Bruno et Stanislas Lacroix – Groupe Aldes

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Bruno et Stanislas Lacroix – Groupe Aldes
CDR MCCS
CONFERENCE DE LA SEPL DU 14 OCTOBRE 2013
Bruno et Stanislas Lacroix – Groupe Aldes
- La première conférence de la SEPL - cycle 2013-2014 - a apporté le témoignage
relatif à la transmission d’entreprise de Bruno et Stanislas Lacroix, respectivement cédant et
repreneur de l’entreprise ALDES, ETI familiale lyonnaise réalisant 220 millions de chiffre
d’affaires, avec un effectif de 1300 personnes.
Aldes est une entreprise qui a été créée en 1925, elle s’est implantée à Lyon et plus
précisément à Vénissieux, où se trouve son siège social.
C’est une entreprise industrielle française spécialisée en ventilation mais aussi dans plusieurs
autres secteurs : le chauffage et rafraîchissement, le désenfumage, les composants aérauliques
et l'aspiration centralisée. Elle conçoit, fabrique et commercialise des solutions intégrées qui
contribuent au bien être dans les bâtiments.
Aldes est un groupe international implanté dans plus de 13 pays en Europe et dans le monde :
États-Unis, Canada, Chine mais également en Allemagne, Italie et Belgique.
- Emmanuel Imberton présente le thème de la conférence et rappelle en sa qualité de
représentant de la CCI à quel point cette problématique des transmissions d’entreprise
familiale est prégnante et en rapport avec l'actualité de la chambre.
En effet, 25% des chefs d’entreprise de la Région Rhône-Alpes ont plus de 50 ans et la
question de leur transmission se pose naturellement, d’autant que certains projets de loi
peuvent alourdir une situation déjà complexe.
- Yves Minssieux, Président de la SEPL, remercie Emmanuel Imberton pour sa
présence ce soir. Concernant, le thème de cette première conférence de l’année et des
suivantes, il explique qu’aujourd’hui en France, une entreprise sur deux est d'essence
familiale mais que le taux de transmission pour les entreprises de plus de 10 salariés est très
faible : 6% contre 58% en Allemagne et 75 % en Italie. Il semble que la première accroche
dans les familles ne se fait pas.
Il présente ensuite les parcours des deux intervenants, Bruno et Stanislas Lacroix :
. Bruno Lacroix a repris l’entreprise familiale en 1967. Il a 3 enfants. Son
parcours professionnel est très riche, il a entre bien d’autres choses été président du CJD,
délégué consulaire, CES et CESER, puis président du CESER de novembre 2004 à 2013.
Président du GIL de 1988 à 1992, et président de l’Upra. Il est aussi membre du CA de
nombreux conseils d’administration.
. Stanislas Lacroix a repris le Groupe Aldès en 2012. Il a 42 ans, il est marié et a 4 enfants,
Diplômé de l’ESG, il débute sa carrière chez Jet service, passage par les USA, devient ensuite
responsable administratif des ventes chez SEB. Il intègre l’entreprise familiale en 1999. C’est
aussi un ancien du CJD et il est également administrateur du Groupe Apicil.
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Intervention de Bruno Lacroix
Sur 4600 françaises ETI (3X moins nombreuses et 2X plus petites qu’en Allemagne), en
Rhône-Alpes 139 seulement sont des ETI industrielles autonomes (non filiale d’un grand
groupe). Il s’agit d’un tout petit cercle, ce qui est regrettable car elles sont pourtant
essentielles au développement économique du tissu économique français. Les ETI se
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développent dans la durée et la transmission est donc un des facteurs clés de leur réussite et de
pérennité.
Bruno Lacroix a toujours été animé par une forte volonté de transmettre et d’organiser la
transmission de son entreprise d’un point de vue patrimonial et managérial, car il est essentiel
que l’entreprise se développe sur plusieurs générations. Ces valeurs sont le socle de
l’entreprise.
L’objectif premier de Bruno Lacroix a donc toujours été d’assurer la réussite du repreneur.
- La reprise de l’entreprise familiale Lacroix/ Feuga :
Quand il reprend l’entreprise en 1967 son effectif est de de 70 personnes, son activité
principale est l’emboutissage mais il découvre une petite activité de grille d’aération pour les
habitations. Peu motivé par la sous-traitance, cette activité appelle toute son attention et il
décide de s’en occuper et de la développer, d’autant que la législation française change et
impose la mise en place de systèmes de ventilation dans tous les logements. Il lance donc la
nouvelle technique de ventilation mécanique. L’activité connait alors une croissance
exponentielle jusqu’en 1975.
En 1975, conséquence du premier choc pétrolier les marchés s’arrêtent brutalement.
L’entreprise est alors en grande difficulté. Elle opérera toutefois une reprise progressive de
son activité et continuera de développer ses parts de marchés sur le territoire français.
Après cette crise, l’entreprise continue de développer ses activités de ventilation et innove
notamment sur des techniques destinée au secteur tertiaire.
A partir de 1982, l’entreprise opère un changement stratégique et s’ouvre à la croissance
externe. Ses différents rachats vont lui permettre d’augmenter de manière significative et
rapide son chiffre d’affaires. Dans le domaine de la sous-traitance en emboutissage par l’achat
de deux confrères lyonnais pour atteindre la taille critique ; mais toute cette activité sera
vendue en 1990.
Dans le domaine de la ventilation par achat d’une activité complémentaire en protection
incendie en 1984.
Puis, en 1990 la croissance externe est réalisée par l’achat de l’activité de fabrication des
conduits et accessoires issus d’Usinor (90 millions de francs de CA). C’est aussi l’année de
l’ouverture à l’international de l’entreprise.
2000 : deuxième ouverture à l’international avec la création de filiales à l’étranger.
2001 : l’entreprise passe le milliard de chiffre d’affaires en francs et elle développe une
nouvelle activité de confort thermique.
2011 : passage de relais à son fils Stanislas Lacroix.
- Les fondamentaux de l’entreprise Aldes :
- L’anticipation ;
- La différenciation par les technologies et les services (importance de la R&D) ;
- La recherche de solutions client et sécurisation de ces derniers par la qualité des
services apportés ;
- Le capital humain : compétences et motivation.
- Éléments clés concernant l’évolution capitalistique : il est essentiel de maîtriser et de
regrouper le capital pour pouvoir le transmettre.
L’entreprise est issue de deux groupes familiaux : Lacroix et Feuga. Au moment de la reprise
Bruno Lacroix n’est pas majoritaire. Dès 1975, il démarre les rachats d’actions.
1980 : première ouverture du capital à la SDR.
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1988 : parité Lacroix/Feuga, qui entraine un certain nombre de difficultés. Une réflexion sur
la structuration de l’entreprise est menée et la famille Feuga se retire. De là, la création d’une
holding financière qui achète les actions et du Groupe Aldès.
Deux nouveaux actionnaires (investisseurs financiers) entrent au capital du Groupe pour
compléter l’achat des actions de la famille Feuga.
La préparation de la succession est une priorité pour Bruno Lacroix qui saisit toutes les
opportunités fiscales pour avancer sur le sujet. Ainsi, il vend 2% des actions à la holding pour
payer les droits de succession et commencer la donation-partage.
Puis, les deux financeurs veulent se retirer et Bruno Lacroix, par l’intermédiaire de sa holding
financière, rachète leurs parts en faisant un emprunt de 36 millions, il obtient alors 71,7% du
capital de l’entreprise, le reste étant détenu par d’autres membres de la famille (frère et sœurs).
- La succession d’un point de vue managérial :
Bruno Lacroix a trois fils, l’un d’eux va remplir les conditions de la reprise, Stanislas Lacroix.
Il est essentiel que le repreneur fasse ses armes à l’extérieur de l’entreprise familiale. Son
intégration s’effectue dans le cadre d’une opportunité dans l’entreprise familiale en
adéquation avec son profil et son domaine de compétence. L’évolution dans l’entreprise se fait
progressivement, il faut que le repreneur acquière une réelle légitimité. C’est donc en 1999,
qu’une opportunité se présente qui va permettre à Stanislas Lacroix d’intégrer l’entreprise
familiale grâce au départ du responsable logistique. Il s’agit d’un des domaines de
compétence que Stanislas Lacroix a acquis durant son activité professionnelle chez Seb
(Calor). A cette période, il commence tous les matins à 7 h, son implication à tous les niveaux
fait partie des éléments qui vont lui permettre d’acquérir une réelle légitimité.
Puis avec la migration du logiciel ERP, un groupe de projet est créé qu’il va piloter avec
succès. La nature transversale de ce projet lui permet d’avoir une parfaite connaissance de
l’entreprise.
Il est alors nommé directeur Organisation et fait son entrée au comité de direction. Il devient
ensuite directeur adjoint et de là démarre le passage progressif mais effectif de la succession.
Chaque fois que Stanislas Lacroix prend en main une des activités, Bruno Lacroix s’en retire.
Puis fut préparé le passage de relai final ; 18 mois ont été nécessaire à cette opération, il a
fallu dans le même temps regrouper le capital et penser à la 4ème génération.
A partir de 2010, moment où Stanislas Lacroix entre clairement dans les instances de
gouvernance, la transmission peut s’effectuer progressivement.
- La fiscalité sur les successions en France impose des montages juridiques et fiscaux très
complexes pour éviter l’éclatement de la structure et permettre la transmission.
Dans le cas présent, les axes définis sont :
- Permettre le maintien d’un bloc familial fort dans la durée. Concentration du capital ;
- Assurer une détention majoritaire des droits de vote ;
- Assurer la pérennité : garantir le fonctionnement du groupe quels que soient les aléas
possibles (exemple : décès brutal du dirigeant actuel).
Les deux autres frères ont été obligés de bloquer une partie de leur capital dans la financière
de Stanislas Lacroix. Il a fallu leur montrer que c’était aussi leur intérêt. La difficulté dans ces
situations est de rechercher l’intérêt de toutes les parties. Il faut pousser les choses mais aussi
être à l’écoute des volontés de chacun et mettre en place un dispositif dans le temps pour y
répondre.
D’autre part, en tant qu’entreprise familiale, il est aussi nécessaire d’être accompagné par des
personnes extérieures telles qu’une partie des membres du conseil de surveillance.
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Intervention de Stanislas Lacroix
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Son parcours a été construit pour assurer sa légitimité, une sorte de parcours initiatique. Grâce
au repreneur c’est l’ADN et les valeurs de l’entreprise qui continuent d’être véhiculés. C’est
un point important de continuité attendu par les équipes.
L’entreprise a besoin d’avoir une gouvernance adaptée à ses enjeux et à sa transmission.
Il présente le montage financier. La Financière Stanislas Lacroix détient 72 % + famille
Lacroix à 28 %. Il fallait garantir un bloc familial dans la durée. Volonté d’avoir la majorité
des droits de vote et de garantir le fonctionnement du groupe quel que soit le contexte, y
compris si lui-même se retrouvait en incapacité. Garantir aussi une continuité dans le
fonctionnement est important. L’ancienne holding financière de Bruno Lacroix est
transformée en holding active d’animation du groupe : ALDES International qui est composée
du Directoire présidé par Stanislas et du Conseil de Surveillance présidé par Bruno Lacroix et
composé de 4 membres familiaux et 4 conseillers extérieurs à la famille. Une nouvelle
Financière a été mise en place qui loge tous les titres de Bruno et Stanislas Lacroix, avec
50,01 % des droits de vote. Il a été demandé aux deux frères de Stanislas de mettre une partie
de leurs titres bloqués dans la Financière. Cela offre une sécurité. Il fallait aussi rechercher
l’intérêt de toutes les parties : être à l’écoute des autres et mettre en place un dispositif
répondant aux enjeux de développement et animation du groupe.
On ne peut pas écarter que le régime de la fiscalité représente une contrainte pour les
entreprises françaises qui donnent une priorité à la croissance ou à la transmission. La fiscalité
française oblige les entreprises familiales de type ETI à concevoir des montages financiers
très complexes et alambiqués (bien plus que nécessaire) sinon elles rencontrent de sérieuses
difficultés à se transmettre de génération en génération. Ce contexte typiquement hexagonal
est vécu comme un véritable handicap. Il est fondamental de structurer une gouvernance
adaptée.
En 2011, Stanislas Lacroix est encore « sous la tutelle » de son père (le principe de loyauté), il
administre l’existant. Le 2/12/2011 le transfert de l’entreprise est effectif, c’est à son tour de
diriger et de développer l’entreprise.
Stanislas Lacroix passe par une réflexion sur sa légitimité professionnelle dans l’entreprise :
« qui l’on est, ce que l’on doit apporter ». Il se sent parfois proche du concept de
« l’imposteur, du fils de … ». Mais la légitimité est bien là : aussi bien à l’intérieur de
l’entreprise qu’au sein de la famille. Les équipes attendent ce genre de signe.
En 2012, il lance un programme sur le devenir de l’entreprise, quel est son devenir ? Il faut
diriger et être indépendant d’esprit. La légitimité est un point fondamental, on peut être
accompagné mais pas sur ce volet. Le comité de direction est riche d’expertises et attaché au
projet de l’entreprise dans le temps. Les équipes sont attentives à ce que les valeurs
fondatrices de l’entreprise soient toujours respectées.
- La transmission vue par les équipes : entre continuité et rupture.
Interrogés sur la transmission, les collaborateurs constatent une continuité dans les valeurs, le
maintien d’une vision commune de l’entreprise mais aussi une vraie rupture dans la mise en
œuvre stratégique et le management. Bruno Lacroix est un créateur et Stanislas Lacroix est un
développeur. Leur rôle s’est adapté au contexte de l’entreprise.
- En conclusion :
- Aldes est une entreprise lyonnaise avec des valeurs humanistes. Les valeurs doivent
subsister au-delà de la transmission.
- La valorisation des actions achetées aux autres membres de la famille doit toujours se faire
dans le respect d’un bon accord entre les parties prenantes.
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- Ne pas vendre l’entreprise à ses enfants, car ils paient deux fois : la première pour l’achat
des actions, puis la deuxième pour les droits de succession.
- Ne pas vendre son entreprise pour la retraite, mais toucher un complément de retraite par des
dividendes.
- Volonté de réussite du successeur. L’aider à construire sa légitimité.
- Il est important, enfin, de noter que dans le cadre d’une transmission d’entreprise, il est
indispensable de faire une répartition égalitaire entre les enfants, qui convienne à tous afin
d’éviter les traces négatives et les conflits.
- Pistes de réflexions de la SEPL :
Avec l’avènement de la troisième génération de dirigeants familiaux Lacroix au sein de
l’entreprise Aldes, la vision d’une inscription de celle-ci dans le temps long s’est confirmée et
l’impérieuse nécessité d’assurer la pérennité de l’entreprise anime chaque jour davantage
l’action du titulaire de la fonction. Cette vision et cette impérieuse nécessité induisent en
grande partie la manière avec laquelle le père, comme le fils, orchestrent les interactions entre
les contraintes externes et les ressources et les facteurs internes.
- Les contraintes externes relèvent du régime successoral. Il est dès lors absolument prioritaire
de commencer le processus de transmission le plus tôt possible pour profiter des fluctuations
de la valeur des titres, qui ne sont que du papier et qui ne sont pas monnayable en l’état et
pourtant parfaitement imposable. Il est donc regrettable que le cadre règlementaire oblige le
processus de succession à répondre d’abord à une contrainte fiscale et non à un besoin
stratégique pour l’entreprise.
- Les facteurs internes qui vont jouer dans le processus de succession et sa gouvernance relève
du choix de l’héritier manageur, la stricte équité dans le partage, la distribution de dividendes
à la partie de la famille qui n’est pas aux commandes directes de l’entreprise, la garantie d’un
bloc familial fort dans la durée, l’assurance d’une détention majoritaire des droits de vote au
sein de la famille dirigeante, la capacité à reconstruire le capital au gré des volontés des
actionnaires familiaux, la possibilité de sortir d’un montage juridique si l’environnement le
nécessite, le maintien d’une possibilité de reprise par un des membres de la fratrie en cas
d’incapacité du dirigeant manageur.
Les ressources internes apparaissent dans leur poids déterminant pour la pérennité de
l’entreprise et sa capacité à grandir (ETI) au-delà des vicissitudes du cadre règlementaire
français peu au fait de la marche d’une entreprise. Elles se déclinent tout d’abord par le rôle et
les qualités du leader qui décide et oriente la succession dans une démarche d’entrepreneur
visionnaire et humaniste (Cf. Alain Mérieux qui montrait dans sa conférence du 4 juin la
combinaison entre « la vision qui rassemble » et le bon sens qui assure un ancrage profond
pour faire face aux difficultés passagères), signes d’une culture lyonnaise de l’entreprise.
Elles se concrétisent également dans le sens de l’innovation et de la gestion du risque
notamment aux moments clés de la croissance de l’entreprise : l’innovation par une ouverture
de marchés « par proximité », innovation dans le montage de holdings, l’innovation dans la
mise ne place d’un nouvel ERP, la prise de risque dans les croissances externes et le
positionnement à l’international, etc.
Malgré un contexte règlementaire défavorable, la pérennité de l’entreprise tient sa force de ses
ressources internes orientées sur le temps long qui s’appuie sur des valeurs fortes pour lequel
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le processus de succession joue le rôle d’appropriation par le successeur qui se montre
capable et digne de reprendre la gouvernance de l’entreprise grâce à la légitimité acquise
auprès de toutes les parties prenantes (de la famille aux salariés).
Ainsi, la question des transmissions des entreprises familiales étant pour beaucoup liée aux
aspects financiers (ne pas laisser trop d’investisseurs « très extérieurs » prendre possession de
l’entreprise), la SEPL s’interroge sur l’opportunité de créer « un fond » d’investissement
lyonnais qui permettrait un développement dans la durée de nos ETI régionales et pour la
Région Rhône-Alpes une garantie de stabilité et de développement économique et sociale.