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5 La poésie
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Modernité et avant-garde en peinture ! page 322 du manuel
1. Bleu, jaune, rouge : couleurs primaires. Vert, orange, violet : couleurs secondaires.
Traits noirs en forme d’arc, comme le titre du tableau l’indique. Pas de motif concret. La
représentation s’épure. Fond clair faisant ressortir les taches de couleurs : tout semble
en mouvement et vibre devant nos yeux. S’il y a motif – barque et ses rameurs, cavalier
luttant contre les forces du mal – celui-ci se transfigure en signes purement plastiques.
Le choix du format carré et une composition fondée sur la diagonale traduisent, mieux
que toute autre représentation, l’affrontement du Bien et du Mal.
Kandinsky disait : « Lutte des sons, équilibre perdu, “principe” renversé, roulements
inopinés de tambours, grandes questions, aspirations sans but visible, impulsions en
apparence incohérentes, chaînes rompues, liens brisés renoués en un seul, contrastes
et contradictions, voilà quelle est notre harmonie. »
Contrastes, dynamisme des couleurs en peinture, lien avec la musique ; la couleur
devient sujet et le tableau, abstraction. L’intensité des tons, la superficie des plans et
l’opposition des couleurs donnent des sensations simultanées.
2.
Le titre, Intérieur hollandais, trouve un écho dans le contraste entre des murs clairs
qui arrêtent le regard et un sol sombre qui l’oriente. Le tableau procède de la métamorphose onirique de La Leçon de danse du chat du peintre hollandais Jan Steen. Toutes les
composantes de la scène sont conservées : la joueuse de flûte assise sur une table, le
fumeur de pipe et jusqu’aux différents accessoires comme la cruche ou la serviette. Mais
l’univers réaliste chez Jan Steen se trouve, chez Miró, habité par une vie inconnue et
frénétique.
Les points blancs prennent des formes dilatées et se transforment en bulles liant
certains objets entre eux ou ayant une existence autonome : tête de personnage, profil
lunaire, lambeaux de toile blanche sous la cruche, chien ayant des ampoules sous le
ventre, oreille en pétale. Les rapports entre tous ces éléments débordent ainsi l’univers
du quotidien.
Sous la forme d’un ruban-serpent jaillissant des entrailles du chien, Miró ajoute en outre
à la scène ce que le réalisme, dans son attachement aux apparences, ne pouvait que
figer : un mouvement tourbillonnant, dont le rythme est relayé par les ondulations des
formes. Cette composition circulaire avec flèche donne une impression de danse, d’où la
musique n’est pas absente : notes de musique suspendues, instrument à cordes en haut
à droite. La scène de Jan Steen déformée, dynamisée, « mise en musique » prend alors
des allures fantastiques et objets et figures humaines subissent le même traitement
dans la roue de la vie.
3. Le peintre Carlo Carra donna le nom de « peinture métaphysique » à un courant qui
traversa la peinture italienne de 1917 à 1921. Le groupe, dont fit partie Giorgio de Chirico
se composait à l’origine, de peintres, tous mobilisés, qui s’étaient rencontrés à l’hôpital
militaire de Ferrare.
De Chrico reste fidèle à l’espace illusionniste, car c’est celui qui permet le mieux de montrer comment le réel le questionne. Il peuple son univers silencieux et désert de tableaux
dans le tableau posant à la représentation des questions : qu’est-ce qui fait le réel et où
se trouve l’illusion ?
Le découpage linéaire de la composition, appliqué avec une rigueur mathématique, accuse
la profondeur et met en évidence la complexité de l’entrelacement des lignes. Les couleurs sont éteintes et étalées uniformément. Seuls les nuages blancs ressortent sur le
bleu du ciel, pour déteindre sur les murs de l’arrière-plan. Les formes cernées d’un trait
noir reçoivent un éclairage intense. De Chirico insiste sur les volumes ; il les interroge et,
5. La poésie 1
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par là, confère aux objets une vie intérieure. Dans cet espace architecturé, épuré et vide,
règne une atmosphère mystérieuse qui invite à la méditation. « Le grand intérieur métaphysique » dit le titre.
De Chirico reconnaissait ce que Freud mettait à jour dans ses analyses : il y a entre la
perception et la conscience la barrière de l’inconscient, et le langage, ici le champ de la
représentation, est le lieu de son aveu. Il dit : « Nous éprouvons les émotions les plus
inoubliables lorsque certains aspects du monde dont nous ignorons complètement l’existence nous confrontent soudainement avec la révélation de mystères qui restaient tout le
temps à portée de nous, que nous ne pouvons pas voir parce que nous avons la vue trop
courte et que nous ne pouvons pas sentir parce que nos sens sont mal développés. »
(Propos rapportés par Waldemar George, Chirico, 1928.)
4. Marcel Duchamp peint La Mariée durant un long séjour à Munich, en 1912, où il
découvre l’ouvrage de Kandinsky Du spirituel dans l’art, mais aussi l’alchimie et sa symbolique, dont il avait besoin pour « briser les chaînes du naturalisme ».
Dans cette toile, Duchamp approfondit les thèmes du mouvement et de la sexualité.
Héritier du Cubisme et du Futurisme, il utilise une gamme chromatique à dominante
brune, la juxtaposition d’éléments mécaniques et de plans abstraits. La transposition
mécanique de l’organisme humain et de son activité sexuelle constitue l’innovation
majeure de Duchamp. Le thème de l’amour machiniste sera exploité ensuite par les
dadaïstes, en particulier par Francis Picabia.
La mariée est donc réduite à un rouage mécanique compliqué. On retrouvera ce thème
dans trois autres œuvres réalisées aussi à Munich : Vierge, Le Passage de la vierge à la
mariée et La Mariée mise à nue par ses célibataires. Celles-ci constituent un ensemble
métaphorique évoquant un rite initiatique d’ordre sexuel ou mystique relativement mystérieux…
5.
Quelques éléments de réponses :
La guerre de 1914-1918 met brutalement en crise l’idée de progrès, inséparable d’une
situation de paix. L’ordre établi est mis en doute. On assiste alors à une crise de la représentation :
Picasso et Braque délaissent progressivement les pinceaux et la peinture pour assembler
des matériaux de récupération et les moyens plastiques s’efforcent de traduire l’équivalent pictural de l’objet.
Le peintre rend compte du sujet sous tous les angles.
L’art abstrait rompt avec le passé : Abstraction lyrique de Kandinsky, dadaïsme de
Duchamp, condamnant le pouvoir mystificateur de l’art, peinture métaphysique de
De Chirico empreinte d’une solitude méditative, Surréalisme de Miró libérant le trait et la
couleur avec l’automatisme.
Autant de facettes et de façons de représenter le monde de façon mystérieuse, en prenant pour source le rêve et l’imaginaire. La modernité, c’est trouver d’autres moyens de
représenter le monde, c’est essayer de répondre à cette crise de la représentation.
5. La poésie 2