Chaque compteur du tableau a été démonté pour être nettoyé, re

Transcription

Chaque compteur du tableau a été démonté pour être nettoyé, re
Chaque compteur du tableau a été démonté pour être nettoyé, retouché avec de
la peinture, pour leur donner un meilleur éclat. J’ai dû utiliser une loupe et un
pinceau ultra fin, pour refaire des chiffres, et retoucher discrètement le fond noir
des cadrans. La pendulette de bord a dû subir une réfection totale et son cadran
repeint entièrement. Dans le but de lui redonner son aspect d’origine, j’ai réalisé
sur un ordinateur le dessin du cadran. Après plusieurs essais sur papier à l’aide
d’une table traçante, la plume à encre de chine a dessiné le cadran avec ses
graduations et ses chiffres. Au préalable j’avais préparé la surface du cadran en
la peignant, puis en la ponçant au papier très fin, dans le but d’obtenir une
surface plane et mate pour permettre à l’encre de s’y accrocher. Pour fixer le
tout, j’ai dû passer un petit coup de vernis. Les aiguilles ont été poncées et
repeintes. Ce travail de minutie m’a demandé beaucoup de temps, et permis de
placer toute ma passion relativement au charme que dégagent ces compteurs.
20-La planche de bord avec les boutons translucide tournés dans des manches de tournevis
Nous avons fait chromer chaque tour de compteur, puis remonter
soigneusement l’ensemble sur une tôle repeinte en noir cellulosique polie,
recevant les compteurs. Cette tôle qui reçoit l’ensemble de l’instrumentation de
bord, ainsi que les boutons, reprit sa place au milieu de la planche de bord
plaquée en merisier verni au tampon.
Je pu donc brancher le faisceau derrière ce meuble magique qui attire
souvent l’œil des passionnés.
On peut contempler une planche de bord superbe, où de gauche à droite,
on porte le regard sur le compte-tours dont les inscriptions vont de 0 à 4200
tours par minute. Dans ce disque sont insérées, diamétralement opposées, la
jauge à essence et la pression d’huile dans deux demi-lunes de couleur claire. Au
milieu et en haut l’ampèremètre trône comme un chef d’orchestre, surplombant,
tout en bas la petite pendulette, qui laisse échapper son tic-tac discret, qui vient
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ricocher à nos oreilles. Puis le compteur de vitesse dont l’aiguille blanche, lèche
les graduations inscrites 0 à 175 km/h.
Ce dernier renferme également un indicateur de température d’eau et
d’huile. Quelle joie de contempler ce tableau de bord flambant neuf, qui
redonna à cette époque un peu de baume au cœur.
Après avoir prévu l’ensemble des branchements de phares, de clignotants,
de feux rouges, de plafonnier, il me restait le câblage de la commande de la
boite de vitesse.
La commande de la boite Cotal est un bloc conique en aluminium et
creux, qui reçoit un système de sélection de borne, mû par une manette placée en
extrémité. Après avoir nettoyé et remis en état cet ensemble, je du le tester. Une
documentation technique sur les Boites Mag-Cotal, m’a permis de réaliser une
simulation, avec des ampoules de 12 Volts, qui ont joué le rôle des électroaimants. En suivant les combinaisons et les ordres d’allumage des ampoules, je
pu vérifier l’exactitude de mon branchement puis remonter le câblage de la boite
avec une quasi-certitude.
A ce stade notre restauration commençait à prendre une allure
encourageante, où le châssis, la mécanique, ainsi que la partie arrière de la
carrosserie, s’harmonisaient pour nous offrir le spectacle d’une DELAHAYE
naissante.
Mais une partie importante manquait : le bloc avant, constitué des deux
ailes, de la calandre et de ses phares, donnant à ce bolide, tout le caractère qui
en fait une grande.
Cette partie est réalisée avec des tôles, jadis formées à la main, et soudées
entre elles formant des galbes parfaits, nous laissant admiratifs devant la qualité
de ce travail.
Nous avions au début de la restauration stocké cette partie de la voiture,
dans le grenier de notre garage, cet ensemble d’acier formant le nez de la
DELAHAYE, créa en nous pendant cinq ans, lorsque nous levions la tête, le fort
désir d’arriver au stade de sa restauration, et surtout de sa mise en place. Nous
nous attaquâmes donc à la remise en état de cette partie avant qui nécessita
quelques remplacements de tôle, atteinte par une corrosion importante à
l’emplacement des pare-chocs.
Une fois les travaux de chaudronnerie terminés, nous fîmes sabler cet ensemble,
puis commençâmes un soigneux et long travail de préparation. Nous la voulions
parfaite et il fallut débosseler au mieux, combler les creux à l’étain ne pouvant
être planés, éliminer les défauts de surface en ponçant et ponçant à nouveau,
après l’ajout successif de fines couches de mastic, jusqu’à l’obtention de galbes
parfaits. La préparation de la coque entière m’a demandé environ un an, en
comptant tous mes samedis et mes six semaines de vacances.
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Dans le même temps mon père travaillait sur les deux portes qui
attendaient, impatientes de se fondre dans cette carrosserie qui commençait sous
nos yeux à devenir une véritable DELAHAYE.
Ses portes ont une structure complètement en bois sur laquelle est fixée
une tôle légèrement bombée en aluminium. Les boiseries étaient pourries et
mon père a été dans l’obligation d’en construire des neuves. Il copia les
morceaux d’origine, et passa beaucoup de temps sur l’ajustage des boiseries
pour assurer la continuité de la porte avec la carrosserie. Il renforça
sérieusement les jonctions avec des équerres inexistantes à l’état d’origine, dans
le but d’offrir aux portes une solidité leur permettant d’encaisser les chocs lors
de la fermeture. En effet les portes avaient toujours montré des signes de
faiblesse, car il fallait les fermer en poussant délicatement la partie basse avec
le genou.
Les tôles en aluminium constituant la robe des portes, qui avaient jadis été
roulées à la main pour leur donner leur galbe, étaient trop détériorées pour être
réutilisés. Nous ne possédions ni le matériel, ni le savoir-faire, pour travailler
comme les tôliers de CHAPRON, un élément de carrosserie demandant cette
qualité de forme. Mon père eut, une fois de plus, l’idée de poser les anciens
panneaux des portes sur des toits de voitures entreposées dans des casses.
Il trouva après de nombreux essais, deux toits de Peugeot 104, qui
convenaient parfaitement à la forme de nos deux portes. Ces derniers furent
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découpés à la forme souhaitée, décapés, puis sertis sur des cornières fixées à la
menuiserie des portes. Ces panneaux subirent au préalable un roulage chez un
carrossier, pour réaliser un profil bombé en arc de cercle, sur toute la longueur
de la porte et identique à l’origine.
Puis nous montâmes des vitres neuves collées dans un cadre en laiton
chromé, lequel vint se plaquer sur le joint de carrosserie pour assurer
l’étanchéité. Ces portes sont comme des portes de DS, sans montant. Le cadre en
laiton glisse à l’intérieur de la menuiserie avec grâce, laissant à l’œil une image
pleine de charme et au manipulateur un plaisir inlassable. Le lourd et agréable
claquement lors de la fermeture, traduit bien les cinquante kilogrammes de
chaque porte.
Une partie importante restait encore à réaliser : l’intérieur en cuir rouge
comme à l’origine.
Nous en parlions depuis longtemps et pensions trouver un artisan pour le
refaire. Mais les coûts de réfection étant trop importants, je décidais
d’entreprendre moi-même la restauration de l’intérieur.
Par chance un cousin tapissier décorateur put me trouver un cuir rouge de
qualité, et un oncle pratiquant la même profession me prêta sa machine à coudre
de bourrelier.
N’ayant jamais fait de couture sur cuir, et encore moins de siège de
voiture, je restais confiant en me disant que si je démontais les pièces de cuir
d’origine sans les détériorer, et si je coupais et cousais les morceaux de cuir
neuf, en respectant scrupuleusement le montage d’origine, je devrais
théoriquement réussir à reproduire une copie conforme.
Timidement j’ai taillé dans les grandes peaux des morceaux de dimension
et de forme identique, aux éléments des vieux cuirs qui me servaient de patron.
Les coutures se voulant cachées, il me fallut donner au cuir des plis, en
l’humidifiant dans un premier temps, puis en le laissant sécher sous presse, pour
donner au plateau des sièges un aspect lamellé. J’ai dû ressortir de mon garage
plusieurs caisses de carreaux de carrelage pour réaliser des pressions suffisantes.
Ainsi, j’avais transformé ma maison en atelier de couture, où pendant quatre
mois de l’hiver 1995, j’ai chevauché les blocs de carreaux, qui pressaient à
même le sol les lambeaux de cuir.
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Avec un feutre fin j’ai tracé sur
le
coté
envers
des
peaux
l’emplacement des coutures, avant de
faufiler soigneusement
les pièces
entre elles. Une paire de pince et un
grand nombre d’aiguilles fines me
permirent de réaliser ce travail,
nécessitant une bonne poigne. Au fur
et à mesure que le faufilage avançait,
je cousais les assemblages dans
l’atelier de mon oncle. Au début je
n’osais à peine appuyer sur la pédale
déclenchant le fonctionnement de la
machine, tellement elle était rapide et
puissante. Mais quelques semaines
plus tard je pouvais coudre les yeux
fermés,
mon
oncle
restant
impressionné par le travail que je
sortais de son atelier. Un soir il
m’avoua qu’il se demandait s’il était
capable d’en faire autant, mais je ne le
cru pas. Il m’enseigna cependant
plusieurs astuces permettant de réaliser
plus facilement certaines tâches.
22-23- Sièges avant terminés
Je réussi donc à habiller les sièges de ses superbes housses en cuir rouge,
dont les armatures en bois furent auparavant refaites à neuf par mon père.
Il me restait encore un élément qui m’intriguait depuis plusieurs années,
et qui était recouvert d’un morceau de cuir bien ajusté et cousu main : le volant.
J’ai profité d’un arrêt de travail postopératoire suite à un décollement de rétine
de l’œil gauche, pour entamer la restauration du volant. Mon œil droit qui était
valide, me permit d’appréhender les tâches délicates et précises nécessitées par
ce travail. La couverture du volant était réalisée par une couronne en cuir dont
les extrémités se rejoignaient à l’intérieur, grâce à une couture faite à la main, et
dont la qualité et la régularité m’ont laissé admiratif. Avant d’entamer un
morceau dans une peau, j’ai découpé plusieurs couronnes dans une vieille toile
cirée, pour trouver le bon diamètre. Je pu donc adapter ma couronne de cuir sur
le volant de telle sorte qu’elle soit légèrement tendue, et telle que les extrémités
puissent se rejoindre après une légère tension de la couture intérieure. Chaque
jour je réalisais deux heures de couture, m’appliquant à effectuer des points
aussi parfaits que ceux que fit l’artiste de CHAPPRON, et ceci pendant environ
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trente jours. J’ai donc consacré 60h de passion et de plaisir sur ce superbe
volant.
24-Le volant recouvert de cuir.
Suite à cette partie de plaisir nous nous sommes attaqués sérieusement la finition
de la carrosserie en vue d’habiller notre «belle» de sa robe noire, telle qu’elle
l’avait connue, brillante et étincelante comme un miroir. Nous voulions une
préparation la plus parfaite possible, et j’ai comptabilisé un an de ponçage
méticuleux pour arriver à mes fins.
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25-La carrosserie est sous apprêt.
Le galbe constamment variant des ailes avec leurs filets demande au novice
que je suis de passer beaucoup de temps pour atteindre la perfection. A l’origine
la peinture était cellulosique et polie pour donner un éclat parfait. Nous
souhaitions donc appliquer une peinture offrant les mêmes résultats, et nous
avons trouvé chez SIKENS un produit dont le nom est «AUTONOVA».
Après quatre applications de cette peinture, nous avons poncé à nouveau la
carrosserie à l’eau avec un papier au grain 1500. Puis avec de la mèche de coton
et un produit lustrant nous avons, à la main, lustré entièrement la voiture. Un
deuxième lustrant de finition nous permit d’avoir un éclat parfait similaire à une
vitre transparente dont l’autre coté serait peint en noir. Je vous laisse deviner à
quel point il était grisant de voir apparaître sous le morceau de mèche de coton
le brillant se former à chaque rotation de la main, et de voir doucement son
image devenir de plus en plus nette, jusqu’à une vision parfaite.
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26-Le masque avant.
Tout ce travail fut réalisé dans notre garage habillé de bâches en plastique pour
éviter la poussière.
L’idéal, aurait été de la peindre dans une étuve, mais à cette époque nous
n’avions pas les roues.
La voiture avait des roues provisoires qui nous permettaient de la déplacer dans
le garage. Mon père modifia des roues de 2CV en soudant à la partie
centrale un système adapté au moyeu cannelé. Les roues d’origine étaient à
l’époque l’objet d’une procédure, dont voici les faits :
Nous souhaitions et depuis longtemps avoir des roues chromées, et nous
étions conscients qu’il fallait changer les rayons, pour réaliser correctement le
chromage des jantes et moyeux. Courant 1992 je me mis en quête d’un artisan
capable d’effectuer ce travail. C’est dans l’almanach de la Vie de l’Auto que je
trouvai un seul interlocuteur qui s’annonçait comme étant le grand spécialiste de
la roue à rayon. Nous lui faisons confiance et effectuons sept cents kilomètres
pour porter nos roues.
Sa mission, était donc de chromer les jantes et les moyeux, et de monter des
rayons neufs en acier chromé et de nous livrer un produit fini. Il nous accorda un
délai de trois mois, et nous nous entendîmes sur le prix. C’est neuf mois plus
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tard qu’il nous rendit les roues, prétextant des problèmes de livraison dans le but
de justifier son retard. Impatients, nous allâmes aussitôt les chercher.
Eblouis devant ce chrome étincelant et aveuglé par la joie d’avoir enfin
nos roues, nous passons outre quelques petits détails qui ne collaient pas, nous
payons et emportons nos roues. C’est à notre hôtel que nous découvrons des
malfaçons impardonnables. Les filetages des rayons n’avaient pour certains que
cinq millimètres de prise dans leur écrou, raison pour laquelle on voyait
apparaître entre cinq et huit millimètres de filetage sous les écrous. Le comble, il
n’avait pas respecté le montage d’origine, alors qu’on lui avait prêté la roue de
secours comme modèle.
Le lendemain matin, après une nuit difficile, nous lui retournons les quatre
roues. Etonné, il nous dit qu’il a fait un très bon travail et qu’il est satisfait de
lui. Relativement au croisement de rayons différents, il nous rétorque que cela
lui semblait plus joli. Quant aux problèmes de sécurité routière, il souligne
qu’on ne lui avait pas précisé que notre voiture devait rouler. Nous sommes
alors désœuvrés devant un individu, malhonnête et incompétent. Nous lui
laissons les roues en lui demandant d’honorer son contrat correctement.
En arrivant à Nantes, je prends la plume et lui adresse un courrier qui lui
définit clairement ce que nous attendons. Mais ce courrier ne lui plaît pas et
refuse mes revendications. L’Union Fédérale des Consommateurs intervient et
met par écrit cet individu en garde, il prend peur, et accepte mes conditions,
lesquelles sont très simples : nous livrer des roues conformes.
27-Elle est fraîchement peinte mais repose sur des roues de 2CV.
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Deux mois plus tard nous les recevons par transporteur, et finissions le
dévoilage, comme nous l’avions convenu avec notre artisan, qui en fin de
compte, n’avait aucun matériel adapté à la restauration des roues fil. C’est dans
cette opération de dévoilage que nous découvrons des anomalies de montage,
qui nous laissent dans un état de démoralisation totale. Les rayons ne se
croisaient pas de façon symétrique, et parce qu’il avait coupé les extrémités il
n’y avait aucune possibilité de corriger ce défaut. D’autre part les rayons de la
rangée médiane étaient trop longs et serraient à fond de filet ne pouvant offrir
une bonne tension. Nous avions des roues dont les rayons pouvaient encaisser
des contraintes inégales, pour certains peut-être limites. De plus il avait mis des
rayons de «la foire» et d'autres «du marché», les têtes étaient différentes,
certaines étaient trop grandes et ne portaient pas au fond de la cuvette de
moyeu.
Nous étions complètement démoralisés et une année venait de s'écouler. Je lui
écrivis, citant clairement les anomalies de son montage. Ne recevant aucune
réponse de sa part, je l’ai assigné devant le tribunal d’instance de Roubaix en
demandant une expertise judiciaire. J’étais à l’époque un néophyte total en
matière de procédure et inconscient de ce qui nous attendait.
28-Montage de la calandre et des optiques.
Avec mes parents, je me suis déplacé à la première audience, pour voir son
avocat demander un report d’audience de deux mois. Mille quatre cents
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kilomètres pour voir le juge prendre mon dossier et le poser sur la pile des
reports. C’est pour cette raison que nous avons pris un avocat sur place.
Mon adversaire refusa catégoriquement l’expertise judiciaire, assisté par
un contrôleur technique, attestant que les roues étaient correctes et que j’étais un
escroc. Pour comble, il n’hésita pas à me demander dix milles francs de
dommages et intérêts et cinq milles francs d’amende pour procédure abusive.
J’ai riposté en fournissant une contre expertise, ce qui me permit d’obtenir enfin
une expertise judiciaire, au terme d’un an de bagarre juridique. Lorsque l’expert
judiciaire vit les roues, il abonda immédiatement en notre faveur, lui-même était
stupéfait par la médiocrité du montage des roues.
29-Vue d’un profil avec une roue à rayon.
Le rapport d’expertise arriva quatre mois plus tard et il nous aura fallu
encore un an et demi pour plaider notre cause. Car notre artisan malhonnête
n’hésita pas à tenter de prouver l’incompétence et le manque de sérieux de
l’expert judiciaire. C’est après sept mois de délibération, que le juge établit
clairement les torts de notre adversaire et le contraint à nous rembourser les
réparations avec des dommages et intérêts. Un cauchemar de quatre ans venait
de se terminer.
Il nous ne restait plus qu’à faire restaurer à nouveau nos roues, et pour cela
j’ai trouvé un autre artisan qui se disait lui aussi un grand spécialiste. Il nous
livra un travail très moyen, mais acceptable, fatigués de nous battre, nous
montâmes nos roues, car notre voiture n’attendait plus que ses roues pour
prendre la route après quarante ans de procédure.
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Les premiers essais sur route en août 1997 ne se passèrent pas sans stress.
La toute première fois, mon père qui n’était pas très hardi me laissa le volant, ne
l’ayant pas conduite depuis longtemps. J’avoue que je l’étais encore moins ne
l’ayant jamais conduite.
30-La première sortie du garage.
Elle est flambant neuve.
Mais, il fallait y aller, après avoir
ouvert le portail, nous voici partis,
cinq mètres plus loin le gros moteur
s’engorgea et nous dûmes la pousser à
la main en marche arrière pour la
rentrer dans son abri. La deuxième
tentative nous permit d’aller jusqu’au
parking d’Intermarché situé à deux
kilomètres, jusque là tout allait à peu
près, et nous décidâmes de prolonger
notre périple jusque chez Leclerc, c’est
alors que de la fumée sortit de
l’embrayage et il fallut le régler. Nous
avions pourtant notre caisse à outils,
mais la clé qui était nécessaire à
cette opération n’y était pas. C’est
alors qu’un gars attiré par le plaisir des
yeux vint nous voir, il nous dépanna
en nous prêtant la clé dont nous avions
besoin, fier de voir une de ses clés
servir au réglage d’une DELAHAYE.
Une troisième sortie mit en évidence une surchauffe du moteur, ce qui
nous laissa interrogatifs. Le pot d’échappement avait chauffé, au point de brûler
la moquette du plancher. Ce dernier était identique à celui qui était fixé sur la
voiture mais certainement pas celui d’origine.
Nous incriminâmes le pot d’échappement en supposant qu’il offrait trop
de retenues. Nous décidâmes donc d’en mettre un identique à celui d’origine. Je
pris alors le téléphone pour en trouver un. Le responsable du musée de Vendée,
Monsieur GIRON nous proposa d’en démonter un vieux, pour découvrir sa
technologie, et nous permettre de le copier. Chose dite, chose faite et nous voilà
avec un pot d’échappement d’origine. Précisons que ce type de pot est à soixante
dix pour cent libre. Mais le moteur chauffait toujours autant, il fallait en
convenir, cette anomalie était liée à une autre raison. Le moteur n’était pas rodé,
et serrait un peu, nous l’avons donc fait tourner une heure par jour pendant deux
semaines en alimentant le radiateur en eau fraîche en permanence et en créant
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une évacuation d’eau chaude à la sortie de la culasse. Replacé dans une
configuration en circuit fermé, le moteur chauffait toujours.
Un peu déconcertés par cette surchauffe nous mîmes à nouveau le calage
de distribution en cause. C’est en grattant avec une baguette métallique au
travers des trous de bougies que nous primes peur en constatant un résidu noir et
épais sur les pistons. Nous supposâmes une dégradation importante des
cylindres et nous décidâmes de déposer le moteur puis de le déculasser. En une
demi-journée le moteur était démonté et posé à côté de la voiture sur un bâti
rapidement construit en bois pour le recevoir. Une fois déculassé, notre panique
s’estompa, en constatant que les cylindres étaient parfaits. Le résidu noir déposé
sur les pistons n’était dû qu’à une pollution excessive liée à une mauvaise
combustion, conséquence probable d’un calage non approprié.
31--Pare-chocs en inox et enjoliveurs en laiton chromés refaits à la main par mon père.
Remarquez le clignotant confectionné en aluminium par ses soins.
Nous voilà à nouveau à la case départ avec toutes nos incertitudes sur le calage
de la distribution. J’ai acheté pour mieux comprendre le fonctionnement d’un
moteur, des ouvrages de mécanique automobile qui m’ont permis d’y voir un
peu plus clair. Nous possédons des catalogues indiquant les calages des
DELAHAYE, lesquels à mes yeux donnent des valeurs différentes et se
contredisent par rapport aux ouvrages théoriques que je venais de lire. En effet,
les documentations donnent une position du piston après le point mort haut, par
rapport à l’ouverture de l’admission, ce qui paraît être en contradiction avec la
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théorie, qui place le piston avant le point mort haut. Les différents
professionnels, auxquels j’ai pu demander conseil, se sont toujours placés du
côté de la théorie en m’affirmant qu’un moteur était toujours calé en avance.
Nous étions complètement perdus, par l’intermédiaire d’un ami nous avons fait
la connaissance d’un ancien mécanicien qui a travaillé sur ce type de moteur. Il
nous proposa donc de venir réaliser le calage et c’est avec joie que nous
acceptâmes. J’attendais un éclaircissement sur les valeurs des documentations,
mais il ne prit pas compte de ces dernières, et établit un calage en mettant les
soupapes au balancement et le piston au point mort haut. Le moteur partit au
quart de tour, et semblait respirer correctement. De nouveaux essais furent
concluants, notre voiture tournait enfin. Après quelques légères finitions, nous
avons pu la sortir dans le milieu des anciennes, fiers de notre restauration.
Chaque deuxième dimanche matin de chaque mois, une bande de passionnés
d’automobiles anciennes se réunissent sur un parking à Nantes. Notre arrivée
suscita à notre grande surprise, des applaudissements, où une foule aux visages
émerveillés nous suivit et savourer des yeux notre superbe DELAHAYE.
Durant toute la période d’essais nous avons roulé et mis au point les
derniers petits détails, tels que le réglage des freins et de la direction.
32-Exposée Lors de la première édition des Amis de la Belle Automobile en 2001.
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Dès les premières chaleurs de printemps 1998, le moteur chauffa, et la grande
interrogation du calage revint à l’ordre du jour. Je téléphone à quelques
restaurateurs de moteurs, dont je prends les coordonnées dans l’almanach de la
vie de l’Auto 1998, et un de mes interlocuteurs m’affirme que ce genre de
moteur ne peut être calé qu’avec du retard, vu les courses importantes des
pistons. Enfin une précision importante qui confortait les documentations. Un
deuxième me dit qu’il a déjà calé ce type moteur et me donne le calage. Les
valeurs correspondent à celle de «l’auto-catalogue».
Le livre sur les
DELAHAYE ne donnerait donc t-il pas le bon calage ? Il s’agit du calage de
1951 qui est différent des moteurs sortis en 1948, et cet ouvrage ne référence pas
notre calage. Apparemment c’est le même que pour les 135 M. Juste en
démontant la partie avant du moteur nous avons replacé les pignons
relativement aux critères qui nous été donnés, puis le soir même nous sommes
allés faire des essais pour en apprécier la différence.
Il n’y a pas photo, la puissance
développée par un accroissement de
couple est bien due au retard du
piston par rapport à l’ouverture de
l’admission. La moralité de cette
histoire, est qu’un moteur ne se cale
pas de façons empiriques selon des
méthodes ou des habitudes, mais de
manière très précise, en tenant
compte des valeurs en degrés et en
millimètres sur le piston relativement
à l’épure. (Voir annexe technique)
33- A une station d’essence, vue trois quart
arrière.
Entre temps, j’avais téléphoné, suite aux conseils d’un ami, a une
personne du Club Delahaye, qui était sensé bien connaître cette mécanique, pour
avoir des informations relatives au calage. Après mettre présenté poliment et
avoir exprimé ma requête le gars me répondit sèchement : « lorsque l’on
démonte son moteur on relève d’abord le calage », puis il me raccrocha au nez.
Je fus tristement surpris par cet état d’esprit.
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Une grande restauration vient de s’achever avec beaucoup de soucis de
stress, de questions, et de temps passé. J’ai compté en cumulant notre temps de
travail : mon père a consacré dix ans tous les jours à une moyenne de huit heures
par jour, et moi-même j’ai passé tous mes week-ends et mes vacances pendant
ces dix années, soit vingt cinq milles heures.
Mais, après l’effort, le réconfort : quel plaisir de rouler en DELAHAYE !
Dès que l’on ferme la porte au bruit lourd et chaud, après s’être assis sur
le cuir glissant et moelleux des sièges, on distingue devant nous ce long capot
noir encadré par les grosses ailes effilées, le plaisir nous enivre déjà.
On fait pivoter grâce à une manette
du tableau de bord, l’allumeur en
tout retard, on pousse le bouton de
contact, on vérifie le point mort
mécanique et électrique de la boite
de vitesse, on tire le starter, puis on
actionne la tirette du démarreur, et le
moteur prend d’un coup son envol,
me laissant toujours séduit par
l’harmonie des six cylindres.
34-Les baguettes de la calandre refaites main.
On repousse le starter doucement,
pendant le temps de chauffe, jusqu'à
ne plus en mettre, puis on met une
légère avance à l’allumeur, on passe
l’inverseur de boite en marche avant
en débrayant, puis on enclenche la
première vitesse sur le sélecteur
électrique, on relâche doucement
l’embrayage en accélérant, et notre
bolide prend son élan.
35-Vue de l’intérieur
C’est avec gourmandise que l’on écrase la pédale d’accélérateur, qui libère toute
la puissance du
moteur,
nous transmettant
une agréable sensation
d’accélération. Pour passer la deuxième on lève franchement le pied de
l’accélérateur, et à ce moment précis, sans débrayer on passe la deuxième, puis
aussitôt on récupère le contact avec le moteur en appuyant à nouveau sur
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l’accélérateur. Rapidement nous arrivons à 100 Km/h en quatrième, dans un
confort de conduite, peut-être supérieur à beaucoup de voitures modernes. Je
resterai longtemps en admiration, devant l’avance technologique et les
performances, qu’offrait cette grande marque, avant la guerre, et impressionné
par le luxe que pouvaient s’offrir certains, relativement, aux C4 Citroën,
Rosalie, 402 Peugeot etc…
C’est par cette dernière impression que je termine mon récit :
Lorsque nous roulons dans notre DELAHAYE nous avons la sensation
d’être des rois…
MOLIARD père et fils
36- Parade devant le publique la première édition des Amis de la Belle Automobile
en 2001 à Nantes.
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