La guerre du coltan en RDC

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La guerre du coltan en RDC
La guerre du coltan en RDC
Repositionner le jeu des acteurs dans le
paradigme des stratégies de puissances
Travail de recherche réalisé dans le cadre
de la préparation du Master en Stratégie d’Intelligence Economique.
Novembre 2008
V.H., sous la direction de :
Christian HARBULOT, EGE
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L’indignation des Nations Unies et de la presse internationale face à l’exploitation meurtrière du coltan en
RDC n’a jamais permis d’assainir la situation. Et pour cause, les coupables désignés ne sont pas ceux
situés en amont du problème. Leurs activités, téléguidées, s’insèrent dans l’architecture d’une guerre
géostratégique menée par les puissances étrangères en RDC. Ces affrontements peuvent être décryptés
par la cartographie des acteurs du marché du coltan. Y distinguer les points névralgiques revient à identifier
les leviers par lesquels les Etats gouvernent le marché de l’or gris dans les circuits internationaux :
HC Starck (All.), Cabot Corp., Kemet Corp., et Vishay Intertechnology (USA), ainsi que Sons of Gwalia
(Aust. [1]). Ces bras armés des puissances constituent l’autorité économique du marché mondial et
fournissent la grille de lecture des affrontements susmentionnés.
L’affrontement des puissances américano-européennes
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[1] Sons of Gwalia entre indirectement dans cette liste en extrayant en Australie près de 50% du coltan du marché sur la base d’accords
de tonnages prédéfinis à long terme (plus de 10 ans) avec uniquement les deux géants du marché (HC Starck et Cabot Corp.). C’est en
parallèle à ce référentiel fixe que fluctueront prix et quantité de coltan sur le marché, via les gisements congolais notamment.
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L’Europe et les Etats-Unis sont totalement dépendants des réserves étrangères en coltan. Si aujourd’hui
l’Australie et le Brésil en exportent en quantité, l’enjeu géostratégique des puissances, qui raisonnent en
termes de réserves, est en RDC. De fait, le coltan de la région du Kivu représente 60% à 80% des réserves
mondiales de tantale (métal extrait du coltan). Pourtant historiquement influentes dans les Grands Lacs, les
puissances européennes (Allemagne, Belgique et France) disputent la maîtrise de cet or gris à des
Etats-Unis qui ont depuis acquis une position stratégique. L’enjeu pour ces Etats aux systèmes de défense
de haute technologie est que le coltan, en plus de son potentiel économique substantiel, est « strategical » :
« many of the applications for tantalum are either directly or inderectly defense related » (U.S. Department of
the Interior [2]) puisque le tantale est indispensable à l’industrie aéronautique, aérospatiale et de défense
(réacteurs, missiles, satellites etc.). Cette guerre économique se joue sur plusieurs champs de bataille, ce
qui se traduit par un dispositif de contrôle de la filière coltan à plusieurs strates :
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Sur le terrain, en RDC, la course au coltan pilotée par les Etats se fait sans éthique. Les quatre rapports
onusiens dénonçant multinationales occidentales et individus nominativement n’ont concrètement eu pour
effet que le développement de subterfuges destinés à brouiller les pistes de la provenance du coltan.
Aujourd’hui comme hier, les multinationales qui participent à l’extraction du minerai au Kivu financent
indirectement la guerre par les taxes payées aux groupes rebelles [3] qui maîtrisent les mines de la région.
L’Allemagne notamment, en lien direct avec le patronat germanique, y mène une franche guerre
économique mêlée d’affrontements diplomatiques avec Kinshasa et de soutiens réguliers aux milices
sécessionnistes et pro rwandaises. Berlin protège ainsi en période de conflits l’un des plus importants
gisements de columbium (la partie col du coltan, moins lucrative que le tantal, mais essentielle aux secteurs
industriels de pointe : énergie, aérospatial, transport) du Kivu, Lweshe, dont elle a la tutelle depuis 1994. En
soutenant politiquement leurs multinationales, les puissances occidentales dessinent respectivement un
échiquier géopolitique où les Etats pilleurs de la RDC, principalement le Rwanda mais aussi l’Ouganda et le
Burundi, desquels le coltan quittera les Grands Lacs, sont des partenaires stratégiques.
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Les agences internationales de courtage et de transport du coltan amassé illustrent également des
affrontements concurrentiels guidés par des préoccupations régionales. Les courtiers, qui achètent le
minerai pour le vendre aux métallurgistes, ont une obligation d’indépendance. En pratique, ce sont des
partenaires ou des filiales des mêmes holdings miniers cherchant à maîtriser les sorties de coltan. A Kigali,
où converge la très grande majorité des pillages du minerai à destination de l’Europe, ce sont exclusivement
des compagnies européennes, parfois connues comme proches du pouvoir, qui assurent le transport du
coltan vers le vieux continent. Une répartition policée des tâches qui laisse suspecter l’influence de la « main
invisible des puissances » (Christian HARBULOT) : à Brussel Airlines (Belgique) et Martinair (Pays-Bas) la
voie aérienne jusqu’à Ostende ou Anvers, à SDV Transintra (Groupe Bolloré, France) la route jusqu’au port
de Dar-es-Salam en Tanzanie, à Safmarine (Danemark) la liaison maritime jusqu’à Anvers ou Ostende.
La transformation du coltan (séparation de la colombite de la tantalite) est ensuite indispensable à toute
utilisation industrielle. Cette technologie stratégique n’est maîtrisée que par cinq pays dans le monde. Via
l’allemande HC Starck (filiale de BAYER AG, leader du marché) et l’américaine Cabot Corp. qui se
concurrencent ardemment 75 à 85% du raffinage, l’Allemagne et les Etats-Unis maîtrisent l’entrée sur le
marché mondial de plus de 80% tantale disponible. Cette position est stratégique pour contrôler en aval la
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le ou les auteurs ne pourraient être tenus pour responsable de la teneur du document. diffusion du tantale. Elle est aussi en soit une victoire économique dans la mesure où par cette opération, le
minerai acquiert près de 560% de valeur ajoutée. Les applications économiques du coltan ne sont d’ailleurs
pas à négliger. Il appert en effet que la course aux concessions minières en RDC a été particulièrement
stimulée par la ruée des fonds de pension américains [4]. Avant la crise financière actuelle, 95% des
acheteurs de concession n’avaient pas d’argent à investir. Le minerai n’était qu’un prétexte pour développer
des démarches spéculatives très rémunératrices mais éloignées des réalités de production. Cette bien
meilleure intégration des échafaudages financiers par la puissance américaine est un sérieux avantage
concurrentiel sur les européens. Déjà dans les années 1950 puis en 2000, le tantale fut utilisé comme arme
financière par le Defense National Stockpile Center américain qui gouvernait le marché en se dépossédant
de centaines de tonnes de tantale auprès du London Stock Exchange.
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Les entreprises manufacturières de tantale Kemet Corp., Vishay Intertechnology et AVX Corp., suivies de
loin par la japonaise NEC/Tonkin et l’allemande EPCOS, témoignent enfin de la position préférentielle
acquise par la puissance américaine en fin de chaîne. Celle-ci maîtrise ainsi 90% de la fabrication mondiale
de condensateurs (opération par laquelle le tantale acquiert une plus-value de 200%), composants
indispensables à la confection des appareils électroniques et pour qui est destiné près de 70% du tantale du
marché. Les Etats-Unis jouissent donc pour finir d’une position dominante sur les fabricants de produits finis
(téléphones, informatique etc.), c'est-à-dire en premier lieu les européens – suivis du Japon et des
Etats-Unis eux-mêmes.
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L’entrée en jeu d’une nouvelle stratégie de puissance
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La donne desdits affrontements n’est pas figée. Depuis un an, les puissances occidentales doivent faire face
à l’arrivée d’un concurrent déroutant : la Chine. Opposant au jeu d’échec occidental la stratégie du jeu de
go, l’empire du milieu pourrait pallier à sa position asymétrique en mettant la main sur de très grandes
quantités de coltan congolais. De fait le 17 septembre 2007, la Chine a signé le « contrat du siècle » en
offrant à la RDC – qui se débat pour liquider sa dette extérieure – ce que l’Occident n’a jamais été capable
de proposer : un troc infrastructures contre minerais (30 ans d’exploitation des ressources naturelles,
dividendes répartis à raison de 68% pour la Chine, 32% pour la RDC) étayé par des milliards de dollars
disponibles immédiatement (11 à terme) et sans interminables conditions. Notons cependant que si cette
offensive permet à Pékin d’apparaître comme la planche de salut du régime de Kinshasa, la Chine s’adonne
parallèlement depuis plusieurs années aux mêmes pratiques que les occidentaux en s’approvisionnant
illégalement en coltan via le Rwanda [5].
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Si pour l’heure les chinois s’affairent au Sud, dans le Katanga (cuivre et cobalt), les deux chantiers routiers qu’ils mènent dans le grand
Kivu sont certainement les outils d’une stratégie de conquête de l’espace progressive visant les réserves naturelles de la région.
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Vers un revers des puissances occidentales ?
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Les affrontements de puissances sur le coltan en RDC ont donc pour point commun un double-jeu des
acteurs, facilité et renforcé par l’implication des Nations Unies dans la région. Jusqu’à ces dernières
semaines, chacun répondait à ses intérêts stratégiques en soutenant à la fois le gouvernement de Kinshasa
depuis New York et les entités trafiquantes ad hoc depuis sa capitale. Paradoxalement, la MONUC sert
cette politique. En effet, le déploiement de la plus importante Opération de maintien de la paix (en troupes et
en coût financier), vitrine de l’Organisation, montre une communauté internationale engagée en faveur du
processus de paix. Cependant l’extraction du coltan s’effectue dans le Kivu, une forêt dense où très peu de
casques bleus sont déployés et où de toute façon « la MONUC n’aime pas aller et ne veux pas prendre de
risque » [4], simplement car elle ne sait pas s’y battre. Au mieux éliminera-t-elle quelques groupes rebelles à
l’Est du Congo, laissant aux multinationales prédatrices du champ libre pour opérer plus aisément.
Seulement, aveuglées par leur guerre économique, les puissances sont allées trop loin en téléguidant,
composant et recomposant les alliances géostratégiques en RDC. Ce ne sont pas les cinq millions de morts
générés par les conflits de la région qui posent problème. En revanche, l’avancée du chef tutsi Laurent
NKUNDA à l’Est du Congo est, elle, très inquiétante pour les marionnettistes. Les puissances sont prises à
leur propre jeu : si le fleuron des forces onusiennes subit une défaite en RDC, les Nations Unies risquent de
connaître un discrédit suffisant pour impacter substantiellement la géopolitique des grands de ce monde. Et
dans un tel scenario, ce sont les puissances occidentales qui ont le plus à perdre.
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le ou les auteurs ne pourraient être tenus pour responsable de la teneur du document. Bibliographie
Entretiens terrain
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- [4] Entretien téléphonique avec le Père Didier de FAILLY, Directeur du Bureau d’études scientifiques et
techniques (BEST) de Bukavu (RDC), expert des problématiques coltan dans les Grands Lacs.
- [5] Retour d’expérience terrain.
- Représentation permanente de la France auprès des Nations Unies à New York.
Revue de presse
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- DEBELLEIX, Emmanuelle. « Du sang sur les portables ». Terra economica. Septembre 2006, 24, p.6-8.
- REMY, Jean-Philippe. « Dans l'est du Congo, les belligérants organisent le pillage et le trafic du coltan ;
enlisés dans le conflit en RDC, le Rwanda et l'Ouganda financent ainsi leur effort de guerre ». Le Monde.
21 août 2008.
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Ouvrages, rapports & études
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- FAILLY de, Didier. Coltan : pour comprendre in L’annuaire des Grands Lacs. Paris : l’Harmattan, 2001,
p. 3 à 27.
- GRAMA Groupe de recherche sur les activités minières en Afrique). La route commerciale du coltan
congolais : une enquête. Montréal : Université du Québec, mai 2003.
- KILOSHO, Barthelemy. Le Commerce international du Coltan (Colombo Tantalite), quelle utilité sociale
pour la population locale du Nord et Sud Kivu en RDC. Bujumbura : Université CEPROMEC, 2006.
- MINANI BIHUZO, Rigobert. RDC : la démocratie à l’épreuve de la géopolitique in 1990 - 2007, 17 ans
de transition politique et perspectives démocratiques en RDC. Kinshasa : Cepas/rodhecic, 2008.
- [3] Nations Unies. Rapport du Groupe d’experts des Nations Unies sur l’exploitation illégale des
ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo. New York : 12 avril
2001.
- [3] Nations Unies. Additif au rapport du Groupe d’experts des Nations Unies sur l’exploitation illégale des
ressources naturelles et autres richesses de la République démocratique du Congo. New York : 13
novembre 2001.
- [3] Nations Unies. Rapport intérimaire du Groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources
naturelles et autres richesses de la RDC. New York : 22 mai 2002.
- [3] Nations Unies. Rapport final au Conseil de sécurité de l'ONU du Groupe d'experts sur l'exploitation
illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses de la RDC. New York : 16 octobre 2002.
- [3] Nations Unies. Nouveau rapport du Groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources
naturelles et autres richesses de la RDC. New York : 23 octobre 2003.
- [2] U.S. Department of the interior. U.S. Geological Survey Minerals Yearbook. Columbium (niobium)
and tantalum. 2001.
- VICTOR, Jean-Christophe. Le dessous des cartes, RDC. 2007.
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Sites Internet & blogs
http://french.peopledaily.com.cn/Economie/6216059.html, Commerce Chine-RDC: 200 milliards de dollars
en 2012, consulté le 26 octobre 2008.
http://www.laconscience.com/article.php?id_article=6811, Chine-RDC : secret éventré, consulté le 26
octobre 2008.
http://www.indymedia.be/nl/node/2375, Les patrons allemands prêts à financer la guerre au Kivu, consulté
le 29 octobre 2008.
http://www.inshuti.org/coltan2.htm, Supporting the war economy in the DRC: European companies and
the coltan trade – Five Case Studies, consulté le 27 octobre 2008.
http://www.monuc.org/Documents.aspx?lang=fr&categoryId=33&resourceId=4&menuOpened=Ressourc
es, Cartothèque, consultée le 26 octobre 2008.
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