Cow-boys et Indiens

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Cow-boys et Indiens
François Hauter à Ulm, Montana
21/07/2009 | Mise à jour : 18:02 | Commentaires
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Crédits photo : ASSOCIATED PRESS
VOYAGE DANS L'AMERIQUE D'OBAMA (4) - Notre reporter François
Hauter est toujours dans l'État du Montana. À la source de l'Amérique,
celle des tribus indiennes que l'arrivée des Européens va peu à peu
anéantir. Voyage au pays des cow-boys où il ne viendrait pas à l'idée
des élus politiques de s'attaquer au port du revolver.
C'est un site archéologique vierge. Une falaise qui hache la grande plaine face
aux Rocky Mountains, entre les villes de Great Falls et de Cascade. «Les Indiens
refusent que l'on fouille, ils n'ont pas confiance», dit Richard Hopkins, le
conservateur de ce lieu mystérieux. Des millénaires durant, quatorze tribus se
sont rassemblées au pied de cette muraille pour constituer leurs provisions de
viande de bison, avant les hivers. Des pétroglyphes montrent qu'au fil des
siècles, le Grand Esprit en a fait un endroit sacré. «Voici les bisons, dit le Grand
Esprit, ils seront votre nourriture et votre habillement. Si vous devez les voir
périr et disparaître de la surface de la terre, alors vous saurez que la fin de
l'homme rouge est proche, et que le soleil se couche pour eux.» À Ulm, explique
Richard, «chaque tribu tuait une centaine de bisons par saison, puis s'en allait,
transportant la viande sur des traîneaux tirés par des chiens.»
» Tous les carnets de route de François Hauter
Nous grimpons jusqu'au sommet de la falaise. C'est un piège redoutable. Vingt
mètres avant d'arriver au précipice, l'on contemple encore la plaine sans se
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mètres avant d'arriver au précipice, l'on contemple encore la plaine sans se
douter que le gouffre est à quelques pas. «Les jeunes Indiens les plus braves
revêtaient des peaux de loup, raconte Richard, et poussaient une harde de
bisons vers la falaise, et puis…» Et puis, trente mètres de vide, des rochers
acérés, de vrais hachoirs en contrebas, la chute dans les mugissements des
bêtes qui sont poussées par les autres et ne peuvent plus s'arrêter, les cris et
les danses d'allégresse des hommes et des femmes qui découpent ces énormes
animaux avec des pierres taillées. Trois mètres d'ossements de bisons sont
entassés sous terre.
Les mânes des jeunes guerriers déguisés en loups, parfois piétinés par les
troupeaux en furie, hantent la falaise. Leurs tombes sont des amoncellements
bien visibles. Les mausolées émouvants de héros américains de l'âge de pierre,
qui se sont sacrifiés pour la survie de leurs clans. La version «peau rouge» de
Leonidas et de ses guerriers aux Thermopyles.
«Ils ont créé la désolation et ont appelé cela la paix»
Lorsque les Européens sont
arrivés, les Indiens étaient à peine
un million sur le continent. Les
tribus se côtoyaient, elles se
combattaient, comme tous les
groupes de chasseurs nomades
depuis la nuit des temps. Elles
parlaient près de quatre cents
langues différentes. Elles
accompagnaient les bisons. Elles
survivaient, un peu comme des
groupes de lions le font dans la
savane, en suivant les migrations
des caribous. Les dieux
s'exprimaient à travers la nature,
Une Indienne Navajo et ses enfants, sur une
photo non datée. Crédits photo : ASSOCIATED
PRESS
et les hommes imitaient cette
mère nourricière. Les éléments les plus faibles du clan étaient éliminés.
Lorsqu'un vieux n'avait plus d'enfant pour le protéger et le nourrir, on lui laissait
une couverture et une tente, et on l'abandonnait aux loups.
Avec les chevaux introduits en Amérique par les Blancs en 1737, les Indiens
apprennent à chasser les bisons autrement. Ils deviennent aussi rapides que
leurs proies. Ils n'ont plus l'utilité des falaises où je me trouve. Mais cette
mobilité ne suffit pas à les sauver. Aucune de ces tribus ne constitue une société
comparable à un État moderne. Les Indiens ne connaissent même pas la roue.
Les Blancs d'Amérique structurent leur société, créent une armée
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Les Blancs d'Amérique structurent leur société, créent une armée
professionnelle. Leurs technologies sont supérieures. Les flèches et les haches
de silex ne peuvent rien contre les balles. Les nouveaux arrivants veulent ces
terres si riches. Ils avancent, nombreux, rien ne peut les arrêter. Leur cupidité
va anéantir les Indiens.
La violence et l'avidité matérielle sont les deux pêchés originels des États-Unis.
C'est en cela que les Américains sont encore liés aux sociétés européennes
jusqu'au XIX e siècle. Une litote je ne retrouve plus son auteur résume tout, de
Christophe Colomb jusqu'à l'invasion de l'Irak : «Ils ont créé la désolation et ont
appelé cela la paix.»
Dans les Amériques, l'Afrique, le Pacifique et jusqu'en Australie, les Espagnols,
les Anglais et les Français s'emparent du monde en ravageant les populations
autochtones, d'abord par les maladies contagieuses qu'ils apportent
involontairement. Mais ils se comportent ensuite en barbares de la pire espèce.
Christophe Colomb décrit les Arawaks d'Haïti comme «des reliques de l'âge
d'or», tant ces «sauvages» sont aimables et doux. La religion impose toutefois
qu'on les mette au travail. Bref, qu'on les transforme en esclaves. Refusent-ils ?
95 % des Taïnos sont massacrés en quelques décennies. Bartholomé de Las
Casas, un prêtre dominicain, témoigne du génocide effarant de ces Indiens,
«torturés, brûlés vifs et donnés en pâture aux chiens par leurs maîtres». Les
Espagnols font chuter la population indigène de l'Amérique du Sud de soixantedix millions d'habitants en 70 ans !
«Si quelqu'un approche...»
Plus près de nous, les Français s'enrichissent follement avec la traite des Noirs,
et particulièrement les familles protestantes de Nantes, qui se veulent des
parangons de vertu. Les Anglais massacrent 95 % des Aborigènes en Australie.
Quatre siècles durant, nos sociétés modernes tiendront en piètre estime les
cultures humaines qui se sont développées en dehors de leurs zones tempérées.
Les émigrants avancent dans les grandes plaines d'Amérique avec ce sentiment,
très courant dans l'Europe des XVIII e et XIX e siècles, de la supériorité de la race
blanche sur toutes les autres. À Washington, le gouvernement offre plus de
cinquante hectares de terres aux familles de pionniers qui tentent l'aventure,
dans les convois de chariots. Ils sont bientôt des millions, la soif de l'or ne
faisant qu'accélérer le mouvement. La terre promise est ainsi occupée en larges
damiers, jusqu'à l'horizon de la côte pacifique. Un monde d'agriculteurs
sédentaires anéantit celui des nomades chasseurs. Les armes sont l'unique
garantie de survie de ces fermiers, de ces vachers, des cow-boys.
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Cette Histoire n'a pas deux siècles.
Aujourd'hui encore, le postulat
«l'arme = ma liberté et ma vie» est
vivace dans l'esprit d'une majorité
d'Américains. L'association la plus
puissante du pays, la National Riffle
Association, se réunit tous les ans en
congrès. J'avais assisté à l'une de ces
messes à la gloire des armes à feu à
Saint Louis. J'y avais rencontré un
pasteur mormon, suivi de ses
nombreuses femmes voilées, qui
achetait des mitrailleuses lourdes. «Je
suis très isolé dans mon ranch. Si
quelqu'un approche...», disait cet
homme de Dieu.
Un magasin vendant des armes, en 2001
Chaque année, le nombre des
PRESS
dans l'Alaska. Crédits photo : ASSOCIATED
homicides à Philadelphie 1,5 million
d'habitants égale celui de la France.
Dans notre esprit, cette criminalité américaine est évidemment liée au fait que
302 millions d'Américains possèdent 220 millions d'armes à feu, et s'en servent,
dans des moments de crise, pour régler des différends de la vie courante. Ce
lien, les Américains le nient. «Ah non, non !…Non, cela n'a rien à voir !», vous
répondent d'excellents pères de famille. Les politiciens locaux, qui passent
devant leurs électeurs plus souvent qu'en Europe, ne s'érigent pas contre ces
réflexes d'un autre âge. Personne dans la classe politique ne parle de désarmer
la population civile. C'est l'un des tabous américains.
Les armes en vente libre presque partout dans le pays y rendent la vie
quotidienne un peu plus compliquée. Ainsi, lorsque vous vous faites arrêter par
un policier sur la route, commencez par mettre vos mains en évidence sur le
volant, sortez lentement en levant les bras et posez vos deux mains sur le toit
de la voiture. Lorsque le policier aura vérifié que vous n'êtes pas armé, un
dialogue extrêmement civilisé pourra s'engager. Parfois, on peut manquer de
chance. Lorsque j'habitais à Washington, mon voisin avait ouvert sa porte sans
se méfier. Il a pris une balle dans le cœur. La criminalité a diminué à
Washington, mais, à Great Falls en 2009, il est toujours courant de voir entrer
un homme avec son revolver dans un lieu public.
Des bannières étoilées sur les murs
Dans l'immense plaine centrale de l'Amérique, cette tradition cow-boy a la vie
dure. Les gens arrivent en général dans ces petites villes par hasard. Et ils y
restent. Je les comprends. Au Montana, le paysage vous étreint, il vous
imprègne. On tombe amoureux de l'espace et du ciel, immenses ; du chant des
rivières, de la lumière froissée à la surface de l'eau ; du vent qui fait onduler les
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rivières, de la lumière froissée à la surface de l'eau ; du vent qui fait onduler les
champs comme les flots, de ces sensations qui démantèlent mieux la solitude
que n'importe quelle foule de grande ville. «Le Montana, écrit Steinbeck dans
Voyage avec Charlie, c'est ce que le Texas voudrait être.» À Great Falls, le
concessionnaire Ford s'appelle «Bison», la pizzeria, «Parrain», et la banque est
la Wells Fargo. Chez «Parrain», on me recommande la pizza Carnivore avec le
vin rouge Gladiator. C'est effectivement délicieux.
Le soir, je vais prendre une bière dans les bastringues pour cow-boys. Les cowboys adorent danser. Et ils sont drôlement agiles, sur des airs de country ou de
rock, avec leurs cow-girls préférées. Lorsque la musique passe au rap, ils
finissent leurs bières en vitesse, ils prennent leurs femmes par la main, ils font
«Yep !» en touchant le rebord de leurs chapeaux pour saluer l'assistance. Ils
remontent dans de vieux modèles de Cadillac décapotables un peu cabossés ou
sur des Harley Davidson jaune canari. Puis ils disparaissent vers l'horizon, vers
leurs ranchs, sous un ciel si noir que les étoiles vous frôlent la tête.
Les Indiens, relégués sur les mauvaises terres
Ces bars, c'est l'Amérique ouverte, chaleureuse, celle qui vous fait chavirer. Il y
a des bannières étoilées épinglées sur les murs, les écrans des télés montrent
des matchs de catch, de basket ou de base-ball, les gars jouent au billard, les
serveuses sont sexy, mal coiffées mais drôlement sexy. Elles boivent la
Budweiser au goulot, elles roulent leurs épaules dénudées pour chercher les
hommes là où ils sont, et comme ils sont. On discute sans chichis, les cow-boys
ont des mots affectueux pour la France, beaucoup aiment leur nouveau
président, mais on n'échappe pas à la litanie des coins perdus, celle des
«complots» : «A Washington, tu vois, ils mettent la touche finale à un plan
visant à ruiner Great Falls, et surtout le Montana…» Bref, il faut rester sur ses
gardes. Rester armés.
L'ambiance est autre dans les réserves indiennes. C'est toujours un chagrin de
les traverser, tant les corps sont difformes, à l'abandon, et les visages
assombris. Les Indiens, rebaptisés «Amérindiens», réduits à un matérialisme
absurde pour eux, abandonnés sans leurs religions, sans les sacrifices qui
doivent apaiser leurs dieux, sont des épaves. Ils ont été relégués sur les
mauvaises terres. Ils y sèment des ferrailles, des voitures abandonnées, des
carcasses de camping-cars. Le gouvernement fédéral, qui accompagne leur
agonie, leur a concédé l'exploitation de casinos. Mais les Indiens s'y ruinent
eux-mêmes. Parfois, en discutant avec l'un d'eux, je distingue un éclat très
particulier dans le regard, une lueur merveilleuse, étrange, antique,
incompréhensible, comme si mon interlocuteur regardait par la fissure du
temps, à travers un gouffre de siècles. C'est une étincelle. Tout ce qui reste
d'un peuple.
Le cinéma américain a raconté cette brutalité, la violence foudroyante des
coups, la mollesse des corps qui s'effondrent, cette esthétique du crime au pays
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coups, la mollesse des corps qui s'effondrent, cette esthétique du crime au pays
de la Bible. Mais de quoi rêve l'Amérique aujourd'hui ? Je m'embarque pour
Hollywood.
» Précédent article : «Great Falls, une leçon d'Amérique»
» Prochain article de la série : les Noirs sont à la mode
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