D`ici à 2100, 100 à 200 millions de personnes devront quitter leur
Transcription
D`ici à 2100, 100 à 200 millions de personnes devront quitter leur
Le siècle des réfugiés climatiques D’ici à 2100, 100 à 200 millions de personnes devront quitter leur terre qui aura été immergée ou rendue inhabitable à cause du réchauffement de la planète. Où iront ces peuples ? Que provoqueront ces exodes ? Des communautés et des cultures sont en péril. Textes et photos Collectif Argos D epuis la création du GIEC (Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat) par les Nations unies en 1988, la communauté scientifique mondiale se préoccupe sérieusement du problème de réchauffement climatique. Pendant une quinzaine d’années, les rapports d’experts se sont limités, le plus souvent, au constat, affiné au fil des recherches, d’un réchauffement mondial qui s’accélérait. Les temps changent. Lors de la conférence internationale Avoiding Dangerous Climatic Change*, qui s’est tenue à Exeter en GrandeBretagne en février 2005, le ton s’est, pour la première fois, aggravé. Le rapport final relève que «les écosystèmes subissent déjà les impacts du changement climatique et que des modifications se sont aussi produites sur la calotte glaciaire, les glaciers et le régime des pluies». Mais cela ne s’arrête pas là: les scientifiques constatent également que les bouleversements attendus entraîneront des conséquences catastrophiques dans les pays qui n’auront pas les moyens d’y faire face. Des catastrophes que les hommes paieront au prix fort, notamment par l’exil. «On pourrait compter 150 millions de réfugiés du climat d’ici à 2050 », a déclaré Rajandra Pachauri, président du GIEC, lors de cette conférence. De son côté, le climatologue français Jean Jouzel, lui aussi membre du GIEC, affirme que, si la mer monte d’un mètre d’ici à la fin du siècle, scénario qui n’est pas à exclure, 200 millions de personnes devront être déplacées. LES POPULATIONS CÔTIÈRES EN PREMIÈRE LIGNE Selon les chiffres du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement), 40% de la population mondiale vit à moins de 60kilomètres des côtes. L’impact du cyclone Katrina qui, en août 2005, a ravagé La Nouvelle-Orléans, région des États-Unis grande comme la moitié de la France, a cruellement mis en lumière la vulnérabilité de ces populations côtières face aux risques climatiques. Certes, le lien scientifique qui expliquerait l’augmentation avérée du nombre et de l’intensité des cyclones par le réchauffement climatique n’est pas clairement établi, mais pour bon nombre de chercheurs, la cause est entendue. Les milliers de réfugiés de La Nouvelle- Terre sauvage IXXIVI février 2006 Orléans pourraient, un jour, être désignés comme les victimes du premier grand exode dû au réchauffement climatique... Les micro-États insulaires de l’océan Indien et du Pacifique n’ont pas attendu les événements de Louisiane pour dire au monde leur appréhension face à la montée des eaux programmée. En novembre 1989, 14 d’entre eux (dont La Barbade, les îles Fidji, Grenade, les Seychelles, Vanuatu) se sont réunis à Malé, capitale des Maldives, pour une conférence sur le réchauffement climatique et le niveau des mers. La Déclaration de Malé appelle tous les États de la planète à prendre des mesures immédiates en termes d’économies d’énergie et à s’orienter dès que possible vers des énergies alternatives moins polluantes. Elle marque aussi une prise de conscience des peuples en danger et leur sentiment d’être victimes d’une terrible injustice : les Maldives, par exemple, participent à moins de 0,01% des émissions de gaz à effet de serre, mais seront parmi les premiers États à disparaître si le processus qui réchauffe la planète n’est pas rapidement enrayé! DES EXILÉS DÉFINITIFS L’augmentation du niveau des mers menace aussi les grands deltas comme celui du Bangladesh où 14 millions de personnes –10 % de la population du pays – sont en danger. Plus au froid, le dégel des sols arctiques et le recul de la banquise posent de sérieux problèmes. Tout comme la sécheresse et le changement du régime des pluies, qui affectent l’Afrique et particulièrement les populations riveraines du lac Tchad. Montée des océans, dégel des sols arctiques, sécheresses, accès à l’eau potable, risques de famine... sont autant de phénomènes qui pousseront des communautés, voire des peuples entiers, à migrer. Aux côtés des réfugiés politiques et économiques étaient apparus les réfugiés écologiques. Parmi ces derniers, pointent désormais les réfugiés climatiques. Ils seront, demain, au cœur de la problématique posée par le réchauffement de la planète avec, en corollaire, la délicate question de leur statut international. Mais pour eux, le retour vers la terre d’origine sera impossible. Or c’est justement sur cette hypothèse, réelle ou fantasmée, que les exilés, quels qu’ils soient, s’appuient pour maintenir l’enracinement de leur culture. ◗ Guy-Pierre Chomette / Argos * Éviter un changement climatique dangereux. Terre sauvage IXXVI février 2006 [réfugiés] Alaska : le village qui sombre P our la petite communauté inupiak S Shishmaref de Shishmaref, en A L ASK A ( USA) Alaska, non loin du A détroit de Béring, le Mer M er de Bér érring ingg réchauffement climatique n’est plus seulement une théorie. Depuis une vingtaine d’années, l’érosion naturelle des côtes de la petite île (6 km de long sur 500m de large) s’aggrave dangereusement. De mémoire d’anciens, la violence des tempêtes d’automne et la taille des morceaux de rivage que la mer dévore n’ont pas d’équivalent dans l’histoire. Accusé? Le réchauffement climatique, particulièrement prononcé en Alaska. Le permafrost, sol gelé en permanence des régions polaires, dégèle progressivement. À Shishmaref, comme dans de très nombreux villages côtiers, le rivage a perdu la dureté du roc et ne résiste plus à l’assaut des vagues. De plus, la banquise rétrécit d’année en année et RUSSIE Les habitants ont voté le déménagement du village sur le continent, non loin de leur territoire de chasse et de pêche traditionnel. Terre sauvage IXXVII février 2006 ne protège plus la rive contre l’érosion. Les quatre digues construites pour tenter d’enrayer le phénomène ont fini par sombrer. Avec ses éternels protège-oreilles qui le garde de la morsure du froid, Jimmy Nayopuk est descendu sur la plage, recouverte de neige. D’un geste mélancolique, il montre la mer, le rivage proche. « Ma maison était là, explique-t-il, à 30 mètres d’ici. Pendant la tempête de 2000, on n’a rien pu faire. Elle s’est fracassée en tombant. J’ai perdu toutes mes affaires… Depuis, j’habite chez ma mère. Je n’ai pas de quoi rebâtir une maison.» Son cousin Johnny Weyiouanna a eu plus de chance. En 1997, à la suite d’une terrible tempête, la municipalité a déplacé 18 maisons menacées. Johnny se souvient de sa maison suspendue dans les airs par une grue puis tirée sur des skis géants jusqu’à l’autre bout du village, à l’écart des flots menaçants. DÉMÉNAGER, SANS SE PERDRE À Shishmaref, on sait bien que cette solution est provisoire, que cela revient à reculer pour mieux sauter. Mais sauter où ? Dans l’inconnu. D’après les experts, les 600 Inupiak devront avoir abandonné Shishmaref d’ici à quinze ans. En 2002, lors d’un référendum local, 88 % des habitants ont voté pour le déménagement du village à Tin Creek, un espace vierge du continent, protégé de l’érosion, qui a le mérite de n’être qu’à une quinzaine de kilomètres de Shishmaref. Cette proximité permettrait aux Inupiak, dont la vie est encore largement fondée sur une économie de subsistance, de conserver leur culture, intimement liée au territoire ancestral et à l’environnement proche. Comme chaque village de cette communauté d’Alaska, les habitants de Shishmaref ont leurs propres coutumes, leur dialecte, leur façon de chasser et de pêcher… Or, rien ne dit que les Inupiak de Shishmaref obtiendront gain de cause. Estimé à près de 200 millions de dollars, le déménagement à Tin Creek, où toutes les infrastructures seront à construire, coûte plus cher qu’un relogement dans la ville de Nome, 5 000 habitants, à 200 km au sud de Shishmaref. Une solution qui a les faveurs de l’État d’Alaska et des agences de financement fédérales, mais qui, aux yeux des Inupiak, se traduirait par la dissolution rapide des liens communautaires et par l’irrémédiable disparition de leur culture unique. ◗ Guy-Pierre Chomette / Argos L’île où se situe Shishmaref est condamnée : la banquise ne la protège plus assez, la mer des Tchouktches grignote le permafrost ramolli . La chasse au phoque, tradition ancestrale des Inupiak de Shishmaref, assure une part importante de leur alimentation. Roberta et Johnny arpentent le rivage où, il y a peu, se dressait leur maison. Elle a été déplacée pour éviter de basculer dans la mer. Terre sauvage IXXVIII février 2006 [réfugiés] En rassemblant les lys d’eau, Ismail essaie une nouvelle technique : créer un « jardin flottant » sur une parcelle anormalement inondée. Pendant la mousson, les digues se détériorent, rongent les fragiles habitations. Il faut sans cesse réparer ou reconstruire. À Pankali, Abdul explique le réchauffement climatique. Il montre que la mangrove sert de protection naturelle contre les cyclones. Concurrence pour la vie dans le golfe du Bengale U Ga n seau à la main, une grande épuisette NDE sur l’épaule, Raman Mulah, 32 ans, saute sur IND DE DE une berge vaseuse, fraîchement découverte par le reflux. La peur au ventre, il reste immobile quelques instants avant de commencer sa pêche aux alevins de crevettes: au moindre frémissement de la forêt, il se précipitera vers son bateau. Avec l’espoir de l’atteindre avant que les crocs et les griffes d’un tigre ne se soient enfoncés dans ses chairs. Raman Mulah vit à Pankali, un hameau établi à proximité des Sundarbans, une immense mangrove, inscrite par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité, sanctuaire du tigre du Bengale. Or, depuis une dizaine d’années, ce magnifique félin multiplie ses attaques sur l’homme. Une agressivité qui La crue, naturelle dans le delta, est vécue comme une bénédiction car elle fertilise les terres. Sauf si elle dure trop ou que les eaux sont trop salées. Ce qui devient fréquent. Terre sauvage IXXVIIII février 2006 n’est pas sans lien avec le réchauffement climatique. Selon le professeur Uddin Ahmed, expert en hydrologie, le principal problème est «l’augmentation de l’amplitude des marées. Elle permet à l’eau salée de remonter les rivières de plus en plus haut, provoquant l’inondation et la salinisation des terres arables ainsi que la contamination des nappes phréatiques du Sud-Ouest». UNE ÉMIGRATION MASSIVE À L’ÉCHELLE INTERNATIONALE Cela affecte gravement la population, essentiellement rurale, de cette région: pour s’en sortir, un nombre croissant de familles vient puiser un complément de ressources dans les Sundarbans. Les unes y pêchent ou chassent, les autres coupent du bois ou ramassent du miel sauvage. Au total, selon Uddin Ahmed, plus de cinq millions de familles dépendraient aujourd’hui de la mangrove, pour leur subsistance, complète ou partielle. Pas étonnant que le tigre s’en prenne à ces concurrents envahissants. D’autant que le fragile écosystème qui constitue son espace vital encaisse mal la montée des eaux et l’augmentation de la salinisation. À Pankali, la famille Mulah est très consciente de ce qu’implique, à terme, la dégradation des Sundarbans. Car, en plus d’un grenier, la mangrove s’avère un rempart efficace contre les cyclones du golfe du Bengale – eux-mêmes susceptibles d’augmenter leur intensité dévastatrice avec l’accentuation du réchauffement planétaire. Si le Sud-Ouest est la région la plus exposée aux risques, c’est, pour Uddin Ahmed, le Bangladesh tout entier qui est aujourd’hui menacé: sécheresses au nord-ouest, érosion fluviale et inondations prolongées au centre, élévation du niveau de la mer et activité cyclonique au sud. Comme toujours, les Bangladeshi cherchent à s’adapter. Mais les scientifiques, tel Uddin Ahmed, savent bien que, d’ici un siècle, dans cet État qui compte déjà 140 millions d’habitants sur un territoire cinq fois plus petit que la France, un désastre se profile. Le géographe Maudood Elahi résume ainsi la situation: «Sachant que le départ vers les pays voisins, confrontés à des problèmes identiques, sera impossible, la planification de l’émigration massive qui s’annonce doit se faire à l’échelle internationale.» ◗ Donatien Garnier / Argos Terre sauvage IXXIXI février 2006 [réfugiés] Les Maldives, paradis artificiel L’île d’Hulhumalé a été construite, entre 1997 et 2004, pour pallier la surpopulation de Malé. Elle accueille déjà 2 000 personnes. Terre sauvage IXXXI février 2006 1987 : Malé, l’île-capitale subit une inondation terrible. Une digue en béton, qui enserre presque l’île, est bâtie avec l’aide du Japon. Les îles-hôtels entretiennent les plages, rongées par l’érosion, avec des digues de sable. Le tourisme procure 70 % des revenus du pays. D ans son bureau situé au centre de SRI Malé, la petite capiAN tale des Maldives, MohaOccéa éan Indien med Ali, directeur du Centre de recherches environnementales, montre les courbes qu’il a réalisées à l’aide de mesures prises dans tout le pays. Ces dix dernières années, le niveau de l’eau s’est élevé de cinq cm! «Sur ce même rythme, cela fera vingtcinq cm d’ici à 2050, résume-t-il. Et en fait, j’ai bien peur que cela soit pire encore, car le réchauffement s’accélère.» On comprend l’inquiétude du scientifique: l’altitude moyenne de l’archipel culmine à un mètre au-dessus du niveau de la mer. Les Maldives, constituées de près de 1200 îles (dont 200 seulement sont habitées) réparties dans l’océan Indien sur environ 300 km2, pourraient disparaître en partie, d’ici à la fin du siècle. Nul ne sait ce qu’il adviendra de ses 320000 habitants. Où iront-ils? La société et la culture maldiviennes survivront-elles à l’exode? Mohamed Ali l’ignore. En revanche, il pense que cette échéance dramatique pourrait arriver plus rapidement : « Plus que le I ND E niveau de l’eau, c’est l’érosion qui risque de nous être fatale. Chaque centimètre d’eau supplémentaire démultiplie la force d’érosion des vagues. Partout dans l’archipel, nous constatons que l’érosion des plages, phénomène naturel que les Maldives ont toujours connu, s’accentue depuis quelques années.» Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, la barrière de corail, véritable digue naturelle qui protège les îles en cassant l’assaut des vagues et en écartant des rives prédateurs et parasites est, elle aussi, menacée par le réchauffement climatique. Car le corail, organisme vivant, réagit vite aux variations de température de l’eau. STRATÉGIES DE REPLI Les phénomènes climatiques semblent aussi s’intensifier avec le réchauffement. En 1998, El Niño a porté les eaux turquoise des Maldives de 28°C à 31°C en quelques jours. Un coup de chaud suffisant pour anéantir une grande partie des coraux! Depuis, les scientifiques du Centre de recherches océaniques de Malé s’étonnent de la rapidité avec laquelle le corail repousse par endroits. Mais il faudra une ou deux décennies avant que l’accident de 1998 ne soit effacé, si rien ne vient l’aggraver entre-temps… Sans aller jusqu’à parler d’évacuation générale, les Maldiviens ne se voilent pas la face. Conçus à l’origine sans lien direct avec le réchauffement climatique, deux programmes de développement de l’archipel pourraient apporter des solutions. Le premier consiste à réduire le nombre d’îles habitées. Devant l’impossibilité de développer correctement 200 îles, le gouvernement propose aux habitants de migrer sur 80 îles, « à développement prioritaire». Sur celles-ci, le minimum de services publics serait assuré. Il sera toujours plus facile de les protéger contre l’érosion, à l’image de Malé qui s’est ceinturée d’une muraille financée par le Japon. Le second programme est encore plus ambitieux: créer des îles. Construite pour désengorger la capitale, victime d’une surpopulation galopante, l’île artificielle de Hulhumalé, à 2 kilomètres de Malé, culmine à deux mètres au-dessus des flots. Imaginée pour accueillir 150000 habitants à l’horizon 2050, elle sera sans doute la seule île des Maldives à passer le cap du XXIIe siècle à pied sec. ◗ Guy-Pierre Chomette / Argos Aux Maldives, l’Ademe mène, avec les autorités, un programme visant à développer les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique dans les transports et les bâtiments pour faire face à la croissance avec des moyens de production plus écologiques et durables. Terre sauvage IXXXII février 2006 [réfugiés] L’embouchure du fleuve Chari est tarie depuis de nombreuses années. Le Chari et la mousson sont les principaux apports en eau du lac Tchad. Lac Tchad : une manne en sursis L a vie est dure ici. Pourtant, je ne dois TCHAD pas me décourager. Lac Tchad C’est Dieu qui a créé le N'Djamena NIG E RI A lac Tchad et il ne faut CAMEROUN jamais se décourager face RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE à une création de Dieu.» Ne jamais se décourager... Même si les poissons sont de plus en plus petits et de moins en moins nombreux. Même si les pirogues s’enfoncent dans la vase. Et si cette eau que les familles boivent est devenue insalubre. D’un coup de machette, Moussa Gao assène un coup fatal à une carpe frémissante. La recroqueville à l’aide d’un petit bout de bois. Et la dépose sur une bâche pour qu’elle sèche. Dans l’air brûlant. Il y a seize ans, ce pêcheur nigérien, aujourd’hui âgé de 60 ans, a traversé le lac et s’est installé sur l’île de Blarigui dans les eaux tchadiennes. En quête d’un ciel chargé de nuages... NIG E R LE COLLECTIF ARGOS Argos est un collectif de neuf journalistes, rédacteurs et photographes, engagés dans une démarche documentaire. Depuis près de deux ans, avec le soutien de l’Ademe notamment, ils mènent un projet d’envergure sur la problématique des réfugiés climatiques dans le monde. À travers des reportages à hauteur d’homme, Argos souhaite raconter l’histoire des peuples d’ores et déjà touchés par le réchauffement climatique, en insistant sur l’importance de leurs liens avec l’environnement. Terre sauvage IXXXIII février 2006 En vain. Bordée par quatre États – le Tchad, le Niger, le Nigeria et le Cameroun–, la quatrième plus grande réserve d’eau douce d’Afrique a perdu, en quarante ans, 90% de sa surface, passant de 25000 km2 (l’équivalent de la Bretagne) à 3000 km2 au maximum. Cette année, l’affaiblissement de la mousson africaine est tel que le lac ne parvient même pas aux frontières du Niger, privant ce pays de son accès à l’eau. Un affaiblissement lié à la sécheresse qui sévit depuis trois décennies au Sahel, dont est responsable le réchauffement de la planète. Le lac, déjà fragile du fait de sa faible profondeur, sept mètres au maximum à l’origine, réagit très vite aux changements climatiques. Aujourd’hui, la navigation y est quasiment impossible. ILS MANQUENT DE TOUT Sur les rives marécageuses, des carcasses de bateaux rouillées témoignent d’un passé pluvieux. « Dans cette région, non seulement les pêcheurs mais aussi les éleveurs sont des réfugiés climatiques, explique Jacques Lemoalle, chercheur en hydrobiologie à l’Institut de recherche pour le développement. De même que ceux qui, à cause d’un manque de pluie sur leur propre terre, viennent cultiver sur les parties nouvellement émergées du lac et donc encore humides et fertiles. Le fleuve Chari, qui alimente le lac, déverse un volume deux fois moins important que dans les années 1960. Deux graves sécheresses, en 1972 et 1984, ont particulièrement frappé la région. Bras du lac Tchad asséché : le recul du lac avait d’abord permis de cultiver de nouvelles terres émergées. Mais aujourd’hui, c’est la désolation. Sur les îles du lac Tchad, des pêcheurs de toutes nationalités se côtoient. La situation pousse certains à se reconvertir à l’agriculture. Cette présence d’eau dans le Sahel est pourtant exceptionnelle. » Pour aider ces hommes et ces femmes aux paumes de misère, la Commission du bassin du lac Tchad, un organisme inter-étatique chargé du développement, travaille depuis plusieurs années sur un ambitieux projet. Il s’agit de creuser un canal de 300 kilomètres à partir du fleuve Oubangui, situé en Centrafrique, afin d’alimenter un affluent du Chari. Des négociations sont en cours avec différentes banques africaines pour débloquer les financements. En attendant, les habitants de l’île de Blarigui survivent plus qu’ils ne vivent. « Nous manquons de tout. J’ai besoin de puits pour que les 500 habitants puissent boire de l’eau propre, d’un dispensaire pour soigner les malades et d’une école pour éduquer les enfants.» Allongé à l’ombre, sur sa natte colorée, au seuil de l’unique maison de l’île bâtie en dur, Al Hadjil Kanë, le chef de village, égrène ses souhaits comme il égrène les billes de son chapelet qu’il tient bien serré dans sa main calleuse. Les pêcheurs, eux, s’en remettent à Dieu. Dans un souffle, Samuel Ngargoto, 35 ans, répète cette prière: «Il faut que Dieu fasse un miracle, parce que vivre sur ce lac, c’est trop de souffrance. » ◗ Aude Raux / Argos À 29 ans, Mahamat Ayouba pêche au filet épervier : une technique encore possible au centre du lac, où il atteint sa profondeur désormais maximale de... deux mètres. Terre sauvage IXXXIIII février 2006 [réfugiés] Christopher Horner - ETC Photos : G. Le Gallic/Alofa Tuvalu Tuvalu : un État à rayer des cartes ? La mer apporte l’essentiel des ressources et de l’alimentation. Très dépendante des importations, la nation ne veut pas sombrer. onnez-moi un levier et un point d’appui, et je soulèverai la Terre.» Ce défi, attribué à Archimède, une ONG française créée en 2005, Alofa Tuvalu, a décidé de le relever à Tuvalu. Ce petit archipel de neuf atolls, sur 26km2 en tout, est la plus petite nation du monde ou presque. Il fait partie de ce chapelet d’îlots situés au large de l’Australie et connus pour leurs images paradisiaques, leurs plages de rêve et leurs rugbymen baraqués: Tonga, Samoa, Fidji... Il fut désigné, en juin 1998, seul État au monde auquel on ne peut reprocher une quelconque violation des droits de l’homme. C’est aussi le premier pays qui risque de totalement disparaître avant cinquante ans, faisant de ses 11000 habitants Occé O D Terre sauvage IXXXIVI février 2006 Nation modèle, Tuvalu prévoit la production de biodiesel à partir de noix de coco et de déchets organiques et l’usage d’énergies renouvelables. les premiers réfugiés climatiques de la planète à l’échelle d’une nation. Les cocotiers sont décimés par l’érosion et, l’eau de mer remontant par le sol, les Tuvaluens ne peuvent déjà plus cultiver leur terre. Avec le soutien de l’Ademe, Alofa Tuvalu a mis en place le programme Small is beautiful. DÉPLACER UNE NATION ENTIÈRE Premier objectif: aider les Tuvaluens à survivre en tant que nation, si possible en leur permettant de rester sur la terre de leurs ancêtres et en mettant en avant le développement durable pour faire de Tuvalu une nation exemplaire. Simple, non? Évidemment, cela suppose d’adopter quelques mesures bénignes, comme ralentir les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle planétaire, et respecter les autres domaines du développement durable. À défaut (un peu de réalisme ne nuit jamais...), cela suppose aussi d’étudier les solutions d’adaptabilité sur place et, le pire devant être envisagé, À chaque marée haute, tous les mois, l’eau de mer s’infiltre dans le sol. Alors Tuvalu importe des graines de légumes poussant en surface. de rechercher des terres d’asile où recréer la nation de Tuvalu et de prévoir un statut de réfugié environnemental/climatique. Small in beautiful est un programme planifié sur dix ans. Il comprend toute une panoplie d’actions locales, très techniques ou très pédagogiques, mais aussi tout un volet de sensibilisation des pays développés. Car prétendre résoudre le problème de Tuvalu en n’agissant qu’à Tuvalu, c’est vouloir vider la mer avec une petite cuillère: le problème est global, les solutions doivent l’être aussi ! Vous voulez en savoir plus? Tous les détails sont sur le site d’Alofa Tuvalu. Et rendez-vous en 2014: si Small is beautiful est un succès, le pari d’Archimède aura été gagné. ◗ Infos sur [www.alofatuvalu.tv]. L’Ademe a soutenu l’action de l’association Alofa Tuvalu à travers une BD, À l’eau la Terre, (en ligne sur le site www.ademe.fr) pour sensibiliser les enfants, dessinée par le chanteur Kent. Elle a aussi lancé une expertise sur l’archipel pour promouvoir les énergies renouvelables et l’utilisation de biocarburants locaux pour le cabotage.