En 1939, la déclaration de guerre allait bousculer le destin de la
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En 1939, la déclaration de guerre allait bousculer le destin de la
angouleme-mont-ararat-mardikian12272 -* 27.11.12 - page 24 La famille Mardikian en promenade dans le Paris des années 1930. En 1939, la déclaration de guerre allait bousculer le destin de la famille Mardikian. La mobilisation fut générale, et Zaven fut mobilisé sans être pourtant naturalisé. Solidaire, respectueux du pays d’accueil qui l’avait adopté, il partit à la guerre comme un vrai citoyen français, laissant femme et enfants à la maison. Son régiment se trouvait à Clermont-Ferrand, ce qui lui permettait de rendre visite de temps en temps à sa famille à Paris, dès qu’il le pouvait, avant de partir sur le terrain et d’être fait prisonnier... Ses deux enfants à ses côtés, Aznive avait accompagné son mari au métro Odéon. Ce fut la dernière image que Jean Mardikian eut de son père, il était en uniforme de soldat... Plus tard, il fut fait prisonnier et emmené en Allemagne derrière des barbelés. Jean avait quatre ans et sa sœur, deux ans. « C’est la dernière image que j’ai de lui », me répéta plusieurs fois Jean Mardikian. Très ému... 24 angouleme-mont-ararat-mardikian12272 -* 27.11.12 - page 25 Portrait de la famille Mardikian en 1942. Aznive entourée de Jean et de sa sœur, Arlette. Aznive fit ajouter à leurs côtés la photo de Zaven, le père de Jean, alors prisonnier en Allemagne. Devant cette émotion, je ne savais plus vraiment si son père était revenu de la guerre. Je le lui demandai. Il me répondit par l’affirmative et je compris plus tard le sens caché de cette phrase, restée quelques secondes en suspens. Sa mère se retrouva sans ressources avec à charge deux enfants en bas âge. Aznive avait appris à coudre, en aidant son mari dans son travail de façonnier. Elle savait confectionner quelques gilets, cela ne suffisait pas pour subvenir aux besoins de la famille. Aussi, très vite, la Maison des prisonniers, institution créée par l’État français du maréchal Pétain, la prit en charge. On lui proposa de placer ses enfants en famille d’accueil. Aznive accepta. Elle n’avait pas le choix. Arlette fut accueillie dans une famille de six enfants âgés de quatorze à seize ans, à Dampierre-surSalon, dans le département de la Haute-Saône, en Franche-Comté, au début 1942. Le chef de famille, René Louvot, un très grand monsieur, me dit Jean, conseiller général de son canton, maire de la commune, vétérinaire 25 angouleme-mont-ararat-mardikian12272 -* 27.11.12 - page 26 de son état, était une personne très généreuse. Arlette devint la petite sœur gâtée de la famille. Jean tomba malade. Il partit dix mois en préventorium à Tumiac, en Bretagne. Il n’avait alors que six ans. Image furtive : un grand bâtiment proche de la mer, dans lequel Jean se repose pour empêcher la tuberculose d’avoir raison de son petit corps frêle... À son retour, tout comme sa sœur Arlette, Jean fut placé en famille d’accueil. Aznive n’avait pas eu le choix. Le vétérinaire, René Louvot, qui se rendait souvent d’une ferme à l’autre pour soigner les animaux, demanda à une famille d’agriculteurs, Germaine et Joseph Morel, s’ils voulaient bien recevoir un petit Parisien chez eux. Ce couple vivait à Montot, un village à cinq kilomètres de Dampierresur-Salon... Ils avaient deux enfants, Ginette, seize ans, et Guy, douze ans... Germaine et Joseph acceptèrent avec plaisir d’accueillir le petit Parisien, le frère de la petite fille que René Louvot et sa famille avaient eux-mêmes reçue. Le petit Parisien à Montot ... À la Pentecôte, en 1943, âgé de huit ans, maigre comme un clou, Jean quitta la capitale. Il passa sans transition d’une vie citadine à celle d’un paysan. Arrivé à Montot, petit bourg médiéval de la Haute-Saône, il fut accueilli à bras ouverts. Il ne savait pas encore que ce village deviendrait le sien, marquerait sa vie de souvenirs impérissables qui guideraient son existence... À cinq kilomètres de Dampierre-sur-Salon, comme son nom le laisse deviner, Montot est perché sur un mont, qui domine le Salon. Cette rivière enjambée par un pont datant du xviie siècle, composé de sept arches gracieuses, charme toujours les promeneurs par sa vivacité et son bruit rassurant. Jean ne tarda pas à se plaire dans ce milieu rural. S’il avait appris à parler le français, en particulier lors de son 26 angouleme-mont-ararat-mardikian12272 -* 27.11.12 - page 108 Quelques rencontres avec de grands artistes qui ont été fidèles au salon et festival de la BD d’Angoulême depuis presque quarante ans... André Franquin Premier Grand Prix de la ville d’Angoulême en 1974, formé par Jijé en compagnie de Morris et Will, André Franquin était un auteur belge francophone de bande dessinée, notamment des séries de Spirou et Fantasio, Gaston, Modeste et Pompon et Les idées noires. Il est le créateur du Marsupilami, animal imaginaire présent dans une vitrine de la gare d’Angoulême... Dessin de Franquin. Il était venu à Angoulême dès l’appel de Francis Groux qu’il connaissait bien ; même malade, il se déplaça, 108 angouleme-mont-ararat-mardikian12272 -* 27.11.12 - page 109 plusieurs fois... Fort, plein d’humour, d’une timidité maladive, il s’épanouissait lorsqu’il était en compagnie de Francis Groux et Jean Mardikian. Jean conserve un très beau souvenir de Franquin et de sa femme, personne très avenante. Son volet humoristique avec Spirou, Gaston Lagaffe, opposé à son volet noir avec toute une série de bandes dessinées dépressives, reflétait la personnalité de l’homme, humaniste exemplaire. Pas du tout matérialiste, sans la présence de sa femme à ses côtés, attentive et vigilante, il aurait très bien pu terminer misérable. Faire plaisir aux enfants, aux adultes qui le lisaient, et surtout donner une image incisive de la société demeurait son unique motivation. Gaston Lagaffe, ce jeune filou, qui avait toujours le mot qu’il fallait pour critiquer la société, était son porte-parole. Il est venu plusieurs fois à Angoulême. La ville dirigée par Philippe Mottet baptisa le centre Saint-Martial « Espace Franquin », destiné à la jeunesse après une consultation organisée par le CIJ. Une page fut tournée... Hugo Pratt Hugo Pratt, dessinateur et scénariste italien de bandes dessinées, est le créateur de Corto Maltese. Hugo Pratt et Jean Mardikian se sont rencontrés à Lucca et par la suite à Angoulême. Jean Mardikian considère Hugo Pratt comme l’un des plus grands... Il possède tous ses ouvrages. Hugo Pratt fut le premier auteur que Jean Mardikian, en tant qu’adjoint au maire d’Angoulême, voulut honorer plus particulièrement : une salle de réunion de l’hôtel de ville porte son nom, elle est décorée d’une série de reproductions de planches, et d’une photo agrandie de l’artiste, financées par Jean Mardikian. D’autre part, un pharmacien, Pascal Riché, admirateur de l’artiste, contacta les sculpteurs Luc et Livio Benedetti, de Clermont-Ferrand, pour commander une statue de bronze de 2,5 m de haut et de 300 kg du plus célèbre 109 angouleme-mont-ararat-mardikian12272 -* 27.11.12 - page 110 marin de la bande dessinée moderne, Corto Maltese. Finalement, il en commanda trois : la première fut destinée à Rimini, la ville natale d’Hugo Pratt, la deuxième pour sa propriété dans un village charentais ; quant à la troisième, il avait envisagé de la vendre à la ville d’Angoulême. Ce projet se révéla irréalisable. La ville ne pouvait pas l’acheter... Jean Mardikian négocia le prix et la proposa à Magelis2, alors présidé par Michel Boutant. Jean l’imaginait déjà érigée au centre du Pôle image, au milieu du fleuve Charente. Désormais, sur la passerelle, cette statue en bronze a trouvé sa place avec en arrière-plan la façade du bâtiment qui abrite le musée de la bande dessinée, anciens chais rénovés par Magelis. Tourné vers l’aval de la Charente, le regard de Corto Maltese semble scruter l’océan, il immortalise aussi le souvenir de son créateur, Hugo Pratt, personnage énigmatique, auteur avec un grand A de la bande dessinée. Plus que cela, il a écrit l’histoire, l’aventure d’un homme, un marin, protecteur des pauvres, toujours à la recherche de sa vérité, d’une certaine vérité, différente de celle de Franquin. Il méritait d’être honoré par la capitale de la BD. La présence, de grands personnages comme Hergé de nationalité belge, Hugo Pratt de nationalité italienne, Gosciny de nationalité française et bien d’autres, affirme le caractère international du Festival de la bande dessinée d’Angoulême. En Arménie, Jean Mardikian a rencontré un jeune artiste italien, Paolo Cossi, qui a consacré deux volumes à Hugo Pratt, une biographie sous forme de BD... Un gentilhomme de fortune, visions africaines... Jean Mardikian fut très ému de parler de ce personnage énigmatique qui l’avait tant marqué... avec assurément un de ses adeptes... 2. Le Pôle image ou Magelis est un projet de développement territorial à dominante économique axé sur l’image et les nouvelles technologies de l’image, propre à Angoulême. 110 angouleme-mont-ararat-mardikian12272 -* 27.11.12 - page 111 Corto Maltese. Hergé De son vrai nom, Georges Prosper Rémi, il est l’homme universel de la bande dessinée. En 1989, son buste sculpté par Tchang Tchong-Jen, son ami chinois qui lui avait inspiré Le Lotus bleu, quarante-cinq ans plus tôt, fut d’abord installé sur le côté du Centre national de la bande dessinée et de l’image. En 2003, la rue piétonne d’Angoulême fut rebaptisée « rue Hergé » et, à cette occasion, le buste fut déplacé et érigé dans cette rue, en plein centre-ville, en présence de l’artiste et de sa jeune épouse. Hergé est venu à Angoulême pour la première fois en 1977. Jean Mardikian me le décrit comme un homme affable, discret, simple, droit, et qui ne manquait pas d’humour. Il ne manifestait aucun orgueil, lui le père de Tintin et Milou. Il signait ses albums avec le seul dessin de Tintin. 111 angouleme-mont-ararat-mardikian12272 -* 27.11.12 - page 112 Il ne dessinait en dédicace qu’exceptionnellement Tintin et Milou, réservant ce privilège à certaines personnes dont Jean Mardikian fit partie. Dédicace d’Hergé. Ce fut un véritable bonheur pour Jean Mardikian, adjoint à la Culture, de lui remettre le diplôme de citoyen d’honneur de la ville d’Angoulême ; d’une manière réciproque et généreuse, Hergé offrit à la ville une planche originale, la première planche du futur musée de la bande dessinée... Alain Saint-Ogan Une des salles du musée des beaux-arts s’appela longtemps « galerie Alain Saint-Ogan », un autre hommage à un grand dessinateur français de la BD. Saint-Ogan fut le créateur de Zig et Puce en 1925. Dans la série, Zig et Puce font la connaissance du pingouin Alfred qu’ils adop112