FORUM DE L`INSERTION PARCOURS DE VIE – ateliers d`écriture
Transcription
FORUM DE L`INSERTION PARCOURS DE VIE – ateliers d`écriture
FORUM DE L'INSERTION PARCOURS DE VIE – ateliers d'écriture " Avant d’écrire, on ne sait rien de ce qu’on va écrire Et en toute lucidité. C’est l’inconnu de soi, de sa tête, de son corps…. Si on savait quelque chose de ce qu’on va écrire, avant de le faire, avant d’écrire, on n’écrirait jamais" Marguerite Duras - Ecrire Médiathèque Boris Vian - Port de Bouc septembre 2013 - 4 ateliers de 2 heures les jeudi 5 - 12 -19 et 26 septembre de 14à 16h Lorsque Emmanuelle Pauvret, en tant qu'initiatrice du projet avec Jean-Luc Albert de la Médiathèque de Port de Bouc, m'a contactée pour animer un atelier d'écriture avec un groupe de femmes dans le cadre du Forum de l'insertion, elle m'a fourni une liste préalable de participantes volontaires issues des Equipes St Vincent et d'Actis. Je ne savais rien de ces associations qui oeuvrent dans le social et je ne voulais pas en savoir plus. J'ai longtemps fait écrire des enfants, des adolescents qui le plus souvent avaient un parcours scolaire difficile. Ensuite j'ai enseigné dans des classes de collège et de lycée et j'ai pu me rendre compte de plus près encore quelles difficultés pouvaient rencontrer certains publics qu'on appelle captifs dans le jargon de l' Education nationale ; captif signifiant « obligé d'être là ». Ces publics captifs donc, je devais apprendre à les apprivoiser, pour qu'à leur tour ils acceptent de cheminer vers eux mêmes, et ce, dans le but de les faire s'exprimer de la façon qui me paraît être la plus essentielle à chacun après l'oralité : l'écriture. «Tout le monde devrait écrire » c'est le titre d'un très beau livre de Georges Picard, publié aux Editions Corti (2006) : « Pour être au clair avec soi-même, pour savoir de quoi sa propre pensée est réellement capable, l’épreuve de l’écriture paraît cruciale. Peut-être publie-t-on trop, mais il n’est pas sûr que l’on écrive suffisamment. Tout le monde devrait écrire pour soi dans la concentration et la solitude ». Avec des adultes, et dans ce cadre-là, savoir qu'il s'agissait d'un public volontaire me suffisait, avec toutes les précautions d'usage quand on aborde l'écriture et surtout le tact quand il s'agit de faire écrire. C'est donc dans cet esprit et sans aucun a priori que je souhaitais aborder cet atelier. Ne pas savoir, volontairement qui étaient mes participants ou plutôt mes participantes puisqu'il ne s'agissait que de femmes ici. Savoir que l'initiative provenait de groupements sociaux induisait qu'elles rencontraient ou avaient rencontré des difficultés de parcours. J'ai donc intitulé l'atelier : Parcours de vie et j'ai lancé intuitivement la première séance. Ecrire ouvre des portes, longtemps fermées à l'intérieur de soi et dont parfois on a perdu la clé. Toutes ne sont pas toujours parvenues à emprunter le corridor qui permet cette descente en soi. Certaines se sont arrêtées au seuil de quelques portes trop longtemps verrouillées, elles en ont extraits des bribes, ont aligné quelques mots hésitants. Chacun des ateliers s'ouvraient sur des lectures, pour installer un autre monde, celui secret de la lecture, celui de la voix quand on échangeait nos choix de lecture d'auteurs ou nos propres productions. Le premier atelier s'est ouvert sur un échange littéraire autour de quelques poètes contemporains où volontairement j'ai présenté une majorité de femmes poètes. Dans le désordre et sûrement avec des oublis car j'emporte avec moi une petite partie de ma bibliothèque personnelle1. Le Gardeur de troupeaux de Pessoa m'a servi d'ouverture au premier atelier avec le passage commençant par « Ce que j'en pense du monde ? Qu'est-ce que j'en sais, moi !... » La rencontre avec ces poètes a donné lieu à l'expression de quelques premiers jets. C'est à la teneur de ces premiers jets que j'ai décidé de la suite. J'ai donc travaillé intuitivement et en fonction des écrits réalisés d'une séance sur l'autre. En effet, dès ce premier atelier - les groupes étant mouvants, changeant de semaine en semaine, on retrouvait trois au quatre régulières et parfois deux nouvelles, il fallut s'adapter et me revenait alors de faire fonctionner la confiance à chaque fois, renouer les premiers liens, rassurer les nouvelles venues. Ainsi, il m'est apparu très rapidement que je réussirai plus facilement à faire écrire des fragments qui seraient ensuite réunis ou formeraient un patchwork dans lequel chacune choisirait de conserver tel ou tel passage. La raison n'était pas la capacité des participantes (que peut-on réellement savoir de ces capacités?) mais simplement le fait que les groupes n'étaient pas fixes et donc toujours à refonder. A chaque séance, je devais retrouver un moyen de créer du lien. Les déclencheurs demeurent des plus classiques et se reconnaîtront aisément à la lecture. Du « Je me souviens » de Perec à la « Douleur quantitative » d'un René Obaldia, de l'écriture d'un blason à celle d'un haïku, au fond, ce n'est plus la contrainte qui compte mais le résultat, toujours différent, et surtout l'approche des textes complémentaires, la manipulation de la bibliothèque. Le premier atelier a donné des résultats particulièrement riches et encourageants. Je crois que cet atelier « découverte et écriture de la poésie » tel que je le propose aussi bien à des enfants de CP qu'à des adultes fonctionne vraiment très bien et ouvre de belles perspectives. Les premiers textes ont permis ainsi de conserver des bribes, comme des pépites recueillies dans le fleuve ininterrompu d'une parole trop longtemps contenue. Car certaines 1Sylvia Plath (Ariel, Arbres d'hiver), Valérie Rouzeau (Pas revoir), Marina Tsvetaeva (Le ciel brûle, Gallimard) , Anne-Lise Blanchard (La beauté qui nous est donnée, Eclats d'encre), Marta Petreu (Poèmes sans vergogne, ed Le Temps qu'il fait) Marilyse Leroux ( Le temps d'ici, ed Rhubarbe), Elisabeth Ouliès (L'aube franchie, Ed Propos de campagne), Chantal Couliou (L'avancée des jours, Eclats d'encre), Anna Akhmatova, (Requiem, Ed Minuit), Angèle Paoli (Solitude des seuils, Colonna Edition), Moe Clark (De sauve et de feu, Ed Maelström), Maram Al Masri (Je te menace d'une colombe blanche ; La robe froissée, Le retour de Wallada), Cathy Garcia (Les mots allumettes, Cardère éditeur) et l'anthologie poétique francophone de voix féminine contemporaine Pas d'ici pas, d'ailleurs conçue par Angèle Paoli et publiée chez Voix d'encre (2013). Des recueils de Guillevic, Jacottet et Le Gardeur de troupeaux de Pessoa écrivaient sans parvenir à calmer le flot quand d'autres restaient bloquées à la surface du dire. Chacune a écrit, ne serait-ce qu'une phrase, où nous pouvions relever une tentative pour dérouler le fil : « Elle est sans fin ma tentative d'embobiner l'existence » Gisèle « Le métier de vie est une floconneuse survie » Karine Chacune avec sa préoccupation du moment ou ce qui pouvait constituer un manque, une souffrance, une difficulté, instaurer un dialogue qui faisait écho de l'une à l'autre, dans une complicité toute féminine : « Dans la lumière de ce jour incertain, je joue à faire des ronds dans l'eau » Monique « Donnons à ces enfants nouveaux-nés en ce monde, l'éternité » Laura « Ménage, vaisselle Corvées de femme Toujours s'enchaînent » Carmen Quand l'écriture devenait évidente, son besoin, flagrant - alors qu'on avait lu le texte de Charles Juliet, un extrait de sa définition de l'écriture, la poésie affleurait : « Au dos des mots, c'est le reflet de nos âmes qui met en lumière notre personnalité »Carmen « Cette symphonie de larmes appelle, interpelle. Intouchables, les vents fabuleux s'installent en nous et nous inondent de ses mouvements éternels. Innocents ! » Isabelle « Soleil se couche Ciel merveilleux Orange et bleu » Kathleen Vent fort vent froid Poussière éclat de pierre C'est la misère » Kathleen « La bien-aimée Retient la coccinelle, Le bonheur reste » Marie Lorsque les mots étaient trop durs à extraire des couches souterraines, certaines appelaient une langue dont elles ignoraient qu'elles possédaient le secret : « La lune et le soleil sous la ligne d'horizon et la fourrure des fumées grises. » Sandrine D'autres allaient chercher dans l'enfance des souvenirs comme des galets perdus dans le sable : « Se promener sur la plage, ramasser les coquillages et nager lentement au bord de la plage » Marie « Dans la lumière calme, voyager » Djemaa La vie toujours portée à bout de bras, toujours à reconstruire, avec son fardeau d'espérance, la vie comme une évidence, parce qu'on sait qu'il faut aller de l'avant, ne jamais s'arrêter en chemin quand l'entraide existe : « Naitre et mourir : grandir, vieillir, rire et pleurer la vie passée, tout est terminé ! » Kathleen « Le silence envoie par écho les premiers et les derniers cris » Karine « Sur les galets bleutés léchés par l'océan Palpite le cœur d'un monde inconnu. » Emmanuelle Je n'ai eu aucun mal et j'ai même pris toujours le même plaisir à cheminer avec elles, prenant des risques parfois dans des propositions qui me paraissaient au départ difficiles. Les défis toujours relevés, je me retrouvais pétrie d'émotions que j'avais parfois du mal à contenir : «... J'ai tout oublié de ce qui faisait ma vie, ma vie d'enfant, elle est derrière maintenant. En tant qu'adulte je dois me comporter. Moi de qui je n'ai pas fini d'apprendre, je sais que j'ai les yeux ouverts à cause des larmes qui en coulent sans cesse. La vie par ses épreuves nous apprend chaque jour à être plus forte malgré les larmes qui coulent de mes yeux ouverts, je veux rester car de cette manière je pourrais affronter et continuer à apprendre de cette vie qui n'est pas toujours très tendre – même s'il en coule des larmes, mes yeux sont ouverts et je veux continuer, je veux rester pour continuer à apprendre pour mieux m'accepter... » Carmen-La mémoire de l'enfance « ...Qu'est-ce que j'ai fait de ma vie ? La femme, la mère, la fille que je suis ? Ces journées que je passe à m'occuper de tout le monde sans penser vraiment à ma vie... »Laura – La vie recommencée « ... des nuits sombres sans éclats, de la tranquillité et surtout des coups de foudre interminables, je pense à l'avenir qui me dit : « maintenant tu as besoin de solitude pour reconstruire ta vie, ton physique, ton psychisme, être dans la sérénité de l'âme, être libre... Etre libre de dire, d'être... » Karine Vivre libre « Ma vie ! Qu'est-ce qu'a été ma vie ? ... de ces nuits dans le vent froid, ne sachant où passer la nuit, affamée, fatiguée, inquiétée, angoissée, d'un nouveau lendemain. Penser à partir, combien de fois y ai-je pensé même peut-être l'ai-je déjà tenté mais j'ai un amour secret que je partage avec cette ville qui m'y retient. Et aujourd'hui je sais reconstruire ma vie, me lever très tôt le matin pour regarder le soleil se lever, voir les oiseaux s'envoler, me retrouver seule à méditer, pendant que ma famille dort encore, toujours pensant aux épreuves passées et combien chaque jour ma vie a pu continuer à évoluer. Moi dont je ne sais rien, mais qui en sais beaucoup sur la vie, j'ai les yeux remplis de larmes, des larmes qui coulent sans cesse, oui des larmes ! Des larmes qui coulent... de joie, de regret, du futur, du passé et du présent. » Kathleen- La vie devant soi « ...Moi dont je ne comprends rien à la logique, je sais que je m'exprime volontiers à cause de la haine sans cesse Je suis présente et en même temps je rêve d'ailleurs, je suis nonchalante, je vais doucement, je prends mon temps... » Marie- La vie doucement Je ne voulais pas recopier tous les textes ici, mais je n'ai pas pu résister à la tentation de vous donner à lire d'une pièce quelques pépites laissées ici et là au cours de ces quatre ateliers. Il en reste à lire, vous pourrez les consulter sur mon site : ici : http://marie873.wix.com/autre-monde ou ici : http://marie873.wix.com/autre-monde#!ateliers-dcriture-en-milieu-scolaire/cqw8