Julian Grenfell (1888

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Julian Grenfell (1888
Julian Grenfell (1888-1915)
Mort le 26 mai 1915 à l'hôpital militaire de Wimereux, Julian
Grenfell a écrit très peu de poèmes de guerre. Mais un seul a suffi à établir
sa réputation. Into the Battle est en effet un des poèmes les plus célèbres de
la Grande Guerre et figure dans toutes les anthologies. On y trouve une
exaltation du combat et une vision éculée du combattant prêt à mourir avec
joie pour son pays. (Celui qui ne se bat pas est déjà mort / Celui qui meurt
au combat devient plus grand. ... La joie du combat le saisit à la gorge...).
Ce poème fut publié dans le Times, en même temps que l’annonce de sa
mort, le 27 mai 1915. En octobre 1914, une de ses lettres avait déjà été
publiée dans la presse. On pouvait y lire : J’adore la guerre. C’est comme
un grand pique-nique mais avec un objectif. Je ne me suis jamais senti
mieux, je n'ai jamais été aussi heureux. On comprend dès lors pourquoi
Grenfell a souvent été accusé de bellicisme. Ce propos mérite toutefois d’être nuancé. Le discours
de glorification du combat a été celui de presque tous les volontaires de 1914. Il a disparu par la
suite, n’étant plus tenable face aux horreurs vécues et aux doutes sur le bien-fondé du combat.
Souvent réduit au stéréotype de l’aristocrate qui voit dans la guerre une aventure à sa mesure,
Grenfell s’avère nettement plus complexe quand on lit ses lettres. Son histoire familiale révèle un
parcours où dominent le doute et l'inquiétude, très loin de l'image va-t-en-guerre que lui léguera la
postérité.
Fils de Lord Desborough et d’Ethel Priscillia Fane, il vit l’enfance habituelle de son
milieu avec nurses, gouvernantes et inscription à Eton à l’âge de treize ans. Les relations avec sa
mère sont tendues. Il faut dire que celle-ci a un amant à peine plus âgé que lui. Il semble que cette
situation peu conventionnelle ait un effet néfaste sur lui. Il souffre de dépression récurrente et
essaie de se forger des opinions opposées à celle de sa famille. Après une crise de mélancolie
prononcée, il part en convalescence en Italie chez une tante et y reste un an. Il retourne ensuite à
Oxford, où ses parents souhaitent le voir passer une licence avant de s’engager dans l’armée. Son
diplôme, en poche, il intègre les Royal Dragoons. Son régiment est d’abord posté en Inde puis en
Afrique du Sud. De retour en permission en septembre 1912, il veut poursuivre des études
artistiques à Paris mais sa famille s’y oppose. La vie militaire lui plaît de moins en moins et il
retombe dans la dépression. En juillet 1914, il prend la décision de quitter l’armée pour faire de la
politique. Mais il est trop tard. Il lui est impossible de démissionner alors que la guerre est
imminente. En septembre, son régiment arrive en Grande-Bretagne. Un mois plus tard, il foule le
sol français.
Julian Grenfell fait partie de ceux pour qui la guerre a été une solution momentanée à des
problèmes personnels. Les circonstances ont décidé pour lui. Beaucoup ont vu en lui un soldat de
métier glorifiant la guerre. Or, sa carrière militaire lui a été imposée par ses parents et ses lettres
témoignent de l’attention qu’il prête à ses hommes, ainsi que de sa défiance envers l’état-major.
Sur le front, il refuse la fonction d’aide-de-camp, qui lui permettrait de ne pas être exposé. Il reste
en permanence au contact des hommes et multiplie les actions intrépides, en tant qu’éclaireur ou
tireur d’élite.
En avril 1915, il écrit son célèbre poème Into the Battle, qui le rendra célèbre. Le 13 mai,
il effectue une mission d’observation près de Hooge, dans le secteur d’Ypres, quand un éclat
d’obus vient se loger dans son crâne. Il est envoyé à l’hôpital de Wimereux, où sa sœur Monica est
infirmière bénévole. Dans un premier temps, la blessure ne semble pas mortelle, mais le 16 mai
Monica envoie un télégramme à ses parents pour qu’ils viennent à son chevet. Willy et Ethel
Grenfell font immédiatement jouer leurs relations pour pouvoir embarquer dès le lendemain sur un
navire de munitions. Après deux opérations, Julian meurt le 26 mai. Il est enterré au cimetière de
Boulogne. Ethel remplit son cercueil de fleurs sauvages et interdit à quiconque de porter des habits
de deuil. Elle perpétue la mémoire de Julian et de son frère, tué le 30 juillet 1915, dans un livre
d’hommage, auquel contribue Raymond Asquith, le fils du Premier ministre. Ce faisant, elle
réussit à imposer à la postérité une image biaisée de son fils, celle du vaillant soldat mort un
sourire aux lèvres après avoir accompli son devoir patriotique. La réalité est nettement plus
contrastée, notamment dans le poème qui suit, où l’ironie est à peine voilée.
PRIÈRE
MAJOR
POUR
CEUX
DE
L’ÉTAT-
Dans la boue du combat, nous nous tournons
vers Toi,
En ces terribles moments où il faut se battre,
Seigneur,
Et te demandons de nous protéger, si cela est
possible,
Des shrapnels, des tireurs embusqués et des
baïonnettes.
Mais ce n’est pas de nous (combattants de
l’argile,
Moulés dans cette même argile sans noblesse),
Mais de l’État-major, les Dix Grands Chefs,
Que dépend l’issue de nos journées.
PRAYER FOR THOSE ON THE STAFF
Fighting in mud, we turn to Thee
In these dread times of battle, Lord,
To keep us safe, if so may be,
From shrapnel, snipers, shell and sword.
Yet not on us - (for we are men
Of meaner clay, who fight in clay) But on the Staff, the Upper Ten,
Depends the issue of the day.
L’État-major qui fait travailler ses cerveaux,
Pendant que nous attendons dans la tranchée;
Qui régit tout l’univers
(Sous Ton égide et celle du général French).
The Staff is working with its brains
While we are sitting in the trench ;
The Staff the universe ordains
(Subject to Thee and General French).
Que Dieu vienne en aide à l’État-major surtout
Aux jeunes officiers, dont beaucoup sont issus
De notre haute aristocratie ;
Leur tâche est rude, et ils sont si jeunes.
God, help the Staff - especially
the young ones, many of them sprung
From our high aristocracy ;
Their task is hard, and they are young.
Seigneur, toi qui as tout créé ici-bas
Et qui as fait tant de bonnes choses,
Je t’en prie, épargne au nouvel aide-de-camp
L’horreur de certaines scènes et la vue du sang
qui coule...
Lord, who mad’st all things to be
And madest some things very good
Please keep the extra ADC
From horrid scenes, and sights of blood...
Belgique, début 1915

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