Etude réalisé par RHSF sur le travail forcé au Népal et Qatar

Transcription

Etude réalisé par RHSF sur le travail forcé au Népal et Qatar
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TRAVAIL FORCE
Cas particulier du Népal et du Qatar

RESSOURCES HUMAINES SANS FRONTIERES
7 Rue Capitaine Escudié
31000 Toulouse

Martine COMBEMALE
Directrice de RHSF
Tel : 06 31 05 31 41
Dossier réalisé par Camille Sultra
2
Ressources Humaines Sans Frontières
Ressources Humaines Sans Frontières
- RHSF - est une ONG à vocation
internationale basée à Toulouse, créée en
2006 par des professionnels de la RSE et
des Ressources humaines.
Notre mission est de promouvoir le
respect des droits de l'Homme au travail
dans toute la chaîne de sous-traitance dans
le respect de l'environnement et des
communautés.
RHSF est présente en Chine, en Inde et aux
Etats-Unis.
Aujourd'hui, près de 21 millions de personnes dans le monde sont victimes de travail
forcé, dont la plupart en Asie. Problème d'actualité, souligné avec le scandale du travail
forcé au Qatar, pour la coupe du monde 2022.
Des droits du travail existent bel et bien, mais ne sont que trop rarement appliqués.
Le travail forcé
elon la convention n° 29 sur le travail forcé de l’OIT, le travail forcé ou obligatoire
désigne tout travail ou service exigé d'un individu sous la menace d'une peine
quelconque, et pour lequel ledit individu ne s'est pas offert de plein gré. Il existe dès
lors qu’il est imposé par les autorités publiques, par des entreprises privées ou des
particuliers. Le concept de travail forcé est défini de manière assez large et couvre par
conséquent une vaste gamme de pratiques coercitives qui adviennent dans toutes sortes
d’activités économiques et dans toutes les régions du monde. 1
S
Certains pays sont plus exposés que d’autres au travail forcé, et les populations se voient
depuis de nombreuses années victimes de ce fléau. Cette étude à pour but d'examiner les
différentes causes du travail forcé et de poser la question d’une quelconque corrélation entre
le niveau économique des pays victimes et le recours à cet esclavage moderne.
Cette étude se focalise sur un cas particulier, à savoir les relations entre le Népal, pays
faisant partie des plus pauvres au monde, et le Qatar, en tête des pays les plus riches.
1
Source International Labour Office
3
De plus, le projet qatari d’accueillir la coupe du monde de football en 2022 est un exemple
concret de travail forcé tant par les méthodes de travail utilisées dans ce pays du Golfe, que
par le bilan alarmant du nombre d’ouvriers népalais déjà décédés sur leur lieu de travail
depuis le lancement des chantiers de construction.
T
ravail forcé : un problème global
Le travail forcé est un problème global qui concerne d’une manière ou d’une
autre tous les pays du monde. Cependant, certaines régions et secteurs sont
bien plus affectés que d’autres par ce problème.
La carte ci-dessous donne un aperçu de la répartition du travail forcé dans le monde.
Source International Labour Office
Certains secteurs sont plus exposés au travail forcé que d’autres. Les migrants travaillant
dans les secteurs suivants se voient souvent forcés à travailler (secteurs qui ne demandent
pas de qualifications importantes)
∙ Agriculture
∙ Construction/bâtiment
∙ Restauration
∙ Travail de manufacture
∙ Travail domestique
∙ Agroalimentaire
∙ Transport
∙ Mendicité organisée
∙ Activités sexuelles
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Les estimations faites par l’International Labour Office permettent également d’évaluer le
nombre d’immigrants qui, à leur arrivée dans le pays d'accueil, se retrouvent pris au piège du
travail forcé :
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
Globalement, 20.9 millions d’individus sont victimes de travail forcé.
18.7 millions (90%) sont exploités dans l’économie privée par des individus ou des
entreprises.
Les 2.2 millions restant (10%) sont forcés à travailler par l’Etat ou par des groupes
rebelles militaires.
Plus précisément…
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11,8 millions d’individus (56%) sont soumis au travail forcé sur leur lieu d’origine
ou de résidence. Les déplacements transfrontières sont étroitement corrélés à
l’exploitation sexuelle forcée.
En revanche, la majorité des travailleurs forcés que l’on trouve dans les secteurs
économiques et presque tous ceux qui sont astreints à travailler pour le compte de
l’Etat n’ont pas quitté leur région d’origine.
Ces chiffres indiquent que les déplacements peuvent constituer un important
facteur de vulnérabilité pour certains groupes de travailleurs, mais pas pour
d’autres.
P
ourquoi avoir recours au travail forcé ?
A l’époque actuelle, l'objectif des entreprises est la réalisation de profits. Cellesci sont sans cesse à la recherche des méthodes les plus efficaces pour
minimiser leurs coûts et maximiser leurs profits.
La minimisation des coûts peut tout d’abord se faire en réduisant les coûts de production.
Principe relativement simple, mais qui nécessite très souvent d’importants coûts
d’investissements, ainsi que des coûts en Recherche & Développement. Ainsi afin d’éviter
ces investissements très onéreux, les entreprises ont plutôt recours à une main d’œuvre très
peu qualifiée pour exécuter des tâches relativement simples et répétitives.
Cependant, ces travailleurs sous qualifiés n’ont souvent pas eu accès à une éducation et
deviennent alors très faciles à manipuler du fait de leur ignorance quant aux règles et
conditions légales de travail.
5
Le cas particulier du pays « sourcing » le Nepal
S
ituation économique Népalaise
La population Népalaise, est rurale à 84%, entraînant ainsi une forte
dépendance à l’agriculture. Cependant, les seuls revenus agricoles s’avèrent
ne pas être suffisants pour subvenir aux besoins en nourriture mais aussi en
bien de consommation de la population Népalaise, qui de surcroît ne cesse
d’augmenter. En effet entre 1971 et 2011, la population s’est vue être multipliée par trois.
Souffrant également du manque de superficie (les surfaces cultivées ne représentent que
18% de la superficie totale) ainsi que du manque d’intensification dû à des besoins
d’irrigation par eau souterraine qui bien entendu s’avèrent trop couteux.
Ainsi l’économie du pays repose en grande partie sur les transferts des Népalais
travaillant à l’étranger, qui représentent près d’un quart du PIB.
Les conditions monétaires sont restées difficiles en 2013 et le gouvernement, pour pallier le
manque de transferts de l'étranger, a mené une politique monétaire laxiste2 ayant entraîné
des tensions inflationnistes importantes (10% sur 2012-2013), tandis que le déficit
commercial a augmenté (atteignant un record de 27% du PIB). La hausse des transferts de
fonds des Népalais de l'étranger (+21%), ainsi qu'une augmentation forte des
investissements directs étrangers ont permis d'atténuer l'augmentation du déficit
commercial3
Partir travailler à l’étranger semble donc être une solution privilégiée pour les
travailleurs népalais. A l’heure actuelle, ce phénomène touche l’ensemble des classes
sociales et des territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux.
Ainsi, un ménage4 sur deux profite d’envois de fonds par les migrants, et un tiers a plus d’un
membre à l’étranger [NSLL III, 2011]
2
Une politique monétaire représente l’ensemble des moyens mis en œuvre par un État ou une autorité
monétaire pour agir sur l’activité économique par la régulation de sa monnaie (Source : Banque de France ) Une
politique monétaire laxiste peut entraîner une hausse de l’inflation et par conséquent une récession.
3
Source www.expert-comptable-international.info
De manière générale, un ménage, au sens statistique du terme, désigne l'ensemble des occupants
d'un même logement sans que ces personnes soient nécessairement unies par des liens de parenté
(en cas de cohabitation, par exemple). Un ménage peut être composé d'une seule personne .
4
(Source : INSEE )
6
Cette carte représente les flux migratoires népalais dans le monde, et les flux monétaires en
provenance des pays de destination, c'est-à-dire les fonds monétaires envoyés par les
Népalais à leur famille restée au Népal.
Les hommes népalais migrent majoritairement en Inde, dans les pays du Golfe, ainsi
qu’en Asie de l’Est (Malaisie, Singapour).
Les femmes népalaises ne sont pas sollicitées pour le même genre de travail, et sont
souvent exposées à des réseaux de prostitution.
A
pplication des lois népalaises
L’extrême pauvreté d’un pays comme le Népal complique très largement le sort
des migrants. Entre corruption et manque de transparence des différentes
institutions5 il devient très difficile pour les Népalais de contourner les
différents abus et manipulations. De surcroît avec le peu d’éducation qu'ils ont
reçu et les rares informations mises à leur disposition.
5
Survey
7
La grande majorité des Népalais répondent à des offres d’emploi via des agences de
recrutement ou des courtiers/négociateurs situés au Népal. Ce genre d’activité génère
de très importants profits qui s’élèveraient, entre 2008 et 2009, à environ $US 710 000 par
jour selon un rapport publié par Amnesty International 6. Cette somme représente les
versements des migrants à ces agences.
Entre septembre 2010 et mai 2011, Amnesty International a interviewé 149 migrants
népalais et rencontré plusieurs responsables d’agences de recrutement. Il ressort de cette
étude qu’un grand nombre d’agences et de courtiers sont impliqués dans le trafic de
migrants népalais à des fins d’exploitation et de travail forcé.
Ceci viole la Convention No.29, 1930 (Forced Labour Convention) citée précédemment,
ainsi que le Nepal’s Foreign Employment Act, 2007.
Le gouvernement népalais tente malgré tout de prévenir les abus faits aux migrants, mais
souvent sans que cela ait l’effet attendu. En effet, au mois d’août 2013, le gouvernement
népalais voulant protéger les femmes de moins de 30 ans leur a interdit de se rendre en
Arabie Saoudite, au Qatar, au Koweït ou encore aux Emirats arabes unis pour y devenir
employées domestiques. En effet, un grand nombre de plaintes d’abus, qu’ils soient d'ordre
sexuels ou physiques, avaient été rapportés dans ces pays. Cependant, par manque de
travail dans leur pays d’origine, et avec cette interdiction qui leur est imposée, les femmes
népalaises se voient dans l’obligation de chercher du travail par le biais de réseaux
informels, les exposant à de nouvelles formes d’abus.
6
Source www.amnesty.org
8
Le cas particulier du pays d’«accueil» le Qatar
S
ituation économique au Qatar
Le Qatar possède la croissance économique la plus forte de la région du Golfe
grâce à ses réserves de pétrole et, depuis quelques années, à la mise en place
de son programme gazier. L’économie du Qatar se trouve parmi celles qui
connaissent le plus fort taux de croissance du monde avec un taux de 18,9 %
entre 2000 et 2004.
Le PIB a atteint 95,3 milliards $ en 2009, soit cinq fois plus en l’espace de six ans, et l’émirat
dispose de l’un des PIB par habitant les plus élevés au monde (environ 60.000 $ en 2009,
populations immigrées comprises).
80% de la population qatari est étrangère. En effet le Qatar a le ratio le plus élevé de
travailleurs migrants au sein de la population domestique dans le monde: plus de 90% de la
main-d’oeuvre est immigrée, et le pays doit encore recruter 1,5 million de travailleurs
supplémentaires pour les travaux de la Coupe du Monde de Football. 7
7
Source www.milipolqatar.com
9
L
ois et régulations qataries
L’absence d’institutions démocratiques au sein du Qatar est également un
élément central du problème. En effet, bien que majoritaires dans le pays, les
ouvriers népalais ne parviennent pas à faire valoir leurs droits. Ils ne peuvent même pas
aspirer un jour à devenir citoyen qatari puisque la politique d’immigration du Qatar vise
carrément « la non-intégration » de ces étrangers à la société d’accueil, affirme Tristan
Bruslé8.
Le Qatar, la fausse promesse d’un eldorado ?
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Quelles sont les raisons qui incitent les Népalais et autres migrants à vouloir se
rendre au Qatar afin de trouver un emploi ?
Quelles sont les conditions de travail proposées à ces migrants ?
Sont-ils avertis de la situation qu’ils rencontreront très probablement une fois sur
place ?
La corruption peut-elle avoir un lien avec cet esclavage moderne ? En effet, le Népal
étant considéré comme le deuxième pays le plus corrompu au monde, il semble
intéressant d’aborder la question du travail forcé sous cet angle.
Quelles sont les raisons qui incitent les Népalais et autres migrants à vouloir se
rendre au Qatar afin de trouver un emploi ?
La promesse d’une vie meilleure
«
Au Népal, si on se débrouille vraiment bien, on peut se faire 50 ou 100 dollars par
mois en travaillant à Katmandou. Mais dans le Golfe et en Malaisie, on gagne dans
les 200 dollars. Quand on a une femme et des enfants, comme moi, il faut de
l’argent. Avec l’argent gagné à l’étranger, on peut ensuite ouvrir une échoppe ou un petit
atelier. On n’a pas le choix, on veut tous partir. On fait cela pour l’argent, on tente notre
chance.. » rapporte ce Népalais venant de Bigyakharka, petit village dans le district de
Kotang, dans l’est du Népal.
Tenter sa chance au Qatar, mais à quel prix ?
La pauvreté du Népal, ainsi que le peu de gouvernance9 dont fait preuve ce pays, ne
laissent pas d’autre choix aux villageois népalais que de migrer pour espérer gagner plus,
vivre mieux, et contribuer au bien-être de leur famille. En effet, Par exemple, l’accès aux
soins étant trop coûteux, certains Népalais se voient dans l’obligation de partir travailler à
l’étranger afin de pouvoir payer certains frais médicaux.
Quitter leur pays est l’unique carte qu’ils possèdent, et souvent l’unique espoir qui leur reste.
8
Tristan Bruslé, géographe, s'intéressant aux dimensions spatiales, sociales et numériques des
migrations de travail, employé au CNRS.
9
Voir partie sur l’application des lois népalaises
10
Notre étude va montrer que le Népal fait partie des pays les plus corrompus dans le monde.
De plus le manque de moyens, le peu, voire l’absence d’accès à l’éducation10 sont des
raisons qui rendent difficiles les conditions de vie des habitants népalais. Face à tant de
difficultés, une véritable opportunité se présente à certains intermédiaires de recrutement qui
à partir de la misère de ce peuple vont s’enrichir et participer à un immense trafic humain.
700 agences de recrutement de Katmandou proposent leurs services : Blue Sky, SOS,
River, Lucky, Florid, Paradise, … des noms qui inspirent un avenir prometteur.
Q
uelles sont les conditions de travail proposées à ces migrants ?
Que proposent les agences de recrutement?
“We align ourselves with our clients and candidates as partners to assist them in achieving
their goals and objectives. We have developed a reputation as a premier recruitment
company, especially in the area of human resources solution […] We have been supplying
human resources for various categories from unskilled manual labour to highly skilled
technical, professional and managerial fields for esteemed organization […]”
Blue Sky International Pvt.Ltd, agence de recrutement Népalaise, propose donc ses services
à des catégories de travailleurs aussi bien très qualifiés, que sous qualifiés, gage de sérieux
pour les plus démunis.
Souvent, les contrats qui leur sont proposés ne sont pas conformes aux conditions qui les
attendent dans leur pays d’accueil. La promesse d’un emploi sûr, l’accès à un logement
décent, et propre, la garantie de posséder une assurance médicale, ou encore le coût des
transports à la charge de l’employeur sont les raisons qui incitent les migrants népalais à
partir pour les pays du Golfe. Mais les contrats proposés sont souvent truffés de fausses
promesses et de fausses informations.
Il est difficile pour les Népalais de déceler les arnaques cachées derrière ces contrats.
Entre esclavage moderne, enjeux politiques et économiques, les migrants népalais se
retrouvent piégés et deviennent des victimes du travail forcé.
Exercer une pression sur les migrants en réduisant leur statut civil au rang d'étranger en leur
confisquant leurs papiers d’identité est un indicateur parmi tant d’autres de travail forcé,
selon le BIT. Méthode simple mais très efficace, car combinée au principe de la Kafala, les
migrants deviennent dépendants de leurs employeurs. Cet abus de vulnérabilité empêche
les migrants d’avoir une quelconque marge de négociation avec leur employeur.
10
Alphabétisation
11
Avoir recours à la justice devient également un combat pour les migrants car la pression
exercée sur eux, ainsi que les menaces et l’intimidation qu’ils subissent au quotidien de leurs
employeurs réduit considérablement leurs chances de se faire entendre.
La rétention de documents, l’abus de vulnérabilité ou encore le recours aux menaces
marquent la réalité de travail forcé, selon le BIT.
Dépourvus de toute identité, et privés de leurs droits, ces migrants sont exploités tant sur
leur lieu de travail que sur leur lieu de vie. Entassés par dizaines dans des dortoirs de 15m²,
privés d’eau potable, soumis au bon vouloir de leur tuteur, les travailleurs népalais font face
à des conditions de vie déplorables.
L
es différentes formes de coercition énoncées par le BIT 11
Servitude par la dette
Les prêts et les dettes sont les moyens les plus courants pour asservir un travailleur à un
employeur. Quand ils contractent un prêt ou une avance sur le salaire auprès d’un
employeur, les travailleurs n’ont pas toujours un choix en la matière ou ne sont pas toujours
pleinement informés des conséquences d’une telle démarche. La plupart du temps,
l’emprunt est destiné à couvrir des besoins vitaux essentiels ou un paiement ponctuel
inévitable. C’est à ce moment-là que le travailleur perd tout contrôle sur ses conditions de
travail, quand la dette subit une inflation artificielle résultant de charges exorbitantes liées
aux taux d’intérêt, aux dépenses alimentaires et aux frais de logement. A terme, les
travailleurs asservis par la dette ne touchent pratiquement rien, puisque leur salaire est
presque exclusivement destiné au service de la dette. De tels exemples fleurissent en Inde,
au Népal, au Pakistan, notamment. Ce phénomène peut être induit par des pratiques et des
manipulations, toutes plus subtiles les unes que les autres, comme notamment: la rétribution
en nature ou inférieure au minimum légal, l’imposition de tarifs abusifs pour le transport,
l’outillage, la nourriture, etc., des fermetures périodiques, la substitution de contrats, les
paiements différés, voire le non ou le sous paiement. Il en résulte qu’au moment où les
salaires sont échus, les travailleurs se retrouvent pratiquement sans un sou et souvent
même endettés vis-à-vis de leur employeur. De telles situations ont notamment été
constatées en Bolivie, au Brésil, au Pérou et au Paraguay.
Pour couvrir ces frais, les migrants empruntent des sommes d’argent auprès de membres
de leur famille, de tiers légitimes, ou auprès des trafiquants eux-mêmes. L’impératif du
remboursement donne lieu à une pression extrême, qui constitue un facteur charnière dans
le processus de servitude.
11
www.ilo.org
12
Absence de protection par l’Etat
Dans certains cas, c’est l’Etat lui-même qui est responsable du travail forcé. Il arrive, en
effet, que l’Etat soit directement impliqué ou qu’il y ait un recours institutionnel au travail
forcé. L’Etat peut également être indirectement responsable du travail forcé lorsqu’il est
incapable d’offrir une protection adéquate, en raison de l’insuffisance des capacités
institutionnelles ou de sa représentation au niveau local, voire à cause d’un manque de
pouvoir ou de la corruption; il peut aussi advenir que l’Etat refuse de garantir une protection
en raison du statut informel ou irrégulier des travailleurs.
Restriction à la liberté de mouvement
La forme la plus évidente de coercition consiste dans la restriction physique des
mouvements d’un travailleur. C’est la dure réalité que connaissent les travailleuses et
travailleurs domestiques qui sont maintenus enfermés dans des maisons, les femmes
victimes de réseaux de prostitution qui vivent cloitrées dans des appartements ou des
maisons closes, les travailleurs asservis par la dette qui sont emprisonnés dans des
exploitations isolées ou éloignées, les travailleuses et travailleurs qui ne peuvent se rendre
dans les villes pour y acheter les denrées essentielles en raison par manque de temps libre,
et qui dépendent donc du magasin du domaine agricole, voire les personnes que des
trafiquants conduisent vers des lieux isolés d’où elles n’ont aucun moyen de sortir. Des
gardiens armés sont employés pour empêcher les travailleurs de s’évader des camps, des
exploitations ou des ateliers clandestins.
Certaines restrictions sont plus formelles mais ont néanmoins un impact physique. A titre
d’exemple, la situation irrégulière de la plupart des victimes de ce trafic empêche ces
personnes de dénoncer leurs conditions de travail, et les dispositions légales peuvent avoir
pour effet d’asservir les travailleurs migrants à un employeur. Dans certains pays, des
couvre-feux et des interdictions de réunion sont même imposés aux travailleurs migrants.
Violence, menaces et intimidation
Outre ces catégories principales, il existe un vaste éventail d'autres moyens de coercition
physique et morale : des menaces de poursuites judiciaires, de détention et de déportation
de travailleurs pour immigration clandestine, à diverses formes d’intimidation telles que la
menace du retrait du logement, de l’emploi, de la nourriture ou des visas...
Ainsi, les Népalais victimes de ces différentes formes de coercition peuvent se retrouver
endettés avant même d'arriver dans les pays du Golfe, vis-à-vis des agences intermédiaires
pour la plupart corrompues.
Cependant, avec la confiscation de leurs papiers, les salaires impayés, ou encore les
pressions exercées (impossibilité de quitter leur travail, voire de quitter le pays) les Népalais
sont confrontés à l’impossibilité de rembourser leurs dettes. Cette situation constitue donc un
cas de travail forcé.
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21 millions de personnes dans le monde seraient victimes de ce genre d’abus apparentés à
une forme d’esclavage moderne. L’ambassadeur népalais au Qatar, Maya Kumari Sharm, a
ainsi récemment décrit l’émirat comme une « prison ouverte ».
Les lois sociales Qataries ne prenant pas réellement en considération des principes
cependant essentiels au bien-être des travailleurs, comme la sécurité et la santé, il est très
facile pour les employeurs d’abuser de leur position.
Ainsi, les profits annuels provenant du travail forcé s’élèvent environ à 44 milliard de $US
pour les entreprises privées ou les agents, selon le Bureau international du travail. De plus,
les victimes du travail forcé permettent l’économie de 21 milliards de $US du fait de salaires
non payés et de frais de recrutement illégaux.
Il apparaît par ailleurs que les migrants se rendant au Qatar une fois sur place, n'ont
plus de marge de négociation avec leur employeur. Les raisons sont multiples et
peuvent en partie être expliquées :


Les lois et régulations qataries sont souvent bafouées et ne peuvent pas venir en
aide aux travailleurs migrants lorsque ces derniers se retrouvent en situation difficile.
Le principe de la kafala crée une relation de dépendance des migrants vis-à-vis de
leur employeur, ces derniers devenant alors « propriétaires » de leurs employés.
Le Kafala ou l’esclavage des temps modernes
A l’origine, le terme kafala s’apparente à une « tutelle ou à une délégation d’autorité parentale
qui s’applique à des enfants mineurs abandonnés. Cette tutelle disparait avec la majorité de
l’enfant. »
Chaque année, des milliers de travailleurs partent pour les pays du Golfe munis de leur
permis de travail obtenu à travers des agences d’embauche. Or le principe de la kafala
s’applique aussi aux émigrés, et les travailleurs désireux de trouver un emploi dans ces pays
d’accueil doivent être parrainés par un employeur.
Le travailleur se retrouve alors sous la coupe de ce qu’on appelle un kafile, qui est considéré
comme le tuteur du travailleur. Il retire son passeport au migrant et lui fournit une carte de
travail, qui fera fonction de pièce d’identité. Défendre ses droits devient alors impossible car
le travailleur ne peut exercer d’activités à caractère syndical ou autre pouvant l’aider dans la
défense de ses droits.
Le kafile se retrouve maître du travailleur, et détient tous les pouvoirs. De plus le travailleur
et le kafile n’ont pas les mêmes droits et ne bénéficient pas du même traitement devant la loi
du pays d’accueil.12
12
Source : www.agoravox.fr
14
Pour la Confédération Syndicale Mondiale , il est temps de venir à bout du système de
parrainage des immigrés des pays du Golfe.
«
Beaucoup d’entre eux ignorent que le simple fait de quitter un emploi pour en
chercher un autre peut entraîner de profondes frustrations, des abus de pouvoir de
la part des patrons, voire, dans certains cas, des peines de prison.
La situation est encore pire pour les travailleurs et travailleuses domestiques, qui se voient
confinés entre les quatre murs du domicile où ils travaillent, sans pouvoir disposer de leur
passeport, qui a généralement été confisqué par l’employeur. De tels cas d’abus et de
manipulation par les employeurs sont rarement rapportés par des femmes, vu qu’il leur est
impossible de s’échapper. Celles qui réussissent à s’enfuir et n’ont nulle part où se réfugier
se retrouvent dépouillées de tout statut légal et seraient exploitées en tant que prostituées ou
vendues à d’autres employeurs par des intermédiaires.
D’après des représentants syndicaux des pays du Golfe, les demandes des travailleurs
seraient rejetées ou simplement ignorées. Et comme il a été mentionné auparavant, les
employés qui soumettent des demandes finissent dans certains cas derrière les barreaux
suite à de fausses accusations déposées par l’employeur en guise de représailles. À moins
de d’abord faire appel à l’intervention des autorités, les travailleurs et travailleuses migrants
n’ont aucune chance de débouter l’appareil judiciaire, étant dépourvus des droits de
citoyens. »
Pour comprendre ce phénomène, il faut remonter au système de gouvernance notamment
aux Emirats Arabe Unis et au Qatar. Selon un article publié en 2009 par la revue « Hérodote
de géographie et de géopolitique »
«
Au sommet de la pyramide, un émir et sa famille ont tous les pouvoirs ; la limite
entre leurs biens personnels et les biens de l’État est très floue. Le statut de la
propriété de la terre à Dubaï ou à Doha est incertain. Aucune règle claire, seul
un usage est reconnu : en dehors des zones urbanisées, la terre appartient clairement à
l’émir ; en ville, la terre a pu être achetée ou offerte. L’émir organise donc son territoire
comme il l’entend, ce qui explique des réalisations urbaines planifiées à l’instar d’un chef
d’entreprise et dont les projets parfois pharaoniques traduisent la toute-puissance. La
population de souche est la seule à disposer d’une citoyenneté accompagnée de ses droits
et devoirs. Elle bénéficie alors des largesses de l’émir et de sa famille qui se traduisent par
de multiples avantages économiques et sociaux, notamment de celui hérité des règles
islamiques d’adoption d’enfants, à savoir la « kafala » Tout travailleur étranger, mais aussi
toute entreprise étrangère, est ainsi sous tutelle, comme un enfant. La « kafala » permet aux
citoyens nationaux de jouir des gains d’une entreprise implantée sur son sol (en possédant
la majorité des parts capital) ou d’exercer un pouvoir sur les travailleurs immigrés. »
Le Qatar a cependant récemment annoncé qu’il y aurait une réforme du droit du travail,
aboutissant à l’abolition du système de parrainage pour les travailleurs étrangers. Mais cette
nouvelle loi doit encore être approuvée par le Conseil de la Choura et la Chambre de
Commerce et d’Industrie...
15
L'idée que le système de la kafala peut être aboli par le simple fait de ne plus se référer à un
'parrain' mais à une relation employeur/employé est totalement grotesque", a déclaré de son
côté un responsable de Human Rights Watch, Nicholas McGeehan. "Ce qui m'inquiète, c'est
que le Qatar marche dans les pas du Bahreïn en donnant un autre nom au système de
parrainage, sans vraiment abolir la majorité des lois et pratiques permettant l'exploitation"
des migrants, a pour sa part remarqué Rima Kalush, de Migrant-Rights.org.
M
Igrants : sont-ils avertis de la situation qu’ils rencontreront très probablement
une fois sur place ?
Les conditions de travail et de vie présentées aux migrants ne sont pas toujours
représentatives de ce qui les attendent une fois sur place. En raison d'un manque
d’informations et d’éducation, les Népalais se retrouvent bien trop souvent pris au piège et il
devient alors très difficile de les en sortir pour les raisons énoncées précédemment.
Neelam Sharma, directrice de Free the Slaves, propose au sein de son organisme des
groupes communautaires afin d’expliquer aux Népalais comment migrer de manière
sécurisée sans encourir de risques majeurs.
Free the Slaves tente également, dans le cas de migrants en difficulté, de se coordonner
avec le pays d’accueil afin de négocier leur retour dans de bonnes conditions.
Cependant, malgré la prévention qui est faite, la plupart des familles ne sont pas réellement
au courant de la situation dans les pays de destination. En effet, les migrants revenant au
Népal ne racontent pas toujours leurs histoires, de peur de ne pas être compris et entendus,
ou tout simplement pour ne pas attrister les membres de leur famille.
«
Quand ils partagent leur expérience, les migrants sont confrontés à la peur de
ne pas être pris au sérieux par les habitants, et doivent expliquer très
précisément les sévices qu’ils ont subis. C’est pourquoi nous avons décidé de
travailler étroitement avec les survivants.. » explique Neelam Sharma.
The Guardian explique dans un article publié en 2013 que certains Népalais travaillant à
Lusail City osent cependant avouer leur désespoir :
« La compagnie ne nous a pas payés deux mois de salaire afin de nous empêcher de
fuir », raconte un homme employé à la marina de Lusail City. Il explique avoir été employé
par un sous-traitant fournissant des travailleurs pour ce projet. Certains travailleurs racontent
qu’on leur a confisqué leur passeport et que l’on refuse à leur remettre les cartes d’identité
auxquelles ils ont droit sous la loi qatari.
Un travailleur affirme travailler au Qatar depuis deux ans sans jamais avoir reçu sa carte
d’identité malgré les promesses de son employeur.
16
Or, sans documents officiels, les travailleurs népalais sont réduits au statut d’étranger en
situation irrégulière, souvent incapables de quitter leur lieu de travail sans la peur d’être
arrêtés et sans aucun droit à une protection légale.
De plus, sous le régime de la kafala, les travailleurs sont dans l’incapacité de changer de
travail ou de quitter le pays sans la permission de leur tuteur.
Ainsi, comme il a été expliqué dans cette étude, plusieurs facteurs sont à prendre en compte
dans le travail forcé. Au-delà de tous les aspects économiques, certains enjeux politiques ne
doivent pas être négligés. La corruption présente au Népal ne serait-elle pas également une
cause du travail forcé ?
C
orruption peut-elle avoir un lien avec cet esclavage moderne ?
Le Népal affiche un taux de corruption particulièrement élevé, se plaçant en deuxième
position des pays les plus corrompus au monde. Libertés individuelles restreintes, terreur
politique, institutions corrompues, peut-on établir un lien entre le travail forcé subi par les
migrants et le niveau de corruption présent au Népal ?
Un degré proche de 100 signifie que la corruption est faible ou qu'elle n'exerce pas une
limitation sur la liberté individuelle.
Alors que le Qatar présente un niveau de corruption plus ou moins faible, on peut constater
que la corruption au Népal est non négligeable, signifiant que les libertés individuelles des
Népalais étaient extrêmement limitées jusqu’au début des années 2006.
17
La corruption au Népal en quelques chiffres13 :
The Corruption Perception Index (CPI) ranks countries
on how corrupt their public sector is perceived to be by
independent organizations such as the World Bank and
the World Economic Forum. A low score indicates that a
country is perceived as highly corrupt, while a high score
indicates that a country is perceived as very clean.
CPI rank spans from most corrupt (1 out of 174) to least
corrupt (174)
World
Bank’s
control
corruption indicator (2011)
of
Control of Corruption is a World Bank indicator that
measures the extent to which public power is
exercised for private gain. A low percentile ranks
indicates that a country is relatively corrupt while a
high percentile rank indicates that a country is
relatively clean.
→ Corruption institutionnelle
Survey participants were asked to rate their perceptions of corruption of major institutions in
their home country on a scale of 1 to 5, 5 being most corrupt and 1 being least corrupt.

13
Niveau de terreur politique
Définitions, chiffres et graphiques trouvés sur country-corruption.findthedata.org
18
Niveau de terreur décrit dans les grands rapports nationaux des États-Unis, d'Amnesty
International et. Source: Gibney, M. Cornett, L., & Wood, R.
Le Népal affiche un niveau de terreur politique très élevé, avec un maximum atteint en 2011
(4,5 sur l’échelle de terreur politique) montrant l’oppression gouvernementale.
Le Qatar, en revanche, affiche un niveau plus faible atteignant 1,00 sur l’échelle de terreur
politique en 2012.
Personnes ayant payé un dessous-de-table à leur institution :
32% des participants à l’enquête ont versé un
dessous-de-table à un 1 des 9 institutions au
cours des 12 derniers mois
.
Ainsi, malgré les informations chiffrées dont nous disposons actuellement, il est difficile
d’établir une relation de cause à effet entre l’état de corruption d’un pays et son recours au
travail forcé. Une étude plus approfondie serait nécessaire pour affirmer cette hypothèse de
corrélation.
19
F
ootball, fer de lance de la stratégie qatarie
Conscient de l’attrait provoqué par l’organisation de grands événements sportifs,
les autorités ciblent particulièrement le football. Considéré comme "sport-roi", il
est un excellent outil de publicité et permet de mobiliser les individus. Dans ce domaine, le
Qatar développe un plan d’action autour de plusieurs axes ayant pour intention première
d’imposer la puissance qatarie au reste du monde en achetant par exemple des clubs à
l’étranger ( rachat du PSG par le Qatar en 2011 ) ou encore par l’utilisation d’un réseau de
diffusion télévisée au niveau mondial grâce à la chaîne télévisée Al Jazeera Sports.
Tout cela permet au Qatar de se créer une certaine légitimité quant au football, et ainsi de
rendre plus acceptable le fait d’accueillir l’un des événements les plus célèbres au monde
pour un pays qui n’avait il y a quelques années aucune influence et aucun intérêt pour le
football.
Cette volonté a un coût humain et financier. Si le Qatar a pris cette dimension, c’est aussi
grâce aux centaines de milliers de travailleurs étrangers qui ont transformé le désert en
nouvel épicentre du sport mondial. Privés de syndicats, leur sort demeure peu enviable et le
Qatar risque d’être la cible de campagnes de dénigrement de la part de nombreuses ONG si
leur situation ne trouve pas d’améliorations.
Quant au coût financier, il n’est pas un problème. L’émirat a exporté en 2012 pour plus de 60
milliards de dollars en gaz et pétrole. Cet argent est mis au service d’une vision où le sport a
pris une position capitale.1415
The Guardian met en avant dans une vidéo réalisée au Qatar les conditions de vie
déplorables des travailleurs népalais et insiste sur cet esclavage moderne mis en place par
l’Emirat.
https://www.youtube.com/watch?v=e5R9Ur44XV8#t=161
http://www.lexpress.fr/actualite/le-qatar-et-l-abolition-du-systeme-de-parrainage-pour-les-etrangersentre-espoir-et-scepticisme_1544583.html
14
15
Source : Le Monde
Source : Article de Nabil Ennasri, auteur de « L’énigme du Qatar », publié en 2012
20
Annexes
Degré d’alphabétisation au Népal/Qatar
21