Revue belge de numismatique et de sigillographie

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Revue belge de numismatique et de sigillographie
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REVUE
NUMISMATIQUE
BELGE
PUBLIÉE SOUS LES AUSPICES DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DE NUMISMATIQUE,
PAR MM. R. CHALO.V, L. DE COSTBR ET C. PICQUÉ.
5e SÉRIE.
—
TOME
Ilf.
BRUXELLES,
LIBRAIRIE POLYTECHNIQUE BELGE D'AUG. DECQ,
9, RUE DE LA MADELEINE.
1871
—
—
164
HISTOIRE MONÉTAIRE DE LAUSANNE.
(FRAGMENT.)
(saint-amédée),
1144-1159.
De
longs démêlés s'étant élevés entre l'évéque de Lau-
sanne
de Besançon, au sujet de leurs droits
et l'église
respectifs à
désigné par
Lutry
CuUy, Ortlieb, évéque de Bàle,
et à
le saint-siége
fut
pour statuer sur ce différend.
Divers auteurs ont rapporté
sentence arbitrale prononcée
la
à cette occasion, en 1154, à Neuchàtel, et s'étayant de la
phrase suivante qui
trouve contenue, ont affirmé
l'exis-
monnaie appelée Syleya, qui
aurait
s'y
tence d'une certaine
eu cours, suivant eux, dans
l'épiscopat
«
Item
localités précitées, sous
les
d'Amédée de Clerraont-Hauterive.
recognitum
est
quod homines de Cusliaco
nemorum septem
«
Lausannensi episcopo pro usu
«1
qui
«
singulis annis dcbcnt persolvere. »
vulgo
dicuntur
syleya
Je n'ignore pas que signum
sens de moneta
{')
Du Canoë,
('),
Gloss.,
et
septem
minas
a, parfois, été pris
mais quant au mot syleya dont
au mot Signum
:
«
signa
avene
dans le
op.
moneta quia signala.
veut
•
faire
une sorte de monnaie,
la
me
chose
parait contestable
et veut qu'on s'y arrête.
vraisemblable que l'évèque de Bàle, rendnnt un
Est-il
jugement
aussi solennel, se soit servi
comme
sans y ajouter, au moins
dune locution
vulgaire
correctif, la traduction
ou l'évaluation en monnaie courante, c'est-à-dire en
monnaies de compte ou en deniers
et sols
De
naies effectives.
«
vnlgo dictOj
dans
sible,
les
plus, est-il supposable qu'une
livres
mon-
monnaie
ce qui suppose un usage habituel et jour-
»
ne nous
nalier,
et oboles
ait laissé
aucune autre trace de son existence
documents de l'époque? Cela
guère admis-
n'est
on en conviendra.
Je serais plutôt disposé
à
croire
que
dans
les
c'est
ici
si
de
la
fréquentes
anciens actes dont les originaux ont disparu. Or,
le
l'original
Trouillat
original
texte
le
sentence d'OrtIieb a subi une de ces altérations
cas
,
et
en
reproduisant ce qu'ils appellent
déposé aux archives
de
Besançon, Malile
et
sans parler des autres, ont ignoré que cet
(•),
prétendu
exécutée dans
le
n'était
qu'une
copie assez
moderne,
courant du siècle dernier et par consé-
quent d'une correction discutable.
Ce
me
(')
point étant acquis, et
j'ai pris
sera facile de présenter, à
Watilk, Monuments de
l'histoire
la
soin de
le
constater,
il
place de la leçon admise
de Neuchâtel;
Trovillat, Monuments de r histoire de l'ancien évêché de Bâle.
Zapf, dans ses
dit-il,
Monumenta anecdota,
se réfère à
aux archives de Berne. Celte allégation
l'autorité
de M.
le
original déposé,
chancelier de Stiirler, qui a bien voulu faire les plus
sérieuses recherches à cet égard, je puis affirmer
tion
un
est inexacte, et, sur
ne se trouve pas à Berne.
que
la
pièce en ques-
—
jusqu'ici
que je regarde
et
—
166
comme
me
lecture d'autant plus fondée, ce
A mon
avis
par ceux-ci, ligna ou tigna et
et syleya,
sitleva{*), c'est-à-dire
qu'au lieu d'une
somme
problématique, due chaque année par
l'évêquc de Lausanne
pro
«
iisu
les
en monnaie
gens de Cully à
nemorum,
»
l'énoncé
indiquera une redevance en nature, redevance
d'Ortlieb
tirée
texte.
faut remplacer dans la phrase en question,
il
mots signa
les
semble, qu'elle con-
dans une imperceptible modification du
siste
une autre
fautive,
de l'exploitation
même
de
en
l'objet
litige,
savoir
sept pièces de bois {septem ligna ou tigna) de l'espèce qui
se
nomme
vulgairement Suleva, solive
(').
Usus, usuria ou usagium nemorum, qu'il ne faut pas
confondre avec glandaticum,
appelle le droit d'usage, soit
glandée, est ce que l'on
la
«t
pour
le droit
«
prendre dans une forêt
«
construction qui leur sont nécessaires
au
C'est
d'une part
rend
le
le
bois de chauffage et le bois de
sujet d'une concession
et
de ce genre, affirmée
qui nous est transmis
de 1154. Guidé par de nombreux
(']
On
les
m'a objecté
temps modernes. Je ne
me
et
par l'instrument
imposants lémoi-
de confondre sur une charte
qu'il était difficile
siècle les lettres
que j'estime avoir été mal copiées dans
rends pas volontiers à celle observation
et je pourrais aisément citer plus d'un
exemple emprunté à des chartes
llbO et 4200. D'ailleurs, qui nous prouve que
écrites entre
de Besançon
(').
contestée de l'autre, que l'évêque de Bàle
verdict
du douzième
usagers de
les
a
eu sous
les
yeux
le
document
original,
et
le copiste
«on pas uuo
transcription plus récente et aussi plus favorable à une pareille méprise?
(*)
Conf.
Du Gange
tignum, en français
(')
;
C/oss.,
au mot
:
S»<iiva, qu'il
rend par TnAns,
solive.
GuÉRARD, Polyptique d'Irminon. Prolog.,
t.
I,
p. 684.
—
gnages, Orllieb
faveur des
—
167
non-sculemenl reconnaît
hommes de
en
et constate,
Cully, la légitimité de leurs récla-
mations quant au droit d'usage, mais encore
rappelle la
il
condition à laquelle ce droit a été jadis consenti, septem
ligna, etc.
forme de
;
en
sept pièces de bois façonnées et ouvrées
doivent
solives
annuellement
être
livrées
à
l'évéque de Lausanne.
On
terai à l'illustre
intitulé «
«
nombreux exemples de
trouverait aisément de
pour n'en
lations analogues, et,
du
Guérard
les
citer
qu un
stipu-
seul, j'emprun-
premières lignes d'un chapitre
droit dit lignaritia.
>
Lorsque l'abbaye de Saint-Germain accordait
hommes ou
le droit
«
d'usage dans ses
«'
ceux-ci étaient tenus en retour, soit de couper et de
«'.
charrier pour elle une certaine quantité de bois, soit de
ses
forêts à
somme
payer une certaine
«
lui
«
espèce de redevance.
tenanciers,
d'argent ou une autre
»
(Polypt. d'Irminon. Proleg., ul suprà.)
Les gens de Cully n'agissaient pas différcnmient
de l'évéque de Lausanne;
de Saint-Germain,
ils
comme
les
tenanciers de l'abbaye
coupaient et charriaient une certaine
quantité de bois déterminée et de plus,
tion expresse, la livraient sous
côtés,
il
à l'égard
y avait concession
et,
forme de
suivant convensolives.
Des deux
en retour, service ou presta-
tion.
Si l'évéque
nommée
Amédée
syîeya, ainsi
n'a pas
que
dû, par contre, continuer
d'oboles pratiquées par
entre autres
émis
la
bizarre
monnnaie
j'espère l'avoir démontré,
les
ses
fabrications
de deniers
prédécesseurs.
On
il
a
et
possède,
documents contemporains de son épiscopat.
—
du
droit de
figure parmi les privilèges de l'évêché.
Amédce
une reconnaissance dans
monnaie
ayant régi
côté utile
laquelle l'exercice
diocèse de Lausanne pendant l'espace de
le
quinze années,
il
pièces
J'aurais voulu en
comment
les
sache jamais davantage.
aucun renseignement sur
donner
reconnaître parmi
anonymes de Lausanne? Cela
toute impossibilité aujourd'hui et
n'en
négligé ce
ait
connaître au lecteur ces
palpables et faire
deniers et ces oboles. Mais
les
supposable qu'il
n'est pas
du pouvoir souverain.
des preuves
toutes
—
4G8
il
Il
est à
est
de
craindre que l'or
n'existe jusqu'à
le titre et la taille
présent
des monnaies
de Lausanne au temps de l'évêque Amédée,
et l'on
ne
peut guère fonder d'espoir d'attribution convenable que
sur
chance de découvertes monétaires ultérieures offrant
la
deniers lausannois
des
de date bien connue
saint
et
accompagnés
d'autres
monnaies
contemporaines de l'épiscopat de
Amédée.
On
a pu,
en raison de
la
dévotion particulière de ce
prélat pour la Vierge Marie, lui attribuer les deniers à
la
légende Beata Virgo. Mais je
les crois
postérieurs de
près d'un demi-siècle et je ne suis pas encore bien certain
qu'ils appartiennent
aux évêques de Lausanne malgré leur
légende sedes Lausatie.
J'ai
dit
ailleurs
que INeuchàtel,
situé au diocèse de Lausanne, pouvait avec bien des probabilités
revendiquer celte émission.
A. MoREL Fatio.

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