Conduite à tenir devant un héroïnomane et prise en charge de sa

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Conduite à tenir devant un héroïnomane et prise en charge de sa
Conduite à tenir devant un héroïnomane et prise en charge de sa dépendance
Le sujet se présentera au cabinet spontanément, sur la sollicitation d'un tiers ou sur injonction judiciaire. Il faut
savoir réguler l'appel et la demande, au téléphone comme directement dans le cabinet. La pertinence de
l'intervention médicale repose sur la capacité à :
- discerner l'authenticité de la demande
- adopter une attitude de neutralité bienveillante
- demeurer crédible en excluant toute prescription de complaisance
La situation ne revêt aucun caractère d'urgence, exception faite de l'intoxication aiguë. L'évaluation devra être
menée avec rigueur. Elle précédera, si le sujet en accepte le principe et les contraintes, le sevrage de la
dépendance physique (cure) et le processus de réinsertion sociale (post-cure), éventuellement facilité par
l'instauration d'un traitement de substitution.
L'évaluation
I . L'évaluation vise avant tout à savoir se poser et poser les bonnes questions, en évitant tout
entretien d'emblée trop systématiquement axé sur le produit et ses effets:
9 dans quelles circonstances le patient arrive-t-il au cabinet (sans rendez-vous ou avec, en fin de journée
ou non) ?
9 le sujet est-il venu seul (de sa propre initiative, sur demande d'un tiers, sur injonction) ou accompagné
(ami, mère, autres membres de la famille) ?
9 comment se présente-il (agité, nerveux, quérulent, prostré) ?
9 où en est-il de son parcours (première consultation ou non) ?
9 que sollicite-il (médicaments, ordonnance de complaisance, sevrage) ?
La situation n'est jamais une urgence. Si le patient arrive sans rendez-vous, lui en proposer un, le lendemain par
exemple. Cette visite nouvelle permettra de valider l'authenticité de la demande.
II . La première évaluation porte sur trois aspects:
9 bilan psychique et physique
9 précarité sociale
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ressources personnelles
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protection sociale
9 réseau affectif et tiers soutien
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Le soutien devrait idéalement être un membre de la famille au second degré (oncle, tante, etc.) ou un
éducateur; la situation la plus défavorable est celle où la mère constitue le seul soutien.
lors d'une consultation qui ne sera pas inutilement prolongée.
III . Apprécier l'état de santé psychique et physique :
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Rechercher des antécédents à la toxicomanie:
carences affectives, dislocation familiale, problèmes sociaux, traumatismes psychologiques,
tentatives de suicide, séjours en institution psychiatrique, traitements pour troubles psychiques
(dépression, troubles de l'humeur), hospitalisation pour overdose, hospitalisations pour d'autres
causes, maladies
Tout problème psychiatrique aigu, tous antécédents suicidaires itératifs, tout contact permanent avec un autre
toxicomane, l'absence de domicile fixe font orienter le sujet vers une prise en charge institutionnelle.
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Examen somatique du toxicomane:
cet examen rassure, souligne la prise en compte de l'individualité.
Préciser :
- le degré d'hygiène générale (ne pas négliger dents et gencives)
- l'aspect staturo-pondéral
- l'état de la peau : sites d'injections, tatouages, cicatrices (phlébotomies)
- un éventuel myosis
Rechercher une hypertrophie ganglionnaire, une splénomégalie, une hépatomégalie
Prendre la tension artérielle, procéder à une auscultation cardio-pulmonaire soigneuse
Procéder à un examen neurologique succinct (réflexes ostéotendineux, équilibre, sensibilité)
Prescrire des examens de laboratoire adaptés au constat somatique, des sérologies (HIV, hépatites,
notamment).
Observer les réactions du sujet pendant cet examen: est-il nerveux, agressif, ou au contraire relativement
détendu et confiant ?
IV . Le syndrome de sevrage d'un héroïnomane peut-être spectaculaire mais cède sous 48 heures,
sauf association à une toxicomanie aux barbituriques qui l'aggrave. Les signes sont souvent
perturbés par l'association à d'autres psychotropes, avec ou non sevrage simultané.
V . Cure ambulatoire : Elle repose sur un contrat passé entre le thérapeute et le toxicomane dont il définit les
obligations respectives. Ce contrat n'implique pas nécessairement la prescription de médicaments, encore moins
celle d'une substitution. Le non respect des engagements entraîne l'interruption de la cure. Le sujet doit être
motivé et convenablement informé de l'ensemble du processus.
VI . Évaluer l'indication ambulatoire
- Circonstances peu favorables
* absence de protection sociale
* absence de ressources personnelles
* soutien affectif limité à la mère
* arrive au cabinet en état de manque
* présente des cicatrices d'automutilation
* polytoxicomanie
* succession sans résultats de plusieurs protocoles de sevrage
- Circonstances défavorables
* existence isolée
* injonction thérapeutique
* atteintes somatiques aiguës
* absence de domicile fixe
* absence de tiers soutien
- Cure ambulatoire non indiquée
* troubles psychiatriques chroniques ou aigus
* coexistence avec d'autres toxicomanes
VII . Le schéma de prescription le plus classique en ambulatoire associe :
- un analgésique destiné à traiter de façon symptomatique les crampes musculaires:
paracétamol (3x 500mg/j) ou Di-Antalvic® (2cpx3/j) ou Viscéralgine Forte®
- un anxiolytique qui peut associer des propriétés myorelaxantes et anxiolytiques:
Myolastan® (3 à 5cp/j), Seresta 50mg (2 à 6 par jour), Temesta 2,5mg (2 à 4 par jour),
Xanax® 0,5mg/j mais on refuse les BZD les plus souvent pris de façon cumulée dans un but
de défonce : Rohypnol® ou Tranxène 50®
- un éventuel neuroleptique sédatif, améliorant le sommeil:
Tercian® 25 ou Nozinan® 25, un comprimé au coucher
VIII . La prescription est accompagnée :
- de conseils d'hygiène: hydratation suffisante, bains chauds, séances de piscine
- d'une assistance sociale (orientation vers les structures adaptées: logement, aides financières, etc.)
- d'une prise en charge psychologique si le sujet en accepte le principe; elle peut être utilement
différée à la phase de post-cure
IX . Il est déconseillé de prescrire du Catapressan® hors surveillance hospitalière, sauf si le sujet
peut être suivi quotidiennement.
Le protocole consiste à administrer un demi-comprimé (soit 75µg) toutes les 2-3 heures jusqu'à
atteindre un maximum de 600µg en 8 prises en ambulatoire, sous stricte surveillance de la tension
artérielle. Les doses sont réduites progressivement dès le 4ème jour et le traitement arrêté en 8 à 10
jours. Ce protocole, non officialisé par l'AMM, impose un arrêt de travail et l'accompagnement du
patient au cabinet du médecin pour des visites de contrôle fréquentes. Les baisses tensionnelles
enregistrées sont réduites, mais la bradycardie souvent marquée.
Quelques médecins prescrivent de l'Estulic° car ce produit est moins connu des toxicomanes et permet de donner
suite à ceux qui se plaignent que le Catapressan° ne fait plus effet.
X . Il est possible au généraliste d'initier un traitement de substitution par buprénorphine (Subutex°)
mais non par méthadone (la prise en charge initiale est alors faite en milieu hospitalier par un spécialiste). Il
importe de bien évaluer le besoin du sujet: il est le plus souvent possible de surmonter l'abstinence sans
substitution, si l'accompagnement psychologique est suffisamment étayant. Le traitement substitutif des
pharmacodépendances majeures aux opiacés (morphine, héroïne) n'a de sens que dans un cadre
global de prise en charge sociale et psychologique.
Tout médecin peut prescrire du Subutex®° après un examen médical strict. Il est conseillé au
médecin souhaitant prendre en charge des toxicomanes de contacter un réseau de confrères ayant
déjà une expérience pratique.
La prescription est établie sur carnet à souche pour une durée n'excédant pas 28 jours, le médecin
devant préciser sur l'ordonnance s'il souhaite une délivrance fractionnée et si oui, devant préciser son
rythme.
- Posologie initiale : 0,8 à 2mg/j en une prise, lors de l'apparition des premiers signes de manque, au
moins 4 heures après la dernière prise de drogue (le dernier "fixe"), ou après diminution de la
posologie de méthadone à 30mg/j si la buprénorphine est administrée pour mettre un terme à une
maintenance par ce produit.
- Adapter la posologie progressivement aux besoins du patient, la limite étant de 16mg/j en une prise.
- Une quantité couvrant plusieurs jours de traitement pourra être remise aux patients lorsque leur
environnement psychologique et social le permettra. Il est déconseillé d'excéder 7 jours de provision.
- Le traitement devra être arrêté progressivement lorsque le patient sera bien stabilisé. Dans cette
phase, il convient d'intensifier les contacts avec le sujet afin de détecter une rechute éventuelle.
XI . Proscrire l'administration de certains médicaments que recherchent les toxicomanes:
- antidépresseurs psychostimulants
- anorexigènes
- flunitrazépam (Rohypnol°) ou chlorazépate fortement dosé (Tranxène 50°)
- médicaments contenant des opiacés ne relevant pas d'un protocole validé de substitution
(Dinacode°, Codéthylline°, Néocodion°)
Refuser tout compromis susceptible de faire perdre toute crédibilité.
XII . Le rythme théorique des consultations pourra être de:
- quatre la première semaine (en commençant si possible un lundi)
- deux la deuxième
- une la troisième
Ce schéma sera adapté à chaque cas.
XIII . . Limiter les risques de falsification ou de détournement d'ordonnance :
- ne pas associer plus de trois médicaments
- ne pas prescrire plus d'une boîte de chaque médicament
- mentionner sur l'ordonnance: "Ne pas renouveler"
- écrire les chiffres en toutes lettres
- rayer les lignes demeurant disponibles
- signer très lisiblement et mentionner sous la signature le nom en clair
- faites vous connaître auprès des pharmaciens de votre ville
- ne pas laisser traîner le carnet à souche ou le bloc d'ordonnances sur votre bureau
- - signaler tout vol aux Ordres des Médecins et des Pharmaciens, ainsi qu'au Commissariat de
police ou à la gendarmerie
XIV . Apprécier le succès de cette phase par divers critères:
- présence aux rendez-vous
- insertion sociale
- arrêt de la consommation des toxiques
- établissement et maintien des contacts avec un tiers soutien
- possibilité d'initier une psychothérapie
XV . Post-cure : Le suivi du traitement pourra impliquer, lorsque le sevrage proprement dit sera terminé, la
prescription d'antidépresseurs sédatifs pendant la post-cure. En cas de troubles du sommeil prolongés, prescrire
des hypnotiques adaptés (Noctran 10®, Mépronizine®).
XVI . Ne pas mélanger les rôles: le médecin n'est pas une assistante sociale. Il convient de savoir orienter le sujet
précocement vers les services sociaux concernés et travailler de concert avec les associations. Le rôle du tierssupport (parents, amis) est ici fondamental et conditionne largement le succès de l'entreprise.
- Le Centre Didro (Paris), Drogue Info Service (n° vert: 05 23 13 13), ou le 3615 Toxitel permettent
de consulter ou d'avoir des informations sur l'annuaire national des centres de soins aux
toxicomanes.
- La DDASS dispose de tous les renseignements utiles au plan local
Il importe avant tout de permettre au sujet d'exercer sa pleine autonomie, en évitant de systématiquement de
prendre pour lui les contacts téléphoniques ou épistolaires.