Eugénie : un règne en joyaux - L`Abeille, butinez d`Art en Art

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Eugénie : un règne en joyaux - L`Abeille, butinez d`Art en Art
Eugénie : un règne en joyaux
Les années 1850 : le mariage.
Le dimanche 30 janvier 1853 une jeune comtesse espagnole devient impératrice des Français.
A l’entrée de Notre-Dame la mariée plonge dans une profonde révérence devant une foule en liesse,
scellant le début d’une relation, parfois tumultueuse, avec le peuple français. L’Impératrice porte une
robe a queue en velours épinglé blanc, recouverte en point d’Angleterre, au corsage à basques,
parsemé de diamants. Sur sa tête est disposé le diadème de saphirs et diamants des joyaux de la
Couronne, livré par Evrard Bapst pour la duchesse d’Angoulême en 1818. Pour le dîner de noce à St
Cloud, Eugénie portera une autre création de Bapst de la Restauration : la parure de rubis et diamants.
Mais le mariage impérial a aussi été l’occasion de nombreuses nouvelles créations en matière de
joyaux, venant ainsi composer une corbeille nuptiale des plus somptueuses. Gabriel Lemonnier livre
ainsi entre autres un devant de corsage en perles et diamants (plus de 100 carats) auquel était
suspendue la fameuse perle Napoléon de plus de 346 grains. Kramer quant à lui se charge d’élaborer
deux broches d’épaules et deux broches de devant de corsage en perles et diamants. Venant compléter
cette nouvelle parure de perles, Lemonnier livre en 1853 le célèbre diadème de perles et diamants de
212 perles et 1998 brillants. Mellerio n’est pas en reste et livre pour le mariage impérial un éventail
orné d’émail rouge et or avec 1075 brillants pour 3800 francs (11500 euros).
Les années 1850 : vers l’exposition universelle.
La Maison Mellerio, déjà fournisseur à titre privé de la Cour et de la souveraine, qui multiplie
les achats personnels et les cadeaux au 9 rue de la Paix, est une nouvelle fois sollicitée très
officiellement en 1855 pour créer un nouvel éventail avec les pierres de la Couronne. Ce dernier
prendra la forme d’une création en ivoire, peinture et dentelle d’Alençon composée de 1066 brillants
et Roses, payé 9382 francs (environ 30 000 euros).
La raison d’une telle commande ? Le point culminant de ce début de règne : l’inauguration de
l’Exposition universelle le 15 mai 1855. Napoléon III, qui veut que son épouse se présente sous un
éclat incomparable, demande en effet à plusieurs joailliers de confectionner de nouvelles parures avec
les pierres de la Couronne.
L’exposition de 1855 voit ainsi la création de joyaux parmi les plus célères du Second Empire. La
Couronne de l’Impératrice tout d’abord, réalisée par Gabriel Lemonnier, composée de 1354 brillants et
56 émeraudes. Le diadème par Viette ensuite, portant en son centre le « Régent », fait d’un dessin
assez insolite de rinceaux et flammes. Théodore Fester compose pour sa part un grand bouquet de
corsage pour 136 carats. La Maison Bapst est largement mise en avant avec la création d’une grande
broche rocaille, portant les Mazarins 17 et 18, et surtout de l’extraordinaire parure de feuilles de
groseillier composée d’une guirlande, d’un tour de corsage et d’un devant de corsage, le tout pour
15800 francs (50000 euros).
Les années 1850 : les goûts d’une femme.
Mais souvent femme varie et Eugénie tourne le dos bien vite à certains joyaux voués
impitoyablement au démontage. Les goûts de la souveraine évolue en effet et l’éventail de Mellerio est
irrémédiablement démonté dès 1856 pour la création, par Bapst, d’étoiles de diamants, directement
inspirés de celles portées par une autre impératrice : Elizabeth d’Autriche. Eugénie n’hésitera
d’ailleurs pas à s’inspirer de ses homologues européennes pour la création de ses propres parures. Elle
aura ainsi un diadème dit « russe » copié de celui de la Tsarine de Russie.
Les goûts d’Eugénie la portent également vers un classicisme de bon aloi, le goût étrusque ou grec
s’impose alors. Le diadème « flammes » de Viette, jugé comme « un bijou digne de Lucifer » est
remodelé par Bapst vers un très sage diadème « grec », dont l’une des incarnations le verra surmonté
ni plus ni moins que du « Régent ». Mellerio à cette époque propose également des joyaux
d’inspiration « grec » comme cette parure en or émeraudes offerte par Napoléon III au Maréchal
Canrobert (les émeraudes avaient d’ailleurs la préférence d’Eugénie).
Mais l’inspiration la plus notable de l’impératrice, l’influence quasi mystique sur ses goûts, son
modèle par excellence est bien entendu Marie-Antoinette. Cette passion, vue par certain à la cour
comme mal venue et quelque peu masochiste, va être largement le fil conducteur de toutes les
décisions en matière de mode, de décoration et même de loisirs prises par la souveraine, qui n’hésite
pas ainsi à remettre à la mode les bal costumés où elle s’amuse à incarner son héroïne favorite.
Ce gout pour le XVIIIème siècle retrouvé avec son vocabulaire fait de rubans, fleurs, feuillages, joncs
enrubannés et nœuds se retrouve naturellement dans les créations de bijoux de cette période :
Guirlande de coiffure par Bapst, Broche feuillage par Mellerio (1860), broche nœud style Louis XVI
par Mellerio , grand nœud de ceinture puis de devant de corsage par Kramer et Bapst (1855 et 1864),
deux grands nœuds d’épaule et le collier aux quatre rivières par Bapst.
Eugénie se pique également de décoration intérieure et impose ses choix dans les différentes
résidences impériales. Ce qu’on appelle le « Louis XVI impératrice » s’impose donc avec vigueur, en
version confortable et capitonnée du style Louis XVI (en exemple les théâtres de la Reine à Trianon et
celui du château de Fontainebleau).
L’exotisme des années 1860.
Les résidences impériales sont d’ailleurs le cadre d’une cour brillante où l’Impératrice, en
hôtesse exigeante et raffinée, veille au moindre détail. Que ce soit aux Tuileries en hiver, St Cloud au
printemps, Fontainebleau en été et Biarritz et Compiègne en automne, Napoléon III et Eugénie
reçoivent princes et souverains étrangers, ambassadeurs, ministres, artistes mais également familiers et
amis, notamment lors des fameuses « séries » d’invités de Fontainebleau et Compiègne. Ainsi chaque
été à Fontainebleau des intimes particulièrement choisis sont invités à passer quelques jours dans la
« demeure des siècles » dans un cadre ou l’étiquette est infiniment plus relâchée. On peut y croiser les
membres de la famille, comme la mère de l’impératrice ou les ducs d’Albe, les Murat, les amis de
toujours comme Mérimée, les Metternich, Fleury et Pourtalès. Le vénérable château, qui en définitif a
plus les allures d’une demeure de villégiature, sait retrouver ses ors de palais d’Etat lors d’évènements
exceptionnels ; c’est le cas ce 27 juin 1861 ou l’Empereur et l’Impératrice reçoivent l’ambassade
siamoise dans la salle de bal du château. Les présents offerts lors de cette rencontre exceptionnelle
iront rejoindre d’autres collections exotiques : les objets chinois issus du sac du palais d’été de Pékin
ramenés par l’expédition franco-britannique de 1860. L’ensemble formera le noyau du musée chinois
de l’Impératrice à Fontainebleau, qui finira par se piquer d’Asie et d’Orient, imposant la mode de
l’exotisme, notamment lors de ses commandes auprès de ses joailliers (éventail de Mellerio en laque et
oiseaux en brillants, demi-parure d’inspiration orientale composée d’un collier et d’une broche en or
jaune, pendant en émeraude). Après les robes à panier de Marie-Antoinette, Eugénie n’hésite pas à
favoriser les costumes turcs ou apparaître en odalisque, laissant libre court a une sensualité, certes
maitrisée, d’une femme épanouie, réfléchie et sûre de sa position.
Les années 1860 : la fête impériale.
Les bals se succèdent sous le haut patronage de l’Impératrice. Aux Tuileries, en janvier et
février, se multiplient les réceptions. Tout ce que Paris compte en diplomates et gens du monde, ceux
qu’ils veulent voir et ceux qui veulent être vus, se pressent dans les salons impériaux. Napoléon III
veut que l’on danse, dans les palais et ministères : Marine, Ministère d’Etat au Louvre, à l’Hôtel de
Lassay ou règne Morny. A chaque fois l’Impératrice y parait, somptueusement parée. Elle considère
cependant ces attributs comme politiques et retirée dans ses appartements, une fois la fête terminée,
robes, traines et diamants finissent bien vite dans le tablier de Pepa, sa fidèle femme de chambre. Face
aux parures officielles somptueuses, extravagantes mais lourdes de Bapst, les commandes auprès de
Mellerio relèvent de la subtilité, de la finesse et de l’intime. Car à côté des réceptions officielles,
l’Impératrice se consacre du temps, qu’elle dévoue aussi à sa famille et ses amis. Elle se fait construite
un hôtel privé rue de l’Elysée et fait de même pour sa sœur adorée Paca, la Duchesse d’Albe. Le 24
avril 1860 ces murs sont le cadre du bal maqué le plus somptueux de la décennie. L’Impératrice, qui a
prévue d’y apparaitre en Diane chasseresse, fait confectionner par Bapst un croissant de diamants à
disposer dans sa chevelure. Le spectacle est si extraordinaire qu’une plaquette souvenir est éditée à
l’occasion.
L'impératrice ordonne et, de la base au faite,
Son charmant hôtel d'Albe en ce vaste Élisée
D'élégance et d'éclat par nul autre éclipsé,
Avec ses beaux salons, ses riches sculptures,
Ses tableaux variés, ravissantes peintures,
Sont, aux mains de l'art créateur des plaisirs,
Livrés, pour aussitôt exaucer ses désirs.
Plus loin, de cette fête une âme inspiratrice,
Empruntant les beaux traits de notre Impératrice
Sous un long vêtement, blanc, superbe et soyeux
Le changeant d'heure en heure, à tromper tous les yeux,
Si l'on eût pu la voir perdre, avec ses parures,
Sa grâce si parfaite et ses formes si pures,
Se glissait au milieu des groupes et.des fleurs,
Semait gracieux mots, entraînait tous les cœurs
.
Les années 1860 : la passion Mellerio.
Mellerio ne cesse d’avoir les faveurs de la souveraine, assurant à la vénérable Maison succès
et renommé, notamment à l’Exposition universelle de Londres en 1862. L’année précédente la Maison
Mellerio est une nouvelle fois désignée pour intervenir sur les Diamants de la Couronne. En effet
Eugénie souhaite compléter sa parure de perles et diamants par une paire de bracelets. Mellerio est
donc chargé en février 1861 d’exécuter deux fermoirs pour cinq rangs en perles et brillants composé
chacun d’un pavé de 38 brillants présentant une grosse perle en son centre ainsi que deux baguettes de
16 brillants chacune. Le tout est payé 800 francs.
Mellerio intervient également sur la célèbre parure de rubis et diamants de la Couronne, héritée de
Marie-Louise et remodelée sous la Restauration ; en modifiant la broche et les deux pendants d’oreille.
La fin des années 1860 marque le chant du cygne de la monarchie impériale. Ultime manifestation de
prestige : l’Exposition universelle de 1867 ou Eugénie, en hôtesse de l’Europe, reçoit empereurs, rois
et princes.
Le chant du cygne : la fin des années 1860.
L’Exposition universelle de 1867, inaugurée le 1er avril, marque une nouvelle fois les esprits
de l’Europe entière, dont les souverains se pressent à Paris, reçus par Eugénie. Le roi de Prusse, le tsar
de Russie, le roi des Belges, le roi de Suède, le roi d’Italie le prince de Galles, le vice roi d’Egypte
sont fêtés aux Tuileries ou à St Cloud.
Mellerio est également à l’honneur et multiplie les commandes auprès des dignitaires de passage. Son
stand présenté à l’Exposition est demeuré célèbre, on peut ainsi y voir le diadème acheté par le roi
d’Italie et celui offert l’année suivante par la reine Isabel II d’Espagne à sa fille. C’est également
l’année suivante qu’Eugénie achète une broche plume de paon, dont un modèle était présent sur le
stand Mellerio. L’exotisme est toujours en effet à la mode, surtout qu’Eugénie est sur le point de partir
pour le voyage le plus dépaysant de son règne : l’inauguration du canal de Suez. C’est chose faite le 17
novembre 1869. A bord du yacht impérial « l’Aigle », l’Impératrice, en compagnie de l’empereur
François Joseph, est la première à emprunter officiellement le canal. Moment de gloire pour Eugénie,
moment éphémère cependant, moins d’un an plus tard le Second Empire s’écroule …
Le 4 septembre 1870 la nouvelle de la défaite de Sedan arrive à Paris. L’empereur a été fait prisonnier,
on réclame la déchéance de la dynastie à l’Assemblée. L’Impératrice régente, restée jusqu’au bout aux
Tuileries, reçoit les clameurs de la foule comme un soufflet. On la presse de fuir. Une calèche est
empruntée place de la Colonnade. La femme la plus sophistiquée d’Europe, si ce n’est du Monde,
quitte les Tuileries avec seulement deux mouchoirs. Alors si entourée le matin même, Eugénie doit
s’en remettre à son dentiste pour lui permettre de fuir vers l’Angleterre….
Les années 1870 : la vente des joyaux privés.
Le 24 juin 1872 une foule nombreuse piétine Kings Street à Londres devant l’immeuble de
Christie’s. Aujourd’hui a en effet lieu une vente qui attire tous les curieux. Malgré son intitulé « une
partie des magnifiques bijoux d’un personnage distingué », personne n’est dupe, il s’agit bien d’une
grande partie de l’écrin privé de l’ex impératrice Eugénie. Cette dernière s’est en effet résolue à se
séparer de ses bijoux, parvenus en grande partie intacts en Angleterre après la chute de l’Empire. Les
123 lots sont un résumé des différents goûts de l’impératrice : les émeraudes (« une grande broche,
splendide, avec émeraude centrale entourée de très beaux brillants, avec pendentif d’une émeraude en
poire et brillants »v 104), les joyaux représentatifs du style Louis XVI (« une broche en nœud de
rubans et brillants » 60), du style végétal (« une superbe broche composé d’un bouton de rose et
feuillages entièrement en brillants » 64, un magnifique diadème de brillant, formant un ensemble de
feuillages »), du style grec, oriental, animal. Nombre de ces pièces portent d’ailleurs sans aucun doute
la signature de Mellerio.
Une autre vente retentissante a du porter un coup au cœur de l’impératrice, celle des diamants de la
Couronne du 12 au 23 mai 1887. Toutes les grandes parures qui furent l’ornement de sa beauté et de sa
puissance furent ainsi dispersées au plus offrant, à quelque très rares exceptions prêt, allant parer le
plus souvent de riches américaines outre-Atlantique, quand elles ne seront pas tout simplement
détruites pour en récupérer les pierres.
Les années 1870 : « Non, non plus jamais de telles choses !».
Des années plus tard, le 18 aout 1880 après avoir perdu son Empire, son mari et son fils, celle
qui fut l’une des femmes les plus célèbres et des plus courtisées de son époque, alla rendre visite à sa
grande amie la reine Victoria. Au cour de la rencontre, l’ex impératrice tend un petit paquet à la
souveraine britannique, lui indiquant de l’ouvrir seulement après sa mort. Cependant devant
l’insistance de Victoria, Eugénie accepte que cette dernière découvre le présent sur le champ. Victoria
révèle alors, ébahie, le contenu de la boite : la croix des Andes.
Cette fantastique émeraude, taillée en forme de croix d’un seul bloc et offerte à Eugénie par le roi
d’Espagne lors de sa visite en 1867, est à elle seule tout un symbole : symbole des goûts d’Eugénie
(les émeraudes), de ses origines (espagnoles), de ses croyances (tant décriées parfois) et de son apogée
en tant que souveraine (l’année 1867).
Intimidée, Victoria insiste pour qu’Eugénie conserve ce fabuleux joyau. L’ex impératrice, celle dont le
goût pour les pierres était pourtant proverbial, répondit « Non, non plus jamais de telles choses !».
Nicolas PERSONNE