Riffs HiFi 29.12.2012

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Riffs HiFi 29.12.2012
SAMEDI 22 DÉCEMBRE 2012 LE JOURNAL DU JURA
RIFFS HIFI 27
STAKHANOVISME Chanteur, guitariste, compositeur, producteur et plus si entente
Steven Wilson, cet insatiable
génie multifonctions
LAURENT KLEISL
Une légende dit que Steven
Wilson ne dort jamais. Ou si peu.
La nature et ses lois physiologiques nous imposent cette évidence: il ne saurait en être autrement. Ces derniers mois,
l’Anglais se démultiplie à l’infini
dans l’univers du rock progressif,
surtout, et dans le monde merveilleux de la musique au sens le
plus large. Pendulum, le groupe
d’electro rock? Il a participé, en
compagnie notamment de
The Prodigy, à la fabrication de
«Immersion», No 1 des charts de
Sa Majesté au printemps 2010.
Au micro, à la gratte, au piano,
aux manettes, invité, seul ou accompagné, il est partout, Steven.
Depuis septembre 2009 et la sortie de «The Incident» avec «sa
chose» appelée Porcupine Tree,
enregistrement publié dans la
foulée de «Insurgentes», son
premier album solo, Wilson a réduit Alekseï Stakhanov au statut
de roi des jean-foutre. Entre concerts, séances en studio et production, il ne s’arrête jamais.
Wilson a même méchamment
accéléré le mouvement durant
l’automne 2011 avec sa magistrale deuxième œuvre en solitaire, le double album «Grace
for drowing». La tournée triomphale qui a suivi méritait bien
un DVD live («Get all you deserve», septembre 2012). Une
sortie servant à en financer une
autre, il s’est directement lancé
dans l’écriture et l’enregistrement de son troisième opus
solo, «The raven that refused to
sing (and other stories)», dont la
révélation au monde est prévue
en février 2013. Notre gars a
passé les mois de septembre et
octobre en studio à Los Angeles
avec, à la table de mixage, rien
de moins qu’Alan Parsons, ingénieur du son sur le «Dark side of
the Moon» de Pink Floyd.
La suite selon votre bon cœur, fans adorés
Marillion avait lancé la mode et ils ont presque tous suivi. Aujourd’hui,
en effet, il est très tendance de faire financer l’enregistrement de son
nouveau CD par ses fans. Pour ses 35 ans de carrière, l’inénarrable
Bernie Constantin a décidé de faire de même: «Avec le succès de mon
dernier album ‹Panorama›, coproduit en partie par mes amis
internautes, j’ai décidé de récidiver avec cette formule pour mon actuel
projet, un poil plus baraqué, soit une grande compilation intitulée
‹35 Dans Le Rétroviseur›.» Oui, 35 ans de discographie avec 35 titres
réalisés de 1978 à 2013 sur trois supports. Donc un CD best of, un CD
live qui sera enregistré en février et un DVD. Si l’envie de participer à ce
projet vous démange, vous trouverez tous les détails sur le site conçu
pour l’occasion: http://35dansleretroviseur.jimdo.com PABR
NOUVEAU CD POUR STEVE LUKATHER
Le Goldman de la guitare, c’est lui
Elle ne fera pas rire ses aficionados, cette brève. Reste que si Steve
Lukather est un des meilleurs guitaristes de la planète, avec ou sans
Toto, que c’est accessoirement un tout bon type, il lui manque quand
même ce qui constitue la carte de visite des vrais génies. Allusion à ce
style immédiatement identifiable qui a fait la gloire des Beck, Page et
autres Townshend. Le 18 janvier prochain, Steve Lukather sortira son
prochain album solo, baptisé «Transition» (distribution Musikvertrieb).
Eh bien, ce bougre de soussigné a déjà pu l’écouter. Verdict? Si la
guitare atteint toujours des sommets, les compositions tiennent
surtout de la variété chic, passe-partout et sans grande personnalité.
«Mais c’est joli», comme disait Nino Ferrer dans «Le Sud». PABR
RECYCLAGE
Hackett et Lynne revisitent leurs classiques
L’Anglais est devenu incontournable bien au-delà du petit monde du rock progressif. DR
Quand il a du temps à tuer – eh
oui! – , Wilson s’adonne aux projets parallèles, tels que I.E.M.
(rock psychédélique), No Man’s
(electro-pop-rock-jazzy) et Bass
Communion (ambient), dont la
dernière livraison, «Cenotaph»,
ne remonte qu’à novembre
2011. Dans un instant de détente, il a ajouté, en mai de cette
année, une ligne à son CV en
compagnie de Mikael Akerfeldt,
chanteur d’Opeth, constituant
un projet de rock expérimental,
un peu mou du genou il est vrai,
intitulé «Storm Corrosion».
Emerson Lake and Palmer,
King Crimon et les autres
Pour occuper ses rares moments d’oisiveté, Wilson opère
également le nettoyage des plus
grandes œuvres de l’histoire du
«prog». A son tableau de chasse,
les «remasters» de King Crimson
– huit sorties entre 2009 et 2012,
avec un travail d’orfèvre sur
«In the court of the Crimson
King» – et d’Emerson Lake and
Palmer, dont l’inusable «Tarkus»
(refonte parue en 2012), boulot
assuré tout en s’adonnant joyeusement au mixage de «Heritage»
d’Opeth (2011) et de «Thick as a
brick II» de Ian Anderson (2012).
Cette boulimie ne découle
pourtant pas d’un appétit commercial exacerbé. Ses deux plus
belles vaches à lait, Wilson les a
sciemment sabordées ces derniers mois. Groupe né de l’amitié
qui l’unit à Aviv Geffen, le Patrick Bruel israélien, Blackfield
vivra désormais sans lui. «Wel-
come to my DNA», livré en
mars 2011, pourrait être la dernière production du duo. Arrivé
à ce qu’il appelle «une apogée
commerciale» avec Porcupine
Tree, l’Anglais a également décidé de mettre son groupe culte
entre parenthèses. Enfin, façon
de parler.... Sous la pression des
fans et de sa maison de disque
(Kscope), il a quand même trouvé le temps de fabriquer un double album live – accompagné
d’un DVD, cela va de soi – intitulé «Octane Twisted», captation
assez réussie de la tournée «The
Incident».
En résumé, pour suivre les slaloms dignes d’Adelboden de la
carrière de Mister Wilson,
mieux vaut être riche et en
bonne santé.
HIP-HOP Youssoupha, le lyriciste bantou, est un conteur et parolier hors normes
Pas du rap de rue, mais du rap d’amour!
Sorti en janvier, Noir Désir
(2012), le troisième album de
Youssoupha, rappeur français
d’origine congolaise, est une claque magistrale pour ceux qui déversent leur venin sur la culture
hip-hop. «Des analphabètes»,
avait en son temps déclaré le
BERNIE CONSTANTIN: 35 ANS DE DISCO(GRAPHIE)
chroniqueur Eric Zemmour sur
un plateau de télévision français.
«Une sous-culture», avait-il encore ajouté. La réponse de Youssoupha, rappeur cultivé qui manie le verbe à la perfection, avait
fusé au travers du titre «Sur les
chemins du retour» (2009), où il
L’album Noir Désir de Youssoupha est un véritable chef-d’œuvre.
LDD
mettait «un billet sur la tête de
ce con d’Eric Zemmour». Une
phrase qui lui a valu un procès
pour injures et… menaces de
mort! Un comble pour celui qui,
avec son cheveu sur la langue,
prône ouvertement la non-violence. Sur son dernier album,
Youssoupha revient sur cet épisode au travers du titre «Menaces de mort», condamnant du
même coup le système «d’une
France qui oublie que les paroles
de son hymne sont plus violentes
que celles du gangsta rap».
Fils de Tabu Ley Rochereau,
alias «Seigneur Ley», homme
politique et figure emblématique de la rumba congolaise dans
les années 60 à 80, Youssoupha
n’a pourtant rien d’un gangster:
il est avant tout un formidable
conteur, un parolier hors normes. Les textes du «lyriciste bantou», comme il aime se surnommer, incitent à la réflexion. Ils
bousculent et heurtent les consciences. Sa plume est agile, donnant un «flow» inégalé à ses titres. Et invariablement, il fait
mouche avec les mots.
Dans le morceau «Les disques
de mon père», il revient sur les
rapports père-fils, le tout sur
une magistrale reprise du titre
«Pitié» de Tabu Ley Rochereau
qui, selon la légende, aurait eu
68 enfants. Dédié à son fils, ce titre sert de rencontre intergénérationnelle. «Dans notre culture
les mots d’amour sont rares, j’ai
appris à l’usure qu’on avait tort
d’en être avare», y rappe celui
qui s’est produit l’été passé à FestiNeuch’ et au Royal Arena d’Orpond, faisant allusion à cette figure paternelle inaccessible
qu’il a fini par retrouver sur la
scène de l’Olympia à Paris, le 7
mai passé. «C’est pas du rap de
rue mais du rap d’amour!» C’est
Youss’ qui le dit. CYRILL PASCHE
Seize ans après la sortie de «Watcher of the Skies – Genesis Revisited»,
Steve Hackett remet la compresse avec «Genesis Revisited II». Membre
de Genesis entre 1971 et 1977, le guitariste fut un des maillons essentiels
de la période la plus féconde du groupe anglais. Bien sûr, les morceaux
d’anthologie – «Firth of fifth», «Dance on a volcano», «The fountain of
Salmacis» – avaient été dépoussiérés en 1996 dans le premier tome.
Mais l’œuvre de Genesis version «seventies» est si féconde que le père
Hackett livre cette fois un double album. C’est qu’avec «Dancing with
the moonlit knight», «Blood on the rooftops», «The return of the giant
Hogweed», «Ripples» ou une version intégrale de «Supper’s ready», il a
encore de quoi faire. Fidèle aux originaux, Hackett s’appuie sur le talent
d’une dream team pour moderniser l’ensemble. Les invités? Que du
beau monde: Steven Wilson (Porcupine Tree & Cie), John Wetton (Asia),
Mikæl Akerfeldt (Opeth), Steve Rothery (Marillion), Roine Stolt
(The Flower Kings), Neal Morse (ex-Spock’s Beard) et même
Nik Kershaw. A l’opposé, c’est dans l’intimité que Jeff Lynne a
complètement réinterprété, tout seul, les plus grands tubes d’Electric
Light Orchestra. D’une production énorme signée Lynne, bien sûr, est
née la merveilleuse compilation «Mr. Blue Sky». De la pop
symphonique à la fois dense et légère pour le bien de l’Humanité. LK
LA PLAYLIST DE...
Pierre-Yves Theurillat
[email protected]
LIA Asphalte
Quelle maturité, avec cette sorte de candeur angélique, des musiques
qui renverraient plutôt à King Crimson et même RATM! Au total, un
second album varié pour ce jeune homme des Franches-Montagnes,
d’une assez grande ambition pour secouer le paysage neigeux d’une
Helvétie qui toujours recherche de dignes représentants exportables.
DEUS Constant now
Un des gros bastringues de la middle class rock n’ roll européenne.
Le septième album, «Following Sea», est sorti cette année. Choc positif
de découvrir ces Belges sur scène au printemps dernier. Forte énergie,
gros engagement, complications climatiques, un tracé unique!
AFGHAN WHIGS La reformation de l’année
L’un des plus nobles et honnêtes bands de Cincinnati et région, le
groupe du guitariste et chanteur Greg Dulli, reprend le chemin de la
scène. Bonne nouvelle pour ceux qui avaient complètement craqué
sur «1965», un album bien du début à la fin, une des plus belles façons
d’apprêter le rock pur et dur avec la manière soul.
EDMOND JEFFERSON AND SONS Révélation
Avec leur 45 tours 6 titres, en plus de quelques concerts bien tapés, les
méritants Tavannois et Biennois expriment de bons espoirs pour le
rock jurassien avec une cohésion de band exceptionnelle, et déjà tous
les trucs des grands, et la voix de Jo qui fait tout chose.
ARNO Et dans les yeux de ta mère
«Future Vintage», son nouvel album, n’est pas des plus à la hauteur?
Attente frustrée? Qu’importe, l’humanité du bonhomme, du moins sur
scène, et dans les mystérieuses rues bruxelloises, si vous l’y croisez,
l’emportera forcément. Depuis Arno, en effet, on ne regarde plus sa
mère de la même manière. Si ça c’est pas un vrai progrès.

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