DOUTTÉ Edmond, Magie et religion dans l`Afrique du Nord, Société

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DOUTTÉ Edmond, Magie et religion dans l`Afrique du Nord, Société
DOUTTÉ Edmond, Magie et religion dans l’Afrique du Nord, Société musulmane du Maghreb, 1909, pages 150171
Nous reproduisons ici, à titre d’exemple (page 154), le djedouel ou khâtem de la da’ouat ech chems, dont nous
avons donné un extrait plus haut. La première ligne renferme les sab’a khouâtim, c’est-à-dire les « sept signes
». L’origine nous en est inconnue ils sont extrêmement réputés dans la magie musulmane. El Boûni les donne
encore sous cette forme (il n’y en aurait alors que six).
Les sab’a khouâtim renferment des versets de la Toûra (Pentateuque), de l’Évangile et du Coran, au dire d’El
Boûni qui s’étend longuement sur leurs propriétés merveilleuses : une da’oua en vers est en relation avec eux,
qui parait presque identique à celle de la djeldjeloûtiya.
Aussi les sab’a khouâtim sont-ils appelés aussi khouâtim djeldjeloûtiya(4). Ils servent du reste à confectionner
des djedouel spéciaux comme celui que nous reproduisons à la page suivante.
L’un de ces signes a la forme tantôt d’un pentagone étoilé, comme c’est le cas dans la figure ci-dessus, plus
souvent d’un hexagone étoilé.
La première de ces formes est le pentacle (moukhammas), bien connu dans la magie des peuples aryens et
sémitiques : quant à la forme hexagonale, elle est célèbre dans le monde juif et musulman sous le nom de
khâtem Souleïman, le « sceau de Salomon ». Les musulmans l’ont certainement emprunté aux Juifs, chez
lesquels il joue un rôle très important dans la talismanique.
Westermarck y voit l’entrelacement de deux yeux triangulaires destinés à écarter le mauvais œil, hypothèse
ingénieuse, mais qui ne nous parait pas être jusqu’ici suffisamment étayée.
En tous cas, la légende rapporte les propriétés merveilleuses de l’hexagone étoilé (mousaddas) à Salomon, à
qui Dieu avait donné l’empire sur les génies et les animaux. Salomon portait cette figure gravée sur une bague
qu’il ne quittait que lorsqu’il y était obligé : alors il la remettait à quelqu’un de sûr. Une fois il fit faire par un
démon une statue pour une de ses concubines qu’il aimait et qui lui avait demandé le portrait de son père : la
statue représentait le père de la jeune fille et celle-ci lui rendait un véritable culte. Pour punir Salomon d’avoir
ainsi introduit une idole dans son palais, Dieu permit qu’un diable volât par ruse le sceau à Salomon : celui-ci
perdit aussitôt son pouvoir; enfin, après de longues épreuves il retrouva l’anneau dans le ventre d’un poisson.
Les signes gravés sur le sceau de Salomon renfermaient le « grand nom » de Dieu, comme ceux qui étaient
gravés sur le cœur d’Adam, dit El Boûni. Le sceau de Salomon est extrêmement populaire dans toute l’Afrique,
on le porte en amulette et surtout on le dessine sur les portes des demeures ; beaucoup de personnages
l’adoptent comme cachet.
Les seb’a khouâtim ne sont pas les seuls caractères incompréhensibles et mystérieux que l’on emploie dans la
magie musulmane. Il nous faut encore mentionner comme extrêmement répandus ceux que Schwab a appelé
les « caractères à lunettes ». Nous en avons vu un exemple dans l’incantation de la khanqad’iriya ; en voici de
nouveaux d’après El Boûni.
Dans les textes imprimés (Et Boûni est autogr.), ils sont le plus souvent cette forme : Ce sont, disent les auteurs,
des signes mystérieux correspondant aux noms divins. Les caractères à lunettes sont venus directement aux
musulmans de la magie juive. Schwab pense « qu’ils sont composés, pour la plupart, de plusieurs paires d’yeux,
pour symboliser la Providence ». Cette interprétation est à rapprocher de l’hypothèse de Wertermack,
concernant l’origine du sceau de Salomon : l’emploi de l’œil est classique contre le mauvais oeil. D’autres parts,
des textes hébreux nous montrent les caractères à lunettes en relations avec les lettres de l’alphabet.
Au-dessus des seb’a khouâtim se trouvent sept lettres de l’alphabet : fâ (f), djîm (dj), chin (ch), thâ (th), z’â (z’),
khâ (kh) et zîn (z). Ces lettres sont les scouâqit’ el fâtih’a, c’est-à-dire les seules lettres de l’alphabet arabe qui
ne soient pas contenues dans les sept versets de la fâtih’a ou première sourate du Coran : elles sont
précisément au nombre de sept. Elles sont douées de vertus magiques spéciales longuement étudiées par El
Boûni.
Les saouâqit’ et fâtih’a sont en rapport étroits avec sept des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu, dont nous
parlerons dans un instant; ces noms sont ceux qui dans notre djedouel sont inscrits à la troisième ligne : fard,
« unique » ; djebbâr, « tout-puissant » ; thâbit, « ferme» ; z’ahîr, « évident » ; khabîr, « vigilant » et zaki,
« pure ». Chacun de ces noms, on le voit, commence par une des saouâqit et fâtih’a.
La quatrième ligne du djedouel porte sept noms qu’à première vue on reconnaît appartenir à l’angélologie.
Il y a du reste des variantes ; Ibn et H’âdjdj les donne ainsi : Roûqiâïl, Djebriâïl, Semsemâïl, Çerfiâïl, `Aniâïl
Kesfiâïl.
On retrouverait sans doute les prototypes de ces noms dans ceux des anges de la littérature kabbalistique ; ils
en sont des reproductions ou des dérivés : Djabriâïl est un doublet de Djebrâïl (Gabriel); ‘Aniâïl est ‘Anael ou
‘Aniel des Juifs ; Rouqiâïl est Raqiâel ; Cerfl âïl peutêtre rapproché de Serafiel ou de Ceroufiel et Kesfiâïl,
ressemble vaguement à Qecefel. Ce ne sont du reste pas des anges proprement dits ; souvent les livres de
magie les qualifie de er roûh’âniyya es seb’a, « les sept esprits ». Le nom d’ange est réservé à des êtres
spirituels parmi lesquels quatre sont distingués entre tous et commandent aux autres : Djebrîl ou Djebrâïl
(Gabriel), Mîkâïl (Michel), Isrâfîl et ‘Azrâïl. Il y a un très grand nombre d’amulettes dans lesquelles on voit
intervenir ces quatre archanges. Nous allons en donner un exemple dans un instant.
La cinquième ligne contient les noms des sept rois des génies : Moudhhib, qui signifie « doreur », Merra,
‘Ah’mar qui signifie « rouge », Borqân qui signifie « illumination de l’éclair », Chemhoûrech, Abiod’ qui signifit
« blanc », Mîmoûn. Au rebours des noms qui précèdent, ceux-ci sont arabes, sauf peut-être Chemboûrech dont
l’origine nous est inconnue. Les noms des « sept rois » jouent comme nous l’avons déjà vu, un rôle très
important dans la magie musulmane.
Enfin la sixième et la septième ligne de notre talisman contiennent l’une les noms des sept jours de la semaine,
et l’autre les noms des sept planètes : Chems, « soleil » ; Qamar, « lune » ; Mirrikh, « Mars » ; ‘Out’ârid, «
Mercure » ; Mouchtari, « Jupiter » ; Zohra, « Vénus » ; Zouh’al, « Saturne », suivant leur relations classiques
avec les jours de la semaine.
L’idée dominante de ce djedouel est qu’il exista des correspondances précises entre ces divers éléments : seb’a
khouâlim, saouâqit’ el fâtih’a, attributs divins, anges et démons, jours de la semaine et planètes. Par exemple
les saouâqit’ et fâtih’a sont expressément rapportées par El Boûni à ces jours de la semaine et à une planète ;
bien mieux, chaque lettre est en rapport avec un djedouel spécial qui sert pour les opérations magiques de
chaque jour de la semaine.