Justice et vengeance (13/X/10)
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Justice et vengeance (13/X/10)
Justice et vengeance (13/X/10) C.Gauvard Propos limité à la période médiévale (XIIIe-XIVe siècles) La vengeance et la justice ont le même objectif : faire justice ;beaucoup d’ idées reçues ont été remises en cause récemment : on pensait que la justice avait succédé à la vengeance au fur et à mesure que l’Etat se développait. En fait, la vengeance n’a jamais cessé. Elle relève d’une conception privative de la résolution d’un conflit ou d’un délit. Elle se soldait par une sanction : mort, viol, razzia… La justice est la résolution du conflit par le biais d’institutions mises en place à partir du 12e et surtout 13e siècle par des tribunaux publics (… de baillage puis parlement de Paris). Au 14e, mise en place du procureur du roi qui agit au nom du souverain ; c’est lui qui est blessé par le crime avant même la victime. Il décide donc de la réparation que doivent recevoir les victimes. Les victimes sont au cœur de la réflexion sur les rapports entre justice et vengeance. Il y a une différence de nature et de sentence entre justice et vengeance mais elles ont cohabité ; la justice qui se met en place au moyen âge s’inspire du droit romain. Comment se passe la vengeance ? Image d’un moyen âge très violent avec vengeance illimitée et sanguinaire ; or, c’est faux même si la vengeance concerne tout le monde, nobles et non nobles. Il y a des règles : on ne se venge pas de n’importe qui ;la vengeance est une réaction face à une blessure ou à une spoliation (honneur blessé), elle a donc une fonction de réparation. Généralement, les deux individus se connaissent (à 95%) Les sources ne permettent pas toujours de connaître les motifs profonds du différend. Les textes relatent les actes de vengeance mais pas leur cause connaissance superficielle La vengeance est une guerre avec préméditation. Celui qui se venge est le plus souvent accompagné de sa parenté. On pouvait même se venger d’un cousin, d’un oncle, d’un frère de celui qui avait porté préjudice puisqu’ils étaient de même sang. Cela ne dura pas. La vengeance est une guerre du dedans qui exclue les trop grandes différences ; la vengeance se déroule dans une communauté. Il n’y a pas de peur, celui dont on se venge est un adversaire plus qu’un ennemi. La vengeance fait partie des codes, du rationnel, pas de l’irrationnel. L’adversaire n’est pas déprécié, sans quoi la vengeance l’est aussi. La vengeance est un « beau fait », elle ne se fait donc pas n’importe comment ; elle commence par un défi d’honneur. Chez les nobles, le défi est obligatoire. Quand il n’est pas réalisé, c’est une mauvaise vengeance (si le vengeur tue son adversaire dans son sommeil par exemple). La vengeance doit être connue ; on doit en faire de la publicité. La vengeance est l’objet de transactions, de négociations ; ce n’est pas une pulsion personnelle, c’est un face à face qui peut connaître des interruptions, des compromis. 2- La vengeance a coexisté à côte de la justice également car c’est un phénomène qui est loué par le seigneur. Gestes et paroles d’offense sont acceptées par la justice. Les actes de vengeance bénéficient de grâce royale en priorité mais petit à petit, la vengeance commence à être condamnée quand elle est mal réalisée (vengeance réalisée par des hommes de main, commise de nuit…) 3- il a fini par y avoir osmose entre vengeance et justice : la justice s’est emparée de certaines formes de vengeance ; la justice médiévale condamne très rarement à mort ; seulement ceux qui ne peuvent être soutenus par leur parenté (paiement de dédommagement…) ; en fait, la condamnation à mort par la justice peut entraîner la vengeance de la part de sa parenté, donc cela entraîne une hésitation à condamner à mort… Fonction du tribunal : vider la querelle par le droit en utilisant la plaidoirie des avocats qui peut être très violente : déplacement d’une violence réelle à une violence verbale. Les peines sont des « peines rêvées » ; l’avocat dit « je souhaite la mort… ou tout du moins un dédommagement, l’érection d’une chapelle… » L’affaire se termine la plupart du temps par une négociation ; la plaidoirie sert à restaurer l’honneur. On demande aussi « l’amende honorable », peine qui consistait à faire dire à celui qui avait commis un meurtre qu’il ne l’avait pas commis. C’est le juge qui l’ordonne pour le roi, pour le tribunal et pour la victime : l’accusé va, en tenue de pénitent, demander pardon et crier merci au roi, au tribunal et à la victime sur les lieux du crime et sur le lieu de l’inhumation : demande de restauration de l’honneur qui se fait désormais dans le domaine public victoire de la justice sur la vengeance. Conclusion : On court le risque de réintroduction de la vengeance si la justice oublie les droits des victimes.