Carl Stumpf: origine et postérité de la phénoménologie
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Carl Stumpf: origine et postérité de la phénoménologie
Carl Stumpf: origine et postérité de la phénoménologie expérimentale Face à l'essor considérable de ce qu'il est convenu d'appeler les « sciences cognitives », la philosophie peut difficilement aujourd'hui ne pas prendre position sans courir le risque de compromettre son avenir. La vitesse d'absorbtion thématique de ce champ de recherches, qui (pré)tend toujours davantage à désaisir la philosophie de ce qu'elle croyait être la seule à pouvoir analyser, est aujourd'hui un état de fait, théorique et institutionnel. Loin de céder à un prétendu « tournant cognitif » que la philosophie aurait soi-disant pris, il nous semble, au contraire, que tout reste à faire; à commencer par prendre à bras le corps cette prétention hégémonique des sciences cognitives et, en particulier, à examiner son parti pris naturaliste consistant à reconnaître un niveau neurobiologique comme le niveau de base à partir duquel tous les autres niveaux d'explication viendraient s'édifier. En effet, ce présupposé catalyse tous les débats portant sur les rapports entre philosophie et sciences cognitives, à tel point qu'il est devenu difficile de réfléchir sur la pertinence de ce présupposé sans soulever d'emblée une polémique contestant la légitimité même de ce type d'interrogation. Ceci révèle, selon nous, la difficulté de s'interroger sur le naturalisme sans déjà présupposer un rejet de principe ou une adhésion aveugle, un peu comme si la question du naturalisme était toujours déjà réglée. L'objectif général de ce travail est de montrer que le naturalisme représente une question de premier plan pour l'avenir même de la philosophie et qu'elle nous conduit à en délimiter le domaine et la méthode. Une étape significative, dans cette question du naturalisme, a bien été franchie par le mouvement de « naturalisation de la phénoménologie », en particulier par les travaux de Jean Petitot, qui visait à se réapproprier une pensée radicalement anti-naturaliste, celle de Husserl, dans une perspective naturaliste. Pourtant, il n'est pas certain que la prise en compte du modèle des sciences de la nature conduise nécessairement la phénoménologie à en devenir l'une des branches ou à épouser la cause de l'anti-naturalisme husserlien. La question des rapports entre phénoménologie et sciences de la nature mérite d'être reconsidérée, notamment à la lumière d'un examen approfondi de cette période charnière de la deuxième moitié du XIX ème siècle où la question du naturalisme est au coeur des débats et autour de laquelle la phénoménologie trouve son point d'ancrage. Mais il faut, dans une certaine mesure, dépasser la seule figure de Husserl et revenir à un stade antérieur où la phénoménologie apparaît précisément comme une réponse à la crise des fondements que subissaient les sciences. Or, dans ce contexte polémique, l'une des figures majeures qui se dégage est celle de Carl Stumpf. Si l'importance de Carl Stumpf est aujourd'hui encore largement sous-estimée, alors même qu'il reste une référence de premier plan pour Husserl ou James et qu'il est, dans une certaine mesure, l'inspirateur de l'école berlinoise de la Gestalt, c'est bien parce qu'une telle réhabilitation nous amènerait à réviser littéralement le concept même de phénoménologie. Or, une conception trop restrictive de la phénoménologie élimine les facteurs historiques qui ont permis son émergence, ne rend pas justice à une diversité des acceptions du concept de phénoménologie, qui reste, au demeurant, très peu étudiée, et rend impossible une confrontation authentique entre phénoménologie et sciences de la nature. Entreprendre une telle réhabilitation nous conduit à affronter le problème complexe de la définition de la phénoménologie en revenant sur ses conditions d'apparition dans le contexte de l'élaboration d'une science psychologique dans la deuxième moitié du XIXème siècle, et à remettre en cause certains clivages habituels qui rendent impossibles l'étude des voies de communication éventuelles entre phénoménologie et expérimentation. C'est à partir de cette double difficulté que l'examen de la figure de Stumpf nous permettra de poser la question générale du naturalisme.