ces gens voulaient nous rencontrer – comme
Muhammad Ali, par exemple. On nous a emmenés le voir au cours de ce premier séjour. C’était un gros
coup de pub. Ca faisait partie de la vie d’un Beatle d’être traîné partout et poussé dans des pièces remplies
de journalistes qui prenaient des photos et posaient des questions. Ali a été très mignon. Il devait affronter
Sonny Liston deux jours plus tard. Il y a une photo célèbre de lui portant deux Beatles, un sous chaque
bras.
PAUL : Phil Spector nous a fait rencontrer quelques personnes. On a rencontré les Ronettes, ce qui était
très excitant, et des tas d’autres comme Jackie DeShannon, qui écrivait de superbes chansons, et aussi
Diana Ross et les autres Supremes. C’était des gens qu’on admirait et, peu à peu, on les a tous rencontrés
– tous ces gens qui montaient en même temps que nous. On copinait avec eux.
L’AMERIQUE-64
PAUL : Toute cette agitation ne nous a pas perturbés. Ce qu’il y a de bien dans notre carrière, c’est
qu’elle s’est faite par étapes. Si on avait dû être perturbés, c’est quand on a commencé à avoir du succès à
la Cavern. Mais on n’a pas été perturbés : c’était un gentil petit succès local. Et quand on est passés dans
des endroits comme le Petersborough Empire, là, ça aurait pu être perturbant. Mais ça aussi, on l’a pris
comme ça venait. Et puis on a fait des émissions de télévision et on est passés sur des radios importantes.
On s’en est sortis aussi. L’Amérique n’était qu’une suite logique, c’était seulement plus important et
mieux que tout le reste.
Les Américains parlaient tous avec des accents qu’on aimait bien et auxquels on s’identifiait. On avait
l’impression d’avoir plein de choses en commun, par la langue. On prononçait « bath » et « grass » avec
un « a » court (on ne dit pas « bah-th »), et eux aussi. Je crois que les gens de Liverpool ont de réelles
affinités avec les Américains, avec les GI’s, à causes de la guerre… Il y a des tas de types à Liverpool qui
se baladent avec des chapeaux de cow-boys. C’est presque comme si Liverpool et New York étaient des
villes jumelles.
RINGO : Pour ma famille, ça n’avait aucune importance qu’on soit célèbres en Amérique. Ce qui
comptait, c’était qu’on soit célèbres à Liverpool. Le reste n’était que le prolongement logique de ça. Ils
s’en fichaient. A partir du moment où on était passés au Palladium, aux yeux de ma famille, on était
arrivés – pour eux, c’était ça l’important.
GEORGE : Pendant ce voyage aux Etats-Unis, je vivais sur l’instant. Je n’avais pas vraiment conscience
que notre notoriété changeait d’échelle. Je crois que l’avenir ne me préoccupait pas beaucoup. Je me
disais : « Profitons de ce qui arrive, allons là-bas et faisons notre truc. »
Au début, c’était rigolo. On a bien profité des premiers séjours, mais par la suite, c’est devenu lassant.
Quand on est allés aux Etats-Unis pour la première fois, il y avait la nouveauté de la « conquête » de
l’Amérique. On y est retournés plus tard la même année pour une tournée. L’année suivante, on a fait une
autre tournée et, à ce moment-là, c’était devenu trop. On ne pouvait pas bouger.
GEORGE MARTIN : Les Beatles ne se sont totalement impliqués dans la production de leurs disques que
plus tard, lorsqu’ils ont arrêté de tourner. Jusque-là, ils n’avaient pas le temps. Ils se ruaient dans le
studio, enregistraient leurs chansons et s’en remettaient à nous pur le reste du travail.
Les tout premiers disques que nous avons faits étaient en mono, même si j’étais équipé en stéréo. Pour
faciliter le mixage je séparais les voix de l’accompagnement, utilisant pour cela un magnéto stéréo comme
un deux-pistes. Non pas avec l’idée de faire de la stéréo, mais simplement pour me donner un peu plus de
souplesse quand je remixerais en mono. Les enregistrements des premières années ont donc été effectués
sur deux pistes seulement et en direct, comme pour une retransmission radio. Grâce au progrès
considérable qu’a représenté le quatre-pistes, nous avons pu doubler et ajouter ultérieurement les
deuxième voix et les solos de guitare. A l’époque où nous avons fait « A Hard Day’s Night », nous
enregistrions d’abord la base instrumentale et faisions les voix ensuite. Invariablement, je mettais tous les
instruments rythmiques sur une ou deux pistes (généralement une), si bien que la basse était mélangée à la
guitare. Ce n’est que plus tard encore que nous avons commencé à mettre la basse après coup, elle aussi,
offrant ainsi à Paul la possibilité de mieux utiliser sa voix.
RINGO : George Martin est devenu sourd d’une oreille. Désormais, il ne peut plus travailler qu’en mono !
JOHN : Quand les gens commencent à nous comparer aux Marx Brothers, c’est vraiment n’importe
quoi ! La seule similitude, c’est qu’ils étaient quatre, et nous aussi.65
JOHN : On ne voulait pas faire un mauvais film, et on a insisté pour qu’il soit écrit par un vrai écrivain.67
PAUL : A nos débuts, on nous avait déjà proposé un film intitulé The Yellow Teddy Bears. On était très
enthousiastes, mais il s’est avéré que le type impliqué là-dedans devait écrire toutes les chansons, et on ne
pouvait pas accepter ça. Mais faire un film nous intéressait toujours, alors Brian s’est mis à en parler avec
des gens et est tombé sur le nom de Dick Lester. Brian nous a dit que Lester avait réalisé The Running,
Jumping & Standing Still Film, un court-métrage avec Spike Milligan – une petite comédie classique.
Comme on l’avait adoré, on a dit : « On le prend. C’est notre homme. »
Dick est venu nous voir et on a découvert qu’il était aussi musicien : il savait jouer un peu de piano jazz,
chose qui le rendait encore plus intéressant. Il était américain, mais il avait travaillé en Angleterre. Il avait
travaillé avec les Goons, et ça nous suffisait.
A HARD DAY’S NIGHT-65
PAUL : Pour le scénario, Dick Lester a déniché Alun Owen, un adorable dramaturge gallo-liverpoolien
qui avait écrit No Tram To Lime Street, une excellente dramatique de télévision avec Billie Whitelaw.
JOHN : C’était une version BD de ce qui se passait en réalité. La pression était bien plus forte que ça.71
J’ai bien aimé Quatre garçons dans le vent, même si Alun Owen n’a passé que deux jours avec nous avant
d’écrire un scénario dont le côté spécieux nous a rendu assez furax. C’était une bonne image d’un aspect
donné de nous – en tournée, à Londres et à Dublin. De nous dans cette situation précise, ayant à nous
produire devant des gens. On était comme ça. Alun Owen a assisté à la conférence de presse et l’a restituée
dans le film – plutôt bien, mais à l’époque on a trouvé que c’était assez bidon.70
PAUL : Alun a piqué ici et là des tas de détails. Des trucs comme : « Il est en retard mais il est propre, pas
vrai ? » Les petits jeux de mots, les sarcasmes, l’humour, la vivacité d’esprit de John, le laconisme de
Ringo, chacune de nos diverses façons d’être. Le film réussit assez bien à croquer nos personnages parce
qu’Alun a pris soin de ne mettre dans nos bouches que des mots qu’il nous avait entendu prononcer.
Quand il avait terminé une scène, il nous demandait : « Ca vous plaît ? » Et on disait : « Ouais, c’est bien,
mais est-ce que je pourrais le dire comme ça ? » Je trouve qu’il a écrit un très bon scénario.
GEORGE : Je soupçonne qu’étant lui-même de Liverpool, il croyait connaître notre genre d’humour. S’il
y avait eu un truc qu’on n’aimait vraiment pas, je suppose qu’on ne l’aurait pas fait – à l’époque où on a
tourné Help !, on était devenus assez culottés pour modifier les dialogues à notre guise. Alun a écrit une
scène dans laquelle on est harcelés par la presse – chose qui faisait réellement partie de nos corvées
quotidiennes. On nous demande des choses du genre : « Comment avez-vous trouvé l’Amérique ? » Et on
répond : « En tournant à gauche au Groenland. » Je crois que c’était un aspect important des Beatles – les
gens nous associaient à l’humour. Quand tous ces nouveaux groupes ont émergé, Gerry and the
Pacemakers et les autres, personne ne pouvait dire qui était qui, chaque tube ressemblait aux autres et la
presse parlait de tout le monde de la même façon. Donc, même si on avait un tube, il fallait autre chose.
Les Beatles étaient réellement très drôles, et même quand notre humour était exporté à New York ou
ailleurs, il restait toujours super. On était simplement pince-sans-rire, mais les gens adoraient ça.
Tous les gens de Liverpool se prennent pour des comiques. Prenez le Mersey Tunnel, le type du péage sera
un comique. Chez nous, on a ça dans le sang.
Dans notre cas, l’humour était encore accentué par le fait qu’on était quatre à se chambrer mutuellement.
Si l’un de nous restait sec, un autre était là avec un bon mot.
PAUL : Un jour, on a pris un train à Marylebone Station, le train a démarré – et tout d’un coup, on s’est
retrouvés dans un film ! Et dans ce film, il y avait plein de petites écolières en collants de gym qui étaient
en réalité des mannequins et qui nous fascinaient. George en a même épousé une, Pattie Boyd. Ca a été
une super-ballade. On a tourné la scène où les fans envahissent la gare et où le train démarre, laissant les
fans sur le quai, si bien qu’on a pu continuer à tourner la suite. Le train nous a amenés je ne sais où et, au
retour, on a tourné toutes ces scènes-là.
NEIL ASPINALL : Norman Rossington – le petit Norm – jouait mon rôle. J’ai bien aimé Norm. C’était
un type sympa. Il ne m’a pas parlé du rôle, il s’en est tenu au scénario, chose qui était un peu
embarrassante parce que ça n’avait rien à voir avec la réalité.
Pour les Beatles, le film a représenté six semaines de travail intense. Ils faisaient tout très vite. Il n’y avait
pas que le film – il fallait écrire la musique, enregistrer toutes les autres chansons de l’album.
Bien sûr, John et Paul passaient leur temps à écrire des chansons, mais ça ne veut pas dire qu’ils en
avaient quatorze ou seize prêtes à être enregistrées. Ils en avaient quelques-unes et ils ont écrit le reste au
fur et à mesure. Il fallait aller en studio le mercredi et composer une chanson, et en avoir écrit deux autres
pour le vendredi. Ils écrivaient tout le temps, dans les avions, assis pendant des jours dans des chambres
d’hôtel, au bord d’une piscine, partout. Il y avait toujours des guitares autour d’eux.
PAUL : Ce n’était pas notre façon habituelle de travailler parce qu’on n’écrivait jamais sur commande.
D’habitude, John et moi, on s’installait et, quand une idée nous venait, on en faisait une chanson. Mais
Walter Shenson nous a demandé si on voulait bien écrire une chanson spécialement pour les génériques de
début et de fin. On y a réfléchi et ça nous a paru un peu ridicule d’écrire une chanson intitulée « A Hard
Day’s Night » - ça avait l’air bizarre au début, mais au bout d’un moment on a eu l’idée de raconter que
c’était la nuit après une journée difficile. On avait bossé comme des dingues mais on rentrait voir une fille
et alors tout allait bien… On en a fait une chanson.
A HARD DAY’S NIGHT-66
RINGO: Aujourd’hui, ça s’est un peu arrangé. Avant, quand je disais une chose, j’en avais souvent une
autre qui me venait à l’esprit et je les mélangeais. Une fois, on avait travaillé jusqu’à la nuit et moi,
croyant que c’était encore le jour, j’ai dit : « It’s been a hard day », et puis j’ai vu qu’il faisait noir : « …’s
night ! » (Littéralement : ça a été la nuit d’une dure journée, NdT).
« Tomorrow Never Knows » (demain ne sait jamais, NdT) est aussi une chose que j’ai dite, Dieu sait d’où
ça sortait. « Slight bread » (mélange de slight (léger, petit) de bread (pain) et de sliced bread (pain en
tranches), NdT) en était une autre : « Slight bread, s’il vous plaît. » John adorait ça. Il les notait toutes.
GEORGE MARTIN : C’était la première fois que j’écrivais une musique de film, et j’ai eu la chance de
travailler avec un réalisateur qui était également musicien. Nous avons enregistré les chansons du film
comme nous le faisions d’ordinaire pour les disques, et Dick a utilisé pas mal de chansons que nous avions
déjà enregistrées. « Can’t Buy Me Love », par exemple, qu’on entend deux fois dans le film. J’avais écrit
une version instrumentale de « This Boy » comme élément de musique d’ambiance, et je l’ai utilisée pour
la séquence où on voit Ringo errer près du fleuve. Nous l’avons intitulée « Ringo’s Theme » et elle a figuré
dans les hit-parades américains dans la catégorie disques orchestraux, qui m’a fait plaisir. Elle a été
enregistrée et mixée sur un quatre-pistes.
RINGO : La préparation du film avait commencé des mois avant qu’on décroche la timbale, et quand il a
été tourné, on était bien plus connus. Quand il est sorti, on était devenus des vedettes.
Quand Quatre garçons dans le vent est sorti, et même avant ça, on se disait : « Ca y est, on a réussi. On a
conquis tous ces pays, on vend un tas de disques et les gens nous aiment. » Mais je n’avais pas le sentiment
que ça allait durer toute la vie. Je ne me suis jamais dit « ça va finir demain », ni « ça va durer
éternellement ». C’était ce qui arrivait à ce moment-là. Je ne pensais pas à l’avenir. On traversait une
bonne passe et on venait tous d’avoir vingt ans, ça nous suffisait.
GEORGE : En flagrant délire, le livre de John, a été publié en mars. Il provenait pour une part de ses
années d’école, du Daily Howl, un comic plein de ses blagues et de poésies d’avant-garde, mais tout le reste
était nouveau. On le voit dans Quatre garçons dans le vent. C’est la meilleure pub qu’on puisse rêver pour
un bouquin – le montrer dans un film à succès.
JOHN : Ca ne parle de rien, Si on l’aime, on l’aime, si on ne l’aime pas, on ne l’aime pas. C’est tout ce
qu’il y a à en dire. Il n’y a rien de profond là-dedans, ça voulait seulement être drôle. J’écris des trucs sur
des bouts de papier et je m’en bourre les poches. Quand il y en a suffisamment, ça fait un livre.
Je n’ai jamais vraiment voulu écrire un livre. Ca a fait boule de neige.64 Si je n’avais pas été un Beatle, je
n’aurais jamais eu l’idée de faire publier tout ça. J’aurais traîné complètement fauché, j’aurais écrit ça et
l’aurais balancé. J’aurais pu être un poète beat.65 Ce que le succès apporte, vraiment, c’est la confiance
en soi. C’est une sensation indescriptible mais, une fois qu’on l’a ressentie, on voudrait que ça dure
éternellement.64 C’est ma forme d’humour. Ca a commencé à l’école. Il y avait trois personnes que
j’aimais beaucoup : Lewis Carroll, (James) Thurber et l’illustrateur anglais Ronald Searle. Autour de
onze ans, j’étais branché sur ces trois-là. (Je crois que j’avais quinze ans quand j’ai commencé à
« thurberiser » mes dessins.) Je masquais mes sentiments derrière du charabia, comme dans En flagrant
délire. Quand j’écrivais des poèmes d’adolescent, je les écrivais en charabia parce que je voulais
dissimuler mes vrais sentiments à Mimi.71 Autour de quatorze ans, on nous a fait lire en classe de
littérature anglaise – Chaucer, ou un mec comme ça – et on a tous trouvé que c’était le pied. Quand le prof
sortait ce bouquin, tout le monde tombait en pâmoison. A la suite de ça, je me suis mis à écrire des trucs
du même genre. Rien que des choses privées, pour moi et pour en rigoler avec les amis.64
RINGO : En avril 1964, nos disques occupaient les cinq premières places des hit-parades américains.
C’était incroyable.
PAUL : En juin 1964 à débuté la tournée mondiale. On est allés en Scandinavie, en Hollande, à Hong
Kong, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Ringo a raté une partie de la tournée parce qu’il était
hospitalisé avec une angine. Comme on ne pouvait pas annuler, on a engagé un remplaçant. On a pris
Jimmy Nicol, un batteur de studio londonien. Il jouait bien – pas comme Ringo, évidemment, mais il a
assuré. Ca n’a pas été facile pour Jimmy de remplacer Ringo et d’avoir à assumer toute cette célébrité. A
la seconde même où il a terminé son remplacement, il n’a plus été célèbre du tout : « Je suis celui qui a
remplacé Ringo… » Mais il s’en est très bien sorti. Dès que Ringo a été guéri, il nous a rejoints en
Australie.
A HARD DAY’S NIGHT-67
GEORGE MARTIN : Ils ont failli ne pas faire la tournée australienne. George, qui est quelqu’un de très
loyal, a dit : « Si Ringo ne fait pas partie du groupe, ce n’est plus les Beatles. Je ne vois pas pourquoi on
ferait ça, et je ne le ferai pas. » Il a fallu toute la persuasion de Brian et la mienne pour lui expliquer que
s’il ne partait pas, il laissait tomber tout le monde.
Jimmy Nicol qui est venu avec nous était un très bon batteur et a très bien appris les parties de batterie de
Ringo. A l’évidence, il fallait qu’il répète avec les garçons. Ils sont venus à Abbey Road et ont joué toutes
leurs chansons pour qu’il les connaisse. Il s’est très bien acquitté de sa tâche et est retombé dans
l’anonymat immédiatement après.
NEIL ASPINALL : On avait vu des étudiants porter ces capes à Amsterdam. J’ai découvert où ils se les
procuraient et en ai acheté quelques-unes. Ils ont engagé un tailleur qui travaillait jour et nuit, et il en a
fabriqué d’autres qui ont servi de modèle à celles que les Beatles ont portées plus tard dans Help !
GEORGE : On voguait sur les canaux, saluant et faisant les stars, quand on a vu dans la foule un type
avec une cape qui avait l’air génial. On a envoyé Mal découvrir où il l’avait eue. Mal a sauté du bateau, ou
bien il a nagé et trois heures plus tard il est revenu à notre hôtel avec la cape qu’il avait rachetée au type.
Quand on a quitté Amsterdam pour Hong Kong on s’est tous fait faire des imitations, mais elles étaient
coupées dans un tissu si médiocre qu’il s’est désagrégé sous la pluie d’orage, à l’aéroport de Sydney. Le
meilleur vol dont je me souvienne, c’est celui de Hong Kong. Ca a duré des heures, et je me rappelle qu’on
a annoncé : « Retournez à vos sièges, nous approchons de Hong Kong. » Je me suis dit : « C’est pas
possible qu’on y soit déjà. » On était restés assis près de trente heures sur le plancher à boire et prendre
des Préludin, mais ça m’avait paru durer dix minutes.
Pendant tous ces vols, on était encore aux amphés. Ca nous aidait à tenir le coup parce qu’on buvait du
whisky-Coca avec à peu près n’importe qui, même si c’était le Diable – et on lui extorquait son pantalon
en lui faisant du charme !
JOHN : Quand on nous a dit quelles étaient nos ventes de disques en Australie, on a eu du mal à y croire.
Naturellement, on avait hâte d’y être. On avait passé un moment merveilleux à faire du ski nautique en
Floride, et tout le monde disait que les plages australiennes étaient super.
Je n’aime pas mélanger mon travail et ma vie privée, et c’est pourquoi Cynthia n’était pas là. Je l’ai
amenée en Amérique parce qu’on ne fait un voyage comme celui-là qu’une fois dans sa vie et qu’elle le
méritait. J’aurais vraiment beaucoup aimé l’amener en Australie, mais le programme semblait trop
fatiguant. Ma tante est venue avec nous parce qu’elle avait, en Nouvelle-Zélande, des parents qu’elle
n’avait d’ailleurs jamais rencontrés.64
PAUL : La tante Mimi de John est venue en Australie avec nous, alors pour une fois, il s’est bien tenu.
C’était une femme gentille et très volontaire : elle savait ce qu’elle voulait.
Dans la famille de John, les femmes étaient plutôt autoritaires. Mimi était très directe et ne mâchait pas
ses mots. Elle avait toujours une petite lueur au fond de l’œil quand elle regardait John, parce qu’elle
savait qu’il était une peu canaille et elle le laissait faire des choses : les garçons seront toujours des
garçons. Elle l’aimait comme si c’était son propre fils. Mais elle l’engueulait. Et lui, tout penaud, disait :
« Pardon, Mimi. » Mimi ne changeait jamais, où qu’elle aille. Elle avait son caractère et rien ne pouvait
l’intimider. Elle est morte en 1971.
GEORGE : On regardait le type de la télé qui disait : « Je me demande pourquoi ils ne sortent pas pour
saluer. » On ne pouvait tout de même pas lui expliquer qu’on n’avait plus un seul pantalon de sec !64
NEIL ASPINALL : Quand on est arrivés à Sydney, il pleuvait comme vache qui pisse. A leur descente de
l’avion, on a fait monter les Beatles sur le plateau découvert d’un camion pour que la foule puisse les voir.
Ils avaient des parapluies et les capes fabriquées à Hong Kong. Le conducteur roulait très lentement et
John n’arrêtait pas de se pencher vers lui en disant : « Plus vite, plus vite ! » Mais le type n’accélérait pas.
Je lui ai dit : « Allez plus vite, il tombe des cordes », mais il m’a répondu : « Ca fait vingt-quatre heures
que des gosses attendent pour les voir. »
Rien n’aurait pu faire accélérer le gros routier australien. Le temps qu’on arrive à l’hôtel, tout le monde
était bleu, à cause des capes qui avaient déteint. Ils avaient tous l’air de guerriers celtes couverts de
peinture bleue.
LA TOURNEE MONDIALE-68
JOHN : On se payait des crises de fou rire. C’était tellement bizarre de venir en Australie et de se
retrouver trempés jusqu’aux os sur un gros camion – on croyait qu’il allait faire beau. Nous n’avons été
saucés que pendant une quinzaine de minutes, mais les gosses, eux, l’ont été pendant des heures. Comment
aurions-nous pu être déçus alors qu’ils étaient venus spécialement pour nous voir et étaient restés sous
cette pluie et ce vent pourri pour nous saluer ? Ils étaient super, vraiment super. Je n’avais jamais vu une
pluie comme celle-là, sauf à Tahiti. (Il y a plu pendant deux jours et j’ai cru que c’était la fin du
monde.)64
L’Australie a été un grand moment, comme la première fois en Amérique : on était sur toutes les chaînes,
avec dix disques classés. Ca recommençait. C’est curieux, mais il y a eu là-bas plus de gens pour nous
accueillir que n’importe où ailleurs. Je crois bien que toute l’Australie était là.73
On a bien dû rencontrer un million de personnes avant qu’on nous laisse repartir. Le service de sécurité
était efficace et les gens étaient heureux ; ils hurlaient mais on a rencontré tout le monde, partout où on est
allés – et personne n’a été blessé.64
JOHN : Melbourne a été aussi fou qu’Adelaïde. Ce sont les deux endroits les plus fous qu’on ait jamais
vus. On n’exige jamais d’accueil officiel, on n’attend pas ça. Si les gens en organisent ça nous flatte, mais
s’ils ne le font pas c’est pareil. Là-bas, il y avait foule devant l’hôtel et beaucoup de gens ont réussi à
entrer – on en retrouvait dans les salles de bains.
On était tous en train d’empiler nos affaires sales dans nos valises quand j’ai entendu frapper à la fenêtre.
J’ai cru que c’était un des autres qui déconnait et je n’ai pas fait attention. Mais comme les coups
continuaient, je suis allé sur le balcon, et j’ai vu un type qui avait l’air du parfait gars de Liverpool. Avant
même qu’il ouvre la bouche, j’ai su d’où il venait, parce que personne d’autre n’aurait escaladé huit
étages. Ce type, Peter, est entré et a dit : « Salut, là-dedans. » J’ai répondu : « Salut, là-dehors », et il m’a
expliqué comment il avait grimpé le long de la gouttière, de balcon en balcon. Je lui ai offert un verre,
parce qu’il le méritait bien, et puis je l’ai amené voir les autres qui étaient plutôt effarés. Quand je leur ai
raconté, ils ont cru que je blaguais.64
GEORGE : John était allergique aux infirmes. Il était manifeste qu’il avait un problème vis-à-vis d’eux.
Je pense que c’était de la peur ou quelque chose de ce genre. Dans tous les films amateurs que nous avons
tournés, dès que la caméra se braque sur John, il se lance dans son imitation de handicapé moteur. Ce
n’est pas très agréable d’être invalide, alors le truc de John était de toujours en rire. Je crois que la réalité
était insupportable pour lui.
Nous, on essayait seulement de faire du rock’n’roll, et eux nous les amenaient sur leurs chaises roulantes –
pas seulement sur des chaises, mais parfois sous des tentes à oxygène. Qu’espéraient-ils qu’on pourrait y
faire ? Je n’en sais rien. Je crois que les aides-soignants voulaient voir le spectacle et que c’était un bon
moyen pour entrer. On en était à demander : « Combien on en a ce soir, Brian ? » On sortait de la loge
pour monter sur scène et il fallait se frayer un chemin parmi tous ces pauvres malheureux.
John n’aimait pas ça. Au bout d’un moment, on a fini par appeler « infirmes » même les gens normaux
parce que, d’une certaine manière, la plupart des gens sont infirmes. De la tête ou des jambes, c’est
quelque part. Ainsi que John l’a écrit : « S’il est une chose qu’on ne peut pas dissimuler, c’est quand on
est infirme au-dedans. » Quand on regarde quelques-unes des vieilles images filmées de John, qu’on lit En
flagrant délire et qu’on ajoute à ça quelques autres indices dans les paroles de ses chansons, on peut en
déduire que c’était chez lui une vraie phobie. Comme chez la plupart des gens.
JOHN : Je crois que je ne reconnaîtrais pas un handicapé moteur d’une lentille Polaroïd. Ils ne me
stressent pas. Quand j’utilise le mot « spastic » (« handicapé moteur », mais aussi « empoté », NdT) dans
la conversation courante, ce n’est pas au sens littéral du terme. J’ai énormément de sympathie pour ces
gens : on dirait la fin du monde quand on voit des handicapés moteurs affligés de difformités, et on en a vu
beaucoup au cours de nos voyages.65
Partout où on allait en tournée, il y avait toujours quelques sièges réservés pour les infirmes et les gens en
chaise roulante. Comme on était célèbres, on était censés avoir tout le temps des épileptiques ou je ne sais
quoi dans nos loges. On était censés leur faire du bien.
On a envie d’être seuls et on ne sait pas quoi dire, et eux disent en général : « j’ai votre disque », ou alors
ils ne peuvent pas parler et veulent seulement vous toucher. Il y a toujours une mère ou une infirmière
pour les pousser vers nous. Elles poussent ces gens vers vous comme si vous étiez le Christ, comme s’il y
avait autour de vous une espèce d’aura qui allait déteindre sur eux.
LA TOURNEE MONDIALE-69
On a dû s’endurcir, et il fallait qu’il en soit ainsi. C’était effrayant. A chaque première, au lieu de voir des
gosses, on voyait le premier rang entièrement occupé par des infirmes. Quand on se précipitait hors de
scène, il y en avait d’autres étendus partout. On avait l’impression de n’être entourés que par des infirmes
et des aveugles ; quand on passait dans les couloirs, ils nous touchaient tous. C’était terrifiant.70
Aux Etats-Unis, on nous en amenait des centaines en coulisse. C’était hallucinant. Je ne supporte pas de
les regarder. Il faut que je me détourne. Il faut que je rie, sinon je m’évanouirais de haine. On les mettait
en rang et j’avais l’impression que les Beatles étaient traités comme des foutus marabouts. Ca me rendait
malade.65 Le fait qu’on soit censés les guérir est devenu une sorte de blague « interne ». C’était le genre
de chose qu’on disait. Je veux dire, on se sentait navrés pour eux – n’importe qui l’aurait été –, mais
c’était effroyable. On ressent une sorte de gêne quand on est entouré d’aveugles, de sourds et d’infirmes –
et avec la pression du spectacle à venir, on ne peut pas dire grand-chose.70
PAUL : Je crois que, particulièrement à nos débuts, l’essence des Beatles paraissait suggérer quelque
chose de très jeune et plein d’espoir. On nous demandait donc très souvent de dire bonjour à des gosses
handicapés, peut-être même de leur apporter une sorte d’espoir. Mais c’était compliqué pour nous, parce
qu’une part de notre humour était un humour malsain. On devait presque bénir des gens dans des chaises
roulantes. Il y avait ce rapport ambivalent.
NEIL ASPINALL : Après l’Australie et la Nouvelle-Zélande, retour à Londres pour la première mondiale
de Quatre garçons dans le vent à Piccadilly. Après Londres, c’était la première dans le Nord, à Liverpool.
PAUL : Piccadilly était rempli de monde. On pensait qu’on arriverait tranquillement dans notre
limousine, mais elle n’a pas pu passer à cause de la foule. Ce n’était pas effrayant du tout – les foules ne
nous ont jamais inquiétés. Elles ont toujours été très amicales. On n’a jamais eu ce côté violent.
On n’était pas vraiment inquiets à l’idée de retourner à Liverpool pour l’autre première. Quelques petites
rumeurs disant que les gens se sentaient trahis parce qu’on vivait à Londres nous étaient parvenues aux
oreilles, mais des critiques, il y en a toujours.
PAUL : On s’est posés à l’aéroport et on a découvert qu’il y avait foule partout, comme pour des rois.
C’était incroyable parce que les gens s’entassaient le long de rues qu’on avait connues quand on était
enfants, où on passait en bus, où on s’était baladés. On était allés au ciné avec des filles dans ces rues-là. Et
nous y revoilà en compagnie de milliers de gens – pour nous. Il y a eu plein de : « Salut, comment ça va ?
Bien ? » C’était étrange parce que c’était les gens de chez nous, mais c’était également formidable. On a
fini au balcon de l’hôtel de ville de Liverpool devant des hordes de gens – 200'000, en fait – massés entre
l’hôtel de ville et la Cavern. On était en terrain familier.
JOHN : Ca a été merveilleux. Je ne sais pas combien il y en avait – juste assez pour que ce soit fantastique.
Et c’était encore mieux quand on était dans la voiture, parce qu’on était proches d’eux.
On s’était posé des questions pendant deux jours. On se demandait quel genre d’accueil on allait nous
réserver. On n’aurait jamais cru que tant de gens viendraient. On pensait qu’il n’y aurait que quelques
personnes au coin d’une rue. Vous savez, on avait entendu dire qu’on était finis à Liverpool. Au bout d’un
moment, on a commencé à le croire et on s’est dit : « On ne veut pas revenir dans ces conditions. On ira
chez nous en douce. » Et certains continuaient de nous répéter : « On est allés faire un tour à la Cavern, ils
ne vous aiment plus. » Bien évidemment, ils parlaient à des gens qui, de toute façon, ne nous avaient pas
connus avant. On est retournés là-bas et on a vécu un de nos meilleurs moments.
Ce qui nous a le plus enchantés, c’est que tout le monde, depuis les plus rupins jusqu’au plus humble
Scouser (habitant de Liverpool, NdT), a été très gentil et nous a fait compliment sur compliment – chose
que, j’en suis sûr, nous ne méritions pas.64
JOHN : On était drôles en conférence de presse parce que tout ça n’était qu’une plaisanterie. On nous
posait des questions-blagues et on faisait des réponses-blagues, mais en réalité on n’était pas drôles du
tout. Ce n’était que de l’humour de potaches, celui qui fait rire à l’école. La presse était putride. Si on
nous posait une question intéressante sur notre musique, on y répondait sérieusement. On était tendus,
même si les gens croyaient le contraire.
Notre image n’était qu’une toute petite partie de nous-mêmes. Elle a été créée par la presse et par nous.
Elle ne pouvait qu’être fausse, parce qu’on ne peut jamais faire comprendre ce qu’on est vraiment. Les
journaux ne comprennent jamais rien. Même quand c’était vrai par bribes, c’était toujours daté. De
nouvelles images de nous étaient vendues au public au fur et à mesure qu’on les abandonnait.67
LA PREMIERE DE QUATRE GARCONS DANS LE VENT-70
On n’en est plus à être agacés par les questions, sauf si elles sont très personnelles et alors on réagit de
façon excessive, c’est humain. Il y en avait une : « Que ferez-vous quand la bulle des Beatles éclatera ? »
On se prenait des fous rires parce qu’il y avait toujours quelqu’un pour la poser. Je cherche toujours la
bulle.68
Pendant notre première tournée (américaine), Mr Epstein nous avait implicitement interdit de parler de
la guerre du Vietnam. Avant de repartir là-bas pour la tournée suivante, George et moi lui avons
dit : « On n’ira pas si on ne peut pas dire ce qu’on pense de la guerre. » On nous posait sans cesse la
question, et c’était ridicule – on devait se comporter comme ces artistes de l’ancien temps qui étaient
censés ne rien dire de rien. On ne pouvait pas supporter ça, on n’y pouvait rien : il fallait que ça sorte
même si une stratégie implicite exigeait le contraire.72 Après ça, on a dit ce qu’on pensait : « Ca ne nous
plaît pas, on n’est pas d’accord, on pense que c’est une erreur de faire la guerre. »68
JOHN : Toutes nos chansons sont contre la guerre.64
GEORGE : Cette année-là, en tournée, ça a été dément. Pas dans le groupe. Dans le groupe, on était
normaux, mais le reste du monde était fou.
JOHN : On appelait ça « l’œil du cyclone » - c’était plus calme au centre.74
NEIL ASPINALL : Le film Quatre garçons dans le vent et l’album de la bande sonore étaient tous deux
des succès, quand ils sont partis pour la tournée d’août aux Etats-Unis. L’Amérique entière connaissait
désormais les Beatles, et c’était la folie. Des tas de gens essayaient de toucher le groupe. Partout où on
allait, les édiles locaux voulaient les rencontrer et amenaient leurs enfants avec eux.
Ils n’avaient pas toujours le temps. Il y avait beaucoup moins de discipline qu’en Angleterre, parce que
tout était plus grand. Quand ils se produisaient dans des stades, les vestiaires des joueurs faisaient office
de loge. Rien à voir avec les coulisses du Hammersmith Odeon où ils pouvaient s’isoler. On peut mettre
200 personnes dans un vestiaire ! Alors il y avait nous cinq, ou six, les employés de GAC (l’agence qui
organisait la tournée), l’équipe de sécurité et les gens qui apportaient à manger – plus les groupes qui
voulaient dire bonjour : les Lovin’Spoonful, les Grateful Dead et d’autres encore.
PAUL : Tout ça nous rendait un peu dingues.
JOHN : Ca s’est fait progressivement : plus on était célèbres et plus les choses devenaient irréelles. Plus les
gens attendaient de nous. Au point que, quand on ne serrait pas la main d’une femme de maire, elle se
mettait à injurier et à hurler : « Comment osent-ils ? »
Derek nous a raconté qu’un jour, on dormait dans un hôtel quelque part en Amérique après un concert, la
femme du maire est arrivée et a dit : « Réveillez-les, je veux les rencontrer ! » Derek lui a répondu qu’il
n’en était pas question et elle s’est mise à glapir : « Allez les chercher ou j’avertis la presse ! »
C’était tout le temps comme ça. On nous menaçait toujours d’avertir la presse, on nous disait que ça nous
ferait de la contre-publicité si on ne rencontrait pas leur idiote de fille avec son appareil dentaire. Et
c’était toujours la fille du chef de la police ou du maire, tous des gosses des plus odieux parce qu’ils
avaient des parents des plus odieux. On nous balançait ces gens dans les pattes, et nous, on était à chaque
fois obligés de les rencontrer. Ce furent des expériences des plus humiliantes.70
RINGO : On a joué au Hollywood Bowl. Le coquillage autour de la scène, c’était géant. C’était le
Hollywood Bowl – ce genre d’endroit m’impressionne. Je suis tombé amoureux de Hollywood à ce
moment-là, et je le suis toujours, en tout cas de Beverly Hills, de Hollywood, de la Californie. Je les préfère
à New York.
A Hollywood, il y a des palmiers – on n’a pas beaucoup de palmiers à Liverpool. Le climat était chaud et
le mode de vie vraiment, vraiment cool.
GEORGE MARTIN : Les bandes du Hollywood Bowl n’ont pas été publiées à l’époque. Les Beatles
trouvaient que ce n’était pas bon, et ce n’est qu’en 1977 que je les ai exhumées, retravaillées et sorties en
disque. Ils étaient très bons sur scène, particulièrement quand on considère qu’un de leurs problèmes était
qu’ils ne pouvaient pas s’entendre. Aujourd’hui dans les concerts, tous les musiciens ont des « retours » à
leurs pieds et ils entendent tout ce qui se passe. Cela n’existait pas au temps des concerts des Beatles. John,
Paul et George se tenaient debout derrière leurs micros face à une foule hurlante de 60'000 personnes
tandis que Ringo était derrière eux avec sa batterie.
LES ETATS-UNIS ET LE CANADA-71
Ringo m’a raconté une fois combien il était difficile pour lui de suivre : « Je ne pouvais rien faire
d’intéressant. Je ne pouvais faire aucune figure, aucun roulement, aucune reprise. Je devais assurer le
tempo tout du long pour que tout le monde reste ensemble. Je devais regarder leurs trois derrières gigoter
pour savoir où ils en étaient dans les chansons. »
JOHN : Où qu’on aille, des gens s’amènent avec leurs flashes. Ca va une fois, deux fois, peut-être trois, et
puis on dit : « OK, machin, tu as terminé ? On ne va rien faire d’autre, on est simplement assis là et tu as
toutes les photos que tu veux. » C’est ce qui s’est passé dans ce club de Hollywood. On lui a dit : « barretoi », et il est parti. Mais il est revenu. C’est compliqué pour nous, parce qu’on dit : « Ils ont la grosse tête,
comment osent-ils dire à quelqu’un de se barrer ? » Alors le manager du club est arrivé et nous a
demandé : « Il vous embête ? » On a répondu : « Ouais, vous pouvez le virer ? Dites-lui de poser son
appareil et de venir s’asseoir avec nous. Tout ce qu’il veut, mais qu’il arrête de nous mitrailler ! »64
GEORGE : Avant L.A., on a joué à Las Vegas et Liberace est venu nous voir. Je crois bien que les quatre
premiers rangs étaient occupés par Pat Boone et ses filles. On aurait dit qu’il en avait des centaines.
Il y a eu des tas de problèmes aux Etats-Unis. Tout le monde voulait nous faire des procès. Des filles
essayaient de s’introduire dans nos chambres pour pouvoir nous attaquer en justice sous des prétextes
totalement bidon. On avait toujours conscience, c’était très étrange, qu’on pouvait nous poursuivre à tout
moment. Je n’avais jamais entendu parler de ces procédures avant d’aller en Amérique.
On est allés à Key West depuis le Canada français, où on a bien cru que Ringo allait se faire descendre.
Un journal de Montréal avait annoncé que quelqu’un voulait le tuer. Parce qu’il n’aimait pas son nez,
peut-être ? Parce que c’était probablement le plus britannique des Beatles ? Je n’en sais rien. Toujours
est-il qu’on s’est décidé : « Et merde, tirons-nous d’ici. » Et au lieu de passer la nuit à Montréal, on est
partis avec un jour d’avance.
RINGO : Je me souviens, un jour, je me suis regardé dans un miroir et je me suis dit : « Il est pas si gros
que ça, hein ? » On pourrait dire qu’aujourd’hui j’ai enfin accepté mon nez. Quand les gens parlent de
moi, c’est leur grand sujet de conversation. Il faut bien que j’en rie – ça entre par une narine et ça ressort
par l’autre.65
GEORGE : On a pris l’avion pour Jacksonville, en Floride. Mais comme on a été informés qu’il y avait un
ouragan là-bas, on nous a détournés sur Key West en nous annonçant : « Attachez vos ceintures. La piste
n’est pas assez longue pour cet appareil. Nous allons devoir atterrir en inversant notre poussée au
maximum. » C’était un Electra, avion dont on a découvert plus tard qu’il avait un dossier d’accidents très
fourni. Mais on s’est posés à Key West sans problème et on a pris là-bas un jour de liberté. Quand on est
partis pour Jacksonville, on nous a dit que l’ouragan était passé, mais il soufflait encore un vent d’enfer et
il faisait très sombre, avec d’énormes nuages noirs partout. Ca s’était un peu dégagé, mais il y avait encore
énormément de turbulences et, à mesure qu’on approchait, on a pu constater les dégâts : les palmiers
déracinés et partout des décombres jonchant le sol.
On avait découvert qu’un groupe de gens nous suivait à travers le pays pour nous filmer et on le leur avait
interdit. Ils étaient en Floride, et cette fois on a dit : « Ecoutez, on a demandé à ces gens de foutre le camp
et ils sont de nouveau là, devant la scène. » Les organisateurs leur avaient attribué un emplacement
préférentiel pour leur caméra. Le vent hurlait, et Mal était en train de clouer la batterie sur la plate-forme
à environ trois mètres du sol, et ça nous a tellement foutu en rogne que cette équipe de tournage soit là,
qu’on a dit qu’on ne jouerait pas. Les organisateurs sont devenus agressifs envers nous au lieu de flanquer
ces gens dehors. En fin de compte, Derek Taylor est monté sur scène et a fait son Adolf Hitler là-haut,
criant à la foule : « Ces gens qui filment sont indésirables, ils doivent être évacués. » Il hurlait : « Vous
voulez voir les Beatles sur cette scène ? » - « Yeah ! » - « Donc, vous voulez vous débarrasser de ces
caméras ? » - « Yeah ! » On aurait dit un rassemblement à Nuremberg, et je suppose que la police et les
promoteurs pensaient que c’était nous, les fauteurs de trouble. Mais même en ce temps-là, on savait qu’il y
avait des choses impossibles à contrôler.
Il y avait des émeutes dans toutes les villes. Emeutes étudiantes, émeutes noires. Au Canada, les Français
essayaient de se séparer des Anglais. Partout où on allait, il se passait quelque chose.
J’ai eu peur constamment. Quand on est partis pour cette tournée, on nous a dit : « On va commencer par
San Francisco et organiser un défilé de bienvenue. » Et là, j’ai réellement dit : « Je n’y vais pas. » C’était
moins d’un an après l’assassinat de Kennedy et vous savez comme l’Amérique peut être insensée. Et puis
après, il faut que quelqu’un balaie les confettis. Comme je n’aime pas souiller les rues, j’ai dit : « Je n’en
suis pas. Je ne veux pas de défilé, c’est idiot. »
LES ETATS-UNIS ET LE CANADA-72
GEORGE MARTIN : Il y avait eu des menaces de mort. Un soir, alors qu’ils passaient au Red Rock
Stadium de Denver, Brian et moi sommes montés sur un portique surplombant la scène et avons regardé
les garçons jouer au-dessous de nous. L’amphithéâtre était conçu de telle manière qu’un tireur posté sur
la colline aurait pu abattre n’importe lequel des quatre à n’importe quel moment – sans aucun problème.
J’étais très conscient de cela, Brian l’était aussi et les garçons également.
DEREK TAYLOR : Je savais très, très bien donner un coup de main à la presse et j’étais très désireux de
rendre service, de laisser les gens entrer dans cette histoire afin de la faire partager. Mais il y avait trop de
gens, des dizaines de milliers, réclamant à cor et à cris d’avoir accès au groupe. Au cours d’un seul weekend, 20'000 personnes ont appelé le standard de notre hôtel à New York pour franchir le barrage, et
beaucoup y sont parvenues. Jusqu’à moi. C’était trop. Trop de gens. Trop souvent.
Les Beatles géraient bien cette pression extrême. A l’époque, je ne réalisais pas combien c’était difficile
pour eux parce que, je le répète, je n’avais pas le temps de voir ce que cela représentait réellement de
l’intérieur.
J’ai beaucoup exigé d’eux et ils ont souvent accepté, apparitions au balcon, etc. « Allez, les gars, essayez de
les saluer encore une fois. On vous emmène. » Il y a eu des moments ou quelqu’un, surtout George, se
révoltait et disait : « Prends ton bras et salue pour moi. Je n’y vais pas. » Quelque chose comme ça, ou
bien : « Je ne veux pas rencontrer Shirley Temple ! » - « Ne crie pas. Elle est là, elle va t’entendre. » - « Je
m’en fous. Je ne connais pas Shirley Temple, elle ne représente rien pour moi ! »
GEORGE MARTIN : J’ai été témoin du stress auquel ils étaient soumis, et c’était l’enfer absolu. Où qu’ils
aillent, il y avait des hordes de gens essayant de les accaparer, essayant d’obtenir des autographes,
essayant de les toucher.
Ils étaient assiégés par les reporters, qui ne sont pas des personnages très aimables et ont tendance à jouer
des coudes et des pieds pour écarter les gens, y compris leurs confrères. Je me rappelle avoir dû être
escorté par des voitures de police, avoir été quasiment balancé hors d’un avion par des journalistes qui
voulaient y monter. Une autre fois, je me suis retrouvé bloqué entre deux étages dans un ascenseur parce
que trop de gens étaient montés dedans. C’était comme un gigantesque cirque à trois pistes qui n’aurait
jamais fait relâche.
La seule paix qu’ils pouvaient trouver, c’était quand ils étaient dans leur chambre d’hôtel à regarder la
télévision et à écouter les cris au-dehors. C’était à peu près tout. Une vie d’enfer, vraiment.
NEIL ASPINALL : Brian tâchait de garder le contrôle, mais de quoi exactement, je ne sais pas. S’il leur
disait d’aller jouer à Milwaukee, ils allaient jouer à Milwaukee. Brian était le manager, quand il leur
trouvait un engagement, ils l’honoraient et se plaignaient ensuite : « Ne nous trouve plus jamais d’affaires
comme ça », ou : « On ne veut plus doubler – deux concerts le même soir – ça devient trop dingue de faire
ça. » Mais les paroles étaient toujours prononcées après coup et non avant. Quand on avait engagé les
Beatles quelque part, il y allaient et jouaient.
NEIL ASPINALL : L’offre du Kansas – donner un concert supplémentaire non programmé – n’arrêtait
pas de grimper. Ca avait commencé à 60'000 dollars, mais ils avaient refusé parce qu’ils avaient trop peu
de jours de repos. La même année, ils avaient déjà fait Paris, les Etats-Unis, les émissions d’Ed Sullivan.
Ils étaient rentrés en Angleterre pour faire le film et le disque A Hard Day’s Night et s’étaient aussitôt
embarqués pour une tournée mondiale, avant de revenir donner quelques concerts en Angleterre et faire
des émissions de télé et de radio. S’enchaînaient plusieurs concerts en Suède et une autre tournée
américaine.
Ils n’avaient jamais de répit. Un jour de repos était une chose précieuse, et si Brian désirait en remplacer
un par un concert supplémentaire, il fallait prendre le temps d’y réfléchir. Faire trente-cinq villes
américaines, c’était une grosse tournée pour l’époque. Ils jouaient le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi
et le vendredi dans des villes différentes éparpillées dans tout le pays – arrivée en avion, hôtel, conférence
de presse, concert, retour à l’hôtel, départ en avion.
Brian avait signé pour trente-cinq concerts. Ils savaient ce qu’ils faisaient et s’y tenaient. Mais ajouter un
autre concert, c’était une autre histoire. Les Beatles continuaient donc de dire non et la somme continuait
d’augmenter. Ils ont fini par accepter. L’offre avait débuté à 60'000 et était montée jusqu’à 150'000
dollars.
LES ETATS UNIS ET LE CANADA-73
PAUL : Nos journées de repos étaient sacrées. On peut comprendre pourquoi en regardant notre emploi
du temps de 1964. Je n’ai compris que récemment qu’on avait travaillé une année entière et qu’on n’avait
dételé que, disons, le 23 novembre – jour où on a sans doute dû faire partie du jury d’un concours de
beauté… Alors quand on est arrivés à Kansas City, on avait très probablement besoin d’un jour de repos.
Je ne me rappelle pas que nous nous soyons engueulés avec Brian parce qu’il voulait nous faire travailler
pendant un de ces jours sans concert. On se parlait, on ne s’engueulait pas.
PAUL : On admirait Fats Domino. On l’a rencontré à la Nouvelle-Orléans. Il avait une montre en
diamant de la taille d’une étoile, très impressionnante.
GEORGE : Il était adorable, comme un petit garçon. Pendant les tournées, on aimait écouter les artistes
de Tamla Motown : Marvin Gaye et les autres. Stevie Wonder commençait à percer à l’époque. Quant à
Ray Charles, on l’aimait depuis les années 50. On a aussi rencontré des gens comme Chuck Berry et Carl
Perkins.
Indianapolis, c’était chouette. Quand on est repartis pour l’aéroport, on nous a amenés faire un tour du
circuit, le 500 Oval, en Cadillac. C’était fantastique. Je n’arrivais pas à croire combien la ligne droite est
longue, et c’était génial d’être dans le virage incliné et de voir les tribunes.
MAL EVANS : Pendant la tournée américaine, on a tous perdu cinq kilos, rien qu’en transpiration.
JOHN : On était des salauds. On ne peut pas se conduire autrement dans une situation aussi tendue et on
se défoulait sur Neil, Derek et Mal. On leur a balancé des tonnes de merde parce qu’on était nous-mêmes
dans une situation merdique. On bossait comme des galériens et il fallait bien que ça retombe sur
quelqu’un. On ne dira jamais assez combien on était salauds. Des vrais salopards, voilà ce qu’étaient les
Beatles. Il faut être salaud pour y arriver, c’est vrai. Et les Beatles étaient les plus grands salauds de la
terre. On était des César. Qui allait nous casser la gueule quand il y avait un million de livres en jeu ? Et
les graissages de patte, les pots de vin, la police et le matraquage publicitaire…70
RINGO : A New York, on a rencontré Bob Dylan. C’est la première fois que j’ai vraiment fumé de la
marijuana et j’ai ri, ri, ri. C’était fabuleux.
RINGO : Bob était notre héros. C’est John qui me l’avait fait connaître en me faisant entendre ses
disques. Il était génial, c’était ce jeune mec aux chansons géniales. Des chansons de leur temps, de la
poésie, une attitude splendide.
PAUL : Bob est venu nous voir, un soir, quand on était à New York. C’était notre idole. Quand on était
encore à Liverpool, j’avais vu des émissions de Granada TV sur le milieu des poètes « beat » de New York,
il chantait avec Allen Ginsberg. On l’aimait beaucoup en tant que poète et on avait tous son premier
album avec sa casquette fatiguée. Je suis sûr que c’est de là qu’est venue la casquette Lennon. John
l’admirait tout particulièrement. Ca s’entend dans des chansons comme « Hide Your Love Away ».
JOHN : Quand j’ai rencontré Dylan, j’ai été abasourdi. Je suis pas mal du genre « fan » moi-même, d’une
certaine manière. J’ai arrêté d’être un « fan » quand j’ai commencé à avoir du succès. Je n’ai jamais
quémandé d’autographes ou rien de ces conneries, mais quand j’aimais quelqu’un, je l’aimais vraiment.71
« You’ve Got To Hide Your Love Away », c’est ma période Dylan.74 C’est un de ces trucs qu’on se chante
un peu tristement à soi-même : « Here I stand, head in hand… » J’avais commencé à réfléchir à mes
propres émotions. Je ne sais pas exactement quand ça a débuté, des choses comme « I’m A Loser » ou
« Hide Your Love Away », ce genre-là. Plutôt que de me projeter dans une situation, j’essayais d’exprimer
ce que je ressentais moi-même, chose que j’avais déjà faite dans mes livres. Je pense que c’est Dylan qui
m’a aidé à prendre conscience de ça – pas en discutant avec lui, mais en écoutant son travail.
En matière d’écriture de chansons, j’avais un peu une attitude d’auteur professionnel. On savait écrire
des chansons d’un certain genre pour un 45 tours, et d’un autre genre pour autre chose. Il y avait en moi
un John Lennon qui écrivait des chansons pour bouffer, et je ne considérais pas que ces chansons (les
paroles, par exemple) avaient une profondeur quelconque. Pour m’exprimer vraiment, j’écrivais
L’Hidalgo de service ou En flagrant délire, des histoires personnelles qui traduisaient mes émotions
personnelles. Et puis je me suis mis à être moi dans les chansons, à ne pas les écrire objectivement mais
subjectivement.70
BOB DYLAN-74
JOHN : Bob Dylan avait entendu un de nos disques dans lequel on disait « I can’t hide » (Je ne peux pas
me cacher, NdT), et il avait compris « I get high » (je plane, NdT). Il est arrivé à toute vapeur et nous a
dit : « OK, les mecs, j’ai de l’herbe vraiment bonne. » Comment ne pas aimer un type comme ça ? Il
croyait qu’on était habitués aux drogues.
On a fumé et rigolé toute la nuit. Il répondait tout le temps au téléphone en disant : « Ici la Beatlemania. »
C’était ridicule.69
GEORGE : On avait un ami commun, Al Aronowitz, qu’on avait rencontré en 1963 et qui travaillait pour
le Saturday Evening Post. Al Aronowitz et Bob faisaient partie du mouvement beatnik. On avait toujours
aimé les bohémiens et les beatniks. Je les aime toujours – j’aime toujours les gens qui ne ressemblent pas
aux autres. Un des trucs que faisait Al, c’était d’emporter des disques des Beatles et de Bob Dylan en
Russie, pour essayer de faire un peu de subversion. C’était un ami de Bob, et il nous a appelés pour nous
dire que Bob était dans le coin et qu’on pourrait tous se voir. Il l’a amené à l’hôtel. Il y avait vraiment une
atmosphère de fête. On s’est tous très bien entendus, on a discuté et beaucoup ri.
NEIL ASPINALL : Après la tournée américaine, retour en Angleterre pour enregistrer l’album Beatles
For Sale et le simple « I Feel Fine ». Avant de démarrer une tournée de petites salles en Angleterre,
cinémas et théâtres. Je crois que le plus grand endroit où les Beatles se sont produit en Grande-Bretagne a
été la Wembley Arena, sinon c’était des cinémas, Odeon ou l’équivalant.
RINGO : Ca avait été la même chose en 1963. Brian était très bien pour ça. Si on avait été engagés pour
passer dans un petit club, où que ce soit, on y allait et on jouait pour le prix fixé à l’origine. On était des
gens honnêtes et Brian l’était aussi. Mais c’était plutôt étrange parce qu’on se retrouvait dans je ne sais
quelle salle de danse débile, au milieu de nulle part, et c’était bondé. Mais on a honoré tous ces
engagements.
Je trouvais que, musicalement, on progressait à grands pas. Quelques-unes des chansons de Beatles For
Sale et de Rubber Soul, en 1965, étaient tout simplement éblouissantes. Il n’y avait rien de comparable
ailleurs. En studio, ça devenait vraiment excitant. On faisait tout là-bas : les répétitions, l’enregistrement
et la finition des chansons. On n’a jamais loué de salle de répétition pour travailler les chansons, parce que
bon nombre d’entre elles n’étaient pas terminées. Il y avait l’idée du premier vers, ou bien un refrain,
mais ça pouvait être modifié par les auteurs pendant qu’on l’enregistrait – ou par quelqu’un d’autre s’il
avait une bonne idée.
La première forme sous laquelle j’entendais une nouvelle chanson, c’était joué à la guitare et au piano.
C’est génial de suivre leur évolution au fil des différentes prises. Elles pouvaient changer du tout au tout.
Pour commencer, ceux qui en avaient écrit une disaient : « Ca fait comme ça. » Ils la jouaient à la guitare
ou au piano et la chantaient à chaque fois : ils apprenaient à chanter la chanson pendant qu’on apprenait
tous à la jouer, encore et encore.
La plupart de nos premiers enregistrements ont été réalisés sur trois pistes parce qu’on en gardait une
pour les re-re (ajouts après l’enregistrement de base, NdT). Et puis ça nous permettait de fonctionner
comme un vrai groupe – on jouait, on jouait, on jouait. Si l’un d’entre eux pouvait chanter la chanson, on
la jouait tous les quatre à n’en plus finir. Il n’était pas question de dire : « On ajoutera la basse plus tard,
ou bien les guitares. » On enregistrait tout de suite tout ce qu’on pouvait enregistrer, y compris les voix. Et
les chansons pouvaient être écrites n’importe où.
PAUL : Ca na pas pris longtemps pour enregistrer Beatles For Sale. En gros, c’était notre répertoire de
scène, plus quelques nouvelles chansons – « Eight Days A Week », par exemple. Je me rappelle l’avoir
écrite avec John dans sa maison de Weybridge, à partir de quelque chose qu’avait dit le chauffeur qui
m’amenait là-bas. Je lui avait demandé : « Comment ça va ? » Il m’avait répondu : « Oh, je bosse dur. Je
bosse huit jours par semaine. » Je n’avais jamais entendu personne employer cette expression, alors
quand je suis arrivé chez John j’ai dit : « Hé, ce type vient de dire… « huit jours par semaine ». » John a
dit : « Bon – Oooh ! I need your love babe… » Et on l’a écrite. On écrivait toujours très vite. Tout de suite.
J’arrivais tout en cherchant l’inspiration et, ou je la trouvais là, avec John, ou j’avais entendu quelqu’un
dire quelque chose.
John et moi, on cherchait toujours des titres. Une fois qu’on a un bon titre, si quelqu’un demande : « C’est
quoi, votre nouvelle chanson ? » et si on a un titre qui intrigue, on a parcouru la moitié du chemin. Bien
entendu, il faut que la chanson soit bonne. Si on a appelé ça « Je suis en chemin pour venir faire la fête
avec toi, Bébé », ils peuvent dire « OK… » Mais si ça s’appelle « Eight Days A Week », ils disent : « Ah,
oui, excellent ! » Avec un truc comme « A Hard Day’s Night », l’affaire est quasiment dans le sac.
BEATLES FOR SALE-75
On commençait donc par le titre. J’allais chez John. Il se levait quand j’arrivais. Je prenais une tasse de
thé et un bol de cornflakes avec lui, et puis on montait dans une petite pièce. On sortait nos guitares et on
essayait des trucs. Ca venait très vite et au bout de deux ou trois heures, je repartais.
On faisait généralement écouter les chansons à Cynthia ou à la personne qui se trouvait là. On ne pouvait
pas mettre ça sur cassette parce qu’à l’époque, il n’y avait pas de cassettes. Il fallait qu’on s’en souvienne,
ce qui était un bon exercice, et si c’était une chanson merdique, on l’oubliait.
GEORGE : Nos disques s’amélioraient. On avait démarré comme tous ceux qui se retrouvent pour la
première fois dans un studio – naïfs et impressionnés, courant après le succès. Mais là, on avait eu des
tonnes de tubes et fait quelques tournées, alors on devenait plus détendus et plus à l’aise dans le studio. Et
la musique devenait meilleure.
Pour cet album-là, on n’a répété que les nouvelles chansons. On avait si souvent joué des choses comme
« Honey Don’t » ou « Everybody’s Trying To Be My Baby » sur scène, qu’il suffisait de trouver la bonne
couleur sonore et de les enregistrer. Mais des chansons comme « Baby’s In Black », il a fallu les apprendre
et les répéter. On commençait aussi à faire quelques re-re, probablement avec un quatre-pistes. Et George
Martin suggérait quelques modifications. Pas trop, mais il faisait toujours partie intégrante de l’ensemble.
PAUL : On est devenus de plus en plus libres d’être nous-mêmes. Notre côté étudiant plutôt que le côté « il
faut plaire aux filles et faire de l’argent » dans le style « From Me To You », « Thank You Girl » ou « PS I
Love You ». On a fait « Baby’s In Black » parce qu’on aimait le rythme de la valse – avant, on chantait
« If You Gotta Make A Fool Of Somebody », un super blues à trois temps. Et d’autres groupes s’en
apercevaient et disaient : « Merde, les mecs, vous faites un truc à trois temps. » On est devenus connus
pour ça. Et je pense aussi que John et moi voulions faire un truc « bluesy », un peu plus sombre, plus
adulte que la pure pop. C’était plutôt « Baby’s In Black », à la manière d’une lamentation. En plus, le noir
était notre couleur préférée.
RINGO : On connaissait tous « Honey Don’t ». C’était une chanson que jouaient tous les groupes de
Liverpool. J’adorais la country music et le country rock. A l’époque où j’étais avec Rory Storm, j’avais
mon propre show dans le show et je chantais cinq ou six chansons. Alors chanter et me produire sur scène,
ce n’était pas nouveau; il fallait simplement me trouver quelque chose à chanter avec les Beatles. C’est
pour ça qu’on l’a fait sur Beatles For Sale. C’était sans problème. Et j’avais mon morceau sur un disque,
mon petit numéro à moi.
JOHN : J’ai écrit « I Feel Fine » à partir du riff qu’on entend à l’arrière-plan. J’ai voulu introduire cet
effet dans toutes les chansons de l’album ou presque. Mais les autres ont refusé. Je leur ai dit que j’allais
écrire une chanson spécialement pour ce riff. Sachant que l’album était presque terminé, ils ont dit :
« Mais oui, fais ça. » Bref, un matin dans le studio, j’ai dit à Ringo : « J’ai écrit la chanson, mais elle est
nulle. » On l’a tout de même essayée, avec le riff et tout. Ca sonnait comme une face A. Du coup, on a
décidé de la sortir comme ça.
George et moi, on joue tous les deux la même partie de guitare – c’est le truc qui fait taper du pied, comme
ont dit les chroniqueurs. Je suppose qu’il y a un petit parfum de country western, mais c’est le cas de
beaucoup de nos chansons. Le pont est le moment le plus mélodieux parce que c’est un passage
typiquement Beatles.64
GEORGE : John a provoqué sans le vouloir un peu de feed-back (effet Larsen, NdT). Il a aimé le son et
trouvé que ça irait bien pour le début de la chanson. A partir de ce jour-là, sur chaque morceau, il a tenu
sa guitare de manière à provoquer du feed-back.
JOHN : Il y a sur ce disque, le premier feed-back enregistré de l’histoire. Je défie quiconque de trouver un
disque – sauf si c’est quelque vieux disque de blues de 1922 – sur lequel on utilise le feed-back de cette
façon. Tout le monde l’utilisait sur scène, et le truc de Jimi Hendrix existait bien avant (lui). En fait, le
truc punk actuel n’est rien d’autre que ce que les gens faisaient dans les clubs. Alors je prétends que les
Beatles – avant Hendrix, avant les Who, avant tout le monde – ont été les premiers à utiliser le feed-back
sur disque.
La face B, « She’s A Woman », est de Paul avec probablement un petit coup de main de ma part pour les
paroles. On a glissé les mots « turn me on » (turned on : défoncé, NdT). On était tellement excités de
dire « turn me on » - vous savez, rapport à la marijuana, en s’en servant comme d’une expression !
BEATLES FOR SALE-76
Il y avait un peu de concurrence entre Paul et moi, pour décrocher les faces A. Pour savoir qui
décrocherait les tubes. Vous remarquerez qu’au début, la majorité des simples – dans les films, par
exemple – étaient de moi. Quand je suis devenu complexé et inhibé et que, peut-être, mon horoscope n’a
plus été favorable, Paul a commencé à dominer légèrement le groupe. Mais au début, à l’évidence, c’était
moi qui dominais. J’ai chanté pratiquement tous les simples à l’exception de « Love Me Do ». C’était soit
ma chanson, soit ma voix, soit les deux. La seule raison pour laquelle Paul chante sur « A Hard Day’s
Night », c’est que je ne pouvais pas chanter assez haut – « When I’m home, everything seems to be right.
When I’m home… » C’est une chose qu’on faisait parfois : si l’un de nous ne pouvait pas atteindre une
note et si on voulait une sonorité différente, il demandait à l’autre de chanter l’harmonie.
Il n’y avait pas de rancœur, mais il y avait de la concurrence. Je veux dire, il y a toujours rivalité entre
deux mecs ; c’était une rivalité créatrice, comme entre les Beatles et les Stones. Dès le début, je me suis
servi de cette « rivalité fraternelle » pour écrire des chansons. De ce point de vue-là, ce n’était pas une
horrible et vicieuse vendetta, parce que ce n’était pas à ce niveau que ça se passait.80
PAUL : La pochette de l’album était plutôt réussie : des photos de Robert Freeman. Ca a été facile. On a
fait une séance d’environ une heure et on a obtenu un certain nombre de photos utilisables. On s’est
retrouvés à Hyde Park, près de l’Albert Memorial. Là-bas, j’ai été très impressionné par la coiffure de
George. Il avait réussi à se bricoler cette petite crête de navet. Tout ce que les photographes avaient à
faire, c’était de nous dire de nous présenter au rendez-vous, parce qu’on portait toujours le même genre
de vêtements. Du noir, des chemises blanches et de longues écharpes noires.
NEIL ASPINALL : De nos jours, aucun groupe ne pourrait revenir fin septembre d’une longue tournée
américaine pour enregistrer un nouvel album en studio. Et cela, tout en continuant à écrire les chansons,
commencer une tournée en Grande-Bretagne, terminer l’album en cinq semaines, en poursuivant la
tournée et réussir à sortir l’album pour Noël. C’est pourtant ce que les Beatles ont fait, fin 1964. En
grande partie en raison de leur candeur : ils croyaient que les choses devaient être faites comme ça. Si la
maison de disques a besoin d’un autre album, on y va, on en fait un. Aujourd’hui, si un groupe avait
autant de succès que les Beatles en avaient fin 1964, il commencerait à formuler quelques exigences.
Un jour, John a dit : « Nous avons sacrifié toute notre jeunesse aux Beatles. »
Quand on regarde leur emploi du temps entre fin 1963 et fin 1964, on se rend compte que c’était vraiment
incroyable. En plus des tournées, des disques et du film, ils ont fait une émission de Noël et toutes les
émissions de télé : les Top Of the Pops et Thank You Lucky Stars et autres Around The Beatles (trentesept en tout). Et aussi toutes les émissions de radio de la BBC (vingt-deux). Ca n’arrêtait jamais.
Brian commençait à avoir des projets à très long terme. A la Noël 1964 il planifiait déjà la tournée
américaine de 1965, essayait de faire terminer le scénario de Help ! et avait programmé d’autres tournées.
Pendant qu’il faisait tout ça, quelqu’un suggérait : « On ne pourrait pas aussi avoir des vacances,
Brian ? »
BEATLES FOR SALE-77
A Hard Day’s Night
It’s been a hard day’s night,
And I’ve been working like a dog,
It’s been a hard day’s night,
I should be sleeping like a log,
But when I get home to you,
I find the things that you do,
Will make me feel alright.
You know I work all day,
To get you money to buy you things,
And it’s worth it just to hear you say,
You’re gonna give me ev’ryting,
So why on earth should I moan,
‘Cos when I get your alone,
You know I feel okay.
When I’m home ev’rything seems to be right,
When I’m home feeling you holding me
Tight, tight, yeh.
It’s been a hard day’s night,
And I’ve been working like a dog,
It’s been a hard day’s night,
I should be sleeping like a log,
But when I get home to you,
I find the things that you do,
Will make me feel alright.
So why on earth should I moan,
‘Cos when I get you alone,
You know I feel okay.
When I’m home ev’rything seems to be right,
When I’m home feeling you holding me
Tight, tight, yeh.
It’s been a hard day’s night,
And I’ve been working like a dog,
It’s been a hard day’s night,
I should be sleeping like a log,
But when I get home to you,
I find the things that you do,
Will make me feel alright.
Lennon/McCartney
I Feel Fine
Baby’s good to me, you know,
She’s happy as can be, you know,
She said so.
I’m in love with her and I feel fine.
Baby says she’s mine you know,
She tells me all the time you know,
She said so.
I’m in love with her and I feel fine.
I’m so glad that she’s my little girl,
She’s so glad she’s telling all the world.
That her baby buys her things you know,
He buys her diamond rings you know,
She said so.
She’s in love with me and I feel fine.
Baby says she’s mine you know,
She tells me all the time you know,
She said so.
I’m in love with her and I feel fine.
I’m so glad that she’s my little girl,
She’s so glad she’s telling all the world.
That her baby buys her things you know,
He buys her diamond rings you know,
She said so.
She’s in love with me and I feel fine.
Lennon/McCartney
BEATLES FOR SALE-78)

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