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REVUE DE PRESSE
A consulter sur place ! Merci
Tout le monde, sauf peut-être le jury du dernier festival de Cannes, risque de s'accorder sur le fait que Dheepan n'est
pas une grande Palme d'or : les lauriers s'adressaient davantage au réalisateur qu'à son film. Passons d'abord aux bonnes nouvelles. Le septième opus de Jacques Audiard est longtemps surprenant, et indiscutablement pertinent par son
sujet. Difficile d'imaginer des héros plus contemporains que des migrants, dont on suit l'installation incertaine en banlieue parisienne. Ces trois Sri Lankais, fuyant la guerre civile et le pouvoir, qui a décimé leur minorité tamoule (en
2009), ont un secret, une fragilité supplémentaire : ils ne forment une famille qu'en apparence. L'homme, la femme et
la fillette ne se connaissaient pas avant de quitter leur pays. Leurs liens prétendus permettent de conforter leur statut de
réfugiés. Car Dheepan, le faux père, est un ancien soldat, un « Tigre » tamoul... Identités truquées et réflexes réprimés : ainsi Jacques Audiard installe-t-il la tension, lui, l'expert en « thriller d'auteur », parvenu au sommet de la popularité avec De rouille et d'os, en 2012. C'est pourtant dans une longue parenthèse de calme relatif (une bonne moitié de
la durée totale, quand même) que le film convainc le plus. La fausse famille de réfugiés se retrouve logée dans une cité
difficile. L'homme, effaçant son expérience guerrière, assume un rôle de gardien d'une barre d'immeuble. La femme se
voit confier un travail d'aide ménagère. L'enfant fréquente une classe spéciale à l'école. Ils ne parlent pas le français
(seule la fillette possède quelques rudiments), ignorent si l'eau du robinet est potable, cherchent leurs marques en toutes choses, et d'abord les uns vis-à-vis des autres.
Leur flottement, leur apprentissage forcé, avec terreurs incidentes, mais aussi satisfactions et répits : tout concourt à un
vrai cinéma de regard(s), inquiet et précis. Audiard endosse les points de vue de ces arrivants sur un pays étranger, indéchiffrable. Le film y gagne sa singularité, d'autant qu'une piste sentimentale s'ouvre assez subtilement : ces faux mari et femme pourraient en devenir de vrais, et cette juxtaposition de solitudes, une famille pour de bon. Quelque part
entre les Dardenne et Ken Loach à son meilleur, le réalisateur semble se réinventer, au-delà des ressorts un peu épais
de ses films antérieurs, la vengeance et l'exaltation de la virilité agressive. Jusqu'au personnage secondaire de caïd/
dealer joué par Vincent Rottiers, le trait est équilibré, étrangement délicat.
Ce qui cloche, c'est l'articulation avec le polar d'action que Dheepan devient soudain. L'impression que le film se dérobe, au profit d'un autre, nettement plus convenu. Jacques Audiard a bien le droit d'aimer le cinéma de genre testostéroné et de vouloir refaire, in extremis, Un prophète. Mais après une première partie nuancée, ouverte, humaine, l'artillerie de la violence -façon Hollywood grince terriblement. Il a le droit de transformer une cité désolée en un nid de
gangsters -déchaînés, donnant du coup de feu pour un oui ou pour un non. Mais après avoir atteint une certaine justesse sociologique, volontairement ou non, il sème la confusion : ce tableau est-il sa vision d'une France qu'il suggère
de « karcheriser » d'urgence ?
Faut-il, question subsidiaire, opposer cette France à la terre promise anglaise, aperçue dans le halo de bonheur des dernières images ? Dheepan, film aventureux, se termine sans doute trop bien, mais surtout, il se termine trop, replié sur
des recettes déjà utilisées. En nous immergeant dans le monde de l'exil, auprès de personnages (et d'acteurs) d'une
culture et d'une langue méconnues, Jacques Audiard prend des risques, et réussit le plus difficile. Dès lors, que n'a-t-il
mené jusqu'au bout cette passionnante expérience de désorientation ?
Louis Guichard
Quand on découvre le merveilleux Dheepan, Palme d’or à Cannes cette année, on a du mal à imaginer que
l’acteur principal Anthonythasan Jesuthasan n’est pas un comédien professionnel. Il est impressionnant
dans son rôle de réfugié tamoul tentant de s’établir comme gardien dans une cité de banlieue française tout
protégeant sa « famille », une femme et une fillette rencontrées dans un camp de réfugiés au Sri Lanka.Un
choix comme une évidence
Jacques Audiard avoue avoir hésité avant de choisir cet écrivain qu’il décrit aujourd’hui comme « un être
plus qu’humain ». Cet écrivain tamoul a impressionné le réalisateur d’Un Prophète (2009) et De rouille et
d’os (2012), dès leur première rencontre. « J’ai fait confiance à ce que j’ai ressenti en le voyant, explique le
cinéaste à 20 Minutes. C’est quelque chose qui était presque de l’ordre de l’érotisme. » Il semblait difficile
de juger des capacités du futur héros du film. « Le langage n’est qu’un épiphénomène, déclare Audiard.
Tout chez lui était différent : attitudes, mimiques et intonations. C’est cela qui rendait mon travail passionnant car le diriger demandait une attention exceptionnelle. »D’excellentes surprises pendant le tournage.
Malgré son inexpérience, Anthonythasan Jesuthasan a pris son rôle à bras-le-corps. Un jour, il a confié à
Jacques Audiard que le scénario du film racontait sa propre histoire en tant qu’ancien enfant soldat. « Je
suis tombé de ma chaise, s’exclame le cinéaste. Je l’ignorais totalement avant de le choisir. » Epaulé par
Kalieaswari Srinivasan, comédienne de théâtre et par la jeune Française Claudine Vinasithamby, l’acteur
émeut dans la peau d’un homme qui s’attache à sa fausse famille au point de se mettre en péril pour la
protéger. « Mon film a un côté Pretty Woman où le héros finit par lutter par amour pour sauver celle qu’il
aime », raconte Jacques Audiard. On souhaite à Anthonythasan de devenir aussi célèbre que Richard
Gere.
Fuyant la guerre civile au Sri Lanka, une jeune femme et une orpheline de 9 ans se joignent à Dheepan, un ancien
(combattant des Tigres tamouls), pour former une fausse famille et obtenir l’asile politique en France. Là, on leur
confie le gardiennage d’une loge dans une cité de banlieue, véritable zone de non-droit. Alors qu’ils tentent de se réparer des violences subies, Dheepan prend conscience de la dangerosité de l’endroit, qui lui rappelle de mauvais souvenirs. Il décide de ne pas se laisser faire… Face à la violence du monde, Jacques Audiard voulait raconter le destin de
migrants invisibles. Il a réussi, avec deux complices au scénario, Noé Debré et Thomas Bidegain. Sur la forme, le réalisateur surprend un peu en se jouant de plusieurs genres cinématographiques : film de guerre, d’action, de banlieue,
social, avec parfois un zeste d’humour et de comédie. Sur le fond, ce drame profond et brillant, autour d’une famille
qui se réinvente, ne perd jamais espoir. Dheepan avance tambour battant, porté par des inconnus magnifiques. Et au
bout, il y a l’humanité et l’amour qui sauve de tout. Une belle Palme d’or.
D.A.
Cette fois, ses détracteurs ne pourront pas reprocher à Jacques Audiard de ne pas prendre de risques : "Dheepan" est
un film parlé pour l’essentiel en langue tamoule, sans acteurs connus (à l’exception de Vincent Rottiers) et dont les
protagonistes principaux appartiennent à cette catégorie que l’on préfère ne pas voir et que, du coup, on finit par ne
pas voir en effet. Ils viennent du Sri Lanka, et ont fui la guerre. Sur un trottoir parisien l’homme vend des babioles,
dont l’apparition sur l’écran s’accompagne d’un chant liturgique, voix de haute-contre, qui d’emblée confère au personnage une dimension presque héroïque.
Audiard sait ce qu’est le cinéma. Il sait aussi retrouver les thèmes qui lui sont chers, qui adviennent sans qu’il l’ait
souhaité forcément, sans même peut-être qu’il en ait conscience : comme dans plusieurs de ses films précédents, il va
être question d’une famille. Ici il s’agit d’une fausse famille, celle que composent par obligation Dheepan, Yalini et
Illayaal, la gamine de 9 ans qu’ils présentent comme leur propre fille. De cet assemblage de circonstance une vraie
famille va-t-elle naître ?
Comprendre le monde
C’est un des enjeux majeurs du film, dont les motifs s’entrecroisent et se combinent avec ceux produits par la situation
du couple, gardiens dans une cité qu’ils observent comme un monde étranger et à part. Un monde qu’ils doivent comprendre. Dheepan aimerait capter ces traits qui font rire les autres et le laissent de marbre, seulement voilà, Yalini le
lui dit dans un éclat de rire. Le langage n’est pas en cause, seulement le fait qu’il manque absolument d’humour. C’est
dans un moment comme celui-ci, une des plus belles scènes du film, portée par les acteurs extraordinaires que sont
Antonythasan Jesuthasan et Kalieaswari Srinivasan, qu’entre eux l’amour survient. L’amour qui va faire de Dheepan
le guerrier qu’il fut naguère.
Le basculement du personnage peut sembler un peu brutal, mais enfin il fallait bien que cela finisse par éclater pour
qu’enfin la violence s’empare du film. "Dheepan" est arrivé à Cannes à peine terminé ; Audiard, s’il avait eu le temps
pour cela, en aurait peut-être modifié le montage, un peu abrupt dans la dernière partie, mais voilà, la palme d’or a rendu toute modification impossible. Et tout compte fait, c’est très bien ainsi.
Pascal Mérigeau
"Dheepan": un tigre en cage d'escalier
Ne remettant jamais deux fois de suite sa caméra dans le même sillon scénaristique, Jacques Audiard explore cette fois-ci, la destinée
d’un ancien soldat sri-lankais réfugié en France avec une femme et
une enfant qui ne sont pas les siens. Promu gardien d’une barre
HLM dans une cité aux mains des dealers, il va connaître une autre
forme de guérilla…
Ils vont de restaurant en restaurant, proposant aux clients soit une rose, soit un gadget. D’un geste de la main ou d’un
léger mouvement de tête, on leur signifie qu’on ne veut pas de leur marchandise à deux euros. Alors, ils ont un pauvre
sourire et poursuivent leur chemin commercial quand ils ne se font pas virer par les patrons. Des mendiants sur leur
terrasse, ça fait tâche. Qui sont-ils ? Quelles sont ces trajectoires, ces drames humains qui les ont jetés sur le rivage
bétonné de nos villes ? L’un de ces vendeurs à la sauvette s’appelle Dheephan (Antonythasan Jesuthasan). Enrôlé dans
la guerre civile qui a fané cette île fleurie qui s’appelait jadis Ceylan, ce combattant de l’armée des Tigres a vu tous
ces compagnons périr, puis partir en fumée sur un bûcher funéraire.
C’est grâce à de faux papiers, à une fausse épouse (Kalieaswari Srinivasan) et sa fausse enfant (Claudine Vinasithamby) qu'il pourra, peut-être, avoir une vraie vie. Arrivés en France, ces trois réfugiés doivent donner le change d’une
vraie famille. Mais jouer au papa et à la maman, ça n’est pas si simple, quand les liens qui vous unissent ne sont pas
ceux du mariage, mais de la survie. Embauché comme gardien d’un immeuble en pleine zone de non droit sous la
coupe d’un caïd (Vincent Rottiers), Dheepan va être obligé de passer de la soumission à l’action.
La guerre des gangs, c’est encore de la guerre… Une fois encore, Jacques Audiard porte le cinéma français à des hauteurs où il est un des rares à pouvoir le hisser. Co-écrit avec Noé Debré et Thomas Bidegain, ce drame contemporain
permet au cinéaste d’explorer plusieurs chemins, aussi chaotiques les uns que les autres. Il y a ce sentier miné, impraticable que sont obligés d’emprunter de nombreux immigrés pour trouver enfin la paix sous des cieux plus cléments.
Leur grande force, leur pugnacité, c'est leur héroïque faculté d’adaptation. Apprendre la langue du nouveau pays, trouver un travail, comprendre la mentalité de ces étranges Européens, même appréhender leur humour est difficile. Ce
qu’il faut penser avant de pouvoir panser ses blessures ?
A ces paramètres, s’ajoute le quotidien d’un homme et d’une femme que le destin a mis sous le même toit. S’aimer, se
détester, s’ignorer, tout peut arriver. Et puis, il y a la voie sans issue de la violence urbaine. Chorégraphiant d’une façon magistrale et puissante, ces gangs qui gangrènent la vie des cités, Audiard remet les pendules à l’heure de cette
économie parallèle qui tire à balles réelles. Pas un plan de trop, pas un cadrage approximatif dans ce film maîtrisé de
bout en bout par le réalisateur du « Prophète ». Servi par des interprètes d’une justesse saisissante, « Dheepan » mérite
largement son titre de séjour à Cannes.
Alain Spira