Arts et scènes
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26 Tribune de Genève | Samedi-dimanche 10-11 septembre 2016 Arts et scènes Dans les gradins, les cris couvraient la musique. BETTMANN Deux ans après leur premier 45 tours, les Beatles connaissent un record d’affluence dans le Shea Stadium de New York. GETTY Et soudain le monde a vécu au tempo des Beatles Fan parmi un milliard d’autres, le cinéaste Ron Howard a glané les images inédites des Fab Four en live François Barras P ourquoi un nouveau film sur les Beatles, alors que tout a été montré, défriché, discuté par les protagonistes eux-mêmes dans la somme parue en 1995, cette Anthologie en cinq DVD qui refaisait pas à pas l’histoire des Liverpooliens? La raison économique n’est jamais loin, tant le succès des quatre Anglais franchit les générations et les modes et demeure une source financière inépuisable. En ce sens, Eight Days a Week: The Touring Years ne fait pas l’économie de son pendant discographique, un Live at the Hollywood Bowl sorti en 1977, dépoussiéré et mis sur le marché en même temps que ce nouveau film adoubé par les Beatles survivants (Paul McCartney et Ringo Starr) et la famille des disparus Lennon et Harrison. Accordons pourtant à Ron Howard l’enthousiasme du fan. Facile: avant de devenir réalisateur à blockbusters (Un homme d’exception, Apollo 13, Anges et démons), il avait incarné par son personnage dans Happy Days le stéréotype de ces ados américains qui reçurent en pleine face les franges insolentes des Beatles, le 9 février 1964 à 20 h 12 précisément. Ce soir-là, le «phénomène anglais» est l’invité du Ed Sullivan Show, suivi par environ 70 millions de téléspectateurs. Il joue I Wanna Hold your Hand. Une bombe thermonucléaire aurait eu moins d’effet. Le lendemain, les Beatles, si culotés, si «cool», sont adulés par toute une nation et débutent une tournée faite de cris et de fureur. C’est cette hystérie collective d’une jeunesse d’après-guerre s’autodéterminant en nouvelle classe sociale (du moins économique) que Ron Howard a voulu montrer, en focalisant sur l’aspect «live» de l’histoire des Beatles. Recouverts par les cris L’idée peut séduire. Jusqu’alors, les vidéos du groupe (visibles dans Anthologie) reposaient principalement sur les films promotionnels tournés par le label Parlophone: prestations télé, clips avant la lettre et surtout extraits d’enregistrement dans les studios d’Abbey Road, que le long-métrage Let It Be, en 1969, porta à son maximum de sincérité fragile et tragique (le groupe se sépara peu après). En revanche, on possédait très peu de témoignages des 166 concerts donnés par les Fab Four entre 1962 et 1966, avant qu’ils ne décident d’arrêter les frais devant l’absurdité d’une situation où le public couvrait de ses cris leur musique. Il y a une dizaine d’années, Matthew White, un employé du National Geographic, exhuma dans ses archives de la société un court film documentant les Beatles en escale… en Alaska. Leur avion pour le Japon avait été détourné pour cause de mauvaise météo. Avec l’aide de Neil Aspinall, le gestionnaire de la compagnie d’édition des Beatles, White lança un appel aux bobines oubliées, via The Beatles Live Project. C’est à cette eau que Ron Howard a puisé les images largement inédites de son documentaire. La banque de données a permis de tisser cent minutes sur le fil (de micro) des Beatles sur scène, de leurs prestations à Hambourg sous le nom Silver Beetles (des photos mais nulle image filmée, hélas) à leurs premiers succès chez eux, résidents du Cavern Club de Liverpool, avant de devenir phénomène britannique en 1963 et icônes mondiales l’année suivante. Poussés en studio par la mania Au moins, cette thématique du groupe en tournée rend moins pesantes la chronologie et la dramaturgie propres à ces exercices biographiques aux mains de producteurs hollywoodiens. Les voix off de McCartney et de Starr, les témoignages d’époque de Lennon et de Harrison, les souvenirs de quelques vedettes (Sigourney Weaver, capturée à 14 ans dans le public du Shea Stadium new-yorkais!) et le son restauré illustrent bien la démesure irréelle prise alors par la Beatlemania, et l’obligation pour les quatre Anglais de se réinventer en laborantins de studio. Si l’histoire des Beatles se lit aujourd’hui à travers la qualité de leur legs discographique, c’est aussi parce que le groupe fut contraint de s’y consacrer exclusivement. Derrière les cris et les pleurs de la foule, le film dessine ainsi, en creux, une lecture des chefs-d’œuvre pop à venir. A un niveau plus frontal, il offre un tour de carrousel gorgé de musique et de bons sentiments estampillés d’époque – il faudra attendre les Rolling Stones et le documentaire Cocksucker Blues, six ans plus tard, pour faire sortir des coulisses un peu de sexe et de drogue. The Beatles, Eight Days a Week de Ron Howard. 100’. En salles jeudi 15 sept. La Bâtie «Shooting Stars» déroule son «Multi styles FuittFuitt», ce ruban de Moebius de la danse M is au point par les FrancoSuisses Laurence Yadi et Nicolas Cantillon, FuittFuitt ne s’arrête jamais. Son battement continu ne s’épuise pas. A l’intérieur du corps, à l’extérieur, ni vous ni moi n’en sommes exempts. Il est un état d’esprit: autant entrer dans sa danse. A la scène, Nicolas et Laurence forment une compagnie, née en 2003, et baptisée 7273 en référence à leurs millésimes respectifs. A la ville, ils sont compagnons, et heureux parents de petits jumeaux. Au fil d’une vingtaine de pièces qu’ils ont chorégraphiées et dansées ensemble (on se souvient des plus récents Nil, Tarab et Beyrouth 1995), s’est fait jour leur marque de fabrique conjointe, cette onomatoContrôle qualité L’ondoyante Karima El Amrani, l’assidue Margaux Monetti et la fervente Aline Lopes, trois poulpes dans le ciel. PASCAL GRECO pée d’un frottement éternel: FuittFuitt. Depuis, ils parcourent le monde – le Moyen-Orient, surtout – pour en inculquer aux professionnels comme aux amateurs tant la technique que la philosophie solidaires. Le principe s’inspire de la musique arabe. De ces maqâms équivalents à un quart de ton, qui s’insinuent entre les notes pour occuper tout l’espace mélodique. Ce refus du vide sonore, Laurence Yadi et Nicolas Cantillon l’ont transposé au corps, arrondissant ses articulations dans un mouvement fluide et permanent, dont la grâce garde en mémoire une trace de l’ère classique. Le traitement de texte nous avait appris le copier-coller, il est temps de se mettre au roulercouler du geste. Quelque part entre l’hypnotisme du serpent Kaa, et la nonchalance de Forest Whitaker dans le Ghost Dog de Jarmush. Pour danser Shooting Stars, créé vendredi au Lignon sous l’égide de La Bâtie, elles sont trois interprètes formées au Multi styles FuittFuitt. Trois étoiles filantes glissant dans un ciel laiteux. Elles pourraient tout aussi bien nager en mer profonde, poulpes, méduses ou hippocampes à piles Duracell. Sur la musique efficace du guitariste Sir Richard Bishop, ses tempos marqués, ses cambrures orientales, Karima El Amrani, Margaux Monetti et Aline Lopes louvoient entre les modèles de samouraïs et d’amazones. Leurs doigts, leurs cous, leurs reins, leurs hanches, leurs chevilles épousent la houle. Le remous commence au-dedans, au plus près du cœur et du bas-ventre. Puis il se propage jusqu’aux extrémités, happées dans la transe ouatée. Enfin, par réaction en chaîne, il se répand à l’extérieur, quand le public se sent peu à peu emporter par le reflux visqueux, et qu’il agite en rythme ses éventails – faute de mieux. FuittFuitt? La courroie de transmission qui tourne à l’infini. Katia Berger Shooting Stars Salle du Lignon, sa 10 sept. à 18 h, di 11 à 21 h, lu 12 à 19 h. Workshop FuittFuitt, Maison des arts du Grütli, 2e étage, sa 17 sept. de 14 à 16 h, www.batie.ch