Lire un extrait - Editions Persée

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OR ET ARGENT
Anne Glacet
Or et argent
Roman
Éditions Persée
Du même auteur :
La paillette d’or, 2016, Éditions Persée
Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements
sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence.
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© Éditions Persée, 2016
Pour tout contact :
Éditions Persée – 38 Parc du Golf – 13 856 Aix-en-Provence
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À mes vieux : Granny, Grand-père et Mamy, Papy…
PARTIE I
YVONNE ET XAVIER
CHAPITRE 1
I
ls sont allongés l’un à côté de l’autre. On ne sait pas pourquoi, mais ils ne bougent plus. Ils sont là, tous les deux. Elle,
comme à l’accoutumée, porte ses belles boucles d’oreilles dorées.
Ce sont deux danseuses dont le corps forme un arc de cercle. On
voit de jolies jambes élancées et une petite poitrine charmante. Lui
ne semble pas vouloir bouger non plus. Ils sont immobiles et en
paix. Rien ne les dérange. La villa est au plus calme. Puis elle marmonne une parole à peine audible. Ce doit être un signal pour alerter
Xavier. Celui-ci se met à bander, puis se positionne devant Yvonne.
Il lui écarte les cuisses d’un mouvement de genou contre le sien.
Elle s’ouvre en prenant le temps de se dégourdir les bras. Elle le
regarde de façon suggestive, puis ferme les yeux. Elle restera les
yeux clos pendant toute la durée de leur câlin. Lui la regarde en
souriant, puis la pénètre assez vivement, suffisamment pour assurer
la satisfaction d’Yvonne, très habituée à le recevoir. Leur rapport
sera très court et intense. C’est probablement le privilège de l’âge.
Les boucles d’oreilles d’Yvonne auront brillé dans la nuit et les
danseuses se seront aussi aimées très fort. Elles vibrent au rythme
des péripéties d’Yvonne. La plupart du temps, l’un des deux corps
aime faire l’amour à l’autre de façon érotique et jamais vulgaire. Les
câlins d’Yvonne et Xavier sont toujours très physiques et décrivent
des envies très pragmatiques, mais sensuelles, du corps de l’autre.
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CHAPITRE 2
Y
vonne et Xavier s’embrassent et se disent qu’ils ont
encore tout le temps devant eux. À quatre-vingts ans, la
vie leur appartient et ne représente plus la moindre difficulté. Ils
sont là pour dépenser leur fric et rien d’autre. Après tout, ils ont
tous les deux une retraite très honorable et n’ont plus d’enfants
à charge depuis longtemps. Elle était institutrice et lui, cadre
technico-commercial.
Depuis trois soirs, ils dorment dans une villa de vacances à
Roll-sur-Rock. Ce sont des croqueurs.
— Des frusques, encore des frusques. Mais que va-t-on faire de
tout ça, Xavier ? Te rends-tu compte ?
— Mais, naturellement, je me rends compte. Tu veux tout arrêter ?
— Moi ? Tout arrêter ? Ah, non, certainement pas. On avait dit
« no limits ». Pourquoi arrêter ?
— Tu as l’air de douter.
— Je suis désolée, mon chéri, sincèrement. Je ne vois pas pourquoi je douterais. Tout est merveilleux depuis notre départ de Valseen-Cent-Ans. Non, regarde, je viens de repérer une nouvelle jupe !
— C’est très bien, ma chérie, mais j’ose tout de même te rappeler que ce ne sont pas des frusques, mon petit sucre d’orge. Ce
sont des vêtements de qualité et de marque qui coûtent très cher…
— Oui, et alors ? Je croyais que ça n’avait pas d’importance !
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— Non, mais, tout de même. Dis plutôt « vêtements, tu les
voles, tu t’envoles » ou « belles pièces auréolées de rubans et de
tissu ». Ça claquera plus !
— Oh oui, tu as raison, il faut que ça claque. Sinon, tu as vu,
cette jupe me va bien, non ?
— Elle te va à ravir, tu es magnifique.
— Quand je pense que je n’ai pas un poil de graisse et que j’ai
toujours le charme et la silhouette d’une jeune femme de vingt
ans ! À quatre-vingts ans, mon chéri, n’est-ce pas beau ?
— C’est sublime et ultra-sexy, mais je préfère qu’on en reste là
pour le moment.
— Oh, petit coquin, mais que te prend-il ?
— Absolument rien. La quiétude du lieu et ton joli corps me
donnent quelques idées…
— C’est vrai que c’est calme et qu’il n’y a personne.
Les deux amoureux se regardent dans les yeux comme au temps
de leur plus tendre jeunesse et restent interdits quelques instants.
Le temps que l’unique vendeuse du magasin vienne les voir en
leur demandant s’ils se sentent bien. Ils répondent que oui, puis
s’enlacent pour rompre le charme invisible qu’on appelle souvent
le désir. Ce ne serait pas sérieux, en pleine cabine de magasin,
alors qu’on voit les genoux et qu’il n’y a pas d’autre client pour
attirer l’attention de la vendeuse. C’est un projet qu’il faut résolument abandonner.
Yvonne fait claquer ses boucles d’oreilles de droite à gauche
et réveille ainsi l’instinct de ses danseuses. En effet, dès que
Madame Yvonne laisse un peu son âme s’emporter, elles sont là
pour prendre le relais ou nous faire passer un message à nous,
mortels. Elles se réveillent, puis l’une d’entre elles lèche la fesse
droite de l’autre, comme par jeu un peu machiavélique. L’autre se
laisse faire, puis semble vouloir en faire de même. La première
danseuse se cabre, attend, puis ne reçoit qu’une simple caresse.
Les pensées d’Yvonne sont très chastes en cette fin d’après-midi.
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Elle, son plaisir, c’est d’acheter des vêtements. Surtout depuis
qu’ils ont d’un commun accord décidé de dilapider leur patrimoine. Au diable la famille, elle s’est de toute façon envolée
depuis longtemps déjà. Aujourd’hui, Yvonne a pour folle envie
de tout essayer et d’acheter tout ce qui lui va. Cela fait déjà deux
heures qu’elle entasse les articles devant elle en se demandant si
elle prendra le tout à la fin :
— Faut-il que je vous débarrasse de certains articles, Madame ?
lui demande la vendeuse, atterrée de voir tant de vêtements mal
empilés au même endroit.
— Non, ce n’est pas la peine, je crois que je vais prendre le tout.
— Le tout, Madame, mais il y a au moins cent articles ! ?
— Oui, je vais prendre le tout, ne vous inquiétez pas.
À ce moment précis, Yvonne redoute la réaction de Xavier. Il a
parfois tendance à s’énerver avec humour sur les autres et notamment sur les serveurs de restaurant. Elle s’attend à ce qu’il rétorque
à la vendeuse : « Si ça vous dérange tant que ça qu’il y ait des fringues partout, on ne prend rien et puis c’est tout. Vous aurez perdu
quelque chose comme dix mille euros et ce sera tant pis pour vous.
Nous sommes votre unique client de la journée tellement c’est
cher dans votre magasin. Au lieu de pleurer, vous devriez ménager un peu mieux votre clientèle. Tu n’es pas d’accord, chérie ? ».
Puis, là, Yvonne se réveille sur un coup de poignet léger de Xavier.
— Chérie, tu te sens bien ?
— Ah, oui, super, merci de t’en préoccuper. C’est peut-être la
chaleur qui m’a occasionné ce petit malaise.
— Tu finis d’essayer et on y va.
— Non, non, mais ça va ! Ne t’inquiète pas !
— J’ai demandé à la vendeuse qu’elle t’apporte un verre d’eau.
— Tenez, Madame, avance Mathilde. C’est le prénom figurant
sur le badge de la vendeuse.
— Merci, Mathilde, vous êtes bien aimable.
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Yvonne s’assied. Mathilde reste à côté d’elle, en lui tenant le
bras gauche. Elle semble subjuguée par Yvonne. Elle la fascine,
l’attire presque. Elle est en admiration devant la belle peau de sa
cliente, quasiment transparente avec de beaux grains de beauté
jamais trop grands ou trop petits. Tout est bien proportionné chez
cette vieille dame. Ses yeux sont de la couleur de ses grains de
beauté, ce qui crée un léger contraste dans le ton sur ton. Elle a
dû être belle, Madame Yvonne. Son mari la regarde avec des yeux
tellement amoureux ! Cela fait déjà quelques heures que Mathilde
a l’occasion d’épier les moindres faits et gestes de ses deux clients.
Elle est ici pour vendre et quand bien même, elle souhaite vivement qu’aucun autre client ne pénètre dans le magasin. Tellement
c’est agréable d’aider Yvonne à se remettre de ses émotions, tellement la vie est plus belle depuis qu’elle les entend se disputer ou
se désirer dans le fond du magasin.
Elle prie, Mathilde, pour qu’aucun badaud ne soit attiré par son
enseigne.
« Pitié, pitié, ne rentrez pas », se dit-elle totalement perdue.
Yvonne n’a plus vraiment besoin de reprendre ses esprits, elle se
sent très bien, mais Mathilde a quand même envie de rester avec
sa cliente. Ce n’est peut-être pas très professionnel, mais bon, elle
n’a rien d’autre en stock.
Puis, Madame Yvonne semble vouloir échanger quelques mots
avec elle :
— Vous savez, Mathilde, j’ai une petite-fille un peu comme
vous à la Harpe-sous-Cassé.
La vendeuse, un peu gênée, cherche une réponse, puis lui dit :
— Madame, vous savez, ici, on est à Roll-sur-Rock. La Harpesous-Cassé, c’est dans un autre département. Vous êtes sûre que
vous vous sentez bien ? Mathilde ne veut pas être désagréable avec
Yvonne, mais il faut bien admettre que la dame n’a pas l’air dans
son assiette. Yvonne, un peu froissée, jette un regard expressif et
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doux à son époux, qui ne fera que contrôler la qualité des échanges
en la faveur de sa femme.
— Madame, puis-je vous aider à vous relever ?
— Oui, s’il vous plaît.
— Tenez-vous bien à moi, voilà, c’est fait. Voulez-vous essayer
les derniers articles devant moi ? Je pourrais éventuellement vous
conseiller.
— Oh, non, répond Yvonne un peu sèchement. Je préfère voir
ça avec Xavier. Il a toujours été fin dans ses choix.
Mathilde regarde à quel point les vêtements présélectionnés
sont variés, puis semble découragée.
— Ne vous en faites pas, nous allons bientôt nous décider,
reprend Xavier avec un ton même pas agacé :
— Nous allons prendre le temps de bien tout passer en revue.
Vous fermez à quelle heure, sans indiscrétion ?
« Ah, il a quand même fallu qu’il fasse une petite boutade à
notre vendeuse. Il est vraiment incorrigible ! » se dit Yvonne, un
peu patraque.
— Nous fermons à dix-neuf heures, Monsieur. Vous avez
encore une heure devant vous.
— Une heure avec ma femme et ses nouveaux habits.
— C’est ça, je retourne au comptoir.
— Merci, Madame, pour votre soutien, s’emploie à dire Yvonne.
— C’est tout naturel, je ne fais que mon travail.
À peine la vendeuse arrivée au comptoir qu’on entend Yvonne
et Xavier se chamailler au sujet de Mathilde.
— Mais que te prend-il Yvonne de t’épancher ainsi ?
— Je ne m’épanche pas et c’est normal qu’elle se demande si
on va vraiment acheter tout ça ! Imagine, on est en train de dévaliser son magasin !
— C’est vrai, je m’excuse. Bon, essaie ta jupe et on prend le tout.
— Je l’ai déjà essayée. Tu ne fais guère attention à moi…
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