De l`impuissance de l`enfance à la revanche par l`écriture Guinoune

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De l`impuissance de l`enfance à la revanche par l`écriture Guinoune
De l'impuissance de l'enfance à la revanche par l'écriture
Guinoune, Anne-Marie
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2003
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Guinoune, A-M. (2003). De l'impuissance de l'enfance à la revanche par l'écriture: le parcours de Driss
Chraïbi et sa représentation du couple Groningen: s.n.
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Annexes
ANNEXE 1 :
G L O S S A I R E D E M OT S A R A B E S
ANNEXE 2 : ROMANS ET RECUEILS DE NOUVELLES. 1945-1972. EXTRAIT
J E A N D É J E U X 1 9 7 3 , L I T T É R AT U R E M A G H R É B I N E D E L A N G U E
F R A N Ç A I S E . O T TA W A . N A A M A N , P P. 3 0 - 3 2
DE
ANNEXE 3 :
CHRAÏBI
H I S TO R I Q U E D E S É T U D E S Q U I O N T É T É M E N É E S S U R
ANNEXE 4 : EXTRAIT DE SUCCESSION
D R I S S C H R A Ï B I , P P. 2 9 - 4 4
ANNEXE 5 : EXTRAIT DE NAISSANCE
D R I S S C H R A Ï B I , P P. 4 7 - 5 3
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O U V E RT E .
À L’ A U B E .
DRISS
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Annexe 1
GLOSSAIRE
D E M OT S A R A B E S
La langue arabe n’utilisant pas notre alphabet latin, les mots et noms arabes transcrits en
français ne sont que la figuration graphique des prononciations entendues et varie selon
l’époque et le transcripteur. L’arabe a des phonèmes que notre alphabet restitue mal. Qu’on ne
s’étonne pas, par exemple, de voir écrit Muhammad ou Mohammed ou encore Mahomet 834.
Almoravides: (1056-1147) la première grande dynastie maghrébine d’origine subsaharienne qui
réussit, au nom d’une ritba (lien) qui devait unir ses membres, à imposer l’Islam au Maghreb
et à toute la péninsule Ibérique.
Cadi: juge des affaires familiales
Chari’a: loi islamique représentant la “Voie tracée” par les Ancêtres à laquelle tout Musulman
doit adhérer. C’est aussi un corpus de textes anciens sur lequel se fonde le juriste musulman.
Comprend les textes fondamentaux (Coran, hadiths) et les jurisprudences de la Sunna, Quiyas
(Raisonnement analogique) et Ijma’ (consensus omnium). La nier est un sacrilège. Accorde
tous les droits au chef de famille, entre autres droit unilatéral à la polygamie et à la répudiation.
Coran ou Qor’ân: signifie la récitation. Ensemble de textes dictés par le Prophète à ses
Compagnons, qu’ils apprenaient par coeur.
Fiqh: système juridique traditionnel, il comprend toutes les disciplines du droit musulman. Par
extension dans le langage courant désigne celui qui enseigne aux enfants la religion.
Hadith: Dires, propos, récits attribués au Prophète et recueillis par un auditeur qui l’a
retransmis
Hadj: celui qui a fait le pélerinage à la Mecque
H’chouma: la honte, sentiment régulateur des comportements sociaux
Hégire : installation à Médine de Mahomet, exilé de la Mecque ; début de l’ère musulmane
(622 dans le calendrier chrétien)
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H’jab: texte du Coran sur un morceau de tissu ou de papier servant de talisman
Imam: Chef spirituel et temporel du “clergé” musulman
Iman: la foi
Islam: soumission à Dieu
K’tba: écriture
Loi Islamique: ensemble de prescriptions juridico-religieuses qui régissent la Communauté des
Croyants. Elle repose sur le Coran et la Sunna pour l’essentiel.
M’sid: école coranique
Muezzin : préposé à l’appel à la prière
Musulman: celui qui se soumet à Dieu est muslim
Mektoub: littéralement “c’est écrit”
Ramadhan: mois de jeûne rituel, 9e de l’année islamique, c’est le mois sacré par excellence car
c’est durant ce mois que le Coran fut révélé au Prophète
Sunna: recueil de hadith
Umma ou Oumma : communauté des croyants
N OT E
834
André Jouette 1993, Dictionnaire d’Orthographe et Expression écrite. Le Robert. Collection “les usuels”.
Nous utilisons les définitions de Malek Chebel 1995, Dictionnaire des symboles musulmans. Albin
Michel.
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Annexe 2
ROMANS ET RECUEILS
1945-1972.
DE NOUVELLES.
Extrait de Jean Déjeux 1973, Litérature maghrébine de
langue française. Ottawa. Naaman, pp. 30-32
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Annexe 3
H I S TO R I Q U E D E S É T U D E S
D E D R I S S C H R A Ï B I 835.
Q U I O N T É T É M E N É E S S U R L’ O E U V R E
Thèses de troisième cycle soutenues portant sur Driss Chraïbi
Basfao, K., Lecture/écriture et structure(s) du texte et du récit dans l’oeuvre romanesque de Driss
Chraïbi. Aix-Marseille. D3 en 1981 et repris en TDE en 1988.
Benabada, A., Analyse sémio-linguistique de La Mère du Printemps de Driss Chraïbi. DNR
Toulouse2.1989.
Benchama, L., L’oeuvre de Driss Chraïbi, réception critique au Maroc et critique de son idéologie.
D3, Paris 4.1991.
Bencheikh, M., Etude du temps, de l’espace et de l’énonciation dans Le passé simple de Driss
Chraïbi. D3. Paris3. 1984.
Bentaibi, A., Recherches sur l’oeuvre de Driss Chraïbi, du Passé simple à La Mère du Printemps :
une quête de synthèse entre l’Orient et l’Occident.. D3 Tours, 1987.
Dubois, L., La symbolique du voyage dans l’oeuvre de Driss Chraïbi.. Bordeaux3. 1985.
Faik, K., La fonction narrative du personnage dans le cycle romanesque marocain de Driss Chraïbi.
D3 Bordeaux3. 1990.
Fouet, J., Aspects du paratexte dans l’oeuvre de Driss Chraïbi. DNR. Besançon. 1997.
Haouach, A., Essai d’analyse du personnage dans Le passé simple, Les Boucs et Succession ouverte
de Driss Chraïbi, Paris 13.1994.
Kadra-Hadjadji, H., Contestation et révolte dans l’oeuvre de Driss Chraïbi, Alger/Paris. 1986.
Legras, M., Approche narratologique d’un roman de Driss Chraïbi : Les Boucs. D3 Bordeaux3.
1983.
Mahfoud, A, L’itinéraire de la révolte dans la trilogie romanesque de Driss Chraïbi: Le passé
simple, Les Boucs, Succession ouverte. DRA. Tunis. 1989.
Merino Garcia, L., L’univers narratif de Driss Chraïbi dans l’espace littéraire maghrébin de langue
française. Universita autonoma de Pedro, Espagne. 1996.
Projoguina, S., Driss Chraïbi.Moskou. 1986.
Saady, O., Société et Islam dans l’oeuvre romanesque de Driss Chraïbi, DNR. Nice.1994.
Seidenfaden E., Ein kritischer Mittler zwischen zwei Kulturen: der Marokkanische Schriftsteller
Driss Chraïbi und sein Erzahlwerk. Bonn. 1990.
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DEA, DESS, CAR
Berton O., Histoire et mythe dans La Mère du Printemps de Driss Chraïbi. DEA Bordeaux3.1991.
Chiguer, A., La problématique de la réception du texte littéraire: l’exemple du paratexte dans Le
passé simple de Driss Chraïbi. DES. Rabat. 1990.
Delayre, S., Transmodalisations dans l’oeuvre de Driss Chraïbi. DEA Bordeaux3. 1999.
Le Duff, N., Les berbères chez Driss Chraïbi, de l’histoire au mythe. DEA. Paris7. 1988.
Lahbil, L., Propositions d’une lecture de l’espace dans un roman de Driss Chraïbi, Une enquête au
pays. DEA, Paris13. 1988.
Mekkaoui, F., Analyse du discours idéologique de trois romans de Driss Chraïbi: Le passé simple,
Les Boucs, Une enquête au pays. Constantine. Magister. 1995.
Nassar, (Hadj), La religion de Driss Chraïbi, , DEA. Bordeaux3. 1986.
Nasr, F., La révolte des iconoclastes dans l’oeuvre de Driss Chraïbi. Ph.D. Tanta, Egypte. 1996.
Sayadi, H., Le pouvoir, le savoir et le vouloir dans Le passé simple de Driss Chraïbi. CAR. Tunis.
1987.
Slimane, H., Récit et mémoire dans Succession ouverte de Driss Chraïbi. CAR. Tunis. 1992.
Zakaria, H., L’image de la femme marocaine dans Le passé simple et Succession ouverte de Driss
Chraïbi. Ph.D Zgazig, Egypte. 1995.
Travaux comparatifs
Bakhouch, M., Récit et personnage de l’immigré dans les textes maghrébins: Chraïbi, Boudjedra,
ben Jelloun, Kateb. Aix-Marseille1. 1985.
Belaidi-Guerfi, A., Jeux et enjeux du “je”dans Le passé simple de Chraïbi et La mémoire tatouée
de Khatibi. DEA Paris4. 1996.
Boukhari, A., Le père dans Le noeud de vipère de Mauriac et Le passé simple de Driss Chraïbi.
Tunis,1989.
Demulder, T., Révolte et quête des racines culturelles dans l’oeuvre de Driss Chraïbi et de la peinture
d’A. Cherkaoui. Grenoble3. Maîtrise 2000.
Khateb, L., La quête du père dans Le passé simple de Driss Chraïbi et dans L’Impasse de Mahfouz.
DEA. Paris13. 1992.
Mezgueldi, Z., Parole-mère et écriture marocaine de langue française : Le passé simple, La
mémoire tatouée, Harrouda, Le déterreur. D3. Lyon2. 1983.
Olivato, A., La circularité. Une lecture de Boudjedra et de Naissance à l’aube de Driss Chraïbi,
Padoue. 1994.
Valat, C., Etre, histoire et sacré dans Une enquête au pays de Driss Chraïbi et La prière de l’absent
de Ben Jelloun. DNR, Toulouse Le Mirail. 1996.
El Zemouri, M., Le berbérisme dans la littérature maghrébine française. Le cas de Driss Chraïbi,
Mohammed Khaïr-Eddine, Yacine Kateb, Nabile Farès. TDE, Tétouan, 1997.
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Thèses de troisième cycle incluant le travail de Driss Chraïbi
Alaoui Y., K.Lalla, L’Islam en question dans la littérature maghrébine d’expression française.
Toulouse 2. 1993.
Arnaud, J., Recherches sur la littérature maghrébine de langue française. Université Paris III. 1978.
Benarab, A., Les voix de l’exil. Edité chez L’Harmattan. 1995.
Benzakour, A., Regards sur la femme dans la nouvelle et le roman marocains de langue française.
TDE, Aix-marseille.1987. Publié en 1992 : Images de femmes, regards d’hommes.
Biari, A., L’image de l’immigré dans le roman maghrébin de langue française. Bordeaux3. 1982.
Bouguarche, A., Aliénation et présence de l’Autre : analyse socio-politique de la littérature
maghrébine de langue Française. Phd. 1993.
Chedly S., Ecritures et ironies maghrébines : le cas de Driss Chraïbi et d’autres écrivains
maghrébins. Lyon 2000.
El Hachemi, R., Le personnage de la femme dans le roman marocain d’expression française.
Toulouse2. 1985.
Khaldi, L., Les rapports mère-enfants dans le roman marocain d’expression française. Paris7. 1991.
Laqabi, S., L’ironie dans le roman maghrébin de langue française des années 80, Paris13. 1996.
Madelain, J., La recherche du royaume. Essai sur la spiritualité maghrébine dans les romans
algériens et marocains de langue française. D3. Bordeaux3. 1980.
Montserrat-Cals, C., Le rôle et l’image de l’enfant dans le roman marocain de langue française,
DNR. Toulouse2. 1989.
Michel-Mansour, T., La portée esthétique du signe dans le texte maghrébin, Paris. 1994.
O’Dowd Smyth, C., Le silence dans la littérature maghrébine de langue française. DEA. Cork,
Irlande.1995.
Quetier, O,. Une littérature de l’exil : les romanciers marocains de langue française. D3.
Bordeaux3. 1988.
Saigh, R., Figure de l’immigré dans quelques romans d’auteurs maghrébins de langue française. D3.
Toulouse2 .1980.
Tenkoul, A., Littérature marocaine d’écriture française. Essais d’analyse sémiotique, Casablanca.
1985.
Yetiv, I., Le thème de l’aliénation dans le roman maghrébin (1952-1956) Sherbrooke. 1972.
Thèses et travaux non soutenus.836
Gérontocratie et révolte à travers le discours chez Driss Chraïbi et Rachid Boudjedra.
La construction du moi dans la littérature marocaine d’expression française.
Le bilinguisme dans Une enquête au pays et La Mère du Printemps de Driss Chraïbi.
Le rapport à l’Occident de Tahar ben Jelloun et Driss Chraïbi.
L’autobiographie dans la littérature marocaine moderne.
Représentation de l’Autre dans Succession ouverte de Driss Chraïbi.
L’identité de l’intellectuel dans l’oeuvre romanesque de Boudjeda et de Chraïbi.
L’interculturalité dans les textes de Driss Chraïbi.
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Driss Chraïbi. L’oeuvre romanesque. Ecriture et contact des langues dans la littérature
maghrébine de langue française.
La nourriture dans le roman marocain de langue française : mode d’expression et valeur sociale.
Poétique de l’immigration.
L’image de l’enfant dans la littérature maghrébine de langue française, le cas de Boudjedra et
de Chraïbi.
Analyse du discours sur la mère dans Le passé simple, La Civilisation, ma Mère de Driss Chraïbi.
L’image de la femme chez Driss Chraïbi.
Les personnages féminins dans les trois premiers romans de Driss Chraïbi.
La condition de la femme au Maroc. Etude littéraire et sémiologique. Driss Chraïbi, Le passé
simple, La civilisation, ma Mère, Tahar Ben Jelloun, Harrouda et Rachid Boudjedra, La
répudiation.
L’espoir et le désespoir dans Les Boucs de Driss Chraïbi.
La réception critique des Boucs de Driss Chraïbi en France.
N OT E S
835
836
Source : Limag, banque de données regroupant toutes les parutions qui concernent la littérature
maghrébine de langue française.
Les travaux n’ayant pas été publiés, nous préférons respecter l’anonymat des auteurs
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Annexe 4
EXTRAIT
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DE
SUCCESSION
OUVERTE.
DRISS CHRAÏBI,
P P. 2 9 - 3 6 .
-J’ai lu vos livres, poursuivit l’homme qui s’était assis à côté de moi. (Il m’avait offert une tasse de café
et j’avais refusé. Une cigarette, un bonbon à la menthe, sa carte de visite –sans plus de succès : les géophysiciens m’ont appris naguère, au temps où j’avais soif de savoir plutôt que d’apprendre, que l’homme
s’était épanoui à l’âge des glaciations, une espèce de réaction contre le froid.) J’ai étudié votre oeuvre avec
toute la profondeur qu’elle mérite. Une chose me frappe : dans tous vos livres, le héros est un artiste. Et
l’artiste, n’est-ce pas…
Le reste de son discours se perdit je ne sais où, peut-être dans les éclats de rire qui fusaient dans
mon dos, peut-être aussi dans le ronronnement feutré des moteurs. Sa voix était aussi chaude que la
main qu’il avait posée au moment où l’avion prenait son envol –et, depuis, il l’y avait laissée. C’était un
de ces innombrables intellectuels qui avaient hanté ma solitude, un homo sapiens miserabilis. Il m’avait
reconnu mais il n’aurait pas reconnu son boucher, il avait lu mes livres et m’entourait d’une sollicitude
fraternelle en me parlant de littérature et d’artistes.
L’hôtesse de l’air allait d’un fauteuil à l’autre, le bras chargé de plateaux. Quand elle se
penchait,quand elle tendait un plateau, quand elle se relevait, c’était comme si elle dansait. Elle avait des
gestes lents et gracieux et le sourire qui inondait sa face était un petit soleil. Elle arriva à ma hauteur et,
du coup, ce fut un autre visage, dramatisé soudain, et comme pétri dans l’argile. Par-dessus ma tête, elle
fit passer un plateau à mon compagnon et disparut de mon champ de vision. A moi, elle n’accorda pas
un regard. Je l’avais prévenue. Un quart d’heure avant le départ, je m’étais dirigé vers elle et, sans dire
un mot, je lui avais remis une feuille de papier pliée en quatre sur laquelle j’avais tapé à la machine des
mots très simples, afin qu’elle pût comprendre aisément : “JE NE MANGE PAS. JE NE BOIS RIEN.
JE NE FUME PAS. JE N’AI BESOIN DE RIEN. LAISSEZ-MOI DANS MON COIN, JUSQU’A
L’ARRIVEE. S’IL VOUS PLAIT. MERCI. DITES-LE A VOS COLLEGUES. S’IL VOUS PLAIT.
MERCI.”
-Il y a l’engagement, n’est-ce pas ? monologuait l’ homo sapiens. La participation aux problèmes de notre
temps. Le problème de l’action prime tous les autres, n’est-ce pas ? Mais vous allez voir, cher ami, que
même cette action est dépassée. Prenez Malraux par exemple. On a prétendu qu’il y avait deux Malraux,
le jeune et le vieux, le vivant et le mort, l’actif et le passif, l’homme du combat et l’homme de l’art. Mais
je vais vous démontrer qu’il n’y en a jamais eu qu’un seul, un homme logique avec lui-même, un homme
homogène, en un mot un artiste.
A un jet de salive, devant moi, il y avait un couple mixte. L’homme était jeune, extérieurement
tout au moins. Avec des cheveux noirs, frisés et brillants, avec une moustache mince comme du coton
à repriser et une panoplie de stylographes agrafés à la pochette de son veston. Il parlait à voix haute,
décrivait en poète l’immense domaine de son père, prenait une orange et, la pelant à coups de pouce,
s’écriait : “Oh, là là, chez nous au Maroc ça s’achète au tas, ça se donne. Tu verras chérie tu verras.” La
femme riait. J’entendais son rire, je ne le voyais pas. Derrière ses lunettes à monture dorée, ses yeux de
myope étaient peureux. C’était une de ces phobo-obsessionnellles dont parlent les psychanalystes, que
j’avais connues, et aimées, au cours de mon long séjour en Europe : la phobie du sexe tourné en dérision,
la peur des changements, la peur surtout de la mort contre laquelle on s’assure par tous les moyens.
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Ordonnées et méthodiques dans leur travail comme dans leur vie privée, consciencieuses et réalistes,
symboles de cet Occident qui m’avait rendu adulte. Elle avait des mains qui eussent inspiré un Rodin,
une poitrine tendue comme une paire de lévriers en laisse, tendue par la vie qu’elle s’acharnait à tuer en
elle à tout moment, et une chevelure longue, très longue, tombant sur ses épaules, sur son fauteuil, sur
le bras de son mari, comme une coulée de bronze. L’homme parlait et elle riait froidement, sans qu’il en
parût une seule trace sur son visage. Seules, ses mains, parfois, se refermaient sur la main de son mari et
la pétrissaient, tandis qu’il levait vers elle un visage d’idolâtre prêt à massacrer toute une tribu pour
l’amour d’une femme.
Je me surpris à sourire. Et peut-être était-ce à elle que je souriais. Par le hublot, vu à dix mille
mètres d’altitude, quand s’effrangeaient les nuages en un long voile moiré et plein de déchirures, ce pays
auquel j’avais cru et croyais encore et qui défilait sous mes pieds à huit cents kilomètres à l’heure se
réduisait somme toute en une carte géographique, avec des cours d’eau et des bandes de verdure dont
avaient rêvé mes aïeux au cours des siècles. Mais où était donc l’humain ?
Je me souviens. On ne devrait jamais se souvenir. J’étais entré dans ce pays comme on entre dans
la vie. Riche d’argent et d’espérance. Riant à gorge déployée, ardent et sensible, venant d’un passé
simple, si simple et si élémentaire que l’histoire des hommes s’étaient chargée de le mettre à bas à coups
de bombes et de haines. Seule a survécu en moi la sensibilité. La violence de la sensibilité. Je l’ai toujours
portée en moi, de plus en plus violente et muselée, à mesure que s’effritait ma capacité de croire et que
s’entassaient les morts. Elle est là, dans mon crâne, dans mes mains, dans mes yeux. C’est pour cela que
je surveille mes mains à chaque instant et que je porte des lunettes noires que je n’enlève que la nuit,
dans mon lit, quand je suis sûr que je peux enfin dormir. Le pire attentat, c’est l’attentat à l’âme. Peu
importent le corps et la faim du corps. Il faut des bases pour ce qu’on appelle une vie d’homme. Et,
quand ces bases viennent à manquer, quand vous les voyez là, à vos pieds, vieilles et pourries alors qu’on
les croyait d’acier, je vous jure que vous êtes prêt à n’importe quel meurtre. Ce qui m’a sauvé, c’est
l’héréditaire patience. Mais dela m’a coûté ma foi.
Ah ! vous êtes de ces gens qui font comme ça ? Cette phrase, je l’ai entendue il y a des années. Ma
mémoire me survivra. Oui, j’étais de ces gens qui font comme ça, qui lèvent les bras au ciel et se
prosternent en direction de la Mecque. J’ai regardé la femme qui me questionnait ainsi, le jour même
de mon entrée en France, dans un vestibule d’hôtel. Je l’ai regardée comme on regarderait une mère. Je
voulais bien qu’on me protège, qu’on me colonise, me civilise, me donne un brevet d’existence, mais ça ?
Un visage carré et plat comme une tête de veau à l’étal, et qui riait, avec des yeux de veau ? Ce pauvre
type pas plus haut que le comptoir et qui trempait sa moustache dans son verre de vin blanc à six heures
du matin, ça ? Ces bourgeois, ces marchands, ces fonctionnaires de la vie noyés dans la tourmente de
leur propre existence et qui, à plus forte raison, n’avaient que faire de s’intéresser à des gens qui n’étaient
pas faits comme eux, qui ne parlaient pas leur langue, n’avaient pas leur mentalité, leur religion, leur
peau ? Je suis allé d’année en année, de département en village, les bras tendus en avant, une sorte de
nomade sans bâton et sans Bible et criant par tous mes pores, par tous mes cheveux : “ J’ai tourné le dos
à une famille de bourgeois et de seigneurs et quelle famille, quel monde vais-je trouver ici ? J’ai claqué
toutes les portes de mon passé parce que je me dirige vers l’Europe et vers la civilisation occidentale et
où donc est cette civilisation montrez-la-moi, montrez-m’en un seul gramme je suis prêt à croire je
croirai n’importe quoi. Montrez-vous, vous les civilisateurs en qui vos livres m’ont fait croire. Vous avez
colonisé mon pays, et vous dites et je vous crois que vous êtes allés y apporter la lumière, le relèvement
du niveau de vie, le progrès, tous missionnaires ou presque. Me voici : je suis venu vous voir dans vos
foyers. Sortez. Sortez de vos demeures et de vous-mêmes afin que je vous voie.”
[…] Voici : j’ai vu des pauvres types, de pauvres bougres à un bifteck par mois qui devenaient
subitement des colons quand ils avaient affaire à d’autres pauvres types ou pauvres bougres à zéro bifteck
par an, mais qui n’avaient pas la chance d’être faits comme eux. Alors que signifient ces idéologies des
lendemains qui chantent ?
Voici : j’ai discuté avec des intellectuels, de ceux qui se targuent d’être à l’avant-garde de notre
époque. Ils m’ont donné des conseils pour écrire, pour “percer”, pour faire carrière dans la littérature.
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Annexe 5
EXTRAIT
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15
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25
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DE
NAISSANCE
À L’ A U B E
. DRISS CHRAÏBI,
P P. 4 7 - 5 3
“ Par ceux qui sont envoyés vague après vague souffler la tempête, par ceux qui se déploient et séparent et
lancent le rappel, oui, ce qui vous est promis va venir ! Il viendra quand s’effaceront les étoiles, quand se fendra
le ciel, quand les montagnes se pulvériseront, quand l’heure sera signifiée aux messagers. A quand le jour
d’échéance ?…”
L’échéance était arrivée, à jamais changeaient la face et l’âme du monde : à peine né, l’Islam avait
déferlé, fulgurant, aux quatre horizons, telle une marée de feu. Et ses fils, fils du désert et de la nudité,
le portaient toujours plus loin dans l’espace et plus profond dans le temps, par le verbe et par l’épée et
par le martèlement continu des sabots de leurs chevaux lancés au triple galop – certains qu’ils étaient,
de science certaine, que le soleil avait éclaté le jour même de l’Hégire et que chacun de ses éclats avait
pénétré en eux, dans leur poitrine, et avait remplacé leur coeur fait de chair et de sang.
“Mon temple est l’univers et Mon autel est le coeur de l’homme !” Mus par la parole divine de la
moelle de leurs os à la portée de leur regard aigu, projetés vers l’avenir debout sur leurs étriers, ils
n’avaient de patrie que l’Islam. Et cette patrie était en eux d’abord, à l’est comme à l’ouest, sur terre ou
sur mer. Chaque cavalier, chaque monture était un messager de Dieu, porteur du Message. Croulaient
les empires séculaires qu’on avait crus bâtis sur du roc, poudroyaient les décombres des valeurs dont les
fondations n’étaient qu’humaines. De l’océan Indien à l’océan Atlantique, désormais ne pouvait plus
flotter une simple planche, si elle n’était pas musulmane.
Avec infiniment plus de recul que les vainqueurs ou les vaincus de trois continents, un homme
qui parcourait paisiblement la terre depuis le dernier quart du VIIe siècle était témoin de l’avènement
de l’événement. Témoin par tous ses sens, sans un seul mot. Au nom d’Allah tout de clémence et de
miséricorde, le bourreau lui avait tranché la langue –cette langue berbère qui avait allumé et attisé la
révolte dans les termes mêmes du rituel coranique. Et puis, toute vivante encore, il l’avait laissée choir
du haut d’un minaret, à l’heure de la prière. Autour de la mosquée, d’immenses parterres de fleurs
rendaient grâce au Créateur dans le mauve des mauves, dans le rouge vif des hibiscus, le feu des balisiers,
le chant multicolore des calcéolaires et des phlox. C’était un soir de printemps.
Des souffrances et des années plus tard, l’homme sans parole cheminait le long de la route pavée
qui montait vers Cordoue, à pas lents, patients, presque inconsistants, par cette aube naissante de l’an
de grâce chrétienne sept cent douze –un vieillard aux confins de la vieillesse, très fragile d’apparence, très
vivant au- dedans. Ce qu’il ne pouvait plus exprimer avec la langue des hommes s’était décanté en lui
au fil du silence. Le silence des mots lui avait donné en fin de compte le bien le plus précieux : la capacité
d’être seul et sans solitude. Il lui avait comme affûté le regard et l’ouïe, avait débarrassé ses pensées de la
gangue du langage et les avait si bien acérées qu’elles arrivaient parfois à descendre jusqu’au bout de ses
doigts, au contact d’une main tendue vers lui. L’âme des âges païens circulait à flots dans ses veines,
tandis qu’il suivait inlassablement la piste de la vie, marchant sur les talons de l’Histoire. Si celle-ci avait
commencé avec la religion nouvelle et était en train de se construire sous ses yeux, il ne pouvait qu’en
reconnaître la réalité et la splendeur. Mais lui, Azwaw Aït Yafelman, le Fils de la Terre, il venait de plus
loin que l’Histoire, de ce qui avait précédé toutes les sociétés humaines et leur survivrait probablement
à toutes un jour : l’animalité. Centenaire errant dans l’Empire islamique, il était beaucoup plus attentif
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aux racines d’une civilisation qu’à sa cime ou à ses fruits. Comme un chêne ou un séquoia qui aurait
traversé les siècles, il ne se fiait qu’à un seul maître, souverain de tout ce qui naît, vit, puis meurt : le
Temps.
Petit, ratatiné, aussi sec et noueux qu’un gourdin en bois d’arganier. Crâne chauve, barbe d’un
blanc de lait, clairsemée. Sandales de cuir dont les lanières étaient enroulées jusqu’aux genoux. Drapé
dans une pièce de laine écrue sans coutures ni manches, à la façon des Bédouins moudarites qui, quelque
trente années auparavant sous les ordres du légendaire émir Oqba ibn Nafi, avaient tout balayé devant
eux en une gigantesque chevauchée de la Tripolitaine à l’embouchure de l’Oum-er-Bia, au bord de
l’Atlantique.
Derrière l’homme, à une dizaine de brasses, une chamelle au pis gonflé, précédée par son ombre
sur près d’une encablure dans le soleil levant. Sanglée, avec deux outres gargoulantes sur ses flancs. Entre
ses bosses, l’étendard vert du Prophète et, arrimé par-dessus, un luth à cinq cordes. Autour de son cou,
un chapelet en noyaux de dattes, des amulettes en colliers, des clochettes allègres de cuivre, de bronze et
d’argent. Sous le ruminant, un chamelon couleur de sable, de la taille d’un âne efflanqué, flageolant sur
ses longues pattes dont il ne savait que faire. Paupières mauves frangées de cils noirs, mufle rose accroché
à tout moment à un mamelon –de sorte que sa mère était parfois obligée de le traîner fixé ainsi à elle.
La plupart du temps, elle faisait halte pour le laisser boire tout son saoul. Puis elle poussait un léger
blatèrement comme un signal sans rémission, elle agitait la queue en guise de fouet et rejoignait le vieil
homme en quelques enjambées.
Azwaw n’interrompait jamais sa marche, ne se retournait même pas. Il voyait bien l’ombre de la chamelle
s’écourter devant lui – et toutes ses rides se mettaient alors en mouvement, du cou vers la base du nez
et du front vers les lèvres, telles les alluvions d’un delta, donnant naissance à un sourire ouvert, épanoui.
La vie était la vie ! Et elle était d’autant plus belle qu’elle ne faisait que commencer, aiguë, avide et
triomphante. Ce petit animal n’avait pas plus de huit jours d’existence. Il avait failli venir au monde
mort-né. La créatrice de ses jours était tombée dans un fossé de feuilles décomposées et de fange, s’y était
roulée haletante, bouche ouverte et sèche, là-bas, en aval du Guadalquivir…
Azwaw n’avait pas hésité un souffle. Animale ou humaine, une femelle était une femelle, sans
différence aucune dans la procréation. Quelquefois, il fallait l’y aider, lui prêter une main d’homme.
Jusqu’au coude, puis jusqu’à l’épaule, il avait plongé le bras dans l’utérus, puis dans la matrice brûlante
et palpitante, y avait retourné le chamelon qui était mal placé, les membres et le cou comme noués.
Lentement, de ses doigts bien écartés et mi-repliés, très lentement, il l’avait fait sortir par la tête vers la
lumière qui pleuvait du ciel en une cataracte éblouissante. Lui, l’homme du Maghreb habitué à vivre
sous le soleil, il ne voyait qu’une forme floue aux mouvements mous à travers un arc-en-ciel liquide : dès
qu’il l’avait touchée de l’index, la poche avait crevé et les eaux de la naissance mêlées du sang de la vie
l’avaient inondé des yeux aux orteils.
Narines ouvertes et frémissantes, tel un primate des Temps antiques, il respirait à pleins poumons
cette odeur femelle d’humus, de désir et de don – la même odeur païenne qui surgissait soudain de son
très lointain passé, chargée de jouissance et de vase : la vase de son fleuve natal l’Oum-er-Bia où il avait
appris à nager comme un flétan avant que de savoir marcher ; la jouissance d’entrailles des femmes avec
lesquelles il s’était mélangé et qu’il avait emplies sans mesure de sa semence (sa première épouse qui était
morte un soir d’été en plein orgasme avec un curieux couac, la seconde qui s’enveloppait toute avec sa
toison d’or comme d’une couverture et dont il activait le ventre de ses mains pour le préparer à l’acte,
sa fille Yerma surtout qui lui ressemblait sexe pour sexe). A toute heure du jour et de la nuit, partout où
son membre le soulevait debout ou le précédait, dans le patio à ciel ouvert sur une couche en peaux de
vache qui fleurait bon le bovidé, dans la prairie grasse à flanc de coteau où l’on enterrait les morts, tout
en haut d’un vieux figuier souriant qui s’arrangeait immanquablement pour lui présenter entre les deux
yeux, au moment du spasme, une figue bien gonflée, juteuse à point, fendue en rouge comme une vulve.
Et, toujours vivaces, jamais oubliés, renaissaient au galop les effluves du village d’Azemmour que les
cavaliers de l’émir Oqba avaient détruit jusqu’aux fondations par un lumineux matin de l’an 681. Sur la
grand-place, deux hommes dans la force de l’âge agrippent chacun un bras de l’étau du pressoir et
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donnent un tour de vis. S’élève alors l’odeur femelle de l’huile d’olive que la brise marine porte par pans
vivants vers les collines, avant que l’huile elle-même coule dans le fût, épaisse et noire, avec parfois des
couleurs de miel, là danse un rayon de l’astre du jour ; sous un auvent près du port, la forge martelante
et étincelante, avec son odeur de charbon de bois et de bouse qui prolonge la vie de la braise ; joyeuse,
tourne et tourne la meule dans le moulin à aubes, et, des maisons basses en torchis à la cime des plus
hauts arbres, tout le quartier environnant est blanchi et parfumé par la poudre d’orge, jusqu’aux cils des
passants ; des galettes d’orge à l’oignon grésillent doucement sur des pierres plates chauffée à blanc ;
jacassantes, riantes et pulpeuse du printemps qui les habite, un groupe de filles nubiles pétrissent des
boules d’argile humide à senteur de rut, les ouvragent en plats, en pots, en cruches ; à portée de leur rire,
devant la Maison du Feu où elles passent la nuit pour réchauffer leurs os hiver comme été, les Anciennes
de la tribu trempent les bras jusqu’aux coudes dans des jarres aussi hautes qu’elles, en tirent des lanières
de viande dégoulinant de jus et d’aromates, les suspendent sur une corde tendue entre deux sycomores
en fleur. D’espace en espace, assourdissants, les envols du peuple des oiseaux, mouettes par légions,
ramiers, ibis, malures, corbeaux-craves à bec jaune, paradisiers d’un rouge flamboyant. Sur les rives,
parmi les ajoncs, des jardins de flamands roses dont pas un ne bouge. Et, lent, lourd comme le sang dans
les veines d’un vieillard, le clapotis de l’Oum-er-Bia en amont du village, puis son mugissement à
l’embouchure, là où ses eaux bouillonnantes se mélangent au flux de l’océan…
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