Là-haut sur la montagne
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Là-haut sur la montagne
Essences REPORTAGE Là-haut sur la montagne... ... était un vieux chalet. Vieux dans quel sens ? Texte : Renato Hofer Photos : Christian Rochat C’est la demande d’un homme d’affaires international basé dans les Antilles: dans un immeuble neuf situé sur les hauteurs de Crans-Montana, réaliser un appartement qui ait l’air vieux de plusieurs siècles! Histoire d’une aventure. Atmosphère ethnique pour cet appartement réalisé avec du bois vieux de trois cents ans. Quant à la vue, elle se décline en technicolor sur fond d’Alpes valaisannes. A l’origine, l’espace est de béton brut, et ses 140 m2 ressemblent plus à un entrepôt qu’à un loft de rêve. L’acheteur est pourtant clair : «J’aimerais que l’on transforme cet endroit en un vieux chalet, j’aimerais y retrouver l’atmosphère d’un mazot patiné par les siècles. Je n’aurai par ailleurs plus le temps de revenir sur place, et nous allons donc correspondre par mail. En décembre prochain, vous me remettez les clés, et j’entre chez moi: je veux ce lieu entièrement équipé, de la cuisine aux salles d’eau, en passant par la home video et le bois pour la cheminée. Relevezvous le défi ? » 68 TENDANCE DÉCO Michel Staudenmann, de sm-espace-design à La Conversion, a déjà eu affaire à des demandes, disons, baroques. Celle-ci ne manque pas de piment. Et comme il n’a peur de rien, il se lance dans l’aventure avec détermination, et une seule certitude : il dispose de huit mois pour tenir ce pari. Et de contacter aussitôt, une fois les plans réalisés, Marcel-André Bruttin, menuisier à Grône, grand spécialiste du mayen traditionnel. Lequel commande sans tarder à ses fournisseurs, qui se trouvent aussi bien en Roumanie que dans l’Oberland bernois, 1200 m2 de bois vieux de plusieurs siècles. «Les planches et les madriers Essences Essences REPORTAGE me parviennent brut de brut, précise ce dernier. Et comme ce bois est très torturé, je vais devoir en éliminer la moitié. J’aimerais bien passer mes commandes dans la région, mais sachez qu’au val d’Anniviers on ne touche plus à un vieux raccard même avec les yeux...» Entre le coin salon et la cuisine – les plans de travail y sont en granit noir du Zimbabwe –, une même symphonie: celle du bois. La cheminée, traversante, réchauffe également la chambre des parents. A Crans ou à New York... Sur place, un patient travail d’artisan commence, qui se révèle complexe: il faut respecter le matériau dans tout ce qu’il montre d’authentique mais aussi de désuet, tout en essayant de parvenir à une harmonie entre des bois qui n’ont ni les mêmes nuances, ni la même patine. Mais quelques centaines d’heures de travail plus tard, le résultat est stupéfiant: en pénétrant dans le living, la salle à manger, la chambre des parents, celles des enfants, c’est bien un mayen centenaire – mais aux normes de confort très contemporaines avec chauffage au sol, Internet, Wi-Fi et ascenseur privatif –, dont on a le sentiment de fouler le sol... en bois bien entendu. « Nous aurions pu réaliser ce travail aussi bien à New York qu’au centre de Paris, précise le constructeur, toujours étonné par l’ambiance chaleureuse qui se dégage du lieu. Mais mon travail ne s’arrêtait pas là : il fallait songer aux équipements et à la décoration. » 70 TENDANCE DÉCO TENDANCE DÉCO 71 Essences REPORTAGE La décoration de la table, réalisée sur mesure par un ébéniste, porte le logo Angel des Montagnes. Quant au lavabo, signé Starck, il se trouve dans la chambre des parents. En cuisine, c’est Miele qui a posé son empreinte, avec un grand four, des feux à induction, alors que la robinetterie est signée Villeroy & Boch. Les plans de travail, comme la grande cheminée contemporaine traversante – elle illumine également la chambre matrimoniale –, sont réalisés en granit noir du Zimbabwe, alors que des leds de lumière froide fixées dans les plafonds contribuent à la dramaturgie des lieux, à cette sorte de fascination qui se dégage de ces pièces dont on ne sait plus si elles sont vraies ou fausses ! En milieu ethnique Pour la décoration, il a été fait appel à Sylvie Rusconi, qui dans son show-room de Renens propose d’audacieux mariages entre matière et matériaux. Elle signe ici un climat qui se décline sur le mode ethnique, avec de la vaisselle, des coussins, des cotonnades signés Angel des Montagnes, des rideaux provenant des collections Pierre Frey, des peaux de vache étalées 72 TENDANCE DÉCO nonchalamment sur les planchers, d’autres recouvrant des sièges. La faune de la montagne y est à l’honneur avec une grande tête de cerf, un trophée de chasse offert par un ami, des lustres, des miroirs, des portemanteaux en métal toujours placés sous le signe du cerf. Quant à la table, au banc, aux chaises du coin à manger, ils ont été faits sur mesure par un ébéniste de Saint-Léonard, Stéphane Gillioz: «J’ai également réalisé les faces des meubles de cuisine, les armoires, la bibliothèque, avec des ferrements travaillés à l’ancienne», avoue ce jeune artisan qui a dû lui aussi composer avec ces essences venues de Transylvanie. Restait à baptiser cette réalisation pour lui donner un petit air romantique, descendu des montagnes. Certains auraient pensé à «Edelweiss», voire «Matterhorn». Le propriétaire, lui, n’a pas hésité une seconde, et a tranché pour «Fado». Vous avez dit mélancolie...