Des festivals, des centres de recherche, des structures
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Des festivals, des centres de recherche, des structures
Barbara Layne Jacket Antics Les vêtements “intelligents” de Barbara Layne affichent des messages envoyés en temps réel par ordinateur et sont capables de “communiquer” entre eux par simple contact. © M. Siegel Montréal la numérique Des festivals, des centres de recherche, des structures dédiées et des financements publics, tout est réuni pour faire de Montréal la capitale des arts numériques de l’Amérique du Nord. Une effervescence créatrice qui attire aujourd’hui les meilleurs artistes et les chercheurs les plus expérimentaux. Le ‘‘grand public’’ reste Par Laurent Catala encore à séduire, mais la dynamique est là. : 38 7.2010 La création artistique numérique la plus actuelle, mettant les nouvelles techno logies – et évidemment l’ordinateur – au centre physique et conceptuel de la réflexion et de la production d’une œuvre, a trouvé à Montréal un havre propice. Lieux de création, centres de recherche artistique hybrides, festivals et artistes s’y organisent dans un maillage d’initiatives et de projets qui tend à faire de la capitale québécoise la plate-forme des arts numériques sur le continent nord-américain. Un existant émi nemment positif et dynamique qui doit désormais servir de base à de nouvelles réflexions, et notamment à la façon dont pourraient être façonnés l’espace public et la ville de demain. En matière d’arts numériques et électro niques, Montréal aligne un nombre de lieux et de structures de création, de recherche et de diffusion proprement sidérant. Une réalité qui vaut à la ville d’être souvent citée comme la capitale de cette approche artistique en Amérique du Nord et qui s’inscrit dans un rapport de fidélité depuis l’Exposition universelle de 1967, où fut pré senté le premier environnement multimé dia. Plusieurs rendez-vous ou événements ont poursuivi cet arrimage – les exposi tions “Images du futur entre 1986 et 1996”, le Sixième Symposium de l’ISEA (InterSociety for the Electronic Arts) en 1995 qui initiera la création de la SAT (Société des arts technologiques) –, auquel il faut ajou ter la forte présence des industries du jeu vidéo et du cinéma d’animation, forcément demandeuses d’expertises technologiques. Selon les estimations du Conseil des arts de Montréal, environ 1 200 à 1 500 créateurs en arts numériques travaillent dans la ville, bénéficiant d’une spécificité urbaine offrant des espaces de travail à des coûts encore largement accessibles. Ils y trouvent aussi un soutien financier non négligeable dans les partenariats économiques avec des sociétés privées ou dans un subventionne ment public à trois niveaux (ville de Mont réal, province du Québec, État canadien) plutôt actif en termes d’aide à la création et à la pratique artistique en général, et par ailleurs porteur d’un pôle industriel dédié (l’îlot d’entreprises de la Cité du multimé dia). Alain Thibault, directeur du festival Elektra, une des meilleures vitrines de la scène numérique montréalaise, en convient. Effectivement, les différentes politiques de financement des arts de nos trois paliers de gouvernement ont fait en sorte que nous avons pu exister et nous développer. Il faut souligner notamment l’apport du Québec à sa culture, bien supérieur à celui d’autres provinces anglophones canadiennes, et il faut remarquer que le Québec est un terreau particulier, fertile à l’éclosion d’artistes de talent, dans tous les domaines. Un avis partagé par Robin Dupuis, vice-président du CQAM (Conseil québécois des arts médiatiques), une structure œuvrant pour la défense des intérêts des artistes du numérique, mais aussi du cinéma d’auteur ou de l’art audio, lorsqu’il parle de l’effervescence inouïe qui émane de cette ville. Pour Marie-Michèle Cron, du Conseil des arts de Montréal, trois points essentiels conditionnent l’existant : la qualité, le nombre et l’accessibilité des centres de recherche – environ quinze lieux de production et de création sont identifiés, un peu plus 7.2010 : 39 ELEKTRA Page de gauche. Les performances live audiovisuelles immersives dans la grande salle de l’Usine C sont un must du festival Elektra. Ici, Edwin Van der Heide lors de son Laser Sound Performance. Photos : Nico Stinghe Ci-contre, en haut. Expérience synesthésique où l’image et le son sont produits en interconnexion totale, lors du ABCD Light de Purform de Yan Breuleux et d’Alain Thibault. Ci-contre, en bas. Les fibres lumineuses de l’installation interactive Dune de Daan Roosegaard s’éclairent lorsqu’on les frôle. : 40 7.2010 pour les centres de diffusion ; la polyvalence des artistes, souvent à la fois artistes et chercheurs, et en tout cas experts en savoirfaire et en débrouillardise ; un axe fort de recherche et de développement, autour des quatre universités montréalaises, toutes situées en centre-ville, et d’une idée large ment admise de processus, de prototypisa tion avant diffusion. De fait, lister les lieux actifs de la scène numérique montréalaise peut sembler une gageure. On y trouve donc : des centres de recherche comme le laboratoire interactif, atelier d’électronique et espace d’expéri mentation Parc, le centre de réflexion cri tique Oboro, le laboratoire artistique nomade Champ libre, qui organise une biennale dédiée à la vidéo et à l’art électro nique, le MIVAEM, ou la Fondation DanielLanglois pour l’art la science et la technologie (FDL) ; des lieux comme l’Usine C, qui accueille Elektra mais aussi le PRIM (Pro ductions réalisations indépendantes de Montréal), centre de productions vidéo qui a progressivement intégré les nouvelles technologies, et bien entendu la SAT, lieu de création, de production et de partenariats entre art, technologie, industrie, et science, travaillant notamment sur des proposi tions de diffusion immersives ou la télé présence ; des galeries comme Imago ; des laboratoires de recherche d’essence univer sitaire comme le Gram (Université du Qué bec à Montréal, ou UQAM), auteur d’un Dictionnaire des arts médiatiques, Hexa gram (universités de Concordia et UQAM) où les artistes-chercheurs travaillent sur l’utilisation des technologies dans diffé rents médias, le Center for Interdisciplinary Research in music media and technology (Université McGill, université de Montréal et de Sherbrooke) dans un rapport musique et technologie ; des festivals comme Elektra ou Mutek, axés sur les musiques électro niques mais également tourné sur la créa tion numérique et visuelle ; et évidemment des artistes comme Steve Heimbecker, mention d’honneur en art interactif au prix Ars electronica de Linz, le duo The [User], qui explore les possibilités sonores offertes par l’ espace et de la technologie – connu notamment pour son projet audacieux d’ investissement sonore d’un silo aban donné au cœur de la ville –, le cinéaste Her man Kolgen ou le collectif Perte de signal. Plus significatif que le nombre, ce sont sur tout les interactions entre ces différents acteurs et structures, et la mise en réseau ainsi constituée, qui font de Montréal ce catalyseur des arts numériques à l’échelle locale et même internationale. Maillage structurel C’est ainsi cette idée de maillage qui domine au sein d’Hexagram. Pôle de recherche dépendant des universités de Concordia et d’UQAM, mais auquel se greffe sur diverses initiatives les autres universi tés montréalaises, Hexagram entretient comme le précise l’une de ses fondatrices, Lynn Hughes, un principe d’artistes-chercheurs travaillant en équipe multidisciplinaire. Ils sont au nombre de 75, assistés de 350 étudiants de deuxième et de troisième cycles, à expérimenter en équipe de labora toires multidisciplinaires sur l’utilisation des technologies dans divers médias (ima gerie artificielle, arts de la scène, jeux inter actifs mais aussi design textile). Parmi eux, on retrouve quelques noms connus comme Bill Vorn, spécialiste en art robotique et 7.2010 : 41 Hexagram Page de gauche. Joanna Berzowska, Skorpions. Un programme informatique permet aux vêtements Skorpions de Joanna Berzowska de bouger et de changer d’apparence de façon autonome lorsqu’ils sont portés. Photo : Nico Stinghe Ci-contre, en haut et en bas à gauche. Christopher Salter s’intéresse aux phénomènes de tension entre la scène et l’écran, où le corps joue le rôle d’interface. Installation AirXY: From Immaterial To Rematerial (avec Erik Adigard, M-A-D). Biennale de Venise, 2008. Photos : Anke Burger, M-A-D, Stefano Graziani. En bas à droite. Le robot-danseur de Bill Vorn se révèle au contact de la performeuse grâce à un système de motion capture et de senseurs. Photo : DR – Hexagram : 42 7.2010 familier de festivals comme Exit à la Maison des arts de Créteil (MAC), Christopher Sal ter, artiste-performeur travaillant actuelle ment sur des capteurs d’environnements pour scène sensorielle, Barbara Layne ou Joanna Berzowska, qui développent des vêtements “intelligents” à partir de textiles électroniques. Au-delà de l’aspect de la recherche, tous ces laboratoires et les créa tions qui en découlent résultent de parte nariats financiers importants mis en œuvre en amont et répondant bien évidemment à des logiques d’application économique. Un financement qui reste malgré tout fragile – surtout dans le contexte actuel, qui a d’ailleurs convaincu les dirigeants d’Hexa gram de séparer la réflexion économique proprement dite dans un groupe constitué, l’institut Cinq – et très réglementé, puisque si des locaux sont fournis aux artistes-cher cheurs, c’est leur statut d’enseignant qui les rémunère. De la même façon, la Société des arts tech nologiques (SAT) et ses projets immersifs à grande échelle entretient des partenariats avec des entreprises et des groupes de télé communication. Au mois d’octobre, un nouvel espace de 18 mètres de diamètre et de 15 mètres de hauteur, appelé Sensorium et occupant le dôme en construction sur le toit du bâtiment, ouvrira ses portes et vien dra compléter des espaces déjà largement dédiés à des procédés de diffusion intégra lement panoramique (comme en témoigne le panoscope à 360° de Luc Courchesne) et dont on imagine les développements potentiels en matière de diffusion cinéma tographique ou de visioconférence, par exemple. Un environnement propice à la création expérimentale Tout cela coûte forcément cher et, alors que certains, comme Robin Dupuis du CQAM, déplorent le manque de synergie commune, les institutions publiques tentent d’y remé dier. Dans cette perspective, et dans l’idée de soutenir une logique d’artistes-entrepre neurs, Marie-Michèle Cron évoque ainsi la tenue d’une table ronde davantage axée sur le volet économique pour 2011. En attendant, le réseau des arts numé riques montréalais continue de se structu rer, notamment grâce à l’action du festival Elektra et de son Marché international des arts numériques (MIAN), né il y a quatre ans, et qui permet désormais d’exporter la réalité numérique montréalaise. Nous constatons que les échanges se multiplient entre les différentes structures, précise Alain Thibault. Nous devenons plus visibles devant les médias et les organismes gouvernementaux. Cela permet notamment d’accroître notre audience et d’avoir accès à plus de fonds publics. Cela est essentiel au développement de l’ensemble de la communauté. Le MIAN devient un rendez-vous annuel pour les diffuseurs internationaux. À tel point que les projets ne manquent pas. À Montréal, nous travaillons sur un projet ambitieux de Biennale internationale d’art numérique, la BIAN, qui durerait tout le mois de mai, en alternance avec le festival Elektra. Nous désirons impliquer un maximum d’intervenants internationaux dans ce projet. Cela donnerait une visibilité supplémentaire et importante aux artistes. Il imposerait définitivement les arts numériques comme un genre artistique aussi important que les autres arts reconnus. La densité du réseau d’acteurs à l’échelle locale voire internationale, le soutien des 7.2010 : 43 SAT Page de gauche. Les environnements immersifs développés par la SAT sont propices à de nouveaux types de productions et de performances visuelles, Le Cyclorama en est un bon exemple. Photo : DR – SAT Ci-contre, en haut. à partir d’équipements électroniques greffés sur la structure d’un ancien silo à Montréal, le duo The [User] mène une expérience de diffusion sonore, Silophone. Une œuvre collaborative où le public peut jouer du son produit par le bâtiment depuis le site web www.silophone.net. Photo : DR – SAT Ci-contre, en bas. La Symphony #2 for Dot Matrix Printers de The [User] est une composition sonore à base d’imprimantes, plus une réflexion autour du détournement bureautique. Photo : D. Shearwood : 44 7.2010 institutions, les croisements artistes/cher cheurs/partenaires privés, autant de signes que les arts numériques sont identifiés à Montréal comme un enjeu en devenir au niveau de l’espace public et de la ville de demain. Dans son rapport sur les arts numériques dans la ville, le Conseil des arts de Montréal précise qu’il est important d’accélérer la visibilité du secteur, la circulation et la diffusion des œuvres […], la pro duction d’installations temporaires et permanentes d’œuvres technologiques dans l’espace public, et, en mars 2010, délivre son 25e Grand Prix à Mutek et Elektra ex-aequo, récompensant pour la première fois les arts numériques parmi tous les arts. Malheureu sement, les réalisations manquent encore autour de cet ambitieux projet, notamment quand il s’agit d’y associer d’autres sphères de réflexion dynamiques, comme celle du design. Il faut en effet savoir que Montréal est depuis 2006 une ville Unesco du design, et que, dans le cadre du chantier Réalisons Montréal, différentes initiatives, principa lement en termes de concours et d’appels à projets paysagers, sont menées, notam ment par l’équipe de Design Montréal. Comme le précise Marie-Michèle Cron, nous essayons de mettre en place une synergie commune, en ouvrant par exemple des concours d’art public de façon interdisciplinaire (ouvert aux designers mais aussi aux artistes numériques) ou en organisant des soirées, comme Interfaces, qui réunit artistes, ingénieurs et designers autour de l’idée d’espaces augmentés à la SAT. Mais l’argent manque pour concrétiser les idées. Designers et arts numériques Marie-Josée Lacroix, de Design Montréal, abonde dans ce sens. Il existe des passerelles au niveau de la jeune pratique. On s’en aperçoit lors des soirées Pecha Kucha organisées à la SAT, un concept japonais proche du speeddating où des concepteurs en arts numériques mais aussi des designers graphiques, web, des architectes, présentent leurs concepts. On le remarque également dans les appels à la création, et notamment dans les concours que nous organisons, comme celui autour du réaménagement des abords de la station de métro Champ-de-Mars, où les propositions formulées par divers designers et artistes interpellent les arts numériques autour de la création d’espaces multisensoriels. Selon moi, des croisements vont apparaître de plus en plus. Mais pour l’instant, les choses ne sont pas formalisées au niveau institutionnel, car les enjeux de développement de nos secteurs ne sont pas les mêmes. Dans le même ordre d’idées, et malgré le dynamisme ambiant des arts numériques, leur perception de la part des habitants de Montréal reste encore très relative. À une échelle large, les artistes numériques man quent encore de visibilité, et il y a peu de médiatisation événementielle, y compris dans les gratuits culturels largement diffu sés comme Voici ou Mirror, de ces acteurs ou d’événements comme Elektra – ce qui n’empêche pas le public de venir, consé quence symptomatique de l’efficacité du réseau. Un constat partagé par MarieMichèle Cron. La création numérique à Montréal est à l’état de laboratoire. Nous sommes encore trop dans le process. Une manière de signifier que même dans un lieu aussi actif que Montréal, la réflexion quant à la diffu sion des arts numériques vers l’espace public et les habitants nécessite encore de sérieux investissements. 7.2010 : 45