Demain peut-être - Bienvenue à la Bibliothèque de La Teste de Buch

Transcription

Demain peut-être - Bienvenue à la Bibliothèque de La Teste de Buch
Demain, peut-être
Toute cette surprenante histoire débuta un samedi matin. Le printemps faisait sentir sa
douceur, le soleil commençait à pointer son nez et à armer ses dards à la chaleur bienfaisante
et agréable en cette période.
Dans ma mini-cuisine, je me réchauffe de l’eau pour mon café lyophilisé et un croissant
surgelé tandis que mon radiocassette laisse entendre le nouveau phénomène musical anglais
en vogue de cette fin des années 70 : The Cure. Ce groupe au look gothique est très décrié en
raison de ses musiques mélancoliques et désabusées, voire morbides, mais moi, à son écoute,
je ressens un grand moment d’apaisement et l’impression que mon sentiment vague de juste
survivre et de mener une vie insipide est partagé. Après cet agréable intermède musical, je
m’installe sur mon petit balcon pour m’adonner à mon plus grand plaisir de la semaine :
prendre mon petit déjeuner sans hâte avec une grille de mots croisés du Monde à remplir.
C’est une des rares choses qui arrive encore à me sortir de ma torpeur quand je suis en pleine
période de procrastination, ivre de fatigue après une semaine de travail à l’usine. Je suis
contente de moi, car j’ai réussi à trouver le mot de la définition de la troisième ligne verticale,
me donnant un avantage décisif pour remplir des cases stratégiques à l’horizontale. J’entends
alors un bruit étrange, comme des ailes en mouvement. Je n’y prête pas attention au départ. Je
me dis qu’il s’agit encore d’un de ces maudits pigeons mendiant une miette de mon croissant.
J’avoue avoir développé un sentiment ambivalent envers ces volatiles. Cela remonte à ma
lecture de la nouvelle d’un écrivain allemand dans laquelle un gardien de banque, planté du
matin au soir devant son agence, s’imagine être espionné par un pigeon de passage et devient
fou. Le bruit persistant, je me détache à contrecœur de ma grille de mots croisés et je lève les
yeux, bien décidée à chasser le perturbateur. De surprise, j’en laisse tomber mon crayon à
papier sur le sol. Sur la rambarde se tient bien un oiseau, mais très inhabituel dans nos
contrées : il est très grand, avec des yeux marron malicieux, un grand bec dur et, surtout, de
magnifiques plumes jaunes et bleues. Et oui, c’est un perroquet. Je n’en avais jamais vu en
vrai. Il est là, tranquillement, à m’observer sans hâte. Un cruciverbiste, lui-aussi ? Je
contemple l’animal. Il est magnifique. Comme certains peuvent parler, je lui demande son
nom. Quelques secondes passent, sans aucune réaction. Puis, une voix caverneuse et
chevrotante, à l’instar de celle que l’on prêterait à un vieil ermite plus que centenaire, me
répond : « Demain peut-être. ». « Demain peut-être ?, je m’exclame, surprise. Ce n’est pas un
nom ! » Le perroquet m’observe un instant, puis s’envole, sans ajouter un mot. Interloquée, je
ramasse mon crayon par terre et me replonge dans mes recherches lexicales, avant de vite
oublier cette rencontre étrange.
Le lendemain, dimanche, je me retrouve vers la même heure à la même place, occupée à
siroter un café, entre deux bouchées de croissant, à m’escrimer sur une nouvelle grille. Je
manque d’inspiration. Je n’ai réussi à noircir qu’un tiers des cases blanches. Je m’octroie une
petite pause musicale sur les notes reggae guillerettes de Bob Marley pendant que je me
prépare un second café. Quand cela ne veut pas, inutile d’insister. Les mots aiment parfois se
laisser désirer et tester notre patience avant de se dévoiler. Je suis en train de me demander si
je ne devrais pas aller chercher le dictionnaire pour m’aider ou bien laisser tomber quand le
bruit d’ailes de la veille recommence.
« Ah, te voilà, toi ! Tu viens m’aider dans mes mots croisés ? » Comme la veille, le perroquet
me répond par un « Demain, peut-être ! ». Amusée par la situation incongrue, je ris de bon
cœur. « Et aujourd’hui, tu comptes me dire ton prénom ? Moi, c’est Léa. » Et tel un écho, sa
voix caverneuse me déclare « Demain peut-être ! ». D’humeur facétieuse, je lui rétorque que
sa conversation manque de variété, à moins qu’il soit victime d’un bogue ou qu’il soit rayé
comme un tourne-disques. Il me fixe de ses yeux marron pétillant d’intelligence. Cherche-t-il
un bon mot d’esprit à ma remarque espiègle ? Il ouvre lentement le bec et poursuit, à la
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manière d’André Malraux : « Demain, peut-être, j’arrêterai de reporter ceci ou cela au
lendemain. Je prendrai mon destin en main. Je vivrai comme si je n’avais pas de demain. » Il
fait une pause. Puis, après avoir fait une sorte de clin d’œil, il s’envole et me laisse à ma
perplexité. Ai-je bien entendu ? Serait-ce un poème ? Une citation connue, le refrain d’une
chanson voire le diagnostic d’une sommité médicale ou d’un nouveau gourou à la mode ?
Je me surprends plusieurs fois dans la journée à chercher une explication à cette visite, sans
succès. Je n’espère aucune réponse, repartant au travail dès 5 h 30 du matin le jour suivant.
Néanmoins, je ne peux m’empêcher, tous les matins à l’aube, de jeter un coup d’œil sur mon
balcon. Bien sûr, pas de perroquet en vue. Tant mieux, car je ne peux pas me permettre
d’arriver en retard à mon travail et telle que je me connais, rêveuse par excellence (ou comme
on dit au Québec « pelleteuse de nuages »), je serais sûrement restée à le contempler.
Les jours se succèdent. J’ai de plus en plus l’impression d’avoir rêvé cette rencontre. Je finis
par ne plus y penser. Le quotidien a repris le dessus. Le vendredi soir, j’ai juste la force
d’avaler un petit truc rapide et de me coucher. Le samedi, habituée à me lever tôt, je n’arrive
pas à dormir très tard, mais mon corps et mon esprit savent que c’est un jour de repos et
apprécient ce répit. Je réchauffe deux croissants précongelés et me prépare un café en poudre
après avoir sorti ma grille de mots croisés. Enfin ce petit moment idéal de la semaine, mon
petit plaisir, ce petit rien qui me fait oublier ma vie plate et monotone, sans but et sans avenir.
Je bataille avec bonheur près d’une heure avec les mots sur le balcon ensoleillé. J’ai réussi à
trouver la plupart des définitions, je suis contente de moi. C’est alors que j’entends le
perroquet arriver. Je réagis bien plus vite cette fois-ci, craignant qu’il s’en aille. « Bonjour
Demain peut-être ! ». Le perroquet semble sourire, même si je sais que cela n’est pas possible.
Toujours est-il que sa présence m’apaise, même si elle m’intrigue fortement. Je ne sais pas
pourquoi il est là, mais je me sens bien. J’ai l’intime conviction qu’il ne me veut pas de mal.
Certes, cela signifie-t-il pourtant qu’il me veut du bien ? Une fois de plus, je suis éblouie par
les couleurs vives de son plumage. Sous son regard fixe, je sors de ma contemplation et
plonge mon regard dans le sien, toujours pétillant d’intelligence. Il se met alors à déclamer de
sa voix chevrotante et lente : « Demain, peut-être, j’arrêterai de reporter ceci ou cela au
lendemain. Je prendrai mon destin en main. Je vivrai comme si je n’avais pas de
demain. Demain peut-être, Nous arrêterons d’avoir peur des uns des autres, Nous
considèrerons les autres comme des nôtres, Nous vivrons ensemble, comme des potes. ». Je
consigne ce qu’il dit sur un coin du journal. À peine ai-je terminé qu’il m’adresse un clin
d’œil et s’envole, sans un mot de plus. Je relis plusieurs fois mes notes, perplexe. Serait-ce un
rébus ? Une énigme ? Une prière ? Ou bien encore pour une caméra cachée ?
Poussée par ma curiosité, je me rends à la bibliothèque municipale mener quelques
recherches. Je constate que beaucoup de courants de pensée passés comme actuels, d’ici et
d’ailleurs, conceptualisent le besoin de vivre dans l’instant présent et la pleine conscience du
moment, le fameux carpe diem. Je lis quelques passages en diagonale. Cela a l’air intéressant,
mais bien loin de mon quotidien rimant avec torpeur, fatigue et langueur. Je suis déjà trop
abrutie et éreintée par mon travail à l’usine pour penser que je suis vivante, alors me
concentrer sur le moment présent ! Bon, en tout cas, cela m’a donné l’occasion de franchir la
porte de la bibliothèque, ce que je ne fais jamais, car à part le week-end (et encore !), je suis
bien trop fatiguée pour avoir envie et pouvoir lire quoi que ce soit. Je me surprends même à
procéder à mon inscription et à emprunter une bande dessinée humoristique et un petit livre de
conseils sur la culture des plantes de balcon. L’idée d’avoir quelques plantes aromatiques me
trotte dans la tête depuis longtemps, mais sans que j’aie le courage de la concrétiser. La
lecture de ce livre ranime ce désir et balaie toutes mes objections (peur de l’échec, et de la
nouveauté, paresse). Je profite donc de mon dimanche matin, dès potron-minet, pour me
procurer enfin quelques plantes. Sur ma lancée, je m’arrête même à la boulangerie pour
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m’acheter des viennoiseries fraîches pour mon rituel du petit déjeuner de fin de semaine sur le
balcon. Autant mettre toutes les chances de mon côté pour faire de cet instant un grand
moment de fête. Je le mérite bien ! Étrange expression, à croire que ce perroquet et ses
phrases m’auraient retourné le cerveau ! Voilà que j’extravague maintenant ! Je me sens
fiévreuse, à la fois ivre de joie à l’idée de quitter mon train-train et amplie de doutes et de
craintes parce que je sors des sentiers battus et ne retrouve plus mes repères – mêmes
médiocres – qui me rassurent. Je balaie toutes ces pensées contradictoires et m’affirme que
j’ai bien droit de m’offrir un petit plaisir, non ?
Cela faisait longtemps que je n’étais pas autant sortie du week-end. En général, à part aller me
ravitailler au supermarché, je fais la chenille chez moi dans mon cocon, avec pour seul
compagnon mon radiocassette. De temps en temps, je sors bien avec une ou deux
connaissances, mais rien de plus. Parfois je le regrette, mais pour être franche, je fonctionne la
plupart du temps comme un robot, sans force pour penser à quoi que ce soit. Apparemment,
mon cerveau rattrape le temps perdu. Ma visite à la bibliothèque m’a chamboulé l’esprit et a
instillé en moi diverses interrogations. Ma réaction me trouble. Je remarque alors quelque
chose qui me tapote la main. C’est le perroquet, pour attirer mon attention ! Je l’avais oublié.
Il embrasse du regard mon balcon et semble apprécier mon ajout végétal. J’avoue que ces
quelques pots de plantes aromatiques agrémentent bien le lieu et lui donne un air gai et
apaisant. « Bonjour, toi ! Mes plantes te plaisent ? Je me suis dit qu’un peu de verdure
manquait ! ». Le crayon à la main, j’attends avec curiosité ce qu’il va me dire. Il m’observe
quelques secondes, puis me répond : « Demain, peut-être, j’arrêterai de reporter ceci ou cela
au lendemain. Je prendrai mon destin en main. Je vivrai comme si je n’avais pas de
demain. Demain peut-être, Nous arrêterons d’avoir peur des uns des autres, Nous
considérerons les autres comme des nôtres, Nous vivrons ensemble, comme des
potes. Demain peut-être La paix règnera enfin, Les hommes arrêteront ces guerres sans fin,
Les gens cesseront de se comporter en aigrefins. ». Il me regarde et s’envole. Je feuillette le
carnet dans lequel j’ai noté les phrases de la veille. Je constate qu’il répète ce qu’il a déjà
déclamé et rajoute des phrases qui semblent rimer. Le mélange de style familier et recherché
confère un caractère particulier à ses propos. Apparemment, il comprend ce que je lui dis,
mais au lieu de me répondre, il clame des vers. Bizarre ! Serait-ce un oiseau savant ou le
compagnon d’une personne férue de poésie voire un poète ? Un rayon de soleil un peu plus
agressif que les autres m’oblige à tourner la tête et à lever les yeux. Je remarque alors un amas
de nuages propice à la rêverie ressemblant à des toucans ou bien encore à des perroquets.
Voilà que j’ai des visions ! Cela tourne vraiment à l’obsession…
Cette belle journée dominicale prend doucement fin. Pour une fois, j’ai l’impression d’avoir
fait quelque chose du week-end, grâce à mon détour par la bibliothèque et le fleuriste. Je me
demande si en fin de semaine, je reverrai l’oiseau.
En attendant, je me lève à l’aube le lundi pour recommencer une semaine de travail. Le soir,
je m’oblige à contrôler et observer mes nouvelles plantes aromatiques. Elles ont l’air de tenir
le choc mieux que moi. Cela me fait plaisir et m’aide à oublier un instant ma fatigue.
Le week-end arrive enfin. Je n’en peux plus. Je me traîne néanmoins le samedi matin à la
boulangerie pour acheter mes croissants, qui deviennent ma récompense de la fin de semaine,
à l’instar du temps que je m’octroie pour faire des mots croisés. Toujours le même rituel : je
dépose ma tasse de café fumante sur la table extérieure sur le balcon, je lis en diagonale les
gros titres du journal tout en cherchant avec fièvre la page de jeux. Je replie le quotidien de
manière à former un matelas moelleux et pratique pour mon remplissage de grille. Puis, je
croque un bout de croissant, top départ, pour mon crayon et mes neurones, du début de la
chasse aux mots. Je me demande un instant si le perroquet viendra me rendre visite. Mais
absorbée par les mots, j’oublie vite tout ce qui est extérieur. Deux heures plus tard, animée par
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cette fatigue heureuse d’avoir tout trouvé, je lève enfin le nez du journal, prête à me faire une
seconde tasse de café. Une fois de plus, je n’ai pas vu le temps passé. Ni d’ailleurs le
perroquet qui m’observe. Je sursaute en le voyant. « Demain peut-être ! Bonjour ! Il y a
longtemps que tu es là ? ». L’oiseau dodeline gentiment la tête dans une gestuelle
incompréhensible pour moi mais pleine de grâce, sans me quitter des yeux. Il s’interrompt,
puis me dit de sa voix chevrotante si particulière : « Demain, peut-être, j’arrêterai de reporter
ceci ou cela au lendemain. Je prendrai mon destin en main. Je vivrai comme si je n’avais pas
de demain. Demain peut-être, Nous arrêterons d’avoir peur des uns des autres, Nous
considérerons les autres comme des nôtres, Nous vivrons ensemble, comme des
potes. Demain peut-être La paix règnera enfin, Les hommes arrêteront ces guerres sans fin,
Les gens cesseront de se comporter en aigrefins. Demain peut-être La Nature ne sera plus
traitée sans respect et amour L’homme la choiera comme lui-même pour toujours et enfin se
respectera par la-même sans détour. ». Par chance, crayon à la main, j’ai le temps de noter
ses paroles. À peine ai-je terminé que le perroquet me fait un clin d’œil et s’envole, sans me
laisser la possibilité de lui poser des questions. Je reste seule avec mes interrogations. Je
décide d’aller à la bibliothèque pour y trouver une réponse. Je montre le texte à plusieurs
bibliothécaires, mais aucun ne le connaît. Naturellement, j’ai oublié de leur expliquer qui me
l’avait transmis. Je ne tiens pas à passer pour une dérangée du ciboulot ! Je fais peut-être chou
blanc dans mes recherches, mais ces allers et venues pour trouver conseil me permettent de
me familiariser avec les lieux et m’obligent à me rendre dans des rayons dont j’ignorais même
l’existence, comme celui des philosophies orientales ou de la cuisine du Danemark. Je
remarque que certains présentoirs sont disposés ici et là pour promouvoir et faire découvrir
des ouvrages. La couverture de l’un d’entre eux attire mon regard. Il traite de la sobriété
heureuse, par un certain Pierre quelque chose. Ma main ne peut s’empêcher d’attraper le livre.
Il s’agit d’une biographie. Pas vraiment le genre de livres que j’ai envie de lire si j’en avais
encore la force. Cependant, je n’arrive pas à le reposer à sa place. Il contient peu de pages,
pourquoi ne pas le prendre ? Je passe finalement l’après-midi plongée dedans. La lecture de
ce témoignage d’une vie simple mais néanmoins très riche humainement et socialement me
trouble. J’attends avec impatience le jour suivant, espérant revoir le perroquet. Mais il pleut ce
dimanche des hallebardes et je reste confinée à l’intérieur, en compagnie de mon
radiocassette. Cela n’empêche pas mon cerveau de carburer. Ma lecture de la veille fait surgir
moult questions et interrogations en moi. Je retourne au travail le lundi sans y avoir trouvé
réponse. J’espère ardemment une nouvelle rencontre avec le perroquet, même si cela me
semble très hypothétique. J’ai soif d’en savoir plus. Malgré moi, ces quelques changements
récents dans ma routine et mes lectures me hantent, comme si elles mûrissaient en moi. Elles
reviennent plusieurs fois à mon esprit comme des flashs au fil de la semaine.
Enfin samedi. Peu à peu, je suis arrivée à la conclusion que cela fait des années que je vis
comme un automate, sans me poser de questions et sans projets. Mon épuisement et mes
problèmes passés n’expliquent pas tout. Pour être honnête, comme beaucoup, j’ai préféré
vivre ou plutôt survivre dans un état de coma pour éviter d’affronter mes peurs, mes désirs et
les incertitudes. Se comporter comme un robot anesthésie tant le corps que l’esprit. Cela est
apaisant, d’une certaine manière, mais empêche de vivre pleinement les choses et de les
ressentir. Certes, ni peine, ni tristesse, ni rejet ; mais aussi ni joie, ni espoir, ni échange. Que
m’arrive-t-il ? Depuis deux semaines, mon quotidien n’est plus le même, moi non plus
d’ailleurs. Cela aurait-il un rapport avec la venue de ce perroquet et de ses phrases
énigmatiques ? Je continue à penser qu’il s’agit d’une blague ou d’un animal échappé d’un
salon d’un vieux monsieur lettré. D’ailleurs, malgré mon attente fébrile et le retour du beau
temps, il ne vient pas. Cela m’attriste un peu et puis, repris dans le tourbillon de mes pensées
confuses, je me mets à douter de l’avoir vraiment vu. Je m’endors tard dans la soirée. Je fais
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des rêves lumineux voire loufoques puisque je me rappelle au réveil avoir rêvé que je dansais
la carmagnole avec des carottes et des haricots verts ! Vraiment, je ne tourne pas rond…
Dans un demi-sommeil, hanté par mes hallucinations nocturnes, je me prépare un café.
J’espère que le breuvage me permettra d’oublier tout cela et de passer un bon dimanche. Je
n’ai même pas le temps de tailler mon crayon à papier et de plier comme il faut mon journal
que le perroquet fait son apparition. Je mets quelques secondes à me dire qu’il est vrai, encore
sous le choc de ma danse imaginaire avec des légumes. Pendant que je l’observe d’un œil
sûrement aussi frais que celui d’un merluchon faisant la planche depuis plusieurs jours sur un
étal de poissonnier, mes mains cherchent mon carnet et mon crayon. À ma grande surprise, le
texte est tout nouveau : « Demain peut-être, Nous saurons capables de profiter du moment
présent, Nous aurons la sagesse de nous réserver un futur bienfaisant, Nous tirerons du passé
les leçons s’imposant. Nous aurons déjà pris les bonnes décisions Pour arrêter la
procrastination Et vivre sans délai nos vies sans appréhension. Mais aujourd’hui sûrement Et
encore plus qu’hier. Cela ne tient qu’à nous assurément. » Le perroquet se tait, m’observe de
son œil rond malicieux quelques secondes, puis me fait un clin d’œil avant de s’envoler. Je
suis abasourdie par l’écho qu’il existe entre mes pensées du moment et les interventions du
volatile. En effet, tandis qu’il parlait, je repensai à l’affichette à la boulangerie relayant la
proposition d’un maraîcher-herboriculteur de former quelqu’un pour le seconder. Depuis sa
lecture, je ressens grandir en moi le besoin impérieux d’y postuler, même si cela s’apparente à
un grand bond dans l’inconnu. Peut-être qu’il est enfin temps que je change de voie et prenne
mon destin en main, en arrêtant de me dire « demain peut-être », pour que le jour présent et
les lendemains ne soient plus hypothétiques et vains.
À l’issue de mon apprentissage, je suis partie parfaire mes connaissances ici et là au gré des
rencontres et des expériences. Ironie de l’histoire, je vis désormais heureuse et épanouie au
pays des perroquets, au Costa Rica, dans une coopérative agricole.
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