Mobilités et politique à Sidi Ifni, ville isolée du Sud marocain
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Mobilités et politique à Sidi Ifni, ville isolée du Sud marocain
ESPACE, POPULATIONS, SOCIETES, 2010.2-3 Karine BENNAFLA 251 pp. 251-265 Laboratoire GREMMO/MOM Institut d’Études Politiques 14, avenue Berthelot 69365 Lyon cedex 07 [email protected] Mobilités et politique à Sidi Ifni, ville isolée du Sud marocain Les recherches actuelles sur les mobilités marocaines privilégient certains mouvements, en général communs aux autres pays de la rive Sud de la Méditerranée : migrations vers l'Europe [Arab, 2009 ; Charef, 2003] ; exode rural [ONM, 2003] ; migrations de transit subsahariennes [Timera, 2009 ; Peraldi, 2008 ; Bensaad, 2009] ; tourisme [Kurzac-Souali, 2007] et flux de réfugiés sahraouis vers l’Algérie [Caratini, 2003]. Les médias et instances politico-institutionnelles se focalisent, quant à eux, sur des profils particuliers de migrants (Marocains Résidents à l’Étranger - MRE -, clandestins, touristes), minorant souvent les flux de jeunes actifs européens ou l'intensité et la diversité des mobilités intérieures : tourisme domestique ; mobilité estudiantine ; pèlerinages (moussem) ou visites auprès de mausolées-sanctuaires de saints [Aufauvre, 2009] ; migrations de travail temporaires ; mobilités liées à l'organisation de manifestations, caravanes de solidarité ou forums associatifs, en recrudescence depuis la fin des « années de plomb »1 et le processus de libéralisation politique [Hibou, 2006 ; Hammoudi, 2008]. Notre intention n’est pas d’étudier l’un de ces flux « oubliés » mais d’aborder la complexité du lien entre mobilités et politique à travers l’exemple d’une petite ville marquée par une dynamique protestataire durable entre 2005 et 2009 : Sidi Ifni, sise aux confins de la région SoussMassa Drâa, à environ deux heures de route d'Agadir. À l’instar d’autres bourgs et villes moyennes du Maroc ou des Suds [Alternatives Sud, 2009], cette cité portuaire de 20 000 habitants a été le siège de mobilisations collectives (marches, sit-in, grèves)2, surtout portées par des associations (diplômés chômeurs, associations culturelles, de quartier, etc.)3. Exprimant une exaspération face à la médiocrité des conditions de vie et au chômage, les protestataires réclament une intervention de l’État pour garantir des emplois, un meilleur accès aux services de base (surtout en matière de santé et d’assainissement), l’achèvement des travaux portuaires et un désenclavement routier. Après une répression policière et militaire disproportionnée le 7 juin 2008 pour lever le blocus du port décidé par des jeunes et des chômeurs 1 Période du règne de Hassan II (1961-1999), notamment marginalisation de Sidi Ifni et de sa région. 3 C’est le « Secrétariat Sidi Ifni Aït Baamrane », né en 2005 et fédérant associations, syndicats et quelques partis, qui a appelé aux manifestations et relayé, devant les autorités, les revendications d’ordre socio-économique et administratif. Miné par des rivalités idéologiques et personnelles, cet organe a implosé à l’été 2005. les années 1970 et 1980. Toute critique ou contestation était sévèrement réprimée et les violations des droits humains fréquentes (procès arbitraires, emprisonnements, disparitions et tortures des opposants politiques). 2 Les premières marches massives ont eu lieu en mai et août 2005. Des milliers de personnes ont dénoncé la 252 non encadrés4, le gouvernement a annoncé, en janvier 2009, un plan spécial de développement et l’octroi d’un statut de préfecture pour la ville [Kadiri, 2009 ; Sierra, 2009]. Dans le cas du mouvement revendicatif ifnaoui, les mobilités sont non seulement la conséquence d’un état de marginalisation socio-économique (ici voulue par le pouvoir central) mais aussi un instrument utilisé par les protestataires et les pouvoirs publics dans leur confrontation, soit comme moyen de pression, soit comme outil de gestion. Par « politique », nous entendons mobilisations populaires et leur traitement par le pouvoir central ainsi que développement local, luimême conditionné par une géopolitique originale. Sidi Ifni est située à proximité des îles Canaries et du Sahara Occidental5, une région administrée de fait par l’État marocain mais revendiquée par le Front Polisario depuis la proclamation en 1975 de la République arabe sahraouie démocratique. Par sa trajectoire historico-politique singulière et sa situation stratégique (I), Sidi Ifni est un poste privilégié pour observer l’enchevêtrement des mobilités et mettre au jour leur dimension politique (II) comme leur impact sur le développement local (III). Directement recueillis au cours de séjours répétés sur le terrain entre novembre 2007 et juillet 2009, les extraits d’entretiens biographiques permettront de pointer la variété des déplacements à différentes échelles, spatiales et temporelles. Cliché 1 :Rassemblement de protestation à Sidi Ifni le 10 juillet 2008 (quartier Bou’lalem). Les forces anti-émeutes sont en bas de la rue Source : Karine Bennafla. 4 Après des tentatives de négociations pour lever ce blocus qui portait atteinte aux intérêts de hauts dignitaires du régime dans le secteur de la pêche, plusieurs milliers d'hommes issus de divers corps répressifs ont bouclé les accès de la ville par la route, la mer et les airs puis pourchassé les jeunes et les militants jusque dans les maisons. Arrestations, tortures, passage à tabac, vols et saccages matériels, la violence du « samedi noir » n'a pas épargné les femmes et suscité trois commissions d'enquête (parlementaire et associatives) après une polémique au sujet de morts et de viols. 5 La formule est celle de l’ONU. Les autorités marocaines parlent exclusivement des « Provinces du sud du royaume ». 253 1. LE PROCESSUS DE MARGINALISATION SOCIO-ÉCONOMIQUE D’UNE MARCHE DU ROYAUME Logée sur la côte atlantique, là où s'abaissent les ultimes chaînons de l'Anti-Atlas avant le Sahara, Sidi Ifni s’inscrit dans un environnement présaharien et domine un espace rural relativement pauvre. Une montagne sèche et pierreuse, parsemée de figuiers de barbarie, constitue l'arrière-pays immédiat. Celui-ci correspond au territoire des Aït Baamrane, une confédération de sept tribus, en majorité berbérophone (chleuh) et sédentaire. Les activités agropastorales prédominent à l’intérieur des terres et sont complétées, à Sidi Ifni, par la pêche maritime, pilier de l’économie urbaine avec le tourisme. La ville est à la fois une enclave naturelle et une périphérie spatiale au regard de sa position excentrée, hier par rapport aux villes impériales, aujourd’hui par rapport aux centres politiques et économiques de la conurbation littorale (Casablanca-Mohammedia-Rabat-Salé). Cette marche du royaume marocain pâtit, de surcroît, d’une politique de marginalisation socioéconomique, qui tranche avec la période de gloire espagnole (1934-1969). Les indicateurs socioéconomiques actuels (chômage, pauvreté, taux de couverture médicale, solde migratoire) la classent parmi les régions marginales du Maroc. 1.1. Une enclave naturelle et une région marche Prise en étau entre océan, désert et montagne, la région de Sidi Ifni dessine une sorte d’enclave naturelle. Cet isolement est accentué par une mauvaise desserte routière qui la positionne à l'écart des axes majeurs qui structurent le pays. Son accès depuis la capitale régionale par « grand-taxi » (Mercedes) ou bus est long et laborieux, car la route côtière nationale reliant Agadir aux villes du Sahara (Tan Tan, Laayoune, Dakhla) contourne la bourgade, au profit de Guelmim et Tiznit, deux préfectures situées dans l'intérieur des terres. Les seuls moyens pour se rendre à Sidi Ifni sont des voies secondaires qui partent des deux préfectures. La route étroite et sinueuse 6 Désignation de la maison royale et de son appareil qui conduit de Tiznit à Sidi Ifni (65 km) semble mener au bout-du-monde en raison d’une configuration en cul-de-sac : au-delà, la voie méridionale vers Tan Tan n'est pas asphaltée jusqu'au bout. Le bitumage de cet axe fait partie du cahier revendicatif local, présenté à l'issue des manifestations de 2005 et 2006. Historiquement, la région de Sidi Ifni fait partie des marches du royaume, tardivement et faiblement contrôlées par le pouvoir royal (Makhzen6). C'est seulement en 1886 qu’une expédition militaire royale (haraka), lancée par le souverain Hassan 1er, atteint le pays Aït Baamrane. Toutefois, selon les rapports d'officiers militaires français, au début du 20ème siècle, la région échappe à l'autorité des caïds royaux [Justinard, 1929]. Création urbaine récente (années 1930), Sidi Ifni est désignée comme la capitale du pays Aït Baamrane car elle est la seule ville du territoire de cette confédération tribale. Le peuplement local résulte de configurations dynamiques ayant mêlé populations sédentaire et nomade avec, au 16ème siècle, un brassage entre fonds sanhadjien (berbère) et populations arabes sahariennes, les Tekna [Naimi, 2004]. Si la plupart des tribus Aït Baamrane parlent tachelhit (berbère), celles situées au sud du territoire sont arabophones et le bilinguisme arabe/berbère est fréquent. Les liens familiaux et économiques entre les Aït Baamrane et les populations sahraouies sont étroits, générant des mobilités familiales et des migrations professionnelles entre la région de Sidi Ifni et les villes du Sahara Occidental pourvoyeuses d'emplois dans l’administration ou le secteur de la pêche. La tenue vestimentaire des femmes est un indice de l’influence sahraouie. À Sidi Ifni, les femmes s’enroulent d’un voile caractéristique du Sahara, le melahfa. Le carrefour culturel ifnaoui prend une dimension triple avec l’ouverture sur l’océan et la proximité des îles Canaries, à l’origine d’une pénétration coloniale et d’une influence espagnole prégnante. politico-administratif. Cf. Tozy, 1991. 254 1.2. Une période d’occupation espagnole (1934-1969) qui bouleverse durablement les mobilités Au 17ème siècle, les Espagnols établissent une pêcherie sur la côte Aït Baamrane, à l’emplacement de la future ville de Sidi Ifni. Dans un contexte d'exacerbation des rivalités impérialistes européennes, ce comptoir et sa proche région (sur 1500 km²) sont cédés à la couronne d’Espagne par le sultan du Maroc, lors du traité de Tétouan, en 1860. Dénommé Santa Cruz de la Mar Pequeña, ce territoire espagnol est réellement investi en 1934, avec l’expédition militaire du colonel Capaz qui en fait une enclave politique au sein du Maroc placé sous Protectorat français depuis 1912 (carte 1). La phase de souveraineté espagnole s’accompagne de l'installation de militaires et de familles espagnols dans la cité-garnison de Santa Cruz (Sidi Ifni). Selon P. Oliva (1971), environ 5000 civils européens résident dans l’enclave en 1961, auxquels s’ajoutent près de 8000 civils marocains. Les militaires composent l’autre moitié de la population urbaine, une présence renforcée après le siège de l'enclave, en 1957, par des nationalistes marocains de l'Armée de Libération Nationale du Sud. En 1969, veille de son retour dans le giron marocain, Sidi Ifni abrite près de 30 000 habitants. À l'époque espagnole, l'attractivité de Sidi Ifni tient à sa promotion, entre 1946 et 1958, comme capitale de l'Afrique Occidentale Espagnole, laquelle inclut les régions du Sahara (Rio de Oro), du Rif et le Rio Muni (Guinée équatoriale actuelle). Ce statut et l'accueil de la résidence du Gouverneur général d'Espagne entraînent une série d'aménagements et d'équipements urbains, prestigieux et avant-gardistes : hôpital, école des beaux-arts, théâtre, cinémas, zoo, jardins publics, imprimerie, station de radio, etc. De gros investissements sont réalisés dans le domaine des transports afin de faciliter les liaisons avec la métropole, les Canaries et les autres possessions espagnoles d'Afrique : un aéroport international, desservi par les caravelles de la compagnie Iberia (jusqu'en 1972), est aménagé ainsi qu’un port artificiel pourvu d’un spectaculaire téléphérique. L’aéroport est abandonné en 1972 et le téléphérique en 1978. Les efforts d'équipement déployés pour l'enclave et ses liens politico- administratifs avec le Rio de Oro accélèrent l'exode rural et engendrent des mobilités inédites : par exemple, poursuite de la scolarité secondaire des élèves de Santa Cruz dans les villes espagnoles du Nord (Tanger ou Tétouan), transfert des malades du Sahara vers l'hôpital de Santa Cruz, réputé disposer d'un personnel compétent et d'un matériel de pointe. À une échelle locale, le statut de zone franche douanière accordé à l'enclave crée d’intenses circulations marchandes et une contrebande vers les localités situées en dehors. Enfin, le développement d’une garnison attire vers l'enclave des Marocains originaires du Rif et du Sahara espagnols, employés comme auxiliaires de l'armée et de l'administration coloniale. Comme dans le reste du Maghreb, l'un des changements initiés par la colonisation est l'amorce de migrations de main-d'œuvre vers l'Europe et le recrutement de soldats par la métropole. En 1936, lors de la guerre civile d'Espagne, le gouvernement franquiste fait appel aux Aït Baamrane dont le stéréotype de guerriers montagnards, fiers et valeureux au combat, est colporté par les administrateurs coloniaux. Si les migrations de main-d'œuvre vers l'Espagne sont ténues jusqu'aux années 1960, celles à destination de la France ou des chantiers de l'Algérie française drainent des populations du Sud marocain. Mais à Sidi Ifni, c'est surtout le déclin socio-économique commencé dès la rétrocession au Maroc qui accélère l’émigration vers l’Europe. 1.3. Une obstruction au développement depuis les années 1970 : stratégie politique d’encouragement au départ ? La réintégration de l’enclave de Sidi Ifni au territoire marocain le 30 juin 1969 est synonyme de régression et paupérisation. Le déclassement administratif de la ville, devenue simple chef-lieu de cercle, entraîne un abandon des équipements ou leur transfert vers la préfecture de Tiznit, qui capte l'essentiel des recettes portuaires ifnaouies. La fin de la franchise douanière met fin aux activités marchandes. Véritable perfusion, les pensions versées par l’Espagne contribuent, de concert avec les transferts d'émigrés, à brider les initiatives entrepreneuriales et à créer une posture attentiste et rentière. En témoigne le nombre actuel d’ouvriers ou de manutentionnaires, originaires d’autres 255 Carte 1. Carte de situation ESPAGNE ANDALOUSIE détroit de Gibraltar Ceuta Tanger Tétouan Océan Atlantique RIF Rabat Fès Casablanca Safi mer Méditerranée Melilla Nador Oujda Meknès Marrakech Essaouira S LA TI Agadir Iles Canaries (Esp.) Mirleft Sidi Ifni Lanzarote AN 4 Sidi Bouarzik Fuerteventura Guelmim Tan Tan Tarfaya Las Palmas Tiznit AT ALGÉRIE 3 Laayoune frontière internationale actuelle frontière non fixée frontière controversée du "Sahara Occidental" 2 Dakhla 1 limite de région (dans la partie sud du pays) "Provinces du Sud" Tropique du Cancer MAURITANIE Lagouira Nouadhibou 0 200 km 4 3 2 1 Souss - Massa - Drâa Guelmim - Es-Smara Laayoune - Boujdour - Sakia el Hamra Oued Ed-Dahab Laayoune chef-lieu de région ville altitude > 1000 m principale route N-S capitale ville port de pêche méridional pôle touristique international enclave espagnole migrants internationaux ex-territoire espagnol de Santa Cruz deMar pequena plaque tournante migrations clandestines ligne maritime aéroport Conception et réalisation Karine Bennafla, d'après l'Atlas de l'Afrique, éd. du Jaguar, 2000. régions, qui travaillent temporairement au port ou sur les chantiers de construction locaux. Le rattachement du cercle de Sidi Ifni à la province d'Agadir en 1971, étonnant au regard des liens historiques et familiaux tissés avec les provinces sahariennes, prive la ville du panel d’aides7 et d’investissements publics injectés dans les « Provinces du sud du royaume » dont la limite administrative débute à une dizaine de kilomètres plus au sud. Pour des raisons politiques et straté- giques, le pouvoir central marocain n’a pas voulu perpétuer le dynamisme insufflé par l’Espagne. Les investissements publics ont été stoppés et les projets privés de développement bloqués. Un événement clé joue un rôle dans le processus de gel du développement : l’attentat manqué contre le roi Hassan II, en 1972, à Sidi Ifni. L’épisode entraîne en rétorsion un embargo sur la ville et accentue la stigmatisation du pays Aït Baamrane comme zone historique rebelle, terre de siba 7 Il s’agit, entre autres, d'emplois (payés double), de sub- d'aides au transport et au logement. ventions sur les produits alimentaires ou le carburant, 256 (anarchie). L’accès au trône de Mohamed VI ne change pas l'attitude de Rabat en dépit du déplacement historique du jeune monarque dans la ville en 2000 (la première visite royale depuis 1972), qui laisse espérer la fin de l'abandon par les pouvoirs publics. En vain : les dispositifs d’aides publiques au développement et les grands chantiers d'équipement lancés par le nouveau roi contournent Sidi Ifni, qu’il s’agisse des projets touristiques ou de ceux pilotés par l'Agence pour la Promotion et le Développement des provinces du Sud, créée en 2002 (Bennafla et Emperador, 2010]. Au fil des ans, Sidi Ifni, l’ancienne « perle » espagnole sombre. Le taux de chômage dépasse aujourd'hui 30%, le désœuvrement des jeunes prévaut et l'alcoolisme est un problème réel mais tabou. À défaut d'activités et d'emplois, la ville se déleste de ses habitants depuis les années 1970, des départs qui seraient, selon certains militants locaux, souhaités par l’État pour mieux contrôler la région. Celle-ci est une zone-tampon stratégique avec le territoire disputé du Sahara Occidental. Bien que les Aït Baamrane et les Ifnaouis ne soient pas sensibles aux thèses séparatistes du Front Polisario8, leurs liens personnels, familiaux, économiques avec l’Espagne (cf. infra) et avec les populations sahraouies alimentent la méfiance du Makhzen. Certains Ifnaouis évoquent la lourdeur des contrôles auxquels ils furent soumis aux barrages routiers après 1969, comme si leur nationalisme était douteux, ou le couvre-feu imposé à 21 h dans la ville durant les années 1980. Les autorités marocaines instrumentaliseraient-elles les mobilités à Sidi Ifni pour conforter un dessein d'intégration nationale et gérer les turbulences protestataires récentes ? Sidi Ifni n'étant pas intégrée aux provinces du Sud, elle n'est pas concernée par la politique de peuplement déployée au Sahara en vue du referendum d'auto-détermination décidé depuis 1991. Mais l'hypothèse d'une stratégie de renouvellement ou de remplacement de la population locale conduite par l'État depuis les années 1970 est avancée par des Ifnaouis qui évoquent l'arrivée, dès la rétrocession et le départ des Espagnols, de nouveaux venus marocains, fonctionnaires ou chemker (terme péjoratif désignant une population flottante d’aventuriers, de vagabonds), attirés par la prospérité économique et l'ouverture de l'ancienne ville-frontière. Selon eux, la politique de gel du développement s'inscrirait dans la même logique en poussant les locaux au départ. En juillet 2008, dans le cadre de la réorganisation institutionnelle des flux de main-d'œuvre émigrée vers l'Europe [Berriane, Cohen, 2009], la diffusion à Sidi Ifni, par voie officielle, d'une offre de 74 contrats de travail temporaires dans les exploitations agricoles du sud de l’Espagne a nourri cette analyse. La proposition constitue une première à Sidi Ifni qui, contrairement aux communes voisines, n'avait jusqu'alors jamais bénéficié d'une telle initiative d'émigration encadrée. Le calendrier de l'offre (un mois après la répression du 7 juin 2008), le profil de candidature exigé - homme, âgé de moins de 40 ans, père d'au moins 2 enfants - et l'ampleur des déperditions ou non-retours observés lors de ces migrations, amènent à appréhender l’offre comme une manœuvre politique pour neutraliser les derniers agitateurs ifnaouis en leur offrant une voie d'émigration. 2. LES MULTIPLES MODALITÉS D’UNE ÉMIGRATION DE CRISE : LA DISPERSION COMME RESSOURCE POLITIQUE À Sidi Ifni, la marginalisation socio-économique et l’absence de perspectives ont stimulé une émigration de crise vers le reste du Maroc (Agadir, Casablanca, Rabat) et vers l’Europe, puis vers le continent américain dans les années 1980 (États-Unis, Canada). Si les canaux de départ sont variés, l'originalité tient à la relative facilité des procédures d'émigration légale, du fait d'un statut spécial reconnu par l'Espagne aux habitants de son 8 La marocanité de Sidi Ifni est même revendiquée et mise en scène à travers le déploiement de drapeaux nationaux lors des sit-in et manifestations organisés depuis 2005 car elle sert d'argumentaire aux protestataires. Ceux-ci considèrent la politique d'abandon de la ville par les autorités comme un manque de gratitude face au combat des Aït Baamrane pour l'indépendance du pays. 257 ex-enclave. Aujourd'hui, les Aït Baamrane et les ressortissants de Sidi Ifni forment une communauté transnationale dispersée. L'agitation sociale des années 2000 montre comment cet éparpillement a été exploité par les protestataires pour mobiliser, informer et faire pression sur le gouvernement marocain. 2.1. L’émigration légale vers l’Espagne et l’Europe liée à une situation administrative d’exception Santa Cruz de la Mar Pequeña n'ayant pas été colonie mais territoire espagnol, le statut de « sujets espagnols musulmans » fut accordé aux habitants marocains de l'enclave. Les divers papiers d'identité espagnols qu'ils reçurent jusqu'en 1969 sont à l'origine de facilités de circulation vers l'Espagne et l'Europe, y compris après le durcissement en 1974 des formalités européennes d'immigration et l’introduction en 1991, par le gouvernement espagnol, d’un visa pour les ressortissants marocains. La distinction tribalo-régionale effectuée par les autorités espagnoles à l’égard des habitants de l’enclave s'accompagne d’un traitement différencié en matière de mobilités : les Ifnaouis baamranis et sahraouis bénéficient d’un visa permanent pour l’Espagne, valable pour le conjoint et les enfants mineurs, contrairement aux Ifnaouis d'origine rifaine (sans visa et affectés d’une pension moindre). Avec la décadence de Sidi Ifni, le raidissement politique au Maroc et la fermeture progressive des frontières européennes, les opportunités de migration vers l’Espagne pour les habitants de l’ex-enclave sont devenus un privilège et les migrations légales vers l'Europe se sont intensifiées au cours des années 1980 et 1990. Aujourd’hui, quasiment chaque famille ifnaouie a un ou plusieurs membres installé(s) en Espagne ou en Europe (France, Pays-Bas, Allemagne, Suède, etc.), en général détenteurs de la nationalité du pays d’accueil. Les va-et-vient vers l'Europe sont intenses, qu’il s’agisse de visites familiales (à un parent), de mobilités scolaires (études universitaires en Espagne) ou de séjours de loisirs. Dans le sens inverse, les retours d’émigrés originaires de Sidi Ifni (« les ça-fait-rien »), à l’occasion des vacances estivales, sont nombreux. En juin 2008, l'emploi de la force pour briser la dynamique contestataire à Sidi Ifni a été un aiguillon pour ceux qui, jusqu’alors, n’envisageaient pas de quitter le Maroc mais qui, depuis, se sont lancés dans des procédures de naturalisation espagnole, choqués par les violations des droits humains et désillusionnés par les perspectives de changement politique. Le témoignage suivant est éclairant. Hassan a 45 ans et est inspecteur de l'éducation nationale. Sa mère est de Dakhla (Sahara) et son père est un Rifain qui migre au début des années 1940 à Sidi Ifni où il travaille pendant 37 ans dans l'armée espagnole. En août 2007, Hassan obtient une carte de résident espagnol de cinq ans grâce à son extrait d'acte de naissance. Membre du parti islamiste PJD (Parti de la Justice et du Développement), impliqué dans une association socioculturelle et sportive, il prend part aux manifestations de 2005 et 2006 en scandant les mots Aït Baamrane. Mais « l'intervention policière sauvage » du 7 juin le choque. À cause du « poids des lobbies militaro-économiques » et du manque de pressions internationales sur le Maroc, il ne croit plus au processus démocratique. Pire, il se sent dans l'insécurité. Un sentiment qui l'a conduit à entamer une procédure de naturalisation en Espagne pour garantir un avenir à ses quatre enfants (entre 3 et 21 ans). Sa nationalité espagnole acquise, Hassan compte demander sa retraite anticipée pour aller s'établir en Espagne (Sidi, Ifni, entretien, juillet 2008). Jusqu'à présent, les procédures d’obtention de visa, de permis de séjour et de naturalisation sont plus rapides et plus souples pour les Ifnaouis qui disposent des papiers d'identité espagnols de leurs parents. Demandée sur le sol espagnol, la carte de résident est délivrée moyennant la fourniture de justificatifs d’emploi et de domicile (des attestations monnayables), pour une durée d’un an (Marocains nés après 1969) ou de cinq ans (pour ceux nés avant 1969). En 2004, un décret royal espagnol permet aux habitants des anciens territoires espagnols de « consolider leur nationalité espagnole », une option déjà proposée en 1969 mais écartée par les habitants dans un contexte d'effervescence nationaliste. Cette reconnaissance de facto par les autorités espagnoles d’une spécificité ifnaouie favorise un trafic intense de fauxpapiers, surtout à destination des provinces 258 sahariennes, mais aussi des stratégies matrimoniales, des tentatives de passage illégales vers l'Espagne (pour rejoindre un membre de la famille ou ami et régulariser après coup la situation) et, fréquemment, des tensions familiales à propos de la rétention des papiers. L’ouverture sur l’Europe et les liaisons transnationales déployées depuis Sidi Ifni sont regardées avec envie ou jalousie par les autres Marocains et alimentent un soupçon de trahison nationale de la part des autorités marocaines. En mai 2008, les démarches de la cellule ATTAC9 de Sidi Ifni auprès du consulat d’Agadir, afin de défendre le dossier des ayants droit à la nationalité espagnole et émettre diverses réclamations10, n’ont pas été perçues d’un bon œil, ni par les représentants du siège ATTAC à Rabat, surpris par ces revendications localistes, ni par le pouvoir marocain. Les injures lâchées par les représentants des forces de l’ordre lors du samedi noir en disent long : « fils d’Espagnols », « Vous ne voulez plus être Marocains mais Espagnols ? », « Vous voulez faire revenir les Espagnols chez nous ? »11. 2.2. L’intensification des migrations illégales vers les îles Canaries : le phénomène de « hereg »12 Comme dans le reste du Maroc, les restrictions de la politique migratoire européenne et la fermeture de l'espace Schengen ont entraîné le développement des filières illégales, en particulier par le détroit de Gibraltar, traversé à bord de pateras ou de camions [Peraldi et Rahmi, 2007]. Les voies de passage meuvent au gré des contrôles. Au milieu des années 1990, la surveillance renforcée au nord du Maroc a érigé les côtes sahariennes du Maroc et la région de Sidi Ifni en zone de départ clandestine vers les îles Canaries pour les Marocains et les Africains du sud du Sahara, surtout après la répression des franchissements massifs de la frontière à Ceuta et à Melilla en octobre 2005. Qu'ils soient originaires de la région, venus d'autres contrées du Maroc ou bien des Africains entrés au Maroc par Oujda (frontière algérienne), les candidats au hereg empruntent des embarcations de pêche motorisées (felouka), conduites par des pêcheurs locaux pour une traversée qui dure en moyenne entre 28 et 35h. À Sidi Ifni, la faiblesse des revenus procurés par la pêche incite les pêcheurs à se reconvertir en raïs (conducteur). Certains, tel Ahmed, tentent parfois de migrer en même temps que les autres candidats qui composent par barque un groupe de 25 à 30 personnes. Issu d'une famille de 10 enfants, Ahmed habite à 30 ans la maison familiale. Après avoir travaillé adolescent dans la réparation de mobylettes, il devient pêcheur, un métier dangereux (son frère est mort noyé), saisonnier et peu rémunérateur. Son employeur, propriétaire de la barque, lui verse 20 % des recettes de la vente de poissons, soit entre 50 et 100 dirhams par jour (4 à 10 euros). Aussi rêve-t-il de rejoindre son frère à Lanzarote, qui travaille clandestinement dans l'agriculture et le BTP depuis un an et demi, et qui a, une fois, envoyé 2500 dirhams à la famille. Celle-ci disposait de papiers espagnols mais un oncle les a brûlés en 1969 dans un élan nationaliste. Le but d'Ahmed est d'atteindre les Canaries, pour obtenir après 3 ans une carte de résident en achetant un contrat de travail annuel (30 000 dirhams, soit 2700 euros). À six reprises depuis 2000, Ahmed a tenté de partir à bord d'une barque achetée 75 000 dirhams à Agadir (6800 euros). Raïs, il transporte avec lui une vingtaine de personnes qui, chacune, lui verse, entre 5000 et 6000 dirhams (de 440 à 530 euros). Six fois, il est arrêté par la Guardia civile et rapatrié. Bien traité en Espagne, Ahmed évoque la violence au commissariat central de Nador. Certains de ses passagers, mineurs de 16 ans, ont échappé à l'expulsion et ont été placés dans un orphelinat à Lanzarote (Sidi Ifni, entretien personnel, mars 2008). 9 11 Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne. La section Ifni ouvre en 2006. 10 Entretien des 11 bâtiments encore détenus par l'Espagne, clarification de la validité des anciens actes de propriété espagnols, maintien des pensions pour les veuves de militaire après le décès de celui-ci, etc. Source : entretiens personnels à Sidi Ifni, juillet-août 2007 et 2008. Cf. aussi la presse de Casablanca : Khalid Jamaï, « L’innommable et les mère-courage », Le journal hebdomadaire, n° 356, p. 40. 12 Littéralement « brûler » en arabe, une allusion aux papiers d'identité brûlés par les clandestins pour ne pas être expulsés. 259 À Sidi Ifni, le hereg est une entreprise banale et banalisée car nombreux sont ceux qui tentent ou ont tenté de nuit l’aventure maritime entre juin et septembre (marée basse), depuis la plage de Sidi Ouarzik située 18 km plus au sud. A cause de l'ampleur des départs jusqu'au début de l’année 2000, la plage est surnommée « gare routière ». Les candidats à l'immigration sont des jeunes hommes en détresse, mais aussi des mères de familles, des adolescents ou des diplômés chômeurs. À Sidi Ifni, l’organisation des migrations illégales est singulière par son caractère artisanal et familial. Le conducteur est connu de tous, le départ bénéficie d'un soutien collectif, familles et amis s'étant groupés pour acheter une barque ou approvisionner régulièrement sur la plage les candidats en attente de conditions maritimes clémentes. Cette interconnaissance favorise les comportements d'entraide et de solidarité, absents du côté des filières mafieuses qui supervisent les départs via Gibraltar ou depuis les abords de Laayoune. Depuis 2005 et le bouclage de Ceuta et Melilla, avec l'arrivée croissante de Subsahariens contraints au détour, des passeurs professionnels, étrangers à la région, s'installent à Sidi Ifni et dans ses environs pour organiser des filières de passage se mêlant à des activités mafieuses (trafic de drogues et d’armes). En 2008, Sidi Ifni n'abrite pas encore de communauté subsaharienne, contrairement à d'autres places marocaines (Rabat, Casa, Tanger), mais elle est pour eux un lieu de transit et de départ. Trop surveillée par la police, la plage de Sidi Ouarzik est désormais délaissée au profit d'autres sites situés plus au nord, vers Mirleft. En 2008, trois intermédiaires (munadhim ou organisateurs), chargés de rassembler des candidats au hereg, sont basés à Sidi Ifni, un autre officie dans le village voisin de Sbouya où un atelier fabrique clandestinement des barques13. Signe d'un taux d'échec élevé, les candidats multirécidivistes abondent et les drames sont fréquents. Le 1er décembre 2007, jour de la visite du roi à Sidi Ifni, un tract militant distribué en ville évoquait le reflux sur la plage de dizaines de corps noyés, révélant une réalité crue, cachée par les autorités locales, trop absorbées 13 Celles-ci étaient, jusqu'au milieu des années 2000, par la réfection hâtive des façades et des rues le long du passage royal. Ces tentatives inabouties, ces mobilités entravées cristallisent déception et frustration. Elles expliquent en partie la radicalisation d'une partie de la jeunesse contestataire ifnaouie, impossible à raisonner en 2008 lors du blocage portuaire. 2.3. Le mariage pour partir ? Si le mariage avec un Ifnaoui de nationalité européenne ou un(e) Européen(ne) constitue de longue date une option dans la stratégie migratoire, cette solution de rechange semble de plus en plus prisée depuis quelques années, y compris chez les hommes, car jugée moins dangereuse que la traversée maritime. Ainsi, Ahmed, recroisé un an après l'entretien, s'est marié avec une Ifnaouie installée en Espagne ; son meilleur ami « concubine » à Sidi Ifni avec une Française, après un départ raté par Laayoune. Le phénomène de mariage mixte à Sidi Ifni a pris une telle ampleur que le centre culturel ouvert par la Fondation Si Hmed Derham a mis en place des cours de langues étrangères (français, espagnol, anglais), destinés aux Ifnaoui(e)s dont le conjoint(e) est à l'étranger. Le développement d'internet, avec ses sites de rencontre ou ses programmes de communication directe et gratuite (du type skype ou msn), contribuent à élargir le champ des possibles matrimoniaux pour ceux ou celles qui sont coincé(e)s sur place ou qui ne veulent pas se lancer dans des démarches fastidieuses et onéreuses de récupération de la nationalité espagnole. Ainsi, Fatima, 40 ans, militante dans les sections ifnaouies de l'Association nationale des diplômés-chômeurs et d'ATTAC, est en passe de rejoindre son futur mari, un chiite irakien, réfugié (depuis 1991) en Suède ; « trop vieille » selon elle pour le marché matrimonial marocain et désireuse d'épouser un musulman, elle a rencontré son fiancé grâce à un ami commun syrien, lui aussi uniquement rencontré par internet et habitant Stockholm. Depuis deux ans, elle entretient à distance une relation régulière avec son futur époux mécanicien et vient d'obtenir l'assentiment de ses quatre frères (au Maroc, en France, en Belgique) pour se exclusivement acquises à Agadir, Essaouira ou Safi. 260 marier. La mort de son père (ancien pensionné de l'armée espagnole), dont elle s'occupait depuis le décès de sa mère, l'autorise désormais à envisager de quitter Sidi Ifni. Suivant des modalités multiples, les norias de Marocains entre Sidi Ifni et l’Europe sont multiples : immigrés installés à l'étranger, qui reviennent en vacances pour des raisons affectives et familiales, retraités désireux de résider dans la maison construite après plusieurs décennies de travail en Europe (un phénomène qui parfois occasionne des séparations conjugales, les femmes étant moins enthousiastes à l'idée de déménager à Sidi Ifni), actifs employés contractuellement à l'étranger et revenant régulièrement à Sidi Ifni. Ces mouvements comme la dispersion spatiale des Ifnaouis s’opèrent en gardant un lien affectif avec l'espace d'origine, ce qui amène à questionner les ressources politiques de cette extraversion. 2.4. Les émigrés, source de pressions politiques sur l’État marocain La particularité de Sidi Ifni tient à l'existence de nombreuses associations Aït Baamrane à l'étranger (France, Canaries, Espagne, Belgique, Hollande, Canada, etc.) dont l'action de soutien, de lobbying et la stratégie de communication furent remarquées lors des derniers mouvements de mobilisation collective. En effet, à l'issue de la répression du 7 juin 2008, ces associations ont organisé des rassemblements de solidarité dans plusieurs capitales européennes (Paris, Bruxelles, Barcelone) pour exiger une enquête juste et indépendante devant les médias et des structures militantes (ATTAC, FIDH, etc.). Avec la fin des « années de plomb », les émigrés ont créé des associations indépendantes à l'étranger, sans crainte d'être harcelés par les autorités lors de leur retour au pays. Beaucoup de ces structures, comme l'Union Ait Baamrane pour la Solidarité (active depuis 2006), ont été fondées à des fins socioéconomiques afin de coordonner et appuyer des initiatives d'aide au développement. Les épisodes protestataires à Sidi Ifni, puis 14 Ancien instituteur de Sidi Ifni et enfant du pays, Sbaa el-lil, haut responsable du Centre Marocain des Droits de l'Homme (CMDH), a été jugé et condamné pour « divulgation de fausses informations » auprès d’Al Jazeera. L'accréditation la chaîne qatarie au Maroc a la répression de 2008, ont transformé certaines d'entre elles en structures militantes de défense des droits de l'homme. À l'échelle nationale, le relais d'Ifnaouis résidents dans d'autres villes du royaume, prompts à mobiliser télévision (Al Jazeera) et journaux14, donne un écho national et international aux violences commises à Sidi Ifni en contournant le dispositif officiel de contrôle de l'information. La bourgade est ainsi devenue un emblème (martyr) des mouvements de protestation populaire marocains, ralliant le soutien de militants issus de la gauche politique ou des associations de défense des droits de l'homme. Durant l'été 2008, des caravanes de solidarité ont été déployées depuis plusieurs villes (dont Rabat) par des militants associatifs (comme ceux d'Attac) pour manifester leur solidarité avec les Ifnaouis, demander la libération des prisonniers et exiger la lumière sur les violations des droits de l'homme. Cette mobilité militante (se dirigeant vers Sidi Ifni) a été complétée par des flux inverses. En effet, parce qu'ils incarnent « un exemple de démocratie locale en action »15, les militants de Sidi Ifni membres d'Attac, de l'Association Nationale des Diplômes chômeurs (ANDCM) ou du Secrétariat local, ont été invités à Rabat et dans d'autres places pour participer à des réunions ou des forums organisés par le siège de structures militantes ou associatives. Forte de son éparpillement, la communauté ifnaouie et baamranie dispose d'une capacité de mobilisation nationale et internationale. Celle-ci est agitée comme un chiffon rouge par les leaders du mouvement revendicatif local, conscients de pouvoir écorner à l'étranger l'image de changement et d'ouverture démocratique que les autorités marocaines s'évertuent à construire depuis l’arrivée sur le trône de Mohamed VI. À Sidi Ifni, la dispersion migratoire est ressentie comme une force collective et instrumentalisée par le Secrétariat local comme un moyen de pression susceptible de contrarier les autorités marocaines. Le fait que certains migrants été supprimée après l’annonce à l’antenne de viols et de morts lors de la répression du 7 juin 2008. 15 Selon l'expression de l'hebdomadaire Le Journal, 18-24 avril 2009, n° 392. 261 originaires du pays Aït Baamrane occupent dans d'autres villes du Maroc des fonctions de responsabilité politico-administrative ou des charges électives (maire, député) assure également un canal de négociations avec les autorités centrales et le Palais, que ce soit au moment de l'effervescence contestataire en 2005-2006 ou après les arrestations et condamnations qui suivirent. À plusieurs reprises, des notabilités baamranies résidant à l'extérieur de Sidi Ifni sont intervenues discrètement dans le conflit pour tenter de contenir les actions de protestation, influencer le contenu des revendications (cf. la demande de préfecture, rattachée aux « Provinces du sud ») ou négocier la libération de prisonniers. Si le rôle politique des émigrés s'avère déterminant pour appuyer les revendications locales, qu'en est-il de leur impact sur le développement ? De façon plus globale, l'installation d'étrangers, en particulier européens, convie à questionner leur place dans l'environnement socio-économique local. 3. L’ISOLEMENT DE SIDI IFNI ATTRACTIF POUR LES TOURISTES ET LES RÉSIDENTS EUROPÉENS : AVEC QUELS IMPACTS ? Malgré une faible capacité hôtelière et une desserte malaisée, Sidi Ifni cristallise des mobilités touristiques. Sa plage est pourtant classée comme dangereuse par le Département de l'environnement marocain, en raison du déversement direct des égouts dans la mer. Par ailleurs, le phénomène de barre ne permet pas la pratique des sports nautiques. Le charme que la ville dégage tient à son atmosphère langoureuse, à son patrimoine architectural hérité de l'Espagne et à une longue plage centrale, propice au jogging, au surf ou à la pêche sportive. L'humidité littorale, provoquée par la présence récurrente du brouillard côtier, est appréciée l'été par les visiteurs et vacanciers marocains résidant dans les plaines sèches de l'intérieur (Tiznit, Guelmim, Marrakech). Sidi Ifni accueille alors des dizaines de milliers de touristes nationaux (parfois envoyés par les comités d'entreprise), qui séjournent le temps d'un week-end ou d'une semaine à l'hôtel, dans des bungalows de bord de mer, dans des maisons louées, dans la famille ou chez des amis. Cette fréquentation touristique nationale croise celle d'Européens qui sont, depuis la fin des années 2000, de plus en plus nombreux à s'installer. Ils sont séduits par la situation reculée, la torpeur ambiante, le site balnéaire encadré de montagnes et le mélange d'influences culturelles (arabe, berbère, espagnol). Que le pays Aït Baamrane ait une fonction ancienne d’accueil pour les opposants politiques et les bannis et que sa société, renouvelée par l’intégration permanente d'étrangers, valorise l’allochtonie [Simenel, 2006], prédispose à une attitude d'ouverture et d'hospitalité face aux étrangers. Mais jusqu’où ? 3.1. Des profils européens variés L'accélération de la politique de libéralisation économique [Catusse, 2008] et le programme de développement touristique entrepris depuis l’accession au trône de Mohamed VI ont favorisé la migration saisonnière de retraités européens et une hausse des arrivées touristiques internationales (huit millions en 2009). Les impacts sont visibles et ont pour nom spéculation immobilière, aménagement de marinas, gentrification des médinas. Les touristes internationaux qui fréquentent Sidi Ifni présentent des profils originaux, que l'on peut croiser dans l'hôtel-restaurant Suerte Loca, un établissement familial mythique de la ville. Il y a ceux, routards ou amateurs d'un tourisme d'aventure, qui effectuent une halte sur la route de Mauritanie et de Dakar : ceux-là côtoient des habitués en vacances ou en mission, comme Catherine, travailleuse sociale française âgée de 50 ans, qui vient deux fois par an à Sidi Ifni pour accompagner, pendant plusieurs mois, une poignée d'adolescents français délinquants en « séjour de rupture » dans le cadre d'un dispositif d'aide à la réinsertion sociale. Les résidents de moyenne ou longue durée sont des retraités européens (Italiens, Français, Espagnols, Belges...) qui, rejetés par l'énorme station touristique d'Agadir, séjournent, plusieurs semaines ou mois, dans des camping-cars alignés le long de la plage. 262 Reclus dans leurs caravanes, fréquentant peu les boutiques de la ville (beaucoup apportant des provisions de leur pays), ces retraités ne dynamisent pas l'économie locale et observent avec détachement le mouvement populaire revendicatif, du moins quand ils sont au courant. Une autre figure de touriste est celle du pied-noir espagnol ayant vécu et grandi à Sidi Ifni. Beaucoup des rapatriés espagnols (en général militaires, parfois commerçants ou tenanciers de bars) se sont installés aux Canaries ou en Andalousie ; certains, nostalgiques, ont constitué des associations qui disposent d’un site internet, rassemblent des photos, publient des ouvrages sur Ifni. Le collectif Los Amigos de Sidi Ifni est l’un des plus actifs et ses membres reviennent chaque année, un peu comme des pèlerins. Depuis 2005, les achats par des Européens de maisonnettes espagnoles se multiplient, en particulier dans le centre-ville et le long de la plage, entre l'ancienne maison de commerce Dar Sahara et la place Hassan II. Organisées autour d'un patio central, parfois bordées d'un jardin, ces petites villas bleues et blanches, bâties de plain-pied ou surplombées d'une terrasse, disposent d'un cachet indéniable et sont prisées des touristes étrangers. Si on y ajoute les réaménagements par les MRE des demeures familiales ou de biens achetés pour les louer à temps partiel ou les transformer en chambres d'hôtes, Sidi Ifni connaît une spéculation immobilière intense. L'envolée des prix sur Essaouira, assaillie par la jet-set et des Marrakchis aisés, n'est pas étrangère à cet engouement, Sidi Ifni correspondant à un front touristique littoral dont le principal centre est Agadir. Le prix bas des villas (entre 30 000 et 50 000 euros en 2007), en comparaison de ceux pratiqués à Essaouira, Ibiza ou des standards européens, met à la portée de classes moyennes européennes un accès à la propriété. On trouve parmi les nouveaux acquéreurs de maisons des représentants du troisième âge doré, des anticonformistes vieillissants (anciens squatteurs de maisons occupées en Espagne), des couples homosexuel(le)s et des actifs ayant la possibilité de travailler à domicile (architecte, décorateur, journaliste). Tous mettent à profit le faible coût de la vie et la desserte d'Agadir en lignes low cost pour s'installer à temps plein ou mi-temps à Sidi Ifni ; certains d'entre eux acquièrent deux ou trois maisons à des fins de location touristiques ou dans la perspective d'ouvrir des chambres d'hôtes. Le cas d’Emma illustre une manière particulière de travailler et de résider sur deux pays, en même temps qu'elle incarne une de ces figures européennes atypiques rencontrées à Sidi Ifni : La cinquantaine, Emma est professeur de danse orientale en Angleterre. Elle ne parle ni français, ni arabe et ne conduit pas. Depuis 13 ans, elle vit et travaille entre Nottingham, Sidi Ifni, Essaouira et Marrakech. Après 4 mois de cours dispensés à Nottingham, elle part vivre et travailler au Maroc deux à trois mois, avec un visa touristique. Au Maroc, elle assure des formations intensives de danse à des groupes d’Allemandes, d'Anglaises et dispose d’une clientèle dans les hôtels. Son aventure avec le Maroc commence jeune, après un coup de foudre pour un ouvrier marocain faisant les vendanges avec elle en France. Elle le suit dans le Rif puis retourne en Angleterre où, selon ses propos, elle vit de petits métiers et mène une vie « sex, drug and rock'n roll ». À 30 ans, elle commence des thérapies autour de la danse. À 37 ans, elle suit à l’université de Nottingham des cours de psycho-sociologie. Elle obtient un diplôme de professeur de danse et une qualification de thérapeute. En 2007, Emma a acquis une demeure à Sidi Ifni grâce à la vente de sa maison d'Essaouira à un Japonais. Elle est la seule résidente européenne de Colomina, un quartier excentré, et s'apprête à ouvrir une école de danse à domicile. Si les soirées alcoolisées avec les ouvriers qui réhabilitent sa maison font jaser, le fait d’avoir témoigné dans les media des violences policières du 7 juin 2008 qu'elle a subies et partagées avec ses voisins lui vaut l'égard de la population locale (entretiens personnels, 2007 et 2008). Un second exemple montre que Sidi Ifni attire aussi en résidence des couples européens avec enfants, venus en dehors des procédures d'expatriation professionnelle classiques et rémunératrices : Isabelle et Patrick sont un couple belge âgé d’une trentaine d’années. Avec leurs deux jeunes enfants, ils ont décidé de s’accorder une année de coupure à Sidi Ifni où ils viennent d’acquérir une maison. Directeur artistique à la télévision belge, Patrick effectue des allers-retours à Bruxelles ; architecte 263 d’intérieur, travaillant en free lance, Isabelle a supervisé les travaux de réhabilitation de la maison, sur quatre niveaux. Une partie a d'ailleurs été louée à une équipe de tournage belge en juillet 2008. Soucieux de maintenir de bonnes relations avec leurs voisins, le couple a pris soin de ne pas ouvrir de perspectives sur les terrasses voisines lors de la surélévation de leur demeure. Ils ont observé sans ciller la vague protestataire de 2007-2008 (entretien personnel, 2008). 3.2. Des étrangers et des MRE, leviers de développement ? Sidi Ifni semble promis à un développement appuyé sur une fonction de villégiature et de résidence alternée ou à temps partiel pour actifs ou retraités européens. Ceux-ci sont dans une relation de va-et-vient très souple avec leur pays d’origine, s’y rendant pour des soins, des formalités administratives, parfois des obligations professionnelles. Certains ont fait de Sidi Ifni leur résidence principale, à l’instar de cette pédiatre allemande qui, bloquée par les autorités marocaines pour ouvrir un cabinet médical, assure des permanences gratuites à l’hôpital et développe une ferme de plantes médicinales aux abords de la ville. Jusqu’à présent, les tentatives d’activités économiques ou les projets de réhabilitation d’infrastructures proposées par des Européens n’ont pu aboutir pour des raisons administratives. Souvent, les associations ou les structures officielles espagnoles, qui mènent des actions caritatives ou œuvrent pour une coopération socioéconomique entre l’Espagne et Sidi Ifni16, sont pilotées par un rapatrié ou un enfant de rapatrié. Destiné à mobiliser de nouvelles ressources d'eau douce, le projet d'installation de filets capteurs de brouillards, financé depuis 2005 par la Fondation Si H'med Dirham, s'appuie par exemple sur un partenariat avec l'université de Laguna (Canaries) où travaille une enseignante-chercheuse espagnole, née à Sidi Ifni. Certains rapatriés ou enfants de rapatriés, qui ont investi des postes de responsabilité dans l’appareil politico-administratif 16 En 2005, un centre de santé a ouvert ses portes grâce à l'association Medicus Mundi Andalousia et l'agence espagnole de la Coopération internationale (AECI) qui a construit et équipé le bâtiment. L'ambassade d'Espagne a fait don de deux ambulances à la circonscription sanitaire de la région Andalousie, contribuent à l’assouplissement des formalités d’accueil des ressortissants marocains issus de l’ancien territoire de Santa Cruz. L’installation d'une population européenne, sans relations de parenté avec les Ifnaouis (mariages mixtes) ou sans association professionnelle avec un local, ne va pas de soi. La hausse des prix immobiliers et la spéculation rendent de plus en plus difficile l’accès à la propriété pour les locaux (le salaire moyen mensuel dans une téléboutique est de 600 dirhams). L’élévation du bâti des maisons rachetées est une source fréquente de tensions car, effectuée sans autorisation ou concertation, elle conduit à masquer la vue sur la mer ou la montagne des logements voisins. Le repli sur soi des Européens installés à Sidi Ifni est un grief récurrent : une fois leur maison réhabilitée, la plupart des nouveaux venus semblent peu enclins à s’inscrire dans des réseaux de sociabilité et d’entraide locaux, se contentant du décor carte postale de la cité. La pratique fréquente de sous-location ou la location informelle à d’autres étrangers de passage est également peu appréciée des hôteliers, agacés par cette concurrence inédite. L’arrivée de couples homosexuels, vite repérés dans une si petite ville, provoque des raidissements, car l'amalgame prévaut avec les pédophiles, au demeurant présents sur Marrakech et Agadir. En 2009, un Européen, soupçonné de pédophilie, a été violemment pris à parti dans les rues de la ville. Un incident isolé. Jusqu'ici, les frictions entre Marocains et nouveaux résidents étrangers restent feutrées. En ce qui concerne les MRE et autres Marocains travaillant à l'étranger, une politique courtisane à leur égard17 est déployée depuis les années 1990 par l'État marocain pour les encourager à investir dans le royaume [De Hass, 2005]. Signes d'un attachement fort envers la région d'origine mais aussi d'une certaine méfiance devant l'annonce de changements politiques et de transparence, les investissements dans l'immobilier constituent la forme quasi exclusive d'interde Sidi Ifni et une association espagnole a envoyé du matériel d'aide aux handicapés. 17 Cf. la création en 1990 d'un ministère et d'une fondation (Hassan II) pour les MRE. 264 vention à Sidi Ifni. Soit ils revêtent la forme d'un achat de terrain destiné à accueillir une construction nouvelle (comme dans le quartier bordant l'aéroport), soit ils visent le rachat de vieilles maisons espagnoles. L'ouverture d'une agence de location de voiture, de restaurants ont bien été tentés par des MRE mais le caractère saisonnier du tourisme et la faiblesse du pouvoir d'achat local rendent ces activités fragiles. L'absence d'investissements productifs à Sidi Ifni étonne certains responsables du Centre Régional d'Investissement (CRI) à Agadir dont le rôle est, depuis 2002, d'aider à la création d'entreprise en informant et centralisant les démarches administratives (guichet unique) des porteurs de projets. Hormis un campingrestaurant, ouvert en 2004 à l'initiative d'un émigré de retour de Hollande, les entreprises montées à Sidi Ifni avec le soutien du CRI sont rares sur la période 2003-2008. L'insécurité foncière, en raison de l’absence d’immatriculation des terrains auprès de l'agence de conservation foncière, constitue l'un des éléments d'explication. C'est finalement au travers d'associations ou de fondations que la plupart des migrants ifnaouis s'activent en faveur de leur région d'origine, mettant à profit leur réseau relationnel pour solliciter le soutien, l'aide ou l'intervention d'individus ou de structures étrangères (ambassades, établissements scolaires, médecins, ONG telle qu’Oxfam Québec). L'élargissement des libertés civiles au cours de la décennie 1990 a favorisé la multiplication des associations locales. Le vivier et la disponibilité de jeunes chômeurs ifnaouis, de retour des universités de Marrakech et d'Agadir, et l'extraversion de Sidi Ifni par la dispersion de ses habitants ne sont pas étrangers à cette effervescence associative. Fondée en 1993, l'association Aït Baamrane pour le développement regroupe plus de 900 adhérents dont les deux tiers résident hors de la ville. Controversée car contrôlée par des notabilités politiques et économiques, cette association s'est signalée jusqu'en 2005 par de multiples microprojets : bitumage de pistes rurales (conjointement avec le ministère de l'Équipement), financement de coopératives agricoles dans l'arrière-pays (valorisant l'arganier ou les figuiers de barbarie), création d'un atelier de couture urbain, organisation d'une caravane ophtalmologique animée par des médecins canadiens. D'autres projets sont menés à titre individuel par des émigrés, telle que l'imposante Fondation Si H'med Derham, créée en 2000 par A. Derham (de retour du Canada) et dont l'une des réalisations est un centre culturel avec bibliothèque. La cité de Sidi Ifni et le pays Aït Baamrane sont la cible d'une série de micro-actions éparses, en général appuyées par un ou des émigrés assurant l'interface avec des instances de coopération internationale. D'une durée souvent éphémère, les projets de développement sont fonction de l'entregent et des appuis politiques aux niveaux local, régional et national [Lacroix, 2005]. L'exemple de Sidi Ifni est révélateur de l'extraordinaire gamme de mobilités qui affectent les pays du Sud, y compris les bourgades reculées, où s'inventent des modes de travailler et de résider de plus en plus labiles. La petite ville montre une situation paradoxale, conciliant enclavement et multi-mobilités, en particulier internationales, ce qui revient à battre en brèche l'opposition schématique entre grande ville, siège de dynamiques circulatoires tous azimuts, et campagnes en marge de la mondialisation car modérément insérées dans des circulations internationales. Pas plus que les migrations marocaines internationales ne sauraient se réduire à la figure du travailleur immigré, MRE ou harraga, ou à celle de boat-people subsahariens, les déplacements pendulaires ne sont plus uniquement le fait des Maghrébins, tour à tour décrits comme des hommes-passerelles [Charef, op. cit., 2003], des fourmis de la mondialisation [Tarrius, 2007] ou des entrepreneurs migrants [Peraldi, 2002]. Les différences de niveau de vie, la chute des prix des transports aériens et la recherche d'un cadre de vie exotique et tranquille incitent de multiples catégories d'Européens à s'installer au sud de la Méditerranée pour devenir des pendulaires transnationaux. Le cas ifnaoui met aussi en lumière toute la complexité des liens entre mobilités et politique : aux départs impulsés par un contexte politique autoritariste, se superposent des migrations encouragées par les pouvoirs publics pour phagocyter une population locale turbulente, faisant des mobilités un recours politique à la fois pour l'État et 265 pour les habitants engagés dans un mouvement protestataire. Amplement étudiée comme ressource pour le développement, la dispersion transnationale des émigrés marocains l'est moins comme ressource politique permettant de faire pression sur le gouvernement et initiant de nouveaux comportements. Bouleversé par le processus de libéralisation politique et l'essor des mouvements associatifs, le champ des mobilités militantes, ici à peine entrevu, mérite de plus amples investigations. BIBLIOGRAPHIE Alternatives Sud (2009), État des résistances au Sud 2010, Monde arabe, vol. XVI, 4. ARAB C. 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