le desequilibre significatif en droit de la concurrence

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le desequilibre significatif en droit de la concurrence
UNIVERSITE MONTPELLIER 1 – FACULTE DE DROIT
LE DESEQUILIBRE
SIGNIFICATIF EN DROIT
DE LA CONCURRENCE
Mémoire présenté par Alexandre Marce
Master 2 - Droit du Marché
Université Montpellier I - Faculté de Droit - Année 2010/2011
Master 2 – Droit du Marché
SOMMAIRE
Sommaire .................................................................................................................. 2
Introduction.............................................................................................................. 3
Chapitre 1 : Les aspects théoriques du « déséquilibre significatif ».................. 4
Section 1 : La notion de « déséquilibre significatif » .............................................. 4
§ 1 : Les origines de la notion de « déséquilibre significatif » ...................................... 4
§ 2 : Les caractères de la notion de « déséquilibre significatif » ................................... 7
Section 2 : Les incidences de la création de cette notion ...................................... 8
§ 1 : De nouvelles possibilités ........................................................................................ 8
§ 2 : De nouvelles interrogations.................................................................................. 11
Chapitre 2 : Le « déséquilibre significatif » en pratique ................................... 14
Section 1 : Les premières applications jurisprudentielles .................................... 14
§ 1 : La décision du tribunal de commerce de Lille du 6 janvier 2010 ........................ 14
§ 2 : La décision du tribunal de commerce de Bobigny du 13 juillet 2010 ................. 17
Section 2 : L’avenir du dispositif ........................................................................... 20
Conclusion .............................................................................................................. 25
Bibliographie .......................................................................................................... 25
Table des matières ................................................................................................. 27
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INTRODUCTION
La loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 constitue le point d'orgue
d'un mouvement législatif initié depuis quelques années, notamment avec la loi Dutreil d'août
2005 et la loi Chatel de janvier 2008.
La volonté affichée était de rééquilibrer les rapports entre les fournisseurs et les distributeurs en
permettant une plus grande négociabilité des prix et une plus grande transparence.
Dans un premier temps, la loi Dutreil, afin de lutter contre la fausse coopération commerciale, a,
d'une part imposé la rédaction d'un contrat annuel précisant exactement les services rendus et les
modalités de leur exécution, et d'autre part, redéfini le calcul du seuil de revente à perte en y
intégrant une partie des marges arrière.
La loi Chatel est allée plus loin, elle a intégré dans ce calcul l'ensemble des marges arrière et a
imposé par ailleurs la rédaction d'un contrat unique fixant l'intégralité des conditions relatives
non seulement à la coopération commerciale mais également à l'opération de vente et aux autres
services.
La Loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 tente d'instaurer la libre négociabilité des
tarifs en supprimant l'article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce afin de permettre in fine une
baisse des prix. Les notions de « déséquilibre significatif » et de « conditions manifestement
abusives » ont été introduites par la loi comme garde-fous à cette libre négociabilité.
Le nouvel article L. 442-6, I, 2° du code de commerce, nous intéresse particulièrement. Il
nous apprend, « qu’engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice
causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou « personne immatriculée au
répertoire des métiers » de soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des
obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits ou obligations des parties ».
Il parait opportun de se demander en quoi consiste cette prohibition du « déséquilibre
significatif » dans les relations entre professionnels ?
De nombreuses interrogations sont nées suite à l’instauration de cette notion. Il est
possible de tenter d’identifier un « déséquilibre significatif », ou tout du moins d’en présenter
les principaux aspects théoriques (Chapitre 1). Mais c’est en étudiant les applications faites par
la jurisprudence que nous comprendrons en quoi consiste réellement cette notion (Chapitre 2).
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CHAPITRE 1 : LES ASPECTS
« DESEQUILIBRE SIGNIFICATIF »
THEORIQUES
DU
A première vue, la notion de « déséquilibre significatif » semble difficile à aborder
(Section 1), mais, en définitive, l’instauration de cette notion va avoir de nombreuses incidences
(Section 2).
SECTION 1 : LA NOTION DE « DESEQUILIBRE SIGNIFICATIF »
De prime abord, le terme de « déséquilibre significatif » peut surprendre. Cette notion
complexe n’est pas sortie de nulle part, elle n’est pas née du jour au lendemain (§1). En outre, au
lendemain de l’entrée en vigueur de la Loi de modernisation de l’économie, l’appréhension de
ses caractéristiques parait difficile (§2).
§ 1 : Les origines de la notion de « déséquilibre significatif »
L’introduction de la notion de « déséquilibre significatif » à l’article L. 442-6, I 2° du
Code de commerce par la Loi de modernisation de l’économie ne correspond pas, d’une certaine
manière, à une innovation. Effectivement, on s’est inspiré de la notion consumériste du
« déséquilibre significatif » (A), sans, cependant, la copier totalement (B).
A. Les inspirations consuméristes de cette notion
A première vue, on ne peut pas nier la similitude entre la notion de « déséquilibre
significatif » en droit de la concurrence et celle résultant de l'article L. 132-1 du Code de la
consommation réprimant les clauses abusives.
Cet article dispose que « dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou
consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment
du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et
obligations des parties au contrat ».
Nous voyons donc, qu’en droit de la consommation, la notion de « déséquilibre
significatif » vise à la seule protection du consommateur non professionnel, ou d’un
professionnel agissant dans un domaine sans lien avec ses fonctions
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Mais en droit de la concurrence, la notion a vocation à protéger en théorie les deux
cocontractants. On protège les partenaires commerciaux sans distinction puisqu’on vise toute
obligation contractuelle valablement acceptée par un professionnel, que ce soit ou non dans le
cadre de son activité.
En définitive, l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce a, en matière de « déséquilibre
significatif », un domaine beaucoup plus général que l’article L. 132-1 du Code de la
consommation puisque sont visées toutes les obligations contractuelles sans restriction.
On pourrait souligner une certaine connexité entre l'évolution de la notion de clause
abusive et l’évolution de la prohibition des comportements qualifiés d’ « abusifs » en droit de la
concurrence.
Sophie Le Gac-Pech1 nous apporte ainsi quelques illustrations. Effectivement, sous l’empire des
lois Scrivener, la clause abusive était définie comme la clause « imposée aux non-professionnels
ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie » et conférant à un
cette dernière « un avantage excessif ».
Cette définition faisait apparaitre deux critères afin d’identifier une clause abusive : il fallait un
abus de puissance économique et un avantage excessif. Toutefois, ces critères ont été
abandonnés par la loi du 1er février 1995, au profit de la seule référence au « déséquilibre
significatif ».
C’est logiquement qu’il faut souligner la connexité de cette évolution avec celle correspondant
au passage de « l’abus de la relation de dépendance » issu de l’ancien article L. 442-6, I, 2, b au
contrôle du « déséquilibre significatif » du nouvel article L. 442-6, I, 2°.
Il ne faut cependant pas faire d’amalgame entre la situation du professionnel en droit de
la concurrence, et celle du consommateur en droit de la consommation. L’adoption d’une notion
commune n’est pas un hasard selon Sophie Le Gac-Pech, puisque selon elle, cette notion
commune traduit une unité fondamentale de la relation fournisseur - distributeur consommateur.
1
Sophie Le Gac-Pech, L'établissement des relations de distribution : entre classicisme et modernité, Revue
Contrats Concurrence Consommation n° 11, Novembre 2009, étude 12.
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Selon les autorités de concurrence, le droit de la concurrence a pour objectif principal la
satisfaction du consommateur. Et l’idée serait que si l’on maltraite le fournisseur ou le
distributeur, le consommateur serait également victime.
On ne peut pas nier l’évidence, la notion de « déséquilibre significatif » en droit de la
concurrence s’inspire du droit de la consommation, cependant, nous n’avons pas assisté à une
pâle copie de cette notion, il a fallu l’adapter.
B. La distanciation avec la vision consumériste
On retrouve plusieurs illustrations à cette distanciation de la notion de « déséquilibre
significatif » par rapport à celle issue du droit de la consommation.
La première illustration réside dans le contenu même de la notion, puisqu’il semble
moins restrictif en droit de la concurrence, qu’en droit de la consommation.
Effectivement, on voit dans un premier temps que le droit de la consommation, par la mise à
disposition d’une liste indicative de clauses abusives a tendance à orienter l’appréciation qui
pourra être effectuée. Ainsi, la marge de manœuvre des cocontractants, ou des juges est très
faible du fait que le système de listes à vocation à éliminer (liste noire) ou diminuer (liste grise)
les appréciations judiciaires.
Au niveau du droit de la concurrence la notion semble très large, elle n’est pas limitée par le
texte. La marge de manœuvre de juges pourra être très large afin d’apprécier la teneur de cette
notion.
La seconde illustration de cette distanciation réside dans les sanctions, la nouvelle règle
s'écarte encore du droit de la consommation puisque l'article L. 442-6 du Code de commerce
retient la responsabilité de l'auteur du déséquilibre (sauf dans le cas d’une action du ministre de
l’Economie et des finances qui peut demander la nullité de la clause), tandis que le droit de la
consommation retient la nullité en réputant non écrite la clause abusive.
En définitive, le contrôle du déséquilibre se situe à des temps différents de la vie du contrat
puisque le droit de la consommation s'intéresse à la formation alors que le droit de la
concurrence privilégie l'exécution des relations commerciales.
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En définitive, même si l'introduction d'un contrôle du déséquilibre dans les relations
commerciales semble rapprocher la situation du professionnel de celle du consommateur, le
régime est différent.
Toutefois, on peut dire que le contrôle du déséquilibre dans les relations commerciales s’inspire
fortement du contrôle du déséquilibre dans les relations professionnels - consommateurs, mais
l’application qui en est faite, en raison des exigences de la matière est tout autre.
§ 2 : Les caractères de la notion de « déséquilibre significatif »
Cette notion récemment introduite a, semble-t-il, eu vocation à remplacer un système de
contrôle des relations commerciales quelque peu défaillant (A). En outre, ce nouveau système se
caractérise par sa complexité et sa difficile identification (B).
A. Un palliatif au faible succès de l’abus de dépendance économique
L’abus de dépendance économique à eu un faible succès en jurisprudence, et c’est pour
cette raison que ce type d’abus a été remplacé par une nouvelle pratique.2
Selon Sophie Le Gac-Pech3 la faible utilisation de ce contrôle de l’abus de la relation de
dépendance pouvait s’expliquer en raison des difficultés probatoires inhérentes à ce système.
La raison tiendrait dans la difficulté à démontrer l'existence de l'état ou de la relation de
dépendance, à celle de l'abus et à la nécessité de rapporter cette double preuve.
Il était difficile de distinguer la « relation de dépendance », et « l’état de dépendance
économique » au sens de l'article L. 420-2 du Code de commerce.
Avec la Loi pour la modernisation de l’économie la difficulté disparaît puisque seul « l'état de
dépendance économique » est sanctionné au titre des pratiques anticoncurrentielles et la
2
Martine BEHAR-TOUCHAIS, Première sanction du déséquilibre significatif dans les contrats entre
professionnels : l’article L. 442 – 6, I , 2° du code de commerce va-t-il devenir une machine à hacher le droit ?
Revue Lamy de la concurrence avril/juin 2010.
3
Sophie LE GAC-PECH, L'établissement des relations de distribution : entre classicisme et modernité, Revue
Contrats Concurrence Consommation n° 11, Novembre 2009, étude 12.
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répression de l'abus de la relation de dépendance est remplacée par celle du « déséquilibre
significatif ».
Cette nouvelle pratique restrictive qui est venu remplacer l’ancien système de contrôle de
l’équilibre au sein des relations commerciales, est, à l’époque de sa mise en place difficile à
identifier. Deux ans après son instauration, son identification pose toujours problème.
B. L’identification du déséquilibre
Selon Marie Malaurie Vignal, il faut, pour retenir un « déséquilibre significatif »,
déterminer la norme de référence pour apprécier s'il y a déséquilibre ou non.
Le principe étant celui de la liberté de négociation, l'absence de toute contrepartie pourrait
traduire un déséquilibre contractuel. Il y aurait alors plusieurs critères d’identification possibles.
En droit de la consommation, les auteurs ont développé différents critères de la clause abusive.
Les critères sont multiples et pourront inspirer le juge commercial.
Au final, on ne peut pas identifier théoriquement un déséquilibre significatif, certains
auteurs donnent quelques pistes, mais seules les applications jurisprudentielles de cette notion
nous permettrons d’y voir plus clair. C’est ce que nous verrons après avoir présenté les
incidences de la création de cette notion.
SECTION 2 : LES
INCIDENCES DE LA CREATION DE CETTE NOTION
La création de cette notion en droit de la concurrence va offrir de nouvelles possibilités
pour certains acteurs (§1), mais va aussi entrainer de nombreuses interrogations (§2).
§ 1 : De nouvelles possibilités
La nouvelle rédaction de l’article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce semble impliquer
que le juge va désormais être amené à exercer un contrôle global sur l'ensemble des obligations
des parties, et en quelque sorte, à analyser l'économie générale du contrat (A), mais cette
nouvelle rédaction pourrait aussi impliquer une intervention renforcée du ministre chargé de
l'Économie (B).
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A. Vers un nouveau rôle du juge ?
Selon Marc Pichon de Bury et Chloé Minet4, en invitant le juge à s'immiscer dans la loi
des parties, la Loi de modernisation de l’économie devrait conduire le juge à adopter une
approche plus civiliste dans son appréciation des relations commerciales entre les parties.
Selon eux, le législateur semble autoriser le juge à opérer un contrôle de proportionnalité, et
finalement, à vérifier que pour chaque partie le contrat a une cause au sens de l'article 1131 du
Code civil en introduisant la notion de « déséquilibre significatif dans les droits et obligations
des parties »,
En définitive, si les juges adoptent ce comportement, cela permettrait de vérifier s’il y a une
lésion, contrairement aux principes posés par le Code civil.
En outre, cela nous pousse à nous interroger sur le rôle du juge. On pourrait se demander
ce qu’il fera en présence d’un « déséquilibre significatif », il pourrait prononcer la nullité du
contrat, la résiliation, mais il pourrait aussi le laisser se poursuivre, en demandant
éventuellement des aménagements etc.
A défaut d’exemples, on peut penser, au lendemain de l’intervention de ce dispositif, que cette
intervention du juge se fera au cas par cas.
On peut aussi s’interroger sur le rôle que jouera la Cour de cassation, à savoir si elle
dégagera des critères concernant le « déséquilibre significatif », ou si elle laisserait le soin aux
juges du fond d’apprécier souverainement au cas par cas.
Il faut noter que les juges pourront chercher du soutien auprès de la Commission d'examen des
pratiques commerciales (CEPC), à laquelle ils pourront dorénavant se référer au cours d'un
procès.
En outre, l’article L. 442-6, III permet au juge s’il estime que les pratiques sont illégales,
d’ordonner que sa décision soit exécutée sous astreinte, ou publiée.
4
Marc PICHON de BURY et Chloé MINET, Incidences de la suppression de l’article L. 442-6, I, 1° du Code de
commerce et de l’introduction de la notion de « déséquilibre significatif » par la LME, Revue Contrats
Concurrence Consommation n° 12, Décembre 2008, étude 1.
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Malgré ces nouvelles possibilités, il n’est pas sûr que les juges soit souvent saisi.
Effectivement, une entreprise étant sous l’emprise du pouvoir économique de son partenaire
commercial, par peur d’une « punition », n’osera pas saisir les juges sur ce fondement.
Dans la plus part des cas, les fournisseurs dépendent des grands distributeurs, qui abusent (très)
souvent de leur position de force. Dans un tel cas de figure, le fournisseur n’osera rien
entreprendre contre le distributeur.
Dans de telles hypothèses, il reviendra au ministre de l'Économie de jouer son rôle de
régulateur, mais il n'est pas certain qu'il aura connaissance de tous les déséquilibres que feront
naître la pratique, ni qu'il pourra intervenir systématiquement.
B. Vers une intervention renforcée du ministre chargé de l'Économie ?
Les attributions du ministre, et du ministère public qui dispose d'ailleurs des mêmes
prérogatives, sont relativement importantes puisqu'il est prévu à l'article L. 442-6, III du Code
de commerce qu'il peut, engager une action aux côté ou, éventuellement à la place des parties
« victimes ». Il peut ainsi demander à la juridiction saisie d'ordonner la cessation des pratiques
interdites, faire constater la nullité des clauses ou contrats illicites, demander la répétition de
l'indu et demander en outre une amende de 2 millions d’euros.
Ils peuvent également demander le prononcé d'une amende civile d'un montant maximum de 2
millions d'euros.
Le rôle du ministre est d'autant plus important que la Loi de modernisation de
l’économie a augmenté le montant de l'amende civile que celui-ci est en mesure de solliciter,
puisque cette amende peut être dorénavant portée « au triple du montant des sommes indûment
versées » selon l’article L. 442-6,III, al. 2 du Code de commerce.
Ainsi, le ministre pourrait avoir un rôle prépondérant à jouer dans la mesure où les entreprises
victimes de telles pratiques renoncent souvent à intenter une action contre leur partenaire
commercial de peur de représailles, comme en témoignent les rares actions intentées par les
fournisseurs contre leurs clients dans le domaine de la grande distribution.
On peut penser que cette action du ministre sera considérée comme une action autonome
de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, et qu’à ce titre elle ne serait
pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs, comme l’a jugé la Cour de
cassation le 17 juillet 2008 concernant l’action en répétition de l’indu exercée par le ministre.
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Le rôle du ministre dans la constatation et la répression des « déséquilibres significatifs »
pourrait donc être important. Cependant, il ne pourra peut-être pas intervenir systématiquement,
faute d'être informé ou de pouvoir multiplier indéfiniment les actions.
Malgré le fait qu’il renforce le rôle des juges du fond, et celui du ministre de l’économie, le
nouveau dispositif induit de nombreuses interrogations.
§ 2 : De nouvelles interrogations
Le nouvel article L. 442-6 du code de commerce va apporter de nouvelles interrogations.
Certains professionnels du droit se posent des questions. Entrer dans le détail serait fastidieux, il
convient d’en reprendre succinctement les grandes lignes.
On peut se poser des questions au niveau de l’interprétation de l'article L. 442-6, I, 2°(A), mais
aussi au niveau du contrôle qui devrait avoir lieu (B).
A. La question de l’interprétation du « déséquilibre significatif »
On peut dire qu’en droit de la consommation, le déséquilibre n'est sanctionné que parce
qu'il « laisse supposer un abus de puissance de la part du professionnel ». Mais en droit de la
concurrence, les parties ne sont pas nécessairement dans une situation d'inégalité. Tout dépend
des circonstances.
Marie Malaurie Vignal5, au lendemain de l’entrée en vigueur de la Loi de modernisation de
l’économie, trouve regrettable que la loi nouvelle ait fait disparaître la condition de preuve d'une
relation de dépendance économique. Car entre deux professionnels de même puissance
économique, on ne comprend pas pourquoi le « déséquilibre significatif » doit être sanctionné en
lui-même.
Selon elle, les juges pourraient alors effectuer deux types d’interprétation. La première,
serait une interprétation de type concurrentielle, en reprenant la condition de dépendance
économique. Mais au final la réforme n’aurait servie à rien. C’est cependant critiquable, car
cette réforme a eu lieu en grande partie afin de protéger au maximum les fournisseurs vis-à-vis
5
Marie MALAURIE-VIGNAL, Le nouvel article L. 442-6 du Code de commerce apporte-t-il de nouvelles limites
à la négociation contractuelle ?, Revue Contrats Concurrence Consommation n° 11, Novembre 2008.
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des abus récurrents des grands distributeurs, et on a vu qu’il pouvait être compliqué de
démontrer une dépendance économique.
La seconde interprétation consisterait, en une interprétation de type contractuelle afin de
rechercher un éventuel « déséquilibre significatif ». Cependant, une telle analyse pourrait
entrainer une ingérence excessive du juge dans le contrat, cela pourrait entrainer alors une
incertitude juridique. Ce serait cependant l’issue la plus logique, dans la mesure où la Cour de
cassation pourrait être amenée à limiter cette ingérence excessive du juge dans le contrat en
posant des conditions d’application strictes de ce dispositif.
Selon François Xavier Testu, le « déséquilibre significatif » aurait une connotation
morale. Il s'agirait en fait du « déséquilibre significatif » du professionnel qui, ayant abusé de sa
puissance de négociation, a commis une infraction contraire à la bonne foi contractuelle.
Le seul « déséquilibre significatif » n'est condamné qu'en ce qu'il traduit un manquement à la
bonne foi contractuelle. Ce manquement à la bonne foi peut résulter de l'exploitation d'une
situation de dépendance ou d'un abus de la puissance de négociation.
En définitive, il faudra attendre de voir comment les juges ont appliqué ce principe pour
pouvoir réellement répondre à cette interrogation.
B. La question du type de contrôle qui doit avoir lieu
Marie Malaurie Vignal se demande quel type de contrôle les juges devront désormais
effectuer. Serait-ce un contrôle de l'équilibre contractuel ou un contrôle de l'équilibre
économique ?
En droit de la concurrence, on peut admettre que le déséquilibre soit financier, même s'il
peut être aussi d'une autre nature. En contrepoint à la liberté tarifaire, le juge doit pouvoir
contrôler les conditions anormales de prix, signe d'un déséquilibre manifeste
Selon Marie Malaurie Vignal cette interprétation s'impose, car de toute façon, l'article L. 442-6,
I, 1° sanctionne l'obtention d'« un avantage quelconque [...] manifestement disproportionné au
regard de la valeur du service rendu » et le 4° sanctionne l'obtention (ou la menace) de
conditions commerciales manifestement abusives concernant les prix sous la menace d'une
rupture totale ou partielle des relations commerciales.
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On peut aussi se demander si on doit traiter le déséquilibre du contrat ou le déséquilibre
de la clause. La loi de 2008 ne donne aucune indication sur la méthode d'interprétation, à la
différence du droit de la consommation.
Au final, l’introduction de cette notion de « déséquilibre significatif » pousse les
professionnels du droit à se poser un certain nombre d’interrogations. Au lendemain de l’entrée
en vigueur de la loi pour la modernisation de l’économie, on semble un peu perdu face à cette
notion, on ne sait pas comment les juges vont l’appréhender.
Il aura fallu attendre le début de l’année 2010 pour que les juges soient amenés à se prononcer
sur cette notion.
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CHAPITRE 2 : LE « DESEQUILIBRE
SIGNIFICATIF »
EN PRATIQUE
L’introduction de la notion de « déséquilibre significatif » en droit de la concurrence est
très récente, c’est pourquoi les juges n’ont eu que très peu l’occasion de se prononcer sur cette
notion (Section 1). Malgré tout, ces quelques réponses prétoriennes permettent de s’interroger
sur l’avenir de ce dispositif (Section 2).
SECTION 1 : LES PREMIERES APPLICATIONS JURISPRUDENTIELLES
Nous recensons à l’heure actuelle deux affaires dans lesquelles les juges ont eu à se
prononcer sur l’éventuelle caractérisation d’un « déséquilibre significatif » dans les droits et
obligations des parties.
Effectivement, seul le tribunal de commerce de Lille le 6 janvier 2010 (§1), et le tribunal de
commerce de Bobigny du 13 juillet 2010 (§2) ont pris des décisions en rapport avec ces
dispositions du Code de commerce.
§1 : La décision du tribunal de commerce de Lille du 6 janvier 2010
Le tribunal de commerce de Lille a été, le 6 janvier 2010 6, la première juridiction à
rendre une décision sur le fondement du nouvel article L. 442-6, I, 2°.
Il convient de présenter le contexte de l’affaire (A), avant de présenter la décision de la Cour
(B), et d’en apprécier la solution (C).
A. Contexte de l’affaire
Le tribunal de commerce de Lille a été saisie dans le cadre d’une l’action entreprise par
le ministre de l’Economie à l’automne dernier à l’encontre 9 grandes enseignes de la
distribution.
6
Tribunal de commerce de Lille, audience du 06 janvier 2010, N° 2009-05184.
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En l’espèce, il était reproché à la société Castorama d’avoir, en contrepartie de la réduction de
ses délais de paiement imposée par la Loi de modernisation de l’économie, inclus dans ses
accords commerciaux pour 2009 une clause prévoyant le paiement des remises sous forme
d’acomptes mensuels réglés uniquement par virement, tout retard de paiement entraînant
l’application d’une pénalité de retard pouvant être déduite de plein droit des règlements dus au
fournisseur.
Les contrats ne comportaient aucune clause prévoyant la modification du montant des acomptes
en cas de variation d’activité.
C’est au regard de ces faits que le Tribunal de commerce s’est prononcé sur l’existence
d’un « déséquilibre significatif » entre les droits et obligations des parties.
B. Appréciation de la Cour
Le tribunal de commerce de Lille a estimé que les pratiques précédemment énoncées
avaient créé un « déséquilibre significatif » entre les droits et obligations des parties au
détriment du fournisseur. Et ce, pour certaines raisons.
Tout d’abord, la mensualisation du paiement des acomptes traduisait une stratégie
délibérée du distributeur visant à améliorer sa propre trésorerie alors qu’elle engendrait des
surcoûts financiers pour les fournisseurs et conduisait inévitablement à une dégradation de leur
fond de roulement.
Bénéficiant de l’accord dérogatoire applicable au secteur du bricolage, les délais de paiement
pratiqués par Castorama pour régler ses fournisseurs et ceux exigés pour le règlement des
acomptes révélaient un différentiel de 2 à 3 mois défavorable aux fournisseurs, ce qui était
contraire aux engagements pris devant le Conseil de la concurrence7.
Les délais, qui n’étaient pas réciproques et n’avaient pas été véritablement négociés,
pénalisaient les fournisseurs et les créances d’acomptes ne pouvaient pas être considérées
comme certaines, liquides et exigibles dès lors que les demandes d’acomptes mensuels privaient
les ristournes de leur caractère conditionnel.
7
Avis 09-A-02 du 20 février 2009.
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Ensuite, le taux journalier des pénalités de retard fixé à 1 % du montant réglé, même
plafonné à 10 %, était usuraire et le principe d’une compensation entre ces pénalités et les
règlements en cours aux fournisseurs était contestable.
Les pénalités avaient été imposées sans concertation et contribuaient à renforcer la dépendance
des fournisseurs en mettant à leur charge le poids de la réclamation, ce qui aggravait le
déséquilibre de la relation en leur défaveur.
Enfin, l’obligation de paiement des acomptes par virement avait été imposée de manière
unilatérale alors que le choix du moyen de paiement doit rester une liberté économique
négociable et que le principe de réciprocité entre distributeur et fournisseur doit être recherché
dans la négociation.
Or, le système de pénalités mis en place constituait un moyen de pression fort pour obliger le
fournisseur à l’usage du virement tandis que dans le même temps Castorama ne s’interdisait pas
le recours à d’autres moyens de paiement pour ses propres règlements ou à la compensation
comme pour les pénalités.
Selon les juges du fond, même si Castorama avait cherché à personnaliser les
échéanciers mensuels de ses différents fournisseurs, il n’avait prévu aucune clause de
modification en cours de contrat au cas où le volume d’affaires avec le fournisseur viendrait à
baisser de manière significative.
Cela pouvait se traduire par une surestimation anormale des montants des acomptes réclamés
par Castorama, qui de son côté n’avait pris aucun engagement de volume d’achat, de sorte que
les acomptes ne correspondraient alors pas à un chiffre d’affaires effectif. Du coup en cas
d’évolution négative d’activité, la charge de la réclamation incombait au fournisseur, ce qui le
mettait en situation de dépendance vis-à-vis de Castorama.
Le tribunal a conclu pour ordonner la cessation des pratiques litigieuses que celles-ci ne
respectent pas l’esprit de la Loi de modernisation de l’économie, n’étant pas réciproques, sans
contreparties et nettement défavorables aux fournisseurs.
Leur ampleur est caractérisée et elles s’appuient sur un rapport de dépendance lié à la puissance
d’achat du distributeur.
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Comme l’y invite la loi, le juge n’a pas procédé à une analyse de l’économie globale du
contrat ou à une évaluation des obligations imposées au fournisseur pour apprécier l’existence
d’un potentiel déséquilibre mais à une mise en perspective de ces obligations avec les droits et
obligations corrélatives du distributeur.
En dernier lieu, le tribunal de commerce de Lille a prononcé une amende civile de 300
000 euros.
C. Appréciation de la solution
Cette décision nous apporte les premières pistes explorées par les juges en matière de
lutte contre le « déséquilibre significatif » dans les relations entre professionnels.
Le tribunal de commerce de Lille nous apporte deux enseignements. D’une part, on voit
que les juges apprécient le déséquilibre de manière globale et non clause par clause.
D'autre part, le tribunal semble accorder de l'importance au caractère négocié ou non des
clauses. Effectivement, le jugement relève que certaines clauses ont été imposées par le
distributeur à son fournisseur.
Le tribunal de commerce constate que le système de pénalités a été imposé sans concertation. Il
en est de même, à propos du recours au virement imposé au fournisseur. Selon Nicolas Mathey8,
la signification de cette référence à l'unilatéralisme et à l'absence de négociation reste ambiguë.
Elle pourrait aussi bien impliquer une prise en compte de la puissance du distributeur et de la
dépendance du fournisseur dans une logique concurrentielle qu'illustrer un jugement relevant de
la morale contractuelle.
On peut alors se demander si l'absence de négociation peut être un élément
d'appréciation du déséquilibre voire une condition d'application de l'article L. 442-6, I, 2° du
Code de commerce ? Le caractère pré rédigé et non négocié d'une clause peut certainement être
pris en considération par le juge pour déterminer le caractère déséquilibré d'une clause. Selon
Nicolas Mathey il ne semble pas souhaitable de transformer cet indice en présomption.
Nous pouvons noter que le tribunal de commerce de Lille fait parfois référence à
l'existence d'une relation de dépendance entre le distributeur et son fournisseur. Cela renvoie aux
8
Nicolas Mathey, Première application du nouvel article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce, Revue Contrats
Concurrence Consommation n° 3, Mars 2010, comm. 71.
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interrogations que nous avons envisagé plutôt, et notamment celle de Marie Malaurie Vignal
concernant le type d’interprétation qui devrait être faite de la notion de « déséquilibre
significatif ».
Toutefois, les juges lillois ne font pas de la dépendance une condition d'application du texte.
Elle constitue davantage un élément d'appréciation du déséquilibre qu’une condition formelle.
Cettee décision, première du genre, n’a, à l’époque, pas vocation à rester la seule très
longtemps. En effet, sous le visa de l’article L. 442-6 du Code de commerce, et l’action
autonome du ministre de l’Economie, des décisions de la sorte devraient suivre.
§ 2 : La décision du tribunal de Commerce de Bobigny du 13 juillet 2010
Le tribunal de commerce de Bobigny a, le 13 juillet 2010, traité un problème de
« déséquilibre significatif » dans les droits et obligations des parties. Il convient de présenter le
contexte de cette affaire (A), avant de la commenter (B).
A. Le contexte de l’affaire
Assigné à l’automne dernier, comme plusieurs autres enseignes de la grande distribution,
par le ministre de l’Economie sur le fondement de nouvelles dispositions de l’article L. 442-6, I,
2° du code de commerce, la société Darty a décidé de soulever la question de leur conformité à
la Constitution9, rejoint dans sa démarche par Système U et Leclerc.
Selon l’enseigne, elles seraient assimilables à des dispositions d’ordre pénal et donc soumises au
respect du principe de la légalité des peines et des délits, consacré par la déclaration des droits
de l’homme et du citoyen.
Ce principe impose que les éléments constitutifs des peines et délits soient définis par le
législateur de manière claire et précise. Or, la notion de « déséquilibre significatif » soulève de
grandes difficultés d’interprétation.
Le tribunal de commerce de Bobigny a estimé devoir transmettre à la Cour de cassation
la question soulevée par Darty pour ces raisons.
9
Tribunal de commerce de Bobigny, 13 juillet 2010, RG n°2010F00541, Ministre de l'Économie c/ Sté
Établissements Darty et fils.
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La Cour de cassation10 a décidé de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel.
Après avoir relevé que la disposition contestée est applicable au litige et qu’elle n’a jamais été
déclarée conforme à la Constitution, la Cour a considéré qu’elle présentait « un caractère
sérieux au regard de la conformité du libellé de l’interdiction énoncée à l’article L. 442-6, I, 2°
du code de commerce, aux exigences de clarté et de précision résultant du principe de l'égalité
des délits et des peines ».
La question prioritaire de constitutionnalité posée au Conseil constitutionnel par la Cour de
Cassation et Système U et le Galec (sur pourvoi TC Bobigny, 13 juillet 2010) le 15 octobre
2010 est la suivante : "L'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce porte-t-il atteinte aux droits
et libertés garantis par la Constitution, plus précisément, au principe de légalité des délits et
des peines consacré par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789 ?".
Le Conseil constitutionnel, disposait, au 15 octobre de trois mois pour statuer. Nous
aurons donc une réponse en janvier 2011, d’ici là, on peut se demander quelle pourrait être la
décision prise par le Conseil constitutionnel.
B. Appréciation de la situation
La société incriminée effectue une manœuvre consistant à déplacer le débat sur le plan
pénal afin de contourner les sanctions de l’article L.442-6 du code de commerce.
On peut donc se demander quelle est la réelle nature de ces dispositions, afin de savoir si elles
doivent être soumises au principe de la légalité des peines et des délits. Quelques décisions et
positions doctrinales peuvent nous éclairer sur cette question.
La CJCE dans l’arrêt Hüls du 8 juillet 1999 a admis que la procédure devant le Conseil
de la concurrence ou devant la Commission est de nature « quasi pénale ».
De plus, dans l’arrêt Oury du 5 février 1999, l’assemblée plénière de la Cour de cassation, a
précisé que les amendes prononcées par la Commission peuvent être qualifiées de pénales.
10
Cour de cassation, chambre commerciale, 15 Octobre 2010, N° 1138, 10-14.866.
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En revanche, la procédure devant les juridictions internes ne s'apparente nullement à celle
devant les autorités de concurrence, et ce, même si le Ministre est doté de prérogatives
exceptionnelles.
Selon Marie Malaurie Vignal11, l'amende civile se distingue de la sanction prononcée par les
autorités de concurrence. Certes, elle est élevée et s'ajoute aux dommages et intérêts, mais si
l’on dit quelle est de nature pénale, alors bon nombre de dispositions de l'article L. 442-6 seront
déclarées contraires à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme.
Marie Malaurie Vignal avance un argument de taille pour prouver que cette sanction ne peut être
d’ordre pénal : l'ordonnance de 1986 et les réformes successives tendent à dépénaliser les
pratiques restrictives.
Il serait donc logique de considérer que la responsabilité résultant de l'article L. 442-6 soit
d’ordre civil et non pénal.
La décision du Conseil constitutionnel est primordiale quand à l’avenir de ce système de
contrôle des relations commerciales.
SECTION 2 : L’AVENIR DU DISPOSITIF
Le premier jugement rendu par le tribunal de commerce de Lille démontre la volonté du
Gouvernement et de son administration de faire appliquer dans toute sa rigueur, mais aussi dans
tout son esprit, la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008. Ne doutons pas que ce
jugement fera l'objet d'un appel et qu'il ne s'agit donc pas d'un jugement définitif.
Il faut prendre en compte également les sanctions qui pourront être prononcées au titre
de l'amende civile. La marge de manœuvre dont dispose les tribunaux de commerce est grande
désormais dans la détermination du quantum de cette amende.
11
Marie Malaurie-Vignal, Le déséquilibre significatif pris dans la tourmente de la question prioritaire de
constitutionnalité, Revue Contrats Concurrence Consommation n° 12, Décembre 2010, comm. 280.
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En outre, ce nouveau dispositif est remis en cause par son passage devant le Conseil
constitutionnel. Nous attendons qu’il se prononce sur la constitutionnalité du dispositif de
sanction prévu par l’article L. 442-6, I, 2°.
A ce titre, nous pouvons nous interroger sur l’avenir de ce dispositif, ses difficultés
d’appréhension n’en permettant pas pour l’instant, une application uniforme.
On a voulu une réforme, mais elle ne semble pas avoir eu l’effet escompté. On voulait
instaurer un contrôle des relations entre professionnels, et notamment protéger les fournisseurs
face aux méthodes abusives des grands distributeurs. Mais on rencontre des difficultés
concernant l’appréhension de cette notion.
Le fait que la DGCRRF ait précisé, notamment par le biais d’un jeu de questions-réponses sur
son site internet, la notion de « déséquilibre significatif » est révélateur de la difficulté de sa
mise en œuvre. Si les choses avaient été si claires et précises, il n’aurait, en effet, pas été
nécessaire d’y recourir.
Ce nouveau contrôle issu de la Loi pour la modernisation de l’économie n’est au final
pas clair. La volonté du législateur était surement de laisser la plus grande marge
d’interprétation possible aux juges, mais cela semble se retourner contre lui.
Effectivement, l’avenir de ce dispositif de contrôle des relations commerciales dépend de la
décision du Conseil constitutionnel.
Rappelons que lorsqu’il est saisi le Conseil constitutionnel a trois mois, à compter du
jour où il a été saisi, pour rendre sa décision.
Si le Conseil constitutionnel déclare la disposition contestée conforme à la Constitution, la
juridiction doit l’appliquer, à moins qu’elle ne la juge incompatible avec une disposition du droit
de l’Union européenne ou d’un traité.
Si le Conseil constitutionnel déclare la disposition contestée contraire à la Constitution, il y aura
alors deux conséquences. Dans un premier temps, l’application de la disposition est écartée dans
le procès concerné et la disposition est abrogée soit immédiatement, soit à compter d’une date
ultérieure fixée par le Conseil lui-même.
Quelle que soit la décision du juge constitutionnel, la question ne manquera pas de rebondir, car
en cas d’inconstitutionnalité, c’est toute l’architecture du système qui pourrait s’en trouver
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bouleversée. C’est une nouvelle bataille devant le juge constitutionnel à laquelle nous n’étions
pas habitués.
On ne peut que critiquer le législateur, qui, pour remplacer le contrôle défaillant de
l’abus de dépendance économique, a proposé un concept flou, laissant ainsi une (trop ?) grande
marge d’appréciation aux juges, et aux parties, mettant ainsi ce système sur la sellette du
contrôle de constitutionnalité.
Le législateur n’a pas procédé à l’encadrement nécessaire et attendu de cette notion, et
nous pouvons regretter que l’avenir de ce système dépende de la future décision du Conseil
constitutionnel.
Il est regrettable qu’après plus de deux ans, nous soyons dans un flou total concernant
cette notion de « déséquilibre significatif ».
Il convient de conclure cette présentation sur la notion de « déséquilibre significatif » en
présentant la décision du Conseil constitutionnel.
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CONCLUSION
Le Conseil constitutionnel a rendu le jeudi 13 janvier une décision par laquelle il
reconnaît la conformité à la Constitution de la notion de « déséquilibre significatif » dans les
relations commerciales.
Le Conseil constitutionnel considère que pour déterminer l'objet de l'interdiction des
pratiques commerciales abusives dans les contrats conclus entre un fournisseur et un
distributeur, le législateur s'est référé à la notion juridique de « déséquilibre significatif » entre
les droits et obligations des parties qui figure à l'article L. 132-1 du code de la consommation
reprenant les termes de l'article 3 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993.
En référence à cette notion, dont le contenu est déjà précisé par la jurisprudence, l'infraction est
définie dans des conditions qui permettent au juge de se prononcer sans que son interprétation
puisse encourir la critique arbitraire.
Le conseil ajoute que la juridiction saisie peut, conformément au sixième alinéa du paragraphe
III de l'article L. 442-6 du code de commerce, consulter la commission d'examen des pratiques
commerciales composés des représentants des secteurs économiques intéressés. Eu égard à la
nature pécuniaire de la sanction et à la complexité des pratiques que le législateur a souhaité
prévenir et réprimer, l'incrimination est définie en des termes suffisamment clairs et précis pour
ne pas méconnaître le principe de légalité des délits.
L’association nationale des industries alimentaires s’est félicitée dans un communiqué de
cette décision qui « renforce la légitimité de la LME ». « La notion de déséquilibre significatif
constitue le garde-fou réclamé par l’ensemble des fournisseurs de la distribution pour que la
libéralisation de la négociation commerciale n’aboutisse pas à la loi de la jungle », poursuit
l’Ania. Selon l’association, cette notion permet de contrebalancer le rapport de force
défavorable aux fournisseurs.
Suite à cette décision, Christine Lagarde a annoncé que les assignations contre les neuf
enseignes de la grande distribution allaient pouvoir reprendre leur cours. Frédéric Lefebvre a
ajouté qu’il avait décidé de « donner systématiquement suite aux demandes d’assignations qui
seraient faites par la DGCCRF ».
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Cette décision du Conseil constitutionnel vient consacrer ce dispositif de contrôle des
relations commerciales. Elle n’apporte cependant pas beaucoup de réponses à nos interrogations.
Nous nous demandions si ce dispositif était de nature pénale ou civile. La solution de facilité
aurait été d’en souligner la nature civile. Mais il en a été autrement, puisque le Conseil
constitutionnel a préféré se référer à la notion de « déséquilibre significatif » du droit de la
consommation, en faisant un amalgame entre la notion consumériste et concurrentielle.
Selon le Conseil constitutionnel, le fait que la notion consumériste soit précisée, définie,
encadrée par la jurisprudence permettrait de la définir en des termes suffisamment clairs et
précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits et des peines.
Le Conseil ne se prononce pas directement sur la nature de ce système de contrôle des relations
commerciales, mais se contente de dire qu’il ne va pas à l’encontre du principe de légalité des
délits et des peines.
Nous avons vu plus tôt sans rentrer dans les détails, que l’article L 442-6 I, 2° s’inspirait
du droit de la consommation. Mais nous avons vu qu’en définitive, malgré leur proximité, les
notions n’étaient pas exactement de même nature.
Le raisonnement du Conseil constitutionnel parait alors être dénué de sens. Nous pouvons en
outre lui reprocher de ne pas s’appuyer sur des arguments concrets, et notamment de ne pas
apporter de précisions sur les jurisprudences visées dans sa décision.
Nous pourrions penser que le Conseil constitutionnel n’a pas voulu se compliquer la
tache, et que sa seule volonté était le maintien de ce dispositif. La volonté affichée des pouvoirs
publics est de rééquilibrer les rapports entre les fournisseurs et les distributeurs. Il semble que le
Conseil constitutionnel n’ait pas voulu aller à l’encontre de ce mouvement en se cachant derrière
de faux arguments.
Il ne nous reste plus qu’à attendre de voir de quelle manière les juges, et notamment la
Cour de cassation vont appliquer ce dispositif en pratique. Le litige qui avait donné lieu à la
QPC va reprendre son cour, et alors nous en saurons alors un peu plus sur cette notion de
« déséquilibre significatif ». Retenons simplement que ce dispositif avait vocation à devenir le
moyen de contrôle phare des relations commerciales et que cette position à été renforcée grâce à
la décision du Conseil constitutionnel.
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BIBLIOGRAPHIE
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Didier Ferrier, Droit de la distribution, Litec, 5ème édition, 2009.
Daniel Mainguy, Jean-Louis Respaud, Malo Depincé, Droit de la concurrence, Litec, 2010.
B. Revues
Jean-Christophe Grall, Pratiques restrictives de concurrence : condamnation d'une grande
surface pour déséquilibre manifeste, La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 5, 4 Février
2010, act. 84.
Martine Béhar-Touchais, Première sanction du « déséquilibre significatif » dans les contrats
entre professionnels : l’article L. 442 – 6, I , 2° du code de commerce va-t-il devenir une
machine à hacher le droit Revue Lamy de la concurrence avril/juin 2010
Marie Malaurie-Vignal, La LME affirme la liberté de négociation et sanctionne le « déséquilibre
significatif », Revue Contrats Concurrence Consommation n° 10, Octobre 2008, comm. 238.
Marc Pichon de Bury et Chloé Minet, Incidences de la suppression de l’article L. 442-6, I, 1° du
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Revue Contrats Concurrence Consommation n° 12, Décembre 2008, étude 1.
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n° 11, Novembre 2008.
Nicolas Mathey, Première application du nouvel article L. 442-6, I, 2° du Code de commerce,
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Marie Malaurie-Vignal, Le « déséquilibre significatif » pris dans la tourmente de la question
prioritaire de constitutionnalité, Revue Contrats Concurrence Consommation n° 12, Décembre
2010, comm. 280.
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Sophie Le Gac-Pech, L'établissement des relations de distribution : entre classicisme et
modernité, Revue Contrats Concurrence Consommation n° 11, Novembre 2009, étude 12.
C. Législation
Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.
D. Jurisprudences et décisions
Tribunal de commerce de Lille, audience du 06 janvier 2010,N° 2009-05184.
Tribunal de commerce d’Annonay, arrêt du 12 janvier 2007, SAS Carrefour France c/ le
ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie
Tribunal de commerce de Bobigny, 13 juillet 2010, RG n°2010F00541, ministre de l'Économie
c/ Sté Établissements Darty et fils.
Cour de cassation, Chambre commerciale, 15 Octobre 2010, N° 1138, 10-14.866.
E. Sources Internet
Thierry Charles, « LME une attaque en règle », disponible sur internet : http://www.cfonews.com/LME-une-attaque-en-regle_a15750.html
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TABLE DES MATIERES
Sommaire .................................................................................................................. 2
Introduction.............................................................................................................. 3
Chapitre 1 : Les aspects théoriques du « déséquilibre significatif »................... 4
Section 1 : La notion de « déséquilibre significatif » .............................................. 4
§ 1 : Les origines de la notion de « déséquilibre significatif » ...................................... 4
A. Les inspirations consuméristes de cette notion ......................................................... 4
B. La distanciation avec la vision consumériste ............................................................ 6
§ 2 : Les caractères de la notion de « déséquilibre significatif » ................................... 7
A. Un palliatif au faible succès de l’abus de dépendance économique ......................... 7
B. L’identification du déséquilibre ................................................................................ 8
Section 2 : Les incidences de la création de cette notion ...................................... 8
§ 1 : De nouvelles possibilités ........................................................................................ 8
A. Vers un nouveau rôle du juge ? ................................................................................ 9
B. Vers une intervention renforcée du ministre chargé de l'Économie ?..................... 10
§ 2 : De nouvelles interrogations.................................................................................. 11
A. La question de l’interprétation du « déséquilibre significatif » .............................. 11
B. La question du type de contrôle qui doit avoir lieu ................................................ 12
Chapitre 2 : Le « déséquilibre significatif » en pratique ................................... 14
Section 1 : Les premières applications jurisprudentielles .................................... 14
§1 : La décision du tribunal de commerce de Lille du 6 janvier 2010 ......................... 14
A. Contexte de l’affaire ............................................................................................... 14
B. Appréciation de la Cour .......................................................................................... 15
C. Appréciation de la solution ..................................................................................... 16
§ 2 : La décision du tribunal de commerce de Bobigny du 13 juillet 2010 ................. 17
A. Le contexte de l’affaire ........................................................................................... 18
B. Appréciation de la situation .................................................................................... 19
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Section 2 : L’avenir du dispositif ........................................................................... 20
Conclusion .............................................................................................................. 25
Bibliographie .......................................................................................................... 25
Table des matières ................................................................................................. 27
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