nos rencontres amoureuses

NOSRENCONTRESAMOUREUSES
Est‐il encore possible de laisser nos rencontres amoureuses au
purhasard,sanspasserpardessitesderencontres?
Entretienavecl’auteuretsociologueJean‐ClaudeKaufmann.
Est‐ilencorepossibledetrouverl’amoursanspasserparlescircuitsd’Internet?Amoinsqu’il
nes’agisse,àproposdesrencontresfaitesviadessitesspécialisés(etpayants),quedesexe…
devenu un loisir, ou un sport comme un autre. Quels sont les nouveaux mécanismes des
rencontresamoureuses?DepassageenSuisseromande,lesociologuefrançaisetauteur
Jean‐ClaudeKaufmannaréponduànosbrûlantesquestions…
Coop:Internetachangélesloisdesrencontresamoureuses.Cepaysagenouveauest‐ille
refletdumodèleéconomiqueactuel,c’est‐à‐direlanégationdesprincipeshumanistesau
profitdugainetdu«j’achèteetjejette»?J.‐C.Kaufmann.
JCK: Oui, mais ce qui se passe sur Internet est plus complexe, parce qu’il y a aussi ceux qui
utilisent le web dans une démarche plus sérieuse, avec des annonces stipulant: «Rigolos et
dragueurs s’abstenir, je recherche l’âme sœur pour la vie.» Nonobstant, il faut d’abord payer
l’abonnement, puis se vendre; il y faut la photo la plus avantageuse possible, un message
accrocheuravecunepointedepoésieetd’humour.
Coop:C’estdoncjuste:surInternet,ilfautsavoirsevendrecommeunproduit.
JCK: On va avoir une logique comme dans un supermarché, oui. On va faire défiler tous les
produits,onvacomparer,alorsquel’onestbieninstalléchezsoi,etensécurité.
C’est le rêve fou d’aujourd’hui: on rêve de rester soi‐même, de ne rien changer, ni à ses
habitudesniàsesrythmes,maisderajouterl’autre.Maisl’autresansqu’ildérange,sansqu’il
nous bouscule ou qu’il nous remette en question. C’est pour ça qu’on va avoir, dans ces
annonces,deslistesdeloisirstrèspointues,style:«Moij’aimebienlecinémajaponaisetjefais
dujoggingde8à9ledimanchematin.»Etvous,vousdevezaussiaimerlecinémajaponaiset
fairedujoggingledimanchematin,sinonc’estout,onvousdébranche.Jeforceàpeineletrait.
Nicole Mehling – Personal Coach – 2013
«Nos rencontres amoureuses »
NOSRENCONTRESAMOUREUSES
Coop:Cetteattitudeconcerne‐t‐elleaussiceuxquinepassentpasparInternet?
JCK: C’est un phénomène de société. On ne cherche pas une personne, mais un clone de soi.
Heureusement,letrucdu«moijerestemoi,jenechangerienetjerajoutel’autre»,çanepeut
pasmarcher.
Coop:Maispourquoi?
JCK:Parcequetoutehistoired’amour,toutehistoiredecoupleestimpossiblesil’onnelâche
pas les amarres de son ancienne vie. Et là, on n’est plus dans la logique consumériste. Si on
restedansleconsumérisme,onnetrouverajamais«lebonproduit»:onvacomparer,jaugeret
trouvertoujoursmieuxailleurs.
Coop:Bref,onnevapasrencontrerdespersonnes:onnevarencontrerpersonne!
JCK:Onva«croiser»despersonnes.Aprèsquoionvaseposerlaquestionpourquoi«ilestsi
difficilederencontrerquelqu’un»dansunesociétédecommunicationetdelibérationsexuelle
commelanôtre.Ehbien,c’estparceque,pourqu’ilyaitunevraierencontre,ilfautêtreprêtà
mettreàmortsonancienneidentité.
Coop: Est‐ce que tout ceci n’est pas l’expression d’une société humaine devenue très
égocentrique?
JCK:Jediraisplutôtquenotresociétéestsifatigante,etqu’ellesuscitetellementd’angoisses,
qu’oncherchepartouslesmoyensdelaréassuranceetduconfort,notammentpsychologique.
Etquandonestchezsoietqu’ontapotesesmessages,onpeutêtreenvieillescharentaises,pas
rasé, pas maquillée, et l’on entre en relation quand même! Et pour les gens c’est le bonheur,
parce que la grande peur aujourd’hui, c’est l’engagement. Sur Internet, on peut entrer en
relationetsedébrancherquandonveut.
Coop:C’estleproblèmedesrelations«désincarnées»queproduitlaToile.Maisunjour
ilfaudrabienalleraufront.Etlà,çasegâte…
JCK: C’est la scène N° 2, celle du «on se prend un verre», un verre qui n’engage à rien. Mais
cetteétapeprovoquebeaucoupd’incertitudeetdemalaise.Toutsepassecommesilapersonne
qu’onrencontraitenvrain’étaitpaslamême,nonàcausedespetitestricheriessurlepoidsou
lescentimètres,maisparcequelecontexteréel,incarné,laconstruitdifféremment.Etsurtout
parcequelesdeuxprotagonistesontconsciencequel’engagementmenace.
Coop:C’est‐à‐direquelacomplicitéquis’étaitinstalléedisparaît?Pourquoi?
JCK: Parce que du coup, cette complicité encombre. La drague débridée qu’on s’était livrée
par écrit nous gêne, et on ressent le besoin de faire un pas en arrière. Auparavant, tout
commençaitparlesentiment.Silesentimentétaitbienéprouvé,onavaitledroitdepasserau
sexe.Aujourd’hui,onnesaitpastrops’ilvayavoirdusentiment;ontrouvetoutceciunpeu
bizarre,maisonvasuivreundesgrandsproverbesquifaitfureur,etquiconstituelanouvelle
morale de notre époque: «Il n’y a pas de mal à se faire du bien.» Dans l’attente de la suite,
c’est‐à‐direlanaissancedusentiment.
Nicole Mehling – Personal Coach – 2013
«Nos rencontres amoureuses »
NOSRENCONTRESAMOUREUSES
Coop:Est‐cequejesuisunidiotparcequejesuisunromantiquequirefusedetrouver
l’amourviaInternet?
JCK:Ahnon,non,pasdutout!Lessitesderencontressontunjeu,etcejeuneremplitpasla
vie.Cequevousvenezdedireestl’attentesecrètedel’humanité.Ilyaunrêveénormedansla
société d’aujourd’hui, et c’est le rêve d’amour. Pourquoi? Parce que notre société est dure,
c’estunesociétédecompétitiongénéralisée,d’évaluationsystématiquequifragiliseetdétruit
l’estimedesoi.Donconabesoindesecréerunmondeàsoi,fondésurl’amouretlescaresses.
C’est ça le vrai monde, comme celui stipulé dans la tradition philosophique romantique
allemande.
MagazineCOOP‐23/2011
Alire
Nicole Mehling – Personal Coach – 2013
deJean‐ClaudeKaufmann
«Nos rencontres amoureuses »