Irene Vincenot Nancy Il existe des figures reversibles, dont le terme
Transcription
Irene Vincenot Nancy Il existe des figures reversibles, dont le terme
Irene Vincenot Nancy CDU 804.o-,s VARIANTES ET FIGURES (MORPHQLOGIE ET RHETORIQUE} Il existe des figures reversibles, dont le terme image sert de pointde depart ~ une seconde figure, inverse de la premiE!re, et des figtires i doubles perspectives, c'est-~-dire a decodage libre (metaphorique .OU metonymique}. Or, de tels inversions et dedoublements de perspective se retrouvent dans certaines alternances desinentielles-et predesinentielles; parce que, en morphologie comme en rhetorique, les deux axes du langage s'interpenetrent de la m@me maniere. Les etudes consacrees a la metaphore et a la meto~ymie n'envisagent que la metaphore simple et la metonymie simple. Mais on trouve des exemples de metaphores et de metonymies reversibles. La metaphore reversible fait retour sur elle-m@me, le terme comparant (terme image) :devenant, dans un secori.d temps, compare (terme objet}, et le compare devenant comparant, selon le schema. suivant: compare (objet)------+ comparant (image) ! t comparant (image) - - - - - - - compare (objet). Voyons, par exemple, conimerit Marcel Proust renverse. les· termes d'une longue metaphore artif.l.cialiste; dont le compare et'le comparant echangent leurs r6les, dans un decryptage equivoque et surprenant opere par l'auteur lui-meme: "Mais elle touchait presque jusqu'aux larmes [ "cette beaute vivante" des pommiers e.n fleurs] , parce .que, si loin qu' elle al1a:t dans ses effets d'art raffine, on sentait qu'elle etait naturelle [cela dit apr~s une serie de metaphores artificialistes ressem blant a un 1delire], que ces pornmiers etaient la en pleine campagne, "etc. Ona I'impression que Marcel· Proust compare cette fois les pdnimiers de cette "estampe japonaise" (comparant 1) a des pom0triiers naturels (compare 1 comparant 2); Le "On sentait 101 bien" equivaut ici presque a "Tout se passait comme si ••• " En effet, il entre dans le code de la metaphore d'en laisser le decodage au lecteur. En operant lui-m@rne ce decodage, Marcel Proust fait un ecart supplementaire, commet une "impertinence" (Cohen),,. des plus originales, qui inverse le sens de la metaphore. Marcel Proust avait bien compris la force du procede, qu'il admirait dans la peinture: "Proust voyait dans la metaphore une veritable metamorphose, et c.'est a juste titre qu'il donnait le sens .de 'metaphores' a certaines marines d'Elstir qui confondaient la mer et le ciel." (Mouton) 3· Le terme "metamorphose" par la metaphore peut done tour servir de point de depart a a son une nouvelle metaphore, qui le prendra comme terme.compare selen le schema indique: terme A (la mer) terme B (le ciel) = = compare 1 comparant 2 ....„,_________ comparant 1 comparant 2 Les deux termes de la metaphore sont d'autant plus aisement interchangeables que, situes sur l'axe paradigmatique du langage, ils font, de toute mani~re, l'objet d'une alternative, d'un choix, fonde sur leur opposition (discours neutre) ou leur similitude (discours image} . L'axe paradigmatique etant celui des alternances morphonologiques, on ne s'etonnera pas de trouver des reversibilites analogues dans les paradigmes fle.xionnels. Exemple. En serbo-croate, on a: Ns žete-1-ac-gl Gs žete-o-glc-a "moissonneur" Dans 1 'alternan.ce 1 /o, 1 est premier et o second: c' es t o qui est une variante positionnelle de 1, et non l'inverse •. Sous le rapport de cette alternance, c'est done le genitix singulier qui est transpose, en regard du nominatif singulier. La transposition 102 se lit verticalement: el1e est paradigmatique et la metaphore participe de .son ·ess.ence. Inversement, sous· le. rapport de l'alternance ~/a, c'est le nominatif singulier žetelac qui est transpose, en regard de žeteoca ,. III ·etant premier et a second. Nous avans done une trans pasi tion reciproqu,e, bien propre a brouiller les cartes, comme dans les cas ou, des deux termes de la metaphore que nous avans appelee reversible, on ne sait plus lequel des deux fait image, faute de pouvoir discerner entre le compare et le comparant. Cette sorte de s.econdari te inversee des vocalisme et consonantisme predesinentiels peut €tre exprimee par le mfune schema que la reversibilite de la metaphore: Ns +- l!Dc Gs vocalisme second vocalisme premier -lac(-0) (-\21) -oc(-a) +-lc(-a) (vocalisation de 1) (1 consonantique) Dans cet exemple, l'aller porte sur le vocalisme predesinentiel, le retour. sur le consonantisme~redesinentiel. Ma~s il y a bien, globalement, c'est-a-dire au niveau.morphologique et pas seulement pho:hologique, un mouvement d'aller et retour predesinentiel, comp'letant le paradigme des desinences par une double transposition d.'-elements predesinentiels. Il semble plus di.fficile de trouver des alternants syntagmatiques (allomorphes) qui soient dans un rapport de secondarite reciproque, une des desinences. etant necessairement premiere,1 'autre seconde (russe: Ns -o """ e-: mest-o ,,...,, pol'-e). Dans le cas ou les deux desinences s'equilibrentarbitrairement, aucune des deux· n' est premiere ni seconde. C' est le· cas, par exemple, en polonais,de Ds -u '"" -ovi, que les grammairiens ont bien du mal de repartir selon des criteres morphologiques et syntaxiques. Cette difficulte d'etiquetage d~un couple de desinences dont on ne sait laquelle est premiere, laquelle est seconde ne 103 constitue pas un cas de reversibilite comparable a ce qu'est la metonymie reversible, metonymie a deux temps, le second temps operant un deplacement de sens qui est l'inver.se du premier. Exemple: "Bayeux, si haute, dans sa noble dentelle rouge~tre, et dont le f aite est illumine par le vieil or de sa derniere syllabe." (Marcel Proust~) 4 Une metonymie d'usage constitue le premier temps de cette metonymie reversible: Bayeux = cathedrale de BayeuX.! Dans un deuxieme temps, Bayeux reparatt avec son sens propre, coricretise par "sa derniere syllabe", au terme d'un second deplacement, inverse du premier, et dont le point de depart est cette cathedrale identifiee a son nom, selon le schema suivant: cathedrale de Bayeux Bayeux derniere syllabe Autrement dit: 1 nom cathedrale Or, comme pour la metaphore, il entre dans la r~gle de la metonymie d'~tre decryptee par le lecteur et non par l'auteur. Lorsque l 'auteur prend lui-m@me l' initiative de renverse'r la metonymie, c'est, sous couvert de decryptage1 pour brouiller les cartes: le lecteur, qui doit alors proceder a un second decodage, ne sait plus tres bien ou il en est, et la confusion est complete entre les deux termes mis en figure. Loin de s'annuler 1 les deux ecarts successifs, bien que de sens inverses, se renforcent l'un par l'autre. Le fait de revenir au point de depart ne supprime pas le premier trajet: aller et retour ne s'annulent pas plus dans l.' esprit du lecteur que dans les muscles du marcheur. Metaphore et metonymie reversibles constituent, de la par~ ~e l'auteur, une sorte de double jeu dont l'efficacite est re::-:a::.·,·:--;:..ble. Elles ne sont pas autre chose que des figures reflechi.:s ,,-:·.::· elles-m@'mes. La metaphore et la metony!Ylie simples se decodant res~'<',-~-.. ·c 104 ment par substitution de sujet et de predicat, on peut les representer analogiquement de la m~me maniere que les voix active et passive: voix passive voix active Paul est battu par Pierre. Pierre bat Paul. met on ymie metaphore La ville dort La ville dort = = Les La ville est silencieuse gens dorment. Metaphore et metonymie reflechies peuvent alors @tre re!)resentees comme la voix reflechie: Pierre et Paul se lavent."' metaphore reflechie cornpare 1 metonymie reflechie corn:parant 1 substi.tut 1 terme neut:i;e 1 C comparant 1 compare 2 :!>' substitut 2 terme rieutre 2 Une troisieme sorte de figure ne semble pas avoir attire l'attention des lingui.ste~: la figure a double perspective,.dont le decodage revele soit une metonymie, soit urie metaphcire, et qui pourrait~tre comparee, du moins schematiquement, proque: 105 a la voix reci- voix reciproque Pierre et Paul se battent figure l a double perspective decodage 1 metaphorique decodage metonymique Precisons tout de suite qu'il ne s'agit pas la de ce qu'on appelle metaphore corrigee par une metonymie, rnais bien d'une figure pouvant @tre interpretee dans un m@me contexte, soit comme metaphore, soit comme metonymie. Soit, par exemple, cette phrase d'Emile Zola: "Deja le soleil chauffait, la belle matinee de mai riait sur le pave des rues, et pas un nuage au ciel, toute une ga~te volait dans l'air bleu, d'une transparence de cris5a1. Un sourire involontaire entrouvrait les !~vres de Denise." decodage metaphorique decodage metonymique (par substitution de predicat) (par substitution de sujet) "la belle matinee de mai "les gens rendus jbyeux par le beau temps de mai riaient (marchant) sur le pave des rues", interpretation retros.pectivement suscitee par le "sourire involontaire"' · qai "entrouvrait les levres de Denise." illuminait le pave des rues", interpretation suscitee en premier par le mot "pave''~ qui est d' ailleurs lui-m@me une figure metonymique. Le decodage metaphorique eclaire l'image dans une perspective paradigmatique: comme le rire ·eclaire un visage, la lumiere rit sur le pave: rire et lumi~re sont synonyrres, comme hutte, cabane et cahute dans l'exemple de Jakobson. 6 Le decodage meto:o,ymique. eclaire l'irnage dans une perspective syntagmatique: il y a un ra9port de. contigul te. ·{de cause a effet). entre le beau temps de mai et la joie de la rue. 106 Nous sonunes done la en presence d'une figure susceptible d'interpretation metaphorique {paradigmatique) ou metonymique (syntagmatique). On peut dire que cette figure est a double per- spective, conune ces dessins geometriques qui, selon le rythme de 7 l'attention, apparaissent tantot en relief, tant6t en creux. Ces figures a double perspective sont l'equivalent de cer- tains morphemes susceptibles d'une interpretation paradigmatique ou syntagmatique. Exemple (slovene) : Ns' korak-0 "pas" Np korak-i Gp korak-ov most-(0)-0 most-ov-i most-ov-0 En lecture (decodage) verticale (paradigmatique), Gp mostov s'interprete most-ov-0 (desinence -\{)), par opposi tion au Np most-ov-i "pont" En lecture horizontale (syntagmatique), Gp ~ost-ov s'interprete simplement most-ov (desinence -ov) , come korak-ov. En effet, on a Gp most-ov exactement conune si l'on avait Np *most-i (conune korak-i). Done, selon qu'on l'interprete sous l'angle paradigmatique ou syntagmatique, la desinence -ov-0 apparait soit corrune une desinence seconde -\{) propre a un certain nombre de substantif s masculins, soit comme desinence premiere -ov. Sa forme reelle ne change pas pour autant. Ce qui montre que les elements virtuels et materiels ne se recouvrent pas necessairement. C'est de cet ecart entre segment virtuel et segment materiel d'un morpheme que procedent certaines refections analogiques (most-ov - *most-i). On peut aussi formuler l'hypothese d'un ecart entre charnp semantique virtuel et preexistant cham~ semantique reel, et c'est cet ecart dans la langue qui rendrait possible les deplacemente de sens par metaphore et metonymie, selon que l'ecart est susceptible d'une lecture syntagmatique ou paradigmatique. Examinons maintenant un second type de figure a.double perspective faisant alterner cette fois le degre 0 de l'ecriture avec l'expression metaphorique ou metonymique. Soit ce passage de Marcel Proust: "Ce n'est pas seulement aux villes et aux fleuves qu'ils 107 [les norns] donnent une individualite. Alors chaque chateau, a sa dame ou sa fee, Cependant la fee deperit, si nous nous approchons de la personne reelle, la fee peut rena1tre si nous nous eloignons de la personne. Mais si nous restons aupres d'elle, la fee rneurt definitivernent."8 Oubliant un instant le contexte rnetaphorique, nous tornbons dans le conte de fee comrne dans un piege et les expressions "la fee deperit", "la fee renatt", "la fee rneurt" ont leur sens propre, sans rnetonyrnie ni rnetaphore, c'est-a-dire sans ecart d'au. 9 cune sorte avec le discours neutre (Cohen) . Mais, selon le rythrne de l'attention, le sens rnetaphorique du contexte refait surface, et les expressions "l.a fee deperit", etc. sont per9us cornrne figures de style, que nous decodons, par substitution sirnultanee du sujet et du predicat: Le charrne de la personne dirninue, reparatt, (idealisee par son norn) dispara1t (rnetaphore) (rnetonyrnie) Nous avans done affaire a une figure cornplexe (rnetaphore corrigee par une rnetonymie) alternant avec un degre zero d'e- criture. Nous pouvons appeler cette sorte d~ figure "figure a eclipse", puisqu'elle se caracterise non pas par l'alternative metaphore/ metonymie, mais par l'alternative degre zero/degre figure (metaphore ou metonyrnie) . La figure a eclipse ressernble a ces voyelles caduques qui, tantot apparaissent, tant6t disparaissent dans un m@me paradigme ou dans un mgme enonce: Exemple (russe) : Ns d'en/Gs d'n'a Ns d' en ,...., (e/0) "le jour" 'a (mais Gs zemel') "la terre" zeml 108 (e"' 9)) Le deplacement d'accent qui provoque l'eclipse des voyelles caduques est comparable au deplacement de l'attention provoquee par l'habilete de l'ecrivain pour susciter par contre-coup l'oubli momentane de l'ecart de sens qui constitue la figure. Citd d'apr~s Claude Vincenot, "Les procddds littdraires de Marcel Proust et la reprdsentation du monde chez l'enfant", Revue des Sciences Humaines, fascicule 129, janvier-mars 1968, p. 23. 2 Jean Cohen, 109. 3 Jean Mouton, "Le style de Marcel 4 Cf. note ( 1) , i bi d.. 5 Emile Zola, "Au bonheur des dames", Ed. ("Le livre de poche", No 228), 1978 6 Roman Jakobson, T. I. p. 162. 7 "Structure du langage podtique", Claude Vincenot, 15. p. Proust", Paris 1966, p. Paris 1948, p. 67. 7. Fasquelle, "Essai de linguistique gdndrale", "Essai de grammaire slovene", p. 167, Paris 1963, Ljubljana 1975, p. 8 Cf note (1), 9 Cf. note (2), ibid. p. 17. op. citd p. 113. Povzetek VARIANTE IN FIGURE (MORFOLOGIJA IN RETORIKA) Obstajajo figure, ki jih lahko obrnemo, tako da termin podoba služi kot izhodiščna točka za drugo figuro, nasprotno prvi, in figure z dvojno perspektivo, to se pravi, da jih lahko poljubno uvrstimo med metafore ali metonimije. Takšne inverzije in podvojitve perspektive pa najdemo tudi v nekaterih končniških in predkončniških alternacijah, kajti tako v morfologiji kot v retoriki se obe jezikovni osi na isti način medsebojno prepletata. 109