Texte belinda cannone thierry

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NADIA GHIAÏ-FAR
29 nov - 5 janv 2013
Le désir de Belinda, huile sur toile, , 150x150cm, 2012
Pour la deuxième exposition de la galerie, Fatiha Selam est heureuse de vous présenter
l’exposition personnelle de peintures et dessins récents de Nadia Ghiaï-Far.
Promesses d’épiphanies
par Belinda Cannone
« Le seul vrai lecteur, c'est le lecteur pensif », écrivait Victor Hugo. J'ai envie de le paraphraser, un peu,
en affirmant que le seul vrai peintre est celui qui rend son spectateur pensif. Pensif : je ne saurais dire à quoi
il songera au juste, mais je sais qu'il demeurera devant le tableau sans en épuiser la proposition, plein de
ces pensées confuses et profondes que font naître en soi les œuvres fortes quand les autres, trop
sommaires, s'exténuent rapidement sous notre regard.
Or devant les dessins et les tableaux de Nadia Ghiaï-Far, je reste rêveuse (ce qui n'est qu'une autre
forme de pensée), car j'ai beau les parcourir, je n'en viens pas à bout : ils se donnent mais jamais
entièrement, attisent puis déjouent mes interprétations – ils jouent avec l'intelligence de mes yeux.
Si ces œuvres étaient faites de mots, elles seraient poèmes en miniature – de ces sortes de poèmes
qu'écrit Henri Michaux, auquel je songe souvent devant ce travail. Dans les dessins particulièrement,
diverses analogies partielles suscitent des rêveries sur les formes du vivant, ici réunies en chimères. On
pense fugitivement à une fleur, à un scarabée, une aile ou une écrevisse, "<i>Mais prendre le vide dans ses
mains,/ Chasser le lièvre, rencontrer l’ours./ Courageusement frapper l’ours, toucher le rhinocéros.</
i>" (« Nous autres », Michaux). Et voilà, alors qu'on glissait vers l'interprétation, qu'on l'avait sur le bout de la
langue, des yeux... le dessin refuse d'être réduit à du connu, on doit admettre que l'objet en promesse n'est
qu'un mirage et l'on reste, frémissant de plaisir, comme au bord d'une épiphanie d'autant plus émouvante
qu'elle a été frôlée avant de se dérober.
Dans un entretien qui date d’une dizaine d’années, Nadia Ghiaï-Far évoquait sa formation : « Je me
suis rendue compte qu'il y a une autre façon de regarder, “une espèce d'autre regard! que celui qu'on utilise
au quotidien [1] » – ce qui est sans doute le point de départ de tout travail pictural. Reste à dire quelle part
du réel chaque peintre « regarde », et donc montre. Chez elle, le regard cherche à « dépasser les surfaces
pour creuser d'autres zones du réel » – zones, ou encore « couches », car ce qui l'intéresse se passe endessous. On est saisi, en lisant les titres des œuvres peintes autour de l'an 2000, par l'omniprésence de la
préposition dans : « Ma tête est dans le ciel » ; « Dans ma tête en profondeur » ; « Je m'écrase dans la
terre » ; « Ça me rentre dedans » ; « Mon corps perdu dans le nuage » ; « Prise dans le temps » ; « Dans la
durée »... Il me semble que ces titres illustrent parfaitement la volonté de creusement du réel dont
témoignent ses œuvres. Il s'agit d'aller dans, dedans, au creux, derrière la surface, derrière la peau des
choses. Rien de ténébreux cependant : les peintures offrent un monde de couleurs fantastiques, tandis que
les dessins sont de véritables envols.
Paul Ricœur disait de la métaphore – et l'on peut attribuer cette faculté à la peinture aussi bien –
qu'elle est un pouvoir de re-décrire la réalité. Quelle « lunette » ici pour cette re-description ? Le prisme de la
psyché. Tableaux et dessins résultent d'un processus d'intériorisation du réel qui produit ce qui apparaît
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finalement comme des figurations de la psyché dans tous ses états. Si l'on considère encore les titres des
peintures évoqués plus haut, on y trouve, tout aussi capitale que la préposition dans, la référence constante
à la personne du peintre par le biais de pronoms possessifs et de verbes réflexifs. Car il s'agit ici de porter
sur la toile son monde intérieur. Il me semble d'ailleurs qu'on pourrait ainsi distinguer les œuvres peintes des
dessins. Avec la peinture, plongée directe dans un cerveau et restitution de – comment les qualifier ?
couleurs et ondes psychiques. Avec les dessins, capture d'éléments du monde, interprétés dans un registre
fantastique – mais eux aussi portent quand même, toujours, trace d'un sentiment ou d'une émotion dont ils
sont comme le hiéroglyphe.
La présence du moi de Nadia Ghiaï-Far n'en fait en rien – j'imagine même son horreur à cette idée –
une peinture narcissique ou d'exhibition de soi. Parce qu'elle abstrait (relève de l'abstraction), c'est bien un
moi universel qui s'y fait jour. Là encore, je pense au Michaux de la Postface de Plume, qui affirme « Moi
n'est jamais que provisoire » et ajoute :
« On n'est peut-être pas fait pour un seul moi. On a tort de s'y tenir. Préjugé de l'unité. [...] On veut trop
être quelqu'un.
Il n'est pas un moi. Il n'est pas dix moi. Il n'est pas de moi. moi n'est qu'une position d'équilibre. (Une
entre mille autres continuellement possibles et toujours prêtes.) »
Ce sont bien ces « positions d'équilibre » que Nadia Ghiaï-Far semble rechercher : pour cela, et comme
le poète, elle erre souvent dans « l'espace du dedans », là où « la nuit remue », et elle le peint. Et de même
que l'écrivain pouvait être déclaré ethnologue des peuplades les plus variées et toutes scrupuleusement
inventées, elle mérite d'être qualifiée de naturaliste, classifiant et représentant, dans ses dessins, de quoi
remplir le plus onirique cabinet de curiosités qui se puisse imaginer.
Dans un entretien de 2005, elle expliquait : « J'essaie de travailler dans la notion d'enfoncement. Je ne
veux pas que quelque chose sorte de la toile pour accrocher le regard. Non, pas du tout. Le spectateur doit
pouvoir s'enfoncer dans la toile, passer derrière les choses.[2] »
Creusement, plongée... Et si au lieu de dans, on disait sous ? Je pense aux profondeurs des océans...
On sait à présent que dans les abysses vivent des êtres qu'on n'avait pas imaginés – les conditions
extrêmes semblent y défier toute possibilité de vie. Les animaux qu'on y a découverts ne ressemblent pas à
ceux de la surface, tout en étant quand même des animaux de notre monde. C'est ainsi que je vois les
dessins de Nadia Ghiaï-Far : bestiaire de figures inédites et cependant concevables, jamais vues quoique
appartenant à la planète Terre. Peut-être parce qu'elles vivent dessous...
Pour que le peintre ait accès à ce monde qu'il nous livrera ensuite, il doit se fier à sa perception, la laisser
infuser en lui puis s'attacher à la figurer, donc à la projeter au-dehors. La peinture de Nadia Ghiaï-Far, avec
ses couleurs puissantes, ses formes issues d'un espace mental, assume cette fidélité à la sensation et
trouve la « souplesse » nécessaire pour en restituer la nature vivante et mouvante. On n'imagine d'ailleurs
pas un instant que l'idée du tableau ait pu préexister à son exécution : on sent que chacun a dû naître d'une
lente exploration intérieure restituée au fil du temps, jusqu'à l'événement (on pourrait dire aussi l'apparition)
que constitue l'œuvre aboutie. Ce qui explique sans doute pourquoi Nadia Ghiaï-Far marque comme une
hésitation quand on la qualifie d'abstraite : son matériau lui paraît si profondément réel...
Ses toiles se proposent comme des espaces tantôt dansant, tantôt musicaux, faits de vibrations, de
motifs qui vont se répétant par ondes, de capillaires par où passent des influx nerveux, de coulures tendres,
d'écorces ou de carapaces, et partout des tensions mais qui ne s'affrontent pas et se mêlent
harmonieusement – on pourrait dire « ça danse », on pourrait dire « ça circule » –, parfois deux touches en
forme d'ailes créent un envol, le réel se déforme, le rêve est à portée de pinceau, explosante fixe, poussée
d'embruns, panique de colibris, cœur sanglant et palpitant, pincée d'or au fond de la rivière, songe mis à nu,
le dedans est dehors et réciproquement – cette peinture n'appelle-t-elle pas, pour être convenablement
décrite, les ressources de la poésie ou de la musique plutôt que celles du verbe raisonneur ?
Ne pas croire toutefois que ce peintre se contenterait de l'immédiateté de l'émotion, de la spontanéité
de la sensation. Son œuvre est de ceux qui se signalent par une véritable maîtrise : nous avons affaire à un
peintre savant. Nadia Ghiaï-Far connaît bien l'histoire de la peinture et elle a longuement réfléchi sur son
médium. Dans les dessins, on s'étonne de la richesse des effets produit par le simple fusain : on ne
l'imaginait pas capable de tant de variété dans le rendu. Dans la peinture, elle a essayé plusieurs
techniques, très influencée d'abord par les peintres matiéristes, puis, ayant renoncé à la matière brute, elle
en a cependant conservé le goût de mêler tantôt du sable, tantôt de la poudre de marbre ou du ciment à la
peinture, celle-ci étant constituée de mélanges à l'eau émulsionnés à l'huile, jamais tout à fait lisse ou unie.
La merveille est que cette intelligence du faire aboutisse à des œuvres où domine la force d'effusion.
Car enfin, dans ces tableaux et ces dessins si inventifs qu'après s'en être délecté d'un regard synthétique,
on doit commencer à en détailler chaque recoin pour y découvrir des surprises nouvelles, des associations
heureuses, des tensions subtiles, dans ces œuvres qui nous rendent rêveusement pensif, se marque une
générosité qui n'est pas la moindre qualité de l'artiste au travail.
[1] Avec Nicolas Vauthrin, catalogue de l'exposition à la Chapelle de la Sorbonne, 2003
[2] Avec Gérard Gamand, La Gazette de l’Hôtel Drouot, 6 mai 2005.

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