Effets politiques et effets économiques du terrorisme
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Effets politiques et effets économiques du terrorisme
Effets politiques et effets économiques du terrorisme Editorial pour Challenges Denis Kessler Décembre 2015 Les attentats meurtriers qui ont frappé Paris le 13 novembre dernier ont un impact psychologique prégnant sur l’ensemble de la population. Ils engendrent un sentiment anxiogène de vulnérabilité. Chacun se projette aisément dans la situation dans laquelle se trouvaient les victimes et en déduit qu’il ou elle aurait pu également être assassiné ou blessé. On ne voit pas les assassins, ils surgissent de nulle part, de n’importe où. C’est d’ailleurs ce sentiment de vulnérabilité généralisée que veulent précisément engendrer les terroristes : nous sommes tous des victimes potentielles de leur folie meurtrière. On mesure la force de ce choc émotionnel à l’ampleur de la réaction politique que ces événements ont généré. On a décrété sans délai l’état d’urgence, procédé immédiatement à une mobilisation générale, annoncé une réforme de la Constitution, suspendu le pacte de stabilité au profit d’un pacte de sécurité. D’aucuns s’interrogent sur le caractère réactif plutôt que proactif des pouvoirs publics qui ont déjà été confrontés en janvier dernier à une situation analogue. Tout le monde reconnaît que ces attentats ont donc eu un impact politique majeur - toute la Cité a été secouée, et les ondes de choc de ces événements vont continuer à se manifester en France, en Europe et dans le monde. Mais un consensus semble se dégager quant à leurs effets économiques considérés par la plupart des commentateurs comme mesurés. Nous sommes là face à un certain paradoxe entre un effet politique majeur et un effet économique mineur. Certains secteurs – restauration, spectacle, commerce, tourisme en général - sont directement et immédiatement touchés et l’effet de ces attentats est visible, quasi papable, à Paris principalement, mais également dans le reste de l’hexagone. Les dépenses de consommation devraient souffrir et cela contribuera à tempérer une reprise toujours hésitante. Quant aux marchés financiers, ils n’ont pas paru particulièrement affectés, et ont démontré une vraie résilience. Mais les attentats terroristes sont aussi des poisons à effets économiques lents. Ils conduiront à un certain attentisme en matière d’investissement, le temps de voir si la situation se stabilise, et réduiront marginalement l’attractivité du territoire perçu comme plus risqué que d’autres en Europe ou dans le monde. Ajoutons que la forte hausse des dépenses de sécurité consécutive à ce type d’événements ne génère pas de réels gains de productivité, voire même pèse sur les gains de productivité. Les dépenses privées de sécurité représentent une charge aussi bien pour les entreprises affectant leur compte d’exploitation que pour les ménages, affectant leur budget de consommation. Quant aux dépenses publiques de sécurité intérieure et extérieure elles se traduiront par une hausse du déficit public, mais la contrepartie en termes de PIB sera marginale. Bref, un impact économique globalement négatif, mais a priori pas de contraction brutale de l’activité, pas de récession en vue à court terme. Mais ceci ne devrait pas nous conduire à conclure que les attentats sont d’abord et avant tout des événements politiques plus que des événements économiques. En réalité tout dépend de leur gravité. Rappelons-nous les attentats du World Trade Center. Leurs conséquences économiques ont été beaucoup plus graves. La récession a menacé aux Etats-Unis, ce qui a conduit la FED, alors présidée par Alan Greenspan, à pratiquer une politique très accommodante de taux d’intérêt pendant plusieurs années, source des bulles d’endettement qui ont éclaté en 2007 avec les conséquences mondiales que l’on sait. La crise financière est en quelque sorte le résultat médiat du 11 septembre. Et les guerres menées en Afghanistan et au Moyen Orient consécutives à ces attentats ont contribué à un gonflement impressionnant du déficit et de la dette publique… Ne tirons donc pas la conclusion que les attentats ont des effets économiques plus mesurés que leurs effets politiques. Comme souvent dans la réalité, les phénomènes ne sont pas linéaires. C’est d’ailleurs l’enseignement principal de la théorie mathématique des catastrophes. On appelle sous le nom générique d’« attentat » des événements dont la nature peut être très différente et la gravité très variable. Passé un certain seuil de gravité, leurs résonances économiques pourraient être catastrophiques. Les menaces d’un passage à ce qu’il est convenu d’appeler « attentats hyperterroristes » ne doivent pas être écartées, même si la probabilité de survenance de tels événements reste heureusement très faible. Si la folie meurtrière de certains hommes les conduisait à mener des attentats nucléaires, bactériologiques ou chimiques, l’impact économique rejoindrait en intensité l’impact politique. L’hyperterrorisme se traduirait par une hyper réaction économique désastreuse, tétanisant activité, consommation, investissement et marchés. A cet égard les dépenses élevées engagées pour éradiquer le terrorisme, toujours susceptible de monter dans l’échelle de l’horreur, surtout si les terroristes disposent des moyens d’un Etat, pourraient s’avérer le meilleur investissement pour protéger l’humanité.