Chapitre 11

Transcription

Chapitre 11
Tome 1
EPICE
Résumé : Un adage dit que s’il y a plusieurs façons de faire une chose, dont l’une
d’elles conduit au désastre, il se trouvera forcément quelqu’un, quelque part, pour
utiliser cette méthode.1 Ce « quelqu’un », c’était Neil.
Terrifié à l’idée de faire un coming out dans son nouveau lycée, Neil Archer
Murphy est prêt à recourir à un stratagème extrême : se faire passer pour une fille. Il
ignore alors que son travestissement le mènera aux devants d’ennuis
abracadabrantesques, menaçant de plonger le monde dans le chaos.
Constance City est une ville imaginaire du Nebraska, créée pour les besoins de cette
histoire. Ceci est une œuvre de fiction. Les personnages, lieux et évènements décrits dans ce
récit proviennent de l’imagination de l’auteur ou sont utilisés fictivement. Toute
ressemblance avec des personnes, des lieux ou des évènements existant ou ayant existé est
entièrement fortuite.
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Tiré d’un des énoncés de la loi de Murphy.
Réflexion – tome 1
Aedan
& Neil
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Réflexion – tome 1
*11*
Tournant dans son lit, Neil n’arrivait pas à trouver le sommeil. Comment l’auraitil seulement pu, après son après-midi de folie ? Il se mit sur le dos et souleva son haut de
pyjama, un vieux T-shirt qu’une giclée de peinture avait rétrogradé. Dans la pénombre
de sa chambre, il ne le distinguait pas mais le savait là. Cet étrange tatouage qu’on aurait
dit vivant, à sa manière de pulser et de diffuser une chaleur réconfortante à travers son
bas-ventre.
Se faisant violence pour ne pas le toucher, Neil cacha son visage de ses mains,
roula sur lui-même, puis enfouit la tête sous son oreiller. Il voulait certainement
masquer des rougeurs visibles dans le noir. Pour le pourquoi de cette réaction
affligeante, il fallait remonter à quelques heures.
*
Que signifiait ce tatouage ?
— Touche le mien, ordonna Aedan pour toute réponse.
Neil se tourna complètement de manière à lui faire face. Maintenant que sa raison
reprenait du galon, le torse nu de son vis-à-vis lui fit pleinement réaliser l’intimité de
leur position. Ce n’était pas très convenant d’être assis entre les jambes d’un individu
qu’on connaissait à peine. Un homme, qui plus est ! Surtout qu’il était en boxer – donc
pratiquement à poil –, alors que l’autre avait gardé son jean et ses boots de style
rangers.
Face à son hésitation, Aedan lui prit la main et la porta avec douceur à son ventre.
Il sursauta violemment lorsque des doigts invisibles touchèrent son pubis, au moment
précis où sa peau entrait en contact avec celle de l’Ombre. Le guerrier esquissa un
sourire et déplaça sa main dans un sens. Sur son bas-ventre, la caresse se fit à l’opposé.
Troublé, Neil se retira vivement, coupant le transfert.
Il avait beau arborer un sourire indulgent et montrer de l’assurance, Aedan aussi
vivait une expérience déroutante. Il disposait d’un peu de connaissances théoriques sur
les shi’valem, pour avoir étudié la race N’oktus. Il savait que ces tatouages
communiquaient. Mais bon sang, ça n’aurait pas dû être aussi érotique ! Cette simple
caresse maladroite avait suffi à réveiller son entrejambe.
Il satisfit sa curiosité en touchant du pouce son propre tatouage. Le regard aussi
implorant que perturbé de Neil le poussa à abréger l’expérimentation. Le garçon était
encore plus largué que lui face aux réactions de son corps.
— C’est un censeur érotique, lui apprit-il, conscient de grandement minimiser la
chose.
Le shi’valem ne pouvait être réduit à un vulgaire « censeur ». C’était bien plus que
cela... Une foutue laisse ! eut-il envie de hurler.
— C’est un héritage de nos gènes N’oktus.
Du moins, voulut-il s’en convaincre. Il nageait en pleine spéculation, mais cette
hypothèse restait la plus plausible. Pour on ne savait quelle raison, la partie elvique de
son génome n’avait pas inhibé l’expression de ce caractère n’oktique. Les Ombres ne
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Réflexion – tome 1
pouvaient avoir de shi’valem à cause du métissage de leur sang. Cela suivait une logique
scientifiquement explicable... jusqu’à Neil.
De mémoire d’Ombre, il n’avait jamais entendu parler de Z’alem noctus porteur
de shi’valem. Ou alors l’information leur avait été occultée. Ça remettait à nouveau à
l’ordre du jour la question de la race du garçon. Quel genre d’hybride pouvait-il bien
être ?
— Ceci dit, c’est la première fois que j’en vois qui soit le parfait reflet d’un autre.
Ça faisait trop d’aberrations pour un seul être ! Habituellement, le tatouage de la
femelle était un motif pouvant s’emboîter dans celui deux fois plus grand du mâle. Ce qui
soulevait un autre sujet de questionnement : les shi’valem complémentaires n’étaient
jamais portés par deux individus appartenant au même genre. De ce qu’il savait, en tout
cas. Neil chamboulait tous ses acquis.
Peut-être qu’il existait des porteurs de même sexe, que la Communauté N’oktus
cachait. Mais alors ce serait contradictoire avec les pratiques sexuelles tolérées dans
cette société-là. Quoique… une liaison homosexuelle était acceptée dans le cadre d’un
rapport maître N’oktus/serviteur Z’alem noctus. Pour le reste, cette race avait une fierté
si mal placée que ce ne serait pas surprenant qu’elle déconsidère un mâle acceptant de
se faire prendre par un semblable.
Les Ombres n’avaient aucun problème avec les relations homosexuelles. Leur
côté charnel flirtait avec la bestialité et faisait fi du sexe de celui qui leur procurait du
plaisir. La finalité étant la plénitude orgasmique, qui se souciait du chemin qui y menait ?
Enfin, pas au point de tolérer des pratiques zoophiles, nécrophiles ou criminelles…
À vrai dire, ç’avait presque été conditionné par leurs « créateurs ». En donnant vie
à leur race, les Elvus et les N’oktus s’étaient magiquement assuré qu’il ne naisse aucune
femelle Ombre. Ainsi, les leurs ne pourraient se reproduire et péricliteraient jusqu’à
l’extinction. Tel avait été leur point faible.
La surprise avait été grande et désagréable, pour les Enfants du Jour et de la Nuit,
de constater qu’ils vivaient si vieux que cette défectuosité volontaire avait à peine été
« efficiente » durant plusieurs siècles. Mais quand les premières générations Ombres
disparurent sans laisser de descendance, les nouvelles se révoltèrent et trouvèrent le
moyen d’altérer la formule de leur procréation.
Ce fut ainsi que des femelles virent le jour. La conséquence en était
qu’aujourd’hui, la population mâle Ombre était surnuméraire en comparaison à son
pendant féminin. Les Ombresses avaient l’embarras du choix, et donnaient quasi
naturellement dans la polyandrie.
Bref, tout cela ne changeait rien au fait que les shi’valem étaient portés par des
couples hétéros ! On assimilait un set de ces tatouages à une sorte de code cryptique,
nécessitant les données mâles et femelles pour être complet. À cause de cette
caractéristique, certains doutaient que leur existence ne serve qu’à marquer les âmesdestinées.
Des savants N’oktus soutenaient l’idée fantasque d’un portail que les runes de la
clé et de la serrure gravées sur la peau ouvriraient... Ce code devait donner accès à
« quelque chose » de bien plus tangible que la porte du chakra sexuel ! Mais quoi ? Ils
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Réflexion – tome 1
cherchaient encore, refusant de reconnaître l’absurdité de leur théorie. Pour ne pas
perdre toute crédibilité, d’aucuns conjecturaient que la réponse se trouvait sur la
planète d’origine des N’oktus. Elle leur était donc inaccessible ; perdue à jamais. De vrais
charlatans !
Aedan se massa la nuque, soulageant un début de mal de tête. C’était plus qu’il
n’en fallait pour un seul homme en une après-midi.
En proie à de la gêne, Neil entortillait ses doigts et n’osait regarder Aedan. Ce
type, qui arborait à présent une expression soucieuse, venait de lui dire avec naturel
qu’ils s’étaient « érotiquement » liés, à cause d’un putain d’héritage dont il ignorait la
putain d’existence jusque-là ! C’était à peine s’il avait osé fantasmer sur le mec durant
ses rêveries humides. Et voilà qu’ils partageaient un censeur du zizi !
Pourquoi diable se retrouvait-il toujours impliqué dans ce genre de scénario aussi
absurde qu’inconvenant ?! Il avait encore été embarqué sans son consentement dans
une histoire hautement perchée. C’était presque un viol… métaphysique ! Cerise sur le
gâteau, il était tombé sur un mec un peu brut, qui appelait un chat, un chat, faisant fi de
son état de choc.
— Ça signifie que quand j’aurai envie de baiser, tu en auras aussi envie.
Il ne viendrait certainement pas à l’idée d’Aedan d’atténuer ses propos crus, pour
l’aider à encaisser cette nouveauté qui lui tombait sur la gueule ! Non, le gars parlait de
sexe au premier venu, et… rien ne renseignait sur la fréquence à laquelle il ressentait ces
envies de baise.
Oh Seigneur !
Les rougeurs de Neil atteignirent la saturation maximale. Son cou n’avait jamais
autant chauffé.
— Q-quoi ? s’étrangla-t-il.
Un sourire en coin, presque sadique, Aedan paria sans risque que le gamin était
encore puceau. Il se laissa aller à un peu de perfidie.
— Le caresser quand on fait l’amour intensifie le plaisir. C’est un « outil de sexe »,
si tu veux. Un sextoy intégré. Plutôt pratique.
Mais il avait beau fanfaronner, il devait assurer ses arrières. En tant que Venator
en chef, il ne pouvait se permettre d’avoir une faiblesse. Or ça en prenait le chemin avec
ce fichu shi’valem. En aucun cas, Neil ne devait divulguer cette information. Sauf qu’il
fallait l’y amener subtilement pour éviter qu’il ne soit tenté de désobéir. Il savait
d’expérience que les ados avaient tendance à récuser les ordres donnés sans
explications. Et malheureusement, il n’avait que des spéculations à offrir.
— Il faut que tu saches que l’exposer dans certaines situations revient à exposer
tes parties intimes.
Déjà rouge cerise, Neil devint betterave. Parfait. Le garçon ferait attention et ne
dévoilerait pas la bagatelle comme un benêt. Bien évidemment le shi’valem n’était point
un sujet tabou chez les N’oktus. Au contraire, c’était une marque exposée avec
ostentation durant certains jours, pour dire au reste de la Communauté qu’on avait
trouvé son…
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Réflexion – tome 1
Aedan grogna. Le sien était une grossière erreur de casting, franchement ! Son
destin ne pouvait être entremêlé à celui de ce mioche ! Jusque-là, il n’avait jamais pensé
à son avenir « marital ». Mais si on lui avait posé la question, il aurait certainement
répondu qu’il espérait se lier à une partenaire redoutable, respectée, et aussi sensuelle
que pouvait l’être une Ombresse guerrière. Une femme comme Veia par exemple, l’une
des têtes pensantes du Quatuor. Pas à ça !
De toute façon, quoi qu’il dise, il avait toujours apprécié son célibat. Il n’aspirait à
aucun changement de ce côté-là. Les Ombres en couple, notamment les exclusifs, se
trimballaient un sacré boulet. Un Venator se débarrassait de la moindre de ses faiblesses
pour ne pas avantager l’ennemi. L’exclusivité en amour était l’erreur – l’une des erreurs
– qu’avaient commise ses géniteurs… Et ce n’était pas dans ses projets de finir comme
eux.
Honnêtement, il se passerait de cette connerie d’héritage N’oktus trop primitif. Le
concept d’un lien visible entre deux partenaires s’attirant mutuellement lui était juste
abscons. Il n’aurait pas dû en bénéficier, pour commencer ! C’était un fichu désavantage
plus qu’autre chose. Pour faire du mal à l’un, il suffirait de s’en prendre à l’autre. Ce
shi’valem n’était qu’une cible bien en évidence sur leur dos.
Le chasseur qu’il était le considérait comme une laisse, une entrave à ses
mouvements. Pour couronner le tout, son tatouage runique était interracial. Il y avait
forcément une erreur dans son cas, ou à défaut une machination, c’était obligé ! Quelque
chose était allée de travers.
D’après ses échos, les N’oktus qui l’expérimentaient parlaient d’un moment de
plénitude, de félicité, lorsque le sceau se gravait dans leur peau. Or ça n’avait
certainement pas été loin des douleurs d’enfantement chez lui, pensa-t-il, aigre. Preuve
s’il en était du caractère contre-nature de ce lien s’étant affranchi de la barrière de
l’espèce. D’ailleurs, c’était bizarre que Neil n’ait pas semblé en souffrir.
Un brin énervé par son incompréhension, Aedan ravala un soupir et enfonça le
clou :
— À moins d’être exhibitionniste, tu ne dois en aucun cas le montrer. C’est
compris ?
Neil remua vivement la tête, prêt à gober ce que lui dirait l’autre, pourvu que ça
lui épargne la honte. Parce que sinon, il ne lui resterait plus que la cagoule pour l’en
préserver. S’il avait été moins troublé, il aurait sans doute su déchiffrer l’expression
coupable de l’Ombre qui se mordait la langue.
Face à tant de crédulité… et de confiance innocente, le Venator était mal à l’aise.
Mais moins Neil en saurait, mieux ce serait.
— C’est vraiment ma faute alors, marmonna le garçon, mortifié. J’ai bien vu
comment ça te faisait mal. Moi j’ai pas ressenti ça. C’était même le contraire.
— Le contraire ? répéta Aedan, partagé entre amertume et outrage.
— Ouais, ça m’a… (Neil hésita) ça m’a fait du bien, avoua-t-il, intimidé. Mais
pourquoi c’est apparu ? Je veux dire, je pourrais encore le refiler à quelqu’un d’autre
sans faire exprès ?
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Réflexion – tome 1
S’il se mettait à se lier érotiquement à n’importe quel non-humain… L’horreur ! Il
paniquait rien qu’à cette idée.
— Bien sûr que non ! gronda Aedan.
Sa voix lui parvint un peu trop indignée et possessive à son goût. Il se racla la
gorge, reprenant contenance.
— Tant que je l’aurai sur moi, personne d’autre ne pourra… Enfin, c’est un
phénomène unique. Ce n’est pas réitérable.
C’est définitif, Aedan. Irréversible. Pourquoi tu n’ajoutes pas ces mots ?
Parce qu’il comptait trouver le moyen d’inverser le processus, tiens ! Ou de
l’annuler carrément… sans être obligé de tuer le garçon, bien entendu. Parce qu’avec la
mort de Neil viendrait sa folie, et il s’en passerait volontiers.
Si tu en es à penser ça, c’est que tu le considères déjà comme ton…
Aedan laissa échapper un grondement de frustration, presque animal. Neil
sursauta, ne s’y attendant pas.
— Je suis désolé, marmonna-t-il.
Tout était de sa faute. Il voyait bien à quel point l’autre était embêté. Il aurait
évité cela s’il avait su comment.
— Il y a un moyen de… l’effacer ?
Peut-être au laser. Mais il douta fort que cette technique « humaine » vienne à
bout de cette chose apparue « magiquement ». Ouah, il avait usé de magie sans s’en
rendre compte ! De Flux. Dingue ! Neil se surprit à espérer une réponse négative. Une
part de lui ne voulait pas s’en débarrasser.
Aedan retint une moue. Il avait appris que le shi’valem prenait une couleur terne,
presque « peau », lorsque l’un des deux porteurs mourait. Alors oui, on pouvait s’en
débarrasser partiellement en éliminant l’un ou l’autre. Les runes dorées ou argentées
disparaissaient complètement, et le tatouage devenait invisible de loin. Certains le
qualifiaient « d’inactif », mais il agissait en réalité comme un membre fantôme.
— Oui, soupira-t-il. Mais je ne l’ai pas en tête.
— Ah, fit Neil, un brin déçu que cette méthode existe.
Il sentit qu’Aedan n’était pas disposé à lui en parler. Il y avait comme un relent de
réticence. C’était inconfortable d’être délibérément laissé dans le flou à ce sujet. Ça le
concernait tout autant. Que lui cachait Aedan ? Pourquoi ?
— Tu vas donc devoir te montrer très prudent jusqu’à ce que je mette la main
dessus.
— OK.
Aedan lui coula un regard de biais. Mal à l’aise de douter de lui, Neil détourna les
yeux, se mâchouillant la lèvre de circonspection. Ce qui y focalisa l’attention de l’Ombre,
réveillant des instincts qu’il croyait avoir endormis. Ce dernier ravala sans doute son
1800ème soupir.
— Cela dit…, commença-t-il d’un ton hésitant, c’est sur ta peau. Et tu disposes de
ton corps comme tu l’entends. Rien ne t’empêche d’en user à ta guise... en toute intimité,
Neil. Mais c’est à tes risques et périls.
— C’est-à-dire ? fit Neil, à la fois perplexe et à nouveau rouge de gêne.
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Réflexion – tome 1
Il ne voyait pas où Aedan voulait en venir, pourtant il avait bien peur de saisir.
Mieux valait lui expliquer cette partie-là maintenant, se résigna Aedan. Lorsqu’un
shi’valem liait deux N’oktus, ces derniers traversaient une phase curieuse d’excitation
visant à les rapprocher physiquement, si ce n’était pas déjà le cas avant. On la désignait
sous le terme « L’laid », un mot n’oktique signifiant « montée de lune ». Car la tension
sexuelle atteignait son comble lorsque l’astre lunaire était plein.
Cette transition pouvait durer un semestre entier si les protagonistes allaient à
l’encontre de leurs instincts charnels. À ce jour, personne n’y avait résisté. Les plus
tenaces avaient justement tenu six mois avant de succomber. Les jeunes étaient
susceptibles de céder plus tôt ; plus facilement. Les N’oktus matures étaient plus
modérés durant cette période. Ça ne signifiait pas pour autant que l’appétit sexuel ne se
faisait pas vorace. Bien au contraire.
Mieux on le contenait, plus l’on mettait le sujet de ses indicibles désirs en
situation « périlleuse ». Car lorsqu’on l’embrassait enfin pleinement, ça se révélait très…
animal. Qu’en serait-il d’un Ombre dont les instincts étaient déjà bestiaux à l’état
naturel ?
Aedan se dit qu’il arriverait à le supporter relativement bien. Il faisait plutôt
confiance à la discipline militaire que lui imposait son entrainement de Venator. Mais
Neil… Il se verrait obligé de régulièrement soulager le pauvre garçon, pour éviter qu’il ne
perde toute décence, ou tout simplement la tête. Une épine dans le pied !
Ah bon ? Comme si tu n’en tireras aucun plaisir !
— Dis-moi, Neil, quel âge as-tu ?
Neil cligna des yeux, sentant comme un piège. Aedan lui demandait son âge alors
qu’ils parlaient d’un sujet à connotation sexuelle… Voulait-il s’assurer qu’il n’était pas
mineur ?
— Dix-neuf ans.
— Dans combien de temps ? demanda Aedan en haussant un sourcil, ayant noté
sa petite hésitation.
Neil baissa le regard, mortifié d’avoir été percé à jour si aisément.
— Le 10 décembre, marmonna-t-il, honteux. C’est que dans trois mois,
s’empressa-t-il d’ajouter. Je suis quasiment légalement adulte !
— Quelle réaction de ma part craignais-tu en me révélant que tu as encore 18
ans ? s’enquit Aedan, un brin narquois.
— Je… Rien du tout ! répondit-il précipitamment.
— Tu t’es dit : « mince, si je suis trop jeune il ne voudra pas » ?
— Mais pas du tout ! glapit-il.
Ne voudrait pas quoi, d’abord ?! Qu’est-ce qu’Aedan insinuait ? Il n’oserait même
pas emmener dans ces eaux une histoire entre la crevette qu’il était et le Poséidon en
face de lui.
Ce dernier éclata de rire. C’était une bonne chose que le garçon soit bientôt
majeur, se surprit-il à penser. Il s’en serait voulu de stimuler la libido d’un mineur.
Tu ne t’en souciais guère en l’embrassant comme un pervers…
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Réflexion – tome 1
Bon, d’accord ! Mais il ne comptait pas vivre avec ce remord puisque c’était dans
ses projets de liquider la bestiole juste après. Les morts ne pesaient pas sur sa
conscience. Quand on avait vécu aussi longtemps que lui à l’échelle humaine, on
apprenait à se détacher du sentiment de perte. Et mieux valait y exceller, avec sa
profession et son héritage Ombre.
Soudain, quelque chose vint titiller un recoin de son esprit. Il ne sut le définir,
mais le sentiment qu’il éprouva fut très désagréable. Il refusa toutefois de s’y attarder,
jugeant qu’il digressait.
— Tu es un livre ouvert, Neil. On va devoir y remédier, marmonna-t-il, préoccupé.
Si nous ne faisons pas fausse route en te considérant comme Z’alem noctus, tu as déjà
atteint ta maturité sexuelle voilà deux ans.
Il avait été décrété qu’à 16 ans, les individus de cette race étaient aptes à
satisfaire les appétits sexuels de leurs maîtres. Mais le doute ne pouvait que subsister.
Neil était-il vraiment un métis N’oktus ? Cette analyse d’ADN devenait urgente.
— T’as quel âge, toi ? osa Neil.
Il sentait néanmoins qu’il regretterait cette question. Mais il n’y avait pas
meilleure occasion de le savoir que maintenant.
— Je suis majeur, peux-tu te contenter de ça ?
Neil fit non de la tête.
— Pas si tu me dis pas à quel âge les Ombres deviennent majeur.
— Au même âge que les Elvus.
Neil grommela. Pourquoi jouait-il à ce jeu, putain ?!
— Tu veux pas me dire parce que t’as peur que je te traitre de vieux, c’est ça ?
Aedan claqua de la langue. Il est vrai que comparé à lui, Neil n’était qu’un mioche.
Un sale mioche qui osait lui dire qu’il avait « peur ». Mieux valait souffrir d’entendre cela,
c’était toujours préférable à être sourd !
Ceci dit, ce mioche avait des lèvres tentantes et n’arrêtait pas de les mâchouiller
pour tromper sa gêne. Il n’avait pas conscience de compliquer les choses, car il les
rendait pulpeuses ; carrément gourmandes. À mesure qu’Aedan l’observait à travers son
« look panda » – pour cause de mascara dégoulinant – il se surprenait à le… désirer. Un
peu comme on convoiterait un banana split, le temps qu’arrive le dessert. Mais la
tristesse du maquillage rompit un peu le charme.
Un tantinet consterné, l’Ombre débarrassa le jeune homme des coulées de
mascara.
— Ce n’est pas parce que tu prends le parti de te peinturlurer comme une
gonzesse, que tu doives chialer comme elles, grogna-t-il. Ce n’est pas beau à voir, dit-il en
lui montrant ses pouces désormais noirs d’encre.
— Va te faire voir ! s’indigna Neil, faute de réaction plus classe.
— Sois docile, laisse-toi faire ! le gourmanda Aedan, le temps de lui donner un
visage décent. Pour info, les Elvus sont majeurs à 300 ans. Notre évolution a plus de
similitudes avec celle des N’oktus, mais l’histoire a fait que nous répondions de la
législation elvique.
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Réflexion – tome 1
Neil apprit donc que les N’oktus étaient sexuellement actifs avant les Enfants du
Jour, c’est-à-dire à 60 ans, âge de la puberté. La maturité – soit l’âge adulte – était
atteinte au bout d’un siècle. Elle était déterminée par l’acquisition de leur Flux
élémentaire. Ce n’était qu’au bout de 100 années qu’ils utilisaient enfin instinctivement
l’elementsia. Avant cela, ils se contentaient de voir croître leurs capacités physiques, la
« magie des éléments » leur étant inaccessible.
— Mon peuple en revanche accède à l’elementsia dès l’âge de cinq ans. Ce qui
nous rend encore plus précoces, aussi bien sur le plan physique que mental. Mais pour je
ne sais quelle raison historique, il a été décrété que l’on devait totaliser 3 siècles comme
les Elvus, avant d’être jugés adultes. Et ça fait 85 ans que je le suis. Ferme la bouche, Neil.
Neil obéit. Quand Aedan se moquait de Brice, alias force bleu des KC-Rangers, qui
s’extasiait sur ses abdos, il ne donnait pas dans la fanfaronnade. Il statuait juste d’un fait.
« …J’aurai toujours plusieurs siècles d’avance sur toi. Ne t’en veux pas, c’est une
question de génétique. »
Et comment ! Le mec était né en…
— Ne le fais pas, souffla Aedan, dépité.
Mais trop tard. Le gamin, un vrai livre ouvert, avait déjà effectué le calcul.
— Tu es né en 1630 ! Putain, sa race ! éructa Neil. Mais ça te ferait quel âge à
l’échelle humaine ?
Il fut le premier surpris de constater qu’il semblait équipé pour avaler cette vérité
brute. Son abasourdissement n’avait duré que quelques secondes.
— Difficile à dire. Je ne me définis presque jamais à cette échelle.
Ben ça, c’était un problème, pensa Neil. Il l’avait déjà constaté, et le ressentait par
moment dans le discours d’Aedan. Ce type ne savait pas se mettre à la place d’autrui !
— On peut avancer que je suis relativement jeune, étant donné que les Ombres
ont une longévité que 1500 ans.
— Chanmé ! s’étrangla Neil.
— Peu y parviennent, cependant. Le risque de mourir plus tôt guette
particulièrement les Venator, alors il est possible que je n’atteigne pas cet âge béni. (Il
disait cela comme s’il s’agissait d’une banalité !) Mais si ça t’importe… je dirais 25 ans
sur une échelle de 100.
Neil battit les paupières. Il ne niait pas être sous le choc, mais puisqu’il n’y avait
pas de moyen concret de visualiser le poids des siècles chez Aedan, cette information ne
l’ébranlait pas plus que cela. Il était surtout hébété par le comportement tendre de ce
fameux Venator, contrastant terriblement avec l’attitude de guerrier impitoyable d’il y a
une heure.
La manière dont Aedan lui essuyait le visage faisait follement battre son cœur.
Mais il n’y avait peut-être que lui dans cet état, alors il ne laissait rien transparaitre. Du
moins, il essaya, jusqu’à ce que l’Ombre ruine sa maîtrise.
— Je pourrai t’initier à une chose ou deux, si le cœur t’en dit.
— M’initier ? souffla-t-il, affolé. À… à quoi ?
Aedan laissa échapper un faible soupir. Être puceau justifiait-il le manque
d’esprit ?
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Réflexion – tome 1
Reconnais simplement que maintenant que tu y as goûté, tu as envie de lui.
Il avait envie de lui « faire des choses », nuance ! De souiller un peu cette
innocence. De là à dire que Neil l’ait charmé, il n’y avait aucune chance. Il ne pouvait
s’enticher d’un tel aimant à problèmes, vu les circonstances.
— Tu veux un dessin ? C’est au sujet du tatouage. Il faut que tu en saisisses les
subtilités.
C’est ça, Aedan. Enfonce-toi…
Mais il ne se sentait pas les dispositions, ou plutôt la motivation, d’expliquer la
phase de L’laid à cet avorton. Ça le ferait fuir. Avec un peu de chance, qu’ils soient tous
deux juste métissés N’oktus amoindrirait ses effets. Qui sait ? Leurs gènes humains, pour
Neil, et elviques, pour lui, atténueraient peut-être l’intensité de leur excitation. Mais
l’optimisme avait plié bagage quand Aedan avait posé les yeux sur cette créature
étrange, alors il ne le parierait pas.
— Je suis un… garçon, rumina Neil.
Aedan haussa un sourcil, un peu pris de court par cette réplique. Et donc ? Quel
était le rapport ?
— Ça… ça te… te fait rien ? balbutia Neil, mort de honte. Comment tu peux… avec
quelqu’un comme moi ? Enfin, je veux dire…
Ça te dégoûte pas ?
Son furieux rougissement et son sentiment d’opprobre l’empêchèrent de
poursuivre. C’était dur d’avouer à demi-mots qu’il n’avait jamais partagé l’intimité d’un
autre homme, ou d’un garçon de son âge. Ne s’étant jamais sociabilisé, à presque 19 ans
il n’y connaissait pas grand-chose. Pouvait-on dire que c’était pathétique ? Ouais,
carrément !
Mais ce n’était pas tant parce qu’il n’était pas dégourdi ou asocial. C’était parce
qu’il n’avait eu de cesse de tuer ses élans de concupiscence. Il avait commis la
maladresse de se dévoiler une fois, pour réaliser qu’il vivait dans une bourgade où les
gens comme lui était la personnification du tabou. Considérée comme perverse,
malsaine, sa nature devait être tue, brimée.
Au prix de meurtrissures physiques et mentales, il avait appris à mentir à son
entourage, mais surtout à se mentir à lui-même. Le résultat avait été lamentable,
puisqu’aux mépris de ses efforts, on l’avait étiqueté tarlouze. Labellisé homme à abattre
car pédé, tant chez lui c’était « flagrant ». Ça lui collait à la peau.
Et puisque c’était sale, il réprimait ses pensées, et tuait ses envies un brin
érotiques. Même ses plaisirs solitaires étaient entachés de cette impression
d’inconvenance, de péché. Il était corrompu, immoral, et perdrait son âme dans les
flammes. S’il avait su que c’était la définition même de sa race… Z’alem noctus. Voué à la
perdition. Au final, c’était écrit.
Alors il avait bâillonné ses besoins charnels. Plus ils se faisaient silencieux, moins
il y pensait, et mieux c’était. Sauf qu’il ne se sentait pas bien pour autant, après avoir
enseveli ce « lui » intrinsèque aux inclinations blâmables, ce « lui » qui fantasmait sur
une queue, sous un tertre de restrictions et de mœurs orthodoxes.
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Réflexion – tome 1
Il aurait aimé ne serait-ce que savoir que des adultes auraient pris sa défense.
Mais on lui avait fait ressentir que pour sa survie, il devait se taire. Il aurait souhaité
pouvoir en parler sans en éprouver de la honte. Parce qu’à cet instant, il était mal rien
qu’à l’idée d’évoquer ce sujet avec un autre que lui. Un autre garçon… ou plutôt un
homme.
Malgré l’air bravache qu’il tentait d’afficher, il était complètement mortifié. Pour
la première fois de sa vie, il abordait à voix haute ce qu’il avait appris à considérer en
silence comme une tare, une dépravation. Et c’était… difficile. Humiliant. Si pénible qu’il
ne put soutenir le regard de l’Ombre.
Aedan eut du mal à interpréter sa soudaine tension. Il ne s’expliquait pas cette
angoisse irrationnelle sous-jacente. Du moins, irrationnelle pour lui, rectifia-t-il en
remarquant la tentative maladroite du garçon pour masquer le tremblement de ses
doigts. En réalité, elle avait un fondement tout à fait crédible. Neil avait peur.
Peur d’être profondément jugé. Peur du rejet de ce qu’il était réellement. Peur
d’avoir mal, une fois de plus. Probablement parce qu’il vivait dans un environnement qui
ne lui avait jamais permis de relativiser, ses peurs étaient s’étaient changées en
entraves. Il en avait résulté des traumatismes expliquant qu’il soit incapable aujourd’hui
de ne pas se voir comme anormal.
Les humains opposaient de l’intolérance à ce qui « déviait » de leurs normes. Mais
ils étaient aussi capables d’acceptation et de compréhension. C’était une race dont
l’hétéroclisme des émotions n’avait pas son pareil. De tout temps, le pire avait toujours
côtoyé le meilleur chez cette espèce. Mais Aedan jurerait que Neil n’avait été, jusque-là,
confronté qu’à la noirceur de son entourage. Ce ne serait pas facile de l’apprivoiser…
Tu ne comptes pas en faire un animal de compagnie non plus !
— Ça ne me pose aucun problème que tu sois un garçon, Neil, dit-il en
rapprochant leur visage, inconscient d’enivrer l’autre de son odeur. Qui ou quoi que tu
aimes ne te définit pas, asséna-t-il avec conviction. Il n’y a rien de mal à prendre son pied
en fourrant sa langue dans la bouche d’un individu du même sexe.
Neil écarquilla des yeux. On ne lui avait jamais parlé ainsi.
— Si c’est ton kiffe d’être avec un mec, alors c’est con de t’en priver. C’est comme
ça que vous dites, les « jeunes », non ? fit Aedan d’un ton espiègle, espérant le dérider.
— Euh…
Bon, ce n’était pas gagné, mais les joues d’une pâleur de craie se rehaussaient déjà
d’un joli rosé. C’était ça de pris. Il était franchement absurde d’appréhender quelque
chose qui vous faisait du bien !
— Quelle vision dégradante te fais-tu de « quelqu’un comme toi » ? Il existe de
nombreuses personnes comme toi à travers le monde, tu sais. Enfin, qui aiment les
hommes. Pas comme toi au sens littéral. Tu m’as l’air d’être du genre unique au monde,
marmonna-t-il par devers lui.
Neil ne sut plus où se mettre, profondément déstabilisé par ce discours cash. On
sentait clairement la différence de maturité. Aedan ne craignait pas les mots, ne les
détournait pas de leur sens, et les employait sans fioriture pour délivrer son message
12
Réflexion – tome 1
avec clarté. Bref, c’était un homme qui ne tournait pas autour du pot. Lui à côté n’était
qu’un gamin timoré.
— Tu as apprécié notre baiser, ce me semble. Ou dois-je te rafraichir la mémoire ?
demanda l’Ombre avec un sourire narquois.
Neil fit un petit non de la tête, mais son corps hurla probablement le contraire.
Sinon, comment justifier qu’Aedan se saisisse d’autorité de son menton, entre pouce et
index, pour souder ses lèvres aux siennes ? Le jeune homme lui mordilla la lippe
inférieure, l’invitant à ouvrir la bouche. Dès qu’il obéit, une langue intrusive y prit ses
quartiers.
Dominant le baiser, Aedan passa un bras autour de la taille de Neil et le porta
pour lui faire chevaucher ses cuisses. Le garçon était si frêle… Il sembla n’en prendre
conscience que maintenant. Malgré toute cette volupté, il pourrait le briser si aisément !
Mais l’audace soudaine des doigts de Neil, fourrageant dans ses cheveux et jouant de
leur texture incandescente, lui fit oublier ses inquiétudes.
La réponse avide de son jeune partenaire lui procura un sérieux vertige. Sentant
ses repères lui échapper, il se raccrocha à ce qu’il put. Ce qui s’avéra être la croupe
rondelette du garçon, un fessard corrupteur qui en appelait à des vices enfouis.
L’innocence de Neil n’avait aucune censure alors qu’il remuait lentement du bassin
contre le sien, gémissant par intermittence, inconscient d’attiser la fournaise de son
désir.
Comment était possible tant d’angélisme et d’impudeur mêlés ?! Cette créature
était ange et démon ! Il pourrait la dévorer là, à même le sol, s’il s’écoutait. Et il s’écouta
d’une oreille. Il plaqua durement Neil contre son buste, ses doigts épousant la cambrure
de ses reins, tandis qu’il butinait dans son cou. Il s’en fallut de peu pour qu’il s’enivre de
l’odeur de sa peau. Il les sentait, ces doux effluves s’apparentant à des phéromones,
typiques de la race Z’alem noctus. Une partie de ses doutes s’envolèrent.
Le soupir sensuel de Neil envoya sur orbite une poignée de ses neurones. Mais
merde, ce n’était qu’un puceau, Z’alem noctus ou pas ! Ce garçon n’avait pas encore été
initié aux jeux érotiques, alors pourquoi le mettait-il dans cet état ?!
Repousse-moi, Neil. Repousse-moi pour ton bien !
À son corps défendant, il ne put se résoudre à le dire de vive voix, de crainte que
l’autre ne le prenne au mot. Sa fébrilité ne se calmerait qu’en allant au bout du
processus. Difficile de dompter cet instinct sauvage qui venait de prendre le pas sur sa
raison.
Était-ce un effet du shi’valem ? Possible. Parce que tous ses sens lui semblaient
décuplés. La cadence folle du cœur de Neil, la course effrénée de son sang, la dilatation
de ses veines, ses poils se hérissant, sa peau se couvrant de chair de poule, sa respiration
haletante, la chaleur naissante à son bas-ventre, la douce vibration de son tatouage,
Aedan percevait tout cela avec une netteté inhabituelle.
Brusquement, Neil se saisit de ses épaules et le repoussa. Avait-il changé d’avis ?
— Qu’y a-t-il ?
Bizarrement, le garçon était autant déboussolé que lui.
— C’est normale que je ressente… euh…
13
Réflexion – tome 1
— Dis-moi, l’encouragea-t-il.
— Tu vas rire, mais je ressens la… lune… dans mes os. C’est la pleine lune dans
deux jours, avança Neil comme pour se justifier.
Il avait appris à en deviner les phases, mais cette fois c’était beaucoup plus
étrange. Ce n’était même plus intuitif, mais instinctif. Non, intrinsèque. Ça faisait partie
de lui. De son sang, de ses os… Putain, mais qu’est-ce qui lui arrivait ?!
De son côté, Aedan se pétrifia. Évidemment, cela n’avait pu que lui échapper ! Il
n’avait pas la capacité naturelle des N’oktus à ressentir l’astre lunaire. Il ignorait
toutefois que les Z’alem noctus avaient hérité de ce don. À vrai dire, il savait bien peu de
chose sur cette race, étant peu coutumier à leur proximité. Il était contre les pratiques
esclavagistes, aussi n’avait-il jamais songé à s’en procurer un. Aucun Ombre n’achetait
de serviteurs.
Mais nom d’un sin’ystr castré, ils étaient dans la mouise ! Il n’y avait aucun doute
possible, ils étaient en plein L’laid. Lui qui pensait pouvoir mieux gérer faisait face à un
cuisant échec. Il n’en éprouva pourtant pas la moindre honte. La seule pensée lui
parasitant l’esprit volait à mille lieux, vers d’autres sphères.
Maintenant était l’occasion parfaite de faire le plein, se disait-il – ou la vidange,
tiens ! –, pour pouvoir supporter ces deux prochains jours de « montée de lune ». C’était
l’occasion ou jamais !
Neil se repositionna, cherchant plus de confort. Il ne fit qu’agacer doucement son
tatouage, et dut en retirer un plaisir certain puisqu’il réitéra instinctivement son geste.
Le saisissant à la taille, Aedan l’aida à reproduire le mouvement. Ce déhanché était
divin !
Une lente frénésie était en train de prendre possession d’eux. Au moins en
avaient-ils tous deux envie. Ou peut-être fallait-il à nouveau incriminer le shi’valem…
Comment savoir si le consentement du garçon était total, lorsqu’il le dévisageait avec
cette expression subjuguée ? N’agissait-il pas sous l’effet d’un envoûtement ?
Qu’est-ce que tu vois, Neil ?
— T’es beau, souffla Neil.
Une main timide vint lui toucher le visage. Aedan battit des paupières, réalisant
qu’il ne s’était pas contenté de la penser, mais avait émise sa question de manière
audible. Ce gamin lui faisait vraiment perdre le contrôle.
— Je peux te voir en vrai ?
Un brin perturbé, Aedan se débarrassa de son kryptopsis. Le moment n’en devint
que plus intime, le sortant un peu de sa zone de confort.
— Étrangement, ça me dérange pas que tu sois pas humain, murmura Neil. En
fait… j’aime bien que tu sois pas du tout… humain. Je suis bizarre, hein ? grimaça-t-il.
Aedan lui sourit.
— Non, tu ne l’es pas. Pas dans le mauvais sens, rectifia-t-il, taquin. Pour la lune,
je me renseignerai. Les N’oktus peuvent la ressentir. J’ignore si c’est le cas des Z’alem
noctus, mais il n’y aurait rien de surprenant, au fond. Maintenant tais-toi, intima-t-il
d’une voix rauque juste avant de lui dérober les lèvres.
14
Réflexion – tome 1
Il n’était pas du genre à taper la discute en pleine parenthèse sexuelle. Le besoin
devenait pressant, exigeant qu’il l’assouvisse. Neil le ressentit aussi, puisqu’il augmenta
l’amplitude de ses déhanchements, accélérant le rythme des frottements de leur bassin.
Ce faisant, leurs tatouages se caressaient l’un l’autre. Ils avaient été bien inspirés
d’apparaître à cet endroit.
Certains N’oktus étaient marqués au bras, à l’épaule, ou au dos de la main.
D’autres arboraient leur shi’valem sur une cuisse, au bas d’une fesse, ou encore au niveau
du pectoral, autour d’un sein. Dans la zone du pubis, c’était parfait !
Les doigts d’Aedan lui démangèrent d’ôter le dernier rempart vestimentaire qui
le séparait de la nudité de Neil. Ce n’était hélas pas une bonne idée, s’il voulait s’y
prendre en douceur. Mais combien de temps tiendrait-il ? Il brûlait sérieusement d’envie
de le consommer là, maintenant.
— Neil ? susurra-t-il, sa voix sensuelle provoquant un frisson le long de l’échine
du concerné. Je pense que tu es trop habillé pour ce que j’envisage de te faire.
Neil exhala, ne sachant s’il était choqué ou paniqué. Aedan lut son désarroi.
— La prochaine fois je ne serai pas aussi compréhensif.
Tout ce que Neil retint fut qu’il y aurait une prochaine fois. Il était vendu ! Il
acquiesça, et s’en retourna à sa danse lascive au niveau des hanches d’Aedan,
inconscient de mettre au supplice le vit de ce dernier, entravé dans son jean brut.
Il se perdait dans un monde dont la nouveauté était trop addictive pour qu’il en
saisisse les vicissitudes. La splendeur du visage de son partenaire, alliée à l’impudeur
dans son regard lie-de-vin, lui firent courir un nouveau genre de frissons sur la peau.
C’était primal. Si animal…
— Dis encore mon nom, exigea-t-il.
Aedan arqua un sourcil, un peu surpris par son ton autoritaire. Il ne s’attendait
pas à ce que le garçon exprime si clairement ses désirs. Où était passée sa timidité de
puceau autocensuré ?
— Pourquoi ? demanda-t-il néanmoins par pur jeu.
— Dis-le ! supplia Neil, ne se reconnaissant plus.
— Neil…
— Encore !
— Mais qu’est-ce qui t’arrive ?
— Je sais pas. Ta voix me… ça m’excite, avoua Neil, conscient de rougir avec
violence.
Il ne se savait pas aussi pervers ! Son prénom roulait sur la langue de l’Ombre
telle une savoureuse friandise. Et il voulait devenir cette friandise dans la bouche
d’Aedan. Dieu que c’était indécent ! Puis il comprit, et se pétrifia.
C’était les émotions d’Aedan qu’il ressentait. Ça ne venait pas de lui, mais de
l’Ombre. Ce dernier espérait le savourer comme l’on dégusterait un dessert gourmand.
Oh bon sang !
Un peu inquiet, Aedan se fit violence pour ne pas le brusquer. Il avait affaire à un
petit animal effarouché qu’il pourrait blesser à vouloir trop vite le dompter. Sans le
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Réflexion – tome 1
quitter des yeux, il fit sensuellement courir ses doigts sur ses flancs, remonta le long de
son buste et vint enfin titiller un téton.
Neil se mordit la lèvre pour tuer un feulement. Ne s’attendant pas à ce qu’il
réponde, la gorge certainement nouée d’émotion, Aedan lui donna néanmoins la
possibilité d’accepter ou de rejeter ses propositions, en les tournant autrement.
— Veux-tu que je continue ?
S’il dit non, l’écouteras-tu ?
Bonne question… Il comptait bien tricher. Il se montrerait persuasif.
Non sans hésitation, Neil passa ses bras autour du cou d’Aedan. Il ignorait où il
allait, mais il en avait terriblement envie. Pourtant, il sentait comme une émotion
« discordante », générant une espèce de conflit interne. C’était sans doute Absence, son
instinct de préservation, qui pointait le bout de son nez pour lui rappeler l’intérêt
d’assurer ses arrières.
— Tu… tu me feras plus de mal ?
Une lueur brilla dans le regard affamé d’Aedan. Si cette promesse était la clé du
lâcher-prise de Neil, il la ferait sans hésiter. Après tout, elle ne pouvait pas être bien
difficile à tenir !
— Plus jamais, gronda-t-il.
Le garçon le surprit en initiant cette fois le baiser, son maigre corps épousant sa
carrure guerrière.
À travers les yeux concupiscents d’Aedan, Neil venait de voir sa peau d’albâtre
reluire dans la pénombre de l’entrepôt, comme nimbée d’un curieux halo. La vision
singulière aurait dû le faire frissonner d’effroi, cependant c’était d’autre chose. Son
appétit sexuel grandissait encore.
Aedan n’attendit pas d’invitation supplémentaire pour goûter à son téton gauche,
le droit étant pris en charge par des doigts presque cruels. Pinçant, tirant, caressant, ils
ne lui laissaient aucun répit tandis qu’une langue faisait durcir l’autre bourgeon. Neil
s’agrippa à la nuque de l’Ombre en bonne voie pour le savourer au sens littéral.
— Tu sais que ta peau est délicieuse ? souffla Aedan.
Et il plaisantait à peine. À cause de leurs « phéromones », la carnation des Z’alem
noctus changeait de « goût » lors d’une forte excitation érotique. On la disait
aphrodisiaque pour leur partenaire. Pas étonnant que les maîtres N’oktus ou Elvus
apprécient autant de les « consommer ». Comme si la raison d’être de cette race avait été
le plaisir des sens.
— Tu sais que ton odeur est enivrante ? répliqua Neil, ignorant d’où lui venait
cette audace.
Aedan le désinhibait. Celui-ci l’interrogea du regard. Vraiment ? Neil opina du
chef.
— Tu sens l’aube et le musc. Ça me rend… dingue, confessa-t-il.
L’autre parut aussi étonné qu’amusé.
— J’ai remarqué que tu avais tendance à me renifler, mais je ne m’attendais pas à
ça.
— Parait que le musc est érotique, ajouta Neil avec une pointe d’espièglerie.
16
Réflexion – tome 1
Cette fois, la fragrance oscillait entre le subtilement viril et le furieusement
masculin, avec une note encore plus sensuelle à présent qu’ils se trouvaient peau contre
peau. Elle générait autour d’Aedan une aura troublante, addictive, laissant à Neil le
sentiment qu’il pourrait inlassablement s’en repaitre.
— Depuis quelques jours, je sens les odeurs d’une façon bizarre. Mais
aujourd’hui, c’est encore plus… (il buta sur le mot) plus… fort.
— Plus « défini » ? s’enquit Aedan, soudain préoccupé.
Neil fit oui de la tête, l’air interrogateur. Avait-il une explication ? Mais l’Ombre ne
lui en fournit aucune, se contentant de lui caresser le cou de son nez. Apparemment,
l’autre était plus enclin à écouter ses instincts charnels qu’à tendre une oreille à ses
incertitudes.
— J’ai pensé… que c’était peut-être lié aux morsures et aux griffures. Parce que
j’étais pas comme ça, avant.
Aedan se détacha vivement de lui, alarmé. Tout compte fait, il était attentif !
— C’est grave ? s’inquiéta Neil. Il m’a peut-être refilé quelque chose. Il était pas
très net, avec ses yeux sanguins, ses blessures et ses poils qui tombaient par endroit.
Voilà un sujet sur lequel il devait sérieusement se pencher, se dit Aedan. Mais
plus tard. La priorité voulait qu’il assouvisse un désir primaire et Neil allait apprendre
son sens des priorités.
— Ce qui compte, Neil, c’est que tu sois sauf et ici, dans mes bras, gronda-t-il en
insérant ses pouces dans l’élastique de son boxer pour le rapprocher davantage. Le reste
est sans importance.
Il n’eut pas conscience de la possessivité de ses paroles, pressé par cette urgence
de faire l’autre sien. Mais cela n’échappa nullement à Neil qui se fustigea mentalement.
Quelle idée d’aborder un sujet tue-l’érotisme dans un moment pareil ?! Comme si ça ne
pouvait pas attendre !
D’autres qui se montraient impatientes, étaient les deux mains expertes qui
farfouillaient dans son boxer désormais humide de désir. Neil tressaillit quand des
doigts musards se saisirent de son émoi en plein turgescence. Il n’eut pas le temps de
s’affoler qu’une bouche sensuelle prenait à nouveau le pouvoir dans la sienne, lui
imposant de fougueux baisers.
Plus ça allait, plus Aedan voulait le posséder dans une étreinte débridée. Cette
putain de L’laid devenait impérieuse ! Pour lui ce serait un délicieux épisode charnel,
mais il ne pourrait en dire autant pour son partenaire. L’endroit, ou plutôt le moment,
était mal choisi, tant qu’il n’aurait aucune idée de la signification qu’y accorderait Neil.
Heureusement qu’il existait des moyens de prendre son pied autre qu’une
profonde pénétration. Il n’irait pas générer un état de stress contreproductif chez le
garçon, juste parce qu’il brûlait d’envie de le baiser. Là, tout de suite. Le plus judicieux à
cet instant n’était pas de satisfaire ses propres attentes, mais d’imprimer dans l’esprit
virginal de Neil la vision qu’il se faisait de l’acte sexuel. Une activité déclinable en mille
variantes, dont il explorerait bien les sentiers pour cause de shi’valem.
Il espérait en récolter les fruits plus tard – enfin, dans un avenir plus proche que
tardif –, sans avoir à se battre contre une gêne de puceau de jeune premier. Nouvel
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Réflexion – tome 1
objectif : parfaire l’éducation voluptueuse de Neil Murphy. Dans ce but, il s’armerait
aujourd’hui de patience. Même si c’était laborieux.
Il s’attela donc à jouer avec la serrure du désir de Neil, s’amusant à trouver les
clés de son plaisir, et à cartographier ses zones érogènes. Une caresse appuyée ici, une
douce griffure là, un massage gratuit à tel endroit, une pression à un autre, une légère
morsure ailleurs. Nul besoin de rendre cet épisode anxiogène pour son innocent
partenaire. Ces moments d’intimité savaient aussi faire rimer excitation avec relaxation
et exaltation.
À l’écoute des frissons du corps de Neil, Aedan se fit maître de son orchestration.
Sa patience paya lorsque ce dernier ne protesta pas, alors qu’il bafouait tout protocole et
l’allongeait à même le sol.
Neil n’était plus qu’une longue partition de sensations exquises. Toute
appréhension s’était envolée, malgré le corps musclé d’Aedan qui le dominait de tout
son long sans pour autant peser de son poids. Il aurait dû être terrorisé par cette
imposante présence mâle, mais ça n’effleura même pas son esprit tant cela s’inscrivait
dans une espèce d’harmonie.
Les doigts de l’Ombre jouaient avec virtuosité de sa virilité sous le lycra, lui
arrachant de curieuses plaintes érotiques. Les lèvres du Venator retrouvèrent leurs
semblables au goût coca et à l’arôme vanillé, puis s’attardèrent dans son cou. Aedan se
délectait de sa peau rehaussée de désir, tirant de son corps une symphonie de perdition.
Subitement, la musique changea. La peau en ébullition, Neil bascula Aedan à la
manière d’un lutteur professionnel, le clouant au sol. Ce dernier fut si profondément
abasourdi qu’il ne put saisir ce qui venait de se produire. Le freluquet lui avait opposé
une force telle qu’il aurait pu faire jeu égal avec lui. C’était juste dément !
Plus dément encore fut la houle prodigieuse qu’imprimait dorénavant Neil à leur
bassin, les frottant impudiquement l’un contre l’autre, mimant l’acte charnel. Lentement
mais sûrement, leur corps mémorisait le tempo de ce ballet qui gagnait encore en
érotisme, au rythme de deux cœurs branchés sur une unique fréquence métronomique.
Les yeux d’Aedan brillèrent de plus belle, ses iris se rehaussant d’une teinte rouge
bordeaux. Oublieux de toutes ses inhibitions et réserves à l’égard de Neil, il dégrafa son
jean avec empressement. La sensualité naturelle du sang Z’alem noctus devait s’être
enfin sortie de sa torpeur. Pour preuve, ce dernier plongea sans fard sa main dans son
sous-vêtement pour en extirper le trésor.
Neil déglutit, non par crainte de la bête impressionnante, mais parce que l’eau lui
vint à la bouche. Aedan était sacrément bien outillé ! Une tête légèrement violacée
terminait une hampe parcourue de veinules apparentes qui saillaient davantage à
mesure qu’elle durcissait. Face à cette vision, son propre membre tressauta, s’érigeant
encore plus alors qu’il croyait avoir atteint des sommets d’excitation.
Aedan tira sur son boxer afin de mieux se saisir des preuves de leur masculinité,
et leur fit faire plus ample connaissance. De son autre main, il caressa son propre
tatouage, comme pour se donner encore plus de plaisir.
À califourchon sur lui, Neil se cambra et rejeta à la tête en arrière, feulant telle
une panthère. Le pic érogène fit copieusement goutter son sexe sur le ventre de son
18
Réflexion – tome 1
partenaire. Ses halètements ne le ravitaillaient plus assez en oxygène. Il était à deux
doigts de perdre la raison. Il confirmait, ploter le tatouage avait le don de rendre le
plaisir exponentiel !
— Je vois que ça te plait, susurra Aedan.
Neil se mordit l’intérieur des joues, conscient de la fureur de ses rougeurs. Mais
au point où ils en étaient, faire son timide ne rimait à rien. Aussi hocha-t-il la tête avec
entrain. Ouais, putain, ça lui plaisait à mort !
Aedan rit de son enthousiasme, et agaça son méat d’un pouce taquin. Ce faisant, il
ne cessait de l’observer, attentif à ses moindres réactions. Neil errait déjà dans un autre
système, les yeux pleins d’étoiles et la peau rayonnant de plaisir. À en juger par le
massage à la fois lascif et urgent prodigué par ses fesses, il en voulait plus mais ne savait
peut-être pas comment l’exprimer…
L’Ombre accéléra les frictions, grognant plus fort à mesure que s’émancipait leur
passion. La délivrance approchait. Ce fut suite à un délire coquin de son esprit exalté
qu’il atteignit la jouissance. Devant ses yeux clos, s’était imprimée la vision
fantasmatique d’un Neil totalement nu, dans un abandon indécent, hurlant de plaisir en
réponse à ses fougueux assauts. Il en ferait une réalité. Ça, c’était une promesse qu’il
comptait tenir !
Du feu dans les veines, la peau brûlant de désir, Neil crut atteindre son point de
fusion lorsqu’il libéra enfin les eaux qu’il contenait. Curieusement, cet orgasme
concomitant fut presque silencieux des deux côtés. Comme si cette première fois entre
eux voulait se nimber d’un caractère solennel ; se draper de sacré. Ils avaient
violemment joui sur un cri inarticulé.
Atone et ivre de plaisir, Neil s’affala sur le corps luisant de sueur de son
partenaire, ses cheveux se répandant sur son torse. Il était persuadé qu’il ne reprendrait
plus jamais son souffle de sa vie. Et c’était bien ainsi. À cet instant, il se souciait comme
d’une guigne de ses antécédents d’asthmatique. En parlant de cette chienne de vie, il
venait d’en vivre le plus beau moment.
Il n’eut pas la force de cligner des yeux, ni de se redresser lorsque son ventre,
soumis à une respiration nerveuse, se mit à briller dans la pénombre. Une lueur dorée
émise par les filaments runiques de leur tatouage les nimba lentement, et le plongea
dans une douce béatitude. L’esprit léger, Neil sourit, avec la pensée ridicule que c’était
magique.
Nonchalamment, Aedan laissa glisser ses doigts dans les creux et les pleins du
corps merveilleusement alangui contre le sien. Il ferma les yeux avec fatalité, un
rugissement silencieux s’élevant de tout son être. Le shi’valem s’était complètement
activé.
Il sut d’instinct qu’ils porteraient dorénavant l’odeur de l’autre. Ils venaient de se
marquer et ç’allait être galère à justifier, à défaut de le cacher. Il aurait dû en être dépité,
mais ce n’était pas cela le plus préoccupant. Si l’un venait à trouver le trépas maintenant,
l’autre sombrerait inéluctablement dans la folie. Et l’explication lui apparut enfin
clairement.
19
Réflexion – tome 1
On disait que la disparition d’un des porteurs du shi’valem laissait l’autre avec
une sensation de membre fantôme. Mais c’était faux. Maintenant qu’il en ressentait
pleinement le lien, Aedan comprenait que ce n’était pas localisée et sporadique. C’était
généralisé et continue. En permanence, sur tout le corps. Forcément que la folie vous
guetterait au bout de quelques semaines et durerait à vie, si elle ne vous poussait pas à y
mettre un terme !
Il était définitivement, irrémédiablement, perdu. Cependant, son ronronnement
de matou repu fut comme un aveu d’indifférence. Il était juste bien, là.
C’est décidé, tu seras mien, Neil Archer Murphy.
Après ça, Neil ne verrait plus son tatouage du même œil. Il n’y penserait plus sans
que ça ne déclenche des rougissements intempestifs…
*o*o*
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