Itsy-bitsy petit bikini - Clarence Edgard-Rosa
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Itsy-bitsy petit bikini - Clarence Edgard-Rosa
on nous prend pour des quiches on nous prend pour des quiches Itsy-bitsy petit bikini Mois d’août à la piscine municipale de Montréal, Québec. Une fautrice de troubles brave les règles de la bienséance en étalant ses tétons. Un débordement rapidement maîtrisé par deux femmes maîtres-nageurs, non sans violence et avec l’intervention de la police pour contenir la maman de l’exhibitionniste. Ah ! on aurait peut-être dû le préciser : elle a 3 ans, l’exhibitionniste. Mais ça ne l’a pas empêchée d’être expulsée manu militari de la pataugeoire. Comment a-t-on pu se mettre dans un tel pétrin ? À quel moment est-ce devenu normal de cacher une poitrine qui n’existera pas avant des années, qui plus est par un vêtement ultrasexué ? L es tétons triomphants sur les plages, symbole indissociable de l’émancipation des femmes après 68, n’ont plus la cote. Si 87 % des Français estiment que le topless représente la liberté pour les femmes, seules 18 % d’entre elles le pratiquent aujourd’hui alors qu’elles sont 38 % à avoir tombé le haut par le passé 1. « Il y a aujourd’hui un grand retour de la pudeur, confirme Frédéric Monneyron 2, sociologue de la mode. Et si les mères repassent au deux-pièces, il est assez logique que les petites filles veuillent les imiter en ayant, elles aussi, leur haut de maillot. » Mais il faudrait ne pas avoir les yeux bien en face des trous pour ne pas voir dans le bikini un bout de tissu sexualisé. Alors pourquoi mettre du sexe là où il n’y en a pas en couvrant des seins absents ? 1. Selon un sondage BVA pour Le Parisien publié le 30 juillet 2013. 2. Auteur de La Frivolité essentielle (réédité aux PUF en septembre). 1950 Avec l’essor du bikini, les maillots des filles commencent à se dissocier de ceux des femmes. Deux options : body à bretelles ou petite culotte bloomer. 1910 Les enfants ne se baignent pas : ils pataugent. Leurs costumes de bain sont unisexes et calqués sur ceux des adultes. 1920 elon le sociologue, il y a une projection S des adultes sur le « risque » de la pédophilie : « L’affaire d’Outreau a marqué l’imaginaire collectif, et les parents ne voient plus les choses comme avant. » C’est d’ailleurs la raison évoquée par les femmes maîtres-nageurs de la piscine de Montréal pour justifier l’obligation du port du haut de maillot de bain – bien qu’aucun règlement ne le mentionnait. Si on résume : pour éloigner les pédophiles (comme la RATP qui conseille aux Parisiens de « ne pas “tenter” les pickpockets », bah voyons…), habillons les petites filles avec des vêtements de femmes. « C’est grotesque ! répond Corinne Destal, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Bordeaux-3 et spécialiste des stéréotypes sexués. Il s’agit certainement Les maillots des filles sont identiques à ceux des femmes, petit bonnet inclus. 1960 Tandis que, faute de matières extensibles, les femmes portent des deux-pièces structurés, à balconnet, les maillots des fillettes n’ont pas grand-chose en commun avec ceux des adultes. Au choix : une-pièce, deux-pièces ou « faux deux-pièces », l’ancêtre du trikini. photos : archives galeries lafayette (catalogues toilettes d’été avril 1911 ; général été 1928 ; occasions d’été 1950 ; Plein soleil 1966 ; été 1970) – Jade Albert studio/getty images – Image source/photononstop – Fancy/photononstop – Imaxtree Poitrine au vent, elle est expulsée C’ est pas d’ton âge d’un argument prétexte. Ce n’est pas un haut de maillot de bain sur une gamine de 3 ans qui va changer quoi que ce soit vis-à-vis des pédophiles. C’est très récent, ces interdictions pour contrôler la manière dont les petites filles sont habillées dans l’espace public. Des lois sont mises en place pour les concours de mini-miss, certains lycées interdisent le port du short pour les filles… Tout en l’autorisant s’il est porté sur des collants. Il faut fournir des arguments : certains tiennent la route, d’autres non. » Même si on surveille un peu, récemment, l’habillement des garçons (jeans au-dessous des fesses interdits dans le règlement de certaines écoles), on le fait plus mollement. Rien de surprenant pour Frédéric Monneyron : la tenue vestimentaire des filles est culturellement scrutée avec plus d’attention que celle des garçons. « La mode est quelque chose de féminin avant tout. Au xviiie siècle, on décrivait la mode masculine comme une “non-mode” ! Aujourd’hui, il en reste des traces. Et ça se projette sur les e nfants : Casseroles de la mode D epuis quelques années, la mode enfant nous donne des sueurs froides. En 2010, l’enseigne britannique Primark commercialisait des bikinis rembourrés en taille 7-8 ans. Un an plus tard, et malgré un tollé qui a dépassé les frontières européennes, c’est l’américain Abercrombie & Fitch, tristement connu pour ses vendeurs recrutés en fonction de leurs mensurations, qui proposait des bikinis 8-12 ans dans sa section push-up. En 2012, Wild Child, une marque de vêtements pour enfants made in Wisconsin, jouait la carte du bon goût avec un body pour bébé sur lequel était imprimé en trompe-l’œil un corps de femme dans un bikini. La même année, scandale dans le délicat monde de l’automobile : le salon chinois de l’auto faisait appel à des bébés mannequins, maquillées comme des coupés sport volés, dont 1980 Les années 80 marquent la décennie du corps triomphant qui s’expose, notamment les seins nus. C’est l’avènement du Lycra : les maillots sont plus confortables et moins couvrants. 1970 Dans cette période de liberté sexuelle, on a le choix entre le une-pièce, le deux-pièces brassière… et pas de maillot du tout. depuis une vingtaine d’années, la mode enfant est devenue un marché important, et les petites filles y ont une plus grande place. » Entre les robes très cintrées taille 8 ans et les soutiens-gorge rembourrés en 75A, force est de constater qu’il y a une tendance globale à habiller les gamines comme des femmes. Corinne Destal confirme : « La sexualisation croissante de notre société se caractérise naturellement par une tendance à proposer aux petites filles des panoplies d’adultes. » Clarence Edgard-Rosa le job était de se trémousser autour des voitures dans des positions suggestives. 2014 : c’est au tour de l’actrice britannique Elizabeth Hurley de céder aux sirènes du vulgaire avec une ligne de maillots de bain imprimé léopard agrémentés d’élégants froufrous roses pour les moins de 8 ans. Pour parfaire la panoplie, on peut, même si on est en CE1, se faire bichonner en institut de beauté. En 2011, un établissement du XIe arrondissement de Paris lançait une formule Mini Kid Spa, qui comprenait notamment l’épilation à partir de 6 ans. La pluie de réactions indignées serait-elle mal passée ? En tout cas, le salon ne propose plus aujourd’hui que manucure, massage et pose de vernis, avec un grand verre de grenadine. La patronne l’assure : ces formules sont « étudiées pour les besoins des 6-15 ans ». Ah, si c’est un besoin, alors… C. E.-R. 2000 On entre dans l’ère de la petite lolita, avec des maillots calqués sur ceux des femmes. 2010 Les petits bikinis sont toujours plus sexualisés. 1990 C’est à cette époque qu’on s’inquiète de la nocivité des rayons du soleil et qu’on observe dans la foulée un repli anti-nudité. On se couvre plus, avec des coupes minimalistes. Merci à Catherine Örmen, historienne de la mode, auteure, notamment, de « Brève Histoire de la mode » (Éd. Hazan, 2011).