Le LIEEN-n°11-décembre 2014-Dossier thématique EHPAD

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Le LIEEN-n°11-décembre 2014-Dossier thématique EHPAD
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Réseau de réflexion éthique en santé de Bretagne
Le LIEEN
Lettre d’Informations Ethiques Entre Nous
N° 11 – Décembre 2014
Dossier thématique
Projet de vie : La vie en EHPAD doit-elle être un projet consenti ?
Sommaire
- Editorial invité : Joëlle LE GALL
p. 2
- Introduction : Elodie GLEMAREC et Jean-Michel BOLES
p. 5
- Le point de vue d’une directrice d'EHPAD : Josiane BETTLER
p. 8
- Le point de vue d’une association : Joël JAOUEN
p. 18
- Le point de vue du philosophe : Jacqueline LAGREE
p. 20
- Le point de vue d’une équipe socio-éducative :
Caroline VAIREAUX, Caroline DY et Chrystelle MONOYEZ
p. 26
- Le point de vue de l’équipe soignante :
Vanina BRANQUET, Marina TOULARASTEL et Geneviève JACOPIN MARTIN
p. 36
Lettre d’informations éthiques entre nous, le LIEEN
Directeur de la publication : Pr. J-M. Boles, CHRU de Brest, directeur (provisoire) de l’EREB - [email protected]
EREB : Hôpital de la Cavale Blanche - CHRU - 29609 Brest cedex - Site Web : www.espace-ethique-bretagne.fr
1
Editorial invité
Joëlle LE GALL
Présidente d'honneur de la Fédération Nationale des Associations et Amis de Personnes Agées et de
leurs Familles (FNAPAEF)
Projet de vie : La vie en EHPAD doit être un projet consenti
La première question à se poser porte sur le choix de rentrer dans un EHPAD : est-il un projet de
vie consenti ? Peut-on parler de consentement éclairé et que signifie un consentement éclairé
lorsqu'à 85 ans on a l'obligation de quitter son domicile, victime d'une maladie invalidante, d'un
handicap, qui ne nous permet pas d'être accompagné « chez nous ». Qui a le pouvoir de décision,
qui décide de l'établissement qui pourra m'accueillir ?
La deuxième question porte sur la notion même de « projet de vie en établissement » : est-ce un
titre vitrine ou une réalité ? Quel contenu revêt aujourd'hui cet outil de la loi n° 2002-2 du 2
janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale ? A vingt ans je peux avoir un projet de vie,
à 85 ans est-ce que je dois, est-ce que je peux, est-ce que j'ai envie de construire mon projet de vie.
Que signifie exactement cette démarche et quels en sont les aboutissants ?
Aujourd’hui la moyenne d’âge pour rentrer en EHPAD (Établissement d'Hébergement pour
Personnes Âgées Dépendantes) est de 85 ans. On y rentre avec une sérieuse perte d’autonomie.
Petite parenthèse, cette appellation « EHPAD » mérite d'être répertorié au GUINESS des records du
mauvais goût. Malheureusement l'appellation maison de retraite, encore employée aujourd'hui, ne
correspond plus à la réalité d'un établissement qui accueille majoritairement des pathologies
handicapantes : maladie d’Alzheimer ou assimilée, AVC, sclérose en plaques, maladie de
Parkinson... Ce lieu de vie se rapproche d'une Unité de Soins Long Séjour dans lequel étaient
dirigés les patients en perte d'autonomie lourde il y a une dizaine d'années.
Entre les textes de loi, le rapport à l'humain, l'éthique, le bon sens, le respect de l'autre, comment
créer à l'intérieur d'un établissement une réponse adaptée, permettant à chaque résident d'être unique
au sein d'une collectivité ? Comment chaque résident peut-il s'approprier son parcours de vie et en
être le pilote ?
Pour éviter de traiter ces questions par l'absurde je vais tenter d'y apporter, non pas une réponse que
je n'ai pas, mais des éléments qui éclaireront sur la réalité et les questionnements qui en découlent.
Si l'on se réfère à l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et
services sociaux et médico-sociaux (ANESM) on peut y lire dans ses recommandations :
- Un droit, pas une obligation – La participation de la personne à son propre projet n'est en aucune
façon une obligation pour elle. Les dispositions de la loi du 2 janvier 2002 évoquent clairement qu'il
s'agit d'un droit. Les professionnels encouragent les personnes à participer et facilitent leur
expression, mais ils ne peuvent pas les obliger à participer.
- Projet personnalisé et contrat de séjour – La loi du 2 janvier 2002 oblige les établissements et
services à rédiger, selon le cas, un contrat de séjour ou un document individuel de prise en charge
(DIPC). Elle donne obligation aux professionnels d'établir un projet d'accueil et d'accompagnement,
mais elle n'en détaille pas le contenu ni ne précise s'il doit être écrit.
Le projet personnalisé est une démarche dynamique, une co-construction qui tente de trouver
un équilibre entre différentes sources de tension, par exemple :
o les personnes et leur entourage, qui peuvent avoir des attentes contradictoires ou des
analyses différentes,
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o Les personnes, leur entourage et les professionnels, qui ne partagent pas automatiquement la
même analyse de la situation ou les mêmes objectifs,
o les professionnels d'établissements/services différents.
C'est la raison pour laquelle cette démarche de co-construction aboutit souvent à un
compromis.
Philippe THOMAS pose la question essentielle : « Le comportement du résident est-il inadapté de
par sa faute ou du fait d’une responsabilité de l’environnement dans lequel il évolue ? »1
Le résident même dans ses silences s’exprime « j’ai une empreinte digitale unique, j’ai ma vie, mon
métier, et comme le dit la chanson « mes amours, mes emmerdes »….
« J’ai besoin de me sentir vivre et d'être reconnu jusqu’à mon dernier souffle, si ma vie ne
m'appartient plus, si je suis soumis à un entourage qui ne m'entend pas ou ne peut répondre à mes
attentes je n’ai plus rien à faire sur cette terre, et je suis déshumanisé, seule la mort sera
libératrice ».
Pour aborder cette dimension, il faut avoir pris le temps de connaître cette personne, connaître son
histoire, ses centres d'intérêt, ses joies, ses peines. La famille connaît (ou pas, secrets de familles
lourds à porter). Mais les professionnels qui l'entourent doivent aussi avoir un certain nombre
d'informations sur le parcours de vie de celui ou celle qu'ils accompagnent et qu'ils accompagneront
bien souvent jusqu'à son dernier souffle. Quand l'âme souffre, le corps souffre.
Aujourd’hui nous savons, vous savez, les pouvoirs publics savent, que l’accompagnement d’une
personne âgée affaiblie par la maladie ou le handicap passe d'une part par les moyens qui seront
dégagés pour financer le soin et le prendre soin de cette personne, d'autre part par la volonté
qu'auront les citoyens français à s'emparer de ce débat de société. Le parcours de vie de la personne
âgée fragilisée est contraint par la surdité et l'impuissance des pouvoirs publics eux mêmes
contraints par le bon vouloir de « Bercy ».
Comment peut-on oser face à ce constat parler de projet de vie ?
Depuis plusieurs années les financements accordés aux EHPAD stagnent et, pire, diminuent ; tant
que nous continuerons à mettre des pansements sur une jambe de bois tous les efforts fournis par les
professionnels resteront insuffisants.
C'est l'ensemble du système qu'il faut repenser. Ce doit être un des grands défis de notre société
actuelle. Malheureusement le débat se solde par une absence de réel débat pour se terminer à
chaque fois en « peau de chagrin ». Le projet de loi d'adaptation de la société au vieillissement a
fait la part belle à la « silver économie » et à l'accompagnement au domicile. C'est un beau tour de
passe-passe. Une loi de programmation semblait aboutir à notre plus grande satisfaction, nous en
sommes réduits à une simple loi ne réglant que peu de questions sur l'accompagnement à domicile
et ne traitant pas du financement des EHPAD, reporté dans l’attente de jours meilleurs ; mais
meilleurs pour qui ? Alors que professionnels, résidents et familles alertent sur les graves difficultés
de fonctionnement depuis plusieurs années. Si la situation des établissements, du fait de
l'aggravation du niveau de perte d'autonomie et de l'état médical des résidents est proche des
situations observées dans les Unités de Soins de Longue Durée (USLD), nous n'avons toujours pas
de moyens techniques et de ratios de personnel adaptés, tant sur le plan médical que social. Quant
au domicile la conclusion est claire « familles, occupez vous de vos parents », quitte à sombrer dans
1
Psychogériatre et praticien hospitalier au CHU de Limoges ; intervention au 2ème colloque international « approche
non médicamenteuses de la maladie d'Alzheimer, prendre soin et milieu de vie », 12-13 novembre 2009, Paris
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la dépression et le burn-out et devenir maltraitant, ou pire, partir dans votre tombe avant le parent
que vous accompagnez. Et si la silver économie peut apporter des réponses à l'environnement de la
personne âgée, sachons être vigilant pour ne pas remplacer la présence de l'humain par de petits
robots qui viendront vous caresser la main pour tout réconfort.
Quel beau métier celui d’accompagner la vieillesse fragilisée, quel beau métier que celui de «
veilleurs de dignité » ? Mais combien difficile à travers ces arcanes et ses contradictions. Quelle
latitude entre éthique, morale et droit ?
A-t-on le droit d'exclure ou de minimiser l'éthique au profit de valeurs marchandes ? A-t- on le droit
de minimiser les moyens nécessaires à sa protection ? L'éthique libérale est la reconnaissance de
l'autre comme son égal. Morale, droit et éthique sont des dimensions en tension. On l'observe dans
plusieurs domaines en particulier dans le sujet qui nous anime aujourd'hui « le consentement de la
personne âgée fragilisée par la perte d'autonomie, la maladie, le handicap ».
Le droit en termes juridiques repose sur des lois et tout citoyen, toute organisation se doit de les
respecter sous peine d'être juridiquement condamnable. L'éthique est une valeur perceptible, fuyante,
et non formatée. Chaque être peut en avoir une perception différente selon son éducation, sa
sensibilité, son origine. La loi du 2 janvier 2002 a pour vocation de placer les droits des usagers au
cœur de l’action sociale et médico-sociale. En effet, le dispositif antérieur était quasiment muet sur
la place de l’usager. L'un des principaux axes est l'affirmation et la promotion des droits des
usagers et de leur entourage. Elle donne obligation de mettre en place des outils pour assurer un
accompagnement bien traitant. Mais comment évaluer la qualité d'un accompagnement ?
Comment évaluer le respect, l'attention, les valeurs éthiques ? Le concret de cette loi se heurte
à l'abstrait des valeurs qu'elle sous tend.
En conclusion, qu'est-ce qu'un projet de vie ?
Être maître de ses choix et « accompagner sa vie » à travers sa maladie et son handicap, trouver
encore l'énergie du « vouloir » rêver à tout ce que l'on voudrait faire et que l'on ne peut plus faire ?
Ou au contraire confier sa vie à des personnes bienveillantes qui vont savoir anticiper nos
demandes et rendre douces et sereines nos dernières années tout en préservant notre propre identité
et notre autonomie ?
« La médecine est un mélange soigneusement dosé de science et d’humanisme, mais nos
institutions ne sont pas humanisantes. Chaque résident a ses habitudes, son mode de vie. Il faut
prendre le temps de les repérer et d’être au plus prêt de ses besoins pour respecter son rythme de
vie » (Philippe Thomas2).
« Les hommes vieux vulnérables ont besoin de veilleurs de dignité, de personnes qui les assurent
par leur regard qu’ils sont reconnus, quelles que puissent être les pertes de capacités ou de maîtrise.
Toute attitude verbale ou non verbale a un sens, mon regard dirige son regard, plus je la vois comme
une personne entière moins elle diminue » (Eric Fiat3).
Contact: FNAPAEF - 220F La Charmille - 57560 SAINT QUIRIN
Site Web : http://www.fnapaef.fr
Il est possible de trouver la lettre ouverte concernant le projet de loi d'adaptation de la société au
vieillissement, sur le site de la FNAPAEF
2
cf. note de bas de page 1
Philosophe, Université Paris Est Marne la Vallée ; intervention au 2ème colloque international « approche non
médicamenteuses de la maladie d'Alzheimer, prendre soin et milieu de vie », 12-13 novembre 2009, Paris
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Introduction
Elodie GLEMAREC, directrice de l’EHPAD Ty Penn Ar Bed, Cléden-Cap-Sizun (Finistère)
et Jean-Michel BOLES, directeur de l’EREB.
Les structures accueillant des personnes âgées ont connu de nombreuses évolutions ces dernières
décennies. Au temps de l'humanisation et de la disparition des hospices a succédé le temps de la
médicalisation. Médicalisation parfois à outrance, qui a fait oublier que la personne âgée n'est pas
réduite à un simple objet de soins, mais est dorénavant effectivement considérée comme un sujet
acteur de sa vie et de son épanouissement en maison de retraite. Initialement stigmatisées comme
des asiles et des mouroirs, les maisons de retraite ont décidé d'axer leur accompagnement sur
l'individualisation avec pour objectif la recherche de l'amélioration de la qualité de vie et du bienêtre de chacun. Notre agir doit nous conduire ainsi à avoir pour objectif « la visée de la vie bonne,
avec et pour autrui dans des institutions justes » selon les mots de Paul Ricoeur.
C'est ainsi que la question des valeurs et de la recherche du sens des actes réalisés en maison de
retraite et dans toutes les structures et établissements médico-sociaux et sociaux accueillant des
personnes âgées sur leur lieu de vie a fait émerger chez les professionnels le questionnement
éthique. Les questions spécifiques soulevées dans ce contexte et les demandes des professionnels
ont conduit l’Espace éthique de Bretagne Occidentale à créer le groupe ETYCOZ accompagnement des personnes âgées sur leur lieu de vie - au sein du réseau de réflexion éthique en
santé de Bretagne Occidentale, en 2012. Le but de ce groupe est de promouvoir le développement
du questionnement et d’une culture éthiques chez ces professionnels afin de les aider à répondre aux
problèmes rencontrés dans leur pratique quotidienne.
Pour sa troisième journée thématique annuelle, le comité de pilotage du groupe ETYCOZ, inscrit
désormais dans l’Espace de réflexion éthique de Bretagne (EREB), a fait le choix de traiter du
projet de vie ou projet personnalisé. Cette journée thématique était placée dans le cadre de « la
semaine bleue », la semaine nationale des retraités et personnes âgées, marquant ainsi la volonté de
l’EREB d’être partie prenante des manifestations organisées pendant cette semaine. Au total, 120
personnes provenant de plus de 40 établissements accueillant des personnes âgées des quatre
départements de Bretagne ont participé à cette journée qui s’est déroulée à la faculté de Médecine et
des Sciences de la santé de Brest le 10 octobre 2014. Parmi ces personnes figuraient de nombreux
professionnels de santé, mais aussi des professionnels non soignants, des directeurs
d’établissements et des personnels administratifs. Le nombre d’établissements représentés et la
diversité des métiers exercés par les participants témoignent des questionnements que ce projet
soulève en pratique et de l’implication des professionnels travaillant dans ces structures pour y
répondre et accompagner au mieux ceux qui y résident. Nous avons voulu faire partager leurs
réflexions en y consacrant le deuxième dossier thématique du LIEEN en 2014.
« Projet de vie »
Le projet de vie qui doit être signé par le résidant peu après son admission est l’élément qui
matérialise l’accueil et les conditions de vie de celui-ci au sein de l’établissement dans lequel il va
désormais vivre. Il a été institué par la loi 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et
médico-sociale, parmi diverses dispositions ayant pour but de renforcer « les droits des usagers du
secteur social et médico-social ». Il est inscrit dans la Charte des droits et libertés de la personne
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accueillie 4 . L’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et
services sociaux et médico-sociaux) a publié plusieurs recommandations sur ce sujet depuis 2008 et
d’autres sont en cours de finalisation5. Plutôt que de parler de projet de vie, l’ANESM précise dans
sa recommandation sur les « Attentes de la personne et le projet personnalisé » que « Le terme de «
projet personnalisé » a été retenu dans cette recommandation pour qualifier la démarche de coconstruction du projet entre la personne accueillie/accompagnée (et son représentant légal) et les
équipes professionnelles »6. Ce projet fait émerger des notions majeures touchant au respect de la
personne concernant tout autant les résidants et leur famille que les soignants : celles de
consentement, de contractualisation, d’accompagnement et de représentation de la vie en institution.
La vie en EHPAD doit-elle être un projet consenti ?
Jules Renard écrivait dans son Journal en 1902 que « Le projet est le brouillon de l'avenir. Parfois, il
faut à l'avenir des centaines de brouillons »7. Le mot projet implique de projeter mais aussi de se
projeter, c'est-à-dire de se lancer en ou vers l’avant et d’envisager l’avenir. Quel projet ou quelle
projection peut faire et peut-on demander à une personne souvent très âgée, dont l’état de santé est
souvent altéré, qui rentre dans un EHPAD, pas toujours de son plein gré, souvent contrainte par sa
situation et son état de dépendance, plus ou moins acceptés ? Les professionnels savent combien
l’admission de nombre de personnes âgées dans un EHPAD se déroule dans un contexte douloureux
pour celles-ci et leur famille.
Le consentement est à la base de la reconnaissance de l’autonomie décisionnelle de la personne qui
a ses capacités à exercer celle-ci. En ce qui concerne les décisions de santé, ce consentement doit
être libre et éclairé ainsi que le précise la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la
qualité des soins. Le caractère éclairé suppose une information complète sur la réalité de la situation
de la personne et les solutions possibles pour y répondre. Le caractère libre suppose qu’aucune
contrainte, interne ou externe, ne pèse sur la personne. Aucune raison, hormis l’altération de l’état
cognitif et psychique, ne vient invalider ces deux caractéristiques en matière de choix de vie. Est-ce
bien le cas chez toutes les personnes âgées au moment de l’entrée dans un EHPAD ? La réponse est
malheureusement négative dans un certain nombre de cas. Que veulent dire alors « consentir à » et
« co-construire un projet » lorsqu’il n’est pas établi par soi-même mais imposé par les circonstances
ou un membre de sa famille, voire une équipe hospitalière ? Le seul mot consentement mériterait
une véritable analyse sémiologique de ses significations et représentations. Comment concevoir le
consentement de la personne âgée, dans les circonstances souvent imprévues et impensées par elle
d’une entrée en EHPAD ? On peut avancer qu’il se situe entre l’exercice d’une souveraineté
absolue dont les capacités d’expression déclinent, et l’imposition d’une allégeance qui ne dirait pas
son nom, inacceptable humainement, pour reprendre des termes d’un article récent8. Quelle forme
alors ce consentement peut-il prendre ? Celle d’un simple assentiment, voire d’un simple
acquiescement ? On doit exiger qu’il s’agisse d’une forme toujours singulière, respectant chaque
personne dans ses propres capacités et son tempo particulier à accepter ou simplement entériner les
conditions de sa nouvelle vie.
L'accompagnement personnalisé en établissement doit se faire dans le respect des attentes et des
besoins de la personne accueillie. Il doit alors prendre en compte toutes ses dimensions et non pas
se cantonner au seul registre du soin. La valeur éthique de ce projet personnalisé repose sur la
4
Arrêté du 8 septembre 2003, http://www.legifrance.gouv.fr
http://www.anesm.sante.gouv.fr/spip.php?article677&var_mode=calcul
6
http://www.anesm.sante.gouv.fr/spip.php?page=article&id_article=134
7
Renard J. Journal 1887-1910. http://www.ibibliotheque.fr/journal-1887-1910-jules-renard-ren_journal/lectureintegrale/page341
8
Ceccaldi J. Le consentement, entre souveraineté et allégeance. Laennec 2009, n°2, 31-42.
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manière dont il est véritablement « co-construit » avec la personne, cherchant à favoriser son
expression et sa participation active, la reconnaissant pleinement dans sa singularité et son altérité.
La contractualisation matérialise l’engagement de l’institution à respecter les choix de vie de la
personne résidente dans le cadre d’une vie collective réglementée par nécessité, dans des conditions
matérielles et organisationnelles contraintes. C’est le véritable sens de la signature prévue du
contrat entre l’établissement et la personne ou sa famille lorsqu’elle n’est plus en état de le faire en
toute connaissance de cause. Faire vivre ce sens repose nécessairement sur l’implication et
l’engagement personnels de l’ensemble des professionnels d’un établissement, d’accompagner la
personne au mieux dans ce qui est sa vie en respectant ses choix. Cet engagement et cette
implication personnels supposent une réflexion collective préalable sur le sens de l’action des
professionnels. Ils reposent sur des valeurs morales et professionnelles et sur le développement de
vertus au premier rang desquelles se trouve la sollicitude, définie par la notion de soins affectueux
que l’on a pour quelqu’un, les égards et soins attentifs dont on l’entoure. A condition que cette
sollicitude réponde au « souci de l’Autre », pour reprendre le titre d’un ouvrage de Marie de
Hennezel 9 . Une sollicitude qui soit prévenante, permettant à la personne d’aller jusqu’au bout
d’elle-même, non une sollicitude accaparante qui, dans son excès de compassion, réduit la personne
à son état de dépendance10. L’expérience, l’habitus, et la réflexion en retour sur celle-ci sont les
éléments déterminants de son développement individuel et institutionnel.
Comment ces recommandations sont-elles appliquées en pratique ou plutôt comment les
établissements se les sont-ils appropriés ? Ce dossier thématique rassemble les approches de
différents professionnels vivant au contact quotidien de personnes âgées et cherchant à répondre au
mieux à ce que doit sous-tendre le projet de vie : un « bien-vivre » individuel et collectif. Sont ainsi
rassemblés des textes d’approche différente. Des expériences de professionnels, d’une part : ceux
d’une directrice d’un centre hospitalier de proximité comprenant un EHPAD, de professionnels de
différents métiers. Des réflexions et des analyses, d’autre part : celles d’un représentant d’une
association de familles et d’une philosophe. Madame Joëlle Le Gall, présidente d’honneur de la
Fédération Nationale des Associations et Amis de Personnes Agées Et de leurs Familles a accepté
d’écrire l’éditorial invité. Nous remercions très vivement les uns et les autres de leur contribution à
ce dossier et souhaitons qu’il apporte une contribution à la réflexion et l’action de tous les
professionnels concernés.
9
De Hennezel M. Le souci de l’Autre. Paris, 2004
Heidegger M. Etre et temps, 1927. Paris, Gallimard, collection bibliothèque de philosophie, 1990.
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Le point de vue d’une directrice d'EHPAD
Josiane BETTLER
Directrice du Centre Hospitalier des Marches de Bretagne (Ille et Vilaine)
La problématique existant autour du consentement de la personne âgée lorsqu’elle entre en EHPAD
est le cœur du métier de directeur, qui est de bien accueillir, dans les meilleures conditions
possibles, des personnes âgées en perte d’autonomie et dépendantes, atteintes de toutes sortes de
problèmes de santé et qui ont de surcroît quitté leur domicile pour toujours.
Néanmoins qu’en est-il du respect de l’autonomie de la volonté de la personne qui n’avait pas
prévu de quitter son domicile pour venir séjourner en EHPAD ?
Le sujet étudié montre que le simple mot de consentement, que nous prononçons au quotidien,
pose question :
Est-il bien adapté pour la personne âgée qui entre en établissement ?
Est-ce bien naturel de finir sa vie en maison de retraite, surtout quand nous parlons de
recevoir ou d’envoyer, ou encore de faire partir une personne âgée en établissement, contre
son gré ?
Comment prendre en charge la dépendance de ces personnes âgées lorsque leur état de
santé se dégrade ?
En France, cette question préoccupe tous les acteurs de la vie économique et sociale. Quant aux
proches, le choix est difficile entre le maintien à domicile / le placement en institution / l’accueil à
leur domicile d’un parent âgé.
Introduction autour de l’entrée en EHPAD
L’entrée en EHPAD est marquée par un inévitable travail de deuil de son ancien domicile, de sa
vie passée auquel il faut ajouter tous les deuils inhérents à la vieillesse (proches, capacités, statut
professionnel…). L’entrée en institution des personnes âgées s’inscrit dans un contexte complexe.
Elle apparaît le plus souvent comme une contrainte, pour des raisons multiples qui ne tiennent pas
seulement à un état mesurable de santé, mais aussi aux ressources mobilisables, à la perte des
supports relationnels et, surtout, aux limites des solutions mises en œuvre.
Un tiers des personnes âgées dépendantes vivant en institution n’a pas réellement consenti à son
placement. La famille prend souvent l’initiative du départ vers l’institution.
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L’Organisation de l’EHPAD
L’objectif de l’EHPAD est de répondre au mieux aux besoins de la personne accueillie au
travers des sept outils suivants déclinés dans la loi du 2 janvier 2002 :
le livret d’accueil et la procédure d’admission,
la charte des droits et des libertés de la personne accueillie,
le contrat de séjour,
le conseil de la vie sociale (CVS),
le règlement de fonctionnement,
le projet d’établissement ou de service,
l’évaluation de la qualité et des prestations.
La Qualité en EHPAD
Qualité de vie :
o Ethique, droits des malades, entourage, dépendance
o Projet de vie
Qualité des soins :
o Moyens donnés à l’EHPAD, PATHOS, AGGIR
o Projet de soins
Contraintes juridiques et plaintes
Les instances institutionnelles : CLIN, CLUD, CLAN …
Le Résident peut être :
- fragile, au « 4ème âge »,
- dénutri,
- déprimé, en crise existentielle,
- dépendant,
- resté jeune dans sa tête avec ses souvenirs,
- n’a pas voulu être là, mais chez lui !
L’EHPAD est un lieu de Vie.
Les droits des personnes âgées dépendantes en institution sont formalisés dans des textes
réglementaires
La charte des personnes âgées dépendantes en institution
(Commission « Droits et Libertés » de la Fondation Nationale de Gérontologie11 en 1986)
Le respect des droits et libertés des personnes âgées dépendantes concernent tous les lieux de
vie : maisons de retraite, résidences, services hospitaliers, unités de long séjour …
1.
11
Tout résident doit bénéficier des dispositions de la charte des droits et libertés des personnes
âgées dépendantes
http://www.fng.fr/html/droit_liberte/charte_integral.htm
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9
Nul ne peut être admis en institution sans une information et un dialogue préalables et sans
son accord
Comme pour tout citoyen adulte, la dignité, l’identité et la vie privée du résident doivent être
respectées.
Le résident a le droit d’exprimer ses choix et ses souhaits.
L’institution devient le domicile du résident, il doit y disposer d’un espace personnel
L’institution est au service du résident. Elle s’efforce de répondre à ses besoins et de
satisfaire ses désirs.
L’institution encourage les initiatives du résident. Elle favorise les activités individuelles et
développe les activités collectives (intérieures et/ou extérieures) dans le cadre du projet de
vie.
L’institution doit assurer les soins infirmiers et médicaux les plus adaptés à l’état de santé du
résident. S’il est nécessaire de donner des soins à l’extérieur de l’établissement, le résident
doit en être préalablement informé.
L’institution accueille la famille, les amis ainsi que les bénévoles et les associe à ses
activités. Cette volonté d’ouverture doit se concrétiser par des lieux de rencontre, des
horaires de visites souples, des possibilités d’accueil pour quelques jours et par des réunions
périodiques avec tous les intervenants
Le droit à la parole est fondamental pour les résidents.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
Mais qu’en est-il du vécu de la personne âgée?
Une entrée en institution mal préparée et souvent mal consentie par la personne âgée peut avoir des
conséquences désastreuses sur la santé du sujet et sur son degré de dépendance physique et
psychique. Très souvent la liberté de la personne est compromise car on se passe de son
consentement et même de son information.
Une importante question éthique se pose alors : au nom de quoi, qui sommes-nous pour décider ce
qui est le mieux pour la personne âgée, encore plus quand elle n’a plus toutes ses facultés
mentales ?
Familles et professionnels sont pris entre les limites de la non assistance et la mise en danger et le
non respect de la liberté du sujet qui a le droit de choisir sa vie (quand il ne met pas en danger celle
d’autrui) en continuant à vivre chez lui. Chez les proches, le placement entraîne un sentiment de
culpabilité mais aussi de soulagement de plus avoir à prodiguer quantité de soins à leur parent.
En tant que directrice ou directeur, nous devons tout mettre en œuvre pour préparer l’admission et
ainsi obtenir le consentement de la personne accueillie.
Le consentement
Le cadre légal
Un cadre juridique traite du consentement :
-
la loi du 2 janvier 2002 (rénovation de l’action sociale et médico-sociale)
la loi du 4 mars 2002 (droit des malades)
la loi du 22 avril 2005 (fin de vie)
la loi du 5 mars 2007 (protection juridique des majeurs)
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10
- des chartes visent à garantir son exercice :
Charte des droits et des libertés de la personne accueillie
(arrêté du 8 septembre 200312, en application de la loi du 2 janvier 2002)
« Le consentement éclairé de la personne doit être recherché en l’informant, par tous les moyens
adaptés à sa situation, des conditions et conséquences de la prise en charge et de
l’accompagnement et en veillant à sa compréhension (…).
Ce choix ou ce consentement est également effectué par le représentant légal lorsque l’état de santé
de la personne ne lui permet pas de l’exercer directement. Pour ce qui concerne les prestations de
soins délivrées par les établissements ou services médico-sociaux, la personne bénéficie des
conditions d’expression et de représentation qui figurent au code de la santé publique.
La personne peut être accompagnée de la personne de son choix lors des démarches nécessitées
par la prise en charge ou l’accompagnement. »
Charte des droits et des libertés de la personne âgée en situation de handicap ou de
dépendance
(Fédération Nationale de Gérontologie, 200713)
« Art. 1. – Choix de vie : Toute personne âge devenue handicapée ou dépendante est libre d’exercer
ses choix dans la vie quotidienne et de déterminer son mode de vie.
La famille est les intervenants doivent respecter le plus possible le désir profond et les choix de la
personne, tout en tenant compte de ses capacités qui sont à réévaluer régulièrement (…).
Art. 2. – Cadre de vie : Toute personne âgée en situation de handicap ou de dépendance doit
pouvoir choisir un lieu de vie –domicile personnel ou collectif- adapté à ses attentes et à ses
besoins (…). Lors de l’entrée en institution, les conditions de résidence doivent être garanties par
un contrat explicite ; la personne concernée a recours au conseil de son choix et au moment de
l’admission. »
Définition
Consentir suppose une double compétence :
- l’aptitude à comprendre (discernement)
- la capacité à se déterminer et à faire des choix (autonomie de la volonté)
Une personne vulnérable peut conserver des capacités de compréhension suffisantes qui lui
permettent d’exprimer personnellement des choix.
12
13
http://www.social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/EXE_A4_ACCUEIL.pdf
http://www.fng.fr/html/droit_liberte/charte_integral.htm
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11
Le consentement revêt deux dimensions :
- consentir à quelque chose : accepter, adhérer ;
- consentir quelque chose : permettre l’exécution d’une décision, supporter (TacnetAuzzino,14)
Il y a une oscillation entre choix et contrainte. Le consentement renvoie pour les professionnels
de santé à « une obligation d’informer(…) [qui] se transforme parfois en obligation de
convaincre de la nécessité de l’acte [médical] », lorsque celui-ci paraît indispensable »
(Devers15, en référence au Code de la Santé Publique, art. L1111-4).
Le consentement est l’acte « par lequel quelqu’un donne à une décision dont un autre a eu
l’initiative, l’adhésion personnelle nécessaire pour donner l’exécution (Fraisse16). Il renvoie à
« une condition légale à l’accomplissement de certaines actions » et confère un « aspect
contractuel » : la personne devient utilisatrice d’un lieu collectif (engagement financier, respect
d’obligations liées à la vie en collectivité) (Tacnet-Auzzino, cf. note de bas de page n°11).
Les Freins au Consentement : on peut en décrire trois :
1.
L’entrée dans l’urgence : l’entrée est peu préparée, souvent précipitée, décidée rapidement
(Riot17) : ainsi la gestion de l’offre de places repose sur :
des critères explicites : fait suite à un décès de l’un des résidents et dépend souvent du temps
d’attente après un premier contact ;
des critères implicites : dépend du degré de dépendance (impératif gestionnaire), veiller à
maintenir une dépendance moyenne dans l’établissement (ne pas dépasser le GMP autorisé
dans la crainte de ne pas obtenir de crédits supplémentaires ; ne pas être trop « en dessous »
pour ne pas perdre de dotations horaires) ; intégration des hommes (denrée rare pour
contrebalancer la dominante féminine et favoriser la vie sociale) ;
une certaine marge de manœuvre des responsables d’établissements pour parer à ces
contraintes institutionnelles et écouter, malgré tout, les intérêts de la famille et des personnes
âgées.
Dans tous les cas, personnes âgées et familles paraissent peu préparées à la proposition inopinée
des responsables d’établissements. Des orientations dans l’urgence, soumises à des impératifs de
fonctionnement interne qui constituent « une routine illégale, inhumaine, coûteuse, sans sens. La
personne est dirigée dans une institution non en raison de ses besoins mais de ceux du service
hospitalier ou de soins à domicile » (Tacnet-Auzzino, cf. note de bas de page n°11).
14
TACNET AUZZINO D. La place du consentement de la personne âgée lors de l’entrée en EHPAD. Gérontologie et
société, 2009/4 n° 131, p. 99-99. http://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2009-4-page-99.htm
15
DEVERS A. L’usager du système de santé. Gérontologie et société, 2005/4 n° 115, p. 39-48.
http://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2005-4-p-39.htm
16
FRAISSE G. Du consentement. Paris, Seuil, 2007.
17
JAUJOU N, MINNAËRT E, RIOT L. L’EHPAD : Pour finir de vieillir Ethnologie comparée de la vie quotidienne en
institution gériatrique. Centre d’analyse stratégique (Premier ministre), Paris, mars 2006. Chap 1 : Entrer en maison de
retraite, p. 27-83. http://www.silverlife-institute.com/upload/logement/rapportethnomsh_1152187094.pdf
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12
2.
Le manque d’information pour un consentement « éclairé » :
par les partenaires : l’information n’est le plus souvent pas faite ou faite seulement
partiellement par les services des établissements hospitaliers » (Tacnet-Auzzino, ibidem).
par la famille : « surtout je voudrais dire aux familles : informez et discutez avec vos
parents. C’est leur vie que vous manipulez. Nous ne sommes pas des jouets. A notre âge
nous prenons tout à cœur, un rien nous fait mal. Alors, s’il vous plaît, ne nous considérez
pas comme des pantins dénués de sentiments dès que nous commençons à être encombrants.
Parlez-nous, laissez-nous être encore acteur de notre vie » (Dorange18).
par l’EHPAD : la délivrance de l’information se heurte à l’urgence de la situation et du
choix. Les rencontres de pré-admission ne sont pas généralisées et souvent peu formalisées
(Tacnet-Auzzino, cf. note de bas de page n°11).
3.
Les représentations des professionnels : selon les résultats de l’enquête effectuée par le
CCAS de Rouen en 2007 (in Tacnet-Auzzino, ibidem) :
79% des professionnels estiment que des circonstances rendaient possible ou
exceptionnellement possible un placement sans consentement.
77% pensent que l’initialisation du projet d’admission doit être faite par le médecin.
4.
L’âge, la dépendance, la perte d’autonomie : représentent-ils une limite à l’adhésion?
« Comment une personne peut-elle manifester un quelconque consentement alors que sa
maladie est tellement évoluée qu’elle ne reconnaît plus ses enfants? Qu’il lui est impossible de
vivre seule à domicile et que sa famille n’arrive plus à faire face à la situation? » (TacnetAuzzino, ibidem)
Au regard de ces freins : le consentement « éclairé » n’est-il pas une parodie pseudo-légale, qui
ne protège plus la personne ?
« L’évènement de s’installer en maison de retraite, d’y vivre jusqu’à la in de sa vie de façon
irréversible, définitive est rarement le fait de la réalisation d’un projet, ou l’avènement du processus
de la décision, mais la plupart du temps l’œuvre de la nécessité, la force de l’obligation. L’entrée en
maison de retraite advient comme un non-choix. Elle est bien souvent prescrite, commandée par la
décision de l’autre, qui peut-être le médecin, la famille. L’installation est alors brutale et soudaine. »
(Déliot et Casagrande19)
« Est-ce que vivre en maison de retraite peut résulter d’un choix et d’une décision personnels?
N’est-ce pas plutôt la conjonction de plusieurs paramètres : circonstances, évènements (chute), état
de santé, absence de solutions alternatives qui conduisent la personne à envisager puis à décider
d’entrer en institution » (ibidem)
18
DORANGE M. Entrée en institution et paroles de vieux. Gérontologie et société, 2005/1 n° 112, p. 123-139.
http://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2005-1-page-123.htm
19
DELIOT C et CASAGRANDE A. Vieillir en institution. Paris, John Libbey Eurotext, 2006
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13
Il s’agit d’une orientation « par défaut » plutôt que « choix véritable » (Dorange, cf.
note de bas de page n°15)
Un consensus qui tient en grande partie au sentiment indicible qu’éprouvent les personnes âgées à
devenir un «poids». C’est aussi la réponse à « l’épuisement de tous les recours possibles » (une
cohabitation au domicile des proches problématique sur le long terme, un recours au service à
domicile qui dépossède de sa vie privée, une aides des proches à domicile qui épuise…)
Pour la personne âgée : alternative entre maintien à domicile et entrée en institution
Avant l’entrée dans l’établissement actuel, près de huit résidents sur dix vivaient à leur
domicile personnel. Quelques uns habitaient chez leurs enfants, chez des amis ou dans une
famille d’accueil (8%) et les autres (13%) étaient dans une institution, établissement de
soins, autre établissement pour personnes âgées ou communauté religieuse (enquête ORSDRASS Aquitaine, 200620)
Les « risques » du domicile démesurés ? (sécurité-sécurisation) : leur évaluation relève de la
« controverse » (différentes lectures selon les acteurs) : chute/droit au risque, isolement, troubles du
comportement/normativité…
Près d’un quart des résidents ont décidés d’entrer l’établissement pour personnes âgées alors qu’il
leur était possible de vivre chez eux plus longtemps.
Données statistiques ORS-DRASS Aquitaine, 2006 (cf. note de bas de page n°17)
20
http://www.ors-aquitaine.org/index.php/publications-orsa/item/l-opinion-des-residants-d-etablissements-pourpersonnes-agees-sur-leurs-conditions-de-vie
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14
Certains ont fait cette démarche par anticipation afin d’éviter de rencontrer une situation à
domicile qui se serait dégradée. D’autres, inscrits à l’avance dans un établissement, ont choisi d’y
entrer lorsqu’une place leur a été proposée. Les autres sont entrés dans l’établissement « par
nécessité » pour des raisons de santé à la suite d’une hospitalisation (40%) ou parce que la prise
en charge à domicile ne convenait plus (36%). La disparition du conjoint et donc le fait d’être
seul à domicile a empêché certains d’entre eux d’y rester. Enfin, quelques personnes (moins de 2%)
ont dit entrer dans l’institution suite à des problèmes de logement ou de rapprochement familial.
Choix de l’établissement
D’après les données statistiques établies par l’Observatoire régional de la santé et la DRASS
Aquitaine en 2006 (ibidem):
Pour 31% des résidents, l’établissement d’accueil n’a pas été choisi.
Les autres résidents ont donné une raison au choix de cet établissement là.
Près d’un quart l’ont choisi car il se situait près du domicile des enfants et 5% près de celui
du conjoint.
Pour un autre quart des résidents, l’établissement a été par des personnes de la famille
(10%), notamment le médecin.
Enfin, 11% des résidents l’ont choisi pour son environnement, proximité du centre ville
(10%) ou à la campagne (1%)
« Ce choix va se faire essentiellement à partir du coût de la prestation et des moyens financiers » de
la personne (Ennuyer21) et à partir de la proximité du domicile des enfants (même si la personne
souhaiterait rester plutôt dans sa ville de résidence) (De Conto22).
Modalités de recueil du consentement
Traduction du consentement en une volonté :
- « expresse » (écrit, déclaration orale)
- ou « tacite » (absence de manifestation écrite).
Le consentement « se dit, s’interprète, s’écrit ou se fait comprendre » (Tacnet-Auzzino, cf. note de
bas de page n°11).
21
ENNUYER B. Le droit des usagers. Gérontologie et société, 2005/4 n° 115, p. 13-28. http://www.cairn.info/revuegerontologie-et-societe-2005-4-page-13.htm
22
DE CONTO C. Tu verras, tu seras bien. Placement et ambivalence dans le milieu familial. Gérontologie et société,
2005/1 n° 112, p. 115-122. http://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe-2005-1-page-115.htm
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15
Ainsi, selon une enquête menée par la Fondation Médéric Alzheimer en 2009 23 , le recueil du
consentement des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer se fait :
- oralement dans 79% des EHPAD
- par observation de l’expression non verbale (65%)
- par la signature formelle du contrat de séjour (20%)
- par d’autres modalités de recueil (13%) : avis d’un tiers (personne de confiance, autres
professionnels) ; absence d’opposition manifeste.
Coordination des professionnels
Parce que la phase d’admission est un moment crucial dans la vie de la personne âgée et de son
entourage, elle nécessite la coordination des professionnels. Les professionnels de santé, du
domicile et de l’aide sociale représentent « un acteur social majeur dans le processus
d’institutionnalisation » : ils interviennent dans 21 % des cas (Somme24).
23
http://www.fondation-mederic-alzheimer.org/Nos-Travaux/La-Lettre-de-l-Observatoire/Archives
24
SOMME D. Participation et choix dans le processus d’entrée en institution. Solidarité et santé, n° 1, 2003
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16
En conclusion, l’établissement doit s’ouvrir :
En termes de stratégie d’ouverture :
Il faut veiller à construire l’ancrage territorial de l’établissement (être attentif aux divers
projets sur le territoire, sensibiliser l’environnement au projet d’établissement, à étudier
l’intérêt d’opérer des rapprochements entres établissements), à analyser et mettre en œuvre
les prestations et activités au regard de l’ouverture (opportunité d’ouverture et actions à
développer sur le territoire), et à être attentif aux acteurs du territoire (apprendre à
travailler avec les autres acteurs du territoire, associer opportunités et démarche volontariste,
construire une réciprocité entre partenaires)…
En termes de levier de l’ouverture :
En interagissant avec le territoire qui doit être un lieu ressource pour l’environnement.
Bibliographie
-
DELIOT C et CASAGRANDE A. Vieillir en institution. Paris, John Libbey Eurotext, 2006
FRAISSE G. Du consentement. Paris, Seuil, 2007.
JAUJOU N, MINNAËRT E, RIOT L. L’EHPAD : Pour finir de vieillir Ethnologie
comparée de la vie quotidienne en institution gériatrique. Centre d’analyse stratégique
(Premier ministre), Paris, mars 2006. Chap 1 : Entrer en maison de retraite, p. 27-83.
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17
Le point de vue d’une association de patients
Joël JAOUEN
Président de France Alzheimer 29 et Vice-président du CISS Bretagne
L’association France Alzheimer 29 représente de nombreuses familles concernées par la
dépendance et dont une grande majorité doit envisager l’entrée en établissement du fait de la limite
du domicile.
Toutefois, en qualité de représentant des usagers dans quelques structures, pour certaines personnes,
cette entrée en institution peut également être « choisie ». Il arrive alors souvent que l’on retrouve
ces personnes dans les différentes activités proposées par l’établissement, que ce soit au niveau des
animations ou au niveau des responsabilités (Conseil de vie Sociale ou Conseil d’Administration).
Pouvoir établir un projet personnalisé avec ces personnes apporte une aide certaine aux
responsables de l’établissement du projet de vie de l’établissement. La question que l’on est amené
à se poser est la suivante : ces personnes constituent elles la majorité des entrants en établissement ?
La réponse est bien entendu : non.
L’entrée en établissement est-elle alors un projet consenti ? Les nombreux contacts que nous avons
avec les familles concernées et avec les directeurs d’établissements nous permettent d’affirmer que
l’entrée en institution est davantage la conséquence de l’évolution d’une situation, de l’aggravation
d’une maladie.
Tout au long de cette journée, l’importance d’avoir l’assentiment de la personne entrant en
établissement a été soulignée. Cela est vrai dans le cas où la personne concernée peut encore
communiquer et donner son avis mais dans de nombreux exemples, la personne n’a plus cette
capacité, son aidant familial devant prendre la décision à sa place.
Le message, important à faire passer, est de ne pas « ignorer » l’aidant familial.
Dans le choix de vie au domicile, l’aidant familial a un rôle prépondérant et incontournable. En
effet, c’est à lui d’organiser le quotidien et devra adapter la vie au domicile en fonction de
l’évolution de la maladie avec le souhait de pouvoir garder la personne dans son lieu de vie le plus
longtemps possible comme nous le souhaitons tous.
Malheureusement, et surtout pour les malades ayant une pathologie neuro-dégénérative, ceci n’est
pas toujours possible et beaucoup de ces malades sont sur une liste d’attente pour une entrée en
établissement.
Cette démarche de faire un dossier d’admission dans un établissement se fait aussi trop souvent
dans l’urgence car l’obsession de vivre au domicile jusqu’au bout peut enlever de la lucidité par
rapport à la maladie qui évolue inéluctablement et rend l’accompagnement au domicile trop difficile
pour l’aidant.
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18
Préparer l’entrée en institution est une démarche qui se prépare.
Au domicile, le couple aidant – aidé devient souvent indissociable, l’aidant étant devenu le
« pilier » de la personne malade pour tous les actes de la vie quotidienne. Quand il faut préparer
l’étape de l’entrée en institution, il est très important d’associer là aussi l’aidant à la démarche afin
que ce passage se fasse le moins douloureusement possible….
L’association France Alzheimer a créé le concept de « Le Café Parenthèse » destiné à ces aidants
familiaux qui vont franchir ou viennent de franchir cette étape de l’entrée en institution dans le
parcours de la maladie. Cette idée a été suggérée par un médecin coordonnateur d’EHPAD qui a
constaté beaucoup de détresse chez les aidants contraints à cette décision.
Notre Café Parenthèse a été organisé, à l’image de nos cafés Mémoire, afin de permettre aux aidants
familiaux concernées par l’entrée en établissement de leur proche, de se retrouver dans un café afin
d’échanger ensemble, de pouvoir exprimer leurs difficultés pour mieux vivre la situation.
En effet, les familles peuvent ressentir un sentiment d’échec de n’avoir pas pu garder le malade à
son domicile, de la culpabilité aussi. Elles peuvent souffrir de la difficulté d’intégration du malade
dans son nouveau lieu de vie. Tout cela peut générer parfois un conflit avec les professionnels de
l’établissement. La libération de la parole aide souvent à mieux gérer des situations difficiles.
Pourtant, l’association France Alzheimer le sait bien, de nombreuses améliorations sont apportées
dans l’accompagnement des malades en établissement.
Les PASA (Pôles d’Activités de Soins Adaptés) sont une bonne illustration de ces améliorations.
Pour illustrer ce propos, l’histoire d’une personne atteinte par la maladie d’Alzheimer très enfermée
dans sa maladie, ne sortant plus de sa chambre et ne communiquant plus est très instructive. Lors de
la mise en place de la PASA dans l’établissement, la psychologue a souhaité qu’elle participe aux
activités d’art thérapie de la PASA. La malade, qui avait un passé d’écrivain et d’auteur de pièces
de théâtre bien connue du milieu bretonnant, s’est servie du pinceau pour commencer à écrire. Au
fil du temps, grâce à un accompagnement personnalisé, c’est elle qui a donné la marche à suivre
pour son projet de vie et un recueil de ses écrits a pu être édité……Elle pose souvent la question :
« Quand commence-t-on le deuxième ? ». Comme elle l’a elle-même exprimé par écrit, on peut
presque parler de résurrection la concernant.
Cette histoire illustre aussi le fait que le regard de l’autre sur la personne malade est déterminant
dans la manière dont la maladie sera vécue. Même dans la grande dépendance, la personne a encore
des messages à faire passer, c’est à ses accompagnants proches et professionnels de prendre le
temps de les décrypter.
En conclusion, on ne peut répondre oui ou non de façon catégorique à la question : la vie en
EHPAD doit-elle être un projet consenti ? puisque chaque situation est une situation unique.
L’important est de tenter de répondre au mieux à la question « quel est aujourd’hui le meilleur
projet de vie pour cette personne compte tenu de ses attentes et de ses difficultés ? » en choisissant
la solution la plus humainement adaptée et en associant au projet de vie la famille, les proches et les
professionnels pour le mieux être de la personne. Rappelons qu’il est important de « tenir compte
du passé pour construire l’avenir ».
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19
Le point de vue du philosophe
Le chemin de vie
Jacqueline LAGREE
Professeur émérite de philosophie, Université de Rennes, membre du comité d’éthique du CHU de
Rennes
Quod vitae sectabor iter ? Quel chemin de vie suivrai-je25 ?
En rappelant ce vers d’un poète latin, lu et interprété en songe26, le jeune Descartes qui s’interroge
sur ce qu’il fera de sa vie, présente ce qui fut le principe de sa vie de philosophe (après avoir fait des
études de droit et avoir été militaire), à savoir l’union de la science et de la sagesse. Mais la
recherche d’un « chemin de vie », expression que je préfère à celle, plus administrative, de projet de
vie, est en un sens toujours à refaire et pas seulement à l’aube de sa vie d’adulte. Chez Descartes, ce
chemin de vie est aussi un chemin vers la vérité, puisque le projet énoncé dans le Discours de la
méthode est bien d’ « employer toute ma vie à cultiver la raison et à m’avancer autant que je le
pourrais en la connaissance de la vérité27 ». L’égarement, l’impossibilité de trouver sa route, de se
repérer, sont bien aussi des métaphores de la folie, y compris sénile ; réciproquement, la méthode
qui reprend le mot grec, odos, le chemin, désigne un chemin normé, encadré, borné. Peut-on
construire méthodiquement un chemin de vie et s’y tenir la vie durant ? Mais les hasards de la vie se
chargent souvent de le bousculer et Descartes lui-même est mort d’une grippe, attrapée à la cour de
la reine Christine en Suède, où il était parti de mauvaise grâce, tant le mode de vie de la cour
convenait mal à sa nature et à son tempérament. Un projet de vie ne saurait donc se construire et
s’effectuer sur le modèle d’un montage de mécano lego où l’ordre d’agencement des pièces est fixé
par la notice. Il est bien rare qu’un plan de vie se déroule sur le modèle imaginé et prévu. Que
chacun songe à sa vie professionnelle, à sa vie amoureuse, à ses amitiés ou à sa famille, combien
ont tenu, dans la durée, les promesses qu’il s’était faites dans leur jeunesse ? Et combien peu, nous
semble-t-il souvent, avons nous été maîtres de notre destin.
Reprenons la question par l’autre bout, non du début vers la fin, dans l’ordre du temps, mais à
rebours, de la fin au début, selon l’ordre de la fiction. Je l’illustrerai par une fable philosophique :
A la fin de La République28, Platon évoque, par le biais d’un mythe, l’entrelacs de nécessité et de
liberté qui fait la condition de chacun de nous. Les âmes, en chemin vers une nouvelle vie terrestre,
après un séjour dans le mode souterrain des Enfers, choisissent, parmi un très grand nombre de
25
Ausone, Idylles 15,1.
Olympiques AT X181.
27
Discours de la méthode, AT 27.
28
Platon, République, X, 617d-621d.
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20
possibles, la vie qui sera désormais la leur. Une fois ce choix validé et scellé à jamais par Lachésis,
Clotho et Atropos, les trois Moires qui symbolisent respectivement le passé, le présent et le futur,
l’âme traverse la plaine de Léthé, dont le nom signifie l’oubli, et elle boit l’eau du fleuve Amélès,
ce qui veut dire négligence. Elle oublie alors le destin qu’elle s’est choisi et dont elle est seule
responsable, et s’apprête à vivre une vie dont les événements lui apparaîtront accidentels, alors
même que leur enchaînement est réglé par une logique interne, celle d’un choix singulier
commandé par un passé oublié et méconnu : le bouillant Ajax choisit en effet la vie d’un lion, le fier
Agamnemnon, celle d’un aigle, tandis que le sage Ulysse, “soulagé de l’ambition par le souvenir de
ses épreuves passées”, recherche une vie négligée de tous, celle d’un homme ordinaire mais juste,
un simple laboureur, et y trouve son plein contentement.
Que signifie le terme de « projet », en lui-même et précisé par le déterminant « de vie » ? Le projet,
du latin pro-jectum, ce qui est lancé en avant, signifie « ce qu’on a l’intention de faire dans un
avenir plus ou moins déterminé et éloigné29 ». Il désigne une anticipation d’action qui implique une
orientation, des moyens disponibles et mis en œuvre, une organisation de l’action et parfois une
évaluation postérieure. Mais qui dit projet ne dit pas pour autant réalisation effective. Comme le
disait Molière : On n’exécute pas tout ce qui se propose / et le chemin est long du projet à la
chose30. Mais qui dit projet dit parfois ébauche et il faut donc qu’au projet, à l’intention, s’ajoutent
des moyens d’effectuation.
J’ai accepté la proposition (pro-position) de venir vous parler ; j’ai anticipé ma venue en prenant des
billets de train ; j’ai réfléchi à ce que je dirais ; je l’ai écrit et enfin j’ai réalisé ce projet en venant à
Brest et en vous parlant ; en revenant ce soir dans le train, j’évaluerai ce projet en me demandant si
ce que j’ai fait a comblé mes attentes (et les vôtres), si cela vaut la peine de continuer ou de
recommencer, etc. Ce projet est minime et pour ainsi dire insignifiant mais, resitué dans un
ensemble (je suis en retraite, je ne fais plus de cours mais je fais encore des conférences ou des
interventions publiques), il prend un sens. Tout projet s’insère donc dans un ensemble
d’anticipations et de mises en œuvre ; tout projet a une dimension holiste, globale, a fortiori si le
projet est un projet de vie.
Dans la notion de projet de vie, il y a au moins trois idées constituantes qu’il importe de préciser et
d’élucider : l’orientation vers l’avenir, la fidélité à soi-même, la relation à autrui. Examinons-les
rapidement puis essayons de préciser ce qui détermine et restreint ce projet dans le cas du projet de
vie d’une personne âgée et, en focalisant davantage, d’une personne âgée vivant en EPHAD.
L’orientation vers l’avenir
Vivre, dès lors qu’on pense, c’est aspirer à mieux vivre, à vivre plus intensément, plus pleinement,
beaucoup plus que chercher à vivre plus longtemps. L’enfant se dit : quand je serai grand, je ferai
ceci ou cela ; le jeune : quand je serai autonome financièrement, je déciderai seul de mes choix ;
l’adulte : quand j’aurai des enfants, ou quand ils seront partis de la maison, quand je serai en retraite
et la proposition principale qui suit commence toujours par « je ferai ». Vivre, c’est vivre dans le
temps et vivre le présent sous trois orientations, comme l’a bien montré Augustin : la présence au
29
30
Dictionnaire Littré.
Molière, Tartuffe, III 1.
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présent qui est l’attention, la présence au passé qui est la remémoration et la présence au futur qui
est l’attente ou l’anticipation. Or les deux relations au passé et au futur ne sont pas équivalentes,
quoiqu’elles soient symétriques : la relation au futur signifie le primat de la liberté tandis que la
relation au passé renvoie à la nécessité. « Même les dieux ne peuvent pas faire que la guerre de
Troie [qui est passée] n’ait pas eu lieu » disait Aristote. On peut certes changer la signification du
passé, amoindrir le malheur ou au contraire l’aggraver, comme dans le cas d’un deuil, embellir les
souvenirs d’enfance ou de jeunesse, reste que le passé nous détermine. Il nous a faits ce que nous
sommes, avec notre contribution certes, mais on ne pourra jamais remonter le temps pour en
changer les bifurcations. On a un jour choisi tel métier, tel conjoint, ou on a accepté qu’on le
choisisse pour nous, et cela nous a faits en partie ce que nous sommes devenus. Le cardiaque
n’aurait pas eu besoin d’un pontage ou d’une opération au poumon s’il avait moins fumé ; avec le
cœur et le poumon qui sont les siens aujourd’hui, avec l’âge aussi, il y a des choses qu’il ne peut
plus faire. La question est de savoir s’il y a des choses qu’il n’a pas faites et qu’il peut découvrir
désormais.
En revanche, l’orientation vers le futur est signe de liberté : je ne peux sans doute plus exercer un
autre métier mais je peux faire ceci ou cela, une conférence à Brest ou une marche dans la forêt de
Rennes. Même lorsque le champ des possibles se rétrécit avec l’âge ou la maladie, le futur n’est
jamais entièrement prédéterminé. Dans le cas d’une maladie chronique, il semble bien que les
possibles rétrécissent terriblement mais la manière de vivre, le style de vie peut être bien différent :
tonique ou alangui, créatif ou récriminant, chaleureux ou égoïste. Par exemple, si je suis obligé de
suivre un régime alimentaire, il n’est pas nécessaire qu’il soit fade. On peut aussi apprendre à
cuisiner, mettre sa créativité, son inventivité, son imagination accompagnée de raison dans
l’élaboration d’une cuisine qui nous convienne et qui peut-être fera aussi envie à d’autres, donc
qu’on pourra partager. Si je suis condamné à l’immobilité, il n’est pas obligé que je végète. Je ne
voyagerai pas, sinon en imagination, mais je peux faire de ma chambre un lieu de rencontres
comme le poète Joe Bousquet, paralysé à 21 ans par un obus, qui passa toute sa vie dans sa chambre
à écrire des poèmes, fonda une revue et fut en lien avec tous les grands poètes de la première moitié
du XXe siècle. Fut-il devenu ce poète là s’il avait été valide ?
Pour qu’un projet de vie ait un sens quelconque, il ne faut donc pas qu’il soit la perpétuation pure et
simple d’un mode de vie habituel passé ais qu’il s’ouvre sur l’avenir c'est-à-dire sur la nouveauté et
la créativité qui est indissociable de la liberté.
La fidélité
On ne se projette pas sur l’avenir à partir de rien mais toujours à partir d’un héritage et d’une
histoire. On ne peut pas se projeter si l’on est amnésique et l’on ne peut tendre vers quelque chose
qu’à partir d’une assise, d’un appui solide. Le mot latin fides d’où provient notre fidélité, signifie la
foi comme confiance en quelque chose ou en quelqu’un et, par là, le crédit, la loyauté, la droiture
mais aussi la parole donnée, la promesse et réciproquement la protection, le patronage, l’assistance.
On voit ainsi son sens osciller entre deux bornes : la confiance en autrui et l’assurance sur l’avenir.
Mais à quoi ou à qui est-on fidèle? Peut-on de la même façon être fidèle à une idée ou à une
croyance — dont la vérité est nécessairement douteuse car, sinon, on n’y croirait pas mais on la
saurait — ou à une personne susceptible d’évoluer dans ses relations avec nous? La question de la
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fidélité pose celle de notre identité dans le devenir, au sein d’une conception héraclitéenne du temps
où rien, ni le sujet qui se baigne, ni le fleuve dans lequel il se baigne, ne demeure fixe ni identique à
lui-même.
La question de la fidélité, et avec elle de l’oubli, est celle de l’inscription du Moi dans la durée,
mais dans une durée qui signifie changement, évolution, hasard de la rencontre. On doit ici
s’interroger sur la fidélité à soi-même, c’est-à-dire au projet sur soi construit dans l’enfance ou dans
l’adolescence : j’aurai tel métier, tant d’enfants, j’habiterai dans telle région, etc. S’agit-il seulement
d’être resté le même, identique à soi-même, idem, à tout jamais figé dans une posture, ou d’être un
ipse — « soi-même comme un autre », comme disait Ricœur — de pouvoir s’assumer dans une
continuité qui sait découvrir la ligne droite, le cantus firmus, qui s’affirme au sein des variations
mélodiques? Paradoxalement, on n’est vraiment fidèle à ce projet d’enfance ou d’adolescence qu’à
condition de l’avoir réalisé tout à fait autrement que ce qu’on avait initialement imaginé et de
pouvoir en revendiquer la responsabilité et l’authenticité en première personne : ego ipse, oui, c’est
bien moi qui me reconnais en ces différentes figures de mon identité. Sinon on risque fort de s’être
conformé à un modèle tout fait. On ne peut pas être fidèle à soi-même là où il n’y a pas de soi.
La fidélité, “vertu du temps continu”31, n’est pas la raide et parfois sotte constance. La fidélité vraie
n’est pas rigide mais souple, inventive comme la vie; elle n’est pas attachement scrupuleux ou
superstitieux à la lettre mais respect de l’intention et de l’esprit. C’est pourquoi la fidélité doit
savoir être oublieuse pour être attentive au présent, ouverte à l’avenir en sa dimension de liberté et
de création et, à partir de là, réinventer et redécouvrir le passé, non comme passé pétrifié mais
comme gerbe de possibles dont certains ne se sont réalisés que fort tard.
Se projeter vers le futur certes mais à partir d’une fidélité inventive à soi-même. Le projet suppose à
la fois invention, donc ruptures, et continuités. Pas de projet réaliste et fécond sans une attention
aux circonstances, aux hasards de la vie qui imposent de modifier, de bifurquer, de faire un détour,
de s’adapter aux difficultés du chemin. On ne saurait prévoir tout ce qui peut arriver et
heureusement !
La relation à autrui
Il n’y a pas de projet de vie sans relation à autrui, adjuvant ou opposant, aide ou obstacle. Cet autrui
est multiple : famille, amis, relations, institutions. Je ne peux pas me projeter dans un travail ou
dans des études sans des accompagnements multiples. Un humain est substantiellement un être de
relation, parce qu’il naît prématuré, qu’il est incapable de subvenir seul à ses besoins dès la
naissance, parce que la faiblesse de la jeune accouchée et du nouveau-né ont imposé la division
d’abord sexuelle du travail, la technique, la culture et la civilisation. Nos héritages et nos
apprentissages ne sont pas innés ou si peu, mais acquis. Par là même nous avons toujours besoin des
autres et l’on peut à juste titre dire que l’homme n’est pas un être en soi et par soi mais un être par
et pour autrui et construit par la relation : à la fois un être-dans (un milieu vital, culturel et social),
un être-avec (ceux avec qui il vit, travaille, ceux qu’il aime), un être-pour (un objectif, une fin).
Quelles sont les relations qui me font vraiment vivre ou vivre plus intensément, plus pleinement ?
31
V. Jankelevitch, Traité des vertus, p. 214.
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Pas de projet sans confiance en soi et en autrui.
« Bien vivre » disait Freud, c’est « être capable d’aimer et de travailler ». Quelle place nos projets
de vie font-ils au travail (ou à l’activité) et à l’amour ou à l’affectivité ? Etre vivant, c’est être
capable de toujours s’étonner, d’être encore curieux et surtout d’être capable de nouer de nouvelles
amitiés. Quand on dit d’une personne âgée « qu’est-ce qu’elle est jeune ! », cela ne signifie pas
qu’elle paraît jeune, qu’elle n’a pas de rides, qu’elle ne fait pas son âge, qu’elle est toujours très
active, mais bien qu’elle est toujours curieuse, admirative, qu’elle a envie de découvrir d’apprendre,
de faire des choses.
On a souvent et à juste titre souligné l’importance de l’amour et de l’amitié mais il ne faudrait pas
oublier le travail en son essence, c'est-à-dire une activité créatrice. C’est particulièrement vrai quand
on avance en âge. Quand on voit des retraités déprimés il y a fort à penser que leur vie se réduisait à
ce qui était lié à leur travail, que, ne sachant plus quoi faire, ils ne sont plus, tout simplement. Mais
à défaut du travail salarié, il est toujours possible de faire quelque chose avec et pour autrui : les
ateliers cuisine, couture, jardinage. J’en prendrai pour exemple Juliette, 91 ans, envoyée en maison
de retraite contre son gré par ses enfants, moins de 8 jours après la mort de son mari, privée de ses
livres et redécouvrant la bibliothèque, multipliant les activités de couture et de broderie au bénéfice
de la maison de retraite et des œuvres sociales de sa nouvelle commune, retrouvant une supériorité
par sa maitrise du scrabble, n’ayant pas à proprement parler de « projet de vie » sans pour autant
attendre ou craindre la mort mais qui a de multiples projets minuscules qui, comme les petits points
et les fils de sa broderie, finissent par construire une belle nappe, une vie qui a un sens et qu’elle
peut raconter quand on lui dit : qu’est-ce que tu fais ?
Le cas du projet de vie de la personne âgée
Parler de projet de vie dans le cas d’une personne âgée peut paraître bien artificiel. C’est sans doute
un progrès dans la prise en compte de la personne dans son ensemble, dans son histoire, dans ses
relations affectives, mais il serait plus adéquat de penser cela comme la continuation d’un chemin
de vie, adapté aux obstacles et aux rétrécissements qui sont désormais les siens, ce qui suppose
qu’on connaisse d’abord son histoire, ce qu’elle a fait de sa vie, les relations qui furent et sont les
siennes (famille proche, vieux amis) . En relation avec ce que j’ai analysé plus haut, je soulignerai
trois points négatifs auxquels il importe d’être attentif, pour les corriger ou les atténuer.
•
Primat de l’orientation vers le passé aux dépens du futur ; primat de la mémoire sur
l’attente ; horizon de la mort, la sienne et celle de ceux avec qui on a vécu, qu’on a
aimés. A l’inverse il faut favoriser un primat de l’avenir, même proche et créer des
attentes.
•
Fidélité souvent réduite à la répétition ; déclin de la créativité. Il faut pouvoir explorer
les potentialités latentes ou occultées, faciliter leur expression.
•
Relation appauvrie à autrui, incapacité à nouer de nouvelles relations affectives. D’où la
difficile question de la vie sexuelle des vieillards. Mais il faut sans doute faciliter cette
vie relationnelle en l’encourageant verbalement, en créant des activités qui impliquent la
collaboration ou la solidarité.
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La particularité de l’EPHAD est d’être un milieu contraignant en même temps qu’aidant. D’où le
danger d’imposer au résident le projet de l’institution. Plus que d’un projet de vie, je préférerais
parler d’un chemin de vie en replaçant le mode de vie actuelle du résident dans la continuité avec sa
vie passée.
On a pu remarquer que les soins palliatifs se sont développés en cancérologie, notamment
pédiatrique, quand les progrès de la médecine ont permis de guérir davantage de cancers et que, au
lieu d’être obnubilé par la mort inéluctable et prochaine, on a fait davantage attention à la douleur et
à la souffrance ; donc qu’on a conjoint le soin comme cure, traitement, qui vise la guérison au soin
comme care qui vise l’accompagnement jusqu’au bout, avec le moins de souffrance possible. Le
raisonnement peut se transposer à la prise en charge institutionnelle et médicale des personnes
âgées : après l’hospice qui était moins un lieu d’hospitalité que de gardiennage, la maison de retraite
qui évoque autant le retrait, la mise à l’écart, que le temps d’après le travail, le temps semble venu
d’une institution véritablement hospitalière, qui ait le souci de personnes singulières considérées
dans leur singularité, leur totalité, leur histoire personnelle, leur style de vie, leurs attentes, leurs
désirs et leurs potentialités, et pas seulement le souci de leur nourriture, de leur sommeil et de leur
bilan de santé. Au temps du soin doit donc se lier le temps de la sollicitude et, pourquoi pas, du
partage.
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LE PROJET D’ACCOMPAGNEMENT PERSONNALISE :
Un bilan de l’expérience au sein du Centre Hospitalier de la Presqu’île de Crozon. Le
point de vue d’une équipe pluridisciplinaire.
Caroline DY, cadre socio-éducatif, Chrystelle MONOYEZ, aide médico-psychologique, et
Caroline VAIREAUX, psychologue, membres du comité de réflexion éthique, EHPAD du
Centre Hospitalier de la Presqu’île de Crozon
Introduction :
« Le travail avec le public nouveau que constituent les personnes âgées et très âgées, les
écarts entre l’utilisation de concepts par les professionnels et leur perception par les personnes
âgées, génèrent des interrogations multiples.32 »
Le « projet de vie » constitue l’un de ces concepts utilisés en EHPAD. S’il fait à présent
partie à part entière du lexique utilisé par les professionnels des maisons de retraite. Comment est-il
perçu et compris par les personnes âgées et leurs familles ?
Le projet de vie constitue-t-il un protocole à suivre à la lettre ? Doit-il être considéré comme
un contrat ? Est-il important de le signer ? Comment le faire vivre ?
L’objectif de cet article est de rendre compte de la mise en place de projets au sein de notre
EHPAD en nous appuyant sur des éléments théoriques illustrés par des exemples de situations
rencontrées sur le terrain. Ce travail est issu d’une réflexion menée par le comité de réflexion
éthique de notre centre hospitalier
A) Projet de vie ou projet d’accompagnement ?
1) Définition
Le terme « projet » fait référence « à une image de situation ou d’un état que l’on pense
atteindre »33. Il peut également correspondre « à une première ébauche destinée à être modifiée »
ce qui laisse entendre la possibilité d’une marge de manœuvre.
Le mot « vie » quant à lui renvoie « au fait de vivre, à l’existence, en particulier humaine. »
mais également à un « dynamisme, un élan, une vitalité qui caractérise quelqu’un, une action, une
œuvre : animation dans un lieu ».
32
Vercautren R, Hervy B, Schaff JL. Le projet de vie personnalisé des personnes âgées. Enjeux et méthodes. Collection
Pratiques gérontologiques. Editions Erès, Toulouse, 2012.
33
Rey A. Le Robert Micro, Dictionnaire d’apprentissage de la langue Française. Dictionnaires Robert, Paris, 1998, p
1022.
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D’un établissement à l’autre, les termes utilisés diffèrent. Ainsi, on peut entendre parler de
Projet de vie individualisé (PVI), de projet de vie personnalisé (PVP) ou encore de projet
d’accompagnement personnalisé (PAP).
2) Un risque de confusion
Il existe un risque de confusion entre le projet de vie institutionnel et celui de la personne. En
effet, « on retrouve le terme de projet de vie au sens institutionnel dans les lois et règlements
relatifs aux personnes âgées, au sens de projet d’établissement, projet d’animation ou de projet
architectural. »
Le terme de « projet de vie individuel » désigne la démarche de co-construction du projet entre
la personne accueillie (et son représentant légal) et les équipes professionnelles. « …très souvent
l’expression « le projet de vie » dans les textes juridiques s’applique au sens de projet individuel.
De sorte que dans la loi du 2 janvier 2002, il n’existe que deux sortes de projet, le projet
d’établissement et le projet de service (…).» 34
Pour une question de terminologie, nous utilisons préférentiellement le terme « projet
d’accompagnement ».
Nous préférons parler de projet d’accompagnement car (nous le constatons) l’utilisation du
terme « projet de vie » remporte un succès mitigé auprès résidents. Il est facile d’imaginer les
réactions des personnes lorsque nous venons à leur rencontre en leur proposant de construire avec
eux leurs « projets de vie » à 80 ans passé !
3) Projet de vie : un terme défensif
Il peut y avoir quelque chose de défensif dans l’utilisation de ce terme : on emploie le terme
projet de vie pour ne pas parler de projet de mort. Le mot « vie » apparaît beaucoup en EHPAD
comme pour préciser : lieux de vie, projet de vie, histoire de vie, unités de vie…
Anne Diquelou fait le constat que « le terme « projet de vie » individuel est plus difficilement
utilisé dans le secteur des personnes âgées tant le mot « vie » semble paradoxal à la prise en
charge des personnes âgées. Certaines institutions utilisent d’autres sémantiques» 35 telles que
projet d’accompagnement.
Pour autant, sans occulter la mort, il semble essentiel de continuer à animer la vie au sein des
EHPAD. En effet, le terme « vie » fait également référence à un certain élan, au fait de pouvoir
encore profiter de moments, de découvrir et de connaître des expériences diverses.
« Et puis, il y a « eux », ceux qui font encore de ces vies « un projet ». Eux qui soulagent, soignent,
lavent, habillent, nourrissent, font rire et consolent nos chers naufragés (…) Point n’est besoin de
34
35
Diquelou A. Mémoire, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Rennes, 2009.
Id, p 1.
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leurs prénoms agrafés sur les blouses. On les reconnaît à leurs gestes, à leurs paroles. A l’attention
toujours en éveil, sensible aux infimes moments de la vie quotidienne où tout peut basculer. »36
Au-delà de la question de terminologie, l’utilisation du terme «vie » dans les EHPAD peut-elle être
également une façon de lutter contre des représentations négatives dans la société ? Le projet
pourrait alors être considéré comme un vecteur contribuant à changer l’image des maisons de
retraite.
4) Evolution du regard sur la personne et du lexique
Actuellement, nous parlons davantage de Projet individuel
d’accompagnement. Un terme qui est également amené à être modifié.37
d’animation
et
La mise en place des projets individuels nous a amené à réfléchir à l’accompagnement
proposé. Ils s’appuient sur notre philosophie d’accompagnement inspirée de l’approche « Carpe
Diem » (Québec). Elle mise sur les capacités et ressources des personnes et à la compréhension de
leurs besoins spécifiques. Il s’agit d’une approche centrée sur la personne s’inspirant notamment de
la psychologie humaniste, courant développé par Carl Rogers : « Chaque individu est unique. Il
détient au plus profond de lui sa propre vérité, sa vie et le tracé potentiel de son chemin qu’aucune
science du psychisme ne peut enfermer. Il peut accéder à ses ressources s’il se sent compris,
accepté, non jugé. ».
Etre acceptée telle qu’elle est et, ce de façon inconditionnelle, offre à la personne un climat de
sécurité affective et favorise son bien-être.
Les projets sont également l’opportunité d’aller à la rencontre de l’autre et de favoriser la
création d’une relation de confiance.
Avec le recul nous constatons qu’ils nous servent d’outils contribuant à faire vivre notre
philosophie d’accompagnement.
La mise en place des « projets d’accompagnement » basés sur notre philosophie
d’accompagnement, nous amène progressivement à faire évoluer notre regard et par là-même notre
lexique. Désormais, nous parlons davantage « d’accompagnement 38 » plutôt que de « prise en
charge ». Nous utilisons moins les termes « fugues », « errance », « démence », « déambulation ».
« C’est grâce au regard compréhensif porté sur elle et à la reconnaissance par autrui de ses
mérites et de ses compétences que la personne pourra se sentir moins incapable, être plus en
confiance avec les autre, donc moins agressive, moins exigeante ou moins dépressive et porter sur –
elle-même un regard plus positif 39».
36
Huguenin C. Alzheimer mon amour. Editions Héloïse d’Ormesson, Paris, 2011.
Cf. ci-dessous, plus bas chapitre D
38
Accompagner : Marcher à côté.
39
Le Cœur M. Le mouvement Alzheimer du Québec. Philosophie et vision commune. Plate-forme politique. Vie et
vieillissement 2003 ; vol 2 (n°3) : 5-12.
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37
Nous prêtons davantage attention au fait que Les mots peuvent devenir des « étiquettes »
qui influencent notre manière de percevoir la personne et par là-même notre comportement avec
elle. En effet « l’évolution de la personne dépend, en grande partie, de la façon dont on la regarde,
l’envisage ou la perçoit. »40
Les mots employés influencent notre regard sur la personne et notre accompagnement.
Ainsi, suivant le regard porté, une même situation pourra être perçue différemment. Prenons deux
exemples de situations rencontrées sur le terrain.
Mme B. est une femme âgée de 85 ans. Elle est atteinte d’une maladie d’Alzheimer. Elle est
venue vivre en EHPAD il y a 3 ans. Régulièrement, lorsque le soir arrive, elle demande à partir et
se met en quête de la sortie.
Si l’équipe considère qu’elle « fugue », elle aura envie de freiner voire d’empêcher ce
comportement et basculera dans « une relation de contrôle ». Elle envisagera peut-être d’avoir
recours à des moyens pour « la contenir » physiquement ou chimiquement. Si l’équipe, au
contraire, le comprend comme une envie, un besoin ou encore une habitude ancienne, l’équipe
l’accompagnera de sorte à satisfaire son besoin.
Monsieur D. est un homme âgé atteint de la maladie d’Alzheimer. Il vit en maison de retraite
depuis un an. Il déménage des meubles en fin d’après-midi avant le repas. Comme Pour Mme
B., si l’on considère qu’il s’agit là d’un trouble de comportement perturbateur ; on risque de se
diriger vers des solutions visant à contrôler voire à stopper ce comportement.
Il est également possible d’analyser ce qu’il se passe et d’essayer de comprendre le sens de ce
comportement.
En allant chercher du côté de son histoire, nous apprenons que Monsieur D. était cuisinier sur
les bateaux et qu’il avait pour habitude de nettoyer et de ranger sa cuisine.
Monsieur D. ne déménage donc pas les meubles : il poursuit une habitude qui fait partie de son
identité.
En lui laissant l’opportunité de ranger, l’équipe constate que tout se passe bien (en veillant
évidemment à sa sécurité et à celle des autres). Après il semble apaisé. Il s’assoit et mange
tranquillement.
Percevoir un comportement comme un besoin et non comme un trouble donne une orientation
différente à l’accompagnement.
40
Poirier N, Le Cœur M, Gagnon MC. Carpe Diem : Une maison, une approche, un combat contre la Maladie
d’Alzheimer. Le gérontophile 1999, vol. 21 (n°2) : 1-3.
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B) Le sens d’un projet d’accompagnement :
1) Un mode d’emploi ?
Suivre un projet d’accompagnement comme on respecte un protocole signifierait la négation de
l’autre dans ce qu’il a de singulier. Il nous semble essentiel de conserver une flexibilité, pour éviter
certains écueils comme :
Le risque d’un accompagnement rigide qui enfermerait la personne et le professionnel dans
un « programme d’activités » ne laissant plus de place à l’imprévu et à la spontanéité.
Le risque de passer à côté de la personne en suivant un projet comme un programme à suivre à la
lettre. Ce qui reviendrait à ne plus être attentif aux besoins et aux attentes qu’elle exprime à un
moment T.
Le risque de « protocoliser » la vie en EHPAD.
Nous considérons le projet comme une base qui nous inspire tout en restant réceptif et à l’écoute
de la personne.
2) Bousculer la pyramide de Maslow
Les projets d’accompagnement ont également mis en lumière des besoins et des attentes qui
auparavant l’étaient peut-être moins.
Ils nous ont permis de nous interroger sur une certaine forme de hiérarchisations des besoins
que l’on retrouve classiquement dans la littérature : la pyramide de Maslow.
Le psychologue Abraham Maslow41 a établi, dans les années 1940, une liste des besoins qui a été
figurée plus tard sous la forme d’une pyramide. L’individu doit satisfaire les besoins qui sont à la
base (besoins physiologiques et de sécurité) afin de pouvoir réaliser ceux qui sont au niveau
supérieur. Les plus hauts niveaux correspondant aux besoins d’estime et de pouvoir s’épanouir.
Dans leur ouvrage « Accompagner sans s’épuiser », Michelle Arcand et Lorraine Brissette
pose un regard critique sur cette « nomenclature » qui est souvent présentée comme base théorique
incontournable dans la compréhension des besoins. Si les auteurs reconnaissent que d’un point de
vue physiologique, « les besoins situés à la base de la pyramide de Maslow sont essentiels à la
survie physique de tout individu », elles recommandent une prise de distance critique par rapport à
ces ordres de besoin. Elles se demandent si le fait de considérer certains ordres de besoins comme
fondamentaux n’amèneraient pas « subtilement à croire que les autres besoins sont moins
importants »42.
41
42
Maslow, A. Motivation and personality. New York, NY: Harper, 1954.
Arcand M, Brissette L. Accompagner sans s’épuiser. Collection ASH/Professionnels. Editions ASH, RueilMalmaison, 2002, p.55
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Les auteurs soulignent que la « La non satisfaction des besoins psychologiques peut être tout aussi
douloureuse ou désastreuse pour la santé que la non-satisfaction des besoins physiologiques, qui
sont pourtant les seuls à être qualifiés de besoins fondamentaux. » 43
« En fait chaque individu construit sa propre hiérarchie des besoins, en fonction de sa propre
vision du monde et de sa façon unique d’affronter la vie. Il importe à chacun de nous de rester
vigilant au regard de cette réalité (…) pour aider les usagers que nous accompagnons à mieux
gérer les leurs (besoins). »
Concernant la lecture des besoins fondamentaux, Les auteurs insistent sur le fait qu’en changeant
d’optique, nous pouvons comprendre certains comportements autrement et ainsi éviter d’être dans
le jugement. En réfléchissant de plus près au contenu des différents projets d’accompagnement
élaborés, nous constatons qu’ils peuvent mettre en avant des besoins individuels tels que :
-
Le besoin d’estime de soi et de reconnaissance par autrui (donner à la personne le sentiment
d’être utile et compétente).44
-
Le besoin de sécurité pris en compte à plusieurs niveaux : le climat des lieux physiques et le
climat relationnel.45
-
Les besoins d’amour et d’appartenance.46
3) Savoir saisir le moment opportun
Eric Fiat, philosophe, recommande de pratiquer la bonne vertu au bon moment. En d’autres
termes : « Avant l’heure, ce n’est pas l’heure. Après l’heure, ce n’est plus l’heure. ». Dans ses
travaux, il reprend Montaigne qui disait que pour bien agir, il faut agir à propos. Il se réapproprie un
thème développé par Aristote : Le KAIROS c’est-à-dire le moment opportun, l’occasion propice.
« Les Grecs anciens avaient deux mots pour nommer le temps : chronos et kairos. Chronos, le plus
connu, exprime le temps chronologique ou séquentiel. Kairos, « l’occasion opportune », est un
temps suspendu, entre deux, un moment indéterminé où il se passe quelque chose de particulier. En
rhétorique, kairos est une fenêtre d’opportunité pendant laquelle il faut passer en force si l’on veut
réussir. »47
Le Kairos a quelque chose de furtif, de difficile à saisir. Dans la mythologie : il « est
souvent représenté comme un homme ayant une épaisse touffe de cheveux à l'avant d'une tête
chauve à l'arrière; il s'agissait de "saisir par les cheveux" lorsqu'il passait...toujours vite.
Dans le dictionnaire, il est défini « comme une allégorie de l'occasion favorable souvent
représenté sous forme d'un éphèbe aux talons et aux épaules ailés.» Plusieurs auteurs utilisent le
43
Id., p.57
Cf. note de bas de page n°21
45
Id.
46
Id.
47
Laboratoires Lilly France. Maladie d’Alzheimer. Regards croisés. Actes de la table ronde à la Maison de la recherche,
Paris, 24 avril 2013.
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44
mot kairos comme substantif pour désigner l'aptitude à saisir l'occasion opportune. Ce terme est
utilisé en philosophie, en théologie, en psychologie et en pédagogie. On l'emploie aussi dans les
sciences de l'administration. »48
« Le problème, disait très bien Aristote, c’est qu’il faut saisir le kairos aux cheveux mais, comme il
le disait, le kairos est un gros homme nu, enduit d’huile et presque chauve. Il a plutôt rassemblé
tous ses cheveux sur le devant mais il n’en a pas derrière. JENKELEVITCH disait que le kairos est
une apparition disparaissante ou une disparition apparaissante.49»
Pour Eric Fiat, l’art de l’accompagnement est peut-être également un art de la KAIROLOGIE :
« L’art du kairos est un art peu permis dans la médecine protocolisée, procédurisée, ritualisée
qu’est la nôtre. Il est bien évident que, ce sens du tempo, ce respect du moment opportun – qui n’est
pas le même pour tous les malades – est quelque chose de difficile à une époque où nous avons
essayé de mécaniser le soin » (ibidem).
L’idée de développer une « kairologie » de l’accompagnement au sein de notre EHPAD nous
apparaît assez séduisante. D’un point de vue organisationnel, ce n’est pas toujours facile à mettre en
place mais il ne faut pas perdre de vue, qu’une activité sera acceptée ou refusée en fonction du
moment où elle est proposée. Il en est de même pour les soins, la prise de médicaments, la
toilette… La vocation du projet n’est pas, à notre sens, de régler le quotidien d’une personne
comme du papier à musique. Pour garder une spontanéité dans la relation avec les personnes que
nous accompagnons : Il nous semble essentiel de conserver une flexibilité et de ne pas oublier de
saisir le moment présent. Cela suppose d’être créatif et d’oser proposer d’autres choses qui ne sont
peut-être pas inscrites dans le projet. Si l’on reste attentif et à l’écoute cela pourra également
favoriser l’émergence de proposition de la part de la personne elle-même. Il est important de savoir
mettre de côté les objectifs de départ : l’activité peut dévier vers autre chose suivant l’état d’esprit
des personnes présentes ce jour-là.
Prenons l’exemple de Mme C :
Mme C. a reçu un jeu de scrabble offert par sa fille. Un jour, elle demande à une
intervenante si elle souhaite faire une partie avec elle : un moment privilégié facilitant l’échange
et propice aux confidences. La dame était visiblement ravie Et cerise sur le gâteau c’est elle qui a
gagné la partie !
Dans cette situation, il est à noter qu’il n’y a pas d’objectifs préalablement établis
lorsque l’intervenante accepte une partie. Elle accompagne la personne. La spontanéité dans la
relation apporte du plaisir à la personne et à celle qui l’accompagne. Mme C. était presque
surprise que l’intervenante laisse sa tâche en cours et accepte son invitation.
48
Encyclopédie de l’Agora : www.agora.qc.ca
49
Fiat E. De l’intime à l’extime, et retour. 14ème Journée de Psycho-oncologie de l’Association de psycho-oncologie du
Haut Rhin, 14 juin 2013 : http://www.apohr.fr/index.php/les-journ-de-lapohr-mainmenu-36/14eme-journee-de-psychooncologie/144-de-lintime-a-lextime-et-retour
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Les projets sont souvent élaborés un à deux mois après l’entrée. Il est essentiel de garder à
l’esprit que le lien de confiance se construit de façon progressive et nécessite du temps. Ce lien
entre l’intervenant et la personne, favorise un climat de sécurité affective qui pourra lui permettre de
dévoiler d’autres facettes petit à petit.
C) Le projet d’accompagnement : un contrat ?
L’ANESM50 précise de ne pas transformer le projet en injonction pour qu’il ne devienne pas un
outil de contrôle sur la personne.
Une fois que le projet a été élaboré en concertation avec tous, il est proposé à la personne de le
signer. Nous pouvons nous demander suivant la situation comment la personne comprend le fait de
signer un document. Il ne faut pas perdre de vue que la représentation de la personne vis-à-vis de la
signature peut être différente de la nôtre. Que représente le fait de signer un document pour elle sur
le plan symbolique ? Est-ce que cela génère chez elle du stress ? Est-ce qu’elle le ressent comme
une contrainte ? Ou au contraire, le perçoit-elle comme le fait d’être considérée? D’avoir son mot à
dire et que celui-ci soit pris en compte ?
Les ressentis peuvent varier d’une personne à l’autre en fonction de son vécu, de ses
représentations mais dépendent également de notre manière de présenter notre démarche. A nous
(les différents professionnels) d’être aussi attentifs, de nous montrer sensibles à ce qu’elle en
comprend et de nous y adapter.
Nous avons conscience que la notion de recherche de consentement peut aussi induire que l’on
cherche à faire adhérer la personne à un projet sans réelle prise en compte de son avis. Il est
important de rester à l’écoute et d’accepter que la personne refuse d’y participer : c’est aussi la
reconnaître dans ce qu’elle est.
Comment comprendre un refus ?
Le non-vouloir, le refus, l’opposition, c’est s’affirmer et c’est vivre. Ce n’est pas quelque
chose de négatif … Tant qu’il y a de l’opposition, il y a de la vie et de l’existence.
Nous ne recherchons pas l’engagement de la personne, il ne s’agit ni d’un projet éducatif, ni
d’un contrat. Il s’agirait plutôt d’une recherche de validation (ou non) liée à l’importance de
prendre en compte la parole de la personne afin que notre approche reste centrée sur elle.
L’élaboration du projet d’accompagnement en concertation avec la personne, sa famille et l’équipe
permet une vigilance sur l’implication de uns et des autres et de ne pas basculer dans « une relation
de contrôle ».
D) Projet d’animation, projet de soins, habitudes de vie … et si on recollait les morceaux ?
En vieillissant, la personne peut ne plus ressentir son corps comme une unité. On parle de
morcellement de l’image du corps. En EHPAD, on s’occupe d’un côté de tout ce qui concerne la
prise en charge médicale, les soins infirmiers d’une part, les habitudes quotidiennes et la vie sociale
50
Agence Nationale de l’Evaluation et de la qualité des Etablissements et Services sociaux et médico-sociaux.
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d’autre part. On peut se demander si ce fractionnement ne contribue pas au sentiment qu’éprouve
parfois la personne de ne pas former un tout. L’accompagnement est lui-même morcelé.
Nous sommes différents professionnels à graviter autour de la personne chacun ayant sa
spécificité et s’occupant d’un aspect bien particulier dans l’accompagnement de la personne. Notre
projet actuel est de rassembler l’équipe pluridisciplinaire autour d’un même outil qui reprendrait le
volet médical, le projet d’animation et les habitudes quotidiennes. Cela afin de redonner une forme
globale à l’accompagnement proposé. Le « Projet individuel d’animation et d’accompagnement »
deviendra un « projet individualisé d’accompagnement ». Une réflexion est en cours actuellement
et sera à l’ordre du jour du prochain comité de réflexion éthique de l’établissement.
L’idée est que chacun peut importe son métier et sa fiche de poste participe au projet et de
sorte, fasse ressentir à la personne que c’est elle la priorité.
Conclusion
Au travers des projets d’accompagnement, nous souhaitons faire vivre notre philosophie en
misant sur les capacités et les ressources des personnes et en donnant priorité à la relation humaine,
à l’écoute des personnes et à la compréhension de leurs besoins spécifiques. Pour nous, il s’agit,
d’un moyen de donner corps à la philosophie élaborée en équipe avec l’aide et le soutien de Carpe
Diem.
Le projet d’accompagnement n’est pour nous en aucun cas quelque chose de figé. Il nous
sert de base. Un projet type n’existe pas, ce n’est ni une recette magique, ni un mode d’emploi et
encore moins un protocole ou une méthode. Il ne s’agit pas de « protocoliser » mais d’avoir une
trame qui permette l’expression de chacun. A nous de le faire vivre en l’évaluant régulièrement.
Sa finalité est de garantir une cohérence, une continuité de l’accompagnement et la
participation des personnes dans le respect des droits fondamentaux définis par la loi du 2 janvier
2002. Il s’agit d’une démarche participative et collective.
Pour nous, suivant l’utilisation qui en est faite cela peut constituer une opportunité
d’apprécier la personne autrement qu’au travers de sa santé et de la remettre, elle, au premier plan.
Le projet d’accompagnement peut constituer un trait d’union entre tous :
Personne âgée - Professionnels – Familles - Bénévoles.
« Tous les développements que l’on peut faire sur les projets partent d’un présupposé basique :
la notion de personne. Il s’avère cependant indispensable de préciser que dans toute approche de
construction, qu’elle soit collective, individuelle ou personnelle, la personne vivant chez elle ou en
établissement, sera le centre des décisions, des pratiques, des comportements… »51
51
Vercautren R, Hervy B, Schaff JL. Le projet de vie personnalisé des personnes âgées. Enjeux et méthodes. Collection
Pratiques gérontologiques. Ed. Erès, Toulouse, 2012, p 17.
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Bibliographie
- ARCAND M, BRISSETTE L. Accompagner sans s’épuiser. Collection Editions
ASH/professionnels. Editions ASH, Rueil-Malmaison, 2012
- DIQUELOU A. Mémoire, Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique, Rennes, 2009.
- HUGUENIN C. Alzheimer mon amour. Editions Héloïse d’Ormesson, Paris, 2011
- VERCAUTREN R, HERVY B, SCHAFF JL. Le projet de vie personnalisé des personnes âgées.
Enjeux et méthodes. Collection Pratiques gérontologiques. Editions Erès, Toulouse, 2012.
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Le point de vue de l’équipe soignante
Vanina BRANQUET, infirmière coordinatrice, Marina TOULARASTEL, aidesoignante, Geneviève JACOPIN MARTIN, cadre de santé, EHPAD de Ker Radeneg, Centre
hospitalier intercommunal de Cornouaille (CHIC) - Quimper
L’EHPAD de Ker Radeneg fait partie du Centre Hospitalier de Cornouaille à Quimper. Il accueille
109 résidents, répartis sur trois étages. La dépendance physique et psychique des résidants y est
importante : recul de l’entrée en institution de personnes venant de leur domicile, accueil de tous
publics dans le cadre de sa mission de service public, coordination avec les différents services de
soins de suite de l’Union Hospitalière de Cornouaille.
L’EHPAD est engagée dans une démarche de qualité s’inscrivant dans le cadre de la loi du 2 janvier
2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale et est attentif aux attentes et recommandations de
l’ANESM (Agence nationale d’évaluation des établissements et services sociaux et médicosociaux)52. L’Axe 4 d’évaluation porte sur le projet de vie personnalisé, la personnalisation des
activités individuelles et collectives, la possibilité du maintien des liens sociaux.
Un groupe de réflexion éthique a été créé au sein de la résidence. Il a fait émerger plusieurs
questions relatives à la notion de l’accompagnement de la personne âgée et du soin. La grande
dépendance (physique et psychique) nous interpelle au quotidien dans notre façon d’accompagner la
personne de la manière la plus respectueuse et digne : troubles cognitifs majeurs, fausses routes,
gros handicap, déambulations, incontinence, respect du rythme du résident, préservation de la
dignité et de l’intimité notamment lors des toilettes. Les soignants ont également le souci de
maintenir la place de la famille dans la vie de la personne âgée au sein de l’EHPAD. Il nous a
semblé alors important que toute l’équipe réfléchisse ensemble à la notion de projet, de projet de
vie, de projet de vie et d’accompagnement, et de projet de vie et d’accompagnement personnalisé.
Réfléchir quant au projet de vie personnalisé va largement au-delà de la contractualisation. Cela met
en œuvre une dynamique réflexive quant au soin et à l’accompagnement. D’ailleurs, nous parlons
maintenant de projet de vie personnalisé et d’accompagnement. Qu’est-ce accompagner ? Qu’estce que soigner ?
Soigner et accompagner une personne vieillissante et fragile, ce n’est pas seulement s’occuper de
son corps abîmé par l’âge. C’est permettre une rencontre entre un soignant et une personne et sa
famille, c’est permettre la parole.
Que représente le consentement pour la personne très dépendante ? Quel est le plus important pour
elle au bout du compte ?
52
ANESM. Recommandations de bonnes pratiques professionnelles. 1) L’évaluation interne : repères pour les
établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. 2) Qualité de vie en EHPAD (volet 1) : De l’accueil
de la personne à son accompagnement. http://www.anesm.sante.gouv.fr/
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Un projet non consenti pour les résidants
La loi oblige à la contractualisation d’un projet consenti entre l’institution et le résident.
La dépendance psychique de certains résidents est telle que la famille est souvent le seul
interlocuteur lors de l’écriture du projet. En effet, la personne n’a pas toujours donné son accord
pour rentrer en institution. Comment écrire un projet de vie consenti alors que le résident n’est pas
en capacité de s’exprimer ?
Nous faisons un point avec les familles un mois après l’admission : nous nous sommes rendu
compte que le résident n’était pratiquement jamais convié à cet entretien qui le concernait au
premier plan. A quel titre devons-nous décider (familles-soignants) du projet du résident ? Quelle
place donnons-nous alors à sa parole, à ses besoins, à ses attentes ?
Nous nous heurtons parfois à des demandes déraisonnables et non adaptées de la part des familles
quant aux soins quotidiens : lever la personne alors qu’elle est très fatiguée, texture de repas non
adaptée lorsqu’il y a un risque de fausses routes, demande de kinésithérapie chez une dame âgée de
98 ans très fatiguée...
Toutefois, recueillir des données concernant la personne accompagnée permet de mieux la connaitre
et l’appréhender ensuite au quotidien. L’entretien avec les familles apporte des éléments nouveaux
et importants, par exemple concernant les événements importants qui ont marqué sa vie et qui nous
permettent de mieux la comprendre.
Ecrire un projet de vie personnalisé permet de fédérer l’accompagnement en s’entendant sur le soin
au quotidien, en donnant une dynamique de travail cohérente et en posant un cadre de
fonctionnement. D’autant que la perception de l’accompagnement du résident peut être différente :
-
-
selon le métier exercé au sein de l’équipe ;
selon la fonction : les aides-soignants « transversaux » et les aides médico-psychologiques
qui ont une approche plus personnalisée ont des rapports plus étroits et plus intimes avec les
résidants. Ils ont également plus le temps. Les personnes âgées se confient plus à eux ;
selon la génération des soignants et l’ancienneté au sein de la résidence.
L’écriture du projet de vie
Toute l’équipe a bénéficié d’une formation de quatre jours sur le projet de vie personnalisé à
laquelle ont été associés les intervenants dits transversaux, psychologue, kinésithérapeutes,
ergothérapeute et secrétaire.
Cela a permis de constituer une base de réflexion et de travail sur l’accompagnement des résidents
et de fédérer les soignants. La première journée a été consacrée à des apports théoriques sur le
vieillissement, le handicap, les troubles psychiques, notions essentielles dans la compréhension des
attentes et des besoins de la personne âgée.
Nous avons élaboré une trame d’écriture de projet et d’accompagnement de la personne basée sur la
compréhension de sa vie, sans rentrer dans les détails intimes. La personne et sa famille sont libres
de se raconter.
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Il nous semble important de confronter plusieurs regards et représentations. Le premier temps est
celui d’un échange au sein de l’équipe lors du staff pluridisciplinaire hebdomadaire.
Puis des rencontres avec les familles ont lieu un à trois mois après l’entrée dans l’établissement.
Sont présents à cet entretien la famille, le résident parfois, l’infirmière coordinatrice, un aide
soignant référent.
Un bilan de la personne (ses habitudes antérieures, ses compétences actuelles, ses déficits, ses
attentes) est fait afin de permettre une meilleure compréhension de celle-ci. Cet entretien met en
avant la personnalité, l’identité de la personne âgée et surtout le champ du possible. Il permet en
général de lever les malentendus existant entre les familles et les soignants, de relativiser et surtout
de formaliser les attentes en lien avec les capacités du résident. L’entretien reste un temps formalisé
de discussion et d’écoute au cours duquel l’équipe parle d’une manière objective avec beaucoup de
sollicitude et de professionnalisme. La famille est souvent rassurée.
Le projet a pour but de garantir la qualité dans la vie quotidienne du résident en tenant compte de
ses aptitudes et ses manques. La signature du contrat à Ker Radeneg n’est pas vraiment effective.
Le contenu de l’entretien est formalisé dans le dossier du résident sous formes d’attentes et de
propositions. Il nous semble surtout important que ce moment reste un moment de partage, de
chaleur, et d’écoute vis-à-vis des familles et des résidants pour une meilleure compréhension
mutuelle.
Conclusion
Notre exercice professionnel auprès des personnes âgées nous apprend l’humilité. La patience, la
tempérance, la prise de distance, faire et refaire, dire et redire, accepter que les résidents disent oui
un jour et non le lendemain… Nous n’avons pas de solution, le consentement n’est pas toujours
recherché et de mise pour les personnes présentant des troubles cognitifs majeurs. Le plus important
nous semble de toujours se poser la question du meilleur possible pour un accompagnement de
qualité et respectueux auprès des personnes et de leur entourage.
Ce questionnement, qui se travaille continuellement, doit rester une dynamique d’équipe.
Bibliographie
-
MARMILLOUD L. Soigner, un choix d’humanité. Collection Espace Ethique. Vuibert, Paris,
2007.
VERCAUTEREN R, HERVY B, SCHAFF JL. Le projet de vie personnalisé des personnes
âgées : enjeux et méthode. Collection Pratiques gérontologiques. Editions Erès, Toulouse, 2012.
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