Tribune en accès libre
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Tr i b une J’ENTENDS PLAIDER, MONSIEUR LE PRÉSIDENT 274u3 274u3 E t j’entends plaider longtemps, même trois fois plus longtemps que ce que vous envisagez, l’air déjà exténué par ces mots à venir : « Alors je vous en prie, Maître, pas plus de dix minutes, le tribunal est très chargé ». Dix minutes pour une affaire qui a occupé dix ans de la vie de mon client. Pourquoi plaider ? Pourquoi, puisque nous-mêmes avocats avons signé en 2011 et 2012 des accords avec les magistrats, aux termes desquels il est bien précisé qu’il nous faut conclure de manière succincte, que les dossiers de plaidoirie sont définitivement supprimés, et que les plaidoiries elles-mêmes doivent permettre aux juges comme aux avocats de « rationaliser l’emploi de leur temps ». Plaider n’est plus défendre, c’est rationaliser. Alors pourquoi plaider, à l’heure de l’efficacité et de la logique ? À quoi sert de parler quand tout peut être écrit ? Solange R. DOUMIC En préliminaire pour vous répondre, Monsieur le président, je vous diAvocat au barreau de Paris, ancien secrétaire de la Conférence rais volontiers : « Le tribunal est très chargé, mais il me semble que je le suis tout autant. La différence entre nous ne se situe pas là ; elle tient au fait que le tribunal sait que ma plaidoirie ne servira à rien, alors que j’espère encore le contraire. » Je vais plaider d’abord parce que je défends. Et parce que, défendant, je crois qu’il y a quelque chose à transmettre qui À quoi sert de parler dépasse l’écrit : une émotion, un ressenti, une raison, un sourire, le souffle du printemps en ce début d’automne. « Parce quand tout peut être que c’était lui, parce que c’était moi » : où le placer, dans les écrit ? conclusions ?… Peut-être au II 2 B 1.3 : Sur l’intangible du dossier. Pas simple. Alors tant pis, je vais le dire… Je vais plaider ensuite parce que j’espère encore, j’espère convaincre par la parole, et que je ne peux me résoudre au fait que les droits de la défense ne seraient qu’un principe et l’avocat un simple figurant au fond du théâtre. Quelle est cette drôle d’époque où tout est censé nous faire gagner du temps et où nous en avons de moins en moins ? La vie, la mort, ce qui fait de nous des êtres vivants n’est-il pas profondément lié au temps qui passe, qui avance, qui donne, puis qui reprend ? Pourquoi faudrait-il vivre, travailler, défendre, sans lui ? Gagner du temps… Pour pouvoir vite se presser ailleurs. S’il n’avait pas entendu Mlle Ménard qui avait volé un pain pour nourrir sa mère et son fils de deux ans, le « bon juge » Magnaud aurait-il relaxé la jeune femme et aurait-il été à l’origine de la notion d’état de nécessité ? Salan aurait-il bénéficié des circonstances atténuantes si Tixier-Vignancour avait déposé un mémoire écrit ? Oh bien sûr, je ne suis pas Tixier. Je ne défends pas non plus Mlle Ménard tous les jours et je ne plaide pas tous les jours devant Paul Magnaud. Mais si l’inutilité même de mes mots avait un sens, le sens du temps perdu, du temps donné, du don de l’écoute chez ceux que j’ennuie, de l’impalpable… Le sens peut-être d’un dernier moment d’humanité. “ ” • G A Z E T T E D U PA L A I S - m a r d i 2 0 s e p t e m b r e 2 0 1 6 - N O 3 2 3 274u3