Conférence du Professeur Henri SAVALL

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Conférence du Professeur Henri SAVALL
 « Vers un management socio‐économique du développement de la métropole lyonnaise » Conférence du Professeur Henri SAVALL ‐ LUNDI 28 AVRIL 2008 ISEOR, Université Jean Moulin Lyon 3 Marc BONNET présente le conférencier, qui était déjà intervenu à la SEPL il y a quinze ans sur la mise en place de démarches de management innovateur au Brésil. Le Professeur Henri SAVALL a créé l’ISEOR il y a trente trois ans pour expérimenter et développer une méthode de management innovatrice, le management socio‐économique, qui est actuellement la seule théorie de management d’origine française à faire l’objet d’une reconnaissance internationale, notamment aux Etats‐Unis où cette approche est enseignée dans plusieurs universités. L’ISEOR a mis au point cette méthode de développement des organisations qui associe étroitement performance sociale et performance économique au travers de recherches‐interventions réalisées dans plus de 1200 entreprises et organisations dans 34 pays. Ces méthodes ont été appliquées à des organisations très variées, y compris à l’échelon des territoires ou même de régions, comme dans l’Etat du Yucatan au Mexique. Bien que le siège du laboratoire international de l’ISEOR soit à Lyon, cet organisme et ses travaux sont peu connus des lyonnais, sans doute en raison de jalousies locales. Pourtant, il serait utile que pour une fois l’on fasse mentir l’adage « nul n’est prophète en son pays ». Cela est particulièrement important pour le thème de la Région Urbaine de Lyon, où l’on a besoin des apports du management socio‐économique pour créer une dynamique économique et sociale à l’échelle d’une métropole. Parmi la quarantaine d’ouvrages publiés par l’ISEOR en anglais, espagnol et français, il faut noter l’ouvrage paru chez Economica en 2003 sur le Management du développement des territoires qui sert de référence à la conférence de ce jour. Le Professeur Henri SAVALL présente alors un exposé illustré par de nombreux schémas (voir annexe) sous la forme d’un PowerPoint. Son argumentation peut se résumer à l’énoncé de sept grands principes de base de la théorie socio‐économique des organisations appliquée au cas des territoires : 1) Les coûts performances cachés d’une métropole La métropolisation peut aider à créer des performances, notamment quand la mise en commun des moyens et des compétences permet d’atteindre des objectifs d’excellence mondiale que l’agglomération lyonnaise seule ne peut atteindre. Il existe aussi une masse considérable de coûts cachés au niveau de la métropole en raison de phénomènes de désynchronisation des actions. Par exemple, le manque de concertation entre acteurs politiques et économiques peut entraîner des risques de déclin de secteurs industriels comme la chimie. Cette masse financière peut facilement être reconvertie en création de valeur ajoutée et en développement durable si l’on met en place une démarche de diagnostic et de projet socio‐économique, qui suppose de mobiliser un très faible pourcentage du temps des acteurs : l’intervention de conduite du changement sur un territoire est un petit investissement immatériel dont le rendement peut atteindre plus de 2000 % à 4000 % dans les cas qui ont été évalués. Il s’agit d’un petit investissement qui doit être fait avant ou simultanément aux investissements en infrastructures dont ils améliorent considérablement les performances grâce à la reconversion des coûts cachés en création de valeur ajoutée. La Cité des Echanges à Lille est un exemple de la rentabilité de ce type d’investissement qui a favorisé une dynamique économique et sociale et la création de 400 000 emplois nouveaux au cours des quinze dernières années. 2) Stratégie pro‐active de métropole Il est peu efficace de se battre directement contre des contraintes, comme les découpages territoriaux ou les points faibles d’un territoire. Il convient plutôt de construire une cohésion des acteurs, de façon à renforcer le « socle stratégique » qui rend possible une stratégie proactive audacieuse et qui rend « plastiques » les contraintes sous l’effet de son énergie et de son action. Les travaux de l’ISEOR permettent de démontrer que la performance d’un territoire à court et à long termes dépend de la qualité de la cohésion des acteurs économiques, politiques et sociaux. 3) Socle stratégique de la métropole La cohésion des acteurs au niveau d’un territoire est tout sauf naturelle et elle ne se déclare pas par des discours qui laissent les acteurs sceptiques, mais par la construction de projets en commun. Cela suppose un apprentissage qui se fait à la fois au niveau des décideurs au sommet (groupe de pilotage métropolitain par exemple) et au niveau des différents secteurs (projets d’agglomérations et projets thématiques dans différents domaines, comme les transports ou les agences de développement économique). 4) Périmètre de la métropole Un territoire tel qu’une métropole a besoin d’un périmètre pertinent et d’une stratégie et d’un horizon temporel, quitte à définir les relations entre ce périmètre et les autres agglomérations situées à l’extérieur. Le flou entretenu par des acteurs sur le périmètre d’un territoire est une façon inavouée de s’opposer au changement pour protéger une rente locale des coûts cachés au détriment de la création en commun de performance durable du territoire. Un territoire se définit par un processus de création d’un projet commun qui permet de dépasser les divisions, par des outils de pilotage, ainsi que par un dispositif de gouvernance. 5) Qualité du management des projets de développement de la métropole La stratégie d’un territoire comme la Région Urbaine de Lyon ne peut se limiter à la définition de projets, mais elle doit aussi comprendre des actions de qualité du management du territoire sur les domaines suivants : ‐ l’amélioration des interfaces entre les sous‐territoires, comme les SCOT ‐ l’accélération de la mise en œuvre des projets par un dispositif de concertation au sommet (exemple de la tarification unique des transports en commun). ‐ le développement des partenariats publics‐privés (exemple d’Euromed), y compris entre universités et centres de recherche publics et entreprises privées. Cela passe par un dispositif d’apprentissage structuré (diagnostic et projet socio‐économique) sans lequel les conflits d’intérêt et le manque de langage commun créent de tels dysfonctionnements que « la montagne accouche d’une souris ». ‐ la formation intégrée des élus et des acteurs économiques et sociaux dans le domaine du management des territoires, avec l’acquisition d’un langage commun. ‐ la contractualisation des performances des projets, en conservant une enveloppe financière de 5 à 10 % des financements attribués de façon incitative sur la base d’indicateurs de qualité de management des projets. 6) Imposture du concept de taille critique La course à la taille critique d’une métropole est un leurre qui nous a été inculqué par des théories économiques dépassées, car le paradigme de la soumission des acteurs dans un grand ensemble cohérent ne résiste pas à l’observation scientifique des dysfonctionnements des grosses agglomérations. Il faut lui substituer la course à la qualité du management du territoire au moyen de la méthode de « Décentralisation synchronisée ». A cet égard, la faible densité et la dispersion constituent une chance de la Région Urbaine de Lyon pour constituer une métropole multi‐polaire. Cela suppose aussi de répartir la responsabilité du pilotage des projets entre les différentes agglomérations avec un dispositif de pilotage global. Au total, toutes les agglomérations seront gagnantes, à la différence d’un modèle de développement traditionnel. 7) Pilotage de la métropole Il est nécessaire de mettre en place un dispositif de pilotage de la métropole RUL, sous peine de faire échouer ou retarder les projets à caractère transversal. Cela passe notamment par la mise en place des outils suivants : ‐la vigilance stratégique, qui permet de détecter en équipe des germes de projets et des opportunités de développement cachées de la métropole. ‐le Plan d’Action Stratégique Interne et Externe de la métropole, qui permet d’améliorer la synergie des projets par une meilleure synchronisation des plannings de mise en œuvre. Un exemple en a été donné l’an dernier par la SEPL au sujet du tourisme d’affaires, où la désynchronisation entraîne des dysfonctionnements, comme le départ pour Paris de Lyon Mode City. Ce plan stratégique est décliné à la fois de façon remontante et descendante dans des Plans d’Actions Prioritaires semestriels, qui sont des outils de pilotage au niveau des agglomérations et au niveau des projets métropolitains transversaux. ‐la grille de délégation concertée, qui permet notamment de s’entendre sur les règles du jeu entre agglomérations en évitant les compétitions inappropriées et destructrices de valeur (exemple de la double candidature de Lyon et Saint‐Etienne pour la capitale européenne de la culture). ‐la grille de compétences des agglomérations, qui aide à la fois à renforcer la compétence globale de la métropole, à organiser les synergies de compétences et à répartir les domaines de pilotage des pôles d’excellence et de compétitivité. °°°°°° A la suite de l’exposé très applaudi du Professeur SAVALL, plusieurs questions lui sont posées : Robert PARIS Vice‐Président de la SEPL. : quel est votre sentiment de lyonnais sur la nécessité de faire une grande métropole européenne ? Pour quoi faire, pour qui et avec quel objectif ? ‐ Lyon et sa région ont un atout dans le monde actuel qui s’urbanise de façon chaotique : c’est un territoire composé de gens sérieux avec la possibilité de construire une grande métropole multi‐polaire avec des interstices ruraux. La course à la taille n’est pas dans le goût des acteurs de ce territoire et c’est une opportunité à saisir, alors que Paris n’a pas cet avantage. ‐ Pour construire cette métropole, il faut un processus. On peut imaginer une tournée des différentes agglomérations de la RUL pour préparer un Plan d’Actions Stratégiques Interne et Externe à présenter en conférence métropolitaine. Ce processus renforcerait le modèle multi‐polaire qui est une bonne piste. Le premier acteur qui se lance pour le faire construira sa légitimité, sinon, tout le monde s’attend. Jacques BONNET, Professeur Université LYON 3 : quelle contribution des sciences de gestion à l’analyse de l’évolution des territoires ? Un territoire doit être ouvert si l’on veut éviter la décadence. ‐ Un territoire est poreux, avec des acteurs qui y rentrent et en sortent tous les jours et le seul facteur fondamental de création de valeur sur un territoire, c’est le potentiel humain stimulé par un projet. Les sciences de gestion aident à formaliser l’anticipation et à instrumenter une dynamique, à la négocier et à la contractualiser. La RUL peut être un acteur de cette anticipation en mettant en avant l’écoute et en formant les élus et les acteurs des territoires à des méthodologies de projet. Professeur Jacques BICHOT, Président d'Honneur de la SEPL : les exemples de la nouvelle carte judiciaire et de la carte hospitalière montrent que l’on supprime les petites unités. Est‐ce le bon modèle d’organisation pour la métropole ? ‐Il n’y a pas de bon modèle d’organisation dans l’absolu. Nous croyons davantage à l’efficacité d’un processus de changement permanent et concerté avec les acteurs. C’est le mouvement qui est générateur de réduction de dysfonctionnements et de création de valeur ajoutée. Question d’un participant : que pensez‐vous du problème du Port de Marseille, évoqué lors de la dernière conférence sur la métropole marseillaise ? ‐C’est un problème de manque de courage pour agir sur des scléroses. Céline BROGGIO ‐Université LYON 3 : il est nécessaire de changer les périmètres, car les électeurs qui ont le plus de poids dans la métropole sont ceux des grandes villes. Par exemple, si on réduit le trafic automobile dans Lyon, cela fait porter les inconvénients sur les autres villes. ‐Les phénomènes d’externalisation des coûts cachés sont classiques dans le contexte de lutte entre territoires. Il est nécessaire de bâtir une stratégie globale à l’échelle de la métropole et de renforcer l’attractivité du territoire pour y fidéliser les acteurs et les entreprises. Professeur Michel LAFERRERE , Président d'Honneur de la SEPL : vous plaidez pour les petites structures et pour les PME. Les grandes entreprises ont du bon, mais elles ont disparu de Lyon, ce qui n’est pas le cas en Allemagne. Par ailleurs, je ne crois pas qu’il faille institutionnaliser la RUL ‐L’avenir n’est pas aux grosses structures, mais à des structures en réseau, avec des projets actifs. Cela peut être le cas de réseaux de PMI comme de réseaux d’agglomérations animés par la RUL. Ces projets sont susceptibles de convertir les énormes coûts cachés actuels en création de valeur ajoutée et en performance durable pour notre métropole. Vincent PACINI, Directeur Associé de COCPIT : comment piloter un processus avec des acteurs au niveau d’un territoire qui n’a pas encore d’existence comme la métropole lyonnaise ? ‐Notre métier de management socio‐économique de développement de territoire est d’aider à mettre en place un processus de projet et à l’instrumenter pour faire passer un système du rêve à la réalité. C’est l’accompagnement d’un processus d’apprentissage.