Frida Kahlo-Diego Rivera. L`art en fusion par

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Frida Kahlo-Diego Rivera. L`art en fusion par
Frida Kahlo-Diego Rivera. L’art en fusion par Marie-Paule Vial
Si Frida Kahlo est aujourd’hui l’une des artistes les plus connues et les plus populaires de l’art mexicain du XXe siècle, c’est bien sûr grâce à sa personnalité
et à l’originalité d’une œuvre qui échappe à toute tentative de classification. L’œuvre est ici avant tout l’expression du récit d’une vie. Vie tragique et
tumultueuse, échappant à son tour à toute convention, connue dans le moindre détail et récemment portée à l’écran, faisant d’elle une véritable icône. La
seule évocation de son nom soulève enthousiasme et admiration, pourtant elle est peu montrée. Sa production artistique n’a pas été exposée en France
depuis quinze ans. La sélection proposée par le musée de l’Orangerie inclut des oeuvres majeures de l’artiste, parmi lesquelles des chefs-d’œuvre du musée
Olmedo, l’une des principales collections consacrée à Frida Kahlo, dont la très célèbre Colonne brisée. La vie et le travail de Frida Kahlo sont indissociables
de celles de son compagnon Diego Rivera (1886-1957). Ils sont entrés ensemble dans la légende et figurent tous deux au panthéon des artistes mexicains du
XXe siècle. L'originalité de l'exposition consacrée au couple mythique incarné par Diego Rivera et Frida Kahlo consiste à présenter leurs oeuvres ensemble,
comme pour confirmer leur divorce impossible, effectif dans les faits mais aussitôt remis en question après une seule année de séparation. Elle permet aussi
de mieux entrevoir leurs univers artistiques, si différents, mais également si complémentaires, par cet attachement commun et viscéral à leur terre mexicaine :
cycle de la vie et de la mort, révolution et religion, réalisme et mysticisme, ouvriers et paysans. Ce qui les rapproche c’est le même talent de coloriste, la
même passion pour l’héritage aztèque et la culture précolombienne et un attachement viscéral à la terre du Mexique avec le monde paysan et ouvrier chez
Diego, la nature luxuriante et les références à la religion catholique chez Frida.
Diego Rivera (1886-1957) Célèbre pour ses grandes peintures murales, les peintures de chevalet, dessins, lithographies, qui constituent une part importante
de sa production, sont moins connues du grand public en Europe. Le propos de l’exposition est de retracer son cheminement artistique, depuis les
premières oeuvres cubistes, témoignages de ses liens avec le milieu artistique parisien au cœur de la collection de l’Orangerie, jusqu’à celles qui firent de lui le
fondateur de l’école mexicaine du XXe siècle. L’exposition est une invitation à découvrir les multiples facettes de l’art de Rivera dont les voyages à travers
l’Europe ont nourri sa vision et son répertoire sans l’éloigner de ses racines. Il s’inscrira ainsi dans l’histoire comme le fondateur de l’école nationaliste.
Diego Rivera, Le Picador, 1909 Huile sur toile, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo Il est formé aux Beaux-Arts de Mexico puis dans
l'avant-garde parisienne à partir de 1909. Il reste en Europe 15 ans (visite l’Italie, l’Espagne et reste 7 ans en France, à paris et en Provence)
Diego Rivera, Le Marché aux puces, 1915 Huile sur toile, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo En Espagne et surtout à Paris, Diego
fréquente en effet les artistes sans le sou qui font la célébrité de Montmartre et de Montparnasse. Il a pour amis Picasso, Modigliani, Chagall, Delaunay,
Léger, Matisse... Il partage avec eux les longues discussions sur l'art, et aussi la misère. Cette cohabitation est aussi féconde : c'est auprès de ces artistes que
Diego cherche son propre style et se libère des influences académiques que l'on retrouve encore dans cet autoportrait de jeunesse.
Diego Rivera, Paysage du Midi, 1918 Huile sur toile, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo dans le style de Cézanne.
Diego Rivera, Paysage zapatiste, 1915 Au verso, la femme au puits Huile sur toile, Mexico, Museo Nacionale de Arte. Il comprend les styles
anciens et modernes, sait s'en saisir et s'intègre au cubisme à la fin de 1913. Mais aussi, le Mexique a connu sa grande révolution de 1910. Diego Rivera
revient au Mexique en 1921. La guerre civile est finie ; un nouveau gouvernement, progressiste, est en place. L'écrivain José Vasconcelos, alors ministre de
l'Éducation, a pour ambition d'aider les Mexicains à construire leur propre identité nationale. Il mise sur un programme de fresques qui serviront de livres
d'histoire à cette population largement illettrée. Diego Rivera fait partie du trio de peintres, les « Tres Grandes », à qui l'État confie ces commandes officielles
: à 30 ans à peine, il devient ainsi l'une des figures les plus influentes et les plus admirées de l'art mexicain.
Frida Kahlo (1907-1954) Frida est la fille d'un photographe allemand d'origine hongroise et d'une Mexicaine à demi indienne, née en 1907. Son œuvre
comporte environ 250 tableaux, très souvent de petits formats, un certain nombre ayant été peints alors qu'elle était alitée. Elle a peint beaucoup
d'autoportraits, témoignant souvent de sa souffrance physique et morale, seule ou en compagnie d'animaux, dans des décors de végétation exubérante,
parfois des portraits de famille. Ses toiles sont empreintes de culture mexicaine : tenue traditionnelle, bijoux locaux, portraits d'indigènes. Ce ne sont pas des
tableaux au sens habituel du mot, mais des ex-voto. Sa peinture est directe, frontale.
À l'âge de six ans, Frida est victime d'une poliomyélite, elle en gardera une claudication dont elle moquera. A 16 ans, elle intègre la Escuela Nacional
Preparatoria, considérée comme le meilleur établissement scolaire du Mexique et souhaite alors devenir médecin. Elle doit à son père, excellent photographe
et accessoirement peintre d'aquarelles, une excellent culture. Elle porte d’ailleurs un certain intérêt à la peinture.
Frida Kahlo, Portrait d’Alejandro Gomez Arias, 1928 Huile sur toile, CP son premier amour
Frida Kahlo, Autoportrait à la robe de velours, 1926 Huile sur toile, CP Ce portait plein de dignité et de noblesse, reflète l'intérêt que Frida portait à
la peinture de la Renaissance Italienne. Elle l’appelait d’ailleurs « son Botticelli ». Elle connaît parfaitement l’histoire de l’art et parle philosophie avec son
père. C’est un être très cultivée (avec un franc parler, écrit et oral). Elle a changé sa date de naissance, car elle dit avoir peint ce tableau à 16 ans !!! Cela fait
partie de son personnage. Elle a déjà le sourcil épais et en aile de corbeau, le duvet léger, le regard lointain, sur un fond mystérieux.
Frida Kahlo, L’accidente, 17 septembre 1926 Crayon graphite sur papier, Mexico, Coll. Juan Rafael Coronel Rivera Seule représentation que Frida
fit de son accident qui va la hanter et la faire souffrir toute sa vie. Le 17 septembre 1925, elle prend le bus pour rentrer chez elle après ses cours. L’autobus
sort de la route et percute un tramway. Plusieurs personnes trouvent la mort lors de l’accident. Elle est grièvement blessée. Son abdomen et sa cavité
pelvienne sont transpercés par une barre de métal. Jambes, pied droit, bassin, côtes et colonne vertébrale sont brisés. Séjours à l’hôpital, opérations…
Frida Kahlo, La colonne brisée, 1944 Huile sur toile marouflée sur masonite, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo. Elle doit rester avec un
corset de plâtre. Elle commence alors à peindre. Pour l'aider, ses proches placent un baldaquin au-dessus de son lit avec un miroir pour ciel. Elle peut ainsi
se servir de son reflet comme modèle. Avec ce tableau, on touche à quelque chose de l’art de la spécificité et du savoir-faire. Ce n’est en rien naïf, elle file la
métaphore. L'axe du tableau repose sur la colonne vertébrale, source de toutes les souffrances physiques de Frida. La colonne est une colonne ionique
brisée, elle enserré dans un corset, qui la maintient. Pour exprimer sa douleur, les clous font référence aux flèches de saint Sébastien et aux objets christiques
de la Passion. Elle est devant un paysage chaotique, symbole de sa détresse morale et de sa douleur. Elle est devenue une icône déjà à l’époque dans son
pays. Mais ce qui a fondé sa réputation mondiale, c’est la manière dont elle se met en scène. Elle exprime son intimité au plus près.
En 1928, son amie la photographe Tina Modotti l'incite à s’inscrire au Parti communiste mexicain. Elle rencontre pour la première fois Diego Rivera dans
l'auditorium de son école, alors qu’il effectuait une peinture murale. Diego est déjà un peintre accompli, Frida est encore une débutante.
Frida Kahlo, Frida Kahlo et Diego Rivera, 1931 Huile sur toile, San Francisco, Museum of Modern Art. Frida Kahlo et Diego Rivera, de 21 ans
son aîné, se marient en 1929 (divorcent en 1939, et se remarient en 1940). Ils s’installent ensemble à Mexico dans un atelier, mais ce dernier ne tarde pas à la
tromper. Elle aussi. L'inventaire des maîtresses de Rivera inclut Cristina, sœur de Frida. En novembre 1930, ils emménagent à San Francisco car Rivera a été
chargé de réaliser des peintures murales pour le San Francisco Stock Exchange et pour la California School of Fine Art. Frida y fait la connaissance
d’artistes, de commanditaires et de mécènes. Puis à Detroit.
Diego Rivera, Le Mexique d’aujourd’hui et de demain, 1935 Fresque du Palacio Nacional, Mexico Diego Rivera est surtout célèbre pour ses grandes
fresques historiques inspirées par les idéaux de la Révolution.
Diego Rivera, L’Arsenal. Frida Kahlo distribuant des armes, 1928 Fresque du Ministère de l’Education publique, Mexico, Cour des Fêtes,
niveau 3, mur sud En 1928, le premier portrait de Frida par Diego la montre distribuant des armes au peuple, personnage central vêtu de rouge d'une
peinture murale au ministère de l'éducation publique. Pour préparer ses fresques, Diego Rivera réalise de très nombreuses esquisses. L'artiste possède
toujours un carnet de croquis sur lui. Certains dessins, comme cette esquisse de l'Exécution de Maximilien, sont à l'échelle de la fresque qu'ils représentent :
ce sont des « poncifs ». Ils permettent au peintre de reporter précisément sa composition sur le mur grâce à un système de mise au carreau. Cette méthode
découpe la composition en petites unités plus faciles à reproduire qu'un grand ensemble.
Frida Kahlo, Diego et Frida ou Double Portrait Diego et moi, 1944 Huile sur masonite avec cadre de coquillages, CP. La fusion est totale entre les
deux artistes. En 1944, à l'occasion du 15e anniversaire de son mariage avec Diego, Frida réalise un surprenant portrait intitulé Diego y Yo (Diego et moi)
qui combine leurs deux visages accolées. Son cadre est paré de coquillages colorés, à la manière des petites peintures populaires mexicaines. Par différents
symboles, l'artiste y exprime le lien indéfectible qui l'unit à l'homme qu'elle aime, mais également tout ce qui les sépare. L'association des deux visages est
volontairement disparate. Chaque moitié affiche sa propre expression : Diego esquisse un sourire, tandis que Frida fixe sévèrement le spectateur. Le raccord
lui-même n'est pas parfait. Il rappelle l'apparence mal assortie du couple, que le père de Frida a résumée en un mot à son mariage : « l'union d'un éléphant et
d'une colombe »... À côté du visage hybride, Frida représente deux éléments qu'elle emploie fréquemment pour évoquer son couple : le soleil et la lune,
double symbole du masculin et du féminin. L'image est ambiguë : les deux astres évoquent à la fois l'union impossible, la présence de l'un chassant celle de
l'autre dans le ciel, et la complémentarité de ces deux êtres ne pouvant se passer l'un de l'autre. Frida rappelle aussi tout ce qui l'unit à Diego. La base du
visage est prise dans le nœud d'un cep de vigne dont les ramifications envahissent la toile. Aucune feuille ne pousse sur les branches : la vigne est stérile, tout
comme le couple, qui n'a jamais eu d'enfant. Mais le lien est puissant et évoque la forme anatomique d'un cœur aux artères rayonnantes. Les deux coquillages
qui font écho à ceux du cadre évoquent les parts masculine et féminine de ces deux visages réunis en un seul.
Gisèle Freund, Frida Kahlo, Mexico City, 1948 Epreuve au charbon Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne Elle se met en scène...
Depuis son mariage avec Diego, la jeune femme a pris l'habitude de porter les longues jupes et les chemisiers bariolés des femmes Tehuana, que son époux
apprécie particulièrement. Elle complète son costume par un rebozo, un châle mexicain qui entoure ici ses épaules, et d'imposants bijoux de facture
traditionnelle. Elle rassemble enfin sur le haut de la tête sa chevelure noire tressée et agrémente souvent sa coiffure de fleurs aux couleurs vives.
Lola Alavarez Bravo, Frida avec un miroir et deux chiens, vers 1944 Mexico, Galeria Lopez Quiroga Lola Alvarez Bravo, compagne du célèbre
photographe mexicain du même nom, occupe une place essentielle dans la carrière de Frida Kahlo : elle lui offre sa seule exposition personnelle au Mexique
de son vivant en avril 1953, un an avant sa mort. Photographe elle-même, Lola Alvarez Bravo a également réalisé de nombreux portraits de Frida. En 1952,
elle saisit l'artiste dans l'intimité de la Casa Azul. Ce portrait en pied appartient à la série de 1952. C'est une légende vivante, au sommet de sa gloire artistique,
que saisit l'objectif de Lola. Frida y apparaît en majesté, parée de ses atours traditionnels : longue robe, bijoux et natte. A ses pieds, deux des nombreux
compagnons dont elle aimait s'entourer au quotidien. Ces chiens Itzcuintli appartiennent à une race mexicaine très ancienne. Selon la légende, le dieu aztèque
Xolotl l'aurait offert en cadeau à l'humanité pour la guider dans le monde de la Mort. Un symbole que Frida ne pouvait manquer d'apprécier !
Diego Rivera, Marchande d’arums, 1943 Huile sur masonite, Mexico, collection Miguel Aleman Velasco. À plusieurs reprises dans sa carrière,
Diego Rivera prend comme thème principal de ses toiles la représentation d'un bouquet d'arums. Le choix de cette fleur est symbolique : les arums sont en
effet omniprésents dans les rues de Mexico et dans les fêtes populaires. En peignant une Vendedora de alcatraces (une vendeuse d'arums) dans ce tableau de
1943, Diego Rivera saisit à nouveau le prétexte d'une scène quotidienne pour représenter l'âme du peuple mexicain. Deux jeunes Indiennes, coiffées et
habillées de manière traditionnelle, arrangent un gigantesque bouquet qui masque un personnage dont seul le chapeau dépasse au dessus des calices blancs.
Comme dans les autres toiles sur le même thème, la présence du bouquet est aussi importante que celle des deux jeunes filles : elle occupe toute la partie
supérieure du tableau. Le foisonnement des calices est prétexte à un jeu pictural. Diego semble démultiplier la même fleur, vue sous différents angles, et met
en avant la blancheur des calices par l'emploi d'un fond sombre. Comme souvent dans son œuvre et dans celle de Frida, la nature est invasive : la végétation
très dense sature l'espace au point de le rendre opaque et de masquer largement l'arrière-plan.
Frida Kahlo, Mes grands-parents, mes parents et moi, 1936 Huile et tempera sur métal, New-York, The Museum of Modern Art. Elle raconte
l’histoire de ses origines, tel un arbre généalogique. Elle a symbolisé ses grands-parents maternels mexicains par la terre, et ses grands-parents paternels
allemands au moyen de l’océan. Elle est la petite fille du jardin de la « Maison bleue » où elle est née et décédée. Au-dessus, ses parents dans la pose de leur
photo de mariage. Elle tient entre ses doigts le ruban rouge symbolisant les liens familiaux.
Frida Kahlo, Ma nourrice et moi, 1937 Huile sur métal, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo. À la naissance de sa jeune sœur Cristina, Frida
a été confiée par sa mère à une nourrice indigène. Dans ce tableau réalisé en 1937 et intitulé Mi Nana y Yo (Ma nourrice et moi), l'artiste transforme cet
épisode de sa biographie en symbole. Elle se représente avec le corps d'une enfant dans les bras d'une imposante nourrice indienne à la peau sombre et aux
cheveux noirs. Le visage de la nourrice est remplacé par celui d'une idole olmèque, à l'image des statues de cette ancienne civilisation précolombienne que
Frida collectionnait. Cette scène d'allaitement s'inspire des Maternités chrétiennes. Mais la figure de la Vierge est remplacée par une idole païenne et celle de
l'enfant Jésus par Frida. Le couple se tient dans une nature à la fois dispensatrice de bienfaits et terrifiante : la pluie s'abat sur une végétation dense et
impénétrable, d'où émerge une immense feuille vert clair. Les veines de cette feuille évoquent la curieuse poitrine de la nourrice. Frida, qui était passionnée
par la biologie, a représenté le sein comme une planche anatomique, mais en donnant aux glandes et aux canaux une apparence quasi végétale.
Par ce retour aux origines précolombiennes de son pays natal, Frida évoque bien sûr la mexicanité qui nourrit son art.
Frida Kahlo, Le petit défunt Dimas Rosas, 1937 Huile sur toile, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo. La mort est consubstantielle à la
civilisation mexicaine. Dans cette relation à la mort, elle peint l’enfant mort d’une proche voisine, comme endormi. Les couleurs ne sont pas tristes, l’enfant
est roi, il part dans l’au-delà. Le phylactère renvoie à la Renaissance et aux ex-voto
Frida Kahlo, Jeune fille « tehuacana » Lucha Maria ou Soleil et Lune, 1942 Huile sur toile, Mexico, collection Pérez Simon. L'affirmation de la
mexicanité, à l'orée des années 1920, passe par la redécouverte des civilisations précolombiennes. Le site de Teotihuacan et sa formidable architecture a été
largement exploité pour mettre en valeur ce passé indigène. Ce sont les deux gigantesques pyramides de ce site, celle de la Lune et celle du Soleil, qui se
dressent à l'arrière-plan de cette toile peinte par Frida Kahlo en 1942. Selon la mythologie maya, c'est à Teotihuacan que les dieux se seraient réunis pour
créer les deux astres. La pyramide à degrés, édifice symbolique du passé national, était présente jusque dans le quotidien de Frida et Diego. Le couple avait
en effet aménagé dans la Casa azul une petite pyramide sur laquelle ils exposaient leur collection d'œuvres d'art précolombien. Devant deux pyramides, une
Nina (jeune fille) vêtue du costume traditionnel tehuacana, est assise sur un rocher. Elle tient dans ses bras une maquette d'avion militaire. Ce jouet de guerre
n'a rien d'anodin ; il rappelle l'importance qu'avait pour Frida l'engagement politique féminin dans la lutte populaire. Au-dessus des pyramides, l'artiste a
représenté les deux symboles de la Lune et du Soleil, déjà présents dans le double portrait Diego et moi. La dualité complémentaire du jour et de la nuit qui
partage le ciel se retrouve jusque dans le rebozo de la jeune fille. À l'arrière-plan, le soleil darde ses rayons implacables sur le paysage désertique.
Frida Kahlo, L’Autobus, 1929 Huile sur toile, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo. Frida Kahlo représente dans ce tableau toute la
société. L’autobus c’est le voyage de la vie que font ensemble les membres de la société mexicaine. Sur le banc cohabitent en effet un groupe représentatif
des différentes classes sociales : la ménagère avec son panier à provisions, l'ouvrier vêtu de son bleu de travail avec une clé à molette à la main, la jeune
paysanne accompagnée d'un enfant qui berce son bébé dans le giron de son châle, un gringo élégamment vêtu et une jeune bourgeoise à la mode. Comme
dans la peinture de Diego Rivera, la tradition s'y mêle à la modernité. Dans les vêtements, bien sûr, et aussi dans le paysage, où les bâtiments industriels
cohabitent avec la campagne.
Frida Kahlo, Survivant, 1938 Huile sur métal ; encadré par l’artiste dans un cadre artisanal d’Oaxaca Mexico, coll. Pérez Simon. Les deux
artistes portent un intérêt majeur à la civilisation en voie de disparition dont ils veulent conserver la mémoire. La figurine de terre, inspirée par les figurines
préhispanique se développe devant un temple maya. C’est le survivant d’une civilisation, d’une société disparue. Le cadre en métal argenté (Frida portait une
très grande attention à ses cadres) renvoie à l’art populaire.
Frida Kahlo, Autoportrait à la frontière entre le Mexique et les Etats Unis, 1932 Huile sur métal, CP. Evoque les USA, la société industrielle et
mécanisée et le Mexique avec sa flore et ses racines anciennes. Vêtue de cette robe rose, elle évoque l’occident.
Frida Kahlo, Portrait de Luther Burbank, 1931 Huile sur masonite, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo Luther Burbank est un
horticulteur californien, spécialiste de l'hybridation des plantes. Frida Kahlo réalise son portrait en 1931, lors du séjour qu'elle effectue à San Francisco avec
Diego Rivera. C'est une œuvre-clé de sa carrière artistique. Pour la première fois, Frida rompt avec la représentation réaliste de ses précédentes toiles. Son
style mêle désormais le réel à l'irréel ; il fait fi des proportions et de la perspective ; il utilise le symbole comme le moyen le plus direct et le plus fort
d'exprimer une idée ou un sentiment. Le travail de Luther Burbank sur l'hybridation intéresse Frida à plus d'un titre. A cause de son accident, la jeune femme
a dû abandonner quelques années plus tôt la perspective de brillantes études de médecine. Mais elle a conservé un goût profond pour la biologie et l'étude
anatomique. Ce goût s'exprime dans la représentation précise des éléments végétaux et du cadavre en la partie basse du tableau. Par ailleurs, c'est dans ce
portrait que l'artiste met en place la notion d'hybridité qui parcourt toute son œuvre ; les éléments s'y combinent les uns aux autres, et c'est ainsi qu'un
cadavre peut donner naissance à un arbre, qui fait lui-même surgir un homme de son tronc. Ce lien intime entre vie et mort, l'une se nourrissant de l'autre et
vice-versa dans un cycle perpétuel, sous-tend nombre de ses œuvres. On comprend à la vue de ce portrait ce qui a séduit les Surréalistes à la fin des années
1930, même si Frida a toujours refusé de se laisser enfermer dans leur mouvement.
Frida Kahlo, Nature morte, 1951 Huile sur masonite, Collection particulière, courtesy Galeria Arvil, Mexique. Elle les appelait nature vive. Elle
en peint beaucoup. Les fruits renvoient immédiatement à l'expression sensuelle de la fécondité et de la sexualité féminine.
Frida Kahlo, Autoportrait au petit singe, 1945 Huile sur masonite, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo. Vers 1940, Frida Kahlo réalise
une série d'autoportraits mettant en scène la végétation mexicaine et différents animaux. Elle pose le visage de 3/4, le buste coupé aux épaules, avec ce
retard distant et solennel caractéristique. La nature très dense qui se déploie derrière elle sert de fond décoratif à son visage impassible. Frida aimait
s'entourer d'animaux. On retrouve dans ce tableau un petit singe noir (offert par Diego) qui peuple fréquemment les toiles de l'artiste à cette époque. Son
nom espagnol, « changuito », appartient à la langue argotique que Frida employait sans vergogne dans sa conversation et ses lettres. Discrètement accroché à
l'épaule du peintre comme un génie protecteur, il braque sur le spectateur le même regard noir et sévère que sa maîtresse.
Frida Kahlo, Autoportrait au singe, 1938 Huile sur masonite, Buffalo, New-York, Albright-Knox Art Gallery
Frida Kahlo, Le Masque (de la folie), 1945 Huile sur toile, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo. Son visage est recouvert d'un masque en
papier mâché. Elle apparaît de face, devant un arrière plan végétal luxuriant, dans lequel on remarque quelques feuilles se fanant, ce qui confère une
atmosphère lugubre à la peinture. Elle soutient de la main droite, sur son visage, un masque de couleur rouge/rose, sur lequel sont peints des yeux, des
sourcils, un nez et une bouche. Il est surmonté d'une fausse chevelure non coiffée et de couleur mauve vif qui accentue la tonalité étrange et peu rassurante
de la peinture. Au-dessus la véritable coiffure de Kahlo est reconnaissable à sa couleur noire et à son tressage significatif. Les orifices sont creusés au niveau
des yeux peints, de véritables larmes coulent sur le visage factice. Il s’agit du masque populaire de la Malinche, traditionnellement porté le jour d’El Dia de
los Muertos (« le jour de la Fête des Morts ») au Mexique.
Frida Kahlo, Portrait de Dona Rosita Morillo, 1944 Huile sur masonite, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo. Ce portrait est l'un des
tableaux les plus détaillés et réalistes de Frida. C’est la mère de Eduardo Morillo, un ingénieur agricole employé dans le service diplomatique. Eduardo était
un commanditaire de Frida. Elle peint régulièrement ses proches.
Frida Kahlo, Quelques petits coups de pique, 1935 Huile sur toile, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo. Frida Kahlo s'inspire d'un fait
divers sanglant survenu en 1935. Une femme est retrouvée lardée de coups de couteau. L'assassin n'est autre que son mari. Pour se défendre de son crime, il
affirme avec cynisme qu'il ne s'agit que de « petites piqûres ». Le style naïf et narratif de l'œuvre est directement inspiré de la peinture populaire. Frida inscrit
la phrase qui donne son titre au tableau dans un phylactère porté par deux oiseaux : une colombe blanche, métaphore de la victime innocente, et une
hirondelle noire, métaphore de la figure du bourreau.
Anonyme, Frida Kahlo à la Casa Azul, Coyoacan, Mexico, 1948
Frida Kahlo, Ce que l’eau m’a donné, 1939 Huile sur toile, Paris, New-York, Isidore Ducasse Fine Arts Inc.
En septembre 1938, André Breton est envoyé à Mexico et accueilli à Mexico par le couple Kahlo-Rivera. Frida Kahlo se défend d'être surréaliste : « On me
prenait pour une surréaliste. Ce n’est pas juste. Je n’ai jamais peint de rêves. Ce que j’ai représenté était ma réalité. » Breton est subjugué par Frida. Elle se rend à Paris pour
exposer, mais Breton n’est pas au rendez-vous et c’est Marcel Duchamp qui viendra à son aide. Elle n'aime pas Paris, qu'elle trouve sale, et la nourriture ne
lui convient pas. Elle déteste ces intellectuels de bistrot que sont pour elle les Surréalistes.
Frida Kahlo, Le Cercle, 1950 Huile sur aluminium monté sur panneau, Mexico, Xochimilco, Museo Dolores Olmedo.
Frida Kahlo, Autoportrait dédié à Trotski ou Entre les rideaux, 1937 Huile sur toile, Washington, National Museum of Women in the Arts.
En 1937, Léon Trotski trouve l'asile politique au Mexique. Lui et sa femme sont accueillis par Frida et Diego, à la Casa azul (la Maison bleue). Frida est très
attachée et ce jusqu’à la fin de sa vie au parti communiste et à Staline. Quand Trotski est assassiné à Mexico en 1940, Frida est même soupçonnée de
complicité. Une brève liaison se développe entre Trotski et Frida. À la fin de cette aventure, l'artiste lui offre « affectueusement » l’Autoportrait dédié à Léon
Trotski ou Entre les rideaux où elle se montre sous son meilleur jour avec une dédicace : « Pour Léon Trotski, je dédicace cette peinture avec tout mon amour… »
Juan Guzman, Frida Kahlo sur son lit d’hôpital entrain de dessiner un Indien huichol, 1951 Mexico, Galeria Lopez Quiroga Elle subit ici sa 22e
opération… Son médecin lui interdisant de se lever, c'est sur son lit d'hôpital qu'elle est transportée jusqu'à la galerie pour participer au vernissage.
Gisèle Freund, Frida Kahlo et son médecin le Dr Juan Farill, Mexico City, 1951 Epreuve gélatino-argentique, Paris, Centre Pompidou, Musée
national d’art moderne. En août 1953, on lui ampute la jambe droite jusqu’au genou à cause d'une gangrène.
Juan Guzman, Frida et Diego devant la peinture murale du Palacio de Bellas Artes, Cauchemar de guerre, rêve de paix, 1952 Epreuve gélatinoargentique, Mexico Galeria Lopez Quiroga Ellle se rend devant les fresques qu’exécute Diego, qui lui même la représente dans sa peinture comme aux
premiers jours de leur rencontre.
Frida Kahlo, En pensant à la mort, 1943 Huile sur toile, CP. Nombreux sont ses proches à avoir souligné son allure de reine. Le choix de sa toilette
relève d'un long cérémonial que Frida conserve jusque dans la maladie. Elle a parfaitement conscience de l'impact que produit son image sur son entourage,
et elle en use à dessein pour construire son personnage d'artiste. Dès l'adolescence, elle conçoit le vêtement comme un moyen d'exprimer sa singularité et de
se libérer des conventions. Ses tenues bigarrées sont à l'image de sa peinture : à la fois très personnelles et profondément ancrées dans la mexicanité.