L`amour à boire Genre

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L`amour à boire Genre
L’AMOUR À BOIRE
EXPLOITATION PEDAGOGIQUE
ZONE J
Auteur : Frank Andriat
Titre : L’amour à boire
Genre : roman
Thèmes : amour/ différence/ fugue
Cadre spatio-temporel : XXe siècle
Voix narrative : narration à la 2e personne sauf le dernier chapitre
Public-cible (âge des lecteurs) : dès 11 ans
160 pages – 6,50 euros
1. LA PRÉSENTATION DU LIVRE
1.1. Deux mots sur l’auteur
Frank Andriat, né en 1958, n’est pas devenu écrivain par hasard. Il s’oriente vers l’écriture dès
14 ans et lance en 1973 une revue littéraire, « Cyclope ». Après des études de philologie
romane à l’Université de Bruxelles, il exerce depuis 1980 le métier de professeur de français
tout en continuant à écrire dans divers registres littéraires : poésie, fantastique, romans
policiers, nouvelles…
Dans ses livres, il dit l’importance de l’ouverture : le « Journal de Jamila » exprime son rejet
de toute attitude raciste, « La remplaçante » est un vibrant appel au dialogue entre enseignants
et enseignés, « Rue Josaphat » décrit la vie simple et quotidienne dans une rue populaire.
Plusieurs de ses romans pour adolescents sont devenus des best-sellers dans les écoles où il
anime un nombre considérable de rencontres avec de jeunes lecteurs.
1.2. Deux mots sur le livre (résumé)
Dès la première ligne du récit, le lecteur se trouve plongé dans l’univers d’Emile, surnommé
Tchap par son ami Abdennasser à cause de son goût prononcé pour les chapeaux. Pauvre
Tchap ! Il a bien des sujets de préoccupation. Il a 15 ans : le bel âge ? Pas vraiment ! Tout
d’abord il est en conflit avec sa famille – avec son père surtout ! Celui-ci est brutal à son
égard, il ne supporte pas les tenues vestimentaires de Tchap, notamment ses chapeaux, et il ne
peut pas comprendre que son meilleur copain soit un Arabe. Pourtant, c’est dans la famille de
ce dernier et dans son atmosphère conviviale que Tchap trouve refuge en période de crise. Et
pour ne rien arranger, ne voilà-t-il pas qu’il tombe éperdument amoureux d’Adeline, une
jeune fille de son âge et de « bonne famille », qui fréquente une autre école. Ce premier
véritable amour va bouleverser sa vie : pour Adeline, il va accepter de se lancer dans une
aventure hasardeuse. Mais Tchap n’est pas sûr de lui : qu’est-ce qui l’emportera ? Son
attachement à la famille, son amitié pour Abdennasser ou cette passion dévastatrice dans
laquelle il sombre à corps perdu ? Ce qui est certain, c’est que les conflits qui agitent Tchap ne
se résoudront pas sans mal, ni sans une transformation de sa personnalité…
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1.3. Les attentes que peut susciter la couverture
Le cornet de crème glacée qui s’écrase dans un cœur transpercé d’une flêche donne le ton du
roman, de même que le jeu de mot du titre ; l’auteur va nous raconter une histoire d’amour,
mais elle ne sera pas rose…
En quatrième de couverture, le résumé insiste d’ailleurs sur les difficultés rencontrées par le
héros tant dans sa famille qu’avec son amoureuse. Heureusement il y a les copains...
1.4. Le cadre spatio-temporel
L’histoire se passe dans les années 80 mais rien n’empêche de penser qu’elle se déroulerait
tout aussi bien à notre époque. L’essentiel de l’action a lieu dans une ville belge (sans doute
Bruxelles), dans un quartier en partie peuplé d’immigrés, ainsi que dans une cité balnéaire de
la Mer du Nord.
1.5. Le personnage principal
Le personnage principal est Emile, dit Tchap, un adolescent de 15 ans. On a peu de
renseignements sur la catégorie sociale de ses parents. Toutefois, le fait qu’ils habitent un
quartier populaire, leurs habitudes de vie, leurs conceptions laissent penser qu’ils
appartiennent à un milieu socio-culturel modeste. Emile fréquente une école secondaire et a
contracté depuis plusieurs années une amitié profonde avec un jeune Arabe, dont le père est
conducteur de bus.
1.6. Ce qui pourrait plaire au jeune lecteur
Par beaucoup d’aspects, le roman ne peut que toucher les jeunes lecteurs.
– L’histoire d’un amour d’adolescents contrarié est séduisante et le récit suscite constamment
l’envie de connaître la suite des événements.
– Le dénouement est constructif.
– Les thèmes abordés sont proches des préoccupations des adolescents actuels : le conflit
entre les générations, les difficultés de communication, l’importance de l’amitié, le fait que
l’adolescence est un âge problématique où l’on fait parfois des bêtises, les problèmes de
l’intégration des étrangers dans notre pays…
– Les jeunes lecteurs se reconnaissent facilement dans la personnalité de Tchap dont les
sentiments sont très bien rendus par le récit, et dans ses problèmes qui pourraient être les
leurs.
La lecture est facile grâce au découpage en vingt-quatre chapitres assez courts et au choix
d’une écriture très aérée, faite de phrases courtes et juxtaposées. La seule difficulté provient
du choix de la 2e personne qui peut semer la confusion dans l’esprit d’un lecteur peu
expérimenté. Par contre, un avantage de ce choix narratif est de plonger sans cesse le lecteur
dans les pensées du héros et de vivre avec lui toute l’histoire.
La rupture présente dans le dernier chapitre écrit en je est surprenante et permet un débat
intéressant sur le rapport entre l’option d’écriture et l’évolution de la personnalité du héros.
2. LA LECTURE TREMPLIN
2.1. La situation de l’extrait
Lorsque le roman commence, Tchap est déjà amoureux d’Adeline, une fille qui fréquente le
lycée. Poussé par son meilleur ami, Abdennasser, dont la famille arabe l’accueille toujours à
bras ouverts, Tchap tente les premiers travaux d’approche auprès d’Adeline, qui accepte assez
vite de le rencontrer. Les deux amoureux se voient en cachette, ils passent des moments
ensemble dans un petit square situé non loin de leurs écoles respectives, ce qui ne manque pas
de perturber leur travail scolaire et leur retour dans leurs familles. Le père de Tchap est
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furieux : un jour où Tchap rentre en retard, une dispute éclate ; le père et le fils s’affrontent
violemment : c’est le sujet du premier des extraits que tu vas lire. Quant aux parents
d’Adeline, qui se méfient, ils entreprennent, après l’avoir interrogée en vain, de la surveiller et
ils découvrent la vérité, comme tu le verras dans le deuxième extrait proposé.
Premier texte
2.2. La consigne de lecture
Prends d’abord connaissance du premier extrait qui relate la dispute entre Tchap et son père,
puis le premier interrogatoire d’Adeline. Sois attentif à la différence qui existe entre les deux
discussions.
Par ailleurs, en lisant, observe bien la manière dont le narrateur fait entrer le lecteur dans
l’univers de l’histoire : en quoi celle-ci est-elle particulièrement rare et surprenante ?
2.3. Le texte (p.51-56)
Tout à l’heure, vous êtes allés prendre un verre ensemble dans le snack près du lycée
d’Adeline. Un Coca pour Abdennasser, un Orangina pour toi et un Sprite pour Adeline.
Fiona1, qui vous accompagnait, a bu une eau plate. Vous avez passé une demi-heure à
raconter des blagues idiotes sur les profs.
Évidemment, ça t’a mis en retard. Quand tu es arrivé à la maison, ton père trônait dans le
fauteuil du salon, raide comme un manche de brosse. Il t’a appelé d’une voix rude.
– Émile, ici !
Puis, comme tu entrais dans la pièce et que tu le fixais avec un sourire en coin, il a ajouté :
– Tu me trouves drôle ?
Attaque immédiate. Tu n’as pas hésité ; tu as dégainé et tiré à ton tour :
– Plus encore que tu ne le crois.
Un–zéro. Ta répartie l’a estomaqué. Il a réagi en haussant le ton ; il n’a jamais trouvé
d’autre moyen de s’affirmer.
– N’oublie pas le respect que tu me dois. Je suis ton père.
Tu n’as pas bronché. La balle était dans son camp. Ton absence de réaction a semblé le
gêner. Il n’avait sûrement pas prévu que la conversation débuterait ainsi.
– Ton père ! a-t-il répété après un moment de silence.
– Tu essaies de te convaincre ? J’espère bien que ce n’est pas le facteur.
Il est devenu rouge vif. Son poing s’est abattu avec force sur l’accoudoir du fauteuil.
– Petit con ! Tu te crois malin ? Tu n’es qu’un pauvre petit con ! Et tu vas m’écouter sans
dire un mot, compris ! Ou je te casse la gueule !
La porte s’est entrebâillée. Ta mère était aux aguets, mais n’osait pas intervenir. Ton père
respirait bruyamment et tentait visiblement de se reprendre. Il avait dû promettre à ta mère de
se maîtriser. Il s’est enfoncé dans le fauteuil, t’a fixé de ses yeux rouges.
– Je veux connaître son nom, a-t-il dit lentement.
1. Fiona est une camarade de classe d’Adeline.
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Et toi, de nouveau, insupportable :
– Celui du facteur ?
C’est ce qu’on appelle la goutte qui fait déborder le vase. Il s’est levé, s’est dirigé droit sur
toi en soufflant comme un buffle. Tu as reculé de quelques pas pour éviter la gifle qui,
cependant, n’est pas venue. Son visage était proche du tien, des gouttes de sueur perlaient sur
son front et sur ses tempes. Tu as vu ses poings crispés, collés contre ses hanches, prêts à
cogner. Mais il a réussi à se retenir, s’est rassis, a fermé les yeux avant de te questionner à
nouveau.
– Le nom de la fille.
– Du facteur ?
Là, c’en était trop. Il s’est relevé avec une rapidité étonnante pour son poids. Tu as évité la
gifle d’extrême justesse. On est souple ou on ne l’est pas ! La porte du salon s’est ouverte et ta
mère est arrivée en pleurnichant.
– Fernand ! Fernand ! Tu m’avais promis.
– Merde !
Tu t’es éclipsé en douce. Et en vitesse. Ta mère ne pourrait le retenir longtemps. Tu es
monté dans ta chambre avec un profond sentiment de dégoût et de rage. Ce sont tes parents,
mais ils exagèrent ! Sur le palier, tu t’es retourné et tu as crié :
– Elle s’appelle Marie-Antoinette et moi, Louis XVI !
Et tu t’es enfermé à double tour dans ta chambre.
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Ils ne t’adressent plus la parole. La maison s’est transformée en un long couloir d’hôpital
où l’on marche à pas feutrés sans échanger un mot. Ta mère se force à ne pas te parler. Dès
qu’elle croit que tu ne la vois pas, elle tourne vers toi des yeux inquiets. Pour ton père, tu
n’existes plus. Hier, à table, il a complètement ignoré ta présence. Pour le tester, tu as mangé
bruyamment ton potage. D’habitude, il ne supporte pas ça. Cette fois, il a fait semblant de ne
rien entendre.
Chez Adeline, ce n’est pas la joie non plus. Elle a subi un interrogatoire fort semblable au
tien. Elle n’a pas craqué. Ses parents n’élèvent pas le ton, mais ils sont vaches ! Ils l’ont
poussée à bout ; elle a pu conserver son calme jusqu’à ce qu’ils sortent de sa chambre et,
après, elle a craqué et a pleuré dans son oreiller.
C’est à cause du chapeau de Toto2 que tout a commencé. Sa mère voulait le jeter sous
prétexte qu’il est moche. Adeline s’est rebiffée et s’est butée quand sa mère lui a dit qu’elle
lui en achèterait un autre, plus beau. C’est bien les riches, ça ! Adeline n’a pas cédé. Alors, le
ton de la maternelle a changé.
– C’est vraiment une copine qui t’a donné ce chapeau ? Que nous caches-tu ?
2. Toto est l’ours en peluche d’Adeline et le chapeau est celui que lui a offert Tchap.
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Le hasard, bien entendu, a fait entrer son père dans la chambre à ce moment-là. Pour
l’amadouer, il s’est d’abord montré gentil. Il posait plus de questions que la mère.
– On a remarqué que tu rentrais tard, on a remarqué que tu manquais d’appétit, on a
remarqué tes sautes d’humeur et ta distraction. Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie,
ma petite Adeline. Il faut que tu nous dises ce qui ne va pas.
Adeline a eu beau affirmer que tout allait pour le mieux, ils ont insisté. Elle a fini par
inventer qu’une de ses copines de classe était très malade et que ça la perturbait.
– Nous allons faire semblant de te croire, lui a répondu son père.
Et ils sont sortis de la chambre. Tu parles d’une confiance ! C’est quoi des parents qui se
transforment en flics avec leurs gosses ? Pas plus que les tiens, ils ne supportent qu’Adeline
ait une vie à elle.
2.4. Les objectifs
– Faire comparer le fondement de l’opposition des parents à leur fils ou à leur fille et la
manière dont elle s’exprime.
– Faire prendre conscience de l’importance du choix en matière de narration sur la perception
de l’histoire par le lecteur.
2.5. Les questionnaires
2.5.1. Les élèves ne disposant pas du texte
1. Compare les deux discussions en envisageant les aspects suivants :
– les arguments utilisés par les parents pour demander des comptes à leur fils ou fille ;
– la réaction de l’adolescent(e) ;
– le ton sur lequel les discussions se déroulent ;
– les conséquences qu’elles entraînent ou risquent d’entraîner.
2. Comprends-tu la réaction des parents de Tchap et d’Adeline ? Explique ton point de vue.
3. Qu’as-tu observé en ce qui concerne le narrateur et la manière dont il raconte les
événements ? Estimes-tu que ce choix rend le récit plus facile ou plus difficile à suivre ? Quel
effet fait sur toi cette manière de raconter : la trouves-tu normale, étonnante, intéressante,
appropriée au récit ? Justifie ton avis.
2.5.2. Les élèves pouvant consulter le texte
Dans le dialogue entre Tchap et son père, relève les détails du texte qui suggèrent que c’est
une sorte de combat que se livrent les deux interlocuteurs.
1. De quoi cela est-il révélateur en ce qui concerne la personnalité de chacun et le genre de
relation qu’ils entretiennent ?
2. En observant la manière dont les parents d’Adeline s’adressent à leur fille, que peux-tu en
conclure à propos du climat qui règne dans cette famille ? Est-ce différent de l’atmosphère de
la famille de Tchap ? Si oui, en quoi ?
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Deuxième texte
2.2. La consigne de lecture
– Lis ensuite le chapitre 10 du roman : c’est un extrait important, car, à ce moment de
l’histoire, tout va basculer pour Tchap et Adeline qui vont être acculés à trouver une solution à
leur situation difficile. Au fur et à mesure de ta lecture, pose-toi les questions suivantes :
– Quel changement essentiel se produit dans les relations qu’entretenaient Tchap et Adeline
jusque là ?
– En quoi leur situation devient-elle très pénible à vivre ? Qui en porte la responsabilité ?
2.3. Le texte (p.62-68)
Les choses n’en resteront pas là. La veille du jour où se situe la nouvelle rencontre entre
Adeline et Tchap qui est évoquée dans l’extrait suivant, la maman d’Adeline qui les surveillait
les a surpris en compagnie d’Abdennasser.
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– Des immigrés ! Des voyous et des immigrés ! Tu nous fais honte, Adeline. Une fille
comme toi, fréquenter des gens pareils !
Elle n’a pas décoléré de la soirée. Le repas s’est transformé en calvaire. Adeline,
silencieuse, observant sa mère qui, une nouvelle fois, racontait au père la rencontre qu’elle
avait faite en ville.
– Je m’en doutais, je m’en doutais ! Tu aurais dû m’accompagner. Tu aurais vu le drôle que
ta fille fréquente. Et des immigrés ! Ils m’ont fait peur. Tu te rends compte ! Adeline aime les
immigrés !
Adeline pleure, la tête appuyée contre ton épaule. Il pleuvine. Tu caresses ses cheveux
mouillés qui se plaquent dans ton cou. Ce matin, tu as bien cru qu’elle ne viendrait pas. Tu
t’es appuyé contre un des arbres du square, tu as relevé le col de ta veste, enfoncé ton chapeau
sur la tête et tu as surveillé la rue d’où, d’habitude, elle débouche. L’attente se faisait longue
et tu te posais mille questions farfelues. Tu as entendu ses pas claquer sur le trottoir avant de
la voir. Elle arrivait, échevelée, tournant la tête à gauche, à droite. Elle t’a vu et, comme dans
les plus grands navets d’amour, vous vous êtes mis à courir l’un vers l’autre. Elle a plongé
dans tes bras en sanglotant.
Pas question de bus, aujourd’hui ! Son père l’a déposée à l’entrée du lycée et, pour
démarrer, a attendu qu’elle y pénètre. Mais Fiona a détourné l’attention de la surveillante et
Adeline a filé en douce. Elle a couru jusqu’au square, craignant à chaque pas que tu n’aies pas
eu la patience de l’attendre.
– Qu’allons-nous faire, Tchap ? Ils m’ont interdit de te revoir et, hier soir, ma mère a jeté le
chapeau de Toto à la poubelle. Elle ne voulait plus de cette saleté dans sa maison. Je criais si
fort que les voisins ont frappé sur le mur.
Balancer un chapeau presque neuf, elle n’a pas honte ! Tu respectes quelques secondes de
silence à la mémoire de ce valeureux combattant.
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Vous quittez le banc. Il pleut plus fort. Maintenant, vous êtes tous les deux en retard et, à
l’école, on a dû remarquer votre absence. Vous vous réfugiez sous le porche d’une vieille
demeure bourgeoise. Adeline se serre contre toi ; vous regardez tomber la pluie. Tu la sens
complètement désemparée. Elle a même perdu sa voix aux ondulations musicales et
charmantes ! Elle sèche ses larmes du revers de la main. Elle renifle bruyamment son chagrin.
– Tu crois qu’ils te frapperont s’ils apprennent que nous nous voyons encore ?
Elle ne sait pas. Ils ont rarement levé la main sur elle, mais elle n’a jamais vu sa mère aussi
fâchée qu’hier soir.
– Si Abdennasser n’avait pas été là, je pense qu’elle aurait réagi autrement. Elle a dû en
avoir peur. Depuis qu’elle s’est fait agresser par un immigré, elle les jette tous dans le même
sac. Je te passe toutes les conneries qu’elle dit sur eux. C’est viscéral ; les étrangers lui fichent
la trouille, même quand ils sourient !
Il arrête de pleuvoir. Vous quittez le porche protecteur. Il faut qu’Adeline retourne au
lycée. Ses vieux sont capables de venir la chercher à la sortie. Vous prenez le chemin du grand
bâtiment gris.
Abdennasser sourit lorsque tu pousses la porte de la classe. Il est assis au troisième banc,
dans la rangée du milieu. Il t’adresse un clin d’œil. Le prof se retourne et t’aperçoit. Maths. Le
bonhomme n’est pas commode. Il te toise avant de marmonner :
– Encore en avance ! De mieux en mieux !
Tu lui tends ton journal de classe avec une note de l’éducateur. Il fait la moue.
– Qu’avez-vous encore pu trouver pour vous faire excuser ? Vous essayiez de vous faufiler
entre les gouttes de pluie, sans doute ! Et ça vous a mis en retard ? Allez vous asseoir au fond.
Il est satisfait de sa trouvaille. Personne n’a souri. On le méprise trop pour ça ! Toi non
plus, tu ne comprends pas comment tu as pu embobiner l’éducateur. Tu lui as raconté la
première bêtise qui t’est venue à l’esprit.
– Une indigestion pendant la nuit, M’sieur. J’ai absolument voulu venir parce qu’on a
interro en français. J’ai tellement étudié hier soir ! J’étais malade ce matin. Je n’ai pas pu me
lever tout de suite.
Il a marché ! Peut-être parce que tu ne t’absentes pas souvent et que tu arrives peu en
retard. Adeline commence dix minutes avant toi au lycée ; ça te permet de toujours être à
l’heure, même lorsque tu traînes un peu. Et tant d’élèves de l’école souffrent d’absentéisme
chronique qu’on peut bien excuser quelqu’un qui vient presque tous les jours !
Il fait chaud dans la classe. Qu’est-ce qu’Adeline a bien pu inventer ? Vous vous êtes
longuement embrassés, presque en face de son école. Pas très prudent, mais elle avait besoin
que tu la consoles. Abdennasser se retourne et te fait un petit signe de la main pendant que le
prof écrit au tableau. Tu lui demanderas conseil. Il aura peut-être une idée pour vous sortir du
guêpier où vous vous êtes fourrés.
À la récréation, Abdennasser t’écoute, les traits crispés. Vous vous êtes installés dans un
coin de la cour. Il est tellement attentif à ce que tu racontes qu’il n’a même pas un regard pour
ceux qui jouent au foot près de vous.
– Ses parents sont aussi détraqués que les miens. Des bourgeois bien pensants ! Et pourris
de fric. Catastrophique !
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– Mais qu’est-ce qu’on leur fait à ces gens-là ?! C’est toujours la faute des étrangers. Je n’ai
jamais agressé personne, moi ! Les petites vieilles qui changent de trottoir quand elles me
voient arriver, elles me fichent mal au ventre ! La peur et le dégoût que tu lis dans leurs yeux,
ça te donnerait presque envie de frapper.
La sonnerie de la fin de recréation retentit. Abdennasser se lève, râleur, les mains dans les
poches. Il n’a trouvé aucune idée pour Adeline et toi. Pour lui, les vieux d’Adeline finiront par
se lasser. Comme les tiens.
Abdennasser est optimiste ! Chez toi, en plus du mutisme, vient de débuter un blocus
économique. Cette semaine, ton père ne t’a pas filé d’argent de poche. Pas un franc ! Tu es
certain qu’il attendait que tu le lui fasses remarquer. Tu as fait semblant de rien. Ta mère
t’observe toujours avec des yeux de cocker déprimé. Elle attend les décisions du chef de
famille !
À la fin des cours, tu te postes prudemment aux abords du lycée d’Adeline. Tu ôtes même
ton chapeau pour que la mère ou le père ne te remarque pas tout de suite si l’un des deux
l’attend. Elle sort de l’école, fait un petit signe bizarre dans ta direction. Son visage a l’air
crispé par la colère. Tu avances déjà vers elle quand tu aperçois un bonhomme vêtu d’un
imperméable bleu marine qui bouge devant toi. C’est vers lui qu’Adeline marche. Elle le
rejoint ; tu es tout près et tu peux entendre ce qu’ils disent.
– La voiture est garée plus loin. Il n’y avait pas de place ici.
– Tu crois que je ne peux pas rentrer à la maison sans toi ?
L’homme ne répond rien, saisit Adeline par le coude et la pousse devant lui.
– Laisse-moi ! Je peux marcher toute seule !
Il la lâche sans un mot. Quand ils passent devant toi, elle te jette un petit regard
malheureux. Tu as envie de sauter à la gorge du type et de le bourrer de coups de poings
vengeurs. Mais tu ne bouges pas. Premièrement, parce que, malgré ce que certains croient, tu
es un garçon civilisé. Deuxièmement, parce que ça ne servirait à rien. Ils grimpent dans une
grosse BMW grise. Adeline s’assied derrière : elle tourne la tête vers toi au moment où son
père démarre.
2.4. Les objectifs
– Faire analyser succinctement une situation conflictuelle cruciale.
– Faire analyser une courte argumentation
2.5. Les questionnaires
2.5.1. Les élèves ne disposant plus du texte
1. La seconde discussion entre Adeline et ses parents est-elle importante pour la suite des
événements ? Pourquoi ?
2. Va-t-elle entraîner une conséquence pour Tchap et Adeline ? Si oui, laquelle ?
3. Les obstacles qui se présentent à eux peuvent-ils être surmontés ? Si oui, comment ?
Quelles solutions envisagerais-tu à leur place ?
4. Quelle est la raison profonde de l’opposition des parents d’Adeline ? La comprends-tu ?
Pourquoi ?
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2.5.2. Les élèves pouvant consulter le texte
1. Relève les arguments précis dont se sert la maman d’Adeline pour lui reprocher sa liaison
avec Tchap.
2. Ces arguments sont-ils compréhensibles dans le chef de la maman ? Pourquoi ?
3. Sont-ils pertinents et adaptés à la situation ? Pourquoi ?
4. Que retient surtout Tchap de la discussion entre Adeline et sa mère ?
5. Le point de vue soutenu par Abdennasser est-il intéressant ? S’inscrit-il comme une
réfutation d’un argument de la mère d’Adeline ? Justifie tes réponses.
3. LES SUGGESTIONS DE QUESTIONNEMENT APRÈS UNE LECTURE
INTÉGRALE
1. Le roman commence ainsi : « À 15 ans, l’amour, ça semble un peu la mer à boire. Ça te
submerge et ça te laisse sonné comme si, soudain, tu étais pris sous une grosse vague. Elle
s’appelle Adeline…» Le titre du roman ainsi que la phrase soulignée fait allusion à une
expression figurée souvent employée « … ce n’est pas la mer à boire ! » qui signifie que la
situation dans laquelle on se trouve ne constitue pas une difficulté insurmontable.
– Dans le cas de Tchap, qu’en penses-tu ?
– Dirais-tu que sa passion pour Adeline et l’expérience qu’elle a entraînée s’apparente ou non
à « la mer à boire ». Justifie ton opinion, qui peut être nuancée en te basant sur des
informations fournies par le roman.
2. Commente ces réflexions faites par deux élèves de 14 ans après la lecture du livre :
– Je n’ai pas apprécié la fin du roman parce que Tchap subit un échec.
– J’apprécie beaucoup la fin du livre parce que l’expérience subie par Tchap lui apporte
quelque chose d’important en ce qui concerne la connaissance des autres.
Laquelle reprendrais-tu à ton compte? Essaie d’argumenter ta prise de position en te référant
aux événements du roman.
3. Le thème de l’immigration est sous-jacent dans le roman. Sur lesquels de ses aspects les
relations entretenues par Tchap avec son copain Abdennasser et sa famille insistent-elles ?
4. Tout le récit est écrit à la 2e personne, sauf le dernier chapitre : ce choix fait par l’auteur
n’est certainement pas gratuit. Quelle explication en donnerais-tu en te basant sur l’évolution
subie par la personnalité de Tchap au cours de l’histoire ?
5. Pour quelles raisons as-tu ou n’as-tu pas apprécié ce roman ?
6. Si tu ne l’as pas aimé, crois-tu qu’il pourrait intéresser d’autres lecteurs ? Quel genre de
lecteurs et pour quelles raisons ?
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