Adélaïde et le Provence

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Adélaïde et le Provence
Adélaïde et la Provence
Le pouvoir d’une femme de l’aristocratie franque
Guillaume le Libérateur, auréolé de sa gloire
d’avoir libéré la Provence des Sarrazins, a distribué
les terres reconquises. Clergés régulier et séculier,
largement pourvus en biens fonciers très rentables,
s’installent sur leur vaste territoire pour y pratiquer
l’évangélisation. Ils vont s’infiltrer auprès des chefs
laïcs guerriers dans les endroits les plus reculés et
organiser leurs diocèses en paroisses ou en terroirs.
Les paroisses qui réunissent les habitants sous la dépendance d’une église paroissiale, deviendront les villages claustraux (autour du cloître) ou castraux
(autour du château), Les terroirs se forment autour d’activités agricoles, en fonction de la géographie physique, selon la nature du sol, les ressources
ou les moyens d’accès.
Ces mesures qui se mettent en place pour répondre à un meilleur contrôle et à une meilleure défense de la population, vont favoriser l’émergence des
familles féodales provençales.
Les guerriers les plus proches de Guillaume se
partageront la Haute Provence entre la Durance et
la Vésubie, au sud de Digne et de Colmars. Leurs
descendants deviendront les seigneurs de La Penne et
des villages environnants,
Cependant, les archevêques d’Arles deviennent
peu à peu les plus hauts dignitaires de la ville, leur
titre les portant au niveau de ducs, ce qui leur per31
met d’éclipser la domination des comtes. C’est alors
que les grandes familles seigneuriales, telles Les
Baux, Fos, De Marseille, De Castellane, De Grasse...Tous ces vicomtes vont s’accaparer les comtés
au sud d’Arles, le long du littoral, atteignant les rives jusqu’à Nice où, Odile (976-1039), fille de Guillaume le Libérateur et de sa première épouse Arsinde De
Comminges est devenue comtesse nissarde.
Le pouvoir que détenait l’empereur est passé
dans les mains du roi de Bourgogne puis dans celles
des marquis de Provence. Ce sont ces nouveaux comtes qui l’exercent désormais. La seigneurie banale
vient de naître. Le ban est le pouvoir de commander
et d’infliger des sanctions, de lever des armées, de
percevoir les impôts, de rendre la justice, de
contraindre tout homme libre à accomplir des tâches
d’utilité publique.
Adélaïde d’Anjou a vécu pleinement cette période
où, alors qu’elle exerçait le pouvoir comtal, se mettait en place ce nouvel ordre qui allait appartenir
aux seigneurs.
Lorsque Adélaïde épouse Guillaume en 984, le
couple réside durant la belle saison, à Arles qui bénéficie d’un statut de capitale, au palais de la Trouille,
construit sur les ruines des thermes de Constantin,
Le comte y exerce de nombreuses prérogatives publiques : Tenue de plaids et d’assemblées de justice devant une assemblée de notables possédant tous des
biens dans la cité. L’hiver, le couple se retire à Manosque.
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Le pouvoir comtal est transmis à tous les garçons de la famille et les femmes portent le titre de
comtesse, en tant que fille ou épouse de comte.
Adélaïde qui avait été reine ajoute au prestige de
son époux. Ensemble, ils vont effectuer de nombreuses donations aux églises, monastères et abbayes
(Cluny).
Après son veuvage, en 993, elle devient comtesse douairière auprès de leur fils Guillaume De Provence. Aidée par son frère Guy, évêque du Puy, qui donne à son neveu un castrum dans l’Ardèche pour asseoir sa légitimité, Adélaïde tient le pouvoir comtal,
perpétue les dons, préside les assemblées de justice,
intervient au sein de la vie des monastères tels que
Montmajour, maintient toutes les relations que son
époux avait à Arles ou Avignon. Et elle se rend régulièrement en Auvergne, où elle retrouve les enfants
de son premier mariage avec qui elle entretient des
liens serrés.
Mais comment se faisaient les déplacements sur
ces chemins médiévaux mal entretenus, poussiéreux
et boueux ? On imagine aisément les irrégularités du
sol avec des bombements, des ornières, des trous et
des flaques car il n’y a pas de caniveaux pour récupérer l’eau de pluie. Les propriétaires des terrains
adjacents aux routes ont mieux à faire de leur argent que l’employer à entretenir l’état des voies de
circulation pour des gens de passage. Les chariots,
bien que grands et joliment décorés, sont inconfortables, sans suspension et n’encouragent pas les voyageurs à les emprunter. Le cheval semble alors le seul
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moyen de transport ; tous les cavaliers montent à
califourchon et c’est ainsi qu’Adélaïde doit voyager,
sous bonne escorte.
Mais tandis qu’Adélaïde déploie son énergie et
son temps à organiser le pouvoir, Guillaume De Provence s’émancipe et va agir indépendamment de sa
mère, après son mariage, en 1002, avec Gerberge de
Bourgogne, fille du comte Otte-Guillaume de Bourgogne. Lorsqu’il trouve la mort en 1019, lors d’un combat contre les seigneurs de Fos, Adélaïde et sa bru
Gerberge se trouvent seules pour assumer la puissance comtale. Et c’est à elles que le pape Benoît
VIII s’adresse pour défendre les droits des Clunisiens.
Adélaïde va mener à bien des alliances prestigieuses au sein de sa famille. Le mariage de Guillaume et Gerberge a rapproché le comté provençal de la
haute aristocratie bourguignonne.
L’union de sa fille Constance, vers 1003, avec
Robert II De France fera de cette dernière une reine
de France de la dynastie capétienne (photo de leurs gisants ci-après). Et lorsqu’elle marie Guillaume de Toulouse, fils de son mariage avec Raymond de Toulouse, à Emma, fille de Roubaud de Provence, elle resserre autour d’elle tous les héritiers du comté.
Par ces alliances stratégiques, Adélaïde établit des
relations avec les comtés méridionaux et réussit à
regrouper autour d’elle les trois maisons comtales
méridionales, du Gévaudan, de Toulouse et de Provence (voir tableau de sa descendance, page suivante).
Mais n’oublions pas qu’Adélaïde fut une reine,
l’épouse du dernier roi carolingien Louis V, qu’elle fut
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couronnée et associée au trône à Brioude, lors de
leur mariage en 982. Epouse royale, elle doit alors
veiller sur les domaines de son mari et le représenter
lorsqu’il est absent. Ce pouvoir des femmes échoit à
la noblesse à la disparition de l’empire carolingien. Au
dixième siècle, Adélaïde jouit donc d’une grande liberté, pouvant orienter sa vie, notamment choisir entre
le remariage ou la vie monastique après chacun de
ses veuvages.
Adélaïde, en cette période de jonction entre
deux siècles, semble avoir été le trait d’union entre
les derniers Carolingiens et les premiers Capétiens,
par son jeu d’alliances successives et ses relations.
Sœur, épouse, mère, belle-mère, elle a su jouer
tous les rôles, au cours d’une vie longue et active,
aussi bien dans l’exercice du pouvoir comtal que dans
son implication à maintenir une entente harmonieuse
au sein de la famille.
C’est encore pour bien marquer son statut de femme
aristocratique en Provence qu’elle a voulu laisser son
empreinte à Montmajour où elle décide d’établir la
nécropole des comtes de Provence, à Montmajour abbaye arlésienne où nous avons rencontré sa mémoire.
Gisants de
Constance d’Arles
et
Robert II de France
abbaye de SaintDenis
(Photo Pointis 2012)
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