a/ Modélisation et théorie - Faculté de Sciences Economiques

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a/ Modélisation et théorie - Faculté de Sciences Economiques
Chapitre 1 : Découverte d'une discipline scientifique
1.B2. LA MODELISATION ECONOMIQUE
a/ Modélisation et théorie
En tant qu'outil de représentation de la théorie, la modélisation doit contribuer à la
compréhension du système économique, avec ses mécanismes et ses lois d'évolution.
Selon l'expression du philosophe Gaston Bachelard, le modèle est le "construit simplifié d'un
réel complexe". Le caractère réducteur, simplificateur du modèle ne doit pas être compris
comme une faiblesse ou un handicap. L'objectif n'est pas d'être éclectique et exhaustif, mais
d'adopter au contraire une stratégie volontairement réductionniste en retenant le plus petit
nombre possible de variables et en représentant de la façon la plus rudimentaire leurs
interdépendances afin d'en déduire des conclusions pertinentes. Les constructeurs de modèles
passent généralement plus de temps à rechercher quelles variables ils peuvent éliminer qu'à
s'interroger sur celles qu'ils ont oubliées. En étant délibérément approximatifs et
incomplètement spécifiés, les modèles économiques se caractérisent par leur idéalité et leur
généricité.
Certaines caractéristiques fonctionnelles ou formelles des modèles peuvent être soulignées
dans cette perspective.
A la question de savoir comment concilier établissement de lois scientifiques déterministes et
reconnaissance de la liberté humaine, on a vu que deux réponses existaient en économie :
1°) s'en tenir à un niveau suffisamment agrégé pour que les phénomènes globaux puissent
faire l'objet d'un déterminisme qui n'affecte pas, en tant que telles, les actions individuelles ;
2°) prendre les actions individuelles pour objet d'étude en postulant qu'elles ne sont pas
arbitraires mais relèvent du principe fondamental de rationalité.
A la différence entre ces deux attitudes, on peut schématiquement faire correspondre une
différence entre les deux niveaux de modélisation, macroéconomique et microéconomique.
- La microéconomie qui s'intéresse aux comportements individuels, s'inscrit dans la seconde
attitude.
- La macroéconomie qui traite des relations au niveau agrégé, emprunterait davantage la
première attitude, considérant les comportements globaux comme de nature sociale et
irréductibles aux comportements individuels.
En fait, l'opposition n'est pas aussi marquée. Même si la macroéconomie ne se réduit pas à la
simple agrégation de comportements ou d'effets individuels, de nombreuses relations posées
par elle se réfèrent en fait à des logiques de comportement individuel. Le souci de donner un
fondement micro-économique au modèle macro-économique est assez largement répandu et,
avec lui, l'acceptation de l'hypothèse de rationalité.
L'individualisme méthodologique, qui fonde la modélisation sur une analyse des comportements
individuels, peut se heurter au délicat problème de l'agrégation lorsqu'il s'agit de passer du niveau
individuel, microéconomique, au niveau global, macroéconomique.
L'agrégation implique que l'on fasse abstraction, au moins partiellement de la diversité, de
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Chapitre 1 : Découverte d'une discipline scientifique
l'hétérogénéité du réel. Dans une forme d'application de la loi des grands nombres, l'agrégation
permettrait de négliger les aléas de distribution des variables individuelles et de dégager le trait
commun caractéristique de l'ensemble. Une telle conception peut alors justifier une modélisation
macroéconomique inspirée de la modélisation microéconomique relative à un individu représentatif.
Mais l'agrégation peut aussi modifier profondément les relations fonctionnelles entre les variables.
L'agrégation des préférences et des choix individuels pose peut-être encore plus de problèmes et la
rationalité individuelle n'est pas nécessairement antinomique avec une certaine forme d'irrationalité
collective. Le raisonnement par référence à un hypothétique individu représentatif apparaît alors
contestable.
Une autre distinction peut être établie entre deux grandes catégories de modèles selon qu'ils se
réfèrent à une analyse statique ou dynamique. Cette distinction a bien entendu des
implications formelles puisque les modèles statiques sont atemporels alors que le temps
intervient comme variable essentielle dans les modèles dynamiques. Cela implique de
s'interroger sur la définition même de cette variable, sur sa représentation dans le cadre du
modèle et sur les relations éventuelles que l'on peut établir entre le temps logique de l'analyse
et le temps historique.
Le modèle statique se réfère à des situations correspondant à un état stationnaire, à un
équilibre entre les divers facteurs déterminants. Il peut être utilisé pour définir les conditions
de stabilité autour de l'équilibre ou pour développer une analyse de statique comparative.
Mais cela ne permet pas de représenter le processus d'ajustement vers l'équilibre. En toute
rigueur, les modèles statiques ne permettent pas de dire ce qui se passe si une variable se
modifie à partir d'une situation d'équilibre, mais plutôt ce que serait l'équilibre si cette variable
avait été modifiée. Cela constitue sans doute une limite de ce type de modèles. Leur intérêt
n'est pas pour autant négligeable. Ils peuvent être utiles pour représenter des états tendanciels
ou pour fournir des indications sur une situation de référence dans une perspective normative.
Le modèle dynamique vise à rendre compte d'une réalité en mouvement. Il peut alors
renvoyer à deux types d'analyse. D'un côté, il peut s'agir de l'étude de l'évolution de
l'économie sur la longue période. Une telle évolution peut être régulière et l'on retrouve alors
des modèles qui, tout en étant dynamiques dans leur formulation, demeurent relativement
proches des modèles statiques dans leur logique. D'un autre côté, l'analyse peut porter sur les
ajustements liés au déséquilibre, sur les conditions d'un cheminement vers un équilibre ;
l'introduction des délais et décalages est alors essentielle.
Une dernière remarque peut être faite quant à la forme des modèles économiques. Ceux-ci
empruntent souvent aujourd'hui une formulation mathématique et l'on peut même ajouter que
le recours à une telle formalisation s'est fortement et régulièrement accru depuis quelques
décennies. Deux éléments peuvent contribuer à expliquer cette caractéristique.
En premier lieu, il n'est pas abusif de dire que, parmi l'ensemble des relations sociales, les
économistes se consacrent traditionnellement à celles qui se présentent sous une forme
quantitative. Même si des extensions du domaine d'application sont apparues, elles s'appuient
le plus souvent sur des transpositions de schémas théoriques qui prennent leurs racines dans
l'étude des relations sociales quantitatives. Ainsi la réalité économique a été de tout temps le
domaine de la mesure et de la quantification. Cette caractéristique contribue sans doute à
expliquer la place dans les modes de représentation privilégiés par l'économiste, du cadre
comptable, d'une part, et d'un certain formalisme mathématique, d'autre part.
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En second lieu, et plus fondamentalement, le recours à la mathématisation constitue une
réponse face aux difficultés logiques considérables rencontrées par l'analyse économique dans
son ambition d'appréhender des interdépendances multiples et complexes. Par-delà
d'éventuels phénomènes de mode, de prétentions à une forme de légitimation scientifique, le
développement de la formalisation mathématique s'est révélé utile pour la modélisation,
facilitant la construction de variantes autour des modèles de base, l'exploration systématique
des conséquences liées aux modifications des hypothèses ou des grandeurs exogènes.
Une mise en garde doit être faite ici.
Les mathématiques constituent indéniablement un outil utile pour l'analyse économique. Mais
elles ne sont qu'un outil. Il est hautement souhaitable que l'économiste en possède une
maîtrise suffisante. Mais la maîtrise de l'outil mathématique ne saurait dispenser d'une
réflexion proprement économique. (voir les textes en annexe au chapitre)
b/ Modélisation et réalité
Grâce à la modélisation, l'économie se rapproche des représentations expérimentales et la
validation empirique apparaît comme une étape importante dans l'établissement de sa
scientificité. Mais, à la différence des sciences dites "exactes", la représentation qu'elle offre
reste éminemment incertaine.
Cette incertitude est de deux types.
- D'un côté, il y a une incertitude expérimentale qui tient à l'impossibilité de mettre en œuvre
des moyens suffisants pour la collecte d'une information complète.
- D'un autre côté, il y a une incertitude fondamentale qui tient à l'impossibilité d'observer ou
de diffuser l'information sans modifier le comportement de l'objet observé.
Au premier type d'incertitude se rattache le problème de la fiabilité des données, voire, dans
les cas extrêmes, de l'observabilité des variables théoriquement pertinentes.
La représentation comptable fournit au modèle un ensemble d'informations cohérent puisque
défini à partir de références théoriques communes. Néanmoins, l'information sur le réel ne
saurait être parfaite ni complète. Pour isoler des relations pertinentes, la modélisation
théorique raisonne en supposant toutes choses égales par ailleurs. Le réel se plie difficilement
à une telle hypothèse. Il doit donc être filtré pour en extraire les éléments significatifs ; c'est
l'objet des techniques économétriques.
Une difficulté plus grande apparaît lorsqu'il est impossible d'observer objectivement certaines
variables comportementales, telles les anticipations, qui jouent un rôle déterminant dans le
fonctionnement décrit par le modèle. La validation empirique peut alors s'apparenter à un test
d'hypothèses jointes dont les résultats restent souvent difficiles à interpréter. Ce problème
d'absence d'objectivité dans l'observation de certaines grandeurs renvoie également au second
type d'incertitude.
Cette incertitude, qualifiée de fondamentale, provient de ce que le modèle économique est à la
fois représentation de l'action et représentation pour l'action. Ainsi, les actions humaines,
directement inspirées par la représentation économique, modifient en permanence le réel. A
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Chapitre 1 : Découverte d'une discipline scientifique
ce problème se rattache la question de la stabilité des résultats des procédures de validation
empirique et de la capacité prédictive des modèles.
Les anticipations, c'est-à-dire la représentation de l'avenir que se forgent les acteurs économiques, sont
souvent au coeur des problèmes rencontrés au croisement de la modélisation et du réel.
D'une part, les anticipations ne peuvent pas être directement observées ; seuls le sont les mouvements
de variables résultant des comportements induits par ces anticipations. Toute procédure de validation
d'une relation entre les variables observées revient à tester simultanément la relation elle-même et le
modèle sous-jacent de formation des anticipations : c'est un test d'hypothèses jointes.
D'autre part, les anticipations, et donc les comportements qui en résultent, peuvent intégrer les
enseignements de la modélisation économique. Il y a ainsi une remise en cause potentielle de
l'extériorité, de la neutralité, du modèle par rapport à la réalité qu'il veut représenter.
Historiquement, on peut retracer une évolution des modes de validation empirique en
économie. Cette évolution s'est accompagnée d'une modification du rôle attribué au modèle
dans sa relation au réel.
Ce n'est en fait qu'à la fin des années 1940 qu'a pris naissance un mouvement proposant de
dépasser la simple observation de séries statistiques et de développer une modélisation
économétrique. Dans cette perspective, la validation empirique consiste en l'estimation des
paramètres de relations déduites d'un modèle théorique, généralement macro-économique.
D'une certaine manière, on peut dire que l'élaboration et l'estimation de modèles
économétriques reposent sur un aller et retour permanent entre la théorie et les faits.
Déduction et induction se partagent les rôles dans la démarche analytique. La modélisation
théorique suggère les formes fonctionnelles à tester, l'analyse empirique donne aux
paramètres leurs valeurs les plus vraisemblables.
Le modèle économétrique peut apparaître tout à la fois comme un outil de validation des
conclusions de l'analyse théorique, un outil de description de la réalité économique, un outil
de prévision de son évolution future et un outil d'aide à la décision, pour la politique
économique notamment.
L'estimation de modèles économétriques reste une méthode assez largement utilisée pour
valider les explications théoriques et donner une description raisonnée de la réalité. Mais à
côté de ce mode de validation on assiste depuis quelques années au développement parallèle
de deux formes de confrontation à la réalité correspondant à des inflexions vers plus
d'induction ou plus de déduction selon les cas.
D'un côté, l'analyse empirique s'est orientée vers une économétrie des séries temporelles qui, à
certains égards, exige moins de présupposés sur les formes fonctionnelles et le sens des
relations que ne le faisaient les estimations économétriques plus traditionnelles. On peut
parler d'une certaine inflexion vers plus d'induction. Cette évolution semble plus marquée
lorsque l'on se soucie plus de prévoir que d'expliquer.
D'un autre côté, on assiste à l'utilisation de modèles théoriques qui, au lieu de formuler des
relations entre agrégats, retracent explicitement l'équilibre général sur la base d'une
représentation des comportements individuels. Dans cette perspective, la validation empirique
ne repose plus sur l'inférence statistique mais sur la capacité à imiter le réel. Il n'y a plus
estimation mais calibrage des paramètres du modèle. Le calcul de simulation prend la place
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du test économétrique. En ce sens que l'on peut parler d'une inflexion vers une démarche plus
déductive. Pour certains auteurs, l'intérêt de ces modèles théoriques simulés apparaît plus net
lorsqu'il s'agit d'apporter une aide à la décision, dans la mesure où ils peuvent apporter aux
questions posées des réponses plus claires que celles tirées d'une représentation
nécessairement contingente de la réalité.
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