histoire du sport féminin XIXe

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histoire du sport féminin XIXe
UE15 CM L3
Yves Morales
Pratiques corporelles et différenciation sexuée - histoire du sport féminin
XIXe – XXe siècles
Introduction : le cadre de l'analyse
« une évidence s’impose, le sport a un sexe, il est masculin » Louveau C. (1991), « Chapitre
4 : le sport, conservatoire des identités », in Davisse, A., Louveau, C., Sport, école, société : la
part des femmes, Joinville le Pont, Actio, 111-151.
A - La différenciation sexuée dans le fonctionnement social : un processus central
la différence des sexes : l’évolution du débat situant la femme entre « nature » et « culture »
masculin/féminin : l’indispensable analyse comparative
C. Bard, Les femmes dans la société française au 20e siècle, Paris, A . Colin, 2001.
« l’éternel féminin »
1er processus : un constat : la « domination masculine » comme principe d'organisation
social et culturelle.
Une société patriarcale - Olympes de Gouges déclaration des droits de la femme et de la
citoyenne en 1791: « si la femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit également avoir
celui de monter à la tribune »
Code napoléonien en 1804 : code civil qui prive la femme mariée de sa capacité juridique. Elle
devient mineure e dépendante de son époux à qui elle doit obéissance.
Pierre Bourdieu, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998. : La domination masculine une
« construction sociale naturalisée ».
B - Genre et sexe : entre social et biologique
le genre comme concept utile à l’analyse
M. Mead en 1930, parle d’une construction culturelle des identités sexuées.
Simone de Beauvoir, le deuxième sexe, 1949 : « on ne naît pas femme, on le devient ».
Dans ce débat nature/culture, par extension, le genre est rapidement utilisé pour désigner
l'ensemble des traits, carac-tères et comportements attribués au « masculin » et au « féminin ».
Les Gender Studies, courant américain féministe militant, ont posé les questions suivantes :
Comment les représentations de chacun des sexes ont participé à la domination masculine ? Des
inégalités dans la société ? De l’exclusion politique des femmes ?... Elles dénoncent les rapports
sociaux de genre qui participent à la diffusion de normes de comportements admis par la société.
Dans les universités américaines se développent également les Women’s Studies : fortement liées
au mouvement féministe, la plupart d’entre elles incarnent un féminisme « radical », fortement
tinté d’un différencialisme qui plaide pour une séparation des sexes. Dès lors, qui dit mouvement
« féministe » appelle la question de l’ « émancipation ».
DEFINITION : Le genre désigne la construction et l'organisation sociale des différences
sexuelles. La notion de genre s’attache donc à montrer que les différences entre les sexes ne sont
pas seulement issues de la nature biologique, mais aussi, et surtout, d’une construction sociale et
culturelle. Le genre est donc défini comme l’ensemble des formes d’expressions sociales de la
féminité et de la masculinité, et l’ensemble des signes, pratiques et symboles qui dénotent une
appartenance identitaire et fondent un type de relation (pouvoir, hiérarchie…) entre les sexes ou
au sein de chacun des sexes.
Cf. en particulier : Scott, Joan, « Genre : une catégorie utile d’analyse historique. Le genre de
l’histoire », in Les cahiers du CRIF, 37-38, 1988, pp. 125-153 ; Fougeyrollas-Schwebel,
Dominique, Planté, Christine, Riot-Sarcey, Michèle & Zaidman, Claude, Le genre comme
catégorie d’analyse. Sociologie, Histoire, Littérature, Paris, L’Harmattan, 2003.
On constate les effets durables d’un ordre social imposé à la condition féminine sous couvert
d’une « fragilité » ou « équité du déficit » (Louveau, 1991). Ainsi, l’ordre « naturel » des sexes
est relativement respecté par cette forme de « biologisation » du social. Delphy, C. (1991),
« penser le genre : quels problèmes ? » in Hurtig, M.C, Kail, M., et Rouch, H. (Eds.), Sexe et
genre. De la hiérarchie entre les sexes, Paris, CNRS, 89-102.
Sexe et groupes sociaux : des variables interdépendantes
2e processus : les revendications féministes comme vecteur de changement ?
féminisme : terme inventé initialement pour traduire des comportements efféminés des hommes.
Revendications féministes = Eviter de faire du progrès de la condition féminine, le sous-produit
d’une modernisation qui s’opérerait en dehors d’elle-même, sans que les femmes n’aient grandchose à y voir et de penser que celles-ci subissent l’histoire sans la faire vraiment.
féminisme différencialiste
féminisme universaliste (dit aussi égalitariste)
queer ?
3e processus : une permanente reconfiguration des rapports entre masculin et féminin
une normativité en évolution
Pour Michel Foucault, cela consiste a envisager la différence des sexes comme étant le résultat
changeant de constructions culturelles et historiques, autrement dit, entre en jeu le processus de
reconfiguration : idée inspirée par Michel Foucault qui consiste à envisager la différence des
sexes comme étant le résultat changeant de constructions culturelles et historiques. Voir à ce sujet
Sohn, Anne-Marie et Thélamon, Françoise, Une histoire sans les femmes est-elle possible ?
Librairie académique Perrin, 1998.
A l’échelle d’une société comme à celle des personnes, le genre est en perpétuelle reconstruction.
Il est redéfini et fait l’objet d’ajustements au moment même où il façonne ses normes. Pourtant,
ces reconstructions se produisent bien en référence à des modèles dominants qui permettent de
stabiliser les hiérarchies. Le genre est en effet un puissant acteur dans le processus de
socialisation auquel l’ensemble des membres d’une société est soumis.
T. Laqueur, Making sex : Body and Gender from the Greeks to Freud. Cambrige, Harvard
University Press.
C. Axes problématiques et plan :
Nous chercherons à montrer que les sports se présentent comme des espaces d’actualisation des
dispositions relatives aux différenciations sexuées.
Plan adopté : Analyse périodisée à partir des formes de pratiques corporelles autorisées aux
femmes ou qu’elles investissent.
L'évolution du sport féminin comme analyseur des mutations sociales et culturelles à partir des
débats qui favorisent ou ralentissent la féminisation des pratiques.
1 – Le corps des femmes et les prémisses du sport féminin (avant 1890)
1.a- Des pratiques traditionnellement « féminines » à la gymnastique des demoiselles
le patinage, la paume, voire le tir à l'arc, des distractions distinctives.
Au XIXe siècle, la gymnastique.
En 1928 Phokion-Heinrich Clias, Callisthénie ou gymnastique des jeunes filles
En 1854, La Gymnastique des demoiselles, de Napoléon Laisné.
En 1869, le docteur Fonssagrives, L’éducation physique des jeunes filles, Paris, Hachette.
Selon le dr. Fonssagrives la nature féminine justifie une éducation physique des filles différente
de celle des garçons. Par exemple, les garçons peuvent pratiquer des exercices d’équilibre, de
force et d’agilité : « ils ont pour eux l’avantage de les initier aux hasards de la vie aventureuse qui
les attend : les petites filles n’en on que faire, et la gymnastique des attitudes et des mouvements
est la seule qui leur convienne. Elle n’exige ni appareils, ni machines et, pouvant être pratiquée
dans la famille elle-même, elle laisse à cette partie de l’éducation des filles le caractère intérieur
et retiré qui lui convient. », p. 118.
distinction public/prive et idéal bourgeois de la famille
La loi Camille Sée de 1880
La loi du 28 mars 1882 définit dans son article premier les contenus d'enseignement auxquels
s'ajoutent des exercices militaires pour les garçons, des travaux d'aiguille et travaux ménagers
pour les filles. " L'éducation physique a un double but : d'une part fortifier le corps, affermir le
tempérament de l'enfant, le placer dans des conditions hygiéniques les plus favorables, d'autres
part, lui donner de bonne heure ces qualités d'adresse et d'agilité (...) particulièrement nécessaires
aux élèves des écoles primaires, destinés pour la plupart à des professions manuelles (... ) sans
perdre son caractère essentiel d'établissement d'éducation et sans se changer en atelier, l'école
primaire peut et doit faire aux exercices du corps une part suffisante pour préparer et prédisposer
(...) les garçons aux futurs travaux de l'ouvrier et du soldat, les filles aux soins du ménage et aux
ouvrages des femmes". (Programme détaillé d'E.P. signé par J.Ferry le 28 juillet 1882).
1.b. Les pionnières ... ou « femmes de sport »
Sportives et mondaines :
Alpinisme : le Mont-blanc en 1808 (Marie Paradis)
Les bains
Ces sportswomen font partie d'un certain milieu social pour lesquelles la séparation public/privé
n’est pas identique à celle que nous avons constaté pour la bourgeoisie moyenne.
E. Chapus, Les sports à Paris., Paris, Hachette, 1854 ;
Baron de Vaux. Les hommes de sport, Flammarion, s.d.
Baron de Vaux, Les femmes de sport, Paris, Flammarion, 1885 : escrime, équitation vélocipédie,
lawn-tennis, golf, le polo. Autant de sports que l’on retrouve dans la revue la Vie au grand air et
qui sont l’occasion d'entretenir une sociabilité mondaine et de diffuser le culte de la prouesse, de
l'exploit, voire du risque.
Certaines femmes, durant cette période, transgressent ouvertement les normes de genre et
provoquent le scandale tout en participant ) la modification de la perception de la femme dans la
société : Georges Sand (1804-1876) qui avait connue­ l’émancipation était l'une d'entre elles.
1886 : rétablissement du droit au divorce.
Néanmoins, les défenseurs de la cause féministe sont alors très minoritaires et ne se préoccupent
guère de sport.
2 – un premier essor des exercices corporels féminins (1890-1914)
Durant cette période qui couvre le tournant du siècle, diverses pratiques corporelles sont
proposées aux femmes tout en étant soumises à la fois aux processus de domination masculine et
aux formes de revendications féminines... Des glissements ou « reconfigurations » des normes
sexuées s’observent dans cette période où la nature féminine se redéfinit constamment (à partir
d’une conception du corps physiologique) entre femme-mère, femme « potiche » et femme
d’action.
2. 1- Le rôle socialisateur de l’école et le développement d’une gymnastique
« féminine et esthétique » - la femme comme procrétrice :
G. Demenÿ : « la nécessité de l'éducation physique pour la femme, se justifie autant par des
considérations esthétiques qu'hygiéniques, morales et sociales ».
« Les procédés d'éducation doivent être adaptés à l'âge et au sexe, les préjugés et les habitudes le
veulent ainsi. (... ) La femme doit remplir dans la société un rôle complémentaire de celui de
l'homme. Le foyer la réclame, sa grande fonction est d'être mère ; si elle a le devoir d'être forte
pour remplir cette mission, elle doit aussi avoir la grâce pour charmer et, de plus, être éclairée sur
sa fonction »
« La beauté vraie n'a rien de la langueur maladive; la gracilité et la faiblesse ne sont pas
nécessairement les attributs de la femme; la gymnastique bien comprise ne lui enlève, comme on
le croit souvent, ni la beauté, ni la grâce ; bien au contraire elle met en valeur ces qualités »
G Demeny,"Education et harmonie des mouvements" Paris Alcan 1911.
le rejet du corset
la fonction de procréatrice est l’avenir de la race : « Le corset et le costume féminin ont aussi leur
part dans la déchéance physique de la femme; ils restreignent les mouvements respiratoires,
compriment la poitrine et le ventre ... La jeune fille ne peut se résigner à abandonner ces
instruments de torture de crainte de s'effondrer. Le mouvement fouette notre organisme
languissant »
« En donnant à la gymnastique une forme aimable et intensive, j'espère inciter les jeunes filles à
l'effort énergique, et je leur offre le moyen de développer ces qualités charmantes et précieuses :
la grâce et la beauté »
La séduction est évidemment considérée comme une qualité à développer pour la femme.
G Demeny,"Education et harmonie des mouvements" Paris Alcan 1911.
Le Cours supérieur d'éducation physique ouvre en 1903 et accueille quelques femmes.
Parmi elles, Irène Popard qui propagera après-guerre la gymnastique harmonique avec l'Institut
de gymnastique harmonique et l'Association Française de Gymnastique Harmonique. Cette
gymnastique harmonique inspirée de la Rythmique de Dalcroze répond en tout point aux
directives du maître de l'éducation physique féminine en France.
2.2 Sports hygiéniques, gymnastique et « émancipation féminine » dans la société
Comme nous l’avons vu, les activités physiques ou sports tels que le patinage, la natation ou la
gymnastique sont considérées très tôt comme correspondant à la « nature » des femmes
puisqu’elles mettent d’abord en évidence des qualités esthétiques de grâce et de maîtrise du
mouvement. Leur grand avantage désormais, grâce à la caution médicale, est aussi de développer
la santé à travers des exercices modérés et convenablement dosés pour répondre à la fragilité
supposée des femmes.
La Gymnastique dans la société
1898 : Première section féminine d'EPS crée par l'association des instituteurs
1900, Les Enfants du Havre créée sous l'impulsion de M. et Mme Podesta qui présentent des
exercices collectifs lors de la fête fédérale de 1905 à Bordeaux;
1901, En-Avant de Paris, ouvre à son tour une section féminine.
1909 (à l'initiative d'un homme, Joseph Clavel), la Société féminine de gymnastique de Lvon
(dirigée par des femmes),.
1911, L'Églantine (que préside Mme Ludin).
Le 21 avril 1912 est fondée à Lyon l'Union Française des Sociétés de Gymnastique féminine,
affiliée à l'Union des Sociétés de Gymnastique de France ( USGF
Développement parallèle de méthodes de gymnastiques féminines :
1910 : Ouverture de l'école française de rythmique, destinée aux jeunes filles de la bonne société
(une très petite minorité)
1909 : Isadora Duncan développe une nouvelle méthode basée sur la danse libre
La Natation :
L'Ondine, fondée en 1906 à Lyon (présidente Mme Vallin puis Mme Herriot)
Sa devise est : l'émancipation féminine. Elle sera suivie par la création du Cercle des nageuses
(1907), des Mouettes lyonnaises (1914), de La Libellule de Villefranche-sur-Saône.
Les buts de l’Ondine : « Luttant contre les habitudes surannées de notre siècle, et avec l'intention
de faire œuvre utile, nous avons fondé L'Ondine ... avec le projet arrêté d'apprendre à la fillette
dès son plus jeune âge la pratique d'un sport capable de lui donner une constitution plus forte, une
poitrine plus large, des muscles plus vigoureux et la facilité de lutter contre les intempéries des
saisons et surtout lui donner des habitudes de propreté » Statuts de l’Ondine.
hygiène et émancipation + éternel féminin
La bicyclette et l’émancipation
Lutte contre les préjugés issus des discours « biologistes » sur la nature féminine.
« La nature n’a pas créé la femme pour ce genre de sport, […], n’étant q’un utérus entouré
d’organes, monter à califourchon et pédaler en sus serait dangereux pour sa santé » Dr Tissié,
l’hygiène du vélocipédisme, Paris, 1888 (dans la 2e édition publiée en 1893, changement d’avis :
il encourage la femme à faire de la bicyclette).
Discours émancipateur: Le vélocipède est sans doute le premier sport féminin, celui qui en tout
cas a été le plus rapidement associé à l'émancipation des femmes : « Au fond, c'est bien vrai, nous
aimons la bicyclette parce qu'elle nous émancipe... la bicyclette c'est la première ébauche des
ailes, la première réalisation du rêve d'Icare 1 ». Le Monde sportif de Lyon et du Sud-Est, n° 8 du
10 mai 1897. Article écrit par une femme anonyme qui s'insurge contre les ricanements des
hommes et leur crainte de voir les femmes s'émanciper.
Sarah Bernhardt, répondant à une enquête de C. de Loris sur « La femme à bicyclette » (1896),
avait parfaitement compris que les sorties hors du foyer familial avec des compagnons du sexe dit
fort portaient en germe une très profonde évolution pour ne pas dire une émancipation.
La culotte bloomer : « être ou ne pas être culottée ? »
À partir de 1912, l’UVF interdit les courses cyclistes féminines de longue distance.
Les débuts de l'automobile - la baronne du Gast, arrivante du Paris-Berlin 1901 comme de
l'étape courue jusqu'à Bordeaux du Paris-Madrid 1903 –
...et de l'aviation - Mme de Laroche, Hèlène Dutrieu, Marie Marvingt.
CONSTAT : Au début du XXe siècle, l'idée d'une pratique compétitive et publique des femmes
est encore difficilement tolérée mais la pratique commence à exister en conjuguant effort et
modération.
Exemple de la marche des midinettes du 25 novembre 1903 :
« Au nom de tous ceux qui aiment véritablement le sport, comme au nom de tous ceux qui aiment
la femme, je souhaite que la pitoyable randonnée d'hier n'ait jamais de lendemain » : sentence du
journaliste Victor Brevet au lendemain de la «Marche des midinettes ».
Exemple du tennis avec S. Lenglen : le « champion féminin »
Exemple du ski : « Le ski est bien un sport féminin, il ne donne pas comme on peut le croire,
l’impression de l’effort, admirable chez l’homme, disgracieux chez la femme, mais l’impression
de légèreté, de grâce, de vitesse et aussi de santé ». Lieutenant Gelinet, « Quelques Notes sur le
IIIè Concours International de Ski », in La Montagne, 2, février 1909, pp. 103-107.
« Le ski est l’un des sports admis pour les femmes. Personne ne songe à le trouver trop violent
comme il arrive souvent pour la plupart des exercices physiques ». Marvingt, Marie, « Les
femmes et le ski », in Magnus, Léon et De La Frégeolière, Renaud, (eds.), Les sports d’hiver,
Paris, Lafitte, 1911, pp 176-181.
Ces « prodigieuses excentriques manquant de goût et qui délaissent la jupe pour prendre nos
culottes sans honte de nous singer » Anonyme, « Pontarlier- sports d’hiver - Le 2è grand
concours de skis », in Le Courrier de la Montagne, 4 février 1911.
« Les jeunes femmes qui ont enfin adopté le gracieux costume féminin, le seul qui leur
convienne, jupe courte [c’est-à-dire en dessous du mollet] et chandail
« …relever la jupe avec des pinces, ce qui était déjà audacieux pour l’époque – Des mères de
famille détournant la tête, scandalisées par la tenue que je portais » Namur-Vallot, Madeleine,
témoignage archivé au musée alpin de Chamonix.
« Il était réservé aux dames de nous montrer que l’on peut glisser sur une pente raide, sauter et
même tomber à terre avec grâce... Parfois, au bas, une chute légère, mais tant de galants
commissaires se précipitaient pour tendre des mains secourables qu’il eut été méchant de n’en
pas profiter. Et, ma foi, on en profitait gentiment » Anonyme, « La fête du ski, un concours très
réussi », in Le Journal de Pontarlier, janvier 1910.
A une période où les exhibitions sportives des femmes sont largement réprouvées par la morale
bourgeoise, le ski féminin apparaît comme une pratique tolérée par sa logique hybride, à michemin entre l’excursion hygiénique et l’activité esthétique. Comme la bicyclette, il mérite d’être
encouragé par son coté pratique et, comme le patin à glace, il est sensé mettre en valeur la beauté
plastique féminine. Les épreuves de ski proposées confirment donc la perception traditionnelle
des spécificités organiques, psychologiques et sociales du genre féminin. Liotard, Philippe,
« Etre belle pour être utile », in Arnaud, Pierre et Terret, Thierry, (eds.) Education et politique
sportives XIXe – XXe siècles, Paris, C.T.H.S., 1995, pp. 97-108.
discours féministes ?: « Constatons avec joie que les faibles femmes ou prétendues telles
suivant un préjugé antique, ont le droit reconnu par tous d’excursionner dans les stations
hivernales et dans les montagnes avec des skis aux pieds. L’homme n’est pas assez souvent
tolérant envers la femme pour que cette constatation ne soit appréciée avec l’enthousiasme qui
convient par toutes les représentantes du sexe faible »
« je puis affirmer que l’inhabileté que montrent certaines de mes semblables à leurs débuts dans
la pratique du ski-ing provient non pas de leur sexe ou de leur tempérament, mais de la sorte de
mépris avec lequel les hommes semblent toujours les considérer au point de vue sportif.
Heureusement nous sommes arrivés à une époque où nous pouvons hardiment secouer le joug
[…], ceux qui se disent nos maîtres s’apercevront bientôt qu’ils possèdent en nous des
adversaires avec lesquelles il faut compter, [...] D’ailleurs avec la pratique et l’entraînement, ne
pourrions-nous pas rivaliser dans presque tous les sports ? » Marvingt, Marie, ouv. cit.
Bref, la lecture du corps féminin reste soumise à une approbation sociale masculine qui définit la
place et le rôle des femmes dans la société. Les instances dirigeantes du CAF sont exclusivement
composées d’hommes et nous avons observé qu’elles ne dérogeaient que de façon limitée à la
place et au rôle traditionnels des femmes dans la société.
le féminisme : une conscience de genre, forme sexuée de l’opinion.
S’il est possible d’observer des revendications féminines doit-on en conclure que le sport est un
domaine où s’affirment des revendications féministes ?
SPORT et revendications féministes : Le militantisme musclé des suffragettes anglaises a-t-il
réussi à secouer la résignation des françaises ?
évolution vers un « âge d’or » du féminisme entre 1900 et 1914 en Europe.
2.3- Une participation restreinte lors des Jeux olympiques.
Mouvement olympique et exclusion des femmes –
« Les jeux olympiques devraient être réservés aux hommes, leur rôle (des femmes) avant tout
devrait être de couronner les vainqueurs » « Impratique, inintéressante, inesthétique, et nous ne
craignons pas d'ajouter : incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-Olympiade féminine ».
Revue Olympique 1912 P de Coubertin (discours)
Il existe pourtant de rares épreuves ouvertes aux femmes par le CIO dès l’origine : patinage, tir à
l’arc, tennis et golf. Ainsi, on trouve onze joueuses de tennis et golf
En 1912, à Stockholm, la brèche olympique s'élargit encore : la natation féminine (100 m, 4 x
100 m et plongeon de haut vol) et le tennis figurent parmi les épreuves officielles ses - dont 4
françaises - à Paris dès 1900, mais les compétitions,, olympiques » sont noyées dans le
salmigondis des Concours d'exercices physiques et de sports de l'Exposition universelle.
L’éviction des femmes n’aurait pas pour fondement la violence d’un refus, mais résulterait d’un
accord assez largement partagé sur la définition de la féminité.
Fémina sport fondée en 1912 par Sandoz et Pierre Paysé, ancien gymnaste de haute valeur; ne
pratiquent pendant 4 ans (1912-1916) qu'éducation physique et gymnastique, tout comme à
Académia (1915) et à la section féminine d'En-Avant (1916)
3 - Entre gymnastique « gynécologique » et sports athlétiques – l’image
fluctuante de la femme « sportive »entre deux guerres (1918-1939)
Les années folles : Une conscience féminine
Après 1918 et jusqu'en 1939, la France est une société de femmes dirigée par des hommes‘
Le contexte nataliste
DEUX MODELES DE PRATIQUES SE DEVELOPPENT QUI CORESPONDENT A DEUX
VISIONS DE LA FEMME : L’une qui engage la pratique sportive des femmes et répond à une
logique d’émancipation des femmes, l’autre qui réactive les normes de genre autour de l’éternel
féminin à partir des préoccupations natalistes.
3- 1 Une éducation physique réactualisant l’éternel féminin
Il faut éduquer la femme nous dit Tissié dans l’avant propos de L’Education physique et la race,
1919. « L'éducation physique est la première éducation à lui donner pour la constitution de
solides moteurs humains, par de meilleures gestations, de plus saines et de plus fécondes
maternités » ... « L'éducation physique sera féminine ou ne sera pas! »
« Les mères fortes font les peuples forts »
« La gymnastique de boudoir n'est pas faite pour les mères de demain dont les flancs élargis et
forts auront à porter les fruits nobles d'une saine et sainte conception »
On retrouve les mêmes propos chez Boigey
« la femme n'est point construite pour lutter mais pour procréer »
« une femme n'a pas moins besoin d'activité qu'un homme (...) elle doit être en bonne santé et
vigoureuse. C'est une exigence de la maternité.
« En aucun cas nous n’oserons soutenir l’utilité des compétitions sportives pour les femmes ; pas
de courses de fond, pas de saut en longueur en hauteur ni en profondeur en vue de records, pas de
lutte ni de boxe pas même d’équitation pour les femmes… tout exercice qui s’accompagne de
heurts, de chocs, de secousses est dangereux pour l’organe utérin »
« Une femme n'a pas un moindre besoin d'activité physique qu'un homme. C'est un avantage pour
elle d'avoir une bonne santé et d'être douée de vigueur. La maternité l'exige... Sur les femmes
l'absence de culture physique a des conséquences pires, si c'est possible, que sur les hommes. Car
la fin suprême de la femme est le mieux être de la postérité. Elle ne peut l'assurer que par les dons
naturels que lui confère une santé parfaite. Elle n'acquiert celle-ci que par une hygiène
comportant, au premier rang de ses pratiques, le mouvement et l'exercice physique »
Dr M. Boigey, Manuel scientifique d'éducation physique, Paris, Masson, 1922 (1ère édition).
Éducation physique scolaire féminine = une sous EP masculine
L'EP préconisée apparaît comme une simple adaptation du modèle masculin, on remplace les
exercices de force par "les exercices qui donnent de l'agilité et de la grâce".
Femme- objet, femme-enfant, femme-mère...
Dr M. Boigey, Manuel scientifique d'éducation physique, Paris, Masson, 1922 (1` édition).
Du même auteur, La Cure d'exercice aux différents âges de la vie et pour les deux sexes, Paris,
Masson, 1934 ; L'éducation physique féminine, Paris, Alcan, s.d. (2 tomes) ; Éducation physique
de l'enfance et de l'adolescence, Paris, L'Expansion cientifique française, 1929 ; Physiologie de la
culture physique et des sports, Paris, Albin Michel, 1927.
Selon lui la femme souffre finalement d’une Triple infériorité « physique, psychique,
intellectuelle »
… processus de naturalisation des différences, stigmatisation, inégalité.
Georges Hébert est plus "libéral".
Rien dans la nature de la femme ne s'oppose à ce qu'elle marche, court, saute, progresse en
quadrupédie, grimpe, chemine en équilibre, porte, lance, lutte et nage (les dix familles en fait),
même si cependant, pour des raisons "culturelles" et "sociales" surtout, l'EP féminine doit
présenter un caractère différent de l'EP masculine, tout en utilisant les mêmes procédés de
développement, les mêmes règles et principes de travail. Le "caractère" provient d'abord de la
manière de conduire le travail, qui doit être plus fine, plus délicate et en parfait accord avec la
mentalité féminine. Pour Hébert, c'est donc plus dans la manière de conduire la séance, dans la
gestion des exercices que dans les contenus proprement dit que se situent les différences.
« Les juments et les chiennes ne courent-elles pas aussi vite et aussi longtemps que les chiens? Il
ne viendrai jamais à l'idée d'un entraîneur de chevaux ou de chiens de soumettre les femelles à
des exercices spéciaux »
G Hébert, Muscle et beauté plastique féminine, Paris, Vuibert 1919
Érnest Loisel sous prétexte de Bases psychologiques de l'EP aboutit à une sorte d'alliance entre
les préceptes d'origine médicale et une moralisation de l'EP féminine, refoulant le "désir" pour la
rendre éducative :
"Sa fonction biologique est la gestation et le nourissage, c'est à dire deux formes du porter. Sa
fonction sociale est d'abord le ménage, c'est à dire encore le porter et ensuite le travail à l'aiguille,
c'est à dire la position assise, avec l'insuffisance respiratoire qui en est la conséquence... le porter
reste le geste féminin par excellence, geste social et biologique."
"Sa fonction est d'être mère, mais aussi d'être femme et, selon la juste expression de Demeny, si
elle doit être forte pour la maternité, elle doit aussi posséder la grâce pour charmer."
"Nous devons essayer de tracer la limite au-delà de laquelle le beau cesse d'être gracieux pour
devenir lascif. La femme, sortant des mains de l'éducateur physique, doit exciter l'admiration et
non le désir." Ernest Loisel, les bases psychologiques de l'éducation physique, Nathan 1935
- voir les Gymnastiques rythmiques
3-2 Une nouvelle image de la femme à la conquête du sport
Femme « garçonne » ?
Création Fédération des sociétés féminines sportives de France, (FSFSF) en 1917
Alice Milliat
Règlements spécifiques
Jeux mondiaux féminins au stade Pershing (20 avril 1922)
La Fédération Sportive Féminine Internationale créée à Paris le 31 octobre 1921
Une féminisme en acte
Exemple du ski féminin au temps des « années folles »
La revue Le ski illustré du 15 mars 1932 témoigne de l’âpreté des débats autour de la question :
« les femmes doivent-elles faire du ski de compétition ? ».
A la question : que pensez-vous du ski féminin français ? la réponse est claire : « en ce qui
concerne la compétition de vitesse pure, beaucoup de mal … en ce qui concerne le slalom et les
excursions, beaucoup de bien ! La femme n’est pas faite pour les épreuves dures – je ne dis pas
difficile – et j’estime que le slalom est la seule épreuve qui convienne vraiment aux femmes. Ne
parlons pas du fond et du saut mais de l’épreuve de descente, voyez du reste à quelques rares
exceptions le peu de féminité des championnes. Hors compétition, je ne puis m’empêcher de
vous dire cependant que la femme est le charme des terrains de ski, surtout la française et la
scandinave. Le docteur Lacq a un sourire malicieux et s’arrête un temps, puis il continue : dans
les excursions la femme a un rôle utile -... ??? … - Oui, entre autres de permettre aux skieurs
masculins fatigués de feindre de les attendre en restant à la traîne, et ce faisant, de se donner le
mérite d’une aimable galanterie …Mais, c’est délicat, car il y a une courte distance entre la
reconnaissance et le mépris ! » Brown, jacline, « Entretien du docteur Lacq », in Sports d’hiver,
30 janvier 1937.
1930 : le modèle hygiéniste reste dominant : voir « les gymnastiques féminines » par le Dr
Robert Jeudon in Labbé dans le TRAITÉ D'ÉDUCATION PHYSIQUE, 1930
1. – raisons d’ordre moral et social
« La femme est construite avant tout pour procréer ; par conséquent, la culture du corps féminin
est au moins aussi importante que celle du corps de l'homme, puisque les qualités physiques
maternelles, outre qu'elles facilitent l'eugénétique, se transmettent à l'enfant. La fin suprême de la
femme est le mieux-être de la postérité. En cultivant la valeur physique et physiologique de la
femme, c'est toute la race qu'on améliore avec elle ».
D'un point de vue moins altruiste, mais non moins important pour le bonheur de la femme et de
l'humanité, on peut affirmer que la femme retire son bien-être de ses qualités physiques plus que
de ses talents intellectuels, malgré l'importance que ceux-ci peuvent avoir depuis qu'elle aborde
avec succès presque toutes les carrières jusqu'alors réservées à l'homme. Certes, il est quelques
exceptions de femmes su-périeures qui ont pu réussir à cultiver de pair, à un degré très élevé, le
corps et l'esprit, mais, même parmi nos contemporaines, on peut encore affirmer, avec BOIGEY
(1), que, dans la grande majorité des cas, nous nous soucions moins chez la femme de l'érudition
que de la beauté, du caractère et du bon sens, que «la perfection corporelle fait tous les jours
naître des passions irrésistibles, mais qu'on a rarement vu l'in-struction, sans les qualités
physique, exciter de pareils sentiments » (Boigey in Manuel scientifique d’EP, 1923)
Femme sportive et femme-mère au service de la France de Vichy
intégration des femmes au sein de la Fédération Française d'Athlétisme par le Commissariat
Général à l'Éducation Générale et aux Sports en 1940.
1944 : M.T. Eyquem prône pour les femmes une EP générale par opposition à un sport prétendu
incomplet : « Les filles doivent avoir une éducation spécifique et non pas une atténuation des
pratiques masculine : souplesse adresse et non à la force. Elle encourage à une EP en chambre, 10
minutes par jour et en particulier un entraînement de la citadine et de la rurale »
4 - Une féminisation très lente du sport dans l’après guerre (1945-1958)
Depuis l'ordonnance du 21 avril 1944, les françaises ont le droit de voter et d'être élues.
En 1945, elles peuvent pour la première fois user de leur droit de vote. Elles votent pour la
première fois le 29 avril 1945 lors des élections municipales, puis le 21 octobre 1945 lors des
élections à l'Assemblée constituante.
En 1946 : Le principe de l'égalité absolue entre hommes et femmes est inscrit dans la
Constitution de la IVe République.
Des fédérations sportives uniques accueillant femmes et hommes (mais dirigées par des
hommes...)
5 - La société industrielle (1958-1970) : féminisation du sport compétitif et des
loisirs sportifs
la transformation de la structure de l'emploi féminin
La mixité scolaire et les réticences de l’EP
La montée du féminisme
le sport féminin s'organise toujours autour de deux modèles : celui de la performance, de la
technique, de l'exploit qui renvoie à l'image de la femme virile, bref d'un sport d'homme pratiqué
par des femmes et celui, plus spécifiquement féminin, de la réalisation et de l'épanouissement de
la femme, attaché aux valeurs de la grâce, de la beauté. Si le second modèle reste probablement le
plus largement pratiqué par les femmes, c'est bien le premier modèle qui est le plus fortement
médiatisé
Le corps contre le sport : l’exemple des pratiques d’entretien
De 1963 à 1977, le chiffre des pratiquantes des sports olympiques a plus que triplé (220 630 à
693 140);
Celui des sports dits non olympiques presque décuplé (de 40 550 à 378 360).
6 - Années 1980 – 2000 : la féminisation du sport et ses limites
1988, les chiffres respectifs des licenciées atteignent 1 281 828 et 565 072 pour les fédérations
olympiques et non olympiques, pratiquantes officielles auxquelles viennent s'ajouter 347 852
licenciées des fédérations dites affinitaires et multisports et 796 723 scolaires et universitaires :
soit un total de 2 991 475.
S’il est vrai que de nombreux sports se féminisent, la part des femmes reste inférieure à celle des
hommes dans la plupart des fédérations tandis que les postes à responsabilités sont
essentiellement occupés par des hommes.
Conclusion :
rappel sur l’importance des processus étudiés dans une perspective d’interaction permanente :
domination masculine/revendications féminines/reconfiguration des normes sexuées.
Exemple des relations sport et médias
le droit à la différence
....pas le droit à l’indifférence !