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Jurisprudence Sociale Lamy Le préjudice d’anxiété s’arrête aux marches de la CJUE Caroline Mo, Avocat, Colbert Avocats - La demande en résiliation judiciaire, une liberté fondamentale Jean-Philippe Lhernould, Professeur à la faculté de droit et des sciences sociales, Université de Poitiers - Principe de responsabilité de l’employeur et faute du salarié Hélène Tissandier, Maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine, Membre de l’Institut Droit Dauphine - La consultation du CE ne fait pas obstacle à une information directe des salariés Jean-Benoît Cottin, Avocat, Docteur en droit, Capstan Avocats 406 BIMENSUEL 22 MARS 2016 Table chronologique DÉCEMBRE 2015 10 février 10 décembre Cass. soc., n° 14-26.909, n° 324 FS-P+B Préjudice d’anxiété ............................................... n° 406-1, p. 4 Cass. soc., n° 14-24.350, n° 319 FS-P+B Principe de responsabilité de l’employeur et faute du salarié....................................................... n° 406-4, p. 15 Cass. soc., n° 15-16.080, n° 325 FS-P+B CCN Sport ............................................................... n° 406-14, p. 30 Cass. soc., n° 14-26.147, n° 320 FS-P+B CCN Football professionnel................................. n° 406-15, p. 30 Cass. soc., n° 14-26.304, n° 323 FS-P+B CCN Hôtels, cafés, restaurants ........................... n° 406-16, p. 31 Cass. soc., n° 14-16.156, n° 351 F-D Inaptitude/Reclassement ..................................... n° 406-17, p. 32 Cass. soc., n° 14-14.213, n° 344 F-D Temps de travail effectif/Caractérisation ......... n° 406-18, p. 32 Cass. soc., n° 14-21.852, n° 2143 FS-P+B Procédure prud’homale ........................................ n° 406-8, p. 19 JANVIER 2016 25 janvier Cass. soc., n° 14-29.796, n° 169 F-D Élections professionnelles/Formalisme ............. n° 406-25, p. 32 Cass. soc., n° 14-29.308, n° 162 F-D Syndicats/Valeurs républicaines ......................... n° 406-26, p. 32 26 janvier Cass. soc., n° 14-19.002, n° 143 FS-P+B Libertés individuelles ............................................ n° 406-6, p. 18 Cass. crim., n° 13-82.158, n° 6610 F-P+B Délit d’entrave........................................................ n° 406-9, p. 20 27 janvier Cass. soc., n° 14-14.293, n° 198 F-D Convention de forfait-jours/Validité.................. n° 406-23, p. 32 Cass. soc., n° 13-28.892, n° 217 F-D Licenciement/Motivation de la lettre ................ n° 406-24, p. 32 28 janvier Cass. soc., n° 14-26.800, n° 195 F-D Rupture conventionnelle/Homologation.......... n° 406-22, p. 32 FÉVRIER 2016 3 février Cass. soc., n° 14-18.600, n° 272 FS-P+B Résiliation judiciaire ............................................. n° 406-2, p. 8 Cass. soc., n° 14-17.886, n° 266 FS-P+B Licenciement/Salariés protégés .......................... n° 406-4, p. 11 Cass. soc., n° 14-17.000, n° 268 FS-P+B Résiliation judiciaire .............................................. n° 406-5, p. 18 Cass. soc., n° 14-17.000, n° 268 FS-P+B Salariés protégés.................................................... n° 406-7, p. 19 Cons. constit., QPC, n° 2015-519 Représentativité patronale .................................. n° 406-10, p. 20 Cass. soc., n° 14-22.318, n° 278 F-D Règlement intérieur/Mise à pied ........................ n° 406-21, p. 32 4 février Cass. soc., n° 14-28.005, n° 259 F-D Transfert d’entreprise............................................ n° 406-11, p. 21 Cass. soc., n° 14-23.663, n° 265 F-D Cadre dirigeant/Définition ................................... n° 406-20, p. 32 5 février CA Lyon, n° 14/07920 Concours de normes conventionnelles ............. n° 406-13, p. 27 9 février Cass. crim., n° 12-86.016, n° 6609 F-D Comité d’entreprise............................................... n° 406-12, p. 24 Cass. soc., n° 14-18.567, n° 287 F-D Délégués du personnel/Droit d’alerte................ n° 406-19, p. 32 Éditorial La santé mentale, nouvelle marotte du droit du travail ? « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Préambule de la Constitution de l’Organisation mondiale de la Santé Fany Lalanne Rédactrice en chef J usqu’à présent intimement liée à la santé physique, tout du moins en droit français, la santé mentale semble gagner en autonomie, en témoigne un récent arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui proclame clairement que « la santé mentale est une composante de la santé ». Le postulat n’est pas nouveau, il est issu du droit européen dans lequel il puise sa source. Il a également trouvé écho en droit interne dans la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale. Pour autant, c’est la première fois que la Cour de cassation le fait sien tel quel. Surtout, érigée en concept autonome, existant par lui seul et en dehors de la santé physique, la santé mentale devient ainsi pivot de la santé en droit du travail. Est-ce à dire que le droit français redécouvre une composante de la santé au travail après l’avoir occulté des années ? Pas tout à fait, la solution aujourd’hui avancée par la Cour de cassation est plutôt la consécration jurisprudentielle d’un tel principe. On l’a dit, c’est la loi de 2002 qui a fait apparaître la notion de santé mentale en droit du travail (au côté de la santé physique, c’est à noter). Mais, ici encore, le concept de santé mentale ne naissait pas de luimême, il était déjà reconnu en droit positif, ou plus exactement sous-tendu. La santé mentale est intrinsèque à la relation de travail. Elle a, comme pierre angulaire, l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur : l’employeur est tenu de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Tout est dit dans ces quelques mots. Mais là où la solution dégagée par la Cour de cassation se distingue c’est, nous l’avons évoqué, par le fait qu’elle autonomise la santé mentale. Alors que la loi de 2002 la consacrait au côté de la santé physique, l’arrêt du 10 février 2016 lui reconnait une existence propre et indépendante de son aînée. La différence est importante car elle induit une autre approche du salarié. Plus subjective. Autrement dit, le salarié n’apparaît plus seulement travailleur d’une entreprise lambda sous la subordination d’un chef de service X ou Y, il devient personne à part entière. Il n'est plus seulement corps, il devient esprit. La santé mentale (comme la santé physique d’ailleurs, mais dans une autre mesure) induit en effet la prise de conscience par le droit positif du salarié en tant que personne « réelle ». Lapalissade ? Pas tant que cela. Historiquement, en droit français, il faut bien le reconnaître, la santé au travail s’est longtemps focalisée autour de la santé physique du salarié. Ce distinguo, « l’humanisation » du salarié, ou tout au moins son « individualisation », l’évolution de la santé au travail et la distinction santé physique et santé mentale avec peut-être même aujourd’hui la prévalence de la seconde sur la première ne sont finalement que le reflet de l’évolution du droit du travail. C’est en effet l’acception même du travail qui est en pleine mutation et ce, de façon de plus en plus flagrante. Les conditions de travail changent, notre rapport au travail aussi, et c’est toute la relation de travail qui s’en trouve affectée. La difficulté, on le voit bien ici, est de garder une approche juridique de la santé mentale au travail, de ne pas verser dans une une relation de travail hyper « psychologisée ». Difficulté accrue par le sens à donner à telle notion. Seul échapatoire : la prévention et, en ce domaine, la France a encore fort à faire... Mais, au-delà de la sémantique, ce qu’il faut retenir ici c’est cette mutation du droit du travail, la relation de travail, purement contractuelle et objective, prend un net tournant subjectif érigeant le salarié en tant qu’individu et pas seulement en tant que travailleur. Nº 406 22 MARS 2016 Jurisprudence Sociale Lamy 1 Sommaire Libertés individuelles ÉCLAIRAGE Santé et sécurité au travail Le préjudice d’anxiété s’arrête aux marches de la CJUE Par Caroline Mo, Avocat, Colbert Avocats (Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-26.909 FSP+B) ............................................................... p. 4 Un audit sur la manière dont un salarié assume ses fonctions n’est pas un élément de preuve obtenu par un moyen illicite si l’intéressé n’en est pas tenu à l’écart (Cass. soc., 26 janv. 2016, n° 14-19.002 FS-P+B) ...........p. 18 Salariés protégés Plafonnement à 30 mois de l’indemnité pour violation du statut protecteur d’un conseiller prud’homme (Cass. soc., 3 févr. 2016, n° 14-17.000 FS-P+B)............... p. 19 Procédure prud’homale JURISPRUDENCE COMMENTÉE Rupture du contrat de travail La demande en résiliation judiciaire, une liberté fondamentale (Cass. soc., 3 févr. 2016, n° 14-18.600 FS-P+B) ................p. 8 Licenciement (salariés protégés) Omission par l’employeur d’un des mandats détenus par le salarié protégé dans la demande d’autorisation préalable de licenciement et droit à indemnisation en cas d’annulation de l’autorisation (Cass. soc., 3 févr. 2016, n° 14-17.886 FS-P+B) ...............p. 11 Santé et sécurité au travail Principe de responsabilité de l’employeur et faute du salarié (Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-24.350 FS-P+B) ............ p. 15 Pourvoi additionnel contre un arrêt d’appel de sursis à statuer : non-rétroactivité du décret du 6 novembre 2014 (Cass. soc., 10 déc. 2015, n° 14-21.852 FS-P+B) ............. p. 19 Délit d’entrave La suppression par la loi du 6 août 2015 de la peine d’emprisonnement pour entrave au fonctionnement régulier d’un comité d’entreprise s’applique aux affaires en cours à cette date (Cass. crim., 26 janv. 2016, n° 13-82.158 F-P+B) ............ p. 20 Représentativité patronale Les dispositions du Code du travail relatives à la mesure de la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs sont constitutionnelles (Cons. constit., QPC, 3 févr. 2016, n° 2015-519) ............. p. 20 L’INÉDIT JURISPRUDENCE RÉSUMÉE Transfert d’entreprise Résiliation judiciaire La date de la résiliation judiciaire du contrat de travail est fixée au jour de la décision qui la prononce ou au jour de l’arrêt d’appel validant ladite résiliation (Cass. soc., 3 févr. 2016, n° 14-17.000 FS-P+B)...............p. 18 2 Conséquences sur les contrats de travail de la résiliation d’un contrat relatif à la gestion d’une entité économique autonome (Cass. soc., 4 févr. 2016, n° 14-28.005 F-D) ................... p. 21 Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 Comité d’entreprise Football professionnel La consultation du CE ne fait pas obstacle à une information directe des salariés (Cass. crim., 9 février 2016, n° 12-86.016 F-D)...............p. 24 Un club de football ne peut imposer à un joueur une diminution de sa rémunération en cas de relégation en ligue 2 (Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-26.147 FS-P+B) ............. p. 30 Hôtels, cafés, restaurants (HCR) LES JUGES DU FOND Concours de normes conventionnelles La notion de caractère « plus avantageux » doit s’apprécier de façon globale sur l’ensemble du personnel (CA Lyon, 5 févr. 2016, n° 14/07920) .............................p. 27 LES CONVENTIONS COLLECTIVES Emploi d’un cuisinier au moyen de CDD d’extras sur plus de 60 jours sur un même trimestre civil : quelles conséquences ? (Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-26.304 FS-P+B) ............ p. 31 EN bREF ........................................................................................p. 32 Sport La garantie de contrat jusqu’à la fin d’une saison ne concerne que les joueurs sous contrat à durée déterminée (Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 15-16.080 FS-P+B) ............. p. 30 Ce numero est accompagné d'un encart publicitaire. Nº 406 22 MARS 2016 Jurisprudence Sociale Lamy 3 Éclairage SANTÉ ET SÉCURITÉ Le préjudice d’anxiété s’arrête aux marches de la CJUE 406-1 Caroline Mo, Avocat, Colbert Avocats Cass. soc., 10 févr. 2016, pourvoi n° 14-26.909, arrêt n° 324 FS-P+B La question du préjudice d’anxiété, et plus particulièrement des modalités d’engagement de la responsabilité civile de l’employeur dans ce cadre, est au cœur de nombreux débats depuis plusieurs années. La Cour de cassation adopte une position stricte en la matière, imposant une responsabilité de l’employeur, semblant inéluctable et automatique, dès lors que l’établissement a été classé au titre de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998. Cette sévérité de la Haute Juridiction a conduit les employeurs à tenter de vérifier la compatibilité de cette position avec certains grands principes constitutionnels. Ainsi, dans un arrêt du 27 juin 2013, la Cour de cassation a été interrogée sur la compatibilité de son interprétation de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 avec l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen affirmant le principe d’égalité devant les charges publiques de tout citoyen (Cass. soc., 27 juin 2013, QPC, n° 12-29.347). Dans cette affaire, la société souhaitait que soit tranchée la question suivante : « L’article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ayant pour objet en son article III d’organiser, par un fond commun à la charge de la collectivité, la réparation d’une faute collective, n’institue-t-il pas une rupture d’égalité devant les charges publiques en méconnaissance de l’article 13 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen lorsque, selon l’inter- 4 prétation que lui donne la Cour de cassation, la simple inscription d’une entreprise sur la liste des établissements prévus par ce texte suffirait pour engager la responsabilité personnelle de celle-ci au-delà de sa contribution directe ou indirecte au financement du régime Acaata et à lui faire supporter seule le préjudice d’anxiété découlant de la même faute collective ? ». La Cour de cassation a toutefois rejeté cette demande de question prioritaire de constitutionnalité en indiquant que « la disposition législative en cause telle qu’interprétée ne heurte aucun des principes constitutionnels invoqués dès lors que l’indemnisation du préjudice d’anxiété qui repose sur l’exposition des salariés au risque créé par leur affectation dans un établissement figurant sur une liste établie par arrêté où était fabriquée ou traitée de l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, en premier lieu n’exclut pas toute cause d’exonération de responsabilité, Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 en second lieu ne constitue ni une charge publique ni un avantage disproportionné ». À défaut de pouvoir contester la position de la Cour de cassation sur le fondement de son absence de constitutionnalité, les employeurs ont donc saisi la Haute Juridiction d’une interrogation quant à sa compatibilité avec les principes communautaires applicables. Les employeurs se sont toutefois, là encore, heurtés au mur de la Cour de cassation. Les faits Plusieurs salariés ont été employés par la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) entre 1972 et 1992. Suivant arrêté ministériel du 25 mars 2003, la SNPE a été inscrite sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’Acaata (allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante). Les salariés ont saisi le conseil de prud’hommes d’une demande d’indemnisation au titre de leur préjudice d’anxiété. Les demandes et argumentations Le Conseil de prud’hommes de Bergerac a, suivant jugement du 30 octobre 2012, condamné la société SNPE au paiement de la somme de 7 000 à 12 000 € au titre du préjudice d’anxiété à chacun des demandeurs. La société SNPE a interjeté appel de ce jugement en invoquant l’absence de démonstration par les salariés d’une exposition à l’inhalation de poussières d’amiante et de l’existence d’un préjudice d’anxiété. Devant la Cour d’appel de Bordeaux, les salariés maintiennent leurs demandes et sollicitent la somme de 30 000 € chacun au titre des « troubles psychologiques », en lieu et place d’une indemnisation au titre du préjudice d’anxiété et du bouleversement des conditions d’existence. La Cour d’appel de Bordeaux confirme le jugement du Conseil de prud’hommes de Bergerac dans son arrêt rendu le 24 septembre 2014 et octroie la somme de 10 000 € à chaque salarié au titre du préjudice d’anxiété, « étant précisé que cette somme répare tous les troubles psychologiques y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d’existence ». La société SNPE forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt. La Haute Juridiction confirme l’arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux dans ses arrêts du 10 février 2016. La décision, son analyse et sa portée • Quels sont les éléments de preuve devant être apportés pour obtenir une indemnisation au titre du préjudice d’anxiété ? Devant la Cour d’appel de Bordeaux, la société SNPE invoque l’absence de démonstration : - d’un manquement à son obligation de sécurité de résultat ; Nº 406 22 MARS 2016 - de l’existence d’un préjudice d’anxiété. La juridiction d’appel, sans prendre en compte, au moins formellement, un principe de responsabilité automatique des sociétés du fait de leur classement au titre de l’Acaata, vérifie le respect des textes applicables en matière de protection de la santé des salariés potentiellement exposés à l’inhalation de poussières d’amiante par la société. Elle applique, pour ce faire, strictement, le raisonnement utilisé en matière de faute inexcusable. Elle indique ainsi que la société n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger les salariés contre le risque d’exposition à l’inhalation de poussières d’amiante (absence de protections individuelle et collective et absence de contrôles atmosphériques tels que prévus par le décret du 17 août 1977). En outre, elle estime que la société aurait dû avoir conscience du danger compte tenu de sa « taille importante » et du fait qu’elle « disposait d’un département juridique et d’un service de médecine légale ». Dès lors, l’employeur n’ayant pas pris les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des salariés alors qu’il avait conscience du danger a donc manqué à son obligation de sécurité de résultat. La vérification des preuves fournies par les salariés s’arrête cependant ici pour la juridiction d’appel. Ainsi, s’agissant de la démonstration du préjudice, la cour d’appel est beaucoup plus succincte dans son analyse puisqu’elle indique : « - Monsieur X justifie avoir bénéficié de l’Acaata ; - Monsieur X justifie donc avoir été victime d’une exposition à la fois professionnelle et environnementale à l’amiante sans bénéficier d’une protection individuelle et collective efficace. Il justifie donc se trouver par le fait de l’employeur dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une maladie liée à l’amiante et subir de ce fait un préjudice spécifique d’anxiété ». La position est donc éminemment claire : si le salarié a bénéficié de l’Acaata, il démontre, par là même, une exposition à l’inhalation de poussières d’amiante et est en droit d’obtenir une indemnisation au titre du préjudice d’anxiété. Cette position apparaît toutefois également pour le moins paradoxale. Si le simple bénéfice de l’Acaata par le salarié justifie une exposition à l’inhalation de poussières d’amiante sans bénéficier d’une protection efficace, pourquoi avoir jugé utile de démontrer la réalité d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat ? Manifestement, le régime créé de toutes pièces par la Cour de cassation peine à être compris par les juridictions du fond, lesquelles appliquent dès lors plusieurs raisonnements semblant pourtant incompatibles entre eux. • Sur l’application rétroactive de la loi n° 200273 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale La juridiction d’appel ayant en premier lieu tenté de démontrer un manquement de la société à son obligation de sécurité de résultat, la société a donc, fort logiquement, tenté de contester la réalité de la faute qui lui était reprochée. Elle indique ainsi Jurisprudence Sociale Lamy 5 Éclairage qu’elle ne pouvait être condamnée au titre de l’article L. 4121-1 du Code du travail. Pour rappel, l’article L. 4121-1 du Code du travail pose le principe de prévention de la santé et de la sécurité du salarié par l’employeur en mentionnant notamment les principes généraux devant être respectés par ce dernier. Or, cet article ne visait pas initialement la santé mentale du salarié. Ce n’est que la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 qui a intégré, dans l’article L. 4121-1 du Code du travail, des dispositions spécifiques sur la santé mentale du salarié. Dès lors, les salariés ayant quitté la société en 1992 et leurs demandes portant sur la période 1972-1992, la société estime que ces dispositions n’étaient pas applicables à sa situation et qu’elle ne peut donc être condamnée sur cette base. La société indique plus spécifiquement qu’aucune faute ne pouvait être retenue à son encontre sur le fondement d’une obligation qui n’était pas encore née au moment où elle lui était reprochée. Sur le plan des principes, la position n’est que peu contestable. Pour autant, la Cour de cassation écarte cette argumentation sur le fondement de deux éléments : - la santé mentale est une composante de la santé : peu important que l’article L. 4121-1 du Code du travail n’ait pas initialement fait expressément référence à la santé « mentale », la santé comporte nécessairement et implicitement cette composante ; - les salariés ont travaillé dans un établissement classé au titre de l’Acaata, ce qui justifie l’octroi d’une indemnisation au titre du préjudice d’anxiété. La seconde partie du raisonnement, classique aujourd’hui en matière de préjudice d’anxiété, confirme la sévérité de la Cour de cassation en la matière. Alors que certaines cours d’appel poursuivent leur travail de vérification de l’existence d’un manquement de l’employeur au regard notamment du concept de manquement à l’obligation de sécurité de résultat au sens de la faute inexcusable, la Haute Juridiction se contente de viser le classement de l’établissement au titre de l’Acaata. Cette seule inscription démontrerait alors le manquement de l’employeur. Face à cette position, les sociétés n’avaient alors d’autres choix que de chercher l’appui de juridictions supérieures. • Sur le renvoi préjudiciel Pour mémoire, le renvoi préjudiciel permet de saisir la CJUE afin de déterminer le sens devant être donné à un acte communautaire. Ce renvoi a ainsi pour objectif d’obtenir la position de la juridiction européenne sur une interprétation de l’acte communautaire en cause lorsque cette solution est nécessaire à la résolution du litige devant être tranché par le tribunal. L’acte communautaire en cause est ici la Directive n° 89/391 CEE du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures 6 visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs sur le lieu de travail et, plus spécifiquement, son article 5. Cet article 5 pose le principe général selon lequel « l’employeur est obligé d’assurer la sécurité et la santé des travailleurs dans tous les aspects liés au travail. (…) La présente directive ne fait pas obstacle à la faculté des États membres de prévoir l’exclusion ou la diminution de la responsabilité des employeurs pour des faits dus à des circonstances qui sont étrangères à ces derniers, anormales et imprévisibles ou à des évènements exceptionnels, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée ». La société SNPE sollicite ainsi devant la Cour de cassation que la CJUE soit interrogée afin de déterminer si « l’article 5 de la Directive 89/391, tel qu’il est exclusivement applicable aux faits de l’espèce, doit-il être interprété en ce sens qu’il imposait aux entreprises une obligation de résultat quant à la préservation de la santé mentale de leurs employés ? ». La question est légitime. Rappelons, en effet, que la CJUE avait pu d’ores et déjà être saisie d’une demande d’interprétation de cet article 5 et de la conformité du dispositif britannique prévoyant une responsabilité de l’employeur « pour autant que ce soit raisonnablement praticable » à celui-ci. La CJUE précise sur ce point que cet article 5 pose une obligation générale de sécurité mais ne se prononce pas sur une quelconque forme de responsabilité de l’employeur. Le dispositif britannique analysé ne serait ainsi pas contraire aux dispositions de l’article 5 de la Directive. Dès lors, si cette Directive n’impose pas nécessairement une obligation de sécurité de résultat, la société SNPE pouvait s’interroger sur la compatibilité de la position jurisprudentielle française en matière de préjudice d’anxiété et des prescriptions de l’article 5. La Cour de cassation rejette cependant cette demande de renvoi préjudiciel en précisant que, « selon l’article 1, § 3, la Directive 89/391/CEE ne porte pas atteinte aux dispositions nationales et communautaires existantes ou futures, qui sont plus favorables à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs au travail ; qu’il n’y a pas lieu à saisine préjudicielle de la Cour de Justice de l’Union Européenne ». Ainsi, pour la Cour de cassation, peu important que la Directive ne prévoit pas une obligation de sécurité de résultat de l’employeur, les dispositions nationales peuvent, quant à elles, la prévoir de sorte que cette question ne nécessite pas un renvoi préjudiciel. *** La solution est juridiquement fondée mais pour le moins regrettable en pratique dès lors qu’elle ne permet pas aux employeurs de disposer de l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne sur le système extrêmement strict appliqué actuellement en matière de préjudice d’anxiété et visant à indemniser le salarié dès lors que celui-ci a travaillé dans un établissement classé au titre de l’Acaata. Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 TExTE DE L’aRRêT LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant : Vu la connexité, joint les pourvois nº P 14-26. 909 à U 14-26. 914 ; Attendu, selon les arrêts attaqués (Bordeaux, 24 septembre 2014), que M. X... et quarante-sept salariés ont été engagés par la société nationale des poudres et explosifs (SNPE), aux droits de laquelle viennent également les sociétés Eurenco, Manuco et Hérakles, au cours de périodes variables de 1972 à 1992 ; que par arrêté ministériel du 25 mars 2003, pris en application de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998, le site SNPE, situé à Bergerac, a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’ACAATA pour la période de 1972 à 1992 ; que les salariés ont saisi la juridiction prud’homale pour obtenir réparation de leurs préjudices d’anxiété et de trouble dans leurs conditions d’existence ; Sur la demande de saisine préjudicielle de la Cour de justice de l’Union européenne : Attendu que les employeurs demandent que soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne la question préjudicielle suivante : « l’article 5 de la directive 89/ 391, tel qu’il est exclusivement applicable aux faits de l’espèce, doit-il être interprété en ce sens qu’il imposait aux entreprises une obligation de résultat quant à la préservation de la santé mentale de leurs employés ? » ; Mais attendu que selon son article 1, § 3, la directive 89/ 391/ CEE ne porte pas atteinte aux dispositions nationales et communautaires existantes ou futures, qui sont plus favorables à la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail ; qu’il n’y a pas lieu à saisine préjudicielle de la Cour de justice de l’Union européenne ; Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, troisième et cinquième branches, et le second moyen des pourvois nº P 14-26. 909 et Q 14-26. 910 : Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ; Sur le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses première et troisième branches, et le troisième moyen des pourvois nº R 14-26. 911, S 14-26. 912 et T 14-26. 913 et la quatrième branche du deuxième moyen du pourvoi nº R 14-26. 911 : Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les Nº 406 22 MARS 2016 moyens annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ; sé l’existence d’un préjudice spécifique d’anxiété ; que le moyen n’est pas fondé ; Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches, et le second moyen du pourvoi nº U 14-26. 914 : Sur le moyen additionnel du pourvoi nº Q 14-26. 910, concernant MM. Y... et Z... : Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens annexés, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ; Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, des pourvois nº P 14-26. 909, Q 14-26. 910 et U 14-26. 914, et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche, des pourvois nº R 14-26. 911, S 14-26. 912 et T 14-26. 913 : Attendu que les employeurs font grief aux arrêts de les condamner à verser une somme à chacun des salariés en réparation d’un préjudice d’anxiété alors, selon le moyen, que c’est seulement la loi 200273 du 17 janvier 2002 modifiant l’article L. 4121 du code du travail qui a imposé à l’employeur de prendre les mesures nécessaires à la protection de « la santé mentale » de ses salariés ; qu’en se fondant sur cette nouvelle obligation pour affirmer qu’ils auraient manqué à leur obligation de résultat et pour les déclarer responsables en application de l’article L. 4121-1 du code du travail, tout en ayant relevé, par ailleurs, que M. Georges X... avait quitté l’entreprise le 28 septembre 1992 (pourvoi nº P 14-26. 909), que le contrat de travail s’est arrêté pour tous en 1992 (pourvoi nº Q 14-26. 910), que le site a été classé seulement pour la période 1972-1992 (pourvoi nº R 14-26. 911), que le site a été classé seulement pour la période 1972-1992 (pourvois nº S 14-26. 912 et T 14-26. 913) ou que les défendeurs au pourvoi avaient quitté l’établissement en 1992 (pourvoi nº U 14-26. 914), la cour d’appel retient une faute par rapport à une obligation qui n’était pas encore née et viole ainsi, par fausse application, les textes susvisés ainsi que l’article 2 du code civil ; Mais attendu, d’une part que la santé mentale est une composante de la santé, d’autre part que la cour d’appel, qui a constaté que les salariés, qui avaient travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 de la loi nº 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l’amiante ou des matériaux contenant de l’amiante, se trouvaient, par le fait des employeurs, dans une situation d’inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d’une telle maladie, a ainsi caractéri- Jurisprudence Sociale Lamy Attendu que la SNPE fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à MM. Y... et Z... une somme en réparation d’un préjudice d’anxiété, alors, selon le moyen, que l’octroi d’une somme de 10 000 euros à ces deux défendeurs est en contrariété directe avec les motifs du jugement et de l’arrêt selon lesquels les deux intéressés ne sont pas recevables à agir à l’encontre de la société SNPE du fait de l’accord transactionnel qui est intervenu le 30 août 1993 ; qu’en statuant de la sorte, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ; Mais attendu qu’une contradiction entre deux chefs du dispositif d’une décision pouvant, en application de l’article 461 du code de procédure civile, donner lieu à une requête en interprétation, ne peut ouvrir la voie de la cassation ; Et attendu qu’une contradiction est avérée tant entre les motifs qu’entre les chefs du dispositif de l’arrêt ; D’où il suit que le moyen n’est pas recevable ; PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois ; Condamne les sociétés SNPE, Eurenco, Manuco et Hérakles aux dépens afférents à leurs pourvois ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société SNPE à payer à M. X... la somme de 1 000 euros (pourvoi nº P 14-26. 909) et à M. A... et onze autres défendeurs (pourvoi nº Q 14-26. 910) également la somme de 1 000 euros ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Eurenco à payer MM. B..., C... et D... la somme de 1 000 euros (pourvoi nº R 14-26. 911) et à M. E... et vingt-cinq autres défendeurs (pourvoi nº S 14-26. 912) également la somme de 1 000 euros ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société Manuco à payer la somme de 1 000 euros à MM. F... et G... (pourvoi nº T 14-26. 913) ; Vu l’article 700 du code procédure civile, condamne la société Hérakles à payer la somme de 1 000 euros à MM. H... et I... (pourvoi nº U 14-26. 914) ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille seize. 7 Jurisprudence commentée RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL La demande en résiliation judiciaire, une liberté fondamentale 406-2 Jean-Philippe Lhernould, Professeur à la faculté de droit et des sciences sociales, Université de Poitiers Cass. soc., 3 févr. 2016, pourvoi n° 14-18.600, arrêt n° 272 FS-P+B L’employeur qui reproche au salarié, dans la lettre de licenciement, d’avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation de son contrat de travail porte atteinte à une liberté fondamentale entraînant la nullité du licenciement. Les faits Directeur régional d’une grande entreprise de conseil, le salarié a saisi, le 4 mars 2010, la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation de son contrat de travail. Mis à pied à titre conservatoire le 23 mars 2010, il a été licencié pour faute grave par lettre du 7 avril 2010. La lettre de licenciement était ainsi rédigée : « (…) il ne pouvait vous échapper que votre position de Direction de Région vous amenait à jouer un rôle moteur dans ce projet. Or, loin de nous exprimer clairement votre désaccord, vous n’avez cessé de Décoder les lettres accolées aux numéros d'arrêt de la Cour de cassation 8 F = Formation FS = Formation de section FP = Formation plénière tenter de compromettre les travaux en cours et avez engagé parallèlement avec moi-même des discussions en vue de rompre votre contrat de travail par la voie d’une rupture conventionnelle. Je n’y ai pas donné suite au regard du fait que je ne souhaitais pas votre départ et vous nous avez fait alors parvenir le 17 mars une demande de résiliation judiciaire de contrat de travail aux torts de KPMG dont j’attends avec intérêt de connaître exactement les tenants et aboutissants car cette saisine du conseil de prud’hommes de Nanterre en cours de contrat de travail n’a été précédée de votre part d’aucun courrier ou aucune demande P = Publication dans le Bulletin civil de la Cour de cassation b = Flash dans le Bulletin d'Information de la Cour de cassation Jurisprudence Sociale Lamy R = Mention dans le rapport de la Cour de cassation I = Figure sur le site Internet de la Cour de cassation Nº 406 22 MARS 2016 formelle mettant en cause une évolution de votre contrat qui vous aurait été préjudiciable. Si cette action en tant que telle n’est pas répréhensible, contrairement aux éléments précédents, cela me semble en dire long sur l’incompatibilité de nos positions (…) ». Les demandes et argumentations L’employeur fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles d’avoir prononcé la nullité du licenciement alors que, lorsque la lettre de licenciement invoque plusieurs motifs parmi lesquels l’exercice d’une action en justice, les juges ne pourraient prononcer la nullité qu’après avoir recherché si c’était ladite action qui était à l’origine de la rupture du contrat. En l’espèce, la lettre de licenciement reprochait au salarié, indépendamment des conditions dans lesquelles il avait formé une demande de résiliation judiciaire, l’insuffisance de résultats de sa région depuis plusieurs exercices, la sous-évaluation volontaire des charges présentées et la grave méconnaissance des règles internes en matière de provision. En s’abstenant de rechercher si, en l’état des autres griefs faits au salarié, c’était l’action intentée devant les juges prud’homaux qui avait motivé la rupture du contrat de travail, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-6, L. 1121-1 du Code du travail, et de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, l’employeur estimait que les juges du fond avaient dénaturé les pièces du dossier. En effet, la lettre de licenciement ne faisait pas grief au salarié d’avoir saisi la juridiction prud’homale mais d’avoir présenté une demande aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail sans avoir préalablement avisé la société d’un éventuel désaccord sur quelque sujet que ce soit. La décision, son analyse et sa portée Le moyen de l’employeur est rejeté : « ayant retenu, hors toute dénaturation, que l’employeur reprochait au salarié dans la lettre de licenciement d’avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation de son contrat de travail, la cour d’appel, qui a ainsi implicitement mais nécessairement écarté la preuve d’un abus ou d’une mauvaise foi de ce dernier dans l’exercice de son droit d’ester en justice, en a exactement déduit que ce grief, constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement ». • Droit d’ester en justice : une liberté fondamentale Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation érige au rang de liberté fondamentale le droit d’ester en justice. À propos d’un employeur qui avait rompu de manière anticipée le CDD (pour un motif manifestement illégal) suite à une action en requalification d’un CDI initiée par le salarié, elle avait ainsi jugé, au visa des articles L. 1121-1, L. 1243-1, R. 1455-6 du Code du travail, ensemble les articles 1315 du Code civil et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, « que le juge des référés peut, même en l’absence de disposition l’y autorisant, ordonner la poursuite des relations Nº 406 22 MARS 2016 contractuelles en cas de violation d’une liberté fondamentale par l’employeur » (Cass. soc., 6 févr. 2013, n° 11-11.740). Doit-on trouver trop sévère la solution de l’arrêt commenté ? On serait tenté de la comparer avec celle de l’article L. 1134-4 du Code du travail selon lequel est nul le licenciement d’un salarié faisant suite à une action en justice engagée par lui, sur le fondement des principes de non-discrimination, « lorsqu’il est établi que le licenciement n’a pas de cause réelle et sérieuse et constitue en réalité une mesure prise par l’employeur en raison de cette action en justice ». La nullité de l’article L. 1134-4 ne pourrait donc intervenir que sous conditions, en particulier l’absence de cause réelle et sérieuse. Dans l’espèce commentée, la Cour de cassation suit une voie autrement plus radicale et approuve les juges du fond d’avoir considéré que les autres griefs invoqués par l’employeur n’avaient pas à être étudiés, autrement dit qu’il importait peu que le licenciement puisse reposer sur une cause réelle et sérieuse. La Haute Juridiction pouvait-elle faire autrement dès lors qu’était en jeu une liberté fondamentale ? Il est difficile de le croire. L’arrêt du 3 février 2016 rejoint ainsi une jurisprudence bien établie selon laquelle une cause de nullité agit par voie de contamination : la rupture du contrat de travail est nécessairement nulle, peu importe qu’elle puisse par ailleurs avoir une justification et quand bien même celle-ci serait déterminante. La seule exception à la nullité serait la preuve d’un abus ou d’une mauvaise foi du salarié dans l’exercice de son droit d’ester en justice. • Enjeux Le principe est connu : « le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement » (Cass. soc., 13 mars 2001, n° 9945.735). À côté des nullités textuelles (violation du droit de grève, mesure discriminatoire, atteinte aux femmes enceintes, harcèlement…), le droit d’ester en justice dispose désormais d’une place solide parmi les libertés fondamentales, au sein desquelles on compte également la liberté de témoigner en justice (Cass. soc., 29 oct. 2013, n° 12-22.447). La conséquence pratique à tirer de l’arrêt du 3 février 2016 est la suivante : s’il n’est pas interdit en soi de licencier un salarié après que ce dernier aura exercé une demande en résiliation judiciaire (il faudra alors motiver le licenciement sur une cause réelle et sérieuse), en revanche constitue une atteinte à une liberté fondamentale le fait de licencier le salarié en raison d’une telle demande. L’employeur devra donc être vigilant et éviter tout comportement qui permettrait de laisser croire que le licenciement exprime un reproche adressé au salarié, celui d’avoir agi en résiliation judiciaire. Le fait pour l’employeur de procéder au licenciement dans la foulée de la demande en résiliation judiciaire pourrait-il être un indice de l’atteinte à la liberté fondamentale du salarié ? Pas nécessairement car il convient de distinguer le comportement (licite) de l’employeur consistant à réagir à une action du salarié de celui (illicite) consistant à faire grief au salarié d’avoir engagé une action judiciaire et d’en tirer comme conséquence le licenciement. En somme, l’atteinte à la liberté fondamentale serait établie dès lors que le licenciement prendrait les allures d’une mesure de rétorsion. Jurisprudence Sociale Lamy 9 Jurisprudence commentée TExTE DE L’aRRêT LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 9 avril 2014), qu’engagé le 9 décembre 1983 par la société KPMG en qualité de responsable mission révision pour occuper en dernier lieu les fonctions de directeur régional, M. X... a saisi, le 4 mars 2010, la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation de son contrat de travail ; que mis à pied à titre conservatoire le 23 mars 2010, il a été licencié pour faute grave par lettre du 7 avril 2010 ; Sur le premier moyen : Attendu que l’employeur fait grief à l’arrêt de prononcer la nullité du licenciement et de le condamner à payer au salarié diverses sommes au titre de la rupture du contrat de travail, alors, selon le moyen : 1º/ que le juge ne peut, en l’absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement ; que le licenciement échappe à la nullité si le comportement qui le motive constitue, de la part du salarié, un abus dans l’exercice de cette liberté ; que la lettre de licenciement reprochait au salarié d’avoir, en sa qualité de directeur de région appelé à jouer un rôle déterminant dans le projet « AK », cherché à compromettre ledit projet et, après avoir en vain tenté d’obtenir une rupture négociée, saisi directement le juge prud’homal d’une demande de résiliation judiciaire, sans l’avoir jamais avisé du moindre désaccord sur le projet ni sur l’exécution de son contrat ; qu’au soutien de ses écritures, la société avait souligné que cette demande de résiliation judiciaire, fondée sur une prétendue perte de responsabilités résultant de la mise en place du projet « AK », avait été formulée avec la plus parfaite mauvaise foi, dans la mesure où l’intéressé, qui était sur le point de créer sa propre entreprise, au demeurant avec d’autres salariés de la société KPMG, n’avait saisi le juge prud’homal qu’après son échec à obtenir une rupture négociée et conco- 10 mitamment à un départ qui, en tout état de cause, était acquis ; que la cour d’appel a estimé que les griefs qui étaient formulés à l’appui de la demande de résiliation judiciaire n’étaient pas fondés et que le salarié avait bien commencé à travailler à la création de sa société plusieurs mois avant son licenciement ; qu’en s’abstenant néanmoins de rechercher si sa demande de résiliation judiciaire n’avait pas été formée de mauvaise foi et ne révélait pas, en conséquence, l’exercice abusif par le salarié de son droit de saisir le juge prud’homal d’une demande en résiliation judiciaire de son contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 1121-1 du code du travail et de l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; 2º/ que les juges ne peuvent dénaturer les pièces du dossier ; que la lettre de licenciement ne faisait pas grief au salarié d’avoir saisi la juridiction prud’homale mais d’avoir présenté une demande aux fins d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, alors qu’il était responsable d’un projet capital, sans avoir préalablement avisé la société KPMG d’un éventuel désaccord sur quelque sujet que ce soit, en particulier sur ledit projet ; que la lettre de licenciement soulignait cette demande n’était pas « répréhensible en elle-même » ; qu’en considérant que la lettre de licenciement aurait reproché au salarié d’avoir saisi la juridiction prud’homale, la cour d’appel l’a dénaturée en violation du principe susvisé et de l’article L. 1232-6 du code du travail ; 3º/ que lorsque la lettre de licenciement invoque plusieurs motifs parmi lesquels l’exercice d’une action en justice, les juges ne peuvent prononcer la nullité qu’après avoir recherché si c’était ladite action qui était à l’origine de la rupture du contrat ; qu’en l’espèce la lettre de licenciement reprochait au salarié, indépendamment des conditions dans lesquelles il avait formé une demande de résiliation judiciaire, l’insuffisance de résultats de sa région depuis plusieurs exercices, la sous-évaluation volontaire Jurisprudence Sociale Lamy des charges présentées et la grave méconnaissance des règles internes en matière de provision ; qu’elle lui reprochait aussi de n’avoir « cessé de compromettre » le projet « AK », destiné à répondre aux normes d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, ce alors qu’il avait été investi de responsabilités particulières à ce titre ; qu’en s’abstenant de rechercher si, en l’état des autres griefs faits au salarié, c’était l’action intentée devant les juges prud’homaux qui avait motivé la rupture du contrat de travail, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-6, L. 1121-1 du code du travail, et de l’article 6, § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; Mais attendu qu’ayant retenu, hors toute dénaturation, que l’employeur reprochait au salarié dans la lettre de licenciement d’avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande en résiliation de son contrat de travail, la cour d’appel, qui a ainsi implicitement mais nécessairement écarté la preuve d’un abus ou d’une mauvaise foi de ce dernier dans l’exercice de son droit d’ester en justice, en a exactement déduit que ce grief, constitutif d’une atteinte à une liberté fondamentale, entraînait à lui seul la nullité du licenciement, de sorte qu’il n’y avait pas lieu d’examiner les autres griefs invoqués par l’employeur pour vérifier l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que le moyen n’est pas fondé ; Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le second moyen annexé qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne la société KPMG aux dépens ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la société KPMG à payer la somme de 3 000 euros à M. X... ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille seize. Nº 406 22 MARS 2016 LICENCIEMENT (SALARIÉS PROTÉGÉS) Omission par l’employeur d’un des mandats détenus par le salarié protégé dans la demande d’autorisation préalable de licenciement et droit à indemnisation en cas d’annulation de l’autorisation 406-3 Philippe Pacotte, Avocat associé, Delsol Avocats Julie LayatLe bourhis Avocat, Delsol Avocats Cass. soc., 3 févr. 2016, pourvoi n° 14-17.886, arrêt n° 266 FS-P+B Le fait pour l’employeur d’omettre l'indication d'un mandat détenu par un salarié protégé dans la demande d’autorisation de licenciement auprès de l’Inspection du travail emporte annulation de l’autorisation de licencier mais n’ouvre pas droit aux indemnités prévues en cas de licenciement en l’absence d’autorisation administrative. Les faits Le mandataire liquidateur d’une société placée en liquidation judiciaire a sollicité l’autorisation préalable de licencier un salarié protégé, titulaire de plusieurs mandats électifs et syndicaux. Après obtention de l’autorisation de l’inspection du travail, le licenciement pour motif économique a été prononcé. Les demandes et argumentations Sur recours hiérarchique du salarié protégé, l’autorisation de l’inspection du travail a été annulée, notamment en raison de l’omission, par l’employeur, dans sa demande, de la mention de l’un des mandats dont était titulaire le salarié, à savoir le mandat de conseiller de salarié. L’autorisation de licenciement a finalement été refusée par le ministère du Travail. Nº 406 22 MARS 2016 Le salarié protégé a saisi la juridiction prud’homale aux fins de faire inscrire la créance au passif de la liquidation judiciaire de la société au titre de l’indemnité pour violation du statut protecteur au titre du mandat de conseiller du salarié, de l’indemnité pour licenciement nul. Débouté de ses demandes par la cour d’appel, qui a retenu que le licenciement n’était pas nul mais sans cause réelle et sérieuse, le salarié protégé a formé un pourvoi en cassation. La décision, son analyse et sa portée La Chambre sociale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du salarié au motif que : « si l’omission, dans la demande présentée par l’employeur, de l’un des mandats exercé par le salarié, dès lors qu’elle n’a pas mis l’inspecteur du travail à même de procéder aux contrôles qu’il était tenu d’exercer au regard des exigences de Jurisprudence Sociale Lamy 11 Jurisprudence commentée ce mandat, emporte annulation de la décision d’autorisation du licenciement, cette annulation n’a pas pour effet de placer le salarié dans une situation identique à celle d’un salarié licencié en l’absence d’autorisation administrative ». quel le salarié bénéficie d’une protection et dont l’employeur a omis de faire état, il est tenu de le prendre en compte pour porter son appréciation, en vérifiant notamment si l’omission de l’employeur ne révèle pas une discrimination(2) ; Elle précise, dans un second attendu, les conséquences de cette omission en matière d’indemnisation pour le salarié : - lorsque l’administration a eu connaissance de chacun des mandats détenus par l’intéressé, la circonstance que la demande d’autorisation de licenciement ou la décision autorisant le licenciement ne fasse pas mention de l’un de ces mandats ne suffit pas, à elle seule, à établir que l’administration n’a pas, comme elle le doit, exercé son contrôle en tenant compte de chacun des mandats détenus par le salarié protégé(3). « Et attendu que la cour d’appel a exactement décidé que le défaut de mention de l’une des fonctions représentatives du salarié ayant justifié l’annulation de la décision autorisant le licenciement, ne caractérise pas une violation de son statut protecteur et que le salarié a droit, d’une part, à l’indemnisation de son préjudice depuis le licenciement et jusqu’à l’expiration du délai de deux mois suivant la notification de la décision annulant l’autorisation de licenciement, d’autre part, au paiement des indemnités de rupture, s’il n’en a pas bénéficié au moment du licenciement et s’il remplit les conditions pour y prétendre, et enfin au paiement de l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3 du Code du travail, s’il est établi que son licenciement était, au moment où il a été prononcé, dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le moyen, inopérant dans sa seconde branche, n’est pas fondé pour le surplus ». Par cette décision, la Chambre sociale confirme sa jurisprudence, laquelle est de surcroît en cohérence avec la jurisprudence du Conseil d’État. • Liste complète des mandats et contrôle de l’administration L’employeur doit joindre à l’inspection du travail toutes les pièces permettant de justifier de la nature des mandats détenus par le salarié protégé. Cette exigence se justifie par l’étendue du contrôle de l’inspection du travail. En effet, l’inspecteur du travail doit : - exercer son contrôle au regard des exigences propres à chaque mandat détenu par le salarié, et ainsi apprécier si le motif invoqué par l’employeur justifie la rupture du contrat de travail ; - contrôler l’absence de lien entre le projet de rupture du contrat de travail et la détention de chacun des mandats détenus ; - vérifier qu’il n’existe pas un motif d’intérêt général rendant inopportune la rupture du contrat de travail. • Liste incomplète des mandats et cause d’annulation de l’autorisation de licenciement Le Conseil d’État a eu l’occasion de juger à plusieurs reprises que l’omission de cette mention entraînait l’annulation de l’autorisation de licencier et ce, même si l’employeur faisait valoir qu’il n’avait pas connaissance de ce mandat(1). Toutefois, cette cause d’annulation n’est pas automatique. Ainsi, le Conseil d’État a eu l’occasion d’adopter les solutions suivantes : En l’espèce, le mandataire liquidateur n’avait manifestement pas fait état de ce mandat dans sa demande d’autorisation et il ressortait des éléments du dossier que (i) non seulement, la décision d’autorisation ne faisait pas référence à ce mandat, (ii) mais en outre, l’inspecteur du travail n’avait pas pu avoir connaissance de l’existence de ce mandat aux travers des éléments du dossier. Ainsi, l’annulation de l’autorisation de licencier se justifiait en l’espèce, l’administration n’ayant pas été mise en mesure d'exercer son contrôle de manière satisfaisante. • Annulation d’une autorisation de licenciement et licenciement sans autorisation : des sanctions différentes Si le droit à réintégration est ouvert au salarié protégé licencié sans autorisation ou sur une autorisation annulée, les règles d’indemnisation ne sont pas les mêmes dans chacune des deux hypothèses, en l’absence de réintégration. Ainsi, en cas de licenciement d’un salarié protégé sans autorisation, le licenciement est nécessairement nul et le salarié a droit à une indemnité pour le préjudice nécessairement subi, qui est au moins égale à l’indemnité prévue à l’article L. 1235-3 du Code du travail, c’est-à-dire six mois de salaire. Le salarié a également droit à une indemnité forfaitaire pour méconnaissance du statut protecteur. Cette indemnisation due au titre de la violation du statut protecteur correspond aux salaires qui auraient été perçus à compter de la date de licenciement jusqu’à l’expiration de la période de protection en cours au jour de la rupture, ce qui inclut la période de protection dont le salarié est susceptible de bénéficier en qualité d’ancien représentant du personnel. Il s’agit toutefois, d’une indemnité plafonnée à hauteur de 30 mois par la Cour de cassation s’agissant des représentants du personnel élus(4). Lorsque l’autorisation de licenciement a été donnée et est ensuite annulée, les dispositions de l’article L. 2422-4 du Code du travail trouvent à s’appliquer. Selon ces dispositions, lorsque l’annulation d’une décision d’autorisation est devenue définitive, le salarié a droit au paiement - si, en cours d’instruction de la demande d’autorisation, l’inspecteur du travail prend connaissance d’un mandat au titre du- (2) (3) (1) 12 CE, 22 juill. 1992, n° 109709 ; CE, 13 déc. 2005, n° 277748 ; CE, 20 mars 2009, n° 309195. (4) CE, 22 mai 2013, n° 340111. CE, 15 oct. 2014, n° 370620. Cass. soc., 15 avr. 2015, n° 13-24.182 et n° 13-27.211 ; Cass. soc., 14 oct. 2015, n° 14-12.193. Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 d’une indemnité correspondant aux salaires non versés entre la date de licenciement et l’expiration du délai de deux mois suivant la notification de l’annulation, s’il n’a pas demandé sa réintégration. Contrairement à l’indemnité due en cas de non-respect du statut protecteur, cette indemnité, qui constitue un complément de salaire, implique le versement des cotisations et contributions correspondantes. De plus, le salarié n’est pas fondé à cumuler cette somme avec les allocations chômage et les revenus d’activité professionnelle qu’il a perçus pendant cette période(5). Il en est de même de la pension d’invalidité perçue(6). Enfin, le salarié ne peut se prévaloir de la nullité de son licenciement. • Nature de l’indemnisation à laquelle le salarié peut prétendre En l’espèce, le salarié soutenait que dès lors que l’inspecteur du travail n’avait pas eu connaissance de son mandat de conseiller de salarié, aucune autorisation de licencier n’avait été donnée au titre de ce mandat. En conséquence, le salarié protégé sollicitait une indemnité au titre de la nullité de son licenciement et une indemnité au titre de la violation du statut protecteur. La Cour de cassation en a décidé autrement considérant qu’en cas d’omission de la mention d’un mandat dans la demande d’autorisation, le salarié protégé ne se trouve pas dans la situation dans laquelle aucune autorisation n’a été donnée, mais bien dans le cadre d’une annulation d’autorisation. Elle en tire donc les conséquences sur le plan de l’indemnisation. Ainsi, alors que le salarié avait chiffré sa demande d’indemnité pour violation du statut protecteur à hauteur de 51 437,28 euros, la Cour de cassation a confirmé la décision de la cour d’appel lui ayant alloué la somme de 5 000 euros correspondant aux salaires qu’il aurait perçus entre la date de son licenciement et l’expiration du délai de deux mois suivant la notification de la décision définitive, déduction faite des indemnités perçues au titre de l'assurance chômage. administrative pour un motif dit de légalité externe(7), le juge judiciaire est compétent pour apprécier le caractère réel et sérieux de la cause de licenciement(8). Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionalité transmise à la Cour de cassation, la question se posait de savoir si cette jurisprudence ne portait pas une atteinte excessive : - au droit d’égalité devant la loi de tous les citoyens ; - au principe de la séparation des pouvoirs ; - au principe d’indépendance de la juridiction administrative ; - au principe de la compétence exclusive de la juridiction administrative pour l’annulation ou la réformation des décisions prises dans l’exercice des prérogatives de puissance publique. La Cour de cassation a jugé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer cette question devant le Conseil constitutionnel au motif que : « la situation du salarié bénéficiant de la protection exceptionnelle instituée par le législateur en raison de l’exercice de fonctions représentatives qui, licencié sur le fondement d’une autorisation administrative ultérieurement annulée pour un motif de légalité externe par le juge administratif, est différente de celle du salarié licencié en violation de son statut protecteur et de celle du salarié dont le licenciement a été déclaré par le juge administratif comme ne reposant pas sur un motif de nature à le justifier. Il s’ensuit que, sans porter atteinte au principe de valeur constitutionnelle de la compétence et de l’indépendance de la juridiction administrative, le juge judiciaire est fondé à apprécier si l’intéressé, dont le licenciement n’était pas illicite lorsqu’il a été prononcé, remplit les conditions pour bénéficier de l’indemnité prévue en l’absence de cause réelle et sérieuse »(9). Ainsi, en l’espèce, l’annulation de l’autorisation portant sur un motif de légalité externe, à savoir l’omission d’un mandat dans la demande d’autorisation, il appartenait au juge judiciaire de statuer sur la cause réelle et sérieuse du licenciement du salarié protégé, qui ne pouvait se prévaloir automatiquement du versement de l’indemnité forfaitaire prévue à l’article L. 1235-3 du Code du travail. *** En outre, selon la Haute Juridiction, le salarié ne peut prétendre à une indemnité pour licenciement nul, mais seulement à l’indemnité prévue en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, s’il est établi que son licenciement était infondé au moment où il a été prononcé. Le salarié protégé n’a donc pas nécessairement droit à l’indemnité prévue à l’article L. 1235-3 du Code du travail dans cette hypothèse, contrairement au salarié protégé licencié sans autorisation de l’inspection du travail. • La compétence du juge judiciaire Selon la Cour de cassation et sur le fondement de l’article L. 2422-4 du Code du travail, en cas d’annulation de la décision (7) (8) (5) (6) Cass. soc., 13 nov. 2008, n° 07-41.331. Cass. soc., 29 sept. 2014, n° 13-15.733. Nº 406 22 MARS 2016 (9) Un motif de légalité externe de l’acte correspond à un motif relatif à la compétence de son auteur, à sa motivation ou à une irrégularité de procédure administrative. Cass. soc., 22 mai 1995, n° 92-45.243 ; Cass. soc., 5 févr. 2002, n° 99-43.896. Cass. soc., QPC, 11 juin 2012, n° 12-40.024. Jurisprudence Sociale Lamy 13 Jurisprudence commentée TExTE DE L’aRRêT LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant : Sur le moyen unique : Attendu, selon l’arrêt attaqué (Douai, 28 mars 2014), que M. X... a été engagé le 10 mai 1985 par la société Plovier en qualité de tresseur ; que la société a été placée en liquidation judiciaire le 3 octobre 2011, M. Y... étant désigné mandataire-liquidateur ; que M. X..., titulaire de plusieurs mandats électifs et syndicaux, a été licencié pour motif économique le 29 novembre 2011, après autorisation de l’inspecteur du travail du 23 novembre 2011 ; que le 24 mai 2012, sur recours hiérarchique, cette décision a été annulée, notamment en raison de l’omission par l’employeur dans sa demande de la mention de l’un des mandats dont était titulaire le salarié, et l’autorisation de licenciement refusée ; que M. X... a saisi la juridiction prud’homale pour fixation au passif de la liquidation de la société des créances liées à la nullité de son licenciement et à la violation du statut protecteur attaché au mandat omis ; Attendu que le salarié fait grief à l’arrêt de refuser de juger son licenciement nul pour défaut d’autorisation et de le débouter de sa demande visant à fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société à titre d’indemnité pour violation de son statut protecteur, d’indemnité pour licenciement nul et de l’indemnité couvrant la période de protection du mandat de conseiller du salarié, alors, selon le moyen : 1º/ que lorsqu’elle statue sur une demande d’autorisation de licenciement, l’autorité administrative doit prendre en compte toutes les fonctions représentatives du salarié, si bien que lorsque l’employeur a licencié le salarié après autorisation de l’inspecteur du travail, 14 mais sans avoir préalablement porté à la connaissance de celui-ci l’ensemble des mandats détenus par le salarié, le licenciement de ce dernier doit nécessairement être considéré comme nul pour avoir été prononcé sans autorisation par rapport à ces mandats ; qu’alors qu’il n’était pas contesté que ni la demande d’autorisation ni la décision de l’inspecteur ne visait le mandat de conseiller du salarié de M. X..., la cour d’appel a affirmé, pour le débouter de sa demande de nullité de son licenciement, qu’une autorisation a été demandée pour ses autres mandats, de telle sorte que M. X... a bénéficié de la même protection que celle que lui confère le statut que le mandataire liquidateur a omis de mentionner ; que ce faisant, la cour d’appel a statué par des motifs inopérants au regard du principe susvisé et a violé l’article L. 241121 du code du travail, ensemble l’article L. 2411-3 du même code ; 2º/ que les juges du fond sont tenus de répondre aux conclusions des parties ; que dans ses conclusions d’appel, M. X... a clairement et précisément fait valoir, éléments de preuve à l’appui, que son employeur, et donc M. Y... qui s’y était substitué, avaient connaissance de son mandat de conseiller salarié avant d’engager la procédure de licenciement ; que pour débouter M. X... de sa demande de nullité de son licenciement pour défaut d’autorisation, les premiers juges ont également affirmé, de façon surabondante, qu’il n’est pas contesté par M. X... que M. Y..., ès qualités, ignorait l’existence de ce troisième mandat ; que même à supposer, par impossible, que la cour d’appel a adopté ces motifs, elle a alors violé l’article 455 du code de procédure civile en s’abstenant de toute réponse aux conclusions de M. X... sur ce point ; Mais attendu que si l’omission, dans la demande présentée par l’employeur, de l’un des mandats exercé par le sala- Jurisprudence Sociale Lamy rié, dès lors qu’elle n’a pas mis l’inspecteur du travail à même de procéder aux contrôles qu’il était tenu d’exercer au regard des exigences de ce mandat, emporte annulation de la décision d’autorisation du licenciement, cette annulation n’a pas pour effet de placer le salarié dans une situation identique à celle d’un salarié licencié en l’absence d’autorisation administrative ; Et attendu que la cour d’appel a exactement décidé que le défaut de mention de l’une des fonctions représentatives du salarié ayant justifié l’annulation de la décision autorisant le licenciement, ne caractérise pas une violation de son statut protecteur et que le salarié a droit, d’une part, à l’indemnisation de son préjudice depuis le licenciement et jusqu’à l’expiration du délai de deux mois suivant la notification de la décision annulant l’autorisation de licenciement, d’autre part, au paiement des indemnités de rupture, s’il n’en a pas bénéficié au moment du licenciement et s’il remplit les conditions pour y prétendre, et enfin au paiement de l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail, s’il est établi que son licenciement était, au moment où il a été prononcé, dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que le moyen, inopérant dans sa seconde branche, n’est pas fondé pour le surplus ; PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi ; Condamne M. X... aux dépens ; Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille seize. Nº 406 22 MARS 2016 SANTÉ ET SÉCURITÉ Principe de responsabilité de l’employeur et faute du salarié 406-4 Hélène Tissandier, Cass. soc., 10 févr. 2016, pourvoi n° 14-24.350, arrêt n° 319 FS-P+B Les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n’affectent pas le principe de responsabilité de l’employeur. Les faits Le lieu de travail d’une salariée était contractuellement fixé à Marseille, le contrat restant muet sur l’ampleur des déplacements qu’elle était contrainte d’effectuer, son activité n’engendrant que des déplacements ponctuels sur l’ensemble du territoire national. Jusqu’en janvier 2008, ces déplacements demeurèrent occasionnels et exécutés sans contestation, mais, par la suite, et en raison de la conclusion d’un nouveau contrat, la salariée a vu son temps de travail partagé entre le Bourget et Marseille. Elle a dans le même temps été mise à disposition de la Direction régionale d’Îlede-France, pour une durée initialement prévue jusqu’en mars 2010. Pour autant, aucun avenant au contrat n’a été signé, malgré ses réclamations. La multitude des trajets, la pression engendrée et le rythme de travail soutenu ainsi que la double autorité à laquelle elle devait rendre des comptes la conduisirent à alerter ses supérieurs des conséquences sur sa vie personnelle et sur sa santé. La société n’a cependant pas pris de mesures concrètes pour y mettre fin. À la suite de plusieurs arrêts maladie, elle a été déclarée inapte à tout poste comportant des déplacements répétés à l’échelon national. Elle a été licenciée. Les demandes et argumentations La cour d’appel reconnaît que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse du fait du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat et pour inexécution déloyale du contrat de travail. Toutefois, après avoir relevé que la salariée a elle-même concouru à son dommage en acceptant un risque qu’elle dénonçait Nº 406 22 MARS 2016 Maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine, Membre de l’Institut Droit Dauphine dans le même temps, s’il correspondait à une augmentation de salaire, la cour d’appel limité le montant des dommages-intérêts alloués. La salariée saisit donc la Cour de cassation. La décision, son analyse et sa portée La Cour de cassation rend un arrêt de cassation pour violation de la loi, au visa de l’article L. 41211 du Code du travail : « les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n’affectent pas le principe de responsabilité de l’employeur ». On peut s’interroger sur le sens et la pertinence de cette affirmation. • Le principe de responsabilité de l’employeur ? La logique du droit du travail La formule retenue par la Cour de cassation est l’exacte reprise de l’article L. 4122-1 du Code du travail qui impose à « chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail », avant de préciser que « les dispositions du premier alinéa sont sans incidence sur le principe de la responsabilité de l’employeur ». L’arrêt doit donc être compris comme se fondant sur une articulation entre ce texte et celui visé par la décision. Aux termes de l’article L. 4121-1 du Code du travail (interprété à la lumière de la Directive CEE n° 89-391 du 12 juin 1989, visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail), l’employeur est tenu envers le salarié d’une obligation de sé- Jurisprudence Sociale Lamy 15 Jurisprudence commentée curité et, conformément à l’article L. 4122-1 du Code du travail, il ne peut s’exonérer, même partiellement, des conséquences de sa responsabilité en invoquant les manquements du salarié à sa propre obligation de veiller à sa santé et sa sécurité. Ainsi doit être entendue la quelque peu énigmatique formule légale évoquant le « principe de la responsabilité de l’employeur » - une responsabilité pour risques, instaurant l’idée d’une obligation de sécurité de résultat de l’employeur. Le salarié ne supportant pas les risques de l’activité (et parce que l’employeur a un pourvoir de direction et d’organisation du travail, v. F. Héas, « Le devenir de l’obligation de sécurité de résultat », Dr. ouvr. 2016, p. 10 : « Ce sont à titre principal les choix qu’ils opèrent, les décisions qu’il prend et les mesures qu’il met en oeuvre qui contribuent en premier lieu à une organisation sécurisée (ou pas, ou peu) du travail dans l’entreprise »), la responsabilité de principe de l’employeur se justifie. Aussi la Cour de cassation reproche-t-elle aux juges du fond d’avoir limité la réparation due à la salariée au prétexte qu’ « elle avait accepté un risque qu’elle dénonçait dans le même temps » - l’acceptation résultant de la demande d’augmentation de salaire corrélative. La solution est respectueuse tant de la lettre de la loi qui écarte tout effet exonératoire pour l’employeur des manquements des salariés, que de la jurisprudence antérieure (v., par ex., dans cette logique, Cass. soc., 12 janv. 2011, n° 09-70.838, mais peu d’arrêts invoquent ce principe ; v. Cass. soc., 24 sept. 2002, n° 08-18.291, non publié). • Quelle exonération pour l’employeur ? La logique du droit civil Rappelons d’abord qu’en l’espèce est en jeu la responsabilité contractuelle : or la Cour de cassation a soustrait, sauf faute lourde, la responsabilité du salarié envers son employeur aux règles communes de la responsabilité contractuelle, depuis l’arrêt du 27 novembre 1958 (Cass. soc., 27 nov. 1958, Bull. civ. IV, n° 1259 ; sur ces développements, v. F. Favennec-Héry, « L’obligation de sécurité du salarié », Dr. soc. 2007, 687). De même, en ce domaine, le principe de la réparation intégrale est écarté par le jeu de l’article 1150 du Code civil qui limite la réparation au dommage prévisible. Toutefois, c’est davantage sur les règles encadrant l’exonération du débiteur qu’il faut se pencher. TExTE DE L’aRRêT LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant : Attendu selon l’arrêt attaqué, que Mme X..., engagée par la société SCET le 17 février 2003 en qualité de consultante a fait l’objet de plusieurs arrêts maladie successifs ; qu’à l’issue d’une période de maladie, elle a été déclarée inapte à tout poste de travail comportant des déplacements répétés à l’échelon national ; qu’elle a été licenciée ; Sur les premier et second moyens du pourvoi principal de l’employeur : Attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée 16 Car, quoique la solution doive être approuvée, elle incite à s’interroger sur les possibilités qu’a l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité, spécialement à l’aune des évolutions récentes et discutées de la jurisprudence sur l’obligation de sécurité de résultat. Cette qualification implique de ne retenir comme cause d’exonération que les faits (y compris le fait de la victime ou le fait du tiers) constitutifs d’un événement de force majeure – donc un événement imprévisible, irrésistible et extérieur. Tandis que la qualification d’obligation de moyens, impliquant la démonstration d’une faute contractuelle, soit que le débiteur de l’obligation n’a pas mis en œuvre tous les moyens pour atteindre un résultat identifié, permet une exonération par la preuve de l’absence de faute et une limitation du droit à réparation de la victime a due proportion de sa faute ayant participé à la réalisation du dommage (lorsque celle-ci ne présente par les caractéristiques de la force majeure). En l’espèce, la cour d’appel a manifestement été sensible à l’idée d’une participation active de la victime à la réalisation de son dommage, ce qui ne s’entend que si l’employeur n’est tenu que d’une obligation de moyens. La solution rendue par la Cour de cassation invalide fermement ce raisonnement. On ne peut s’empêcher cependant d’y voir l’écho des discussions doctrinales en interprétation de l’arrêt rendu le 25 novembre 2015 (Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-24.444 ; v. F. Héas, préc. ; E. Wurtz, D. 2016, 144) qui insiste sur l’appréciation du comportement de l’employeur et qui peut être lu comme qualifiant l’obligation de sécurité de l’employeur d’obligation de moyen renforcée – ou d’obligation de résultat atténuée. La décision rendue le 10 février 2016 montre clairement qu’en tout état de cause, la faute de la victime ne suffit pas à limiter son droit à réparation. Reste à apprécier si c’est parce que le texte de la loi peut être interprété en ce sens, ou parce que l’intensité de l’obligation de l’employeur n’est pas remise en cause par l’arrêt du 25 novembre 2015. À tout le moins, il paraît souhaitable que le comportement du salarié, son éventuelle acceptation du risque (spécialement contre un avantage salarial alors que la situation de l’entreprise peut le contraindre à cette acceptation) ne puisse justifier une atténuation du « principe de responsabilité de l’employeur ». sur ces moyens annexés qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ; Mais sur le premier moyen du pourvoi incident de la salariée : Vu l’article L. 4121-1 du code du travail ; Attendu que pour limiter le montant des dommages-intérêts alloués pour manquements de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat et pour inexécution déloyale du contrat de travail, l’arrêt, après avoir relevé, que les certificats médicaux joints aux débats attestent des conséquences des conditions de travail de l’intéressée sur sa santé et que la société est manifestement fautive pour n’avoir pas pris en compte les risques Jurisprudence Sociale Lamy d’un état de fait qu’elle connaissait, que pour autant, l’indemnisation due doit également inclure la propre attitude de la salariée, laquelle a elle-même concouru à son dommage en acceptant un risque qu’elle dénonçait dans le même temps, s’il correspondait à une augmentation de son salaire, et que si elle était dans son droit de le faire, il est néanmoins juste qu’elle en supporte également les incidences ; Qu’en statuant ainsi, alors que les obligations des travailleurs dans le domaine de la sécurité et de la santé au travail n’affectent pas le principe de responsabilité de l’employeur, la cour d’appel a violé le texte susvisé ; Nº 406 22 MARS 2016 Et sur le second moyen du pourvoi incident de la salariée : Vu l’article 455 du code de procédure civile ; Attendu que pour débouter la salariée de sa demande en paiement d’une somme à titre de congés payés, l’arrêt retient que dès lors que celle-ci a réclamé et obtenu dix jours de congés décomptés sur la période du 3 au 14 janvier 2011, l’employeur était en droit d’en décompter le montant, les principes juridiques rappelés par l’intéressée étant sans incidence sur cette opération ; Qu’en statuant par cette seule affirmation, sans préciser ces principes ni expliciter en quoi ils auraient été dépourvu d’incidence, alors que la salariée invoquait expressément les dispositions de l’article L. 1226-4 du code du travail, la cour d’appel, dont il résultait de ses constatations que la période avait couru à l’expiration du délai d’un mois prévu par ce texte n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ; vence ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ; PAR CES MOTIFS : Condamne la société SCET aux dépens ; CASSE ET ANNULE, mais seulement, d’une part, en ce qu’il condamne la société SCET à payer à Mme X... la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l’obligation de sécurité de résultat et la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, d’autre part en ce qu’il la déboute de sa demande en paiement de la somme de 1 833,90 euros à titre de congés payés, l’arrêt rendu le 4 juillet 2014, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Pro- Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ; Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix février deux mille seize. BULLETIN D’ABONNEMENT À retourner à l’adresse suivante : Wolters Kluwer France - Service clients Case postale 402 - 14, rue Fructidor - 75814 Paris cedex 17 - [email protected] 0 825 08 08 00 0,15 € / min 002703 008 Oui, je souahaite m’abonner à la Jurisprudence Sociale Lamy Version JURISPRUDENCE SOCIALE LAMY ❏ Papier Restez au fait des dernières évolutions jurisprudentielles ! Mme Réf. Tarif HT TVA Tarif TTC 00193 509,00€ 2,1% 519,69 € M. 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Une telle demande vise à demander au juge de se prononcer sur la gravité des manquements mis en avant par le salarié (et lui seul : l’employeur n’est pas admis à demander la résiliation du contrat de travail, il ne peut que licencier). En attendant la décision judiciaire, le contrat de travail se poursuit. Si le juge estime les faits présentés suffisamment graves, il prononcera la résiliation judiciaire du contrat aux torts de l’employeur, et cette résiliation produira alors les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 7 avr. 1999, n° 97-40.391, JSL n° 37-10 du 1er juin 1999). Sinon, le contrat de travail n’est pas rompu, il continue : le salarié est simplement débouté de sa demande ; une demande de résiliation rejetée ne vaut pas démission (Cass. soc., 26 sept. 2007, n° 06-42.551, JSL n° 220-3 du 23 oct. 2007). Invoquant des manquements de son employeur, un salarié protégé saisit les prud’hommes afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Il obtient satisfaction : la résiliation est prononcée aux torts de l’employeur avec effet à la date du jugement prud’homal. Mais la Cour de cassation a censuré ce jugement, en énonçant : « la date de la résiliation du contrat de travail ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date ; que si, en cas de confirmation en appel du jugement prononçant la résiliation, la date de la rupture est celle fixée par le jugement, il en va autrement lorsque l’exécution du contrat de travail s’est poursuivie après cette décision ». Avant de fixer la date de résiliation judiciaire au jour du jugement prud’homal, la cour d’appel aurait donc dû vérifier si l’exécution du contrat de travail ne s’était pas poursuivie postérieurement au jugement. La date de résiliation judiciaire sera alors fixée au jour de l’arrêt d’appel validant ladite résiliation, et non au jour du jugement prud’homal (Cass. soc., 21 janv. 2014, n° 12-28.237, JSL n° 362-6 du 24 mars 2014). Soulignons aussi, ainsi que l’évoque la Cour de cassation dans cet arrêt, que si le salarié est licencié avant d’avoir obtenu la résiliation de son contrat de travail, c’est à la date d’envoi de la lettre de licenciement qu’il convient de fixer la date de rupture du contrat de travail, et non à date de la demande de résiliation judiciaire présentée par le salarié (Cass. soc., 15 mai 2007, n° 0443.663, JSL n° 216-5 du 31 juill. 2007). 18 D’ailleurs, ce n’est jamais à la date de demande de résiliation que cette dernière prend effet, mais à la date de la décision judiciaire la prononçant (Cass. soc., 19 mai 2010, n° 08-45.090). D.J.-P. LIbERTÉS INDIVIDUELLES Un audit sur la manière dont un salarié assume ses fonctions n’est pas un élément de preuve obtenu par un moyen illicite si l’intéressé n’en est pas tenu à l’écart 406-6 Cass. soc., 26 janv. 2016, pourvoi n° 14-19.002, arrêt n° 143 FS-P+B Après un avertissement pour refus d’exécuter les instructions émanant de sa hiérarchie, une responsable administrative est licenciée à la suite d’un rapport d’audit réalisé par un cabinet d’expertise comptable faisant apparaître qu’elle outrepassait largement ses fonctions. Elle invoque alors l’article L. 1222-4 du Code du travail qui stipule qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été préalablement porté à sa connaissance. Or elle expose qu’elle n’avait pas été avertie de la mise en œuvre de cet audit au sein de l’entreprise alors que le but était de permettre à l’employeur de mieux appréhender ses fonctions et de vérifier qu’elle n’exerçait pas un pouvoir excédant ce que son poste lui permettait, ce qui nécessitait de l’en informer. Pour la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, la réalisation d’un tel audit constituait une manifestation du pouvoir de direction de l’employeur, lequel comprend le pouvoir d’organiser et de commander la prestation de travail : il n’y avait pas de violation des libertés individuelles. Le raisonnement de la salariée n’a pas convaincu les Hauts Magistrats : « Mais attendu qu’ayant relevé, que si la salariée n’avait pas été préalablement informée de la mission confiée par l’employeur à une société d’expertise comptable et de commissariat aux comptes, elle n’avait pas été tenue à l’écart des travaux réalisés dans les locaux de la mutuelle, les 6 et 25 juin 2012, aux fins d’entretiens avec l’intéressée et de sondage sur des pièces comptables ou juridiques, la cour d’appel a pu en déduire que la réalisation de cet "audit" ne constituait pas un élément de preuve obtenu par un moyen illicite ». Les auditeurs étaient intervenus à deux reprises dans les locaux où travaillait la salariée, qui avait d’ailleurs des entretiens avec eux : la démarche ne lui avait donc pas été cachée. Une solution qui ne surprendra pas. Selon la jurisprudence, un audit occasionnel visant à analyser l’organisation du travail en vue de faire des propositions d’amélioration d’un service n’est pas nécessairement un moyen de contrôle des salariés et n’impose donc pas toujours de se soumettre aux obligations d’information préalable du personnel et du comité d’entreprise (Cass. soc., 12 juill. 2010, n° 09-66.339, JSL n° 285-2 du 13 oct. 2010). Jurisprudence Sociale Lamy D.J.-P. Nº 406 22 MARS 2016 SALARIÉS PROTÉGÉS tion, et non au jour du jugement prud’homal (Cass. soc., 21 janv. 2014, n° 12-28.237, JSL n° 362-6 du 24 mars 2014). Plafonnement à 30 mois de l’indemnité pour violation du statut protecteur d’un conseiller prud’homme D.J.-P. 406-7 Cass. soc., 3 févr. 2016, pourvoi n° 14-17.000, arrêt n° 268 FS-P+B Un responsable des ressources humaines, par ailleurs conseiller prud’homal, demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de manquements de son employeur. Le Conseil de prud’hommes de Vannes fait droit à cette requête : il prononce la résiliation judiciaire aux torts de l’employeur avec effet à la date du jugement prud’homal et condamne l’employeur au paiement d’indemnités de rupture, de dommages et intérêts pour licenciement nul et d’une indemnité pour violation du statut protecteur égale à 49 mois de salaire. Les conseillers prud’homaux ont, en effet, considéré que les manquements graves de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat ont largement contribué à la dégradation des conditions de travail du salarié, en lui imposant notamment une modification substantielle de son contrat de travail alors qu’il était en arrêt maladie à la suite d’un accident du travail. Pour chiffrer l’indemnité pour violation de son statut protecteur lié à son mandat de conseiller prud’homal, les juges ont pris en compte les salaires qu’il aurait dû percevoir depuis la date de la rupture du contrat de travail, fixée à la date du prononcé du jugement du conseil de prud’hommes, jusqu’à la fin de la période de protection (durée du mandat de conseiller aux prud’hommes augmentée de six mois : C. trav., art. L. 2411-1 ; C. trav., art. L. 2411-22). Ce jugement a été réformé : « attendu ensuite, que le conseiller prud’homme dont la demande de résiliation judiciaire est accueillie a droit, au titre de la violation de son statut protecteur, au paiement d’une indemnité égale à la rémunération qu’il aurait dû percevoir depuis la date de prise d’effet de la résiliation jusqu’à l’expiration de la période de protection résultant du mandat en cours à la date de la demande, dans la limite de deux ans, durée minimale légale du mandat des représentants élus du personnel, augmentée de six mois », c’est-à-dire 30 mois. Notons que ce plafond de deux ans et demi s’applique aussi à d’autres catégories de salariés protégés, tels que les délégués du personnel (Cass. soc., 15 avr. 2015, n° 13-24.182, JSL n° 389-5 du 10 juin 2015). La Cour de cassation a par ailleurs également énoncé que « la date de la résiliation du contrat de travail ne peut être fixée qu’au jour de la décision qui la prononce dès lors que le contrat n’a pas été rompu avant cette date ; que si, en cas de confirmation en appel du jugement prononçant la résiliation, la date de la rupture est celle fixée par le jugement, il en va autrement lorsque l’exécution du contrat de travail s’est poursuivie après cette décision ». Avant de fixer la date de résiliation judiciaire au jour du jugement prud’homal, la cour d’appel aurait donc dû vérifier si l’exécution du contrat de travail ne s’était pas poursuivie postérieurement au jugement. Dans une telle hypothèse, la date de résiliation judiciaire sera fixée au jour de l’arrêt d’appel validant ladite résilia- Nº 406 22 MARS 2016 PROCÉDURE PRUD’HOMALE Pourvoi additionnel contre un arrêt d’appel de sursis à statuer : nonrétroactivité du décret du 6 novembre 2014 406-8 Cass. soc., 10 déc. 2015, pourvoi n° 14-21.852, arrêt n° 2143 FS-P+B Avant le décret n° 2014-1338 du 6 novembre 2014, relatif à la procédure civile applicable devant la Cour de cassation, l’article 608 Code de procédure civile était interprété comme suit : un pourvoi contre une décision avant-dire droit, telle qu’un sursis à statuer, devait être formé le même jour ou dans le même acte que le pourvoi dirigé contre le jugement statuant au fond. Après l’intervention de ce décret modifiant l’article 608 susvisé, il est devenu possible de former ce pourvoi dans le délai de remise au greffe du mémoire affèrent au pourvoi contre le jugement sur le fond. Le délai pour former un pourvoi additionnel est donc allongé (Circ. du 12 nov. 2014 de présentation du décret n° 20141338 du 6 nov. 2014). Mais cet assouplissement n’a pas d’effet rétroactif, comme le démontre l’affaire ici rapportée. Un chef de chantier a été congédié en 2002 et a contesté son licenciement. En 2006, la cour d’appel a sursis à statuer jusqu’à ce qu’il soit prononcé définitivement sur la plainte pénale déposée par la société à l’encontre du salarié. En mai 2014, la cour d’appel juge que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et déboute le salarié de ses demandes. Le 28 juillet 2014, le salarié forme un pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel du 28 mai 2014, puis présente un pourvoi additionnel contre l’arrêt d’appel du 20 novembre 2006, ce dernier étant joint au mémoire ampliatif déposé conformément à l’article 978 du Code de procédure civile, lequel prévoit que dans un délai de quatre mois à compter du pourvoi, le demandeur en cassation doit remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée. Il s’est heurté à un refus de la Cour de cassation : « attendu que les voies de recours dont un arrêt est susceptible sont régies par la loi en vigueur à la date de celui-ci, de sorte que l’arrêt rendu le 20 novembre 2006, qui n’avait pas fait l’objet du recours prévu par l’article 380-1 du Code de procédure civile, ne pouvait être frappé d’un pourvoi en cassation indépendamment de l’arrêt sur le fond, en application de l’article 608 du Code de procédure civile dans sa rédaction alors applicable ; qu’il s’ensuit que le pourvoi n’est pas recevable ». L’article 380-1 du Code de procédure civile énonce que la décision de sursis rendue en dernier ressort peut être attaquée par la voie du pourvoi en cassation, mais seulement pour violation de la règle de droit. En l’espèce, au regard de règles antérieures au décret du 6 novembre 2014 précité, le pourvoi additionnel avait été déposé trop tard. Jurisprudence Sociale Lamy D.J.-P. 19 Jurisprudence résumée DÉLIT D’ENTRAVE La suppression par la loi du 6 août 2015 de la peine d’emprisonnement pour entrave au fonctionnement régulier d’un comité d’entreprise s’applique aux affaires en cours à cette date 406-9 Cass. crim., 26 janv. 2016, pourvoi n° 13-82.158, arrêt n° 6610 F-P+B Deux dirigeants se voient condamnés à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et 3 750 euros d’amende en appel pour entrave au fonctionnement du comité d’entreprise. Il leur est reproché ne pas avoir élaboré l’ordre du jour d’une réunion en concertation avec le secrétaire du CE, de ne pas avoir organisé toutes les réunions obligatoires, de ne pas avoir donné au CE toutes les informations adéquates et de ne pas avoir consulté le CE au sujet du dépôt de l’état de cessation des paiements de l’entreprise. La Cour de cassation a considéré que le délit d’entrave était établi : « la cour d’appel, […], a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, le délit d’entrave au fonctionnement du comité d’entreprise dont elle a déclaré les prévenus coupables, et a ainsi justifié l’allocation, au profit de la partie civile, de l’indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ». Mais l’intérêt de cet arrêt est ailleurs : il est de déterminer l’articulation des procédures judiciaires en cours avec l’une des dispositions de la loi Macron n° 2015-990 du 6 août 2015 (article 262, traduit dans l’article L. 2328-1 du Code du travail), qui a supprimé la peine de prison qui était jusqu’alors attachée au délit d’entrave au fonctionnement régulier d’un comité d’entreprise. Pour les prévenus, cette disposition était d’application immédiate, ce qu’a confirmé la Cour de cassation : « attendu que les dispositions d’une loi nouvelle s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes ; Attendu que, si les juges [NDLR : les juges d’appel dans leur arrêt du 15 janvier 2013] avaient la faculté de prononcer contre M. X... et M. Y... une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis, en vertu de l’article L. 2328-1 du Code du travail, dans sa version alors applicable, ce texte, modifié par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 a supprimé, en matière d’entrave au fonctionnement régulier d’un comité d’entreprise ou d’un comité central d’entreprise, la peine d’emprisonnement ; d’où il suit que l’annulation est encourue de ce chef ». Rappelons que la loi Macron a fait passer l’amende pour entrave au fonctionnement régulier d’un comité d’entreprise de 3 750 euros à 7 500 euros et que la peine d’emprisonnement d’un an demeure pour entrave soit à la constitution d’un comité d’entreprise, soit à la libre désignation de ses membres. REPRÉSENTATIVITÉ PATRONALE Les dispositions du Code du travail relatives à la mesure de la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs sont constitutionnelles 406-10 Cons. constit., QPC, 3 févr. 2016, n° 2015-519 Le Conseil constitutionnel avait été saisi par le Conseil d’État (CE, 9 nov. 2015, n° 392476) d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à la Constitution du 6° de l’article L. 2151-1, du 3° de l’article L. 2152-1 et du 3° de l’article L. 2152-4 du Code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2014-288 du 5 mars 2014, relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Rappelons, pour mémoire, que ces dispositions traitent de la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs. Leur audience se mesure en fonction du nombre d’entreprises adhérentes au niveau de la branche professionnelle ou au niveau national et interprofessionnel. Sont représentatives les organisations professionnelles d’employeurs dont les entreprises adhérentes, à jour de leurs cotisations, représentent au moins 8 % de l’ensemble des entreprises adhérentes. Les auteurs de la question prioritaire de constitutionnalité soutenaient principalement que ces dispositions méconnaissaient les exigences du Préambule de la Constitution et le principe d’égalité devant la loi, notamment en ne pondérant pas les mesures d’audience en fonction du nombre des salariés ou du chiffre d’affaires des entreprises. Pour eux, le législateur a aussi méconnu la liberté syndicale, ce mode de mesure ne garantissant pas la participation des employeurs à la négociation collective. Mais le Conseil constitutionnel n’a pas invalidé les articles critiqués : « Considérant, d’une part, qu’en prévoyant que l’audience de ces organisations se mesure en fonction du nombre des entreprises adhérentes, le législateur a entendu assurer un égal accès à la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs quel que soit le nombre des salariés employés par les entreprises adhérentes ou leur chiffre d’affaires ; qu’en outre, en vertu du troisième alinéa de l’article L. 2261-19 du Code du travail, le nombre de salariés des entreprises adhérant aux organisations professionnelles d’employeurs est pris en compte en matière de négociation collective ». Les Sages ont ajouté que « d’autre part, (…) la liberté d’adhérer au syndicat de son choix, prévue par le sixième alinéa du Préambule de 1946, n’impose pas que toutes les organisations professionnelles d’employeurs soient reconnues comme étant représentatives indépendamment de leur audience ; qu’en fixant à 8 % le seuil minimum d’audience permettant l’accès à la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs, le législateur a entendu éviter la dispersion de la représentativité patronale et n’a pas fait obstacle au pluralisme ». Il en résultait que le législateur n’avait pas méconnu les exigences du Préambule de la Constitution ni d’ailleurs le principe de la liberté syndicale. D.J.-P. 20 Jurisprudence Sociale Lamy D.J.-P. Nº 406 22 MARS 2016 L'inédit TRANSFERT D’ENTREPRISE Conséquences sur les contrats de travail de la résiliation d’un contrat relatif à la gestion d’une entité économique autonome 406-11 Clémence Souchon, Avocat à la Cour, Associée, Vivant Chiss Cass. soc., 4 févr. 2016, pourvoi n° 14-28.005, arrêt n° 259 F-D ayant constaté que l’entité économique, dont la gestion avait été confiée à une société en vertu d’un contrat de prestations de services, avait été transférée à la commune à la suite de la résiliation de cette convention, dans des conditions qui n’empêchaient pas la continuation de son exploitation, la cour d’appel en a exactement déduit que cette dernière était légalement tenue de poursuivre les contrats de travail. Les faits La commune de Freyming-Merlebach avait confié la gestion d’une halte-garderie à la société People and Baby par le biais d’une convention dénommée « contrat de prestations de services pour la gestion de la halte-garderie ». Aux termes de cette convention, l’ensemble du matériel, mobilier, et locaux nécessaires à l’exploitation de la halte-garderie avait été mis à disposition de la société People and Baby par la commune. De même, la société avait repris le personnel employé par le précédent gestionnaire de la halte-garderie. La convention passée entre la commune et la société People and Baby prévoyait également les modalités et les conséquences de sa résiliation, et notamment qu’ « en cas de reprise en gestion directement par la ville, celle-ci s’engage soit à reprendre le personnel de la structure, soit à verser les indemnités qui sont dues au personnel ». Or, après la résiliation de ce contrat par la société People and Baby, la halte-garderie n’a finalement été reprise ni par la commune, ni par Nº 406 22 MARS 2016 Emmanuel de Montalembert, Avocat à la Cour, Vivant Chiss aucun autre repreneur, et les salariés ont saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de leurs contrats de travail aux torts exclusifs de la société. La Cour d’appel de Metz a prononcé la résiliation judicaire des contrats de travail aux torts de la commune, après avoir constaté que lesdits contrats de travail avaient été transférés à la commune en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Selon elle, « la décision de la société People and Baby de résilier la convention passée avec la commune n’a pas eu pour effet de faire disparaître totalement l’activité de halte-garderie puisque des éléments d’actifs dont la commune était propriétaire lui sont revenus, de sorte que ladite activité était susceptible d’être poursuivie. Dès lors, le retour à la commune des éléments corporels nécessaires à l’exploitation de la halte-garderie et la possibilité de continuer l’activité créaient les conditions du transfert de l’entité économique constituée par la halte-garderie et par voie de conséquence emportait transfert des contrats de travail des salariées affectées à celle-ci » (CA Metz, 1er oct. 2014, n° 12/02423). Jurisprudence Sociale Lamy 21 L'inédit Les demandes et argumentations que la même activité s’est poursuivie chez le repreneur avec les mêmes moyens. Au soutien de son pourvoi, la commune faisait valoir que la résiliation du contrat de prestation de service par la société n’entraînait pas le transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité était poursuivie ou reprise. En effet, selon la commune, l’activité de halte-garderie avait été arrêtée par la société du fait de la résiliation du contrat de prestation de services. La restitution des seuls moyens d’exploitation de cette activité à la commune n’avait donc pu à elle seule, entraîner le transfert d’une entité économique autonome, ce d’autant que la commune avait choisi de ne pas reprendre, ni poursuivre, cette activité. En revanche, l’identité n’existe plus en cas de changement d’activité, de disparition de l’entité, ou de cessation pure et simple de l’activité sans reprise de son exploitation par un successeur (Cass. soc., 3 mars 1988, n° 84-43.596 ; Cass. soc., 30 mars 2011, n° 0972.260). En effet, si la CJUE et la Cour de cassation admettent qu’une suspension temporaire d’activité ne peut faire échec au maintien des contrats de travail (CJCE, 2 déc. 1999, aff. C-234/98, Allen c/ Amalgamated Construction Co. Ltd ; Cass. soc., 12 oct. 1999, n° 97-42.850 ; Cass. soc., 19 janv. 2011, n° 09-72.317), il en va différemment en cas de cessation définitive de l’activité. La décision, son analyse et sa portée De façon pour le moins lapidaire, la Cour de cassation rejette le pourvoi de la commune. Selon la Haute Juridiction, la halte-garderie constituait une entité économique autonome dont la gestion avait été confiée à la société People and Baby, en vertu d’un contrat de prestations de services. Suite à la résiliation de cette convention, l’entité avait été transférée à la commune dans des conditions qui n’empêchaient pas la continuation de son exploitation et, dès lors, cette dernière était légalement tenue de poursuivre les contrats de travail. On peut noter, même si le principe en est désormais admis depuis longtemps (Cass. soc., 25 juin 2002, n° 01-43.467 ; Cass. soc., 14 janv. 2003, n° 01-43.676), qu’en l’espèce, il y avait transfert des contrats de travail d’une personne privée à une personne publique en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail. À cet égard, il a notamment été jugé que la résiliation d’un contrat de concession ou d’affermage liant une collectivité publique à une personne privée chargée de l’exploitation d’une entité économique entraîne le transfert des contrats de travail des salariés affectés à cette entité à la collectivité publique qui en reprend l’exploitation à son propre compte (Cass. soc., 24 févr. 2004, n° 01-40.714 ; Cass. soc., 13 juin 2006, n° 04-44.087). Mais qu’en est-il lorsque la personne publique décide, lors de la résiliation d’un tel contrat, de ne pas poursuivre, ni reprendre cette activité ? Le sort des contrats de travail peut-il être prévu/ fixé par le contrat de prestation ? C’est précisément les questions qui étaient posées à la Cour dans l’affaire « People and Baby ». • La décision de la commune de ne pas poursuivre ou reprendre l’activité de haltegarderie ne fait pas échec à l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail Selon une jurisprudence constante, l’article L. 1224-1 du Code du travail, interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, ne s’applique qu’en cas de transfert d’une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise (Cass. soc., 2 mars 2010, n° 0941.080 ; Cass. soc., 30 janv. 2007, n° 05-43.447). Pour que le transfert des contrats de travail s’opère par l’effet de la loi, il est donc nécessaire de constater qu’après le transfert, l’entité économique reprise a conservé son identité, c’est–à-dire 22 En l’espèce, la commune se prévalait notamment de l’absence de poursuite de l’activité de la halte-garderie pour contester l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail. Cet argument est écarté par la Haute Juridiction. Partant du principe que la résiliation de la convention de gestion de la halte-garderie a entraîné le transfert de l’entité économique autonome à la commune dans des conditions qui n’empêchaient pas la continuation de son exploitation, elle en déduit que la commune était légalement tenue de poursuivre les contrats de travail, peu important que cette dernière ne poursuive pas l’activité transférée. La solution posée ici n’est pas nouvelle. On retrouve d’ailleurs une formulation en tout point identique dans deux arrêts précédents dont les faits étaient proches de ceux de l’espèce (Cass. soc., 4 juill. 2006, n° 04-46404 et Cass. soc., 30 janv. 2007, n° 05-43.441), à savoir la résiliation d’un contrat d’affermage liant une collectivité publique à une personne privée chargée de l’exploitation d’un centre aquatique. Néanmoins, dans ces deux affaires, il n’y avait pas eu de réelle cessation de l’activité exploitée. Suite à la résiliation du contrat d’affermage, l’activité du centre aquatique n’avait été que temporairement interrompue, l’exploitation de l’entité économique ayant par la suite été confiée à un nouvel exploitant privé. La solution retenue ici par la Cour de cassation est pour le moins logique et cohérente, tant sur le plan économique que juridique. L’idée sous jacente étant que la commune reste « propriétaire » de l’entité économique dont elle a confié la gestion à un tiers par un contrat ; à l’échéance de ce dernier, l’entité économique a donc vocation à revenir à la commune, ce qui entraîne le transfert des contrats de travail des salariés qui y sont affectés dès lors que celle-ci n’a pas été transformée et que son exploitation reste donc possible. Admettre que l’absence de poursuite de l’activité par la commune est de nature à faire échec à l’article L. 1224-1 reviendrait à lui permettre de faire obstacle par sa seule volonté à l’application de cette disposition d’ordre public, alors même que les conditions permettant la poursuite de l’activité sont réunies. Il en va différemment lorsqu’avant même la résiliation de la convention d’exploitation passée avec la personne publique, l’entité économique perd son identité, notamment en cas de changement d’activité par suite des la cession des éléments d’actifs nécessaires à celle-ci (par exemple, la vente des animaux d’un parc animalier exploité dans le cadre d’un contrat d’affermage ; Cass. soc., 4 juill. 2012, n° 10-28.229). On pourrait conclure de ce dernier arrêt que seules les transformations ou modifications affectant l’entité avant la résiliation du contrat conclue pour l’exploiter ou la gérer doivent être prises en compte pour apprécier s’il y a ou non maintien de son identité à Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 l’occasion du transfert. Ce n’est pourtant pas la solution qu’a retenue la Cour de cassation dans un arrêt du 25 novembre 2015 (Cass. soc., 25 nov. 2015, n° 14-19.086). Cet arrêt a été rendu à propos de la résiliation d’un contrat d’affermage par lequel une commune avait confié l’exploitation d’une salle de cinématographe à une société. Suite à la résiliation de la convention, la commune a immédiatement engagé des travaux remaniant les locaux tout en changeant les moyens d’exploitation. Selon la Haute Juridiction, il résultait des travaux et changements opérés par la commune que l’entité économique autonome dont la société assurait la gestion n’avait pas conservé son identité. De façon générale, la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 4 février 2016 nous semble pouvoir être rapprochée de celle dégagée en matière de contrat de location-gérance d’un fonds de commerce entre personnes privées. En effet, de jurisprudence constante, à l’expiration du contrat de location-gérance (quelle qu’en soit la cause : échéance du contrat, résiliation décès du locataire-gérant, etc.), le fonds de commerce retourne en principe au propriétaire à qui les contrats de travail sont transférés en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail sauf lorsque le fonds est devenu inexploitable ou a disparu au jour de sa restitution (Cass. soc., 14 mars 2012, n° 11-12.883). Ainsi, dès lors que le fonds est toujours exploitable, les contrats de travail des salariés se poursuivent avec le propriétaire du fonds qui doit alors assumer les conséquences de la cessation d’activité à l’égard des salariés dès lors que qu’il décide pour des raisons qui lui sont propres, d’en cesser l’exploitation (Cass. soc., 23 janv. 1985, n° 83-15.270. ) TExTE DE L’aRRêT LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l’arrêt suivant : Vu leur connexité, joint les pourvois nº E 14-28. 005, F 14-28. 006, G 14-28. 008, J 14-28. 009 et K 14-28. 010 ; Sur le moyen unique : Attendu selon les arrêts attaqués (Metz, 1er octobre 2014) que la société People and Baby ayant pour activité la gestion de halte-garderie et de crèches pour le compte d’entreprises ou de collectivités publiques s’est vu confier à compter du 1er janvier 2008 la gestion d’une halte-garderie en vertu d’un contrat de prestations de services conclu le 14 décembre 2007 par la commune de Freyming-Merlebach ; qu’à la suite de la dénonciation du contrat de prestations avec effet au 31 mars 2012, elle a informé ses salariées que leurs contrats de travail étaient transférés à la commune à compter du 1er avril 2012 ; que Mmes X..., Y..., Z...A...et B...ont saisi la juridiction prud’homale ; Nº 406 22 MARS 2016 Le principe du transfert des contrats de travail au propriétaire-bailleur s’applique à alors tous les contrats en cours ; il ne se limite pas aux salariés engagés par le propriétaire du fonds avant la location-gérance, mais concerne aussi ceux embauchés par le locataire-gérant (Cass. soc., 2 mai 1989, n° 86-42.260). De la même façon, même si l’arrêt du 4 février 2016 n’en fait pas directement état, le transfert des contrats de travail du personnel de la halte-garderie à la commune de Freyming-Merlebach concernait tous les salariés qui y étaient affectés, c’est-à-dire ceux que la société People and Baby avaient repris auprès de l’ancien exploitant, mais aussi ceux qu’elle avait embauchés par la suite. • Les clauses du contrat de prestations de services ne peuvent faire échec à l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail L’arrêt du 4 février 2016 rappelle également que le contrat conclu entre la commune et l’exploitant de l’entité ne peut empêcher la mise en œuvre des dispositions d’ordre public de l’article L. 1224-1 du Code du travail ou en restreindre les conditions d’application. En l’espèce, la reprise du personnel n’était prévue qu’en cas de reprise en gestion directe de la halte-garderie par la ville. Cette clause ne pouvait évidemment faire échec à l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail en dehors des prévisions des parties au contrat, dès lors que les conditions de son application étaient réunies. La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de rappeler ce principe à plusieurs reprises (voir, notamment, Cass. soc., 15 mars 2011, n° 09-67.825). Attendu que la commune de Freyming-Merlebach fait grief aux arrêts de la condamner au paiement de diverses sommes aux salariées et à Pôle emploi alors, selon le moyen, que les contrats de travail en cours sont maintenus entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise en cas de transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise ; que constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre ; qu’en statuant comme elle l’a fait, au motif que les éléments d’actif nécessaires à l’activité de halte-garderie étaient revenus à la commune de Freyming-Merlebach par l’effet de la résiliation du contrat de prestations de services par la société qui exploitait cette activité, laquelle était ainsi « susceptible d’être poursuivie » quand, selon ses propres constatations, la commune n’avait pas effectivement poursuivi ni repris cette activité, la convention lui ayant laissé une simple faculté non exercée de reprendre l’activité en gestion directe, la cour d’appel, qui a néanmoins Jurisprudence Sociale Lamy retenu un transfert des contrats de travail à la charge de la commune, a violé l’article L. 1224-1 du code du travail ; Mais attendu qu’ayant constaté que l’entité économique dont la gestion avait été confiée à la société People and Baby, en vertu d’un contrat de prestations de services, avait été transférée à la commune à la suite de la résiliation de cette convention, dans des conditions qui n’empêchaient pas la continuation de son exploitation, la cour d’appel en a exactement déduit que cette dernière était légalement tenue de poursuivre les contrats de travail ; que le moyen n’est pas fondé ; PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois ; Condamne la commune de ming-Merlebach aux dépens ; Frey- Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre février deux mille seize. 23 L'inédit COMITÉ D’ENTREPRISE La consultation du CE ne fait pas obstacle à une information directe des salariés 406-12 Jean-benoît Cottin, Avocat, Docteur en droit, Capstan Avocats Cass. crim., 9 février 2016, pourvoi n° 12-86.016, arrêt n° 6609 F-D Rien ne s’oppose à ce que, parallèlement à la consultation du comité d’entreprise, l’employeur procède à l’information directe du personnel sur un projet qui le concerne, dès lors que ce projet n’est pas définitivement arrêté et que les discussions devant les institutions représentatives du personnel permettent à leurs organes d’exercer pleinement leurs attributions. Les faits En l’espèce, un projet de réorganisation de l'un des départements de la structure ayant été envisagé, sa direction a organisé des rencontres avec les salariés, parallèlement aux premières consultations des instances représentatives. Le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont fait citer, devant le tribunal correctionnel, la directrice générale de la structure, le président du CHSCT et le directeur des ressources humaines, pour entrave au fonctionnement du comité d’entreprise et du CHSCT. Au stade de la cassation n’était débattue que la question de l’entrave au comité d’entreprise. Les demandes et argumentations En l’espèce, le comité d’entreprise considérait que les salariés avaient été consultés sur le projet en cause, puisqu’ils avaient émis un avis avant lui, fait part de leurs préoccupations, voire de leur hostilité, éléments constitutifs, selon lui, du délit d’entrave à son fonctionnement. La décision, son analyse et sa portée Caractère préalable de la consultation du comité. - On sait que les décisions de l’employeur 24 sont, dans le domaine d’intervention du comité d’entreprise, précédées de la consultation de celui-ci, sauf, en application de l’article L. 232342 du Code du travail, avant le lancement d’une offre publique d’acquisition (C. trav., art. L. 2323-2). Une décision s’entend d’une manifestation de la volonté d’un organe dirigeant qui oblige l’entreprise, il ne s’en déduit pas qu’elle implique nécessairement des mesures précises et concrètes. Un projet, même formulé en termes généraux, doit être soumis à consultation du comité d’entreprise lorsque son objet est assez déterminé pour que son adoption ait une incidence sur l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise, peu important qu’il ne soit pas accompagné de mesures précises et concrètes d’application dès lors que la discussion ultérieure de ces mesures n’est pas de nature à remettre en cause, dans son principe, le projet adopté (Cass. soc., 12 nov. 1997, n° 9612.314 ; Cass. soc., 18 juin 2003, n° 01-21.424. Pour un exemple récent : TGI Paris, ord. réf., 12 nov. 2015, n° 15/59476). absence de monopole de l’information pour le comité d’entreprise. - Cette antériorité de la consultation par rapport à la prise de décision n’offre pas un droit à information exclusif au comité d’entreprise. Il a par exemple été jugé que « les institutions représentatives du personnel ne peuvent prétendre au monopole de l’information sociale, au mépris de l’information directe du personnel de l’entreprise » (CA Paris, 2 juill. 1999, AGME ; Dr. ouvr., déc. 1999, p. 494) ou que « les Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 salariés disposent eux-mêmes, autant que le comité d’entreprise, du droit d’être informés sur les projets pouvant avoir d’importantes répercussions sur la vie de l’entreprise » (TGI Versailles, 24 nov. 2003, 5ème ch. correct. n° 0309380014 ; JSL 2004, n° 142 ; v., globalement, sur la question, A. Teissier, Le comité d’entreprise dispose-t-il du monopole de l’information dans l’entreprise ?, TPS, mai 2000). Des tiers à la relation de travail peuvent également bénéficier d’une telle information : les clients, l’administration, les milieux financiers (A. Teissier, préc.), la presse, les collectivités locales peuvent également en être destinataires. La seule information de tiers ou de salariés concomitamment ou antérieurement au comité d’entreprise n’est pas constitutive d’une entrave, à plus forte raison quand l’annonce faite par l’employeur à la presse d’un projet de licenciement économique, en l’absence de consultation du comité d’entreprise procède d’une simple déclaration d’intention du chef d’entreprise et non d’un projet supposant une telle consultation (Cass. crim., 4 avr. 1995, n° 93-80.312). Condition : caractère non définitif du projet. - L’arrêt du 9 février relève que « rien ne s’oppose à ce que, parallèlement à la consultation du comité d’entreprise, l’employeur procède à l’information directe du personnel sur un projet qui le concerne, dès lors que ce projet n’est pas définitivement arrêté et que les discussions devant les institutions représentatives du personnel permettent à leurs organes d’exercer pleinement leurs attributions ». En d’autres termes, la consultation du comité doit présenter un effet utile. Ainsi, « seule peut être sanctionnée l’information tardive du comité quand il s’avère que celle donnée à l’ensemble des salariés porte sur un projet définitif ou une décision déjà arrêtée par la direction » (Lamy social 2015, n° 4812). Tel n’était pas le cas en l’espèce, puisque la suite des discussions a été réservée aux membres des institutions représentatives, seuls à connaître de l’évolution du projet jusqu’à sa mise en œuvre. De même n’est pas constitutive d’entrave l’annonce faite à la presse et au personnel de l’entreprise après l’information donnée au comité d’entreprise d’un projet de cession, qui n’a pas pour effet de transformer ce projet en décision définitive (Cass. crim., 29 mai 1990, n° 89-84.747 : en l’espèce, le comité avait été informé plus de 2 mois et consulté plus de 1 mois avant la signature de l’accord de cession ; Cass. crim., 6 avr. 1993, n° 92-80.864 : le fait que l’employeur, avant la fin de la consultation du comité, informe les salariés concernés de la suppression éventuelle de leurs postes et de la possibilité d’une réaffectation, n’est pas de nature à entraver le fonctionnement du comité d’entreprise ; Cass. crim., 12 oct. 1993, n° 92-84.363 dans le même sens). L’information des salariés concernés par une perspective de mise en location gérance de l’établissement dans lequel ils sont employés, effectuée préalablement à la consultation du comité d’entreprise, ne constitue pas non plus une décision définitivement arrêtée, prise en méconnaissance des dispositions légales (CA Paris, 24 avr. 1998, n° 97/06604). Enfin, l’annonce au maire de la commune d’un projet susceptible de porter atteinte à la situation de l’emploi dans sa commune n’a pas pour effet de transformer ce projet en décision définitive, quelle que soit la perception subjective de l’intéressé sur la situation (Cass. crim., 8 juin 2004, n° 03-87.795 : absence d’entrave, dès lors que la consultation du comité a bien eu lieu, Nº 406 22 MARS 2016 et ce préalablement à la décision définitive, conformément aux dispositions légales). L’absence de caractère irrémédiable de la décision résultera sans doute de l’emploi - et du rappel - du terme projet, de son caractère peu abouti, de l’emploi du conditionnel, de la présentation simultanée de plusieurs scénarios/hypothèses, etc.. La multiplication des interlocuteurs autres que le comité d’entreprise est évidemment une source d’accroissement du risque de perte de maîtrise de l’information communiquée. absence de priorité dans l’accès à l’information. - « Le caractère préalable de l’information due au comité d’entreprise implique que celle-ci lui soit communiquée avant l’adoption définitive d’une décision, mais pas nécessairement avant la diffusion au public de l’annonce d’un simple projet dont le contenu n’est pas encore définitivement arrêté » (Y. Pagnerre, J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 15-21, 2009, n° 122). En d’autres termes, il « n’existe aucun impératif qui imposerait de respecter une chronologie particulière à l’occasion de la diffusion d’information sur un projet d’entreprise à d’autres interlocuteurs que le comité » (Lamy social 2015, n° 4812). Sous réserve de respecter l’obligation de consulter les représentants du personnel préalablement à la prise de décision, le chef d’entreprise peut organiser comme il l’entend la diffusion de l’information (A. Teissier, préc.). absence de substitution à la consultation du comité d’entreprise. - En tout état de cause, cette information directe du personnel ne peut se substituer à l’information des représentants du personnel (TGI Strasbourg, 20 mars 1987 ; Dr. ouvrier 1987, p. 348 : signature d’une note d’information par chaque salarié). Elle ne doit pas non plus « se transformer en une véritable consultation ou référendum du personnel qui pourrait aboutir à rendre sans effet utile la consultation ultérieure du comité d’entreprise » (M.-C. Haller, JSL 2004, n° 142). Tel n’était pas le cas en l’espèce. La Cour de cassation relève que si, au cours de ces réunions, les salariés ont exprimé leurs préoccupations ou leur hostilité, ces réactions ainsi que les réponses de la direction ont consisté en échanges spontanés et informels destinés à informer les salariés et non à les consulter. Selon elle, les représentants du personnel n’ont pas été évincés ni surpris et l’employeur n’a pas usé de moyens ayant pour but d’entraver leur fonctionnement. On rappellera que la suite des discussions a été réservée aux représentants du personnel. À l’inverse, il a été jugé que se rend coupable d’entrave un employeur ayant consulté directement les salariés de l’entreprise sur une modification de l’horaire de travail, alors, d’une part, que cette consultation n’avait d’autre objet que d’exercer des pressions sur le comité d’établissement pour l’amener à se désister d’une action judiciaire engagée contre l’employeur et, d’autre part, que, lors de la consultation, l’employeur a présenté comme définitivement acquises les modifications de l’organisation du travail et la diminution de rémunération qu’impliquerait la modification envisagée alors que ces questions n’avaient fait l’objet d’aucune consultation préalable du comité d’établissement (Cass. crim., 11 janv. 2000, n° 99-80.229). Il a également été considéré que le recours systématique à l’information directe du personnel joint à une fourniture tardive ou parcellaire des renseignements nécessaires à l’information du comité d’entreprise, « traduit (...) la volonté de porter atteinte au fonctionnement régulier de cet organisme » (CA Paris, 2 juill. 1999, AGME ; Dr. ouvr., déc. 1999, p. 494). Jurisprudence Sociale Lamy 25 L'inédit TExTE DE L’aRRêT (ExTRaITS) (…) Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et du jugement qu’il confirme qu’un projet de réorganisation d’un des départements de la caisse d’allocation familiale des Yvelines (CAFY) ayant été envisagé, sa direction a organisé des rencontres avec les salariés, parallèlement aux premières consultations des instances représentatives ; que le comité d’entreprise et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ont fait citer, devant le tribunal correctionnel, Mme X..., directrice générale de la CAFY, M. Y..., président du CHSCT, et M. Z..., directeur des ressources humaines, pour entraves au fonctionnement du comité d’entreprise et du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que les juges du premier degré ont mis hors de cause M. Z... et relaxé les autres prévenus ; que seules les parties civiles ont relevé appel de cette décision ; Attendu que, pour débouter les parties civiles de leurs demandes, l’arrêt énonce que rien ne s’oppose à ce que, parallèlement à la consultation du comité d’entreprise, l’employeur procède à l’information directe du personnel sur un projet qui le concerne, dès lors que ce projet n’est pas définitivement arrêté et que les de contradiction et procédant de son appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, la cour d’appel, qui a répondu comme elle le devait aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision ; discussions devant les institutions représentatives du personnel permettent à leurs organes d’exercer pleinement leurs attributions ; que les juges retiennent, qu’après un premier message de la direction aux cadres le 28 janvier 2010 annonçant des rencontres avec les salariés, un courriel du 17 février suivant invitait ces derniers à une réunion, organisée les 22, 23 et 24 février et précisait que le projet, présenté au comité d’entreprise le 19 février 2010, était susceptible d’évoluer en fonction des avis formulés par cette instance ; qu’ils relèvent que si, au cours de ces réunions, les salariés ont exprimé leurs préoccupations ou leur hostilité, ces réactions ainsi que les réponses de la direction ont consisté en échanges spontanés et informels destinés à informer les salariés et non à les consulter ; qu’ils ajoutent que la suite des discussions a été réservée aux membres des institutions représentatives, seuls à connaître de l’évolution du projet jusqu’à sa mise en oeuvre ; qu’ils en déduisent que ces instances n’ont pas été évincées ni surprises et que l’employeur n’a pas usé de moyens ayant pour but d’entraver leur fonctionnement ; D’où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ; Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ; REJETTE le pourvoi ; DIT n’y avoir lieu à application de l’article 618-1 du code de procédure pénale ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf février deux mille seize ; En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre. SCP Foussard et Froger, SCP Lyon-Caen et Thiriez Attendu qu’en l’état de ces énonciations, dépourvues d’insuffisance comme M. Guérin (président) BULLETIN D’ABONNEMENT LE LAMY SOCIAL À retourner à l’adresse suivante : Wolters Kluwer France - Service clients - CP 402 14, rue Fructidor - 75814 Paris Cedex 17 - [email protected] - 0 825 08 08 00 0,15 € / min Oui, je souhaite m’abonner au Lamy Social et bénéficier de l’offre spéciale - 15%* Réf. Papier (e-book inclus) E-book La Référence des décideurs, de leurs conseils et des partenaires sociaux ! 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A_BDC_P_LAMY_SOCIAL_210x148_11-15_Q [EF] LE LAMY SOCIAL Version (Obligatoire pour accéder à la version électronique des publications) Code NAF : └┴┴┴┴┘ o Siège o Établissement N° Siret : └┴┴┘└┴┴┘└┴┴┘└┴┴┴┴┘ Nombre de salariés à l’adresse : ffffff Composition de l’abonnement : Version papier : l’Ouvrage, le Guide Pratique, 11 Bulletins d’actualités, le Code du travail, la version e-book. Version e-book : la version digitale de la publication et du Code du travail sur la bibliothèque digitale Smarteca et ses mises à jour régulières (hors bulletins d’actualités). Signature et cachet : Conformément à la loi du 6 janvier 1978, ces informations peuvent donner lieu à l’exercice d’un droit d’accès et de rectification auprès de Wolters Kluwer France (cf. adresse ci-dessus). Les tarifs indiqués sont valables au 01/01/2016 sous réserve d’une modification du taux de TVA applicable au moment de la commande. 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Le caractère plus avantageux doit être apprécié globalement pour l'ensemble du personnel et non en fonction de la situation particulière de chaque salarié. Florian Carrière, Les faits Un salarié engagé en 1982 en qualité de « Technicien d’Atelier », statut ouvrier, par une entreprise implantée dans le département de l’Ain, part à la retraite le 31 décembre 2012. À cette occasion, il bénéficie d’une indemnité de départ à la retraite(1), dont le montant est calculé par (1) Rappelons que l’article L. 1237-9 du Code du travail prévoit que « tout salarié quittant l’entreprise pour bénéficier d’une pension de vieillesse a droit à une indemnité de départ à la retraite. Le taux de cette indemnité varie en fonction de l’ancienneté Nº 406 22 MARS 2016 l’employeur à l’aune des dispositions de l’article 11 de l’Accord National du 10 juillet 1970 sur la mensualisation du personnel ouvrier de la Branche de la Métallurgie. Avocat, Fromont Briens Par courrier du 25 janvier 2013, celui qui est désormais fraîchement retraité, sollicite, par l’intermédiaire de son avocat, un rappel d’indemnité de départ à la retraite, arguant du fait que l’entreprise aurait dû calculer son indemnité sur du salarié dans l’entreprise. Ses modalités de calcul sont fonction de la rémunération brute dont il bénéficiait antérieurement […] ». Jurisprudence Sociale Lamy 27 Les juges du fond la base de l’article 54 de la Convention collective de la Métallurgie de l’Ain, laquelle lui serait plus favorable. L’employeur lui oppose une fin de non-recevoir au motif initial que l’article 11 de l’Accord national du 10 juillet 1970 aurait un caractère impératif au sens des dispositions de l’article L. 2252-1 du Code du travail. Après avoir été débouté de sa demande de rappel d’indemnité de départ à la retraite par le Conseil de prud’hommes d’Oyonnax, le salarié interjette appel du jugement intervenu. Les demandes et argumentations Devant la Cour d’appel de Lyon, le salarié sollicite l’infirmation du jugement entrepris en soutenant que les dispositions de la Convention collective de la Métallurgie de l’Ain, prévoyant une formule de calcul de l’indemnité de départ à la retraite plus favorable, doivent prévaloir sur celles de l’Accord national du 10 juillet 1970. De son côté, l’employeur fait notamment valoir, en cause d’appel, qu’en cas de conflit entre deux avantages ayant le même objet ou la même cause, la détermination du régime le plus favorable doit résulter d’une appréciation globale avantage par avantage et non en fonction de la situation individuelle de chaque salarié. Se livrant à cette comparaison, globale et in abstracto des deux textes, l’Accord national du 10 juillet 1970 se révélait plus avantageux selon l’employeur. La décision, son analyse, sa portée Par un arrêt rendu le 5 février 2016, la Cour d’appel de Lyon confirme le rejet des prétentions du salarié. Pour ce faire, les juges du fond opèrent une analyse en deux temps. En premier lieu, il est répondu à l’argumentaire initial de l’employeur consistant à soutenir que l’article 11 de l’Accord national du 10 juillet 1970 aurait un caractère impératif et devrait donc prévaloir sur les dispositions de l’article 54 de la Convention collective de la Métallurgie de l’Ain, dont le champ d’application territorial est inférieur, indépendamment de l’application de la règle du plus favorable. Néanmoins, la Cour retient que l’article L. 132-13 du Code du travail, en vigueur à la date de l’avenant précité(2), disposait que : « Une convention de branche ou un accord professionnel ou interprofessionnel ne peut comporter des dispositions moins favorables aux salariés que celles qui leur sont applicables en vertu d’une convention ou d’un accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large, à la condition que les signataires de cette convention ou de cet accord aient expressément stipulé qu’il ne pourrait y être dérogé en tout ou en partie. S’il vient à être conclu une convention ou un accord de niveau supérieur à la convention ou à l’accord intervenu, les parties adaptent celles des clauses de leur convention ou accord antérieur qui seraient moins favorables aux salariés si une disposition de la convention ou de l’accord de niveau supérieur le prévoit expressément ». Certes, cet article instaurait une primauté du texte de champ ou de niveau supérieur, mais uniquement par rapport aux dispositions moins favorables contenues dans le texte de champ ou de niveau inférieur. De cette façon, en cas de conflit de normes conventionnelles, l’objectif du législateur n’était pas de faire prévaloir en tout état de cause la norme supérieure, mais bien de privilégier le principe de faveur comme « instrument de résolution du conflit ». C’est donc à juste titre et dans le prolongement d’une jurisprudence constante(3) que la cour d’appel rejette ce premier argument en considérant que : « Le caractère impératif attaché à une convention ou un accord professionnel ou interprofessionnel couvrant un champ d’application territorial ou professionnel plus large n’emporte donc pas abrogation des dispositions plus favorables aux salariés d’une convention ou d’un accord collectif antérieur ayant le même objet ou la même cause qui, en l’absence d’accord de révision, demeurent applicables ». À toutes fins utiles, il sera rappelé que la loi du 4 mai 2004 a modifié l’articulation entre les différents niveaux de négociation avec l’apparition d’une règle de subsidiarité. Ainsi, un accord de branche peut désormais déroger, y compris de manière moins favorable, à une convention ou un accord d’un niveau supérieur dès lors que le texte de niveau supérieur n’a pas prévu son impérativité (C. trav., art. L. 2252-1). En second lieu, après avoir considéré que l’Accord national du 10 juillet 1970 ne devait pas nécessairement prévaloir sur les dispositions potentiellement plus favorables de la Convention collective de la Métallurgie de l’Ain, dont le champ d’application territorial lui est inférieur, la Cour s’attache à rappeler la définition et les modalités d’application du principe de faveur. Profitons de l’occasion pour rappeler que ce principe qualifié de « fondamental en droit du travail » par la Cour de cassation(4) et, plus récemment, consacré au rang des « principes essentiels du droit du travail » par la Commission Badinter, a néanmoins des origines particulièrement floues et n’a jamais été reconnu par le Conseil constitutionnel comme revêtu d’une valeur constitutionnelle(5). D’ailleurs, c’est justement parce que cette règle, pivot de la construction du droit du travail, n’a jamais fait l’objet d’un véritable encadrement qu’elle s’avère parfois difficile à mettre en œuvre. (3) (2) 28 Abrogé depuis par une ordonnance du 12 mars 2007 (n° 2007-329) avec prise d’effet au 1er mars 2008 et dont les dispositions sont en partie reprises dans l’actuel article L. 2252-1 du Code du travail. (4) (5) Cass. soc., 5 juill. 2008, n° 07-40.226. V. not. Cass. soc., 17 juill. 1996, n° 95-41.313. V. not. V. Ogier-Bernaud, « Le Conseil constitutionnel et l’embarrassant principe de faveur », SSL, 2003 n° 1111. Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 Les juges du fond En l’espèce, la cour d’appel relève que l’avantage prévu dans les deux textes litigieux a un caractère collectif. En conséquence, la détermination de la norme la plus favorable ne doit pas se faire en fonction des intérêts particuliers de l’appelant, mais en prenant en compte l’intérêt collectif de l’ensemble des salariés concernés par les deux normes. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation(6), l’avantage le plus favorable est alors déterminé par une comparaison objective et globale des textes, sans considération de l’intérêt personnel du salarié. Ce premier critère relève du bon sens, une comparaison subjective des textes en fonction de l’intérêt particulier de chaque bénéficiaire serait, d’une part, contraire à l’idée selon laquelle le statut collectif est un instrument de protection de la collectivité des travailleurs et, d’autre part, impraticable pour l’employeur qui devrait à chaque fois procéder à une comparaison in concreto des différents textes applicables en fonction des intérêts particuliers de chaque salarié(7). Le second critère signifie que la comparaison doit s’opérer entre avantages ou groupes d’avantages ayant le même objet ou la même cause. La principale difficulté est donc de caractériser l’identité d’objet ou de cause entre différents avantages, ce qui n’est pas toujours aisé. Ceci étant, dans l’affaire présentée à la Cour d’appel de Lyon, cet exercice de détermination de l’objet ou de la cause des avantages litigieux n’appelait pas, une fois n’est pas coutume, de difficultés particulières. En effet, il s’agissait dans les deux cas d’une indemnité de départ à la retraite dont seules les modalités de calcul étaient différentes. Ensuite, en procédant à une comparaison globale et objective des deux textes, la cour d’appel procède à une comparaison incluant la condition d’ouverture du droit à l’indemnité de départ à la retraite ainsi que le montant de cette indemnité résultant de l’ancienneté. TExTE DE L’aRRêT (ExTRaITS) (...) Attendu que selon l'article L 132-13 du code du travail, en vigueur à la date de l'avenant du 19 décembre 2003 à l'Accord national du 10 juillet 1970, s'il vient à être conclu une convention ou un accord de niveau supérieur à la convention ou à l'accord intervenu, les parties adaptent celles des clauses de leur convention ou accord antérieur qui seraient moins favorables aux salariés ; Qu'il en résulte que le législateur n'a pas entendu régler les conflits entre des dispositions de conventions collectives ou (6) (7) L’Accord national du 10 juillet 1970 est donc collectivement plus avantageux en ce qu’il n’impose pas une condition d’âge pour bénéficier de l’indemnité de départ à la retraite prévue conventionnellement. Or, la Convention collective de l’Ain impose au salarié, qui demande la liquidation de sa pension de vieillesse à taux plein, d’avoir au minimum 60 ans : « En 2012, le nombre de bénéficiaires potentiels de l’indemnité de départ à la retraite prévue par l’Accord national était plus important dans la mesure où : - l’avenant du 3 mars 2006 à l’Accord National du 10 juillet 1970 a réduit de 10 ans à 2 ans l’ancienneté requise pour l’ouverture du droit ; - l’avenant du 21 juin 2010 a fait disparaître toute référence à un âge déterminé à la retraite, tandis que la Convention collective de la métallurgie de l’Ain, qui exige aussi une ancienneté de 2 ans, impose que le salarié qui demande la liquidation de sa pension de vieillesse à taux plein ait au moins 60 ans. Qu’en présence de deux dispositions conventionnels ayant le même objet, l’un ouvert au plus grand nombre de salariés, l’autre plus généreux pour des salariés moins nombreux, il est conforme au caractère collectif du statut en résultant de considérer que l’avantage le plus favorable est celui dont le plus grand nombre de salariés a vocation à bénéficier ». Autrement dit, l’Accord national du 10 juillet 1970 est certes moins avantageux quant aux modalités de calcul de l’indemnité de départ à la retraite, mais moins sélectif quant aux conditions d’ouverture du droit à cette indemnité. La Cour en déduit que, s’agissant d’un avantage à caractère collectif, c’est la norme bénéficiant au plus grand nombre qui doit trouver à s’appliquer. Le salarié est donc une nouvelle fois débouté de sa demande au nom d’une appréciation égalitariste de la notion de « caractère plus avantageux », la cohérence du droit et son application uniforme à l’ensemble des justiciables en sortent renforcées. d'accords de niveaux différents en conférant une autorité supérieure à la convention de branche ou à l'accord professionnel dont le champ d'application territorial ou professionnel est le plus étendu ; qu'il a choisi le principe de faveur comme instrument de résolution des conflits ; que le caractère impératif attaché à une convention ou à un accord professionnel ou interprofessionnel couvrant un champ d'application territorial ou professionnel plus large n'emporte donc pas abrogation des dispositions plus favorables aux salariés d'une convention ou d'un accord collectif antérieur ayant le même objet ou la même cause qui, en l'absence d'accord de révision, demeurent applicables ; Attendu qu'en cas de concours de conventions collectives, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d'entre eux pouvant seul être accordé ; que la détermination du régime le plus favorable doit résulter d'une appréciation globale avantage par avantage ; que le caractère plus avantageux doit être apprécié globalement pour l'ensemble du personnel et non en fonction de la situation particulière de chaque salarié ; (...). V. not. Cass. soc., 12 nov. 2008, n° 06-45.348 ; Cass. soc., 11 juill. 2007, n° 05-46.048. Surtout pour les entreprises relevant du « mille-feuille » de la Métallurgie, comme c’est le cas dans la présente affaire. Nº 406 22 MARS 2016 Jurisprudence Sociale Lamy 29 Les conventions collectives SPORT FOOTbALL PROFESSIONNEL La garantie de contrat jusqu’à la fin d’une saison ne concerne que les joueurs sous contrat à durée déterminée 406-14 Cass. soc., 10 févr. 2016, pourvoi n° 15-16.080, arrêt n° 325 FS-P+B Convention collective nationale du sport du 7 juillet 2005. IDCC 2511 article 12.3.3. Durée du contrat de travail (extrait) : « Les contrats sont conclus pour une ou plusieurs saisons sportives. Ils s’achèvent impérativement la veille à minuit du début d’une saison sportive (la date du début de la saison sportive est arrêtée par l’autorité sportive compétente selon les cas la fédération nationale, la ligue professionnelle, ou autre). La durée d’un même contrat ne peut être supérieure à 5 saisons sportives (60 mois), y compris renouvellement tacite prévu contractuellement. Cette durée maximum n’exclut pas le renouvellement explicite du contrat ou la conclusion d’un nouveau contrat avec le même employeur. Si le contrat commence à s’exécuter en cours de saison, il doit courir au minimum jusqu’à la veille de la saison suivante ». Un club de rugby engage sous contrat à durée indéterminée un joueur pour exercer les fonctions d’entraîneur de l’équipe espoir, d’intervenant sur les équipes professionnelles, d’intervenant au centre de formation de haut niveau et d’intervenant coordinateur pour la détection des jeunes. Le club ayant été placé en liquidation judiciaire, le sportif est licencié. Il réclame alors des dommages et intérêts pour rupture abusive, faisant valoir que l’article 12.3.3 de la Convention collective du sport prévoit que si le contrat commence à s’exécuter en cours de saison, il doit courir au minimum jusqu’à la veille de la saison suivante. Selon lui, cette clause est applicable à tout contrat de travail conclu entre une société sportive et un entraîneur, quelle que soit la nature du contrat de travail. La Cour d’appel de Grenoble lui rétorque que l’article en question n’est applicable qu’aux contrats à durée déterminée, mais il maintient que le champ d’application de cette disposition ne contient aucune restriction de ce type. 30 Un club de football ne peut imposer à un joueur une diminution de sa rémunération en cas de relégation en ligue 2 406-15 Cass. soc., 10 févr. 2016, pourvoi n° 14-26.147, arrêt n° 320 FS-P+B Charte du football professionnel. article 761. Relégation : « Pour les joueurs professionnels : en cas de relégation en division inférieure, le club a la faculté de diminuer le montant des contrats de ses joueurs professionnels, sous réserve du respect du salaire mensuel brut minimum prévu à l’article 759 de la présente annexe. Pour les contrats conclus avant le 1er juillet 2003 et au titre des saisons 2003/2004 et suivantes, cette diminution est égale à : 20 % pour un club relégué en Ligue 2 ; […]. au-delà de ce pourcentage, les clubs peuvent proposer individuellement à leurs joueurs, par écrit avant le 30 juin […] une diminution de leur rémunération selon la grille ci-dessous : 1/ 30 % pour les salaires (brut mensuels) inférieurs ou égaux à 34 846 euros ; 2/ 40 % pour les salaires (brut mensuels) compris entre 34 847 et 52 136 euros ; […] ». L’article 761 de la charte du football professionnel, laquelle a valeur de convention collective sectorielle, prévoit que le joueur à qui est proposée une diminution de rémunération en cas de relégation devra donner sa réponse sous 8 jours. Il pourra soit l’accepter soit être libéré de son contrat au 30 juin sans indemnités s’il la refuse. Engagé en contrat à durée déterminée par le Football Club de Nantes en qualité de joueur professionnel pour trois saisons successives, un sportif se voit informé qu’en raison de la relégation du club en ligue 2 sa rémunération contractuelle ne peut être maintenue. Il revendique un rappel de salaire, que lui refuse la Cour d’appel de Rennes au motif qu’il n’avait pas contesté la baisse de sa rémunération dans les 8 jours prévus par l’article 761 précité, mais plus d’un an plus tard. La Cour de cassation ne lui a pas donné raison : « mais attendu que l’article 12.3.3 de la Convention collective nationale du sport régissant la durée des contrats à durée déterminée des sportifs professionnels et de leurs entraîneurs ne s’applique pas aux titulaires de contrats à durée indéterminée ; Et attendu que la cour d’appel ayant, par des motifs non critiqués par le moyen, constaté que le salarié, avait été engagé en qualité d’entraîneur, par un contrat à durée indéterminée, en a exactement déduit que ce salarié ne pouvait se prévaloir de ces dispositions ». La clause attaquée stipule en effet que « les contrats sont conclus pour une ou plusieurs saisons sportives », ce qui concerne donc les contrats conclus pour une durée limitée. Mais peu importait le délai, la Cour de cassation a énoncé que, « sauf disposition légale contraire, une convention collective ne peut permettre à un employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l’accord exprès du salarié ». Il en résultait qu’ « en statuant comme elle l’a fait, sans constater que le joueur avait donné son accord exprès à la réduction de rémunération décidée par le club de football, la cour d’appel a violé [l’article 1134 du Code civil et l’article 761 de la charte du football professionnel] ». D.J.-P. D.J.-P. Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 HÔTELS, CAFÉS, RESTAURANTS (HCR) Emploi d’un cuisinier au moyen de CDD d’extras sur plus de 60 jours sur un même trimestre civil : quelles conséquences ? 406-16 Cass. soc., 10 févr. 2016, pourvoi n° 14-26.304, arrêt n° 323 FS-P+B Convention collective nationale des hôtels, cafés restaurants (HCR) du 30 avril 1997. IDCC 1979 article 14. Contrat à durée déterminée (extrait) : « Les contrats à durée déterminée sont établis conformément à la législation en vigueur. Les conditions d’emploi des extra et des saisonniers sont précisées comme suit : 1. Extra : L’emploi d’extra qui, par nature, est temporaire est régi par les dispositions légales en vigueur. Un extra est engagé pour la durée nécessaire à la réalisation de la mission. Il peut être appelé à être occupé dans un établissement quelques heures, une journée entière ou plusieurs journées consécutives dans les limites des durées définies par l’article 21-2 c. Un extra qui se verrait confier par le même établissement des missions pendant plus de 60 jours dans un trimestre civil pourra demander la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée ». Engagé sous contrat à durée déterminée à temps partiel, un cuisinier enchaîne ensuite d’autres contrats à durée déterminée en qualité d’extra pendant 4 ans. Son employeur ayant cessé de lui proposer des contrats, il saisit les prudhommes. Ce dernier a considéré que le recours à de multiples contrats d’extra sur des périodes de travail régulières et sur une longue période (4 ans) démontre un comportement abusif de l’employeur et un détournement de la finalité des contrats à durée déterminée. Il a, en outre, accueilli favorablement la demande d’une organisation syndicale qui invoquait une atteinte à l’intérêt collectif de la profession. • Conséquences pour le salarié L’article 14 énonce que « l’emploi d’extra qui, par nature, est temporaire est régi par les dispositions légales en vigueur ». En outre, l’article D. 1242-1 du Code du travail place l’hôtellerie et la restauration dans la liste des secteurs d’activité dans lesquels des CDD peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au CDI en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois. Mais, pour la Cour de cassation, la seule qualification conventionnelle de « contrat d’extra » n’établit pas qu’il peut être Nº 406 22 MARS 2016 conclu dans le secteur de l’hôtellerie-restauration des contrats à durée déterminée d’usage successifs pour ce type de contrats, pour tout poste et en toute circonstance : il appartient au juge de vérifier si le recours répété à ce type de contrat est justifié par des raisons objectives, qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi (Cass. soc., 24 sept. 2008, n° 06-43.529, JSL n° 24731 du 14 janv. 2009 rendu à propos d’un chef de rang et d’une femme de chambre ; Cass. soc., 2 déc. 2009, n° 08-40.901 à propos d’un maître d’hôtel, les deux affaires mettant en cause un grand hôtel). Si ce n’est pas le cas, la requalification en contrat à durée indéterminée des contrats à durée déterminée peut être prononcée, avec des indemnités de rupture. En l’espèce, la Cour de cassation a retenu « qu’ayant constaté que l’employeur n’avait pas respecté les dispositions de la convention collective des hôtels, cafés et restaurants limitant à soixante jours sur un même trimestre civil la durée des contrats à durée déterminée, le conseil de prud’hommes a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision », en sanctionnant l’employeur pour recours abusif au CDD. • Possibilité d’une action syndicale Une union locale CGT a plaidé dans cette affaire que les agissements de l’employeur constituaient une atteinte grave aux intérêts individuels et collectifs des salariés en recourant à des contrats précaires pour pourvoir un emploi durable dans l’établissement. Elle s’appuie sur l’article L. 2132-3 du Code du travail, lequel permet aux organisations syndicales d’intervenir en justice aux côtés du salarié pour faire sanctionner par une indemnisation spécifique l’attitude de l’employeur, à condition de démontrer que le litige porte atteinte aux intérêts collectifs de la profession. Le Conseil de prud’hommes de Nantes lui a accordé 1 000 euros à titre de dommages et intérêts à ce titre. L’employeur, dans son pourvoi en cassation, a rétorqué que la requalification de CDD en un CDI et ses conséquences sur la rupture des relations contractuelles ne concernent que les intérêts personnels du salarié et non l’intérêt collectif de la profession, reprenant ainsi les termes de la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. soc., 18 déc. 2013, n° 12-15.454). Mais, pour la Haute Juridiction, « si seul le salarié a qualité pour demander la requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, le défaut de respect des dispositions conventionnelles encadrant le recours au contrat à durée déterminée constitue une atteinte à l’intérêt collectif de la profession ». Il faut, en effet, bien distinguer une demande en requalification de CDD de la violation des dispositions relatives au contrat à durée déterminée, cette dernière étant de nature à porter préjudice à l’intérêt collectif de la profession et à justifier une action syndicale (Cass. soc., 28 sept. 2011, n° 09-71.139). Jurisprudence Sociale Lamy D.J.-P. 31 En bref 406-17 Inaptitude/Reclassement Il résulte de l’article L. 1226-10 du Code du travail que l’employeur doit proposer au salarié déclaré inapte un autre emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, transformations de poste ou aménagement du temps de travail. Dès lors, après avoir relevé que l’employeur avait indiqué que le seul poste administratif disponible, basé à Bordeaux, avait été pourvu par un contrat à durée déterminée du 1er août au 31 octobre 2011, la cour d’appel, qui, sans modifier l’objet du litige, a souverainement retenu que cet employeur ne justifiait pas avoir proposé ce poste a, peu important qu’il eut été disponible seulement pour cette durée limitée, pu décider qu’il avait manqué à son obligation de reclassement. Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 14-16.156, n° 351 F-D 406-18 Temps de travail effectif Constitue un travail effectif au sens de l’article L. 3121-1 du Code du travail, le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Dès lors, ayant constaté que le salarié n’avait pas l’obligation de participer aux voyages d’accompagnement organisés chaque année à l’étranger, qu’au cours de ceux-ci il ne lui avait été confié aucune mission particulière d’encadrement ou de prise en charge des clients, qu’il était libre de se faire accompagner de son conjoint et pouvait vaquer durant ces voyages à des occupations personnelles sans se trouver à la disposition de l’employeur, la cour d’appel a décidé à bon droit que ces voyages ne constituaient pas du temps de travail effectif. Cass. soc., 10 févr. 2016, n° 1414.213, n° 344 F-D 406-19 Droit d’alerte L’exercice du droit d’alerte conféré aux délégués du personnel ne saurait avoir pour objet de faire annuler une sanction disciplinaire pour laquelle le salarié concerné dispose d’une voie de recours spécifique. Cass. soc., 9 févr. 2016, n° 14-18.567, n° 287 F-D 406-20 Cadre dirigeant/Définition Sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise. Dès lors, en ne caractérisant pas la participation du salarié à la direction de l’entreprise, la cour d’appel a violé l’article L. 3111-2 du Code du travail. Cass. soc., 4 févr. 2016, n° 14-23.663, n° 265 F-D 32 406-21 Règlement intérieur/Mise à pied La cour d’appel, ayant relevé que le règlement intérieur de l’entreprise ne fixait pas la durée maximale de la mise à pied disciplinaire, a fait une exacte application des articles L. 13211 et L. 1331 du Code du travail en déclarant cette sanction illicite. Cass. soc., 3 févr. 2016, n° 14-22.318, n° 278 F-D 406-22 Rupture conventionnelle L’erreur commune de date fixée par les parties antérieurement au lendemain de l’homologation n’entraîne pas en elle-même la nullité de la convention de rupture. Cass. soc., 28 janv. 2016, n° 14-26.800, n° 195 F-D 406-23 Convention de forfait-jours Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires. Cass. soc., 27 janv. 2016, n° 14-14.293, n° 198 F-D 406-24 Lettre de licenciement La seule référence dans la lettre de licenciement à l’autorisation de licencier constitue une motivation suffisante de celleci. Cass. soc., 27 janv. 2016, n° 13-28.892, n° 217 F-D 406-25 Élections professionnelles Pour rejeter la demande d’annulation des élections, le tribunal, après avoir constaté, pour le siège de délégué du personnel titulaire, qu’au premier tour le nombre d’électeurs était de 22, le nombre de votants de 13, retient qu’il est mentionné au procès-verbal 3 bulletins blancs ou nuls, que le procès verbal ne mentionne pas que ces bulletins lui sont annexés, que cependant l’entreprise a conservé en original les trois enveloppes signées des membres du bureau de vote, qu’il y a lieu de considérer que l’annexion a eu lieu, que le motif de l’annexion n’est pas porté sur l’enveloppe, qu’il est plaidé en défense que les enveloppes ont été trouvées vides, mais que ce défaut de mention n’est pas sanctionné de nullité par le texte, et que rien ne permet de penser que les mentions portées au procès verbal seraient fausses.En statuant ainsi, alors qu’il était soutenu par le syndicat qu’un seul vote valable supplémentaire aurait permis d’atteindre le quorum au premier tour et qu’il résultait de ses constatations que les enveloppes des bulletins blancs ou nuls n’avaient pas été annexées au procès verbal, mais conservées par l’employeur, et qu’elles ne portaient aucune indication des causes de l’annulation, de sorte qu’il n’était pas en mesure d’exercer son contrôle, le tribunal a violé les articles L. 65 et L. 66 du Code électoral. Cass. soc., 25 janv. 2016, n° 14-29.796, n° 169 F-D 406-26 Syndicats/Valeurs républicaines La référence à la lutte des classes et à la suppression de l’exploitation capitaliste dans les statuts d’un syndicat ne méconnaît aucune valeur républicaine. Cass. soc., 25 janv. 2016, n° 14-29.308, n° 162 F-D Jurisprudence Sociale Lamy Nº 406 22 MARS 2016 Table alphabétique CADRE DIRIGEANT RÈGLEMENT INTÉRIEUR Définition ............................................................................. n° 406-20, p. 32 Mise à pied disciplinaire ..................................................... n° 406-21, p. 32 COMITÉ D’ENTREPRISE RÉMUNÉRATION Consultation ........................................................................ n° 406-12, p. 24 Délit d’entrave..................................................................... n° 406-9, p. 20 Diminution en cas de relégation CCN Football professionnel.............................................. n° 406-15, p. 30 CONCOURS DE NORMES CONVENTIONNELLES RÉSILIATION JUDICIAIRE Notion de caractère « plus avantageux » ..................... n° 406-13, p. 27 Date de la résiliation judiciaire du contrat de travail .. Licenciement personnel..................................................... CONTRAT DE TRAVAIL Transfert d’entreprise......................................................... n° 406-11, p. 21 n° 406-5, p. 18 n° 406-2, p. 8 RUPTURE CONVENTIONNELLE CONVENTIONS COLLECTIVES Homologation ..................................................................... n° 406-22, p. 32 Football professionnel ....................................................... n° 406-15, p. 30 Hôtels, cafés, restaurants ................................................. n° 406-16, p. 31 Sport...................................................................................... n° 406-14, p. 30 RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL DÉLÉGUÉS DU PERSONNEL Résiliation judiciaire ........................................................... n° 406-2, p. 8 ................................................................................................ n° 406-5, p. 18 Rupture conventionnelle ................................................... n° 406-22, p. 32 Droit d’alerte ....................................................................... n° 406-19, p. 32 SALARIÉS PROTÉGÉS DURÉE DU TRAVAIL Indemnité pour violation du statut protecteur ............ Convention de forfait-jours/Validité............................... n° 406-23, p. 32 Temps de travail effectif .................................................... n° 406-18, p. 32 SANCTION DISCIPLINAIRE ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES SANTÉ ET SÉCURITÉ Formalisme .......................................................................... n° 406-25, p. 32 Obligation de sécurité/Responsabilité de l’employeur Préjudice d’anxiété ............................................................ FORFAIT-JOURS n° 406-7, p. 19 Mise à pied disciplinaire ..................................................... n° 406-21, p. 32 n° 406-4, p. 15 n° 406-1, p. 4 Validité.................................................................................. n° 406-23, p. 32 SYNDICATS INAPTITUDE Valeurs républicaines ......................................................... n° 406-26, p. 32 Reclassement....................................................................... n° 406-17, p. 32 Résiliation d’un contrat relatif à la gestion d’une entité économique autonome ........................................ LIBERTÉS INDIVIDUELLES Audit sur la manière dont un salarié assume ses fonctions ............................................................................. TRANSFERT D’ENTREPRISE n° 406-11, p. 21 n° 406-6, p. 18 LICENCIEMENT (PROCÉDURE) Motivation de la lettre de licenciement ......................... n° 406-24, p. 32 LICENCIEMENT (SALARIÉS PROTÉGÉS) Demande d’autorisation préalable de licenciement ... Droit à indemnisation en cas d’annulation de l’autorisation ....................................................................... n° 406-3, p. 11 n° 406-3, p. 11 PROCÉDURE PRUD’HOMALE Pourvoi additionnel contre un arrêt d’appel de sursis à statuer .............................................................................. n° 406-8, p. 19 QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ Mesure de la représentativité des organisations professionnelles d’employeurs......................................... n°406-10, p. 20 Rédactrice en chef : Fany Lalanne ([email protected]) n Ont collaboré à ce numéro : le Cabinet Capstan - le Cabinet Colbert Avocats - le Cabinet Delsol Avocats - le Cabinet Fromont Briens - le Cabinet Vivant Chiss - Delphine Julien-Paturle - Jean-Philippe Lhernould - Hélène Tissandier - Claire Touffait n Imprimerie de Champagne – ZI Les Franchises 52 200 LANGRES n Éditeur : WOLTERS KLUWER FRANCE - SAS au capital de 155 000 000 € n Siège social : 14, rue Fructidor - 75 814 Paris cedex 17 n N° Indigo : 0 825 08 08 00 - www.wkf.fr - RCS Paris 480 081 306 - TVA FR 55 480 081 n Associé unique : Holding Wolters Kluwer France n Président-directeur général : Hubert Chemla n Directrice des Éditions sociales : Sylvie Duras n N° Commission paritaire : 1117 T 89301 - Dépôt légal : à parution - N° ISSN : 1279-8282 n Abonnement annuel : 519,69 € TTC n Périodicité : bimensuelle Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle par quelque procédé que ce soit, des pages publiées dans la présente publication, faite sans autorisation de l’éditeur est illicite et constitue une contrefaçon. 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