Quand les chemins d`exil ont des oreilles

Transcription

Quand les chemins d`exil ont des oreilles
Quand
les chemins d’exil
ont des oreilles
Johannes Melsen
SUR LES PAS DES HUGUENOTS
Quand
les chemins d’exil
ont des oreilles
Johannes Melsen
Texte librement inspiré du blog quotidien
rédigé lors de la marche par Barbara Hunziker
Le Poët-Laval
Genève
Merci à Christian Jeanmart
qui a participé activement à la rédaction de ce texte
et qui l’a lu en première, lors de la manifestation « Exil et Tolérance »,
au temple de Ponet en avril 2011.
www.surlespasdeshuguenots.eu
www.quandlescheminsdexilontdesoreilles.blogspot.com
crédits photos claude brand , barbara hunziker , pascaline chambart , robert aillaud
maquette véronique pitte , die
imprimé en france par héraldie
éditions think twice
quartier morgan , 26460 le poët - célard
dépôt légal janvier 2012
isbn 978 - 2 - 9539162 - 1 - 8
prix de vente
: 12 € - 15 chf
P réambule
Le sentier « Sur les Pas des Huguenots » aborde autant « l’environnement » que
le « vivre ensemble », deux des questionnements sociétaux qui nous occupent,
nous préoccupent en ce début du xxie siècle.
L’exil des Huguenots est un sujet historique et pourtant très contemporain :
l’intolérance religieuse, ethnique ou autre, les ségrégations qui en découlent,
l’immigration, l’émigration et les conditions d’intégration dans les pays d’arrivée,
l’accueil ou le rejet des autochtones, l’apport économique, etc.
Autant d’aspects de cet exil qui sont en résonance avec l’histoire contemporaine
de nos pays et de nos régions.
La mise en lumière de cette histoire – internationale, nationale et locale – peut
apporter un éclairage différent au passé proche et au présent ; leur mise en parallèle peut permettre des regards différents sur l’actualité, notre rapport à l’autre,
et participer à une prise de conscience différente de notre citoyenneté européenne et mondiale.
Mais l’exil des Huguenots est aussi un bel exemple de transfert de technologies,
d’échange de savoir-faire entre des régions, entre des pays, pour le mieux-être
de tous. Traduit en termes actuels, ce cheminement traversant trois pays industrialisés et riches, peut aussi participer à l’échange entre régions européennes.
Et comment mieux illustrer cette volonté en optant pour le tourisme doux, le
déplacement lent à travers quelques-uns des plus beaux départements de France.
P réface
Aujourd’hui 1er octobre 2011, il y a très exactement une année que Barbara et
Pascaline quittaient le Poët-Laval pour marcher, accompagnées de leurs ânes, un
mois durant… en direction de Genève.
Barbara, Pascaline, bientôt Claude (le seul homme du groupe), enfin Babette…
nous ne les connaissions pas, nous, les Amies et Amis du Musée International de
la Réforme de Genève (ou AMIDUMIR) qui avions la mission de les accueillir le
mieux possible à la frontière suisse et de les guider jusqu’au Musée, en plein cœur
de Genève !
Heureusement, grâce au blog Quandlescheminsdexilontdesoreilles, rédigé jour
après jour par Barbara, nous avons pu suivre l’évolution de leur marche, mieux
en comprendre l’importance.
Petit à petit, par téléphone ou surtout par e-mail, nous nous sommes apprivoisés,
nous avons appris à nous connaître. Enfin, à Chancy, à la borne frontière N° 1,
la plus occidentale de la Suisse, nous nous sommes rencontrés ! Moment chaleureux et inoubliable.
Merci à vous tous, amis marcheurs de France, de nous avoir associés à votre
randonnée hors du commun, de nous avoir permis de marcher à vos côtés sur
quelques kilomètres et d’avoir ainsi facilité une riche rencontre. Vous avez brillamment inauguré le tronçon français du Sentier des Huguenots. Grâce à vous, le
chemin d’exil est devenu sentier de tolérance et d’amitié.
Sous les auspices de la Fondation VIA, l’aventure se poursuit désormais sur le
territoire helvétique.
Jean-Daniel PAYOT
Membre des AMIDUMIR
L’
automne a déjà dix jours, mais l’été est toujours là. Le soleil tape fort ! Pascaline s’occupe de ses ânes, Claude s’occupe des gars de France 3, il adore
ça ! Moi je m’occupe de moi-même. C’est déjà pas mal après une nuit presque
blanche pour cause de cuisson. C’est ça être potière ! Dès que la pièce est tournée,
c’est elle qui décide et les cuissons de nuit sont les meilleures. Je pense que Pascaline aussi a travaillé jusqu’au dernier moment.
vendredi 1 er octobre
le
5
Poët-laval . comps [ 10 km, alt 340 > 650 ]
Les deux premières journées, on est encore un peu chez nous. « Chez nous »,
c’est aussi longtemps qu’on voit le pré de l’âne de la forêt de Saoû. « Chez
nous », c’est quand on peut encore rattraper un oubli, vite faire un détour par
la maison.
Finalement on attaque ce périple d’exactement 356 km
comme une promenade du dimanche, mais non sans
préparations.
Quel trafic, ces remorques, ces voitures, ces
autobus !
Le PoëtLaval
Les autobus, c’est pour les collèges. Plus
de 120 élèves, des collèges ErnestChalamel de Dieulefit et Paul-Valéry
de Valence, participent à cette première étape de 12 bornes jusqu’à
l’église de Comps.
Comps
Certains des jeunes n’ont jamais marché, n’ont jamais bénéficié de la vue depuis
un sommet.
356 km en 25 étapes !
L’ultime rendez-vous est fixé à Genève, sur le parvis de la cathédrale SaintPierre, le trente et un octobre, jour anniversaire de la Réforme ! C’est en effet le
31 octobre 1517, il y a 494 ans, que Martin Luther placarda ses 95 thèses sur la
porte de son église à Wittenberg !
Notre objectif est simple : partir à pied, avec des ânes, comme au xviie ; suivre
les mêmes chemins d’exil que les Huguenots du Dauphiné lors de leur exode,
en direction des cantons suisses, et de l’Allemagne.
6
En 1686, il y a plus de 320 ans, pour sauver leur vie, les protestants fuirent la
France, uniquement parce qu’ils refusaient de se convertir à la religion de Rome
et du Royaume !
Cette histoire semble intéresser les jeunes.
Un pasteur, un lecteur, un guide expliquent au départ et en cours de route, le
périple souvent dramatique de ces habitants qui se contraignaient eux-mêmes à
fuir l’intolérance de leurs semblables, pour la liberté de conscience et une vie plus
digne.
Nous, nous voulons plaider en marchant tranquillement au vu et au su de tous ceux
et celles que nous croiserons, et avec tous ceux et celles qui voudront marcher
avec nous, ne fut-ce qu’un kilomètre, ne fut-ce qu’un quart d’heure, en faveur de
la tolérance, du droit inaliénable de l’être humain aux libertés fondamentales.
La plus belle phrase de la journée résonne encore dans ma tête en préparant le
parc des ânes à l’église de Comps. Une phrase cachant un questionnement
profond, exprimée par une des jeunes filles en arrivant au sommet : « M’dame,
mais pendant un mois, comment vous allez faire pour vous raser ?! »
Bourdeaux
C’
est toujours l’été,
pour cette étape entre
l’église de Comps et Bourdeaux. L’église de Comps est
une des plus belles églises romanes de France qui, au début du xviie siècle, fut utilisée par
les catholiques comme par les protestants.
samedi 2 octobre
7
comps
. bourdeaux [ 11 km, alt 400 > 800 ]
Peu de monde pour nous accompagner : quelques
amis, ça change d’hier et c’est bien ainsi.
Marcher, c’est également des silences prolongés, mais
lestés de pensées aussi légères que profondes…
Très vite, on quitte les flancs sud et on bascule dans la
vallée du Roubion avec, en toile de fond, un magnifique
paysage composé, de gauche à droite, de la forêt de Saoû,
du Col de la Chaudière, du Grand Delmas et de la montagne
de Couspeau.
On passe par l’ancienne auberge du col de Boutière, l’auberge
du Grand Bois, avant de descendre vers Bourdeaux, 575 habitants,
mais chef-lieu de canton quand même ! Le Bois de Vache, lieu
de rassemblements clandestins : le culte au désert… se devine dans
la belle hêtraie… Ensuite, le château de Saint-André, fraîchement restauré, où, selon la tradition orale, Calvin fut accueilli pour un jour.
Comps
Plus bas en descendant, un très beau petit cimetière protestant, comme on en
trouve beaucoup dans notre pays.
Il est vrai qu’il était interdit aux protestants d’enterrer leurs morts de jour et en
terre sacrée. Alors ils n’avaient qu’à les enterrer chez eux de nuit.
Finalement, ils faisaient beaucoup de choses la nuit, ces protestants. Pas étonnant
qu’on les appelait les parpaillots, les papillons de nuit.
à Bourdeaux, un accueil des plus chaleureux nous attend.
8
Des rendez-vous sont pris pour que plus tard des gens « de chez nous » nous
rejoignent en Isère, en Savoie, en Haute-Savoie,… à Genève.
Une phrase résonne dans ma tête en rentrant chez moi. Une phrase dite par
une des personnes lors du petit pot dans le parc à Bourdeaux : « Vous en avez
de la chance de pouvoir faire ça ! »
C’
est le président de l’Office du Tourisme qui a « logé » les ânes et on voit qu’il
connaît le métier !… Déjà hier il nous avait accueillis à son domicile. Imaginezvous qu’on était en avance sur le programme et que le petit moment officiel prévu ne
démarrait qu’une heure plus tard. Je ne pense pas que ça arrivera souvent.
dimanche 3 octobre
bourdeaux
. la chaudière [ 11 km, alt 405 > 1030 ]
Plusieurs marcheurs, plus ou moins chargés, ainsi qu’une journaliste de la radio
locale, nous attendent pendant qu’on bâte les ânes.
Un gars arrive les bras pleins de pommes pour la journée, une belle attention et
dès le départ une ambiance sympathique !
La petite brise du matin se renforce en cours de chemin.
C’est une étape qui monte tout le temps, mais sans exploit.
Vers midi, le vent nous oblige à faire l’interview radio, accroupies sous les pins,
à l’abri ! C’est un vent chaud du sud, ça ne présage rien de bon pour demain.
Toute la journée, on vise le grand V du col de la Chaudière. C’est là qu’on
plongera vers le village du même nom.
Selon moi, le vrai départ de la marche se fait là : car c’est ici que notre vallée
disparaît.
9
Mais avant, bonne surprise, juste avant le col, un petit comité de Bezaudun-sur- La Chaudière
Bine nous attend !…
Après le col, c’est la descente sur les marnes noires, avec le Vercors dans toute
sa splendeur, à l’horizon. Les forêts du côté du Diois montrent leurs premières
couleurs d’automne.
On vient de quitter les terres sèches de notre pays d’adoption.
J’ai vu les nuages arriver : elles ne seront plus sèches pour
longtemps.
Une phrase résonne dans ma tête le soir, tout
en me régalant du saumon en papillote et
du gâteau aux courgettes dégustés chez
le maire du village qui nous accueille
pour la nuit. Une phrase dite par notre
sponsor : « Soyez tranquilles quand il
pleut, quand il fait froid, “avec Lafuma
pas de tracas !” »
Bourdeaux
Rimon
A
10
ujourd’hui on va
mouiller les ânes. Le vent est trop
chaud et c’est même étonnant qu’il ne pleuve pas
encore ! Personne n’est au rendez-vous pour cette étape
entre La Chaudière et Rimon. La « Tête de la Dame » nous observe de là-haut, elle sait déjà ce qui nous attend… et c’est pas très beau ! Nous
avons basculé dans l’automne sur ce flanc nord de la montagne de Couspeau.
La Chaudière
lundi 4 octobre
la chaudière
. rimon [ 17 km, alt 355 > 990 ]
Nous descendons régulièrement, et c’est en silence, sans avoir essuyé une
seule goutte, que nous arrivons vers midi au bord de la rivière à Saint-Benoîten-Diois.
Le passage du pont ne pose aucun souci. Sourires échangés.
Par contre, un peu plus tard, alors que nous sommes encore dans la douce
euphorie du passage du pont, dans une petite montée, petite mais raide et
brève, un des ânes « refuse » et il manque de peu la tête de Pascaline. Un sabot
passe tout près !
Plus de peur que de mal, mais le voyage aurait pu s’arrêter là.
à peine amorcée la montée dans les vignes, les premières gouttes tombent et
nous voilent la vue que nous devinons belle.
La pluie ne nous abandonne plus et semble encore s’intensifier au fur et à mesure de la montée qui dure trois heures. Les habits nous protègent.
En revanche, les sacs que les ânes portent de chaque coté du bât cognent les
arbres lors des passages étroits et se remplissent d’eau.
Arrivées à Rimon on ressemble à des porteuses d’eau, traînant dans la montagne
des seaux en cuir pleins à ras bord.
11
L’image est peut-être belle, mais la réalité est que tous nos habits sont empilés
dans ces sacs…
L’accueil chaleureux à Rimon fait vite oublier ces petits contretemps et nous
partageons avec nos accompagnateurs « courageux », parce qu’ils savaient à quoi
s’attendre avant de nous rejoindre, une tisane et quelques échanges qui tissent
l’amitié.
L’orage est passé, arrivent les premières éclaircies, on peut presque imaginer la
vue splendide par temps plus clément.
Il paraît même que parfois on voit le mont Ventoux.
Les ânes sont dans l’enclos, et nous au lit dans la maison bien chaude du maire
de ce petit village à l’écart de tout passage.
Sauf jadis pour les Huguenots.
Une phrase résonne dans ma tête avant de m’endormir. J’entends encore cet
âne qui chuchote à l’oreille de l’autre en bas à Saint-Benoît : « Parole d’âne, des
passerelles comme ça, c’est la dernière que j’en passe ! »
Die
A
u lever, on retrouve là où
on les avait étalés le soir,
éparpillés sur le sol chauffant de
notre hôte, l’ensemble de nos provisions, papiers et vêtements abusivement
trempés hier. On redécouvre alors l’ampleur
de nos bagages et l’importance relative de certains
documents. à quoi bon mouiller un permis de
conduire et un passeport suisse… à Rimon !
mardi 5 octobre
rimon
12
. die [ 18 km, alt 395 > 1220 ]
Au départ, quelques rayons de soleil dévoilent
enfin ce panorama splendide dont on nous parle tant
depuis hier. Quelques rayons de soleil, d’accord, mais
qui ne suffisent pas à sécher le reste de nos affaires.
Nous continuons à travers bois et prés. Les odeurs changent, l’air est plus frais, la brume est toujours là… l’automne
s’installe vraiment.
Au col de Beaufayn, nous décidons de ne pas suivre le tracé huguenots trop dangereux pour les ânes. Un faux pas sur cette corniche escarpée nous précipiterait dans le vide.
Nous contournons ce danger par le « Pas de Tripet ».
Il nous reste deux heures pour rejoindre à la Croix de Justin le petit groupe qui
nous attend.
Rimon
L’ancien maire de Vercheny, qui en fait partie, a déjà marché entre son village
et Genève.
L’échange est riche et animé tout au long de la descente vers la clairette de Die
servie avec les mots de bienvenue à l’Office du Tourisme.
Le soir à la table du maire du village, tout en me régalant du lapin accompagné
de petites pommes de terre au four… je ne vous dis que ça !… une phrase
résonne dans ma tête. Une phrase prononcée par un de nos accompagnateurs :
« Mon ancêtre au dixième degré se sauva du royaume, parce qu’il était protestant !… et tous ses biens furent mis en régie. »
13
C’
Die
est par le viaduc que nous quittons la ville. Deux autres femmes se joignent
à nous pour un ou deux jours. Nous quittons Chamaloc et Die… et la
clairette… reposées et de bonne humeur.
jeudi 7 octobre
die
. valcroissant [ 8 km, alt 405 > 963 ]
Très vite nous retrouvons un chemin qui
monte… et monte… et monte… de
plus en plus raide pour arriver au « Pas
de Bret », où le sentier nous fait
rapidement basculer sur l’autre
versant.
Valcroissant
C’est là que, dans une vallée encore très verte, nous nous assoupissons, les
quatre-pattes comme les deux-pattes !
Ce n’est que vers 15 heures que nous déchargeons nos ânes au-dessus de
l’abbaye de Valcroissant où nous avons prévu de monter le camp pour la nuit.
On retrouve encore dans le corps de la ferme actuelle, les éléments de l’ancien
bâtiment religieux qui fut incendié par les… Huguenots pendant les guerres de
religion. Personne n’est parfait !…
Ce soir, nous montons les tentes et nous retrouvons le menu ordinaire du randonneur…
14
Et c’est ainsi que je démêle les nœuds de mes pâtes et ceux de mes pensées…
J’imagine l’incendie de l’abbaye au xvie siècle ! « Nul n’a le monopole, ni du bien,
ni du mal ! »
L
e soleil a du mal à contourner Glandasse. Les tentes sont trempées par la
rosée, mais nous n’avons pas le temps de les sécher. Le temps est lourd,
orageux. La carte nous annonce de façon laconique le programme du jour : deux
montées…
vendredi 8 octobre
valcroissant
. châtillon-en-diois [ 12 km, alt 585 > 1155 ]
Alors on monte et on remonte… On transpire, les femmes comme les bêtes,
jusqu’au col de l’Abbaye, puis jusqu’au col de Caux.
Valcroissant
Au Col de Mireille, repos !
Suit alors un sentier à travers bois, un sentier très doux, buis, pins,
chênes. De temps en temps une belle vue sur la vallée …
à deux reprises des arbres morts nous bloquent le passage.
La petite scie qui fait partie de notre équipement s’avère utile. Ensuite nous arrivons à faire glisser les troncs
dans le ravin.
La descente en lacets depuis Pied-de-Bœuf se
dévale rapidement.
15
En bas, au ruisseau, nous sommes accueillies par
toute une délégation du village de Châtillon.
à travers les témoignages, nous découvrons ce qui pourrait
s’intituler un « village historique de la tolérance ». Les habitants,
lors de la révocation de l’édit de Nantes ont fait preuve d’ouverture et d’hospitalité envers les fuyants. Les signes secrets pour indiquer
une maison d’accueil en sont encore aujourd’hui la preuve.
Un moment officiel est organisé en mairie. Quand je vois tous
ces gens, motivés et mobilisés autour de nous, j’ai vraiment
envie que ce chemin vive ! Le projet « Sur les pas des
Huguenots » prend alors tout son sens, et notre marche
aussi !
Après le repas pris en commun dans une petite auberge, en rentrant dans ma famille d’un soir, une phrase résonne
dans ma tête, une phrase que j’ai retenue dans la petite allocution de la femme pasteur du village : «… il y avait là
un curé qui prévenait au lieu de dénoncer les
Huguenots en fuite…»
Châtillonen-Diois
Les Nonières
A
ujourd’hui, ce sont les plus courageux de la veille et une petite famille qui,
dès le matin, amorcent la montée avec nous.
samedi 9 octobre
châtillon-en-diois
. les nonières [ 12 km, alt 575 > 1115 ]
Nous passons un premier petit col, nous restons dans la forêt,
ce qui est bien agréable. Il fait chaud aujourd’hui.
16
Un petit sentier sur la gauche nous indique la direction
d’Archiane, et ça grimpe de nouveau, mais sans
peine !
La marche dans la forêt du Sapet nous mène
jusqu’à 1 100 m d’altitude pour ensuite redescendre sur Menée…
Châtillonen-Diois
Plusieurs passages s’avèrent périlleux pour les
ânes. L’image de l’accident est toujours présente depuis les frayeurs de Saint-Benoît en
Diois. Plusieurs rochers risquent de déséquilibrer les ânes et de les faire tomber
dans le ravin. Aussi, le dernier tronçon
sur l’humus agréablement doux sous
nos pieds, nous repose et nous
détend…
On arrive à Menée vers midi. On suit le sentier vers Benevise.
Quelques chasseurs dans la forêt ne nous rassurent pas du tout… on les croise
à deux reprises. On bat tous les records de vitesse en rapport au temps de
parcours prévu, tellement on se sent pousser des ailes !
Benevise - Bellevue… le mont Barral… col de Menée… on voit déjà se profiler
dans le paysage l’étape de demain.
Arrivée aux Nonières vers 16h30.
17
Nous cherchons immédiatement un coin discret afin d’installer les tentes pour la
nuit, vers la Cascade du Sapet… mais la civilisation s’interpose : « Propriété privée »… pas de chance !
Passent trois promeneuses, avec qui la conversation s’engage… Est-ce la « magie »
des ânes, notre façon d’être autrement disponible depuis notre départ… mais la
chance est avec nous. La propriété privée nous ouvre ses portes.
C’est à l’heure des poules que nous nous couchons, avec la symphonie naturelle de la cascade comme berceau sonore !
Et c’est en me tournant et me retournant pour trouver la bonne place sous la
tente étroite qu’un titre du Dauphiné surgit sans doute des émotions de la journée… « Accident de chasse dans la Drôme, une randonneuse tuée dans la vallée
du Rhône. »
P
as d’accompagnateur ce matin aux Nonières… C’est la journée « col de
Menée ». On avance lentement vers le mont Barral. On traverse le ruisseau
de Sareymond. Dans la forêt, la montée devient raide. Puis vient la récompense…
les alpages… la ferme du désert.
dimanche 10 octobre
les nonières
. le percy [ 17 km, alt 770 > 1590 ]
Le Percy
Entre-temps, les nuages se sont dispersés, l’horizon est dégagé…
18
Tout, autour de nous, devient alors « grand ».
Des humbles pensées, poétiques et philosophiques nous assaillent…
à 1 400 mètres, toutes petites, nous nous fondons dans ce
paysage fascinant, paisible et protecteur…
Au-dessus du col de Menée, à la frontière
de la Drôme et de l’Isère, ce sommet
offre une vue étourdissante sur les
Préalpes, le Trièves et, au-delà, sur
le Dévoluy et le Valbonnais.
Nous passons sous la Croix de
Menée qui fut érigée en 1932 pour
commémorer l’exil huguenot.
Les Nonières
Nous nous rendons à la ferme d’Esparron par un chemin forestier si pentu, que
nous lâchons la bride, le licol, et nous laissons les ânes se débrouiller tout seuls.
C’est avant trois heures que nous rejoignons notre refuge en face de l’Ermitage
de l’Esparron, lieu immémorial de pèlerinage et mémorial de la Résistance.
étonnant, le nombre de gens qui ont monté la longue piste forestière jusqu’au
refuge pour nous accueillir et pour échanger un court instant avec nous, avant
que la nuit ne prenne la clairière.
Nous sommes dans le Trièves.
19
Sur le bas-flan à l’ancienne, après la petite soupe à l’orge, le sommeil ne veut pas
venir, malgré la fatigue. Une phrase résonne dans ma tête, une phrase que je sais
gravée sur la plaque commémorative en face de notre refuge : « Volontaire du
maquis, mort en héros pour permettre le repli de ses camarades au cours de
l’attaque du camp d’Esparron par les hordes nazies. »
C’
est l’aube qui nous réveille… La petite flambée dans le poêle nous a « presque »
protégées de l’humidité. L’eau de la fontaine et une petite pluie fine précipitent
notre réveil. Plusieurs personnes arrivent pour cette étape vers Mens, dont Claude
Brand, l’homme qui nous accompagnera à partir d’ici jusqu’à Genève.
lundi 11 octobre
le percy
. mens [ 16 km, alt 675 > 815 ]
En sortant de la forêt, on découvre les paysages du Trièves sous la brume et la
pluie. Les montagnes autour, on les devine seulement.
Mens
Nos accompagnateurs nous
disent la vie
d’ici, les anecdotes, la culture, les préoccupations… la pluie continue à tomber…
personne ne s’en plaint, le temps passe…
13h30, Prébois. C’est avec grand plaisir – et même
avec un certain soulagement – que nous acceptons
l’hospitalité, le temps d’un pique-nique tiré du sac,
AU SEC !!!
20
On goûte le vin de Prébois comme il se doit ! Avec modération !
Encore deux heures de marche jusqu’à Mens où l’on
s’installe pendant deux jours.
Toutes les personnes rencontrées, les élus, les habitants,
les responsables d’association et du culte, toutes nous
disent l’importance du plateau et le rôle de Mens dans
l’exil des Huguenots.
De nombreuses galeries souterraines furent jadis utilisées
par les protestants pour échapper aux catholiques qui pillèrent
et brûlèrent maisons et monuments à plusieurs reprises.
Aujourd’hui, Mens est un des rares villages qui possède
encore deux clochers : celui de l’église et celui du temple.
Le soir, la veille de notre départ pour la Mure, une phrase résonne
dans ma tête, une phrase entendue lors des multiples rencontres avec les
« Mensois » : « Il est vrai que l’on retrouve encore la séparation des deux cimetières, catholique et protestant, mais, depuis peu, le mur a été abaissé. »
Le Percy
La Mure
N
ous quittons Mens ! Après deux jours de rencontres ici, il nous tarde maintenant de reprendre le chemin… Au départ, quelques courageux, dont une
amie, qui est venue spécialement de la Suisse allemande pour marcher une étape
avec nous, j’en suis très touchée !
jeudi 14 octobre
mens
21
. la mure [ 18 km, alt 500 > 1070 ]
à midi, nous partageons le bouillon dans une grange
à Saint-Jean-d’Hérans.
Beaucoup de goudron aujourd’hui, mais heureusement,
il y a la beauté du vieux pont de Cognet, sur le Drac.
Cela compense largement ce sol dur aux chaussures
comme aux sabots !
Nous progressons dans le brouillard. Nous ne
pouvons qu’imaginer le paysage… Nous parcourons quelques chemins à travers bois et nous retrouvons alors avec joie la souplesse du sentier et
les odeurs de pins mêlées
à divers arbustes…
16h30 La Mure, tout
le monde descend !
Quel plaisir d’arriver,
de rencontrer les gens, de
se réchauffer.
Mens
Laffrey
Et quelle belle idée cette recette de velouté à la courge et au
gingembre !
Le soir au lit, la petite phrase du jour ne veut pas venir. C’est alors
que la brochure de l’Office du Tourisme en Matheysine me tombe
sous les yeux. « Le train de la Mure, depuis 1888 c’est le parcours
vertigineux et invraisemblable entre le Vercors et l’Oisans ».
L
22
e brouillard persiste ce matin avec le froid en plus… mais à
9h30, les ânes sont bâtés. On monte une première colline
en sortant de la ville. Nous suivons le chemin de crête, devinons
les reliefs aux alentours…
vendredi 15 octobre
la mure
. laffrey [ 16 km, alt 880 > 1140 ]
Le village de Tord, un coin de rue animé… ah !… un vrai four à pain pour
nous réchauffer. On raconte, on échange, tout le monde est enthousiaste… et on repart avec un pain frais sorti du four… Deux pas plus loin,
nous cédons à l’envie d’y goûter, avec du pâté de canard ! Il faut dire que
depuis l’arrivée de Claude, les « menus » se sont diversifiés.
On repart sans tarder, le chemin se rétrécit pour devenir sentier.
De belles haies délimitent les petits prés. Les vaches regardent les ânes qui
passent, les ânes regardent les vaches qui restent… Le sentier rentre dans un
bois, monte, redevient chemin de crête, toujours dans les bois. Une forêt très
La Mure
douce, beaucoup de noisetiers, du hêtre, peu de sapins et… plein de champignons… Je me sens chez moi ici… On est protégés du froid, on avance bien
dans ces bonnes odeurs de sous-bois mouillé, c’est un vrai bonheur.
Vers 15 heures, nous rejoignons Laffrey. On distingue à peine le lac et le petit
bâtiment dans lequel on va loger, tant le brouillard enveloppe la vallée. La nuit,
bien au chaud, on n’en demande pas plus.
En repensant à ce petit village de Tord et à tous ces gens rassemblés autour de
ce vieux four à pain, le proverbe du boulanger me revient à l’esprit : « Oh ma
petite dame, mieux vaut pain sans nappe, que nappe sans pain ! »
23
C
e matin brouillard, pluie et 35,6° Farenheit, en fait 2° Celsius. On n’a qu’une
envie ce matin, c’est d’arriver rapidement au prochain refuge.
samedi 16 octobre
laffrey
. vizille [ 12 km, alt 280 > 950 ]
On sort le gant parce que toute la journée, pour tenir l’âne, une main reste immobile. On superpose pulls et vestes polaires.
Dans la forêt ça va mieux. Nos membres se détendent dans la longue descente.
D’ailleurs aujourd’hui, jusqu’à Vizille, ça descend tout le temps, sur notre sentier
parallèle à la périlleuse pente de Laffrey sur la route Napoléon.
Que de forêts ! Quand nous en sortons, la pluie cesse et nous voilà au terme de
l’étape.
Vizille
Notre hôte, président de l’association des Amis de l’histoire du pays, nous emmène dans les plis et replis de
l’histoire vizilloise et de la bataille de Jarrie. Je découvre ainsi l’implication et la déroute de mercenaires
suisses dans leur affrontement avec les catholiques.
24
La nuit… dans le silence de notre centre
équestre, interrompu seulement par le hennissement d’un cheval et la réponse d’un
âne. « Le château de Lesdiguières, la route
Napoléon, la bataille de Jarrie, l’Assemblée
de Vizille, le musée de la Révolution française…
» Quand j’y repense, aujourd’hui on a vraiment
marché dans les pas de l’histoire de France.
C’
est dans le camion de « Lou pa de l’aze » que
nous traversons Grenoble ce lundi matin.
Arrivée à 10h au lieu-dit « La Vierge Noire ».
lundi 18 octobre
grenoble
. biviers [ 11 km, alt 205 > 605 ]
Un drôle de débarquement d’ailleurs ! Ces trois ânes déposés dans la ville,
devant la vierge, suscitent quelques doutes, quant à nos intentions, auprès
des passants. D’autant plus que plusieurs personnes averties nous attendent
dont un journaliste suisse et une équipe de la télévision régionale.
Laffrey
L’interview de France 3 Grenoble terminée, nous nous mettons en route.
Pour la première fois, nous marchons en ville et le démarrage sans balisage est
difficile. Même Pascaline, imbattable en lecture de cartes, hésite à plusieurs reprises et on a beaucoup de mal à retrouver le tracé.
Passant ici et là dans des quartiers résidentiels, on a fini par retrouver le chemin
et par quitter enfin la ville, sous cette falaise imposante qui borde le plateau de
La Chartreuse.
Biviers
Nous marchons dans une forêt rouge profonde hérissée de sumacs.
25
à hauteur du château de Bivet, nous descendons sur Biviers où des amis nous
hébergent.
Demain : Biviers - Saint-Pancrasse, une étape pour des
mollets costauds ! Ajoutons à cela la météo « tendance hivernale »… plus quelques passages
un peu difficiles pour les ânes, ânières et
ânier… la journée s’annonce « rock’n
roll », comme dirait Pascaline !
Aussi, j’ai beau savoir qu’un
âne ne trébuche jamais
deux fois sur la
même pierre, j’ai
du mal à m’endormir.
Grenoble
Saint-Pancrasse
P
remière réaction en arrivant au gîte communal de SaintPancrasse : « Splendide, on s’est régalés !!! » Nos mollets sont
encore souples, et le moral a vaincu le froid et les dénivelés!
mardi 19 octobre
biviers
26
. saint-pancrasse [ 17 km, alt 440 > 1205 ]
Dès le matin, la météo nous est
favorable, le tracé est plaisant.
La vue est sublime.
Le sentier moelleux du col de Baure
se monte sans peine.
Très bon balisage ici dans le Parc naturel
de la Chartreuse.
Juste en-dessous d’ici, à Saint-Ismier, a vécu
Pierre Bolle, décédé hier, ancien Maître de conférences à la Faculté
de Grenoble. Il a défini
le tracé de notre sentier. La coïncidence est émouvante.
Biviers
Le chemin serpente dans la forêt tout au long de l’étape.
Le gîte communal nous ouvre une vue imprenable sur la Dent de Crolles, sur
Belledonne sous la neige et même au loin sur le mont Aiguille.
Le soir, au gîte avant de m’endormir j’ai une pensée reconnaissante pour Pierre,
l’historien du projet « Sur les pas des Huguenots ». Il insistait toujours sur le fait
que ses travaux n’intéressent pas seulement les érudits, mais tous ceux qui ont
envie de connaître l’histoire profonde de leur petit pays.
27
A
ujourd’hui, on part avec la pluie. La neige n’est pas loin et les sentiers deviennent
très dangereux. Les ânes font du toboggan.
mercredi 20 octobre
saint-pancrasse
. saint-bernard [ 10 km, alt 760 > 1045 ]
La vue sur des panoramas splendides s’estompe.
Nous arrivons bien trempés à Saint-Hilaire vers 12h30.
On se réchauffe et on mange au bar du funiculaire.
Les derniers kilomètres, nous devons les faire par la route. En raison du mauvais
temps, on nous déconseille fortement d’emprunter le chemin des roches, trop
glissant pour les ânes.
Pour nous narguer, le soleil se montre dès notre arrivée dans un lieu sympathique
et bien tenu.
Saint-Bernard
On arrive à notre pension de famille, une pension rustique comme je pensais qu’il n’y en avait plus, une
pension tenue par une dame très âgée, sa fille, son
fils et la cousine. On a le sentiment de remonter
le temps de plusieurs décennies.
Il s’exhale de ce cadre comme un
vieux parfum d’Hitchcock.
28
Pas étonnant alors que le soir, dans
mon lit grinçant, j’imagine cette
phrase qui pourrait annoncer ce
film : « Certains lieux se gravent à
jamais en vous par le rayonnement,
secret, spirituel, de ceux qui
les habitent. »
Saint-Pancrasse
C
e matin, surprise. Un temps glacial, mais un ciel bleu. En récupérant les ânes
devant l’église de Saint-Bernard, les candidats pour la randonnée du jour nous
attendent déjà. C’est l’équipe qui travaille sur le chemin d’exil depuis Besse-en-Oisans.
Ce sentier doit à terme faire la jonction avec le tracé des Huguenots du Dauphiné,
au village des Marches.
jeudi 21 octobre
saint-bernard
29
. barraux [ 17 km, alt 350 > 1065 ]
Donc départ vers 10h, on quitte la petite pension de famille qui existe depuis
1881, la mère, le fils, la fille, la cousine… Aujourd’hui encore nous démarrons
par la route, les sentiers sont trop glissants. D’autant qu’il a gelé ce matin pour la
première fois… On marche sur la route jusqu’à Villard, la vue est dégagée sur
les massifs d’en face : Belledonne, les Sept Lots… Magnifique !
On fait connaissance en marchant, on discute mais on avance bien… à Villard,
« déjeuner-récompense » à la sortie de la forêt au-dessus des Prés. à SaintGeorges, un ami nous attend comme prévu, pour nous guider dans la descente
sur Barraux, très belle, très pentue et bordée de buis. En bas nous suivons les
traces d’une ancienne ligne de tram jusqu’au village.
Nos hôtes nous servent le thé. L’hébergement des ânes est digne d’un cinq épis
d’avoine, ce soir ils ont même l’électricité. Nous sommes une bonne vingtaine
de personnes autour d’une bonne table. Des randonneurs, des sympathisants,
des élus, des membres de l’Office du Tourisme, des amis !
Ici le chemin « Sur les pas des Huguenots » fédère toutes ces femmes et tous ces
hommes qui se reconnaissent dans les valeurs d’accueil, de fraternité et de tolérance que nous affirmons pas à pas depuis notre départ au Poët-Laval.
Barraux
La nuit, avant de
m’endormir dans
mon fameux « cinq
épis de blé », il me
revient cette histoire
abracadabrantesque du
fort Barraux, racontée par
le guide : « Par provocation,
Charles-Emmanuel 1er de Savoie, construisit un fort sur les
terres du Royaume de France.
Henri IV, débordant d’une ire vengeresse, ordonna au futur connétable
Lesdiguières de s’en emparer au plus vite.
Celui-ci, en fin stratège, conseilla au Roy d’attendre patiemment que le château fût achevé aux frais du Duc. Ce
qui fut fait en 1597. Et le maréchal Lesdiguières prit possession du fort flambant neuf, un an plus tard ! »
30
L
e chemin « Sur les pas des Huguenots » descend régulièrement et
sans incident de Barraux vers Les Marches, dans la plaine.
vendredi 22 octobre
barraux
. les atrus [ 9 km, alt 250 > 385 ]
Les Marches, c’est la commune où le chemin d’exil des Vaudois rejoint le
sentier des Huguenots. Les Marches, c’est aussi le lieu où le cheminement d’exil
Saint-Bernard
Les Atrus
des protestants de l’Oisans rejoint le sentier international qui monte depuis le Poët-Laval vers Genève,
pour continuer vers Schaffhouse et Bad Karlshafen.
Mais comme une belle proposition d’hébergement
pour deux nuits était faite par un gîte: les
« Atrus », sur le territoire de
Chapareillan, nous nous
écartons du tracé afin de
nous diriger vers ce lieudit prometteur !
31
à Barraux, après un
petit déjeuner absolument
délicieux, dont la seule odeur des
petits pains chauds montait à l’étage dès
le réveil, nous nous mettons en route.
Plusieurs personnes, que nous avons déjà
rencontrées hier, nous rejoignent. Que des marcheurs amoureux de la nature. C’est finalement eux
qui nous guident jusqu’à Bellecombe par une belle montée d’environ une heure et demi à travers bois. Le temps,
plutôt froid le matin, s’adoucit lentement.
à Bellecombe, nous sommes à nouveau entre nous trois. Ce
n’est pas très sérieux, mais pourquoi pas une petite dégustation
de vin pour nous acclimater à la Savoie ! Bientôt les ânes font les
frais de nos achats, quatre kilos de plus à porter.
« Belle vue » depuis « Bellecombe » sur les vignobles et la montagne « La
Savoyarde » en face, puis descente rapide jusqu’aux Atrus. Le propriétaire du
gîte nous accueille. Ce soir au menu : bœuf bourguignon… sans doute arrosé
de notre vin de Pays de Savoie !
Barraux
Ici dans ce territoire qui était, au xviie siècle, frontalier entre la Savoie et le Royaume,
je ne peux m’empêcher de penser aux frontières aujourd’hui… Notre fameux village global existe certes, mais seulement numérique ! La réalité est que l’on érige
toujours plus de hauts murs bétonnés et que l’on déroule toujours plus de fils de fer
barbelés pour éviter que l’autre, l’étranger, ait l’idée de se réfugier chez nous…
U
ne pluie continue nous accompagnera tout au long de cette étape. Pas une pluie
de rien du tout, non, une de ces pluies persistantes qui mouillent jusqu’à l’os. Le
passage en Savoie ne nous réussit pas vraiment. Pourtant, cette météo n’a pas démobilisé la famille de randonneurs qui nous accompagnent jusqu’à Chambéry.
32
dimanche 24 octobre
les atrus
. chanaz [ 15 km, alt 270 > 620 ]
Le convoi se met vite en route. Bien équipés de guêtres et capes de pluies : en
avant pour la galère. On rejoint le tracé du sentier international après avoir marché
un bon moment dans les vignes. Le Mont Granier nous surplombe. Nous traversons
les dernières extrémités du Parc Naturel de la Chartreuse. Un des ânes nous
propose encore une démonstration de plusieurs glissades très spectaculaires…
Nous arrivons vers 17h devant le musée Rousseau. Jean-Jacques Rousseau, dont
la famille faisait partie des premières vagues émigrantes vers Genève, lors des
guerres de religion au seizième siècle.
Plus tard dans la soirée, on se réchauffe, on est bien. C’est ici, au bord du lac du
Bourget que Babette nous rejoint. Elle restera avec nous jusqu’à Genève. Nous
sommes donc quatre avec trois ânes.
Chanaz
Le soir, en feuilletant quelques pensées de
Rousseau, posées sur une étagère, je tombe
sur ce passage : « Apprends à perdre ce qui
peut t’être enlevé ; apprends à tout quitter
quand la vertu l’ordonne, à te mettre audessus des événements, à détacher ton
cœur sans qu’ils le déchirent, à être courageux dans l’adversité, afin de n’être
jamais misérable… »
33
L
a Savoie… ouh là là !!! Aujourd’hui, c’est
le vent qui nous fait comprendre que
l’automne s’est bien installé. Mais nous préférons
ce temps à la pluie d’hier.
lundi 25 octobre
le bourget du lac
. aix-les-bains [ 10 km, alt 230 > 280 ]
Pas de volontaire pour marcher avec nous ce matin, notre hébergeur
nous guide à travers la ville. C’est très étonnant, tous ces gens qui
nous accueillent comme si c’était la chose la plus normale au
monde. Comme si on se connaissait depuis toujours ! Quand l’émotion est partagée, c’est vrai qu’on se sent tout de suite bien et que le
courant passe ! Ce parcours permet de vivre ces rencontres, tous les jours
de la même façon, et tous les jours de façon différente, mais toujours
originale et authentique.
Les Atrus
Aix-les-Bains
Ce matin, on est donc cinq personnes à vouloir affronter le vent du Nord.
L’avantage quand on marche, c’est qu’on n’a pas froid. Nous sommes en
zone urbanisée, mais les ânes ne reculent devant rien, ni les ponts, ni les
tunnels, ni les bruits.
Arrivés à la rive gauche du lac, nous quittons la route pour nous engager dans un
chemin qui suit le lac à distance. On marche vite, il fait froid, on voit la neige qui n’est
pas loin. Un pique-nique en bordure d’un champ de maïs…On approche d’Aixles-Bains en dehors de toute circulation. Voilà l’entrée du golf, puis l’hippodrome.
34
Nous trouvons sans trop de mal la maison qui nous accueillera pour la nuit.
Nous sommes en avance, les ânes en profitent pour brouter le gazon autour
de l’église. Les jeunes du quartier s’intéressent à notre équipage, demandent
le pourquoi du comment. Cela fait très plaisir !
Je repense le soir à la réflexion d’un gamin : « Dites madame, il mange
beaucoup de viande votre cheval ? »
L
es ânes ont assuré l’animation du quartier pendant une partie de la
nuit, mais aucune plainte n’a été déposée pour cause de braiements
nocturnes !
mardi 26 octobre
aix-les-bains
. chindrieux [ 17 km, alt 240 > 675 ]
Le matin, on est heureux de retrouver une météo plus clémente.
Nous quittons notre quartier HLM d’Aix-les-Bains.
Le Bourget du Lac
Chindrieux
Nous passons par l’hippodrome. à hauteur d’une petite rivière, nous
devons franchir un pont. Et là… c’est le blocage complet, le pont
est trop étroit et n’inspire pas le premier âne qui refuse net ! Du
coup, ni le deuxième, ni le troisième ne veulent en entendre
parler. On n’a pas vraiment le temps de négocier et très vite nous
nous engageons à la recherche d’un autre pont plus large. Il faut
du temps pour sortir de la ville et c’est des heures après que
nous retrouvons enfin notre chemin.
Malgré ce contretemps, à peine sorti de la ville, le groupe
décide de faire une halte « déjeuner ». La pause sera
brève, le vent nous rappelle à l’ordre.
35
à partir d’ici, on va marcher en bordure du lac, dans
un des plus beaux paysages qui soit ! Ici on touche à
l’exceptionnel et, pour la première fois depuis
plusieurs jours, le ciel est bleu.
Notre hôte, déjà inquiet, vient à notre
rencontre et nous indique un raccourci bienvenu. Quel bonheur la
petite « Chartreuse » après le
repas. On n’est pas sectaire !
La fatigue est palpable.Pourtant le soir, dans cette
auberge, j’entends de l’autre
côté de la cloison les ânes qui
se vantent : « T’as vu ça, je te l’avais dit
à Saint-Benoît qu’on me referait pas
le coup de la passerelle ! »… Et
l’autre de lui répondre : « Oui,
d’accord, t’as eu raison, mais
on a fait cinq bornes de plus
quand même ! »
Aix-les-Bains
Motz
A
près une très bonne nuit, on retrouve plusieurs personnes au lieu de
rendez-vous. Elles habitent près de la frontière suisse, ont eu vent de
notre projet, et envie d’y participer.
mercredi 27 octobre
chindrieux
36
. motz [ 14 km, alt 245 > 520 ]
Nous sommes une quinzaine de personnes à nous engager sur les
sentiers de Chautagne. Un arrêt-photo devant la mairie, et nous savons
qu’à partir d’ici nous pouvons ranger nos cartes. Des personnes du coin
nous ont préparé un balisage « maison » à la peinture jaune.
Nous suivrons un ensemble de tracés magnifiques et inattendus, nous faisant
passer de petites routes en petites routes, et sentiers après sentiers, plus
beaux les uns que les autres ! Nous profitons pleinement au soleil des
couleurs d’automne dans les vignes, dans la forêt sous la montagne du
gros Foug, sans oublier la vue imprenable sur la vallée du Rhône.
Au xviie siècle, le Rhône séparait le Royaume de France, sur la rive
droite, de la Savoie, sur la rive gauche.
Nous progressons en direction de la Suisse, en suivant les cailloux
jaunes « maison ». Nous avançons, cachés dans les forêts et les terrains
accidentés du territoire historique des « Ducs de Savoie ». Mais nos
« passeurs » d’aujourd’hui ne nous taxeront pas !
Invités par le village de Motz, une confortable auberge nous attend.
Cette commune se situe aussi sur le tracé de Saint-Jacques de
Compostelle, comme un malicieux rapprochement œcuménique !
La prochaine étape se fera d’ailleurs en partie sur le même parcours.
Chindrieux
Le soir, en me couchant, je repense à ces deux jours passés au-dessus du lac du
Bourget et à ces quelques vers immortels du célèbre poème de Lamartine :
« Ô temps, suspends ton vol ! Et vous, heures propices,
Suspendez votre cours !
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
Assez de malheureux ici-bas vous implorent
Coulez, coulez pour eux,
Prenez avec leurs jours les soins qui les dévorent,
Oubliez les heureux ! »
37
C’
est un très bon petit déjeuner qui nous met d’attaque ce matin. Nous partons
à huit personnes de Motz.
vendredi 29 octobre
motz
. frangy [ 22 km, alt 250 > 680 ]
à 11h, nous rejoignons Seyssel-port, côté Savoie. Au-dessus de Seyssel, nous
accueillons plusieurs autres randonneurs qui viennent à notre rencontre. Le pique-nique sur l’herbe sera noté 5 étoiles, avec, en prime, la vue grandiose sur le
Mont-Blanc ! Adieu nos repas frugaux « fruits-secs » des jours passés ! Vins, pâtés
et fromages divers (même du picodon) sont dégustés et appréciés. Babette a
rempli le sac de son âne de bonnes surprises qu’elle partage avec une grande
générosité. On mange et on échange. Mais Frangy est encore loin !
Nous profitons de larges horizons, à 360 degrés autour de nous, avec les Alpes
et plus tard le pays Genevois.
Frangy
Enfin, Frangy approche, nous ne sommes pas malheureux d’arriver
à l’auberge ! On sent les kilomètres dans nos jambes ! Vingt-quatre
je pense…
L’accueil est chaleureux et la soirée très agréable. Pourtant le
sommeil est agité. Franchir la frontière demain ne me laisse pas
indifférente. Il y a l’histoire, celle en l’occurrence des Huguenots… et puis il y a mon histoire, faite de franchissements de
frontières aussi…
38
Motz
Alors je suis très émue de revenir en Suisse, chez moi, à
pied, par ce chemin, et je saisis pleinement le sens profond
du proverbe : « On ne peut donner que deux choses
à ses enfants, des racines et des ailes. »
N
ous sommes attendus par plusieurs personnes devant l’Office de Tourisme
pour cette nouvelle et avant-dernière journée dont le point d’orgue sera notre
arrivée en Suisse.
samedi 30 octobre
frangy
39
. chancy [ 21 km, alt 320 > 675 ]
Nous sommes neuf au départ, le ciel s’est bien couvert. Un habitant du coin fait
le guide. Nous retrouvons un tracé de toute beauté en forêts et dans la prairie…
L’ambiance est très conviviale, on rit beaucoup, on discute, on marche pas à pas
vers la Suisse. Nous faisons halte dans un petit village, où nous nous restaurons
à l’intérieur d’une grange. Mais l’étape d’aujourd’hui est « chronométrée », nous
sommes attendus à cinq heures pile à Chancy.
Splendide, ce chemin le long de la montagne du « Vuache » !
Vers 13h, nous cherchons à manger, à l’abri du vent. Attention ! Pas plus d’une
heure pour le repas, afin de ne pas arriver en retard à la borne frontière N° 1 de
la Suisse !
On repart de bonne humeur. Un peu plus tard nous croisons notre première
autoroute depuis un mois.
Nous suivons un petit sentier qui va nous faire descendre vers la fameuse borne
N° 1, le point le plus occidental de la Confédération helvétique. Le passage de la
frontière suisse a lieu sur des terres privées, ce qui semble avoir posé quelques
soucis aux organisateurs suisses. Mais pour amadouer un propriétaire suisseallemand rien de mieux que de lui parler en… « switzerdutsch » ce qui est accessoirement ma langue maternelle. Aussi le propriétaire semble rapidement et
entièrement acquis à notre cause… pour aujourd’hui au moins !
Chancy
Retentissent soudain les applaudissements d’une vingtaine de personnes qui nous attendent là. Un mois après
notre départ du Poët-Laval, à la borne historique N°1 en
pleine forêt… une vraie fanfare pour notre équipe et
notre équipage ! Le maire de Chancy nous fait
un petit discours. C’est presque irréel, mais
ça ne s’arrête pas là…
40
Le village de Chancy n’est pas très loin maintenant. Ici, lors de la révocation de l’édit de
Nantes, les habitants ont beaucoup aidé les
exilés de France. Un grand feu est allumé pour
notre arrivée, la fanfare reprend et les discours
suivent. Solidarité et tolérance sont
les mots clefs.
Beaucoup
de gens
sont venus nous
rejoindre…
On boit le vin
chaud, le verre de
l’amitié, de la fraternité !
Je retrouve mes enfants
Laura et Lou qui sont venus
pour la dernière étape, le bonheur est complet. Nous sommes
tous logés chez l’habitant, où nous
passons le reste de la soirée, puis une
excellente nuit. Demain c’est le grand
jour : l’arrivée à Genève. En fonction
de la météo, on pourrait être nombreux pour cette ultime
étape.
Frangy
Le soir je me souviens d’une phrase. Elle est du pasteur Dürrenmatt, fils du grand
écrivain suisse. Il est très impliqué dans le mouvement des sans papiers à Genève. Il répète encore et encore que : « L’autre n’est pas à l’origine de tout ce
qui ne va pas, comme on voudrait que ça aille. »
C
e matin au réveil, j’ai du mal à imaginer que notre aventure s’achève. Un bon
petit déjeuner en compagnie de notre famille d’accueil, et déjà c’est l’heure de
bâter une dernière fois les ânes.
41
dimanche 31 octobre
chancy
. genève [ 15 km ]
En arrivant devant le temple de Chancy, d’autres ânes, des chevaux et une
bonne centaine de personnes sont rassemblés pour marcher avec nous. L’esprit
de solidarité, d’ouverture, d’échange, ainsi que les rencontres, sont les valeurs
de notre entreprise depuis maintenant 31 jours.
à chaque village traversé, Chancy, Avully, Cartigny, La Petite-Grave et Bernex,
de plus en plus de gens rejoignent le cortège, des femmes, des hommes, des
enfants aussi… cette campagne genevoise compte finalement beaucoup d’églises
et de paroissiens ! Nous sommes plus de deux cents à la fin. Dans la brume
matinale, on ne voit pas le bout de la file ! Des images d’exodes me traversent
l’esprit à plusieurs reprises.
Nous arrivons au Jardin des Bastions, devant le Mur des réformateurs, pour
ensuite monter vers les pavés de la place Saint-Pierre, fin de notre odyssée et
début du sentier suisse !
Le parvis de la cathédrale Saint-Pierre est plein de monde, pour nous, mais
aussi pour la cérémonie officielle d’inauguration de la première étape suisse.
Plusieurs personnes interviennent brièvement : les responsables du musée, les
responsables des sentiers suisse et français. Dans la joie, les gens se croisent, se
parlent, échangent. J’observe tout ça de loin, je suis très touchée. Notre aventure est un aboutissement… une ouverture aussi !
Au gré des interviews, notre petit groupe se délite, ce n’est pas des vrais « au
revoir », car nous habitons presque tous dans la même vallée, mais une page
vient d’être tournée.
Il y aura un avant et un après « Quand les chemins d’exil ont des oreilles ».
42
Le projet finit comme il a commencé… Dès demain c’est lundi et l’atelier va
retrouver son rythme. Le soir même, nous reprenons la route pour la Drôme,
ça fait tout drôle de s’asseoir dans une voiture.
Les émotions de la journée, la fatigue cumulée et puis le ronronnement
du moteur me font somnoler. Je nous revois le premier octobre au
Poët-Laval… L’automne a déjà dix jours, mais l’été est toujours
là… le soleil tape fort. Pascaline s’occupe encore de ses ânes, Claude s’occupe des
gars de France 3, il adore
toujours ça ! Moi, je
m’occupe de ma
nouvelle cuisson…
Chancy
Genève
Bourdeaux, le 19 novembre 2010
Chères amies, Chers amis,
Nous voilà rentrées chez nous après ce magnifique périple d’un mois
sur le chemin « Sur les Pas des Huguenots ».
Nous tenons à vous remercier chacune et chacun du fond du cœur, d’avoir
contribué avec tellement de chaleur et de naturel à la réussite de notre aventure.
Vous qui nous avez ouvert votre maison.
Vous qui nous avez cuisiné ces bons petits plats
que nous avons partagés autour de votre table.
43
Vous chez qui nous avons pu sécher nos affaires après la pluie
et nous réchauffer après les premiers frimas d’automne.
Vous qui nous avez fait découvrir, votre village, ses richesses et particularités.
Vous qui nous avez enrichis par vos réflexions et vos passions.
Vous qui nous avez accompagnés pour quelques kilomètres ou une étape et
avec qui nous avons pu échanger sur ce qui fait que les hommes se rassemblent.
Vous qui avez ouvert l’enclos rempli d’herbe tendre pour nos ânes.
à notre tour, nous tenons à vous inviter après l’hiver,
aux premiers jours du printemps autour d’une soupe huguenote,
chez nous au Pays de Bourdeaux.
Nous pourrons alors marcher un peu ensemble, vous présenter notre pays,
ses habitants, nos maisons aussi et vous faire en soirée une brève présentation
en images de notre périple.
Dans l’attente et le plaisir de vous retrouver,
Barbara et Pascaline
P ortrait
44
des femmes
Barbara et Pascaline, deux terriennes, deux européennes, deux femmes, citoyennes
du Pays de Bourdeaux par adoption. Après avoir l’une comme l’autre « barrullé » en
France en Europe et parfois un peu plus loin… elles ont choisi de s’y installer l’une
comme céramiste/potière il y a 22 ans et l’autre comme ânière il y a 12 ans. Elles
aiment mettre leur corps en marche et sentir sous leurs pieds la croûte terrestre.
Elles aiment le braiement des ânes et leur compagnie. Elles aiment les petits matins
d’automne et leur promesse de lendemain. Aujourd’hui elles décident de partir sur
le sentier des Huguenots, d’aller jusqu’à Genève avec 2 ânes comme compagnonsporteurs. Afin de marcher dans les pas de celles et ceux qui il y a 325 ans ont fui
l’intolérance et la soumission. Pour marcher avec vous le temps de gravir un col, de
passer un gué, d’une halte au creux d’un vallon. Pour marcher ensemble, échanger
autour de ce sentier et sur sa première traversée française avec des ânes de randonnée. Pour cela et pour ce que nous ne savons pas encore malgré la certitude que
chaque pas nous rapproche.
Pascaline Chambart, née le 2 janvier 1961 à Paris, clinique Plaisance métro Gaité ! Des
mots que la bonne fée Sémantique a saupoudrés au-dessus de son berceau et qui l’ont
déterminée à être désespérément optimiste. Parisienne de fait, mais rurale jusqu’à la
moelle des os. Elle vit, tel un Robinson manqué, toutes les vacances scolaires vers ses
racines auvergnates et « subit » le reste du temps les contraintes d’une vie citadine. De
9 à 14 ans, sans doute, première fille éboueuse car en
Auvergne le ramassage des poubelles c’est avec le Marquis,
et le Marquis c’est un magnifique cheval de trait. Elle commence ainsi à découvrir le bonheur de cette relation de travailcomplicité avec un animal. Puis ce sont les années fac, la
capitale a quand même du bon ! Géomorphologie à Paris 7
puis un 3e cycle en géographie option développement social.
Et la vie va, avec les rencontres qui ont orienté son parcours.
Deux amies d’exception avec qui elle refera le monde et
45
quittera Paris en 1982 pour commencer la migration vers le sud et expérimenter la vie
en communauté à 3 à 5 à plus amis(ies) unis(ies). Epopée liberté, engagée, féministe et
communautaire. Un animal d’exception, l’âne par l’intermédiaire de Callune et de Nanette en 1984 avec qui elle, accompagnée d’une amie et de 7 enfants pour une colo pas
comme les autres, crapahutera sur le sentier de Stevenson. Un pays d’exception, celui
de Bourdeaux où elle et sa bande ont débarqué un été de 1987 pour retaper une maison
et buller au soleil d’abord et y habiter complètement ensuite en famille et faire de ce pays
le sien pour la suite. Un homme d’exception, son amoureux, avec qui après de longues
gestations de trois enfants et d’un projet de vie, elle décide en 1997 de larguer la ville et
ses amarres et de s’installer là, au Bois Montjoux. Et de la théorie à la pratique en passant
par des mois à faire des enclos et à harmoniser un troupeau, des semaines de débroussaillage, des heures de fatigue des minutes de découragement et des milliards de secondes de bonheur, tout cela avec une poignée d’ami(ies) parce qu’ensemble c’est mieux…
Voilà Tzig’âne qui prend forme : un troupeau de 17 ânes pour la randonnée, des porteurs
marcheurs aux multiples qualités (labellisés Fédération nationale ânes et randonnée),
des hébergements : chambre d’hôtes, gîte d’étape, camping à la ferme et table d’hôte
(labellisés Accueil paysan) des champs de thym que l’on transforme en huile essentielle
certifiée bio… Et puis demain un autre voyage sur les Pas des Huguenots.
Barbara Hunziker, née le 19 juin 1961 à Zetzwil, dans le canton protestant d’Argovie,
dans le centre de la Suisse. Une jeunesse dans un petit village de la vallée de la Wyna,
une jeunesse dominée par l’envie de découverte de la nature et de la culture, de la nature des autres, de la culture des autres… Enfant déjà, un constat, la Suisse et encore
plus le village, l’éducation nationale et le cercle familial, sont décidément des cadres trop
petits pour répondre à ce besoin de découverte, ce besoin
d’aller voir de l’autre côté de la montagne. La randonnée, la
musique et la lecture peuvent pallier un instant, un instant
seulement ce manque, mais très jeune encore, un départ
rapide et précipité s’impose. Alors un grand voyage s’improvise, un voyage qui fait découvrir et approfondir les autres
continents, les autres cultures d’aujourd’hui et d’hier, les autres
tout court… C’est lors de ce grand périple aussi que la
« terre » semble être le meilleur fil rouge, la céramique devient
son projet de vie professionnel. Tel un compagnon du devoir elle affine alors sa formation
d’atelier en atelier, de pays en pays, de continent en continent, pour se poser finalement
à Dieulefit et ensuite au Poët-Célard où elle débarque en 1989, où elle installe son
nouvel atelier et où finalement elle donne vie au style « Hunziker » mais aussi à ses deux
enfants, Laura et Lou. Son travail trouve un marché au niveau local et national comme à
l’international, ce qui est une belle marque de reconnaissance. Cependant la vie d’un
petit atelier de la Drôme devient aussi tributaire de la situation sociale et économique
mondiale. Une ouverture parfois douloureuse sur le monde extérieur qui ne l’a jamais
laissée indifférente. Alors bien sûr, les choix politiques actuels en France lui posent souvent
questions. Ainsi la marche sur Genève, sur les chemins d’exil des Huguenots symbolise
aussi ce combat pacifique pour la tolérance et pour un monde meilleur pour tous.
46
Claude Brand, qui suit le projet « Sur les pas des Huguenots » depuis plusieurs années,
est le seul homme qui a participé à cette aventure. En tant qu’acteur et animateur du
développement local, spécialiste de la montagne, du milieu rural, de l’écotourisme et
du tourisme solidaire et responsable dans le cadre du réseau méditerranéen AREMDT,
ce père de quatre et grand-père de deux enfants a rejoint le cortège à Mens et a
participé activement à la communication et à la sensibilisation.
Autour de cette initiative, Babette de « Lou Pa de l’Az » organise des randonnées, des
circuits et portages en âne depuis 2004 dans le sud-est de l’Isère au cœur des Alpes.
Elle a rejoint le cortège au Lac du Bourget.
1 er-31 octobre 2010
le poët-laval
. genève [ 400 km ]
C’
est l’histoire de la rencontre de deux femmes avec chacune leur âne et
un sentier d’exil qui peut- être un jour, pourrait devenir le sentier de la
rencontre, de la tolérance et de l’ouverture au monde. L’idée était simple, parcourir la partie française du sentier « Sur les pas des Huguenots » jusqu’au Musée
international de la Réforme à Genève en partant du Musée du Protestantisme
dauphinois de Poët-Laval dans la Drôme. Le parcours de 400 km sera parcouru
en un mois entre le 1er et le 31 octobre 2010. À chaque étape, élus locaux,
élèves des écoles, randonneurs, sympathisants, partenaires du projet, associations
et tous ceux et celles qui se reconnaissaient dans les valeurs de tolérance et
d’ouverture sur le monde, ont rejoint le cortège pour symboliquement pendant
une semaine, une journée, une demi-journée, accompagner ce mouvement.
À chaque étape, le groupe était accueilli pour la nuit par les communes ou les
habitants des villages, ce qui favorisait encore les échanges et rencontres. Le
récit de ce livre est l’adaptation du blog, plein d’impressions et « à chaud » que
Barbara Hunziker alimentait chaque soir de son périple sur les pas des Huguenots.
ISBN 978 - 2 - 9539162 - 1 - 8
/ 12 ` - 15 CHF

Documents pareils