Les Links - Patrice Boissonnas

Transcription

Les Links - Patrice Boissonnas
David Cannon
Architecture
Les links :
la source sacrée du golf
Texte de patrice boissonnas
Saint-Enodoc dans le Sud-Ouest
de l’Angleterre, célèbre pour son
« Himalaya », le fameux bunker
du 6 haut d’une dizaine de mètres.
Patrice Boissonnas
Le golf est né sur les links, longs massifs dunaires reliant la
terre à la mer où furent joués les premiers « trous ». Parcours
d’exception unanimement admirés, les links d’autrefois
n’ont pas pris une ride. Ces merveilles golfiques se sont
imposées comme une source d’inspiration inépuisable
pour les architectes et un passage obligé pour tous les
amoureux du golf.
L
e British Open est aux links ce que Wimbledon est au gazon : une exception
dans l’agenda des pros, une étape fébrilement attendue par certains et redoutée
par d’autres. Il est heureusement moins rare pour un golfeur de fouler un links
que pour un tennisman de jouer sur herbe, car cette expérience déroutante mérite
vraiment d’être vécue. Alors que se profile le troisième rendez-vous majeur de la saison,
un cortège d’images étonnantes nous revient en mémoire : Tiger Woods portant
bonnet et col roulé, des champions heureux de scorer 76, des drivers utilisés comme
bois de parcours, des putts de 50 mètres depuis le fairway ou encore Tom Watson,
petit homme de 59 ans terminant premier ex æquo, avant play-off, du plus vieux tournoi
du monde. Bienvenue sur les links, la terre-sainte du golf, berceau originel où le jeu
se pratique encore comme au bon vieux temps, dans un face à face sans artifice entre
l’homme et la nature.
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160 « VRAIS » LINKS DANS LE MONDE
Contrairement à une idée trop répandue, tous les parcours de bord de mer ne sont
pas des links. Face au flou qui entoure ce terme galvaudé, rappelons qu’avant toute
chose, un links est un objet géologique : c’est une bande de sable autrefois recouverte
par la mer dont le sol fut façonné par le retrait progressif des eaux et dans une moindre
mesure par la force du vent. Les vrais links sont constitués de sable gris dont la texture
ferme et élastique offre des conditions incomparables pour la pratique du golf. Ce type
de surface ne se trouve pratiquement que dans les îles Britanniques et de manière très
localisée en Europe du Nord. Selon ces critères, on dénombre environ 160 purs links
dans le monde, soit une proportion infime des 35 000 parcours existants à ce jour.
Ainsi l’Old Course de Saint Andrews est un vrai links mais son voisin de Kingsbarns,
construit sur une plaine argileuse, ne l’est pas. Il suffit de jouer ces deux parcours l’un
après l’autre pour mesurer les différentes natures de leurs sols.
LA PRINCIPALE SIGNATURE D’UN LINKS : SON SOL
La pratique admet cependant une définition moins restrictive selon laquelle un links
doit réunir deux conditions : un sol sablonneux, surface toujours privilégiée pour jouer
au golf, et une architecture traditionnelle de type links, c’est-à-dire un parcours au relief
tourmenté dans un paysage dénudé. Selon ces critères, des centaines de parcours à
travers le monde peuvent s’afficher sous le prestigieux label de links, de Bandon
Dunes en Oregon à Barnbougle Dunes en Tasmanie en passant par Sand Hills dans
le Nebraska, à des milliers de kilomètres de toute côte ! Quant à notre beau pays, il
propose aussi quelques links authentiques comme Le Touquet, Granville ou
Wimereux. Pour ne rien simplifier, il arrive parfois que seuls quelques trous
soient de type links. En France, on pense par exemple à Chiberta, Moliets
ou Saint-Jean-de-Monts. Ces parcours sont tantôt considérés comme des links,
tantôt pas, affaire d’image et de réputation sans doute, davantage que de réalité
géologique. Enfin, par ignorance ou à des fins publicitaires, certains golfs
entretiennent la confusion en se prétendant links à tort. L’exemple le plus célèbre
reste certainement Pebble Beach : malgré son nom officiel de « Pebble Beach
Golf Links », ce tracé légendaire n’a rien d’un links puisqu’il n’en a ni le sol ni
le style. Attention donc aux jugements prématurés : on trouve d’excellents golfs
qui ne sont pas des links et inversement, tous les links ne sont pas forcément
des chefs-d’œuvre.
Autre cas de figure, lorsqu’un parcours est construit sur une dune de sable
recouverte de forêt, on parle d’« inland links » comme à Sunningdale et
Walton Heath près de Londres ou Morfontaine et Fontainebleau autour de
Paris. Moins sauvages que leurs cousins de bord de mer, ces golfs magnifiés
par leur décor de bruyère et de grands résineux n’ont rien à envier aux links
traditionnels et proposent des expériences golfiques inoubliables. Finalement,
en bord de mer ou à l’intérieur des terres, la caractéristique essentielle d’un
tracé de type links reste un sol roulant et chahuté où l’on redécouvre que le
golf est avant tout un jeu de balle, une balle vive et bondissante traçant sa route
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Architecture
journaldugolf.fr
juillet 2012
brouillent les repères des meilleurs joueurs. Dans certains bunkers, il arrive que le
meilleur coup soit en marche arrière ! Ou encore, les coups les plus courts ne sont pas
nécessairement les plus simples pour tenir sa balle sur le green car tout dépend du
vent : souvent, un fer 5 face au vent sera plus facile à stopper au drapeau qu’un wedge
vent dans le dos ! Dernier élément déroutant : sur un links, le par ne veut rien dire
tant le sens et la force du vent modifient la longueur et la difficulté réelle des trous.
Ainsi en année calme et sèche, le British Open peut se conclure entre -15 et -20 tandis
que les éditions plus mouvementées se gagneront autour du par.
The Old Course, Saint-Andrews Links
UNE GRANDE LEÇON D’ARCHITECTURE
Saint-Andrews, là où tout a
commencé, un paysage simple et
plat mais des ondulations subtiles
qui donnent toute sa saveur au jeu.
Si le golf est le cadeau de
l’Écosse au monde entier,
les links sont le cadeau
de la nature aux Écossais
dans les dunes. Les links les plus authentiques se reconnaissent aussi à leur entretien :
fairways hyper roulants au gazon écorché, greens et avant-greens très fermes, aucun
rough dans le voisinage immédiat des greens et des bunkers, tout est fait pour laisser
rouler la balle. Certains golfs qui n’ont pas la chance de bénéficier d’un sol sablonneux
misent sur la préparation du parcours pour fabriquer l’illusion du links. Ils peuvent
s’en approcher au prix d’importants efforts, mais ils n’obtiendront jamais les qualités de
rebonds caractéristiques des purs links.
bons parcours, offrant une infinie diversité de coups à jouer, exigeant finesse et toucher
comme nulle part ailleurs. Leurs reliefs vierges de toute intervention humaine offrent
parfois des séquences de jeu extrêmes comme le bunker du 6 à Saint Enodoc ou celui
du 4 au Royal Saint George, et des trous fous comme le 14 du Royal Portrush très
justement surnommé « Calamity ». Un architecte qui aurait fabriqué ces trous n’aurait
pas été pris au sérieux mais puisqu’ils sont produits par la nature, on s’incline devant le
défi vertigineux qu’ils représentent.
LA NATURE COMME ARCHITECTE
ACCEPTER UNE PART DE HASARD
DU GRAND GOLF POUR TOUS
Vus du ciel, tous les links se ressemblent : paysages ouverts aux quatre vents, à
la végétation rase et épineuse, d’où surgissent quelques grandes bandes tondues
définissant les fairways. Rien de très alléchant a priori car c’est au niveau du sol qu’un
links s’apprécie : des ondulations sans fin comme des vagues sur l’océan, la sensation
d’un golf fondu dans la nature, comme posé là depuis l’aube de l’univers. Mais derrière
ces points communs, tous les links ne se ressemblent pas. Carnoustie est plat comme le
creux de la main dans un site sans charme en comparaison avec les dunes gigantesques
de Ballybunion. Prestwick et Troon sont coincés entre voie ferrée et aéroport tandis
que Saint Andrews commence et s’achève en pleine ville. Tous sont pourtant de très
Les premiers contacts avec les links s’avèrent parfois difficiles, y compris pour les grands
joueurs : au British Open 1921, Bobby Jones n’avait que 19 ans lorsqu’il fit ses premiers
pas sur l’Old Course. Furieux de ses déboires à répétition, il abandonna en déclarant le
parcours « injuste ». Très vite pourtant, il apprendrait à aimer cette architecture délicate
et capricieuse dont il reprit les grands principes à Augusta. Pour des millions de golfeurs
sensibles au golf traditionnel, le jeu sur les links reste une expérience jubilatoire et très
recherchée. On vient du monde entier pour jouer à Saint Andrews, à Turnberry ou au
Royal County Down. Et aux États-Unis, le resort de Bandon Dunes (Oregon), unique
complexe multi-links outre-Atlantique, ne désemplit pas depuis son ouverture en 1999.
Qu’est-ce qui fait courir tous ces toqués du golf ? Le jeu bien sûr, le vrai et beau jeu où
golf rime avec amusement et camaraderie davantage qu’avec performance et victoire.
Le joueur de links sait qu’il ne peut rien contre un vent déchaîné ou contre un vilain
rebond. Il sait qu’au golf comme dans la vie, on ne peut pas tout contrôler, il accepte
patiemment les coups du sort et approuve humblement de s’en remettre en partie au
hasard.
Malgré les rebonds et les hasards, les links exigent des prouesses dans le maniement
de la balle et ils ne manquent jamais de révéler les très grands joueurs. Sur un links,
en effet, il faut non seulement contrôler le vol de la balle (comme sur n’importe quel
parcours de championnat), mais aussi ce qui lui arrive après le premier rebond. De
purs « shotmakers » comme Lee Trevino ou Seve Ballesteros excellaient à ce jeu.
Ce faisant, les links parviennent à résoudre un des grands défis de l’architecture de
golf : proposer un test relevé aux bons joueurs sans pénaliser les golfeurs moyens.
Des tours de greens fermes et ondulés éprouvent durement le petit jeu des stars, mais
pour le tout-venant, ce sont des situations beaucoup plus faciles à gérer qu’un rough
dense et profond. Reste que pour toutes les catégories de joueur, les links opèrent la
même magie : la nature y prend une place prépondérante, tantôt partenaire, tantôt
adversaire, et le golfeur occupé à faire avancer sa balle dans des éléments qui le
dépassent doit livrer un combat épique. La satisfaction incomparable ressentie en
pareil moment n’est plus une question de par ou de birdie. C’est une expérience intime
et bienfaisante qu’on cherchera toujours à revivre dès lors qu’on y aura goûté.
Autre élément justifiant la popularité des links : ce sont des parcours pour tous où
chacun peut éprouver du plaisir quel que soit son niveau. Sur des fairways roulants, la
longueur n’est plus un atout décisif à l’image de Tom Watson pour qui le British Open
reste le seul tournoi où il peut encore rivaliser avec les jeunes. De surcroît, les links
proposent généralement de larges fairways, peu ou pas d’obstacles d’eau et n’exigent
pas de longs carries au drive, autant de détails agréables aux joueurs moyens. Sans
vent, un links peut même être un parcours facile. Autre signe de leur valeur, les links
Finalement, la caractéristique essentielle d’un links reste un sol roulant et chahuté où
l’on redécouvre que le golf est avant tout un jeu de balle, une balle vive et bondissante
traçant sa route dans les dunes. Le joueur de links sait qu’il ne peut rien contre un
vent déchaîné ou contre un vilain rebond. Il sait qu’au golf comme dans la vie,
on ne peut pas tout contrôler, il accepte patiemment les coups du sort et approuve
humblement de s’en remettre en partie au hasard.
‘‘
Ce n’est pas un hasard si le golf est né sur les links. Véritables « dons de Dieu » attendant
les premiers golfeurs, ces dunes étaient propices au jeu bien avant d’être transformées
en parcours. Leur sol salin les rendait impropres à l’agriculture tandis que leur texture
particulière apportait le juste mélange de drainage et d’humidité nécessaire à la croissance
de l’herbe. En un mot, il n’y avait pas de meilleur endroit pour faire paître les moutons
dont l’appétit glouton régulait la pousse du gazon et dont les excréments fertilisaient le sol
pour son plus grand avantage. Si le golf est le cadeau de l’Écosse au monde entier, les links
sont le cadeau de la nature aux Écossais. Plus tard, lorsque les premiers « architectes »
imaginèrent certains aménagements destinés à rendre le jeu plus intéressant, les links
se révélèrent une nouvelle fois idéaux : à l’âge du cheval et de la charrue, il n’y avait pas
de sol plus simple et bon marché à déplacer que le sable. Aujourd’hui encore, ces sols
restent les plus recherchés pour la création de nouveaux parcours bien que les techniques
modernes permettent de construire à peu près n’importe où.
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Dans la communauté des architectes, les links demeurent la référence absolue, à la
fois sources d’inspiration, détenteurs de la vérité du jeu et lieux de grande pureté
golfique. Les esprits sceptiques trouveront cet enthousiasme exagéré, mais une telle
admiration portée à nos vieilles cathédrales du golf mérite quelques commentaires.
Les links étonnent d’abord par la simplicité de leur architecture : les reliefs du site
sont parfaitement exploités, les interventions humaines limitées et subtilement
intégrées. Ainsi la justesse architecturale viendrait du respect de l’environnement,
victoire de la nature contre l’artifice. Autre propriété fondamentale des links, leur
caractère multidimensionnel : il n’y a jamais qu’une seule voie du tee au green et
c’est au joueur de choisir la meilleure route pour aller au bout de son parcours. Plus
libre et ouvert que sur les parcours dits « à l’américaine », le jeu sur les links fait
appel à l’observation et à l’imagination. Enfin, les links brillent par la variété sans fin
de leurs ondulations. Parce que greens et fairways sont fermes et roulants, chaque
pente, chaque bosse et chaque creux influent sur la course de la balle. Chaque détail
compte et participe de l’harmonie générale comme une note de musique dans une
symphonie. Là réside sans doute le secret des links : terribles et imprévisibles, ce sont
des parcours vivants.
Aujourd’hui comme il y a cent ans, les links n’ont jamais cessé d’inspirer les architectes.
Les meilleurs d’entre eux ont consacré beaucoup de temps à les étudier, considérant
ce pèlerinage comme une étape nécessaire à leur compréhension profonde du jeu de
golf. Ainsi, tous les architectes de l’âge d’or américain revendiquent cette filiation.
Charles Blair MacDonald, le « père » de l’architecture américaine, a créé en 1911
le « National Links of America » (Long Island) comme un hommage aux links
britanniques. En démontrant la valeur de cette architecture à un pays en plein boom
du golf, ce chef-d’œuvre a eu une influence considérable outre-Atlantique. Quelques
décennies plus tard, le renouveau de l’architecture d’après-guerre fut initié par Pete
Dye qui sut extraire l’essence des links pour la distiller dans des parcours de facture
moderne. Dye a souvent la réputation d’être l’architecte sadique des greens en île
mais la réalité est tout autre : c’est un amoureux de la tradition, un fin psychologue
estimant qu’un bon design doit savoir faire douter les meilleurs joueurs. Pour finir,
les grandes stars de l’architecture contemporaine (Tom Doak, Gil Hanse, Bill Coore,
etc.) prêchent sur tous les continents leur foi dans le minimalisme et le naturalisme
hérités des links. La boucle est bouclée : aujourd’hui plus que jamais, on dépense des
millions pour faire des parcours comme autrefois.
Pour contacter Patrice Boissonnas : [email protected]
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