Des parcours logement - CEDIAS

Transcription

Des parcours logement - CEDIAS
Collège Coopératif
Rhône Alpes
LOGEMENT ET DISCRIMINATION
Effets de la discrimination liée aux origines,
analysés à travers le parcours logement
de personnes issues de l’immigration maghrébine
Mémoire déposé en vue de l’obtention du
Diplôme Supérieur en Travail Social
(D.S.T.S.)
Directrice de recherche :
Présenté par :
Elisabeth MAUREL
Agnès VOISIN
LYON 2005
Remerciements
Ce fut un difficile mais passionnant chemin !
Merci à tous ceux et toutes celles qui m’ont accompagnée sur tout ou partie
du voyage :
ü Mathilde, Aurélie, Laetitia
ü Les femmes et les hommes qui ont bien voulu me raconter leur
histoire logement
ü Elisabeth Maurel et Monique Chauliac
ü L’ensemble des formateurs et les secrétaires du Collège Coopératif
Rhône-Alpes
ü Mes collègues de promotion et notamment Pascale, Khadra et Pierre
de mon groupe de tutorat
ü Xavier Robert, Martine Gelay, Roselyne Passaquin, Denis Mourier,
Olivier Chavanon, Jacques Barou, les membres des jurys blancs, et tous
ceux et toutes celles avec qui j’ai pu échanger à un moment donné sur
mon thème de recherche
ü L’Association Villeurbannaise pour le Droit au Logement
ü Benoît, Annabel et Pauline
Quelle qu’ait été l’aide apportée, petite ou grande, courte ou longue, elle
m’a permis d’aller jusqu’au bout de l’aventure.
Soyez-en très sincèrement remerciés !
- Moi je suis né en Algérie, c’est pas pareil…
Je me souviens aussi que quand on est parti pour la France,
c’était comme un rêve, un mot magique, “France” !
Sauf que tu vois, je l’ai toujours détesté ce putain de pays…
Mais toi c’est pas pareil, t’es chez toi ici, t’es français !
- Non c’est pas vrai, moi aussi je suis un arabe !
- Mais bien sûr que t’es un arabe !
C’est pas ça que je veux dire !
Ce que je voulais dire c’est que t’es un arabe français, aussi
français que les français de ta classe, mais la seule différence
c’est que toi t’es pauvre et qu’on peut te traiter de “sale bicot”.
Extrait du film de Christophe Ruggia
« Le gône du Chaâba »
d’après le roman d’Azouz Beguag
Sommaire
Avant-propos
…p 1 à 4
Introduction générale
…p 5 à 14
Première partie : Immigration et logement :
une articulation difficile
…p 15 à 50
Chapitre 1 : Immigration, intégration et discriminations
…p 16 à 30
1.1 : Un peu d’histoire
…p 17
1.2 : Assimilation, insertion, intégration :
des concepts aux idéologies différentes
…p 18
1.3 : Le concept de race ou la justification d’une idéologie
…p 22
1.4 : Le champ très large des discriminations
…p 25
1.5 : La prise en compte des phénomènes discriminatoires
…p 26
Chapitre 2 : Logement et populations issues de l’immigration
…p 31 à 42
2.1 : La politique de logement en France : d’une crise à l’autre
…p 31
2.2 : La ségrégation spatiale ou la place des pauvres et des étrangers dans la cité …p 34
2.3 : Le logement des immigrés marqué par la discrimination
…p 37
2.4 : Une association locale pour la lutte pour le droit au logement
pour tous sans discrimination
…p 39
Chapitre 3 : Logement - Identité - Intégration vus par le filtre de la
discrimination
…p 43 à 50
3.1 : Le logement, lieu de construction de soi et d’ouverture aux autres
…p 43
3.2 : Le droit au lo gement et la mixité sociale :
deux principes contradictoires ?
…p 45
3.3 : Place et reconnaissance des populations issues de l’immigration
et conséquences de la discrimination
…p 47
Deuxième partie : Des parcours logement
…p 51 à 93
Chapitre 1 : Méthode d’investigation
…p 53 à 58
1.1 : L’approche méthodologique
…p 53
1.2 : Présentation du déroulement de l’investigation
…p 54
1.3 : Les registres d’investigation
…p 57
Chapitre 2 : Habiter : logements et quartiers
…p 59 à 68
2.1 : Du logement privé au logement HLM
…p 59
2.1.1 : L’enfance
…p 59
2.1.2 : « Si on a le choix je crois qu’on n’irait pas habiter là-bas »
…p 61
2.1.3 : Le logement HLM : un aboutissement ?
…p 62
2.1.4 : D’autres projets : l’accession à la propriété
…p 64
2.2 : « Le quartier, ça donne tout de suite une image »
…p 65
2.2.1 : « Les quartiers, il y a ça, il y a ça… »
…p 65
2.2.2 : « Ça va pas être bon pour mes enfants »
…p 67
2.2.3 : Plutôt être mal logé que d’aller dans certains quartiers
…p 68
Chapitre 3 : Recherche de logements : « Des parcours de combattant »
…p 69 à 79
3.1 : Des démarches à n’en plus finir
…p 69
3.2 : Des stratégies de recherche
…p 70
3.3 : « On est qu’un nom et un numéro »
…p 72
3.4 : « Vous je vous vois plus là-bas » ou l’absence de choix
…p 75
3.5 : « Quand on est appuyé, c’est beau quand même »
…p 77
Chapitre 4 : Difficultés d’accès: « Des discours de dingue »
…p 80 à 92
4.1 : Causes multiples et questions de priorité
…p 80
4.1.1 : Le contexte socio-économique
…p 80
4.1.2 : « Dans les priorités… il y a des priorités »
…p 81
4.2 : « Quand ils ont vu ma tête » ou la question de l’origine
…p 83
4.2.1 : L’origine
…p 84
4.2.2 : Le patronyme
…p 85
4.2.3 : « La tête »
…p 86
4.2.4 : La discrimination
…p 87
4.3 : Intégration et identité
…p 87
4.3.1 : L’intégration : une question qui ne se pose pas ?
…p 87
4.3.2 : « Le cul entre deux chaises »
…p 88
4.3.3 : Recherche d’explications
…p 90
Troisième partie :
Du concept d’identité aux stratégies identitaires
…p 94 à 124
Chapitre 1 : Le concept d’identité
…p 96 à 106
1.1 : L’identité : une question ancienne et complexe
…p 96
1.2 : L’identité : un concept riche et dynamique
…p 98
1.3 : Discrimination et identité
…p 100
1.4 : Identité, exclusion et intégration
…p 105
Chapitre 2 : Réactions à la discrimination et stratégies identitaires
…p 107 à 117
2.1 : Les stratégies identitaires : un domaine très vaste
…p 107
2.2 : Des réactions personnalisées face à la discrimination ou au racisme
…p 108
2.3 : Deux objectifs majeurs : le logement
et la reconnaissance de leur intégration
…p 112
2.4 : Tentative de schématisation du processus
…p 115
Chapitre 3 : Envisager la lutte contre les discriminations
…p 118 à 123
3.1 : Au niveau de l’Etat et des collectivités territoriales
…p 119
3.2 : Au niveau des bailleurs sociaux
…p 120
3.3 : Au niveau des associations et des travailleurs sociaux
…p 122
Conclusion générale
…p 125 à 129
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
…p 130 à 134
BIBLIOGRAPHIE GENERALE
…p 135 à 138
ANNEXES
…p 139 à 187
-1-
Avant-propos
« Où commencent les droits de la personne ?
tout près de nous, en des lieux si près et si
petits qu’ils ne figurent sur aucune carte…»
Eléonore Roosvelt
-2-
- Avril 1989 Vaulx -en-Velin Village, au bord d’un champ, le long de la route qui mène aux maraîchers,
un bungalow. Un panneau annonce la construction prochaine de trente maisons. C’est la
troisième fois que je rends visite à la vendeuse. Je pense enfin avoir épuisé toutes les
questions et obtenu toutes les réponses qui nous permettront de prendre la décision
d’acheter, lorsque la vendeuse prend à nouveau la parole :
- Et puis vous savez, il n’y aura pas d’étranger ici !
- Ah bon ?
- Oui… enfin… pas de certains étrangers… enfin… pas d’arabes !
- Ah ! comment cela se fait-il ?
- Nous avons eu des instructions ; nous ne vendrons pas aux arabes !
- Ah bon ! mais si certains se présentent ?
- Oh vous savez on trouve toujours un moyen de refuser ; par exemple, pas assez de
garanties pour les prêts…
Silence
J’explique alors à la vendeuse que je suis assistante sociale et qu’après avoir vécu pendant
trois ans dans un bidonville en Afrique, en tant que volontaire de l’Organisation Non
Gouvernementale Frères des Hommes, je travaille depuis un an dans une association qui
lutte pour le droit au logement pour tous sans discrimination.
- Ah !… Ah oui… je comprends mieux maintenant pourquoi vous ne m’aviez pas posé
la question…
- Quelle question ?
- Et bien la question de savoir qui allait habiter ici ! Ça fait habituellement partie des
trois premières questions que les gens me posent systématiquement…
- Juin 1999 Je vends ma maison. Dans le lotissement, depuis dix ans, pas un arabe ! On trouve bien une
famille yougoslave, une autre d’origine italienne et une troisième portugaise ; il y a même
une famille antillaise ! Mais pas d’arabe…
Mes voisins, ceux qui n’avaient pas très bien accueilli la collègue algérienne à qui j’avais
prêté un jour ma maison au mois d’août, mes voisins donc, d’origine européenne, me font
comprendre qu’il faut que “je vende bien” !…
Je ne l’ai pas fait exprès mais j’ai trouvé des acquéreurs, français, d’origine française,
blancs ! Je regrette un peu !…
-3-
- Avril 2002 Après trois années passées à la Fonda Rhône-Alpes en tant que déléguée régionale, j’ai
repris la direction de l’Association Villeurbannaise pour le Droit au Logement depuis
presque quatre ans.
C’est le temps de la campagne électorale pour l’élection du Président de la République.
Cela fait six mois que j’ai commencé ma formation avec deux objectifs : valider et enrichir
mon expérience d’encadrement ; acquérir des outils de compréhension et d’analyse d’une
société dont les mécanismes se complexifient.
Le travail de recherche a commencé ; c’est le temps de l’exploration. Je suis à l’écoute de
tout ce qui peut concerner les discriminations dites “raciales”. Dans la semaine qui précède
le premier tour de l’élection présidentielle, la télévision diffuse deux spots : le premier
cherche à sensibiliser l’opinion aux problèmes de discriminations dans le cadre de la
Campagne nationale 2002 de lutte contre les discriminations ; le deuxième est un spot d’un
candidat d’extrême droite, raciste et xénophobe. Une telle ambivalence semble surréaliste !
Je cherche à comprendre : peut-être est-ce cela la démocratie ? La liberté d’opinion ? La
tolérance ?... Tout de même, ce n’est pas satisfaisant !
A la fin de la semaine, un autre candidat d’extrême droite arrive en deuxième position du
premier tour des élections présidentielles avec plus de 16 % de suffrages !
Sujet d’actualité, sujet brûlant, sujet dangereux ? Tant pis, je continue ; l’exigence de la
rigueur scientifique et de la neutralité du chercheur sera un vrai combat !
- Juillet 2004 A quelques semaines du point final de ce mémoire, le Président de la République française
prononce un discours en réaction à la montée des actes racistes et antisémites : « Le combat
pour la tolérance et pour l’honneur est une conquête fragile et toujours recommencée » dit
le chef de l’Etat qui réclame la mobilisation de tous les responsables publics pour lutter
contre les discriminations. « Mais pour absolues qu’elles soient, et je m’y engage, la
détermination des pouvoirs publics, la volonté, l’action de l’Etat et des autorités locales ne
sauraient, à elles seules, suffire… C’est l’engagement de chacune et de chacun et la
solidarité de tous, jour après jour, qui font la force et l’exemplarité des communautés
humaines… Face au risque de l’indifférence et de la passivité au quotidien, j’appelle
-4-
solennellement chaque française et chaque français à la vigilance. Devant le danger, je les
appelle au sursaut »1.
Cette intervention n’est pas faite pour nous rassurer : nos craintes, face à la montée du
racisme, de la discrimination, des intolérances, de l’ethnicisation, se confirment. Puisse cet
appel être entendu par tous et toutes !
Une question subsiste pourtant à propos de cette intervention : pourquoi le chef de l’Etat at-il choisi pour sa déclaration un lieu hautement symbolique de la lutte contre le seul
antisémitisme et pourquoi n’a-t-il pas invité des représentants de l’Islam alors que des
représentants des religions Juive, Catholique et Protestante étaient présents ? Ainsi, même
au plus haut niveau de l’Etat, le risque d’entretenir des frustrations et un sentiment
d’injustice réelle et/ou fantasmée des personnes issues de l’immigration maghrébine reste
présent ! En confortant le sentiment du “deux poids, deux mesures”, n’y a-t-il pas un risque
d’introduire de la discrimination dans le traitement de la discrimination ?
1
Propos de Jacques Chirac, extraits de son discours du jeudi 8 juillet 2004 à Chambon-Sur-Lignon (site Internet de
l’Elysée).
-5-
Introduction
générale
« Je rêve d’un logis, maison basse à fenêtres
Hautes, aux trois degrés usés, plats et verdis
Logis pauvre et secret à l’air antique estampe
Qui ne vit qu’en moi -même, où je rentre parfois
M’asseoir pour oublier le jour gris et la pluie »
André Lafon
-6-
INTRODUCTION GENERALE
_________________________________________________________________________
La question de la discrimination dite “raciale” 2 est au cœur des préoccupations politiques
de l’Association Villeurba nnaise pour le Droit au Logement 3 depuis sa création en 1985.
L’objet de l’association est « la lutte pour l’accès au logement pour tous sans
discrimination et la lutte contre le racisme et toute forme de discrimination » 4.
Après les premières années militantes et revendicatives, les années 90 ont vu la question
des origines géographiques des demandeurs de logement noyée au cœur d’un cumul de
difficultés sociales que devaient affronter les usagers de l’AVDL. Bien qu’une très grande
majorité des personnes sollicitant l’association soit issue de l’immigration, notamment
maghrébine 5, nous ne discernions plus très bien ce qui était en jeu dans les critères
d’attribution de logement. Il n’est effectivement pas toujours aisé de distinguer ce qui
relève de la discrimination sociale (qui peut être justifiée par des critères de refus objectifs
ou tout du moins légitimes tels que les ressources ou la composition familiale) par rapport à
la discrimination liée à l’origine (basée sur des critères arbitraires, illégitimes, interdits par
la loi) 6. Si les deux phénomènes peuvent être conjugués pour une partie du public issu de
l’immigration, la question sociale ne doit pas éclipser la discrimination liée à l’origine, le
risque étant que ce type de discrimination se perpétue par le détour des inégalités
sociales : « Signalons enfin un effet pervers de l’amalgame entre bas niveaux de revenu (ou
populations défavorisées) et origine immigrée. Cette généralisation abusive tend à
englober la problématique de l’accès au logement social des immigrés dans celle des
“populations défavorisées” ramenant les traitements inégalitaires à une question de
ressources qui sous-estime la portée des considérations liées à l’origine ethnique et
raciale »7. Or sur le plan politique, « les enjeux de classes sont différents des enjeux de
races »8 et le traitement des deux phénomènes ne requiert pas forcément les mêmes outils.
2
Cet intitulé est celui utilisé par le langage commun qui continue à être employé par les pouvoirs publics ou les
personnes ayant travaillé sur ce sujet ; or nous verrons au cours de notre recherche que la notion de race appliquée à
l’être humain n’a aucune valeur scientifique ; nous utiliserons donc de préférence le terme « discrimination liée à
l’origine » tout au long de notre travail, le terme « origine » renvoyant à l’origine géographique des demandeurs de
logement et non à leur origine sociale.
3
Nous utiliserons à présent l’abréviation AVDL. Voir la liste des sigles, annexe 6.
4
Extraits des statuts de l’association.
5
Nous verrons que plus de 82 % des demandeurs de logement qui sollicitent l’AVDL portent un nom d’origine
étrangère, en très grande majorité à consonance arabe.
6
L’étude du laboratoire Ceramac pour le compte du FASILD, (sous la direction de) CHIGNIER-RIBOULON
Franck, Les discriminations à l’encontre des catégories moyennes étrangères ou perçues comme étrangères sur le
marché du locatif privé, 2003, montre que les classes moyennes (plus de 1500 euros de revenus) issues de
l’immigration sont également confrontées à la discrimination à l’accès au logement, malgré le montant de leurs
ressources et leur situation professionnelle.
7
SIMON Patrick et KIRSZBAUM Thomas, Les discriminations raciales et ethniques dans l’accès au logement
social, rapport du GELD, mai 2001, page 16.
8
Intervention de Eric FASSIN, journée d’étude Etat et société civile face aux discriminations, CERSA-CREDOF,
Paris, 21 juin 2002.
-7-
C’est vers la fin des années 90 que la question de la discrimination liée à l’origine a resurgi
de manière importante sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs. Au niveau européen,
cette question est fortement mise en avant, notamment par le Traité d’Amsterdam de 1997.
En France de nombreux constats sont dressés sur cette question, par la Commission
Nationale Consultative des Droits de l’Homme, le Haut Conseil à l’Intégration 9, des
syndicats et des associations. Au niveau local, c’est l’appel répété à la mixité sociale et
l’attention dorénavant donnée aux patronymes dans les commissions d’attributions de
logement qui nous ont ale rté, ce dernier point laissant supposer que non seulement la
discrimination existe toujours, mais qu’elle touche aussi bien les personnes d’origine
étrangère que de nationalité étrangère.
Durant l’année 2000, le travail d’un stagiaire nous a permis de prendre conscience que les
pratiques des intervenants sociaux de l’AVDL n’étaient pas exemptes d’une participation,
certes involontaire, à ce phénomène de discrimination liée à l’origine qui touche les
demandeurs de logement : non orientation des ménages vers les bailleurs refusant a priori
les personnes d’origine étrangère, anticipant ainsi leur refus et du même coup voilant leurs
pratiques discriminatoires ; intégration de certaines réalités, telle la difficulté d’accès au
centre ville des ménages d’origine étrangère, au point d’essayer de convaincre le demandeur
de l’intérêt qu’il aurait à revoir à la baisse ses prétentions géographiques au regard de sa
demande de logement... Experts du logement, voire « experts des pauvres »10 et experts des
populations d’or igine étrangère, nous devenons passage obligé pour les publics ayant des
difficultés à accéder au logement de manière autonome. La connaissance que nous avons
des ménages nous permet de jouer un rôle de médiation auprès des bailleurs qui attendent
de l’accompagnement social une sorte de garantie ou caution morale, parfois même assortie
d’un contrat explicite comme dans le cas de la sous-location. Les mécanismes de médiation
risquent alors de déterminer le bon du mauvais candidat et de cautionner la sélection, voire
la discrimination. Ainsi « il semblerait que les processus de discrimination ne seraient plus
l’apanage des seuls bailleurs, mais impliqueraient les agents d’interface, compromis
malgré eux dans l’acte discriminant »11.
Nous prenions alors conscie nce de la complexité de ce phénomène. En tant que directrice de
l’AVDL, chargée notamment de l’articulation entre le projet politique associatif et sa mise
en œuvre assurée par l’équipe de huit salariés, nous mesurions la nécessité de travailler la
question de la discrimination liée aux origines dans le logement afin d’envisager un
repositionnement clair de l’association. A notre entrée en formation, nous avons saisi sans
9
Nous utiliserons à présent les abréviations CNCDH et HCI.
Intervention de Elisabeth MAUREL, colloque Les associations, actrices de la politique du logement, Paris, 14
novembre 2001.
11
ROBERT Xavier, mémoire de DESS de Sociologie Appliquée au Développement Local, Les processus de
régulation des demandeurs de logement : entre dispositions sociales, dispositifs techniques et institutionnels, juin
2001, page 143.
10
-8-
hésitation l’opportunité qui nous était offerte par le travail de recherche, pour appr ofondir
ce thème. Notre objectif était de dépasser les pré-notions que nous pouvions avoir sur le
sujet et d’en saisir les enjeux à partir d’un travail approfondi qui laisserait toute sa place aux
personnes concernées par la discrimination.
« La discrimination est un fait social ; c’est un sujet sensible, lourd d’enjeux multiples, qui
met en jeu les mécanismes d’intégration » 12. Selon le rapport du Groupe d’Etudes et de
Lutte contre les Discriminations 13 paru en mai 2001 « depuis sa mise en service en mai
2000, le 114, numéro d’appel gratuit à la disposition des personnes qui ont fait l’objet ou
qui ont été témoins de discriminations à caractère racial, a établi près de 5 000
signalements dont 12% concernaient l’habitat. Les situations rapportées dans ces
signalements décrivent un vaste éventail de discriminations dans l’habitat, concernant aussi
bien les refus de location, que les relations difficiles avec les propriétaires, voire des
voisins. Elles sont constatées dans le secteur privé comme dans le parc social […] S’il
n’existe pas d’évaluation globale du rôle de l’origine ethnique ou raciale dans les
politiques et pratiques de peuplement, un faisceau d’indices montre l’importance du
phénomène »14. La difficulté d’appréhension de la discrimination dans le cha mp de l’habitat
réside dans le fait que c’est souvent à l’issue d’un enchaînement de pratiques et de
décisions, tout au long de la chaîne d’attribution de logements, que des différences de
traitement illégitimes se manifestent, sans que les acteurs n’aient le sentiment ni l’objectif
de le faire, notamment en ce qui concerne l’accès au logement social.
C’est l’élu qui, en commission d’attribution, demande aux participants de « veiller à
l’équilibre patronymique »15. Les élus locaux revendiquent en effet de plus en plus la
maîtrise des attributions de logements sociaux sur leur territoire : « Un véritable pouvoir
d’appréciation sur les conditions d’accès au logement social semble ainsi se dessiner, mais
il joue souvent dans le sens de la discrimination des populations immigrées, en particulier
quand elles sont étrangères à la commune » 16.
C’est le bailleur qui justifie sa politique en s’appuyant sur les réactions des élus et des futurs
locataires : « Vous verrez toujours quand vous vous baladez avec des élus, ils regardent la
consonance des noms qui sont sur les boîtes aux lettres des résidences, ou bien les gens
quand ils veulent louer un appartement, ils regardent les noms sur les boîtes aux lettres, ou
ils comptent le nombre de paraboles »17. Les bailleurs sont ainsi amenés à exercer ce que
12
Intervention de Jacques CHEVALLIER, introduction à la journée d’étude Etat et société civile face aux
discriminations, CERSA-CREDOF, Paris, 21 juin 2002.
13
Nous utiliserons à présent l’abréviation GELD.
14
Rapport du GELD, mai 2001, pages 3 et 7.
15
Propos tenus lors d’une Commission Locale d’Orientation et d’Attribution en mars 2000.
16
SIMON Patrick, Le logement social en France et la gestion des risques, dans Hommes et Migrations n°1246,
France-USA Agir contre les discriminations II – Méthodes et pratiques, novembre-décembre 2003, page 85.
17
Citation d’un bailleur social, dans ROBERT Xavier, page 90.
-9-
Patrick Simon appelle une gestion “ethnicisée” du risque : « La certitude d’une
dévalorisation possible du site engage les bailleurs sociaux à reporter la demande
potentiellement “disqualifiante” vers des programmes peu attractifs »18. Selon l’auteur, la
manipulation de la notion de risque s’apparente à une “discrimination probabiliste”.
L’Union Sociale pour l’Habitat19 a contesté le rapport du GELD ; en réaction elle a mis en
place un groupe de travail composé de trois personnalités indépendantes. Leur rapport,
remis en juillet 2001, précise que « des causes objectives20 aboutissent à une situation peu
satisfaisante quant aux conditions effectives de logement des immigrés : concentration
fréquente dans les parties du parc de moindre qualité ou mal situées ; difficultés à obtenir
une mutation, absence de véritables parcours résidentiels ; dépendance exclusive de
certaines nationalités à l’égard du logement social ».
Ce sont enfin les réservataires de logements sociaux, les associations d’aide à l’insertion par
le logement et les travailleurs sociaux, tous ces intermédiaires qui, parfois sans s’en rendre
compte, anticipent sur les refus potentiels des élus et des bailleurs, cautionnant ainsi malgré
eux la discrimination 21. « Les préfectures ne font bien souvent qu’entériner ces pratiques
discriminatoires en intériorisant les critères des organismes HLM… Les services de l’Etat
contribuent à classer les immigrés parmi les catégories à risque »22.
Pour les personnes directement concernées par la discrimination, le sujet paraît tabou ;
pourtant elles semblent conscientes du phénomène sans toutefois le nommer : « Je suis née
en Algérie mais j’ai grandi en France. Mais le souci il reste le même ; j’ai un nom arabe,
je ne passe pas ! Je ne passe pas au niveau travail, je ne passe pas au niveau logement, je
ne passe pas »23.
Les pouvoirs publics reconnaissent l’existence du phénomène et tentent de mettre en place,
depuis 1998, un certain nombre de dispositifs pour lutter contre la discrimination : « Oui,
des discriminations existent. Nous le savons. L’Etat ne peut pas être sourd à tous ces
témoignages… La République ne peut admettre de tels comportements. C’est contraire à
ses valeurs, à son esprit, à sa philosophie. Il faut donc agir, avec force et détermination,
pour rendre effective, palpable, concrète, l’égalité d’accès aux droits. La lutte contre les
discriminations est l’affaire de tous »24.
18
SIMON Patrick, Hommes et Migrations n°1246, novembre-décembre 2003, page 84.
Il s’agit de l’ex Union Nationale des organismes HLM.
20
Selon le rapport, ces causes objectives sont l’histoire du patrimoine social et l’histoire de l’immigration, la
mauvaise répartition du parc de logement social sur le territoire, les politiques publiques spécialisées, la situation
économique globalement défavorable des immigrés.
21
Deux études au moins mettent ce constat en exergue : celle de ROBERT Xavier précédemment citée et celle de
MAGUER Annie et BAROU Jacques, Les difficultés d’accès ou de maintien dans un logement des jeunes immigrés
ou issus de l’immigration - Identification des discriminations, ISM -CORUM, étude commanditée par le FASILD
national, septembre 2001.
22
SIMON Patrick, Hommes et Migrations n°1246, novembre-décembre 2003, page 83.
23
Extraits de la cassette vidéo C’est quoi un droit, Moderniser Sans Exclure - AVDL, décembre 2001.
24
AUBRY Martine, Intervention aux Assises de la citoyenneté et de la lutte contre les discriminations, 18/03/2000.
19
- 10 -
Nous considérons donc l’existence de la discrimination liée à l’origine dans le logement
comme un fait social établi même si elle peut prendre des formes très variées, depuis le
propriétaire ouvertement raciste jusqu’aux pratiques des bailleurs sociaux et des
intermédiaires qui s’inscrivent plutôt dans un mode de discrimination indirecte, de type
systémique 25. En dehors de tout autre élément concernant la situation sociale du demandeur
de logement, la discrimination liée à l’origine est présente au cœur des politiques
d’attribution de logements.
Nous nous étions lancés dans le travail exploratoire sans définir de question précise, avide
de trouver des clés de compréhension au phénomène de discrimination. Nous avons
constaté que si les pouvoirs publics et les acteurs du logement s’expriment directement ou
indirectement, via des lois, des études ou des articles sur le thème de la discrimination liée à
l’origine , la parole des personnes qui la subissent n’apparaît que trop rarement. Or, face à ce
phénomène complexe, aux enjeux et mécanismes multiples, nous nous interrogeons sur ce
que les personnes concernées ont à en dire, convaincue « que les hommes ne sont pas de
simples agents porteurs de structures mais des producteurs actifs du social, donc des
dépositaires d’un savoir important qu’il s’agit de saisir de l’intérieur, par le biais du
système de valeurs des individus »26. Nous avons alors choisi d’aborder la question de la
discrimination du point de vue des personnes qui la subissent ; ce choix est concomitant au
souci que nous avons de redonner plus de place aux usagers au sein de l’AVDL, afin qu’ils
soient réellement acteurs de leur propre histoire logement.
La discrimination est en soi un fait grave ; le fait qu’elle touche des français aussi bien que
des étrangers nous paraît représenter un danger social alarmant. Il nous semblait que la
discrimination ne pouvait être sans effet, notamment en ce qui concerne l’identité des
français touchés, mais nous ne mesurions ni l’ampleur de ces conséquences, ni leur teneur.
Nous avons donc souhaité comprendre le sens que les personnes investissent dans ce
qu’elles vivent : les demandeurs de logement, d’origine maghrébine mais Français 27, qui ont
des difficultés à trouver un logement perçoivent-ils la discrimination ? La nomme nt-ils ? De
quelle manière ? Quel sens lui donnent-ils ? Quelles sont leurs réactions ? Comment
négoc ient-ils la discrimination ? A-t-elle des incidences sur leur identité et sur leur
intégration ?
Au fur et à mesure de nos lectures et de nos entretiens exploratoires avec des personnes
ressources et des personnes accompagnées par l’AVDL, nous avons perçu la pertinence de
25
Nous reviendrons sur ces concepts dans notre 1ère partie.
KAUFMANN J-C, L’entretien compréhensif, Nathan Université, Paris, 1997, page 23.
27
Nous avons choisi d’axer notre recherche en direction des populations d’origine maghrébine, essentiellement parce
qu’elles composent la grande majorité des personnes qui sollicitent l’AVDL, mais aussi parce qu’« en France, force
est de constater que le racisme vise en premier lieu les Maghrébins » (COSTA-LASCOUX Jacqueline, De l’immigré
au citoyen, Notes et études documentaires n° 4886, Paris, La Documentation Française, 1989-11, page 98).
26
- 11 -
ces questions ; nous avons donc choisi d’orienter notre recherche sur les conséquences que
la discrimination liée à l’origine dans le logement peut avoir sur les Français qui la
subissent, notamment en terme d’identité et d’intégration. Face à la complexité de la
discrimination et face à la difficulté de l’ensemble des acteurs à y remédier, notre recherche
se veut essentiellement compréhensive. Il s’agit de contribuer à la connaissance du
phénomène par l’apport du point de vue des personnes concernées.
Notre question centrale est la suivante :
« Quels sont les effets de la discrimination liée à l’origine sur l’identité et l’intégration
des demandeurs de logement d’origine maghrébine ? ».
Selon Abdelmalek Sayad, « le fait même de l’immigration est entaché de l’idée de “faute”,
de l’idée d’anomalie ou d’anomie » 28. Le besoin persistant de rendre visible l’origine des
populations
issues
de
l’immigration,
d’origine
étrangère,
maghrébins,
d’origine
maghrébine, beurs 29, beurettes… ne vient-il pas marquer la différence, comme si cette
origine ne pouvait leur permettre d’être français comme n’importe quel autre Français ?
Nous pourrions imaginer que l’additif représente un plus, n’est-il pas plutôt stigmate ?
Désigne-t-il une mise à l’index ? Induit-il des droits ou des devoirs supplémentaires ou
spécifiques ? Est-il le moyen de mettre à distance cet autre un peu semblable mais pas tout à
fait le même ? Lorsque les distances culturelles et sociales s’affaiblissent et que l’autre,
d’origine étrangère, devient trop proche pour être exotique, mais reste différent pour être
identique, il y a comme un besoin de recréer une nouvelle distance. Cet autre assimilé ne
peut être tout à fait pareil ; il n’est pas français tout court mais français quelque chose, ce
quelque chose le renvoyant à son étrangéité et à ses différences. Français, ils restent
immigrés, toujours en référence à l’épisode d’immigration de leurs parents, épisode qu’ils
n’ont pas connu ou trop jeunes pour s’en souvenir précisément, comme s’il ne devait jamais
cesser de s’accomplir et qu’il pouvait à lui seul les définir. C’est comme s’ils portaient avec
eux un passif qui les marquent d’emblée avant même que nous puissions découvrir qui ils
sont vraiment ; dès l’évocation de leur nom, dès le premier regard ils sont désincarnés,
marqués des représentations 30 que leur interlocuteur a de l’immigration maghrébine. Ainsi,
bien qu’ils soient français, leur vie sociale risque en permanence d’être marquée par des
discriminations sur la base de leur origine.
28
SAYAD Abdelmalek, Immigration et “pensée d’Etat”, Actes de la recherche en Sciences Sociales n° 129,
septembre 1999, page 8.
29
« Un Beur, c’est quelqu’un qui est né en France et qui a la nationalité française… Beur, c’est encore pour faire la
différence et dire que nous ne sommes pas de vrais français », dans ROJZMAN Charles avec Sophie PILLODS,
Savoir Vivre ensemble – Agir autrement contre le racisme et la violence, La Découverte/Poche, 2001, Paris, page 56.
30
Nous retiendrons la définition suivante du terme représentation : « Perception, image mentale, etc., dont le contenu
se rapporte à un objet, à une situation, à une scène, etc., du monde dans lequel vit le sujet », Le Petit Larousse illustré
2005, Paris, 2004, page 923.
- 12 -
Les mauvaises conditions de logement (habitats précaires voire insalubres) ont marqué les
parcours résidentiels de la plupart des immigrés ; « un mécanisme d’identification entre
l’état plus ou moins insalubre du logement et l’image sociale négative des populations qui
l’habitent se met alors en place, créant pour ces dernières un handicap qui limitera leurs
possibilités de mobilité résidentielle, les rendant suspectes d’incapacité à habiter sans
dégrader aux yeux des bailleurs auxquels elles peuvent s’adresser »31. A cela s’ajoute nt les
difficultés d’intégration sociale qui ont surgi dans les quartiers à forte concentration de
logements sociaux occupés majoritairement par des immigrés. Ces difficultés contribuent à
stigmatiser encore davantage toute la population d’origine maghrébine, désormais marquée
du sceau de la difficulté pré-supposée à s’approprier un logement et à s’adapter à son
environnement. C’est toute une population sans distinction, dont le comportement est jugé à
risque vis -à-vis du logement, du simple fait de ses origines, et qui rencontre ainsi des
difficultés d’accès au logement. Nous nous interrogeons pour savoir quels en sont les effets
sur l’identité ?
Chaque individu est porteur d’une identité personnelle ou identité pour soi, qui est avant
tout une réalité subjective, réflexive, ressentie, et d’une identité sociale qui relève surtout
du souci qu’ont les autres de le définir ; cependant les deux sont étroitement liées. Compte
tenu d’une part de l’absence d’un logement correspondant à leurs besoins, et d’autre part de
la stigmatisation liée à la discrimination, nous pouvons supposer que la discrimination dans
le logement a des conséquences sur l’identité des personnes qui la subissent et interpelle
leur intégration.
L’analyse d’ Erving Goffman32 admet cependant l’hypothèse de la résistance des individus
au stigmate grâce à une marge d’autonomie dans la définition de soi qui leur permet
d’intérioriser, de refuser ou de négocier l’emprise que le stigmate va avoir sur eux. Selon
Carmel Camilleri33, les situations d’hétérogénéité des cultures en un même lieu obligent les
populations étrangères ou issues de l’immigration à produire des stratégies identitaires,
multiples et variées, qui visent à réduire l’écart entre l’identité personnelle et l’ identité
sociale. Nous nous attacherons donc à chercher en quoi la discrimination au logement liée à
l’origine a des effets sur l’identité des personnes, ainsi que sur leur intégration, et nous
étudierons comment elles réagissent face à ce phénomène, notamment par la mise en place
de stratégies identitaires.
Le champ disciplinaire retenu pour notre recherche est celui de l’ethnosociologie dans la
mesure où elle permet l’étude d’un microcosme social particulier ou une catégorie de
31
BAROU Jacques, L’habitat des immigrés et de leur famille, La Documentation Française, 2002, Paris, page 14.
GOFFMAN Erving, Stigmate Les usages sociaux des handicaps, Editions de Minuit, Lonraï, 2001 (1 ère édition 1963).
33
CAMILLERI Carmel, Stigmatisation et stratégies identitaires, dans HAUMONT Nicole (sous la direction de) La
ville : agrégation et ségrégations sociales, Paris, L’Harmattan, 1996, pages 85 à 92.
32
- 13 -
situation afin d’en comprendre les logiques propres. Selon Daniel Bertaux, « la démarche
ethnosociologique consiste à enquêter sur un fragment de réalité sociale historique dont on
ne sait pas grand-chose a priori »34. La démarche ethnosociologique donne un statut
spécifique à l’hypothèse ; il ne s’agit pas, comme dans la démarche hypothético-déductive,
de vérifier une hypothèse. La démarche doit plutôt aboutir à l’élaboration d’hypothèses
« sur des configurations de rapports, des mécanismes sociaux, des processus récurrents ;
sur des jeux sociaux et leurs enjeux ; bref, sur tous types d’éléments permettant d’imaginer
et de “comprendre comment ça marche” »35. Compte tenu de notre question, il nous a
semblé difficile de poser, avant même d’avoir commencé à entendre les personnes
concernées, une hypothèse qui risquait de limiter le champ des possibles et d’orienter a
priori notre écoute et notre analyse.
Pour le travail de recueil de données, dans la logique de la démarche ethnosociologique,
nous avons utilisé les récits de vie, centrés sur l’histoire logement de français issus de
l’immigration maghrébine. C’est bien par l’entrée logement que nous tâcherons d’analyser
les processus liés à la discrimination, même si nous prendrons en compte les interactions
éventuelles avec la discrimination dans d’autres domaines (école , travail...).
La première partie de notre travail situe le contexte de notre recherche, entre immigration,
intégration et discrimination d’une part, habitat d’autre part. Nous terminerons cette partie
en essayant d’interroger le triptyque “logement - identité - intégration” vu par le filtre de la
discrimination.
La seconde partie est consacrée à la présentation du travail d’investigation ; nous
expliquerons la méthodologie employée avant de restituer le contenu des dix récits de vie
que nous avons collectés auprès de ménages ayant été accompagnés par l’AVDL dans leur
recherche de logement. Cette présentation se fera en trois registres : l’habitat, la recherche
de logement, les difficultés d’accès au logement.
Dans la trois ième partie, nous travaillerons le concept d’identité et la notion de stratégies
identitaires ; nous essayerons d’analyser le processus qui lie les problèmes de logement
rencontrés par les personnes issues de l’immigration maghrébine, avec les questions
qu’elles se posent quant à leur identité et leur positionnement par rapport à l’intégration.
Nous étudierons leurs réactions face à la discrimination et les stratégies identitaires que peut
induire la discrimination.
Nous montrerons ainsi que leurs mauvaises conditions de logement dans le parc privé, leurs
difficultés d’accès au parc social et la perception qu’elles ont de la volonté des réservataires
ou des bailleurs de les envoyer dans les quartiers stigmatisés, font que les personnes
34
35
BERTAUX Daniel, Les récits de vie, Nathan Université, Paris, 1997, page 16.
Ibidem, page 26.
- 14 -
rencontrées perçoivent la discrimination mais qu’elles ont tendance à la minimiser, voire à
la nier. Elles concentrent leur énergie sur deux aspects majeurs et prioritaires pour elles :
d’une part l’obtention d’un logement social dans un quartier non stigmatisé et d’autre part la
reconnaissance de leur identité française et de leur intégration qui continue, bien malgré
elles, à être interrogée. Leur refus catégorique d’aller vivre dans des quartiers stigmatisés à
forte concentration de ménages d’origine étrangère peut être alors compris comme une
résistance individuelle à la discrimination et une lutte pour la reconnaissance de leur
intégration.
Nous terminerons ce mémoire par la formulation de quelques pistes de travail possibles
pour lutter contre la discrimination liée à l’or igine, ceci à tous les échelons de la société ; en
effet, la réussite de cette lutte contre les discriminations passe par un engagement de la
société toute entière, depuis le simple citoyen qui doit interroger ses représentations jusqu’à
la mise en place de dispositifs au plus haut niveau de l’Etat.
- 15 -
Première partie
Immigration et logement :
une articulation difficile
« On vient tous du même pétrin,
qu’on soit froment ou sarrasin,
herbe folle maïs ou blé noir,
du champ voisin ou de nulle part »
Benoît Morel, La Tordue
- 16 -
INTRODUCTION
_________________________________________________________________________
Dans cette première partie nous allons tenter de cerner le contexte de notre recherche. La
discrimination liée aux origines s’inscrit dans la perception que les français ont de
l’immigration et de l’intégration ; nous aborderons donc certains concepts ou notions
incontournables de la sociologie des migrations tels que assimilation, insertion, intégration,
race, ethnie, discrimination. Pierre Milza, Laurent Mucchielli, Abdelmalek Sayad,
Dominique Schnapper, Michel Wieviorka ont été les principaux auteurs qui nous ont
permis d’aborder ces questions avec l’appui également de nombreux articles et de quelques
études. Resituant ces concepts dans le cadre de l’histoire des migrations, nous allons
essayer de comprendre les origines de la discrimination dans le contexte spécifique de la
société française. Puis nous étudierons les réponses que les politiques nationales, incitées
par les politiques européennes, cherchent à mettre en place pour lutter contre les
discriminations.
Nous nous pencherons ensuite sur la question du logement, autre point central de notre
recherche. Nous survolerons l’histoire des politiques du logement en France en nous
appuyant essentiellement sur les travaux de Jacques Barou et de René Ballain, en mettant en
lumière le contexte de crise du logement social. Nous verrons que la ségrégation spatiale
qui pose la question des pauvres et des étrangers dans la cité est constitutive du
développement des villes depuis leur origine. Nous essayerons de cerner l’impact de la
discrimination sur le logement des personnes issues de l’immigration. Nous montrerons
comment l’AVDL s’est saisie de cette question qui se pose avec beaucoup d’acuité puisque
l’association reçoit toujours une très grande majorité de demandeurs de logement d’origine
maghrébine.
Après avoir rappelé l’importance du logement - habitat dans la constitution de notre
identité et dans la construction de liens sociaux, nous tâcherons de cerner le rôle de la
discrimination par rapport au triptyque “logement - identité - intégration”, en mettant en
lumière les ambivalences, voire les contradictions entre le droit au logement et les
incitations à la mixité sociale. Nous terminerons cette première partie en nous interrogeant
sur les réactions et les stratégies identitaires que les personnes issues de l’immigration
mettent en place pour gérer la discrimination.
- 17 -
1 IMMIGRATION, INTEGRATION ET DISCRIMINATIONS
_________________________________________________________________________
1.1 Un peu d’histoire
La question des migrations est au cœur même de la constitution de la nation française ; les
peuples qui, à un moment ou à un autre de notre histoire, se sont installés en France sont
très hétérogènes. « La nation française est plus hétérogène qu’aucune autre nation
d’Europe ; c’est en vérité une agglomération internationale de peuples… L’unité nationale
n’a pu se faire par aucune communauté naturelle, ni d’origine, ni de communauté, ni de
langue. Il n’y a jamais eu de droit ni de langue communs à toute la population, et il faut
une ignorance totale de l’anthropologie pour parler de “race française”. La France n’a
donc jamais eu de frontières ethnographiques ni linguistiques. Ses frontières n’ont été que
géographiques ou politiques »36. La France est donc un pays d’immigration qui ne s’est
jamais vécu comme tel. Nos représentations de l’immigration sont liées à l’ère industrielle
et aux bouleversements qu’elle a engendrés dans le monde du travail.
Au début des années 1860, la nouvelle répartition des postes de travail et les besoins de
main d’œuvre non qualifiée attirent vers la France les populations des pays pauvres
européens. En 1915, la France dont la natalité a diminué de manière sensible, met en place
une politique destinée à attirer la main d’œuvre étrangère ; cette politique sera renforcée
dès 1918 pour reconstruire la France dévastée par la 1ère Guerre Mondiale et faire face à la
perte importante de main d’œuvre masculine. De 1919 à 1930, nous assistons à une
immigration massive, essentiellement européenne, à laquelle la crise économique de 1932
met un frein brutal. Les étrangers, hier convoités, deviennent subitement des intrus. C’est
l’époque où les manifestations d’opposition, individuelles ou collectives, à la présence des
Italiens, Espagnols, Polonais sont très virulentes. Même les législateurs adoptent des lois
d’exclusion contre les étrangers. Ces lois seront abrogées par l’ordonnance du 2 novembre
1945 qui, pour reconstruire la France à la sortie de la 2nde Guerre Mondiale, relance
l’immigration et réglemente la venue des immigrés. Cette nouvelle vague d’immigration se
prolongera tout au long de la période des Trente Glorieuses ; les pays d’origine se
diversifient : Portugal, Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique noire et Asie du Sud-Est. C’est une
nouvelle crise économique qui justifie la décision du gouvernement français de suspendre
l’immigration de travailleurs permanents non originaires de l’Union Européenne, le 3 juillet
1974. Les attitudes racistes reprennent de la vigueur, en particulier vis-à-vis des personnes
originaires d’Afrique du Nord.
Depuis, les gouvernements successifs gèrent non sans difficultés les questions liées à
l’immigration : demande d’asile, régularisation des sans-papiers, droit du sol et droit du
36
SEIGNOBOS C., Histoire sincère de la nation française, P.U.F., 1969 (1 ère édition 1933), page 15, cité par
SCHNAPPER Dominique, La France de l’intégration, Sociologie de la nation en 1990, Paris, Gallimard, 1991, page 78.
- 18 -
sang, intégration, discriminations. Selon le recensement de 1999, le nombre d’immigrés 37
vivant en France s’élève à 4 130 000 personnes. Ce chiffre s’est stabilisé depuis 1975 à
7,4% de la population totale. Parmi ces immigrés, environ 2/3 ont conservé leur nationalité
d’origine et 1/3 ont acquis la nationalité française (en 1999, un immigré sur trois était donc
Français). 55% des immigrés sont originaires d’Europe, 34% d’Afrique et 8% d’Asie 38 :
« Ces chiffres sont loin de confirmer le sentiment, partagé par nombre de nos concitoyens,
d’une “invasion” de la France par des vagues de migrants de plus en plus nombreuses et
de plus en plus étrangères à notre culture et à notre manière de vivre et de penser »39.
1.2 Assimilation, insertion, intégration : des concepts aux idéologies différentes
Jusqu’au début des années 80, la France républicaine mène vis-à-vis des populations
immigrées, une politique dite d’assimilation. Les sciences physiques définissent
l’assimilation comme l’opération par laquelle un corps transforme les éléments qu’il
absorbe en substance identique à celle qui le compose. Pour les sciences sociales, Emile
Durkheim défini le concept de manière positive en démontrant que toute personne, quelles
que soient ses origines, peut espérer s’assimiler à une nation-société fondée sur les rapports
contractuels entre les individus pour peu que lui soient transmises les normes de
fonctionnement de cette société par le biais de ses divers appareils éducatifs. Cette
définition marque une progression des nations-sociétés par rapport aux nationscommunautés dans lesquelles seule l’ancienneté du sol légitimait l’appartenance à l’entité
nationale 40. De l’allemand angleichung (devenir semblable), l’assimilation peut se définir
comme un processus par lequel les idées et les comportements inconnus deviennent
familiers au point de ne plus pouvoir les distinguer de ce qui était auparavant constitutif de
sa pensée et de ses attitudes. La politique française d’assimilation vise la réduction des
spécificités des pratiques sociales, culturelles et religieuses. Pour D. Schnapper, les origines
multi-ethniques du peuple français et l’hétérogénéité culturelle justifient un projet politique
commun, fondateur de la nation, basé sur l’élaboration de valeurs fortes et la mise en place
d’institutions centralisées (enseignement, armée…) 41. Cette politique est sous-tendue par le
principe d’égalité ; ce qui est visé, c’est l’adhésion individuelle aux valeurs de la
République. Les principaux vecteurs d’assimilation sont le travail, l’engagement syndical et
politique, l’école, le service militaire, les institutions et pratiques religieuses (pour les
immigrés issus de pays catholiques), le sport et les loisirs, le logement. Les femmes jouent
37
La catégorie statistique des immigrés regroupe les personnes nées étrangères à l’étranger, c’est à dire celles qui ont
effectué une migration depuis leur pays d’origine. Elle comprend donc les personnes qui, depuis leur arrivée, ont
acquis la nationalité française.
38
D’après Pierre MILZA, Un siècle d’immigration, dans Sciences Humaines n° 96, juillet 1999.
39
Ibidem, page 19.
40
D’après BAROU Jacques, Les paradoxes de l’intégration. De l’infortune des mots à la vertu des concepts, Ethnologie
française, Tome 23, avril-juin 1993.
41
D’après SCHNAPPER Dominique, La France de l’intégration – Sociologie de la nation en 1990, 1991.
- 19 -
un rôle important dans le lent processus d’assimilation qui se réalise le plus souvent sur
plusieurs générations. Selon de nombreux chercheurs 42, l’assimilation fonctionne plutôt
bien, même si les immigrés ont à supporter discriminations, racisme et xénophobie, en
particulier au moment des crises économiques (1880-90, 1930 et depuis 1980).
Dès le début des années 60, le terme d’assimilation est très critiqué ; cette critique émerge
en même temps que celle du colonialisme, notamment au moment de la guerre d’Algérie.
Les anthropologues et les défenseurs du multiculturalisme réfutent le concept
d’assimilation sous-tendue par la volonté de vouloir imposer les normes de la culture
dominante occidentale. « Alors que l’affirmation des identités individuelles et collectives
est désormais au centre des valeurs modernes, la politique d’assimilation paraît marquée
du péché du colonialisme extérieur ou “intérieur”, coupable de dissoudre l’identité de
l’autre au nom d’un principe d’homogénéisation réducteur des véritables authenticités »43.
Nous assistons à un affaiblissement des idéologies universalistes et de la nation ; le respect
des identités individuelles et collectives devient prioritaire. Peu à peu, les jeunes issus de
l’immigration revendiquent la reconnaissance de leur statut de citoyens français, mais aussi
le respect de leurs origines et des cultures qui s’y rattachent. L’expression du droit à la
différence et la célébration de la France multiculturelle et plurielle fleurissent dans les
discours politiques : « Nous sommes tous un peu romains, un peu germains, un peu juifs, un
peu italiens, un peu espagnols et de plus en plus portugais. Je me demande si déjà nous ne
sommes pas un peu arabes »44.
Dès 1970, le vocable insertion remplace celui d’assimilation. Insérer signif ie introduire,
faire entrer, ajouter. Rapportée à l’immigration, l’insertion est considérée comme une
forme de participation, un mode d’être ensemble qui permettrait à chacun de conserver
intact son identité, individuelle ou collective. « La notion d’insertion suggère à la fois une
intégration et le maintien de spécificités, elle fait comme si tout allait bien, comme si
l’immigration n’impliquait pas une relative destruction culturelle et une transformation des
acteurs en présence »45. Cette façon de voir le s choses entretient l’illusion qu’être ensemble
peut s’envisager sans conséquence sur les identités et que chacun peut vivre sa différence
de manière isolée. Elle renvoie à un Etat qui ne s’engage que socialement et qui
n’intervient ni dans le domaine cult urel ni dans la vie privée ; cette notion s’est révélée très
vite insuffisante. A la même époque, la montée du chômage touche en priorité la main
d’œuvre immigrée peu qualifiée et provoque une nouvelle poussée du racisme et de la
xénophobie.
42
G. Noiriel, P. Milza, L. Mucchielli, D. Schnapper, E. Todd, F. Dubet…
SCHNAPPER Dominique, La France de l’intégration – Sociologie de la nation en 1990, 1991, page 82.
44
Discours de François MITTERAND, Président de la République, 18 mai 1987 dans Le Monde, 20 mai 1987, cité
par D. SCHNAPPER, 1991, page 83.
45
DUBET François, Immigrations : qu’en savons-nous ? Un bilan des connaissances, Paris, Notes et études
documentaires, La Documentation Française, n° 4887, 1989-12, page 7.
43
- 20 -
Au début des années 90, l’insertion est abandonnée au profit d’une politique d’intégration,
terme ancien qui retrouve alors un regain de faveur. En 1991, le HCI définit l’intégration
comme « un processus spécifique par lequel il s’agit de susciter la participation active à la
société nationale d’éléments variés, tout en acceptant la subsistance de spécificités
culturelles, sociales et morales, en tenant pour vrai que l’ensemble s’enrichit de cette
variété »46. Cependant, la polysémie du terme intégration le rend ambigu ; du latin
integrare (renouveler, rendre entier), le dictionnaire le définit comme une « opération qui
consiste à assembler les différentes parties d’un système et à assurer leur compatibilité
ainsi que le bon fonctionnement du système complet » 47. C’est bie n ce souci de
compatibilité qui différencie l’intégration de l’insertion dans le sens où les deux parties font
des efforts pour s’admettre l’une et l’autre. Par ailleurs, l’intégration s’oppose à
l’assimilation car cette compatibilité ne passe par l’obligation de ressemblance, ni par la
négation des différences. Il y a dans le terme intégration, l’idée d’un mouvement entre les
individus et la société en vue de l’inscription des premiers dans la seconde qui les accueille.
Le terme interroge donc le rapport individu/société, le mode du vivre ensemble et la
volonté qui le sous-tend ; il touche aux fondements même de ce qu’on nomme la société.
Pour les sciences sociales, l’intégration désigne soit « un état de forte cohérence entre des
éléments », soit « le processus qui conduit à cet état »48. T. Parsons a conceptualisé
l’intégration comme « l’ensemble des phénomènes d’interaction qui provoquent une
accommodation et un ajustement réciproques, et qui amènent ainsi chaque membre à une
conscience de son identification avec le groupe »49. Il a étudié l’intégration à travers la
notion de rôle social, exprimé à travers des habitudes, des modèles socio -culturels de
conduites, des normes. Il s’est confronté à la difficulté de trouver des indicateurs
d’intégration pertinents car ceux-ci ne pouvaient que mesurer une intégration extérieure ou
formelle. Selon lui, seule l’étude des dispositions et motivations des acteurs va pouvoir
permettre de définir une intégration réelle.
Comme D. Schnapper, nous choisissons d’utiliser ce concept « pour désigner les divers
processus par lesquels les immigrés comme l’ensemble de la population réunie dans une
entité nationale participent à la vie sociale »50, même si ces processus par lesquels les
populations, immigrées ou non, acquièrent progressivement les normes de la société dans
laquelle ils vivent, semblent échapper aux volontés des politiques et aux effets des modes
idéologiques.
46
Dans la rubrique « Points de repères », Sciences Humaines n° 96, juillet 1999, page 25.
Le Petit Larousse illustré 2005, Paris, 2004, page 588.
48
BARREYRE J.Y., Dictionnaire critique d’action sociale, Paris, Bayard, 1995, page 212.
49
Ibidem, page 212.
50
SCHNAPPER Dominique, La France de l’intégration – Sociologie de la nation en 1990, 1991, page 99.
47
- 21 -
Mais qu’en est-il de la politique d’intégration en France aujourd’hui ? Observons-nous la
permanence d’un processus historique rendu difficile par la crise économique, ou voyonsnous se construire d’autres modes d’intégration ou d’appartenance nationale ? Notre société
semble toujours marquée par la politique d’assimilation ; en effet, si les termes couvrent
des réalités idéologiquement différentes, les politiques mises en œuvre ne sont pas vraiment
différentes ; ainsi « l’école française a gardé, de fait, la même fonction de socialisation et
d’intégration des enfants d’origine étrangère, que l’idéologie dominante soit celle de
l’assimilation ou de l’intégration »51. Les politiques publiques de l’Etat ou des collectivités
locales sont imprégnées du modèle républicain d’intégration ; elles oscillent, non sans
contradictions et paradoxes, entre la reconnaissance d’une diversité culturelle qui sousentend la reconnaissance de l’appartenance à des groupes différents, et le rejet de la notion
de minorités qui évoque le modèle anglo-saxon dit communautariste. Les différentes
cultures ne sont pas acceptées en tant que telles, mais appréhendées à travers la thématique
de l’interculturalité, comme vecteur de lien entre tous les citoyens. « Ce qui est reconnu, ce
n’est pas la culture au sens anthropologique ou même cognitiviste, en tant que système
d’organisation et de mise en cohérence des pratiques et des représentations, mais une
culture au sens étroit de pratiques culturelles et artistiques… On peut se demander si au
regard des actions véritablement menées, ce discours sur la valorisation de la diversité
culturelle n’est pas une nouvelle forme d’accompagnement de pratiques ayant des finalités
assimilationnistes, et de conceptions profondément hostiles à l’existence et au
développement d’un pluralisme culturel »52.
La crainte du communautarisme explique pour partie également les ambiguïtés dans le
mode de reconnaissance des associations citoyennes issues de l’immigration, notamment
maghrébine 53. Selon Michel Wieviorka, « pour les populations originaires de l’Afrique du
Nord, on parle beaucoup de communautés pour décrire des phénomènes qui relèvent plutôt
de la désorganisation urbaine et de la frustration que vivent un certain nombre de jeunes
de ne pas pouvoir s’intégrer à la société française »54. Globalement, nous pouvons
constater qu’il n’existe pas de politique d’intégration claire aujourd’hui en France, mais
plutôt un ensemble de pratiques hétérogènes et non coordonnées qui peuvent varier d’un
territoire à un autre en fonction des acteurs agissant sur ces territoires ; sans objectif précis,
ces pratiques sont souvent pleines d’ambiguïtés et d’ambivalences. La politique du
gouvernement actuel qui tend à mettre en avant le volet de la promotion sociale
51
Ibidem, page 85.
POLERE Cédric, L’intégration des populations issues de l’immigration dans l’agglomération lyonnaise : positions
des acteurs et pratiques, rapport de cadrage, Missions prospective et stratégie d’agglomération du Grand Lyon,
Peuplement et Migrations, novembre 2002, page 32-33.
53
Le fonctionnement communautaire de groupes maghrébins semble globalement rejeté alors qu’il ne l’est pas pour
d’autres communautés, notamment portugaise et asiatiques.
54
Entretien avec Michel WIEVIORKA, Multiculturalisme et démocratie, dans Sciences Humaines Hors Série n°15,
Auxerre, décembre 1996 - janvier 1997, page 34.
52
- 22 -
individuelle des personnes issues de l’immigration, et à mobiliser les moyens sur les primoarrivants, permettra t-elle de juguler les difficultés actuelles ? Faut-il craindre, comme
certains acteurs en charge de l’intégration, un mouvement de segmentation des
populations : « La fracture ethnique est en train de se produire en France, non pas sur des
modes de participation commune et d’accords communs comme dans le modèle anglosaxon, mais sur la base d’une fragmentation, d’une opposition, et d’une désillusion très
forte où la méfiance est à la base »55 ?
1.3 Le concept de race ou la justification d’une idéologie
Le langage commun parle de discrimination raciale ; c’est au 15ème siècle qu’apparaît le
terme de race dont l’origine latine ratio signifie ordre chronologique. Utilisé pour
l’élevage, il ne sera appliqué à l’homme qu’à partir du 16ème siècle, à l’époque où les
grands voyages permettent de découvrir de nouvelles terres habitées par d’autres hommes,
différents aussi bien physiquement que par leur façon de vivre. Une des principales
préoccupations des premiers scientifiques va être la définition de critères biologiques
permettant de distinguer les différents types humains. De nombreuses classifications
apparaissent qui ont toutes en commun le même défaut majeur : confondre des notions
purement biologiques avec les traits culturels et sociologiques. Le classement entre races
supérieures (parmi lesquelles prédomine la race blanche) et inférieures permet de justifier
la domination des peuples occidentaux sur les autres.
Au siècle des Lumières, certains chercheurs veulent démontrer que les hommes
sauvages sont les ancêtres historiques de l’homme moderne et que leur évolution va donc
se poursuivre. D’autres pensent que les hommes se sont dégénérés au fur et à mesure qu’ils
s’éloignaient de la zone tempérée. Dans les deux cas, la suprématie de l’homme blanc est
maintenue et justifie la colonisation ; l’Europe missionnaire, aussi bien de la civilisation
que de la religion, cherche à ramener les sauvages sous sa loi supérieure faite de progrès et
d’ordre 56. Cette utilisation de la notion de race va de pair avec l’importance croissante que
revêt alors l’idée de nation : « D’un côté, la colonisation et l’impérialisme, de l’autre, la
nation et les nationalismes européens : les classifications raciales s’élaborent dans un
double mouvement d’expansion européenne et de poussée des identités nationales. Elles
concernent donc aussi bien des “races” plus ou moins lointaines, définies avant tout par
la couleur, que des “races” présentes sur le sol national »57.
Au 19 ème siècle apparaît le racisme prétendument scientifique, essentiellement incarné par
le Comte de Gobineau58 ; il affirme la supériorité de la classe aryenne et promet à
55
POLERE Cédric, novembre 2002, page 53.
D’après Encyclopeadia Universalis, volume 13, 1982, pages 909 à 911.
57
WIEVORKA Michel, Le racisme, une introduction, La Découverte/Poche, Paris, 1998, page 18.
58
Il développera sa théorie dans son Essai sur l’inégalité des races humaines paru en 1853.
56
- 23 -
l’humanité un sort d’autant plus misérable que le mélange des races y sera plus complet.
Ces idées feront le lit des fascismes européens, du nazisme au franquisme en passant par le
mussolinisme, et en justifieront la haine et la violence.
C’est cette même notion qui sert de base au racisme à l’œuvre dans nos sociétés. Si nous
pouvons penser que les travaux des généticiens ont mis définitivement fin au racisme
scientifique en démontrant qu’au sein d’une supposée race, la distance génétique moyenne
entre deux individus est à peu près la même, voire supérieure à celle qui sépare deux
supposées races59, la notion de supériorité de groupes par rapport à d’autres reste
présente car « contrairement à ce que croyaient les philosophes du 18ème siècle, il ne suffit
pas d’apporter la vérité aux hommes pour faire reculer l’erreur »60. Le racisme
s’accompagne le plus souvent de la peur de l’autre, différent, et du besoin d’affirmer sa
propre identité face à la menace que les individus ou les groupes visés sont accusés de faire
peser. En France, les manifestations à caractère racistes ont parfois été d’une violence
extrême comme les massacres d’Italiens en 1881, 1893 et 1894. Si nous n’avons pas connu
l’équivalent depuis, des violences sporadiques et individuelles parfois meurtrières 61
continuent d’exister. Le contexte international de ce début du 21ème siècle tend à renforcer
les agressions à caractère “racial”.
Selon M.Wievorka, il existe deux logiques distinctes de racisme, une logique de
hiérarchisation et une logique de différenciation, les deux pouvant être combinées. Ainsi, le
discours raciste actuel met moins en avant la question de l’inégalité des races que
l’irréductibilité et l’inc ompatibilité de certaines spécificités culturelles, religieuses ou
nationales ; c’est la mise en avant de la différence qui justifie la mise à l’écart. « On passe
d’un racisme d’infériorisation à un racisme de différenciation »62. Depuis quelques années,
le racisme touche ainsi principalement les populations d’Afrique du Nord vis-à-vis
desquelles la représentation des différences culturelles est très forte.
Outre le racisme personnel ou d’un groupe par rapport à un autre, la question des noirs aux
Etats-Unis a mis en évidence la notion de racisme institutionnel ; cette notion insiste sur les
pratiques qui assurent la reproduction de la domination. Le racisme institutionnel porte en
lui l’idée d’une dissociation de l’acteur et du système ; il suggère que le racisme peut
fonctionner sans que des préjugés ou opinions racistes soient en cause. Il est le produit
d’un système général qui couvre la conduite des acteurs individuels, en acceptant non pas
leurs intentions racistes, mais la banalité de leurs actes et de leurs comportements ; il prend
souvent la forme de pratiques floues. Apparaissent alors des formes de racisme non
59
Considérer comme race tout ce qui est génétiquement différent conduit à faire de chaque être humain, ensemble
unique de gènes, une race en soi ! Les classements raciaux encore en vigueur sont donc arbitraires et inopérants.
60
DELACAMPAGNE Christian, Une histoire du racisme, Paris, Livre de poche, 2000, page 19.
61
Comme B. Bouaram jeté dans la Seine le 1er mai 1995 par des militants du Front National.
62
Intervention de Michel WIEVORKA, Cycle de qualification Lutte contre les discriminations raciales, CR DSU,
Saint-Etienne, 12 et 18 septembre 2001.
- 24 -
brutales, et surtout non flagrantes et difficiles à prouver qui, comme la discrimination ou la
ségrégation, semblent reposer sur des mécanis mes abstraits sans acteurs clairement
identifiables 63.
Nous parlons parfois de “discriminations ethniques”. Du grec ethnos qui signifie peuple, le
terme ethnie resurgit à la fin du 19ème siècle ; dans l’usage scientifique courant, il désigne
« un ensemble linguistique, culturel et territorial d’une certaine taille » 64. L’ethnie
s’oppose à la race par son caractère non biologique et son contenu sociologique et
psychologique. Cependant son utilisation répond d’abord aux exigences d’encadrement
administratif de la colonisation, permettant de « mettre à leur place les populations
conquises, de les fractionner, de les enfermer dans des définitions territoriales et
culturelles univoques »65. Aujourd’hui, ce terme reste utilisé de manière imprécise pour
désigner un peuple, une minorité, voire un groupe “racial” ! L’utilisation de plus en plus
fréquente qui en est faite peut nous faire craindre une ethnicisation de la société qui n’est
sans doute pas sans danger. Les enjeux de domination politique, économique ou
idéologique sont importants autour de cette notion. « Signifiant flottant par excellence »66,
le terme est souvent utilisé par les dirigeants et les médias pour disqualifier des groupes
sociaux jugés non ou mal intégrés, mais il est également utilisé par ces derniers pour faire
de l’ethnicité une valeur positive d’identité leur permettant la dénonciation d’injustices
sociales et économiques. Ainsi « tout le problème est de savoir si l’ethnicité revendiquée
est d’une nature véritablement distincte de celle qui lui est imposée »67 et si la conscience
ethnique est en train de prendre le relais d’une conscience de classes, tout en jouant le
même rôle par la mobilisation et la solidarité qu’elle encourage.
Ces ambiguïtés expliquent, qu’après y avoir songé, nous n’avons pas adopté l’utilisation du
terme “ethnique” à la place de “raciale” à propos de la discrimination. Les lois traitant des
problèmes de discrimination désignent à la fois les origines liées à une ethnie, une nation
ou une race ; le législateur n’a pas su ou pas pu choisir parmi ces termes qui désignent les
personnes étrangères, d’origine étrangère ou supposées telles. Dans le cadre de cette
recherche, nous utilisons de préférence le terme de discrimination liée à l’origine.
63
D’où la notion de discrimination systémique, liée au fonctionnement de tout un système, comme cela semble être le
cas dans l’accès au logement social.
64
BONTE Pierre, IZARD Michel (sous la direction de), Dictionnaire de l’ethnosociologie et de l’anthropologie, Paris,
Quadrige PUF, 2000 (1 ère édition 1991), page 242.
65
Ibidem, page 242.
66
Ibidem, page 243.
67
BONTE Pierre, IZARD Michel, Dictionnaire de l’ethnosociologie et de l’anthropologie, 2000, page 243.
- 25 -
1.4 Le champ très large des discriminations
« Les discriminations ne relèvent pas seulement des opinions, des idées et préjugés, il y a
une dimension supplémentaire qui est celle de l’agir »68. Contrairement au racisme, la
discrimination n’est ni un point de vue, ni un jugement de valeur , mais un traitement
différencié, un acte concret, une pratique qui vise à traiter différemment un groupe par
rapport à un autre, au risque de provoquer des exclusions. Toute différence de traitement ne
constitue cependant pas une discrimination ; elle le devient si elle repose sur des critères
illégitimes : « Il y a discrimination lorsque la sélection effectuée peut-être considérée
comme illégitime, soit au regard de critères légaux, soit au regard de critères relatifs à des
usages sociaux »69. Du latin discriminatio qui signifie séparation, la discrimination est
l’« action d’isoler et de traiter différemment certains individus ou un groupe entier par
rapport aux autres »70 ; elle aboutit généralement à une inégalité.
Les discriminations peuvent intervenir dans différents champs de la vie quotidienne :
l’accès à l’éducation et à la formation, l’accès à l’emploi ou le traitement des conditions de
travail, l’accès aux soins, à la culture et aux loisirs, le traitement de la justice, l’accès à la
citoyenneté, l’accès au logement… Le groupe discriminé est le plus souvent un groupe
minoritaire qui présente une différence par rapport au groupe majoritaire, cette différence
donnant lieu à des représentations négatives provoquant des préjugés sur lesquels se
fondent le s discriminations ; celles-ci peuvent être liées au sexe, au handicap, à la religion,
à l’origine, à la pratique syndicale, au statut socio-économique.
Selon la Convention internationale relative à l’élimination de toutes les formes de
discrimination “raciale” adoptée le 4 janvier 1969 « l’expression discrimination raciale
vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur,
l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou
de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions
d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique,
économique, social et culturel ou dans tous les autres domaines de la vie publique ».
En France, les phénomènes de discrimination liée à la nationalité et à l’origine s’enracinent
dans les aigreurs de la décolonisation, le sentiment de propriétaire des habitants
autochtones, l’aggravation de la concurrence liée à la crise, la persistance ou le
rebondissement des inégalités sociales, la peur de la contagion du sous-développement
économique et politique liée aux flux migratoires71. Ils touchent les populations immigrées,
68
Entretien Fethi BENSLAMA, psychanalyste, dans BLIER J.M., de ROYER Solenn, Discriminations raciales, pour
en finir, Guide France Info, Editions Jacob-Duvernet, 2001, page 20.
69
Entretien Patrick SIMON, chercheur à l’Ined, membre du conseil d’orientation du GELD, dans BLIER J.M., de
ROYER Solenn, Discriminations raciales, pour en finir, 2001, page 24.
70
Le Petit Larousse illustré 2005, Paris, 2004, page 370.
71
D’après BELORGEY Jean-Michel, Lutter contre les discriminations – Stratégies institutionnelles et normatives, Paris,
La Maison des Sciences de l’Homme, 2001, page 10.
- 26 -
qu’elles soient étrangères ou qu’elles aient acquis la nationalité française, issues de
l’immigration ou supposées telles « quelle que soit la pertinence de ce rattachement pour
les individus ainsi classifiés »72. Une des gravités du phénomène de discrimination liée à
l’origine réside dans le fait qu’elle touche, non seule ment des étrangers, mais aussi des
Français : « Bien que disposant de la nationalité française, les discriminations à raison de
leur origine placent les descendants d’immigrés dans une citoyenneté de seconde zone, où
l’accès aux droits et l’accès aux biens et aux services sont potentiellement réduits, sinon
annulés dans certains cas »73.
En rupture avec le projet républicain d’intégration, les discriminations redoublent et
renforcent les inégalités sociales, et portent en elles le germe de la violence comme la
tentation du repli identitaire. « Couleur de peau, “faciès”, nom patronymique, voire
religion, sont les signaux visibles de cette “étrangeté” que la société renvoie au visage des
intéressés. Soit autant de différences que la République s’interdit précisément de
connaître »74. En effet, l’origine n’est pas un critère de reconnaissance en France ; au nom
du principe républicain et de l’égalité de tout citoyen français, l’origine est occultée tant sur
les plans juridique, statistique que des politiques publiques, ce qui produit blocages et
contradictions. Les populations d’origine étrangère relèvent en théorie des dispositifs de
droit commun, mais la réalité oblige parfois les politiques publiques à mettre en œuvre des
discriminations positives, sans toutefois qu’elles soient reconnues comme telles ; ainsi la
Politique de la Ville a bien introduit un mode de traitement différencié territorialisé au
profit des habitants des quartiers les plus en difficulté dans lesquels les populations
d’origine étrangère sont sur-représentées. La question de la discrimination positive est
aujourd’hui en débat ; initiée aux Etats-Unis sous le nom d’ “affirmative action”, elle
désigne les mesures qui consistent à permettre à certains individus de se hisser au même
niveau que les autres, malgré leurs handicaps de départ.
1.5 La prise en compte des phénomènes discriminatoires
Dès 1789, la Déclaration Française des Droits de l’Homme et du Citoyen pose le principe
d’égalité pour tous. En vertu de ce principe, chaque personne a vocation à être protégée
contre toute forme de discrimination fondée sur l’origine, la “race” ou la religion, ou
l’appartenance (ou non) à une nation ou une ethnie. En 1881, la loi sur la presse sanctionne
les propos publics discriminatoires, mais seule la parole ou l’écrit à caractère raciste
peuvent alors être sanctionnés. Faisant suite à la Convention internationale de 1969, la loi
du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme érige en infraction un certain nombre
72
Rapport du GELD, mai 2001, page 8.
SIMON Patrick, cité par HELFTER Caroline, Le modèle français d’intégration rongé par les discriminations,
Actualités sociales Hebdomadaires, 5 avril 2002, page 36.
74
HELFTER Caroline, page 36.
73
- 27 -
d’actes de la vie courante ; elle constitue la pierre angulaire de l’arsenal législatif français.
En 1990, la loi Gayssot vise à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe. En 1994,
le nouveau Code pénal renforce le dispositif de lutte contre le racisme, mais le recours au
droit reste limité (environ 80 condamnations par an).
En 1998, sur impulsion des politiques européennes et face à la progression et à la
banalisation des discriminations liées à l’origine démontrées par des travaux de chercheurs,
les enquêtes menées par les syndicats et les associations, les constats dressés par la
CNCDH et le HCI, le gouvernement décide de réagir. Le 30 juin, le comité interministériel
de la Ville fixe l’intégration comme une priorité du gouvernement et comme un axe fort et
transversal qui doit se décliner dans tous les contrats de ville, notamment en ce qui
concerne la lutte contre les discriminations.
En janvier 1999, le ministre de l’Intérieur crée les Commissions D’Accès à la
Citoyenneté 75, lieux d’écoute, de réflexion et de mise en œuvre d’actions de lutte contre les
discriminations. Seize mois plus tard, un numéro d’appel gratuit, le 114, est accessible sur
l’ensemble du territoire permettant à tout individu, témoin ou victime de discrimination, de
la dénoncer. Chaque fiche recueillie est transmise à la CODAC du département concerné
qui est chargée du traitement et du suivi des situations.
Avril 1999 voit la naissance du Groupe d’Etudes contre les Discriminations. Groupement
d’Intérêt Public conçu comme un lieu de concertation entre les pouvoirs publics et des
représentants de la société civile (partenaires sociaux et associations de lutte contre le
racisme), ses missions consistent à analyser les discriminations et à formuler des
propositions de nature à les combattre. Il doit produire chaque année un rapport à partir de
son activité, des données issues du 114 et de l’action des CODAC 76. Le 11 mai de la même
année, l’Etat et les partenaires sociaux adoptent la déclaration de Grenelle sur les
discriminations raciales dans le monde du travail.
En mai 2001, le GELD 77 publie un rapport sur « Les discriminations raciales et ethniques
dans l’accès au logement social ». Ce document met en avant le « durcissement des
processus de sélection et de ségrégation des ménages en lien avec les tensions sur le
75
Nous utiliserons à présent l’abréviation CODAC.
Le bilan du 114 et des CODAC est malheureusement très mitigé ; si en 2 ans d’activité, 86 000 appels ont été
enregistrés par le 114, 82% n’ont donné lieu à aucune suite officielle, ni transmission aux autorités compétentes, ni
proposition de médiation ; du coup le nombre d’appels a diminué de plus de moitié entre 2002 et 2003. Quant à
l’efficacité des CODAC, elle dépend beaucoup des préfets et des personnes qui en ont la charge, et leur engagement
est variable d’un département à l’autre. Pour Samuel Thomas de SOS Racisme « les CODAC sont instrumentalisées
par quelques-uns de leurs membres : dans certains domaines, ces structures ont même contribué à banaliser le
racisme en servant d’alibi à plusieurs organismes et institutions qui y étaient représentés. C’est notamment le cas de
quelques organismes HLM qui se sentent à l’abri de toute poursuite dans des affaires de discriminations à l’accès au
logement parce qu’ils participent aux réunions de la CODAC », dans EBANETH Abdon, Etude synthétique des
politiques françaises de lutte contre les discriminations raciales, Lyon, Décembre 2003.
77
Groupe d’Etudes et de Lutte contre les Discriminations, Ex Groupe d’Etudes contre les Discriminations.
76
- 28 -
marché de l’habitat »78. Etat des lieux des connaissances sur les mécanismes et les
conséquences des traitements inégalitaires dont les populations immigrées ou supposées
telles font l’objet dans l’habitat, ce rapport se termine par un certain nombre de
préconisations visant à améliorer la position de ces populations dans le logement social.
De son côté, le Conseil de l’Union Européenne , s’appuyant sur le fondement de l’article 13
du traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997, adopte en 2000, une directive visant à lutter
contre la discrimination fondée sur la race ou l’origine ethnique et « relative à la mise en
œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou
d’origine ethnique »79. Cette directive définit la discrimination directe comme suit : « Une
discrimination directe se produit lorsque, pour des raisons de race ou d’origine ethnique,
une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été, ou ne
le serait dans une situation comparable »80. Mais le Conseil va plus loin en introduisant la
notion de discrimination indirecte (ou déguisée) : « Une discrimination indirecte se produit
lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible
d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une race ou d’une origine
ethnique donnée par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère
ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de
réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires »81. La directive impose un niveau
minimum de protection contre la discrimination dans tous les Etats membres de l’Union
Européenne, tout en leur laissant le choix d’adopter un niveau de protection supérieur.
Dans les mois qui suivent, les législateurs français adoptent deux lois visant à renforcer la
lutte contre les discriminations. Les dispositions nouvelles de la loi de lutte contre les
discriminations du 16 novembre 2001 portent essentiellement sur l’éla rgissement des
motifs de discriminations prohibées, la protection du salarié tout au long de sa vie
professionnelle , l’aménagement de la charge de la preuve et le renforcement des moyens
d’action en justice des syndicats ou des délégués du personnel et des associations de lutte
contre les discriminations. Les motifs de discriminations prohibés sont élargis au
patronyme, à l’apparence physique et à l’appartenance ou non appartenance, vraie ou
supposée, à une ethnie, une nation ou une “race”. Bien que portant essentiellement sur les
discriminations en matière d’emploi, le texte traite également de la recevabilité des listes
des conseillers prud’homaux82, du service d’accueil téléphonique gratuit (114) auquel est
donné une base légale, et de l’extension des missions du Fonds d’Action et de Soutien pour
78
Rapport du GELD, mai 2001, page 5.
Directive 2000/43/CE, JOCE n° L 180 du 19 juillet 2000.
80
Ibidem.
81
Ibidem.
82
Le texte prévoit que ne sont pas recevables aux élections prud’homales les listes prônant les discriminations, une
disposition qui vise plus particulièrement les organisations d’extrême droite.
79
- 29 -
l’Intégration et la Lutte contre les Discriminations 83 dont la compétence en matière d’action
sociale en faveur de la population immigrée est étendue à la mise en œuvre d’actions
d’intégration et à la lutte contre les discriminations.
La loi de Modernisation sociale du 17 janvier 2002 consacre, quant à elle, trois articles de
son chapitre III à la lutte contre les discriminations dans la location de logement84. L’article
158 reprend les motifs de discriminations définis par la loi du 16 novembre 2001. Ainsi,
« nul ne peut se voir refuser la location d’un logement en raison notamment, de son
origine, son patronyme, son apparence physique ou son appartenance ou sa non
appartenance vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race ». Les mêmes
dispositions sont prévues en matière d’aménagement de la charge de la preuve ; en cas de
litige à la suite d’un refus de location, la victime présumée doit présenter des éléments de
présomption précis et concordants, laissant supposer l’existence d’une discrimination. A
charge ensuite pour le bailleur de prouver que sa décision est justifiée ; le juge forme, en
dernier lieu, sa conviction, après avoir éventuellement ordonné toutes les mesures
d’instruction qu’il estime utiles. L’article 161 stipule l’interdiction faite au bailleur de
refuser une caution au motif qu’elle ne possède pas la nationalité française. Reste à voir
quelle va être l’effectivité de cette loi et quels seront ses impacts sur l’accès au logement
des populations issues de l’immigration ou supposées telles car « un simple réaménagement
des institutions nationales ne garantit pas qu’elles réduiront la discrimination dans les
faits, ni qu’elles donneront aux victimes une justice satisfaisante. La France doit encore se
colleter avec des difficultés liées à l’information, à l’organisation et à l’application de la
loi. Ce n’est qu’en relevant les défis qui lui sont posés dans ces trois domaines qu’elle
pourra mener à bien cette lutte »85.
Fin 2004, la lutte se poursuit avec la tentative d’adapter les outils aux enjeux qui prennent
de l’ampleur. Une circulaire du 20 septembre étend le champ d’intervention des CODAC à
toute forme de discriminations ; elle définit de nouvelles priorités : la mobilisation des
institutions et de la société civile pour la prévention des discriminations (en particulier dans
le champ de l’insertion professionnelle ) et la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Il est
demandé aux Préfets et aux Procureurs généraux de « faire preuve de persévérance et
d’imagination dans la mise en œuvre de ces objectifs »86. Le cadre d’intervention est
renouvelé : plan départemental d’accès à la citoyenneté et de lutte contre les
83
Le FASILD a changé quatre fois de nom depuis sa création : en 1958, il s’agissait du Fonds d’Action Sociale pour
les travailleurs musulmans d’Algérie avant de devenir le Fonds d’Action Sociale pour les travailleurs étrangers en
1964 puis le Fonds d’Action Sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles en 1983.
84
Nous pouvons regretter que la loi laisse de côté les problèmes de discrimination à l’accès au logement aux fins de
propriété (voir avant-propos).
85
BLEICH Eric, Histoire des politiques françaises antidiscrimination : du déni à la lutte, dans Hommes et
Migrations n° 1245, France-USA, Agir contre la discrimination I – Philosophies et politiques, septembre-octobre
2003, page 15.
86
Circulaire du 20 septembre 2004.
- 30 -
discriminations, commissions de travail, développement des actions de communication. La
CODAC devient COPEC : Commission pour le Promotion de l’Egalité des chances et de la
Citoyenneté.
Le 15 juillet 2004, le ministre de l’emploi, du travail et de la cohésion sociale présente un
projet de loi portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour
l’égalité (HALDE) 87. Cette nouvelle autorité administrative indépendante qui entraîne la
suppression du GELD, devrait voir le jour en 2005 ; elle aura compétence pour connaître
toutes les formes de discrimination ; elle pourra être saisie ou se saisir d’office des cas de
discriminations, intervenir pour y remédier, conduire des travaux de recherche, formuler des
recommandations pour prévenir ou remédier aux pratiques discriminatoires, recommander
des modifications législa tives ou réglementaires, assurer la promotion de l’égalité. Mais les
associations de défense des droits de l’Homme et de lutte contre le racisme réunies en
collectif dénoncent « un projet en trompe l’œil, qui ne donne à cette autorité ni les moyens,
ni les pouvoirs nécessaires pour agir efficacement à la mesure des enjeux »88. Elles
critiquent notamment le manque de moyens attribués à la HALDE en comparaison avec les
institutions semblables à l’étranger qui ont fait la preuve de leur efficacité : GrandeBretagne, Belgique, Québec. Avant même sa mise en place, hommes politiques ou
chercheurs sont nombreux à dénoncer « une autorité de bonne conscience pour pas grandchose »89.
87
Nous emploierons désormais l’abréviation HALDE.
Communiqué du Collectif pour une autorité indépendante universelle de lutte contre les discriminations, site
internet du GISTI, le 7 octobre 2004.
89
ZAPPI Sylvia, Le projet de loi contre les discriminations devant les députés, le Monde, 5 octobre 2004.
88
- 31 -
2 LOGEMENT ET POPULATIONS ISSUES DE L’IMMIGRATION
_________________________________________________________________________
2.1 La politique du logement en France : d’une crise à l’autre
L’Etat a longtemps considéré que le financement du logement relevait uniquement
d’investissements privés. Les premières réalisations dans le domaine du logement social
sont donc d’initiative privée, notamment par le biais du logement patronal. Mais à la fin du
19 ème siècle, l’urbanisation accélérée par le développement industriel crée une telle pénurie
de logements que l’Etat ne peut plus différer son intervention ; plusieurs lois vont se
succéder pour encourager la constitution de sociétés de construction privées s’engageant à
limiter leurs profits. Les bénéficiaires sont d’abord définis comme « des personnes n’étant
pas propriétaires d’aucune maison, notamment des ouvriers ou employés vivant
principalement de leur travail ou de leur salaire »90, puis comme des « personnes peu
fortunées ». Parallèlement, l’accession à la propriété est encouragée (loi Ribot de 1908) 91.
Mais le peu d’efficacité de ces premières lois conduit à la création des Offices Publics et
des Habitations à Bon Marché 92 (loi Bonnevay de 1912), organismes de gestion à but non
lucratif, dont les moyens seront renforcés en 1919 et en 1921. En 1928, la loi Loucheur fixe
un programme global de construction ; elle introduit un nouveau type de logement dit “à
loyer moyen”. Cette tendance se confirme en 1930 avec la création des HBM
Améliorées, puis en 1951 lorsque les HBM deviennent des Habitations à Loyer Modéré 93 :
« Ce changement de nom n’est pas gratuit. Il indique que le logement social va devoir
désormais assumer une vocation beaucoup plus large et devenir un des principaux, sinon le
principal, constructeur et répondre à la demande formulée par une population qui ne se
limite pas aux seules classes laborieuses mais va jusqu’à toucher une partie non
négligeable des couches dites aisées, mais dont l’aisance n’est cependant pas suffisante à
l’époque pour faire face au contexte de pénurie »94. Le logement social se segmente en
plusieurs catégories ayant vocation à accueillir des couches sociales variées ; des
différences de qualité apparaissent en fonction des catégories d’habitants qui sont visées.
La 2nde Guerre Mondiale et la poursuite de l’exode rural renforcent les mauvaises conditions
de logement des couches populaires. En 1948, le marché privé du logement est réglementé
et l’allocation logement instaurée. Après l’hiver 54 et l’appel de l’Abbé Pierre, l’Etat se
mobilise pour accroître la construction de logements sociaux de surface et confort
90
BAROU Jacques, La place du pauvre – Histoire et géographie sociale de l’habitat HLM, Paris, Collection Minorités et
sociétés, L’Harmattan, 1992, page 22.
91
« On trouve donc dès le début de l’intervention étatique cette action à double détente qui semble être une constante
de la politique française du logement. En effet tout encouragement à la construction de logements sociaux est
toujours suivi d’assez près par la mise en place de dispositifs juridico-financiers tendant à faciliter l’accession »,
Ibidem, page 23.
92
Nous utiliserons à présent l’abréviation HBM.
93
Nous utiliserons à présent l’abréviation HLM.
94
BAROU Jacques, 1992, page 27.
- 32 -
minimum. La pénurie entraîne la construction des grands ensembles en périphérie des
grandes villes, là où le terrain est moins cher. La quantité est privilégiée au détriment de la
qualité, d’où une détérioration assez rapide des immeubles et l’installation de nuisances
liées à la proximité, notamment au bruit. Dans 80% des cas, des problèmes d’étanchéité et
d’isolation sont relevés dès la construction95. « La décrépitude précoce des grands
ensembles représente aujourd’hui encore un objet d’interrogation. D’abord sur les
conditions de leur réalisation, qui mêlent une vision moderniste, portée par la technocratie
toute-puissante de l’après-guerre qui s’est emparée de la question du logement, et des
considérations d’urgence et de coûts de réalisation »96. En 1973, alors même que les cités
sont encore en chantie r, une circulaire ministérielle dite circulaire Guichard, met fin aux
programmations de grands ensembles. La construction se ralentit considérablement.
Dans le même temps, le parcours ascensionnel logement 97 commence à ne plus fonctionner
pour ceux qui subissent de plein fouet la crise économique. Le taux de rotation diminue au
sein du parc public, ce qui contribue à aggraver le manque de logements sociaux
disponibles alors que la demande des publics aux faibles ressources reste forte. En 1977, la
loi Barre institue l’Allocation Personnalisée au Logement 98 ; le législateur veut favoriser
l’aide à la personne plutôt que l’aide à la pierre. Si cela permet de mieux solvabiliser les
ménages, cela se traduit également par une diminution considérable de la construction 99.
C’est en 1982 que le droit à l’habitat apparaît pour la première fois dans un texte législatif :
« le droit à l’habitat est un droit fondamental » dit l’article 1er de la loi Quillot qui a pour
objet de normaliser les rapports entre propriétaires et locataires. En 1989, la loi Mermaz
introduit le droit de disposer d’un local d’habitation conforme à la dignité humaine.
Cependant, la construction de logements plus confortables a également des répercussions
sur les coûts des loyers qui sont en augmentation.
La persistance de la crise de l’emploi fait que le logement devient un secteur central des
politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion. Quelques mois après la mise en place
du Revenu Minimum d’Insertion 100, la loi pour le logement des personnes défavorisées du
31 mai 1990, dite loi Besson, cherche à mettre en place des outils permettant de rendre
effective la mise en œuvre du droit au logement en mettant en cohérence et en démultipliant
les initiatives prises sur le terrain par les associations 101. Elle regroupe un certain nombres
de dispositions en faveur du droit au logement des plus démunis, ce terme englobant « toute
95
Source : WIHTOL de WENDEN Catherine et DAOUD Zakia (réuni par), Intégration ou explosion ? Banlieues…,
Seuil, 1993.
96
REY Henri, La peur des banlieues, Bibliothèque du Citoyen, Presses de Sciences Po, 1996, page 52.
97
Du logement HLM à l’accession à la propriété, en passant par le parc privé.
98
Nous utiliserons désormais l’abréviation APL.
99
450 000 logements sont encore construits chaque année au début des années 80, mais plus que 300 000 au début
des années 90.
100
Nous utiliserons à présent l’abréviation RMI.
101
D’après plusieurs lectures et interventions de René BALLAIN.
- 33 -
personne éprouvant des difficultés particulières en raison notamment de l’inadaptation de
ses ressources ou de ses conditions d’existence ». Elle prévoit la mise en place de Plans
Départementaux d’Actions pour le Logement des Personnes Défavorisées et la création des
Fonds de Solidarité Logement102. Mais la massification et la permanence des difficultés des
ménages pour accéder à un logement ou s’y maintenir font que les mesures prises par la loi
ne permettent pas d’endiguer la situation de mal- logement : « Alors que l’on pensait avoir à
résorber un stock de situations difficiles, il a fallu traiter des flux se reconstituant et enflant
en même temps que la précarité se développait »103. De plus, bien que l’offre de logement
soit quantitativement inadaptée à la demande, la question du logement n’est plus abordée
par cette insuffisance mais par les difficultés d’accès de certaines catégories de populations
ainsi stigmatisées. La subdivision du produit HLM en différents sous-produits de qualité
inégale introduit un repérage supplémentaire des populations identifiables par leur habitat et
va dans le sens d’une certaine ségrégation contraire aux principes affirmés par les pouvoirs
publics. Cette différenciation de l’habitat aidé par des prêts de l’Etat se poursuit aujourd’hui
avec la création d’un large éventail de logements provisoires sous tutelle (centres
d’hébergement, logements d’urgence, logements temporaires, sous-location…).
En 1998, le Haut Comité pour le Logement des plus défavorisés estime que 200 000
personnes ne disposent d’aucun logement et que 2 millions sont mal logés (meublés, hôtels,
habitations mobiles, logements hors normes) 104. La loi d’orientation relative à la lutte
contre les exclusions du 29 juillet 1998 tente alors de renforcer certains aspects de la loi
Besson notamment par des mesures visant à accroître l’offre de logements des plus
démunis, une incitation à la location des logements vacants (instauration de la taxe
d’inhabitation), la modernisation de la procédure de réquisition, l’amélioration du
versement des aides au logement et leur augmentation, la prévention des expulsions, le
maintien d’un confort minimum (eau, électricité, téléphone). En novembre 2000, le numéro
unique départemental d’enregistrement est mis en place pour chaque demandeur de
logement social ; une commission de médiation composée de bailleurs et d’associa tions est
chargée de donner un avis sur les demandes ayant dépassé un délai d’attente anormalement
long 105.
Le 13 décembre 2000, la loi Solidarité et Renouvellement Urbains 106 tente de ré-impulser la
construction en introduisant l’obligation faite aux communes de plus de 3 500 habitants de
102
L’action des FSL se décline en trois axes : aides à l’accès au logement ; aides financières pour les impayés de
loyer en vue du maintien dans les lieux ; accompagnement social par le financement d’organismes agréés chargés
d’apporter un appui spécifique et individualisé aux familles en difficulté.
103
BALLAIN René, Regard sur la politique du logement en faveur des défavorisés, Dossier Villes et logement, revue
Recherches et prévisions, CNAF n° 62, décembre 2000.
104
Source : Marc de MONTALEMBERT (sous la direction de) La protection sociale en France – Les notices, 3 ème
édition mise à jour, CNFPT, La documentation française, 2001, notice 22, page 150.
105
Dans le Rhône, ce délai a été fixé à 2 ans.
106
Nous utiliserons à présent l’abréviation SRU.
- 34 -
construire un minimum de 20% de logements sociaux ; permettra t-elle de combler le
déficit de logements ? Le pessimisme est de rigueur : d’une part durant ces dernières
années, les crédits prévus par l’Etat pour soutenir la construction n’ont pas été consommés ;
d’autre part la tendance actuelle est à la construction de logements sociaux chers,
inaccessibles aux populations aux petites ressources, ce qui renforce l’inadéquation entre
l’offre (tirée vers le haut) et la demande (qui a tendance à se paupériser). Cette crise du
logement social est encore aggravée par la priorité donnée depuis fin 2001, à la démolition
de logements sociaux dans des quartiers en difficulté. La loi d’orientation et de
programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003, prévoit sur une
période de 5 ans, la démolition et la construction de 200 000 logements, ainsi que la
réhabilitation de 200 000 logements ; si ces chiffres sont atteints, cela ne représente pas un
logement de plus par rapport à l’offre existante ; de plus la démolition précède souvent la
reconstruction et le déficit de logements sociaux augmente. Une nouvelle loi sur le
logement est prévue pour l’automne 2004 ; le gouvernement aura-t-il entendu le “coup de
gueule” de l’Abbé Pierre de février 2004, cinquante ans après l’hiver 54 ?
Nous nous interrogeons en tout cas sur ces couches successives de textes : si le recours au
droit est particulièrement présent dans les dernières lois sur le logement, l’abondance de
lois n’est-elle pas le signe d’un échec fondamental de la mise en œuvre du droit au
logement ?
2.2 La ségrégation spatiale ou la place des pauvres et des étrangers dans la cité
Nous avons évoqué la frilosité initiale de l’Etat à s’engager sur la question du logeme nt
social ; J. Barou l’explique par plusieurs raisons : l’attachement au principe républicain
d’égalité qui retient l’Etat d’orienter ses aides vers tel ou tel groupe social ; la peur du
communautarisme par le regroupement de populations données ; la peur d’officialiser la
ségrégation en admettant l’existence d’une société marquée par des clivages sociaux
visibles ; la peur des conséquences du regroupement des pauvres pour l’équilibre social107.
La crainte du regroupement géographique de populations spécifiques était déjà présente en
1604 : « Cher Syre, permettez que je me retire ; en jurant fidélité au Roy, j’ai promis
soustenir la royauté ; or Votre Majesté me commande un acte pernicieux à la royauté… Je
refuse ; je le répète à mon cher maistre et Souverain bien-aimé : c’est une malheureuse idée
de bâtir des quartiers à l’usage exclusif d’artisans et d’ouvriers. Dans une capitale où se
trouve le Souverain, il ne faut pas que les petits soyent d’un côté et les gros et dodus de
l’autre, c’est beaucoup et plus sûrement mélangés ; vos quartiers pôvres deviendraient des
citadelles qui bloqueraient vos quartiers riches. Or comme le Louvre est la partye belle, il
107
D’après BAROU Jacques, La place du pauvre - Histoire et géographie sociale de l’habitat HLM, 1992.
- 35 -
pourroit se fait que les balles vinssent ricocher sur votre couronne…je ne veulx pas, syre,
estre le complice de cette mesure »108.
Ces craintes, d’ordre politique , vont vite être supplantées par la logique économique : « par
le vecteur de l’industrie, le capital va s’emparer de l’espace et le refaçonner […] La
logique de l’argent structure l’espace urbain à partir de son centre où elle s’est
puissamment installée : c’est la ségrégation sociale qui se lit sur le sol : la classe
capitaliste s’étale à l’aise, la population ouvrière est refoulée en une énorme vague dans les
quartiers périphériques »109. La ségrégation spatiale et sociale est ainsi présente dans les
villes dès leurs premiers développements.
Au sens étymologique, la ségrégation est l’action de séparer, de mettre à l’écart ; l’usage en
a fait un outil pour désigner un contraste spatial ou une opposition dans les modes de
localisation résidentielle, d’où le terme de ségrégation urbaine ou socio-spatiale. Même si le
terme évoque le plus souvent les quartiers d’habitat social ou la banlieue, la ségrégation la
plus forte est bien celle des catégories sociale s dites supérieures qui s’agrègent en excluant
les autres catégories : « L’entassement des pauvres dans certaines cités HLM périphériques
résulte aussi de stratégies sociales qui se déroulent dans d’autres fractions de l’espace
urbain et qui consistent à fermer l’accès de ces lieux aux populations qui ne répondent pas
au profil attendu par celles qui occupent déjà les lieux. Les ghettos de pauvres ne sont que
la conséquence des ghettos de riches organisés par le jeu des POS110 qui repoussent hors de
ces territoires l’ensemble de ceux qui n’ont pas les moyens d’y entrer. Peut-être sont-ce à
ces stratégies de constitution d’entre-soi électifs et excluants qu’il faut prêter d’abord
attention ! » 111. Les aspects économiques (coût du foncier et de la construction notamment),
qui peuvent a priori justifier les regroupements de mêmes catégories dans les mêmes lieux,
ne sont-ils pas seulement prétexte à l’incapacité des ménages les plus riches à vivre aux
côtés des plus pauvres ou de ceux qui dérangent, notamment les immigrés ou considérés
comme tels ? Si l’économie vient ainsi au service de l’idéologie, nous pouvons également
nous interroger sur le rôle du politique ?
Alors que l’article 110 du Code de l’Urbanisme précise que « les collectivités publiques
harmonisent, dans le respect réciproque de leur autonomie, leurs prévisions et leurs
décisions d’utilisation de l’espace afin d’aménager le cadre de vie, d’assurer sans
discrimination aux populations résidentes et futures des conditions d’habitat, d’emploi […]
répondant à la diversité de ses besoins et des ressources », nous pouvons nous demander ce
« que peut donc faire le “droit” pour répartir harmonieusement (adverbe à décliner…)
108
Propos de François Miron, prévôt des marchands de Paris, apostrophant Le roi Henri IV, cités par BAROU
Jacques, La place du pauvre - Histoire et géographie sociale de l’habitat HLM, 1992, page 16.
109
BLANQUART Paul, Une histoire de la ville - Pour repenser la société, Paris, La Découverte, 1997, pages 118 et
123.
110
Plan d’Occupation des Sols.
111
JAILLET Marie-Christine, Les cahiers Millénaire 3, 1998, page 64.
- 36 -
dans l’espace les différents types de logements correspondant à la fois aux besoins et aux
ressources ? »112.
Dès les années 70, la question de la ségrégation est posée à partir des problèmes des grands
ensembles ; la circulaire Guichard fait le lien entre cette forme d’urbanisation et la lutte
contre la ségrégation sociale par l’habitat : « le grand ensemble s’oppose à la diversité
sociale de la ville. Il est l’aspect physique d’une politique qui tend à organiser la
ségrégation sociale dans nos villes »113. La circulaire prône la lutte contre la ségrégation par
une meilleure répartition des logements sociaux ; mais l’absence de traduction juridique
permettant de garantir l’effectivité de cette recommandation fait qu’elle n’a pas été
appliquée, alors même que dans les quinze années qui vont suivre, 43% des logements
sociaux actuels vont être produits. Tous les éléments sont alors réunis pour provoquer ce
qu’il est convenu d’appeler la crise des grands ensembles : outre la détérioration du bâti,
l’isolement géographique par rapport aux centres-villes, le déficit d’équipements de
proximité et/ou de moyens de transport 114, la concentration de populations, conjugués au
chômage massif qui va toucher en premier lieu les habitants de ces cités, conduisent à
dévaloriser le parc HLM des quartiers de banlieue désertés par ceux qui peuvent se
permettre d’aller loger ailleurs. « La crise de l’habitat se substitue dans les discours et les
consciences à la crise du logement »115, « relégation sociale et relégation urbaine sont le
plus souvent confondues, et se renforcent mutuellement » 116. Dans les années 80, des
opérations de réhabilitation coûteuses sont menées ; malgré l’ampleur des moyens, elles
n’atteindront pas les effets escomptés : « L’idée était de changer l’image des quartiers,
mais comme le dit un habitant, “changer de peau n’est pas changer de cœur”. La situation
sociale et économique des gens du lieu, elle, n’a pas changé »117.
Depuis le début des années 90, des lois sur la Ville tentent « d’inverser les processus
ségrégatifs résultant de la politique urbaine de la période précédente »118. En 1991, la Loi
d’Orientation pour la Ville incite les communes déficitaires en logements sociaux à
rattraper leur retard afin de favoriser la répartition de la construction nouvelle. Les
communes riches préfèreront souvent s’acquitter de l’amende dont le montant est peu
112
PAQUOT Thierry, LUSSAULT Michel, BODY-GENDROT Sophie (sous la direction de), La ville et l’urbain L’état des savoirs, La Découverte, 2000, page 331.
113
Circulaire Guichard du 21/03/1973, citée dans Différences et inégalités territoriales, quel lien avec la mobilité ?
Agence d’urbanisme de l’agglomération lyonnaise, (sous la responsabilité de) ROSALES-MONTANO Sylvia, Lyon,
Plan Urbanisme Construction Architecture, Février 2002, page 54.
114
DAOUD Zakia fait référence au rapport de l’INSEE de 1990 qui constate que « les 500 quartiers chauds se
présentent le plus souvent comme de grands ensembles de barres et de tours HLM coupés des centres villes par des
voies routières ou ferroviaires. Si 83 % sont longés par une voie rapide ou une route nationale, seuls 40 % sont
desservis par une gare », dans Intégration ou explosion ? Banlieues…, 1993, page 77.
115
BAROU Jacques, La place du pauvre - Histoire et géographie sociale de l’habitat HLM, 1992, page 58.
116
De GAULEJAC Vincent, TABOADA LEONETTI Isabel, La lutte des places, D. de Brouwer, 1995, page 71.
117
DAOUD Zakia, Intégration ou explosion ? Banlieues…, 1993, page 78.
118
SIMON Patrick, Le logement social en France et la gestion des risques, dans Hommes et Migrations n°1246,
novembre-décembre 2003, page 78.
- 37 -
dissuasif plutôt que de risquer de perdre des voix d’électeurs en construisant du logement
social ; quelques mois plus tard, la nouvelle majorité gouvernementale prendra un
amendement limitant encore la portée de cette loi. Son échec incite les législateurs à adopter
la loi SRU en décembre 2000 ; outre la production d’une offre nouvelle dont nous avons
parlé, cette loi vise à renforcer la cohérence des politiques urbaines et territoriales, à
conforter la politique de la Ville, à mettre en œuvre une politique de déplacements au
service du développement durable et à assurer une offre d’habitat diversifiée et de qualité
(notion de logement décent). Elle est renforcée par la loi d’orientation et de programmation
pour la ville et la rénovation urbaine d’août 2003 qui réaffirme la priorité de réduction des
inégalités sociales et des écarts de développement entre les territoires.
Mais cela suffira t-il à « exorciser les inégalités sociales existantes dans certains sites »119,
à lutter efficacement contre la ségrégation et à rétablir, au-delà de l’égalité des droits, une
certaine égalité des chances ? Si les pouvoirs publics semblent avoir pris conscience des
risques liés à la ségrégation, les élus locaux et les citoyens restent dans l’ensemble hostiles à
la programmation de logements sociaux à côté de chez eux.
2.3 Le logement des immigrés marqué par la discrimination
L’arrivée massive de travailleurs étrangers après la 2nde Guerre Mondiale se fait sans que
les conditions d’hébergement soient prévues pour ces nouveaux immigrants. Ils s’installent
donc essentiellement à la fois dans les immeubles insalubres des centres villes et à la
périphérie des grandes villes où se constituent des bidonvilles. Les pouvoirs publics
réagissent en créant la Sonacotra en 1956, chargée de gérer un parc de foyers (chambres de
6 m²) pour loger les travailleurs étrangers ; ils essayent de supprimer les bidonvilles par la
construction de cités de transit et par la construction rapide d’immeubles dans les quartiers
périphériques. Des tentatives sont menées pour mettre en place un mode de financement
spécifique de logements réservés pour les étrangers, mais « cette ébauche de politique de
“discrimination positive” ne sera pas complétée par d’autres dispositifs volontaristes et se
soldera par un échec »120. D’autres mesures visent à favoriser l’accession à la propriété ; ce
sont surtout les français et les migrants espagnols, portugais et asiatiques qui vont en
profiter, libérant ainsi une partie du parc HLM recherché par les étrangers issus du
Maghreb et d’Afrique sub-saharienne.
De 1975 à 1990, la disparition des bidonvilles et cités de transit permet une amélioration
sensible des conditions de logement des ménages étrangers. Cependant la crise économique
et le chômage vont toucher en premier lieu les populations Maghrébines et Africaines les
119
120
Agence d’Urbanisme, Différences et inégalités territoriales, quel lien avec la mobilité ?, février 2002, page 76.
Rapport du GELD, mai 2001, page 11.
- 38 -
rendant ainsi plus vulnérables aux problèmes économiques et sociaux121. La dégradation de
certains quartiers populaires de banlieue et leur stigmatisation vont contribuer à créer des
représentations dans lesquelles les populations issues de l’immigration, notamment
maghrébine, sont associées à la dévalorisation du parc immobilier, aux problèmes sociaux,
à la délinquance. « Compte tenu des positions subalternes des populations immigrées sur le
marché du logement, il est alors prévisible de les voir accéder aux segments les moins
attractifs du parc social. La polarisation sociale de l’espace urbain se double d’une
ségrégation ethnique et raciale et s’observe de manière identique dans le parc social. La
visibilité des concentrations d’immigrés ou supposés tels renforce la disqualification
symbolique des quartiers et de l’habitat HLM » 122. Nous comprenons alors que les
immigrés ou supposés tels soie nt les premières victimes de la saturation du parc public à
laquelle nous assistons depuis quelques années : « De fait, sur 885 000 ménages ayant
déclaré, en 1996, avoir fait une demande de logement HLM, 200 000 étaient d’origine
étrangère. Là encore, les chiffres parlent d’eux-mêmes : parmi ces demandeurs, 19% des
immigrés ont attendu au moins trois ans, contre seulement 8% pour l’ensemble, à taille de
familles égale. Inversement, si 75% des demandeurs ont obtenu un logement dans les six
mois, ce taux n’est plus que de 58% chez les immigrés » 123.
D’après les résultats du recensement de 1999, J. Barou observe le maintien d’un certain
nombre d’écarts significatifs entre les immigrés et les autres 124 : en ce qui concerne le statut
d’occupation125, la surface 126 et le degré de confort du logement 127. Parmi les immigrés ou
supposés tels, ces problèmes de logement touchent tout particulièrement les ménages
originaires d’Afrique : en 1990, « les ménages “très mal logés” sont 4 fois plus nombreux
chez les originaires d’Algérie, de Turquie, d’Afrique noire et du Maroc (entre 45% et 50%)
que pour la moyenne nationale (11%) »128. Or, aucun traitement spécifique du problème de
l’accès au logement des populations d’origine étrangère n’est à l’œuvre aujourd’hui. Les
immigrés ou supposés tels qui ont des difficultés à obtenir un logement viennent grossir le
lot « des plus défavorisés » visés par la loi Besson de 1990, ce qui n’est pas sans entraîner
amalgames et confusions.
121
Les taux de chômage de ces groupes se situent entre 24 % et 33 % pour les hommes et 36 % et 45 % pour les
femmes, alors que la moyenne en France s’établit respectivement à 10 % et 14 % (ibidem, page 10).
122
Ibidem, page 18.
123
BLIER Jean-Michel, de ROYER Solenn, Discriminations raciales, pour en finir, 2001, page 54.
124
Source : enquête logement INSEE 1996, dans BAROU Jacques, L’habitat des immigrés et de leur famille, 2002.
125
31% des immigrés sont propriétaires contre 54,7% pour l’ensemble de la population ; ils sont en proportion deux
fois plus nombreux que l’ensemble de la population à être locataires en HLM ; les 3/4 d’entre eux vivent dans des
immeubles construits avant 1975 contre les 2/3 pour l’ensemble des ménages locataires du parc social public.
126
Logements plus petits pour un nombre d’occupants plus grands.
127
Les immigrés sont deux fois plus nombreux que la moyenne à habiter dans des logements dépourvus de salle
d’eau ou de WC.
128
SIMON Patrick, in SEGAUD Marion, BONVALET Catherine, BRUN Jacques (sous la direction de), Logement et
habitat - L’état des savoirs, Paris, La découverte, 1998, page 329.
- 39 -
Dans le département du Rhône, entre 1995 et 2002, la proportion d’étrangers inscrits sur le
fichier du Service Inter Administratif du Logement 129 qui gère le contingent préfectoral
réservé aux plus démunis, est passée de 40% à 28,5% ; mais ces chiffres ne nous
renseignent que sur la nationalité et non sur l’origine des demandeurs puisque la loi interdit
d’effectuer des classements et des statistiques à partir de l’origine supposée des
ménages ; malgré le bien-fondé de cette interdiction qui vise à éviter les dérives
ségrégationnistes et discriminantes, cette interdiction représente aujourd’hui un frein dans
la connaissance des phénomènes discriminatoires touchant les français issus de
l’immigration 130; les personnes qui travaillent sur cette question regrettent de ne pouvoir
avoir accès à cet outil de connaissance car « la nationalité est un critère qui ne décrit pas
suffisamment les difficultés d’accès au logement qui sont en fait liées à l’ethnicité»131. Sur
les 30% d’étrangers inscrits au SIAL en l’an 2000, 20% sont originaires du Maghreb, ce
qui confirme au niveau départemental, les observations menées au niveau national, à savoir
que les immigrés maghrébins sont actuellement les plus touchés par les difficultés d’accès
au logement.
Sur l’agglomération lyonnaise, le bilan des cinq premières années du Programme Local de
l’Habitat publié en janvier 2001 reconnaît les difficultés particulières des familles
nombreuses et des ménages de nationalité étrangère par rapport à « l’accès au logement de
façon générale »132. Quant au premier bilan de la Commission de médiation, il fait état
d’une « forte sur-représentation des ménages étrangers »133 (presque 50%) sans compter
les ménages d’origine étrangère. Sur Villeurbanne, la part des demandeurs de logement
social de nationalité Hors Union Européenne est de 23% en 2002.
2.4 Une association locale pour la lutte pour le droit au logement pour tous sans
discrimination
L’Association Villeurbannaise pour le Droit au Logement a été créée en octobre 1985,
après plusieurs mois de mobilisation collective de ménages mal logés, de travailleurs
sociaux et de militants d’origines diverses. L’attente, au moment de la consultation du
médecin de Protection Maternelle et Infantile 134, permettait aux travailleurs sociaux
129
Nous utiliserons à présent l’abréviation SIAL.
En 1998, un très vif débat national a porté sur la question de l’utilisation de variables ethniques dans les
statistiques ; les démographes “pour”, comme Michèle Tribalat (directrice de recherches à l’INED), considéraient que
ces données permettraient de mieux lutter contre les discriminations et de valoriser les apports de l’immigration ;
ceux qui étaient “contre” comme Hervé Le Bras (démographe à l’EHESS), y voyaient un alignement sur les
représentations ethnicisantes de l’extrême-droite ; il résulte de ce conflit que les variables sur les origines des
personnes ne sont pas prises en compte dans les statistiques.
131
BECDELIEVRE Catherine, Observatoire de la demande de logement social de Villeurbanne, Communauté
Urbaine de Lyon, Direction Départementale de l’Equipement du Rhône, Mairie de Villeurbanne, Mars 2002, page 19.
132
Grand Lyon, Programme Local de l’Habitat, Bilan 1995-2000, Janvier 2001, page 111.
133
Conseil Départemental de l’Habitat, rapport de l’Assemblée plénière du 3 mai 2004, Service Habitat - Ville, DDE
du Rhône, mars 2004, page 49.
134
Nous utiliserons à présent l’abréviation PMI.
130
- 40 -
d’animer un temps d’expression collective des femmes des quartiers de Croix-Luizet et des
Buers à Villeurbanne. Un des problèmes récurrent soulevé par ces femmes, pour la plupart
d’origine maghrébine, était la difficulté d’accéder à un logement social. Beaucoup de
familles vivaient alors dans des logements du parc privé, trop petits et insalubres, après des
regroupements familiaux non régularisés ; malgré la stabilité de la situation professionnelle
des maris et des revenus pour la plupart d’entre elles, ces familles n’arrivaient pas à obtenir
de logements dans le parc HLM. Un des ménages réussit alors à occuper illégalement un
appartement de l’Office Public d’HLM de Villeurbanne 135. Réglant immédiatement
l’équivalence du loyer afin de montrer son désir de devenir locataire à part entière, la
famille dut faire face aux interventions de l’organisme et de la Mairie voulant l’obliger à
quitter le logement. Mais les pressions du collectif de soutien sur le bailleur et la
Municipalité ayant été les plus fortes, après plusieurs mois de revendications , la famille fut
relogée en bonne et due forme. L’outil militant que représente l’occupation ayant
fonctionné pour alerter les pouvoirs publics, il fallait alors trouver des moyens légaux de
poursuivre l’action ; la création d’une association permit d’organiser la revendication en
l’inscrivant dans le cadre de la loi 1901.
Dès lors, l’association n’a eu de cesse d’accueillir et d’accompagner le public
villeurbannais en difficulté de logement ; peu à peu, les bénévoles se sont entourés d’une
équipe de professionnels, aujourd’hui composée de huit personnes.
Si le public qui sollicite l’AVDL a évolué en fonction du contexte social, une constante
reste repérée par l’ensemble des intervenants sociaux de l’association : la prédominance
d’un public qualifié “issu de l’immigration”. Afin de vérifier la réalité de cette constante,
nous sommes allés chercher dans les rapports d’activité de l’association, les statistiques
concernant la nationalité des publics accueillis lors des dernières années ; les premières
statistiques apparaissent seulement en 1996. De 1996 à 1999, les chiffres sont globaux, quel
que soit l’objet du problème logement. A partir de l’année 2000, nous distinguons les
statistiques en fonction des deux principales raisons qui conduisent les ménages à solliciter
l’AVDL : la recherche de logement ou la menace d’une expulsion locative. De 1996 à
1998, nous pouvons constater, à l’identique des statistiques du SIAL, une assez forte
augmentation des ménages de nationalité française et en contrepartie une diminution des
ménages Hors Union Européenne. Depuis 1998, les chiffres sont globalement stables
malgré de légères différences d’une année sur l’autre, dans un sens ou dans un autre. Le
pourcentage de ménages étrangers en recherche de logement accompagnés à l’AVDL reste
cependant très élevé (autour de 40%)136.
135
Devenu depuis OPAC de Villeurbanne.
Il est intéressant de constater que, proportionnellement, les ménages étrangers sont moins touchés par les
problèmes d’expulsion que par les difficultés d’accès au logement. Leurs difficultés d’accès au logement en font
peut-être de bons locataires.
136
- 41 -
1996
1997
1998
1999
Nationalité française
54 %
59 %
64 %
62 %
2000
65,78 %
Hors Union Européenne
45 %
38 %
34 %
37 %
32,87 %
57,83 % des demandeurs
en recherche
73,72 % des demandeurs
en expulsion
40,74 % des demandeurs
en recherche
25 % des demandeurs
en expulsion
2001
2002
62,39 %
35,72 %
Union Européenne
1%
3%
2%
1%
1,35 %
1,42 % des demandeurs
en recherche
1,28 % des demandeurs
en expulsion
1,88 %
Recherche : 58,12 %
Expulsion : 66,67 %
Recherche : 41,45 %
Expulsion : 30 %
Recherche : 0,43 %
Expulsion : 3,33 %
63,82 %
32,45 %
3,70 %
Recherche : 60,20 %
Expulsion : 67,44 %
Recherche : 39,32 %
Expulsion : 25,58 %
Recherche : 0,43 %
Expulsion : 6,98 %
Dans chacun des rapports d’activité, à la rubrique nationalité, nous pouvons lire : « On
constate que l’exclusion du droit au logement touche les jeunes de la seconde génération
tout autant que leurs parents, même s’ils sont de nationalité française »137. Nous avons
déjà évoqué le fait que les discriminations liées à l’origine ne se fondent pas uniquement
sur la nationalité mais aussi « sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale
ou ethnique »138 et que les nouvelles lois contre les discriminations font référence
directement au patronyme. Bien au fait des interdictions mais aussi des débats liés à l’étude
statistique des origines ethniques 139, nous pensons qu’il est parfois nécessaire de produire
de telles statistiques, notamment afin de confirmer ou d’infirmer des sentiments ou
préjugés sur le nombre de personnes d’origine étrangère, ou pour mettre en lumière les
discriminations dont elles sont victimes. Pour notre recherche, nous avions besoin de
vérifier si effectivement un grand nombre de personnes d’origine étrangère sollicitait
l’AVDL. Nous avons donc choisi d’effectuer une étude des patronymes des ménages ayant
bénéficié d’un accompagnement social lié au logement à l’AVDL durant l’année 2001 et
nous les avons classé selon le type de problème pour lequel ils ont sollicité l’association 140.
137
AVDL, rapport d’activité 1998.
Convention Internationale du 4 janvier 1969.
139
Voir note n° 129, page 33.
140
Ce travail à partir des patronymes comporte une marge d’erreur possible, mais nous avons essayé de limiter celleci en comptabilisant uniquement les patronymes sur lesquels il ne paraît pas y avoir de doute possible quant à leur
origine.
138
- 42 -
Nationalité Hors Union
Union
Inconnu
française Européenne Européenne
Recherche
135
96
1
2
Expulsions
46
18
1
2
Litiges
45
23
2
0
Sous-location
15
6
0
0
Accompagnement
60
48
2
0
foyers Sonacotra
TOTAL
301
191
6
4
TOTAL
234
67
70
21
110
Patronymes
étrangers
193
30
47
19
73
502
362
Sur l’ensemble des ménages accompagnés à l’AVDL en 2001, toutes actions confondues,
60% sont français, 38% sont étrangers (Hors Union Européenne) mais plus de 72% portent
incontestablement un patronyme étranger, dans l’immense majorité des cas, un patronyme
à consonance arabe. Si l’on considère uniquement les demandeurs de logement, ce
pourcentage s’élève à 82,48% !
- 43 -
3 LOGEMENT - IDENTITE - INTEGRATION VU S PAR LE FILTRE DE LA
DISCRIMINATION
_________________________________________________________________________
A ce stade de notre recherche nous pouvons rappeler notre question centrale :
« Que ls sont les effets de la discrimination liée à l’origine sur l’identité et l’intégration
des demandeurs de logement d’origine maghrébine ? ».
3.1 Le logement, lieu de construction de soi et d’ouverture aux autres
Le logement représente beaucoup plus qu’un toit, il est bien plus qu’un simple abri
protégeant l’individu des agressions extérieures. Le prolongement naturel de l’acte “se
loger” est celui d’habiter. Le verbe latin habere signifie “avoir” dans sa forme active et “se
tenir” dans sa forme pronominale ; le substantif habitus signifie “manière d’être” ; habiter
relève donc à la fois de l’avoir et de l’être. Le besoin de se loger dépasse le cadre des
rationalités sommaires auxquelles il est parfois limité : « maison réduite au rang de moyen
pour satisfaire des besoins, maison conçue comme marchandise ou machine à habiter,
choses parmi les choses, objet parmi les objets »141. Le logement est avant tout le lieu de
notre intimité ; il abrite la construction de notre identité. Pour parler de la maison, Gaston
Bachelard développe les métaphores utilisées par les poètes, telles que le nid et la coquille :
« Il nous faut montrer que la maison est une des plus grandes puissances d’intégration pour
les pensées, les souvenirs et les rêves de l’homme […] Dès que la vie se loge, se protège, se
couvre, se cache, l’imagination sympathise avec l’être qui habite l’espace protégé »142.
Chaque lieu de la maison, de la cave au grenier jusque dans les coins, les armoires, les
coffres et les tiroirs, représente une partie de soi ; chacun porte une fonction symbolique
constitutive de notre intimité et de notre identité, « car la maison est notre coin du monde
[…] Sans elle l’homme serait un être dispersé »143. Il existe une correspondance entre l’être
humain et les lieux qu’il habite. Dis-moi comment tu habites, je te dirai qui tu es : selon
Monique Eleb, « ce savoir populaire est fondé sur une réalité : la structure des relations
familiales et interindividuelles d’une société s’inscrit dans le plan des habitations qu’elle
produit »144. Les manières d’habiter changent en fonction de différents éléments constitutifs
de notre identité : nos origines, notre histoire familiale et résidentielle, notre situation
matrimoniale, professionnelle et économique : « Fermeture, protection, séparation, la
maison permet aussi bien la jouissance que le travail ou encore le recueillement, l’intimité,
l’intériorité. Que serait l’intériorité sans intérieur ? Le “pour-soi” sans le “chez-soi” ? Le
141
LACROIX Xavier (sous la direction de), Loger ou habiter, Lyon, Les cahiers de l’Institut Catholique de Lyon, 1998,
page 19.
142
BACHELARD Gaston, La poétique de l’espace, Paris, Presses Universitaires de France, 1984 (12 ème édition). pages
26 et 127.
143
Ibidem, pages 24 et 26.
144
ELEB Monique, dans SEGAUD M., BONVALET C., BRUN J. (sous la direction de) Logement et habitat - L’état
des savoirs, 1998, page 68.
- 44 -
“nous” sans le “chez-nous” ? »145. La relation à la maison semble chargée de plusieurs
strates personnelles, relationnelles, familiales ; elle est une des conditions d’accès à la
dignité humaine et à l’épanouissement personnel.
Les personnes d’origine étrangères ou supposées telles qui subissent une discrimination par
rapport à l’accès au logement, sont souvent obligées de vivre dans des logements non
adaptés à leur situation : logements le plus souvent trop petits, vétustes, voire insalubres. Un
logement trop petit, en mauvais état, bruyant ou sans lumière rendra non seulement son
appropriation impossible mais ne contribuera pas au bien-être de ses occupants. Les
personnes sont ainsi touchées dans leur intimité, voire même dans leur identité. Madame S.,
algérienne, a participé à un groupe d’échange, mis en place par ’l AVDL et filmé par
Moderniser Sans Exclure : « 7 personnes dans 2 chambres ! Mes enfants, mon mari, pour la
douche, ils allaient dans le foyer à côté. Pendant 8 ans on a vécu comme des chiens, comme
des bêtes ; les enfants je leur mettais des matelas par terre, par terre ! Même que j’ai du
couper un matelas en 2 pour les 2 petites parce qu’il n’y avait pas de place… On a passé
des moments difficiles ! Et puis ils nous disent pourquoi on est agressifs, pourquoi on
pleure, on est triste, pourquoi on est malheureux ? »146.
Le logement est également un espace où s’élabore notre sociabilité. Habiter est aussi
accueillir ; si le logement est avant tout le lieu de l’intimité domestique, c’est également à
partir de lui que s’organise une partie des relations sociales : visites, réceptions, relations de
voisinage… Le lieu de résidence constitue l’un des pôles autour desquels s’organisent les
sociabilités. Là encore, les mauvaises conditions de logement des personnes issues de
l’immigration limitent leurs interactions sociales. Madame Y. est d’origine algérienne : « Je
n’ai ni lit ni armoire, j’ai un matelas par terre, une petite table et 2 chaises ; c’est
inhabitable franchement ! Je peux pas recevoir les amis, je peux pas recevoir la famille…
On est patient mais quand même, la patience a des limites, c’est pas une vie »147.
Outil de reconnaissance sociale, le logement participe à l’élaboration de notre identité
sociale. Il confère un statut social et facilite la reconnaissance de l’autre qui rend possible la
rencontre et la communication. Dans le contexte économique actuel, où le travail ne joue
plus toujours son rôle intégrateur et socialisateur, l’habitat reste un des principaux outils
d’insertion sociale et de lutte contre les exclusions. « Dans un environnement marqué par
les ruptures familiales et des difficultés personnelles et économiques de plus en plus
pesantes, le logement représente un facteur indéniable de sécurisation et d’insertion. Il
permet aux ménages de s’inscrire dans un réseau de relations de voisinage, avec les
145
LACROIX Xavier, Loger ou habiter, 1998, page 19.
Extraits de la cassette vidéo C’est quoi un droit, Moderniser Sans Exclure - A.V.D.L., décembre 2001.
147
Ibidem.
146
- 45 -
services publics et, bien sûr, avec le monde du travail » 148. Lorsque le travail manque, le
logement reste parfois le seul élément de reconnaissance sociale ; après le nom, c’est
l’adresse qui identifie les personnes. Les entretiens effectués par Serge Paugam dans son
enquête sur la disqualification sociale sont éloquents : « Réussir sa vie, c’est… bon ben,
avoir un chez soi ou avoir une maison, élever correctement ses gamins…», « Réussir sa
vie… c’est vraiment sur tous les plans : avoir de l’argent, avoir un travail, avoir un bon
logement » 149. La sphère du logement interpénètre les autres sphères de l’existence ; sans
logement il est bien difficile d’avoir un emploi, de rester en bonne santé, de maintenir des
relations stables. Si l’absence de logement n’est pas systématiquement synonyme de
désinsertion, les deux sont souvent étroitement liées. L’accès à un logement correspondant
à ses besoins est donc vital car « l’exclusion du logement est une des plus destructrices
pour l’individu. Privé d’un chez-soi, il est menacé dans son intégrité physique et morale,
dans sa santé comme dans ses capacités de relations »150.
C’est pourquoi la possibilité, même partielle, de pouvoir choisir son lieu et son mode
d’habitation est importante. La question de l’habitat loin de se réduire à l’attribution d’un
logement englobe l’accès aux équipements et aux services publics, ainsi qu’à l’emploi,
d’où la nécessité d’une mobilité au sein de l’espace urbain. « Le droit au logement n’est
qu’un piètre atout pour une personne en démarche d’insertion s’il débouche sur
l’affectation d’un appartement dans un quartier excentré, déficient en services collectifs, en
marge de la ville »151. Or, la localisation de l’habiter et la nature du logement occupé
varient selon les niveaux d’appartenance, socioculturels, ethniques, professionnels ; ils
constituent souvent la traduction de l’intégration ou de la ségrégation et de la stigmatisation
d’un individu ou d’une communauté dans la ville. « Le grand domaine de la
discrimination, celui qui est le plus dangereux pour la société, c’est le logement. Parce que
ce n’est pas seulement un problème de discrimination à l’égard d’individus. Cela va
beaucoup plus loin : le fait d’habiter dans une zone donnée selon la couleur de sa peau a
des conséquences sur la mentalité et la perception qu’on a de la société »152.
3.2 Le droit au logement et la mixité sociale : deux principes contradictoires ?
Nous avons vu que la volonté du législateur de s’immiscer dans les politiques de
peuplement est clairement affichée dans les dernières lois sur le logement ; « la volonté de
diversifier, et ceci par le droit, rend compte qu’il y a quelque part une faille dans la
148
BESSON Louis : présentation du volet logement de la loi de lutte contre les exclusions, dans Journal Officiel n°43
du 7/05/1998, page 3502.
149
PAUGAM Serge, La disqualification sociale - Essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, PUF, 1991, page 55.
150
PAUGAM Serge (sous la direction de) L’exclusion, l’état de savoirs, Paris, La Découverte, 1996, page 519.
151
PEILLON Pierre, Economie et Humanisme n° 326, octobre 1993, page 32.
152
Entretien Malek BOUTIH, dans BLIER J.M., de ROYER Solenn, Discriminations raciales, pour en finir, 2001,
page 16.
- 46 -
solidarité inter-municipale mais aussi dans le désir de cohabitation sociale »153. Alors que
l’incitation à la mixité sociale est très forte, nous nous interrogeons sur la pertinence de
cette notion dont aucun texte ne précise le contenu, ni ne mentionne explicitement les
populations immigrées ou issues de l’immigration : « l’enjeu de l’immigration n’apparaît
pas, il disparaît “pudiquement” sous un enjeu exclusivement social » ; or « tout porte à
constater une polarisation sociale de l’espace urbain renforcée par une ségrégation
ethnico-raciale qui s’observe dans le parc social comme dans le parc privé »154.
Même s’il est admis qu’elle participe de la cohésion sociale et qu’elle satisfait au modèle
français de réduction des inégalités sociales, « la mixité a beaucoup à voir avec une sorte
d’utopie sociétale… L’objectif de mixité sociale sous-entend que le mélange d’individus ou
de groupes socialement différents pourrait permettre, là où il y a de la tension et où celle-ci
est considérée comme imputable à la juxtaposition dans la ville de groupes trop homogènes
socialement, une meilleure coexistence, annihilant les situations d’affrontement induites par
le côte à côte »155. Les bienfaits de la mixité sociale relèvent « d’une logique implicite et
très prégnante d’acculturation par mimétisme » 156 ; or l’efficience de ce principe ne semble
pas avoir été démontré jusqu’ici (la présence de populations hétérogènes dans un même
espace ne préjuge pas des modalités de leur cohabitation), d’autant plus que l’injonction à la
mixité ne précise jamais de quel point de vue elle doit être appréciée ou mesurée.
Si les politiques de peuplement actuelles traduisent la volonté des pouvoirs publics et des
bailleurs, de rétablir la mixité sociale dans les quartiers en difficulté, cette même notion est
utilisée pour justifier des refus d’attributions dans d’autres quartiers afin de prévenir le s
difficultés. Du coup, la mixité semble marcher à sens unique ; les populations indésirables
sont refusées là où elles sont déjà jugées trop nombreuses, mais elles ne sont pas forcément
acceptées ailleurs, là où elles sont refoulées depuis déjà un certain nombre d’années. Car la
ségrégation est aussi le résultat collectif émergeant de la combinaison de comportements
individuels discriminatoires ; par discriminatoire,
il faut
entendre un comportement
« qui dénote une perception, consciente ou inconsciente, du sexe, de l’âge, de la religion, de
la couleur ou de n’importe quel élément qui sert de base à la ségrégation, une perception
qui influence les décisions concernant le choix du lieu de résidence, de l’endroit où
s’asseoir »157. Selon Yves Grafmeyer, ces perceptions n’alimentent pas forcément une
volonté de ségrégation : « elles définissent au minimum des priorités dans les voisinages
153
Agence d’Urbanisme, Différences et inégalités territoriales, quel lien avec la mobilité ?, février 2002, page 92.
MAGUER Annie, contribution orale à la Conférence du Logement de Villeurbanne, le 10 décembre 2001.
155
JAILLET Marie-Christine, A propos de la mixité, Les cahiers Millénaire 3, Grand Lyon Mission Prospective et
Stratégie d’agglomération, 1998, page 57.
156
SIMON Patrick, Hommes et Migrations n°1246, novembre-décembre 2003, page 89.
157
SCHELLING Thomas, La tyrannie des petites décisions, cité par GRAFMEYER Yves, Sociologie urbaine, Paris,
Nathan Université, 1994, pages 39.
154
- 47 -
souhaités et ceux qui sont seulement acceptés dans certaines limites » 158. La banlieue n’est
pas instituée par décret, elle est secrétée par les pratiques des citoyens au moment où ils
choisissent leur logement.
Aujourd’hui, les politiques de peuplement sont mises en œuvre à partir de critères « devenus
catégories exclusives de référence »159. Les critères affichés portent essentiellement sur la
situation sociale des demandeurs de logement ; nous assistons ainsi à un effacement de la
catégorie juridique de l’étranger au profit d’une catégorie sociale floue qui sert à identifier
toute forme de risque social et à un glissement progressif vers la désignation des immigrés
ou supposés tels comme les acteurs de la dévalorisation de segments entiers du patrimoine
résidentiel. L’origine culturelle devient un risque social, l’ethnicité fait son apparition
comme facteur explicatif du ma laise social. Alors que la loi Besson de mai 90 aurait pu être
considérée comme une politique de discrimination positive en faveur des catégories de
populations prioritaires, « l’équilibre de peuplement est paradoxalement devenu un obstacle
de plus pour le déroulement normal du parcours résidentiel d’une famille immigrée » 160. La
notion de mixité sociale telle qu’elle est utilisée aujourd’hui par les acteurs chargés des
attributions de logement vient donc desservir le droit au logement des populations issues de
l’immigration. Paradoxalement, celles-c i refusent d’être stigmatisés et en appellent à la
mixité pour éviter leur concentration dans les quartiers d’habitat social. N’est-ce pas
finalement notre capacité à vivre ensemble avec nos différences qui est interrogée ?
3.3 Reconnaissance des populations issues de l’immigration et conséquences de la
discrimination
Les adultes issus de l’immigration sont aujourd’hui, pour la plupart, de nationalité française.
Elevés à la fois dans la culture d’appartenance de leurs parents et la culture du pays
d’accueil, ils ont le plus souvent adopté les comportements et les attitudes explicitement
exigés par la société française. Nous avons vu que les processus d’assimilation et
d’intégration, malgré leurs lacunes et leurs faiblesses, ont globalement permis aux
personnes issues de l’immigration de revendiquer la reconnaissance de leur statut de citoyen
français et la reconnaissance de leurs droits. Pourtant elles sont aujourd’hui exposées aux
discriminations à cause de leur origine, notamment par rapport à l’accès au logement ; soit
leur intégration continue à être interrogée (« J’ai un travail, je paie des impôts, j’ai un
logement et on me parle toujours d’intégration ! C’est quoi alors l’intégration ? »161), soit
elles sont assignées à résidence dans des lieux qui les stigmatisent.
158
GRAFMEYER Yves, Sociologie urbaine, 1994, pages 39.
MAGUER Annie, 10 décembre 2001.
160
Le Haut Conseil à l’Intégration, cité dans le rapport du GELD, mai 2001.
161
Extrait de BENGUIGUI Yamina, Mémoires d’immigrés L’héritage maghrébin, Paris, Canal + vidéo, 1998.
159
- 48 -
La question de la discrimination est étroitement liée à celle des représentations, très
présente dés que nous parlons d’immigration ou d’immigrés 162. L’usage des termes n’est
pas neutre : pourquoi l’immigré est-il essentiellement originaire des pays du Sud ou de pays
européens plus pauvres que la France, alors qu’un migrant européen du Nord ou un
américain sera plus volontiers appelé expatrié ? Pourquoi considérons-nous volontiers un
immigré comme le travailleur d’une catégorie socioprofessionnelle plutôt défavorisée alors
qu’un patron d’entreprise sera rarement considéré comme tel ? Pourquoi le besoin persistant
de rappeler l’origine dès que nous parlons de ces français issus de l’immigration, d’origine
maghrébine, de la deuxième génération, etc… ? Ainsi, le plus souvent inconsciemment,
nous véhiculons des images et des représentations chargées de préjugés et de présupposés
qui ne sont pas neutres dans nos relations et nos appréciations à propos de l’immigration et
des immigrés. Selon A. Sayad, « l’immigration pèse de toute sa charge de dépréciation, de
disqualification, de stigmatisation sur tous les actes même les plus ordinaires des
immigrés » 163. Il insiste sur la place que la morale occupe dans la perception que nous avons
du phénomène de l’immigration ; les structures de notre entendement politique seraient des
structures nationales marquées par la “pensée d’Etat” 164, qui nous amènent à considérer
l’étranger comme un hôte qui doit « savoir bien se tenir, bien se conduire, se comporter et
se conduire comme l’exigent et comme l’enseignent les règles de bonne conduite des
maîtres des lieux » 165. A ces représentations se rajoutent celles liées à la banlieue et aux
quartiers d’habitat social, représentations qui provoquent, nous l’avons déjà évoqué, « le
rétrécissement de l’immigré comme sujet de droit et l’hypertrophie de sa représentation
comme problème : l’équation immigré = problème fonctionne à plein »166. Ainsi, c’est toute
une population qui, du fait de ses origines maghrébines, et quels que soient ses revenus 167,
est stigmatisée et marquée du sceau de la difficulté pré-supposée à s’approprier un logement
et à s’adapter à son environnement. L’accès au logement de chaque personne d’origine
maghrébine est rendu difficile car son comportement est jugé à risque vis-à-vis du
logement, du simple fait de ses origines.
Nous nous interrogeons pour savoir dans quelle mesure la discrimination subie et ses
conséquences sur l’habitat, ont des répercussions sur l’identité et l’intégration des personnes
162
Si la première définition du terme immigré dans le dictionnaire Le Petit Robert est très générale : « Qui est venu
de l’étranger par rapport au pays qui l’accueille », la suivante donne la définition dans un sens plus restreint : « Qui
est venu d’un pays peu développé pour travailler dans un pays industrialisé ».
163
SAYAD Abdelmalek, Immigration et « pensée d’Etat », septembre 1999, page 8.
164
La “pensée d’Etat” (Pierre Bourdieu parle lui de “l’esprit d’Etat”) est un mode de pensée qui s’impose à tout
citoyen qui n’existe que dans le cadre et la forme de la nation : « Enfants de l’Etat national et des catégories
nationales que nous portons en nous-mêmes et que l’Etat a mises en nous, nous pensons tous l’immigration (ces
“autres” que nous-mêmes, ce qu’ils sont et, à travers eux, ce que nous sommes nous-mêmes) comme l’Etat nous
demande de la penser et, en fin de compte, comme il la pense lui-même ». Selon SAYAD Abdelmalek, 1999, page 7.
165
Ibidem, page 9.
166
HISSAR-HOUTI Warda, PRIORESCHI Georges, Les discriminations dans l’accès au logement ou les dérives de
l’implicite, Ecarts d’Identité n° 80, mars 97.
167
Rappelons l’étude du laboratoire Ceramac pour le compte du FASILD, 2003, précédemment citée.
- 49 -
issues de l’immigration ? Dans la cassette vidéo « Mémoires d’immigrés » de Yamina
Benguigui, un homme qui a passé son enfance dans une cité de transit, parle de la crise
d’identité des jeunes issus de l’immigration : « Nos parents ne disaient rien mais nous on
n’acceptait pas ; on ne comprenait pas pourquoi il y avait tant de différences entre les
enfants français et nous »168. Chaque individu est porteur d’une identité personnelle et
d’une identité sociale qui ressortent surtout du souci qu’ont les autres de le définir 169.
« L’individu n’est-il pas, sur le mode pratique, principalement dans ce qu’il donne à voir de
lui et dans ce qu’il se donne à voir de lui-même ; et l’identité dont on parle beaucoup n’estelle pas au fond cet “être perçu” que chacun est socialement et qui n’existe
fondamentalement que par la reconnaissance des autres ? »170.
Compte tenu d’une part de la stigmatisation liée à la discrimination, et d’autre part de
l’absence d’un logement correspondant à leurs besoins , nous pouvons supposer que la
discrimination à l’accès au logement a des conséquences sur l’identité des personnes qui la
subissent. Elle peut porter atteinte à l’estime de soi et agir, consciemment ou
inconsciemment, sur le comportement du discriminé dans ses interactions individuelles et
collectives, notamment au cours de sa recherche de logement. Nous pouvons cependant
nous interroger afin de savoir si les personnes discriminées ne font que recevoir cette
discrimination en la subissant et l’intériorisant sans aucune maîtrise de ses effets, ou si au
contraire elles la traitent soit par le refus, soit par la négociation, en l’accommodant ou en
composant avec elle ? L’analyse d’Erving Goffman admet l’hypothèse de la résistance des
individus au stigmate grâce à une marge d’autonomie dans la définition de soi qui leur
permet d’intérioriser, de refuser ou de négocier l’emprise que le stigmate va avoir sur elles.
Selon Carmel Camilleri, les situations
d’hétérogénéité des cultures en un même lieu
obligent les populations étrangères ou issues de l’immigration à produire des stratégies
identitaires multiples et variées « par lesquelles chacun vise à restaurer l’image d’un
monde et d’un moi qu’il accepte à l’intérieur de ce monde »171. Leur approche est
complexe car elle consiste « à étudier des phénomènes qui expriment une certaine liberté
de choix des acteurs dans le cadre d’une sociologie des minorités qui se trouvent, elles
largement déterminées par les rapports sociaux qui les définissent »172.
168
Extrait de BENGUIGUI Yamina, Mémoires d’immigrés L’héritage maghrébin, 1998.
D’après GOFFMAN Erving, Stigmate Les usages sociaux des handicaps, Editions de Minuit, Lonraï, 2001.
170
SAYAD Abdelmalek, Immigration et « pensée d’Etat », septembre 1999, page 9.
171
CAMILLERI Carmel, Les stratégies identitaires des immigrés, dans Sciences Humaines Hors Série n°15,
Auxerre, décembre 1996-janvier 1997, page 33.
172
TABOADA-LEONETTI Isabelle, dans Stratégies identitaires, ouvrage collectif, Presses Universitaires de France,
2002 (1 ère édition : 1990), page 83.
169
- 50 -
CONCLUSION
_________________________________________________________________________
Dans cette première partie, nous avons posé le contexte de notre recherche. Nous avons vu
que l’arrivée massive d’immigrés, notamment des pays du Maghreb, après la 2nde Guerre
Mondiale, n’avait pas été accompagnée d’une véritable politique du logement en leur
faveur. L’idée alors très répandue que cette immigration de travail serait provisoire et que
les immigrés finiraient par rentrer au pays, explique en partie l’absence d’une politique de
logement adaptée. Ces populations ont donc connu des conditions de logement très
difficiles, au moins jusqu’à la fin des années 70, lorsqu’elles ont commencé à intégrer les
logements HLM des quartiers périphériques délaissés par les français les moins pauvres qui
poursuivaient leur parcours logement ascensionnel.
Mais concentrés et relégués dans ces quartiers excentrés, premières et principales victimes
de la crise économique, les immigrés et leurs enfants de nationalité française, ont été
identifié s aux problèmes qui ont marqué la vie de ces quartiers ces trente dernières années.
Du coup, c’est toute la population d’origine maghrébine qui risque d’être marquée du sceau
de la différence ; si la politique d’assimilation menée à son égard semble avoir bien
fonctionné, son intégration est aujourd’hui réinterrogée.
Outre les comportements racistes individuels qu’il leur faut parfois supporter, les personnes
d’origine maghrébine peuvent être victimes de discriminations, directes ou indirectes,
systémiques voire “probabilistes”, du simple fait de leur origine, notamment en ce qui
concerne le logement.
Depuis la fin des années 90, l’Etat français, incité par les politiques européennes, est
sensible à ces problèmes de discrimination et développe des outils pour y faire face, tandis
que des associations comme l’AVDL essaye nt au quotidien de défendre le droit au
logement pour tous sans discrimination, en facilitant l’accès au logement des populations
issues de l’immigration.
Mais compte tenu de l’importance du logement et de l’importance d’être reconnu par les
autres pour la constitution de notre identité, nous pouvons supposer que la discrimination
dans le logement provoque des effets sur l’identité et l’intégration des personnes issues de
l’immigration maghrébine. En réaction, les personnes développent des stratégies
identitaires qu’il s’agit d’essayer d’identifier.
- 51 -
Deuxième partie :
Des parcours logement
« Une humanité positive ne peut s’imaginer que si nous apprenons
à voir en l’autre non un adversaire à surmonter
mais une source où nous abreuver »
Albert Jacquard
- 52 -
INTRODUCTION
_________________________________________________________________________
Dans le cadre de notre recherche, nous nous interrogeons sur les effets que la discrimination
et les conditions d’habitat difficiles peuvent avoir sur l’identité et l’intégration des français
issus de l’immigration maghrébine.
Notre objet de recherche étant centré sur une catégorie de situations précise, nous avons
inscrit notre travail dans une perspective ethnosociologique dont les outils nous paraissaient
adaptés à l’objet de notre recherche.
Afin d’étudier la perception que les personnes ont de la discrimination liée à l’origine, le
sens qu’elles lui donnent et les réactions qu’elles développent pour y faire face, nous avons
décidé de recueillir la parole des personnes concernées, sans aborder nous-mêmes la
question de la discrimination. Pour être au plus près de cette parole, nous avons choisi
d’utiliser les récits de vie centrés sur l’histoire du parcours résidentiel des personnes
rencontrées. Nous avons recueilli dix récits de ménages accompagnés par l’AVDL, ayant
déjà été relogés ou devant l’être prochainement.
Après avoir présenté la méthode d’investigation, nous restituerons le contenu des récits en
trois registres : l’habitat, le recherche de logement, les difficultés d’accès au logement, en
essayant de repérer la place de la discrimination et les conséquences de cette histoire
logement en termes d’identité et d’intégration.
Même si nous avons découpé et ordonné la parole des personnes pour construire une
présentation qui reflète notre propre compréhension de ce qui nous a été dit, nous avons
choisi de citer des passages importants de la parole des personnes, source directe de
connaissances.
Le sentiment qui prédomine et qui accompagne ces parcours et ces recherches de
logements, est celui de la difficulté et des problèmes que cela pose : les deux termes
“difficile” et “problème” ou leurs synonymes apparaissent 241 fois dans les récits,
largement avant tout autre terme à forte signification.
- 53 -
1 METHODE D’INVESTIGATION
_________________________________________________________________________
1.1 L’approche méthodologique
Nous avons choisi d’emprunter à l’ethnosociologie un certain nombre d’outils
méthodologiques en les adaptant à la particularité de notre recherche :
ü L’ethnosociologie dans la mesure où elle étudie un microcosme social ou une catégorie
de situation afin d’en comprendre les logiques propres. La catégorie de situation concernée
par notre recherche regroupe des personnes de nationalité française issues de l’immigration
maghrébine, aux ressources modestes, qui ont eu recours à un moment donné à une
association d’aide à l’insertion par le logement pour trouver le logement correspondant à
leurs besoins. Sans prétendre saisir des lois générales établissant les comportements de cette
population face à la discrimination, nous pensons qu’il est peut-être possible de repérer des
régularités qui replacent les histoires particulières et les comportements individuels dans des
dynamiques collectives, et à l’inverse éclairer plus finement les dynamiques collectives, à
l’aide d’histoires singulières et de comportements individuels.
ü L’ethnosociologie dans la mesure où elle donne un statut spécif ique à l’hypothèse ; en
effet, il ne s’agit pas, comme dans la démarche hypothético-déductive, de vérifier une
hypothèse posée a priori, mais plutôt d’aboutir à l’élaboration d’un corps d’hypothèses
quant aux perceptions et réactions développées vis -à-vis de la discrimination liée aux
origines dans le logement, par les personnes appartenant à la catégorie de situation étudiée :
comment se dit la discrimination ? Comment est-elle vécue ? Comment se négocie t-elle ?
Quels sont ses effets sur les personnes ?
ü L’ethnosociologie enfin dans la mesure où elle utilise la méthode d’investigation des
récits de vie. Selon Daniel Bertaux, « La démarche ethnosociologique vise à la
compréhension d’un objet social “en profondeur” ; si elle a recours aux récits de vie, ce
n’est pas pour comprendre telle ou telle personne en profondeur, mais pour extraire des
expériences de ceux qui ont vécu une partie de leur vie au sein de cet objet social des
informations et des descriptions qui, une fois analysées et assemblées, aident à en
comprendre le fonctionnement et les dynamiques internes »173. Partageant l’idée que le vécu
subjectif est source de connaissances, il s’agit, par le biais des récits, de comprendre
comment les évènements intervenus dans le parcours logement et plus globalement dans la
vie des personnes rencontrées, ont été reçus, intégrés par elles, et comment elles sont
parvenues à dégager une posture, ou des postures vis-à-vis de la question du logement et de
173
BERTAUX Daniel, Les récits de vie, 1997, page 45.
- 54 -
la discrimination liée à leur origine. Nos premières observations mettant en lumière la
difficulté des personnes concernées à parler directement de la discrimination qui est le plus
souvent évoquée de manière détournée, nous ne souhaitions pas aborder nous-même la
question de la discrimination mais observer si elle apparaissait, et de quelle manière, dans le
récit de l’histoire logement des personnes. Ainsi, par le biais des récits sur le parcours
logement, nous avons cherché à favoriser la forme narrative de la production discursive des
personnes rencontrées, le parcours logement n’étant qu’un moyen devant nous permettre de
saisir, d’analyser et de comprendre la place de la discrimination subie par rapport aux
situations de logement vécues, ainsi que les processus concernant cette discrimination. Nous
n’avons donc jamais abordé nous-mêmes la question de la discrimination (sauf à la fin du
seul entretien dans lequel la personne rencontrée ne l’a pas évoqué spontanément), mais
nous avons essayé d’appliquer la métaphore proposée par notre directrice de recherche : une
fois la fleur éclose (le sujet abordé), nous avons essayé de l’aider à s’épanouir.
1.2 Présentation du déroulement de l’investigation
Pour constituer l’échantillon de personnes à rencontrer dans le cadre de notre investigation,
nous nous sommes d’abord de mandée si il était possible, en tant que directrice, d’enquêter
auprès de ménages ayant sollicité l’AVDL ? Quel autre public, identique à celui de l’AVDL
serions -nous en mesure de mobiliser ? Nous avons essayé de voir avec une autre association
pratiquant l’accompagnement social à la recherche de logements, la possibilité de
rencontrer certains de leurs usagers, la consigne étant alors de nous présenter comme
apprenti chercheur. N’ayant pu obtenir de réponse, nous avons essayé de limiter les
interférences de notre positionnement vis-à-vis des personnes que nous allions rencontrer,
consciente que la distance habituellement nécessaire pour assurer une relative neutralité ne
pourrait être totalement respectée. La plupart des ménages qui sont accompagnées à
l’AVDL ne nous connaissant pas 174, nous nous sommes présentée en tant que collègue de
l’intervenant social qui a accompagné la personne sollicitée, sans préciser notre fonction.
De plus, nous avons choisi d’enquêter auprès de ménages ayant été relogés ou étant en
cours de proposition de logement, afin de limiter les attentes que les personnes auraient pu
encore avoir vis-à-vis de l’association.
A partir des listings des ménages accompagnés et des ménages relogés entre juillet 2002 et
juillet 2003, nous avons essayé de construire un échantillon le plus représentatif possible de
la population issue de l’immigration ayant sollicité l’association en tenant compte des
principales caractéristiques des ménages contenues dans nos fichiers. Nous avons fait deux
174
Nous intervenons auprès des personnes uniquement dans le cadre d’activités ciblées ou en cas de conflits ou de
situations particulières.
- 55 -
choix préalables : celui de l’origine 175 (maghrébine) et celui de la nationalité 176 (française).
L’origine , parce qu’une très grande majorité des personnes qui fréquentent l’AVDL sont
d’origine maghrébine ; introduire des origines différentes aurait pu nécessiter un travail
comparatif qui ne relevait pas de notre recherche. La nationalité , parce que nous souhaitions
essayer d’identifier si il existait un impact de la discrimination sur l’identité de personnes
françaises. Nous avons ensuite retenu quatre caractéristiques permettant d’élaborer un
échantillon : les ressources, la composition familiale, le statut initial dans le logement, le
motif de la recherche de logement. Nous avons récupéré les dossiers des ménages relogés
en 2002-2003 pour lesquels nous avions l’adresse de relogement, ainsi que les ménages en
cours de relogement. En tenant compte des caractéristiques des ménages en vue d’équilibrer
notre échantillon, nous avons pris contact par téléphone en expliquant que nous faisions une
recherche sur le logement des personnes issues de l’immigration dans le cadre d’une
formation ; nous avons assuré aux personnes la confidentialité de l’entretien. Une personne
a refusé de nous rencontrer, trois personnes n’ont pas rappelé après que nous ayons laissé
un ou deux messages sur répondeur, une personne n’est pas venue aux deux rendez-vous
successivement fixés ; à chaque fois il s’agissait de femmes seules avec enfants. Ces refus
expliquent le décalage en ce qui concerne la composition familiale entre l’échantillon de
référence (majorité de ménages monoparentaux) et l’échantillon rencontré (majorité de
couples avec enfants) 177. Est-ce une question de disponibilité de ces femmes seules avec des
enfants ? Est-ce une plus grande méfiance ou résistance à l’intervention de travailleurs
sociaux ou identifiés comme tels dans leur vie ? Est-ce une difficulté à répondre aux
sollicitations qui sortent d’un quotidien déjà difficile à maîtriser ? Il nous paraît bien
difficile de formuler une explication précise.
Huit personnes ont répondu favorablement à notre demande d’entretien ; elles ont été
rencontrées entre août et décembre 2003. A ces huit récits se rajoutent deux entretiens
exploratoires effectués en 2002 que nous avons décidé de retenir pour l’analyse compte tenu
de leur intérêt, ces deux entretiens ayant été menés selon le même impératif que les autres :
ne pas aborder nous-même la question de la discrimination. Nous avons laissé le choix aux
personnes du lieu de la rencontre ; sept ont choisi leur domicile et trois les locaux de
l’AVDL. Les entretiens au domicile se sont déroulés dans le séjour : trois personnes avaient
175
Origine : « ancêtres ou milieu humain primitif auquel remonte la généalogie d’un individu » (dictionnaire Le Petit
Robert) ; nous retiendrons des personnes dont les parents originaire d’un des pays du Maghreb sont venus vivre en
France (pour la plupart des jeunes adultes français d’origine maghrébine, la migration a eu lieu à la génération de
leurs parents) ; le patronyme sera dans un premier temps le moyen de déterminer l’origine.
176
Nationalité : « état d’une personne qui est membre d’une nation déterminée » (dictionnaire Le Petit Robert) ;
parmi les personnes originaire d’un pays du Maghreb, nous retiendrons des personnes qui ont la nationalité française
(qu’elle ait été acquise dès la naissance ou ensuite), information que nous détenons dans les dossiers des usagers de
l’AVDL.
177
Voir annexe 1.
- 56 -
préparé à l’avance boissons et gâteaux, trois nous les ont offert en cours ou à la fin de la
rencontre. Un des entretiens, commencé avec la femme, s’est poursuivi avec son mari qui
est alors intervenu par intermittence. Quatre entretiens ont parfois été entrecoupés
d’interventions des enfants ; pour l’un d’entre eux la fille aînée a participé à l’échange un
cours instant. Trois personnes nous ont fait entièrement visiter leur logement. Les trois
rencontres qui se sont déroulées à l’AVDL ont eu lieu dans notre bureau ; une a été
interrompue un court instant par une collègue. Les entretiens ont duré entre 50 et 140
minutes, la moyenne étant proche d’une heure trente. Un échange a souvent prolongé le
récit enregistré, pour quelques minutes ou plus d’une heure.
Après avoir expliqué que nous faisions un travail de recherche sur la question du logement
des personnes d’origine étrangère, nous avons posé la question suivante : « Je souhaiterais
que vous me racontiez votre histoire par rapport au logement, depuis votre petite enfance
jusqu’à aujourd’hui : les lieux où vous avez habité, avec vos parents d’abord, puis lorsque
vous êtes devenu autonome ; les souvenirs que vous avez des logements habités ; les
recherches de logement que vous avez effectuées ? ».
Dans la logique du recueil de récits, nous n’avions pas élaboré de guide d’entretien à
proprement parler mais un guide qui nous permettait d’avoir en tête tous les éléments qu’il
était important d’identifier dans les parcours, afin de permettre des relances éventuelles 178.
Le degré d’intervention par des relances ou des questions de précisions ou d’explicitations a
été assez différent d’un entretien à l’autre selon que les personnes s’exprimaient
spontanément et facilement, ou avec plus de réserves ; à chaque fois nous avons essayé
d’intervenir en étant la moins directive possible.
Nous devons cependant préciser que la conduite de ces entretiens nous est apparue comme
un exercice difficile. La volonté de bien faire, c’est-à-dire de privilégier l’écoute en
essayant de respecter au plus près l’expression des personnes sans chercher à l’influencer, et
le manque de repères dans la pratique de recherche ont entraîné un certain sentiment
d’angoisse et d’insécurité ; des maladresses ont forcément émaillé ce recueil de paroles.
Cependant nous avons été surprise par la capacité des personnes à se raconter, allant parfois
jusqu’à nous confier, dans ou hors micro, des « choses que je n’avais jamais dites à
personne ». Ces rencontres ont été l’occasion d’une relation, certes très limitée dans le
temps, mais parfois riche d’une grande proximité humaine. Cette proximité peut s’expliquer
par deux raisons : d’une part toutes ces personnes (sauf une qui était plus réservée)
éprouvaient de la reconnaissance vis-à-vis de l’AVDL et avaient le sentiment que sans
l’association, elles seraient « encore en train de chercher un logement » ; nous étions alors
peut-être dans une logique de contre-don introduisant une certaine réciprocité et favorisant
178
Voir annexe 2.
- 57 -
l’échange. D’autre part, le fait d’avoir rencontré une majorité de femmes a pu provoquer
une certaine complicité facilitant l’instauration d’une relation de confiance. Le fait de
n’avoir vu que deux hommes (un tout seul et l’autre avec sa femme mais par intermittence
seulement) ne relève pas d’un choix ; il ne s’agit pas d’une donnée que nous avions prise en
compte au départ. Outre le fait que nous avons rencontré trois femmes qui vivaient seules,
les heures de renc ontres en journée n’ont sans doute pas favorisé la présence des hommes
lorsqu’il s’agissait de couples. Cependant cette situation est peut-être révélatrice de ce qui
se passe dans la recherche de logement ; en effet, nous constatons à l’AVDL que lorsque le s
femmes vivent en couple, ce sont elles, dans la très grande majorité des cas, qui
entreprennent les démarches de recherche de logement.
1.3 : Les registres d’investigation
Les dix entretiens ont été enregistrés et retranscrits dans leur totalité avec le souci
d’indiquer le plus fidèlement possible, les intonations, les rires, les silences et les
éventuelles interruptions ou interférences. Le corpus ainsi recueilli représente 156 pages
écrites. La richesse des récits nous a amené à constituer différents outils d’analyse :
ü Un outil de visualisation de chacun des parcours permettant d’étudier les différences mais
aussi les récurrences d’un parcours à l’autre afin d’en tirer un certain nombre
d’enseignements 179. Nous avons identifié cinq éléments pour sit uer chacune des
personnes et leur parcours : le type de logements occupés, le mode d’obtention, le lieu (ville
et quartier), les caractéristiques des logements, la durée des démarches de recherche et celle
de l’accompagnement AVDL, la situation socio-professionnelle, les autres évènements dont
ont parlé les personnes.
ü Une grille d’analyse thématique élaborée au fur et à mesure de l’étude des entretiens ;
cette grille nous a permis d’effectuer un découpage des récits afin de mieux analyser leur
contenu ; nous avons retenu quatre grands thèmes et quelques sous-thèmes :
4Habiter : nous retrouvons dans ce thème tout ce qui a trait non seulement à
l’occupation du logement (logements antérieurs, nouveau logement, projets) mais
aussi à l’environnement (logements HLM et représentations, image des quartiers,
ségrégation).
4Recherches de logements : ce thème regroupe tout ce qui a trait aux recherches
effectuées pour trouver un logement correspondant aux besoins du ménage : réseaux,
179
Voir annexe 3.
- 58 -
démarches, stratégies de recherche, relations avec les réservataires et les bailleurs, la
question du choix, l’AVDL.
4Difficultés d’accès au logement : les personnes identifient elles-mêmes un certain
nombre de difficultés pour accéder au logement ; nous les avons regroupées en trois
sous-thèmes : raisons multiples, les priorités, l’origine.
4Intégration : nous avons regroupé dans ce thème tout ce qui touche directement à la
question de l’intégration ou s’y rapproche (la génération des parents, le pays
d’origine) ainsi que tout ce qui se rapporte aux difficultés rencontrées en dehors du
logement (la question des origines vis-à-vis de l’école, de l’emploi et des loisirs).
ü Des tableaux : un pour repérer l’emploi de mots significatifs ou fréquemment utilisés, un
autre pour repérer les démarches de recherche de logement effectuées180.
Nous aurions aimé présenter ici les personnes rencontrées afin de permettre au lecteur
d’appréhender le contexte social dans lequel ont été produits les récits, mais pour ne pas
alourdir le corps du texte, nous avons joint les portraits en annexes avant le schéma de
visualisation de leur parcours 181.
180
Voir annexe 4.
Voir annexe 3. Par souci de confidentialité, tous les prénoms ont été modifiés, en conservant cependant la
caractéristique de leur origine. Voir aussi un récit complet : annexe 5.
181
- 59 -
2 HABITER : LOGEMENTS ET QUARTIERS
_________________________________________________________________________
Nous l’avons vu, habiter ne se limite pas à l’acte de se loger ; il serait donc abusif de réduire
l’habitat au logement. Même si il en est l’aspect le plus visible, le logement lui-même n’est
qu’une des facettes du phénomène habiter. En effet, « l’habitat intègre les rapports
multiples et complexes du logement avec l’ensemble des éléments qui composent
l’environnement dans lequel il s’insère et qui confère tout son sens à l’espace habité
proprement dit » 182. C’est sans doute pourquoi, les personnes parlent tout autant
d’environnement, et notamment des quartiers 183, que de logements.
2.1 Du logement privé au logement HLM
Chaque parcours est spécifique et pourtant les récurrences sont nombreuses, aussi bien en
ce qui concerne les trajectoires résidentielles des parents des personnes interviewées que les
leurs en tant qu’adulte autonome.
2.1.1 : L’enfance
Les parcours des parents sont des parcours classiques de populations issues de
l’immigration, les logements précaires marquant l’expérience de la plupart des courants
migratoires venus après les années 50184 : foyer/garni/chambre de bonne, cité de transit,
démolitions, logements dans le privé petits et vétustes, logements HLM. Compte tenu du
nombre d’enfants, même en HLM, les conditions de logement n’ont pas toujours été
faciles ; les logements sont « petits » (8 personnes dans un T3, 9 dans un T4, 10 dans un T5)
ou « sans confort » : Khadija habite pendant des années dans un HLM sans chauffage, ni
salle de bain. 2 familles ont accédé à la propriété mais les parents de Sarah ont vu leur villa
réquisitionnée pour un élargissement de rue et ceux de Sophie ont du revendre pour des
problèmes financiers ; elles terminent leur parcours dans un logement social. 5 familles ont
été confrontées à la démolition de leur logement. 3 personnes expriment un évènement
particulièrement difficile, voire traumatisant, lié à un logement de leur enfance :
ü Le déménagement en pleine nuit pour Sarah : « C’était un peu traumatisant parce que la
police est venu et tout ça ; ils nous ont dit qu’il fallait sortir, qu’il fallait pas rester ici parce
que la maison risquait de tomber et…il y avait des fissures…il y avait la police, je me
rappelle, ils ont mis des fils autour tout ça ; on nous a évacué la nuit dans l’immeuble à
182
BONETTI Michel, Habiter Le bricolage imaginaire de l’espace, Reconnaissances, Hommes et Perspectives EPI,
1994, page 34.
183
Quartier : « Fraction de la ville constituant une unité résidentielle grâce à une multitude d’aspects, de fonctions,
de peuplements ou d’histoires et de traditions », selon GRAWITZ Madeleine, Lexique des sciences sociales, 1999,
page 338.
184
D’après SIMON Patrick, Le logement et l’intégration des immigrés, dans SEGAUD M., BONVALET C., BRUN
J., Logement et habitat, l’état des savoirs, 1998, page 328.
- 60 -
coté…il n’y avait ni lumière, ni rien ; c’est un truc qui traumatise un gamin et ça nous est
resté, moi ça m’est resté ».
ü L’absence d’eau chaude pour Farida dans la cité de transit : « On avait la salle de bains
en haut, dans les préfabriqués, je me souviens qu’on descendait avec des grosses bassines
qu’on mettait à chauffer pour pouvoir se doucher quoi, ou ne serait-ce que pour se laver la
tête ; parce qu’on avait l’eau froide mais on n’avait pas l’eau chaude ; alors mélanger
l’eau froide l’eau chaude, c’était vraiment…archaïque comme système » ; alors que dans un
logement très peu confortable de Lyon : « Dans le 6ème, malgré les alcôves, on avait l’eau
chaude quand même ; on voulait prendre une douche, on allait prendre une douche ; il y
avait un petit cellier où le propriétaire avait mis un vasistas et il nous a fait une cabine
douche ; on avait une douche, on avait tout quoi ; c’est vachement important l’eau ».
ü L’obligation de ne pas faire de bruit pour Khadija : « Chaque fois qu’il y avait une
assistante sociale qui venait à la maison, des OPAC 185 et tout, je disais : écoutez, vous avez
raison, mais comment voulez-vous, dans un F4, on est 9 personnes, qu’il n’y ait pas de
bruit ? (très doucement) On avait peur, mes parents avaient peur, les voisins vont appeler les
flics, mais c’était vraiment l’horreur ; j’ai grandi toute mon adolescence dans c’te
discrimination parce qu’on était famille nombreuse et y fallait pas faire de bruit… ça m’a
tellement traumatisé cette enfance ! ».
Les autres personnes ne s’attardent pas sur les logements de leur enfance mais parlent très
vite de leurs logements en tant qu’adulte et des difficultés qu’elles ont eu à les obtenir. Nous
pouvons risquer plusieurs interprétations :
ü Les évènements de l’enfance sont lointains et hormis pour les souvenirs les plus
marquants, les personnes ont pris de la distance.
ü Les situations ne sont pas vécues de la même façon en tant qu’enfant que lorsqu’il faut
les assumer en tant qu’adulte. Le témoignage de Farida par rapport au surpeuplement est
éloquent : « J’avais l’impression que c’était tout le temps le bordel chez moi, j’avais
l’impression que mes enfants avaient pas d’espace, ils arrêtaient pas de se chamailler ;
déjà la chambre était pas très grande, et puis en plus elles étaient 2 dedans ; le petit, il était
en bout de lit…de notre lit… En fait on a gardé des supers souvenirs quand on était nous
les uns sur les autres, mais moi maintenant que je me positionne en tant que mère, ben je
trouve ça insupportable / Ah oui ! Quand vous étiez petite, ça ne vous a pas gêné / (rires) Ça m’a
pas gêné, ça m’a pas gêné du tout ! Quand le père le soir qui criait : allez, couchez-vous,
demain il y a l’école, pis nous qui rigolions sous les draps ! Non, ça j’en ai gardé des bons
185
OPAC : Office Public d’Aménagement et de Construction ; lorsque les personnes parlent des OPAC, il s’agit
souvent de l’ensemble des organismes HLM, même si tous n’ont pas le statut d’OPAC ; lorsqu’elles parlent d’un
OPAC en particulier, nous n’avons pas mentionné de quel OPAC il s’agissait, sachant qu’il existe 5 OPAC différents
sur l’agglomération lyonnaise.
- 61 -
souvenirs, mais c’est vrai que moi, je me positionne en tant que mère maintenant, c’est vrai
que maintenant…».
ü Le besoin de parler des difficultés plus récentes, de faire partager la souffrance de leur
parcours d’adulte à quelqu’un qui est venu pour les écouter.
2.1.2 : « Si on a le choix je crois qu’on n’irait pas habiter là-bas »
Toutes les personnes rencontrées restent marquées par des conditions de logement difficiles
depuis qu’elles ont pris leur autonomie ; par le type de logements occupés, leur parcours
n’est guère différent de celui de leurs parents :
ü Logements trop petits : « J’habite un TI avec ma fille, c’est trop petit ; ma fille, elle n’a
même pas de quoi circuler » (Malika). « C’était un faux F3 ; la cuisine était dans la salle à
manger ; 55 m², 5 dedans » (Farida). « J’ai 6 enfants sur un T3, les petits ils dorment dans
un débarras » (Sarah). « On a vécu je ne sais pas combien de temps, moi et ma femme et mon
bébé, on dort dans une pièce petite » (Karim). « Il est trop petit quoi, c’est un 25 m²… Je
peux pas penser à fonder un foyer ; c’est pas évident, c’est petit, déjà à 2 bon c’est difficile,
donc un enfant c’est pas possible » (Mehdi).
ü Logements vétustes, humides, froids, sombres, bruyants, sales : « C’était pas un
appartement décent ; il était vétuste… Arrivé l’hiver on s’aperçoit de l’humidité… J’avais
des hivers où il faisait froid, malgré le chauffage, c’était mal isolé… Bon j’appelle ça une
cabane » (Sonia). « C’était très froid l’hiver » (Samia). « Le bâtiment il avait 100 ans, il était
tout pourri… Il y avait de l’humidité, de l’humidité partout, tout plein d’humidité… L’eau,
il y avait du plomb, du plomb dans l’eau… C’était sous un feu, c’était l’horreur… Le
compteur de la chaudière il était pas aux normes, il y avait un problème de sécurité… Le
chauffage il marchait 1 fois sur 2 » (Khadija). « C’était cassé, en mauvais état voilà ; la
porte vous savez la porte d’entrée, elle avait un trou assez gros » (Mehdi). « Et moi j’ai un
bar, je vous dis pas, jusqu’à une heure du matin, et j’ai une usine, je vous dis pas le bruit…
J’ai pas la clarté, j’ai pas la lumière, je vis dans le noir ; vous vous rendez compte
quelqu’un qui vit dans le noir ! C’est…ça rend dingue ! » (Malika). « Dans l’allée c’était
toujours sale, il y avait toujours des crottes de caca des chiens, de machin de pipi, c’était
pas nettoyé ; il y avait plein de bêtes dans l’appartement… Et il y a eu des rats qui sont
sortis dans notre appartement » (Abiba).
Ces conditions de logement difficiles ne sont pas sans conséquences sur les personnes et les
relations qu’elles entretiennent avec leur entourage : « Moralement j’ai fait une dépression ;
à force de rester enfermée entre 4 murs, j’ai pas supporté… Moi ça m’a cassé le moral
d’être dans un T1 ; j’avais pas envie de travailler, j’avais envie de rien… Je sors le matin,
je rentre le soir, que pour dormir » (Malika ). « Moi je ne le supportais plus mon
appartement… J’ai commencé à déprimer… Je supportais plus chez moi ; je me tirais, je
- 62 -
voulais plus rester chez moi, j’en pouvais plus, mais plus du tout ; ça a été très difficile,
parce que c’est tout le monde qui prend, aussi bien les enfants que le mari, que la mère, que
tout le monde quoi, tout ce qui est autour quoi ; on devient exécrable, on s’en rend pas
compte hein, on s’en rend pas compte… Je voulais pas rester, je voulais pas, je pouvais pas
rester, je pouvais plus » (Farida). « J’en pleurais même, j’en pleurais, j’en pleurais tellement
que c’était pour moi… C’est pas facile d’avoir 2 gamins dans un débarras… C’était dur
quoi, j’ai passé des mauvais moments et mes gamins me voyant comme ça aussi, c’était pas
bon pour eux » (Sarah). « L’appartement, je le supportais pas » (Sophie). « J’ai eu beaucoup
de soucis dans cet appartement… Avec un enfant c’est mauvais » (Khadija).
ü Hébergement : 5 personnes sur 10 ont connu une période d’hébergement dont 3 dans la
famille (chez la mère et/ou une sœur) et 2 chez des amis. L’hébergement dans la famille est
souvent source de tensions : « Avec ma sœur c’est la guerre, celle avec qui j’étais, parce
que moi je lui passais tous ses caprices, j’étais là pour elle, style j’étais sa boniche, je lui
gardais ses enfants, elle pouvait aller se balader tout ça ; et puis moi j’avais le respect, je
la respectais même si elle est plus jeune que moi ; je me suis dit bon elle m’a rendu service
tout ça ; vous savez quand quelqu’un vous rend service, après vous êtes à ses pieds quoi »
(Sarah). « Le fait de retourner chez ma mère c’était super (ton à la fois amusé et ironique) c’était
bien ! Je me suis dit : ouh là, retour chez maman, retour à la case départ, c’est bien ! Ça va
me faire un petit stage ! Et puis après je vois que…les débuts c’est toujours bien (rires), dans
tous les domaines, c’est toujours bien ! Et puis, après, moins d’intimité, moins de…plus de
contraintes quand même ; plus d’espaces mais moins d’intimité, moins d’autorité sur ses
enfants, moins de tout… J’avais pas le droit de disputer mes enfants, j’avais pas le droit de
(silence) » (Farida). « On a eu des conflits moi et ma maman parce que c’est vrai qu’on en a
avec les enfants des fois ; dés que ça n’allait pas bien bon j’emmenais mes enfants ; les
deux quoi, une fois chez l’une (sa mère), une fois chez l’autre (sa sœur), voilà (silence) Je
faisais droite à gauche, 2 jours par ci, 2 jours par là ; c’est vrai qu’avec le fils je lui disais :
je sais que c’est dur mais on n’y peut rien, c’est comme ça» (Nora).
Dans ces conditions il est bien difficile d’habiter, d’avoir et d’être, de construire une image
de soi positive ; le mal-être transparaît, non sans conséquence sur les relations avec les
autres, confirmant l’importance du logement, point central dans lequel s’exprime notre
identité et à partir duquel se jouent les relations familiales et sociales.
2.1.3 : Le logement HLM : un aboutissement ?
Tous les parcours aboutissent au logement social qui est également l’aboutissement du
parcours des parents. Les personnes nous fournissent quelques explications possibles :
ü Compte tenu du coût des loyers dans le privé, les ménages aux petites ressources n’ont
pas le choix, notamment les familles qui ont besoin de 3 pièces et plus ; seul le logement
- 63 -
social leur est accessible. Le parc privé « c’est très cher », « hors de prix » ; il faut « plus de
garanties », souvent « 2 garants », « des fiches de paie, un CDI186 », « un revenu 3 fois le
loyer », « 3 mois de loyers d’avance ».
ü Pourtant le parc privé leur a souvent permis d’attendre un logement HLM. Mehdi a de
bons contacts avec son propriétaire, « c’est un français, il est gentil ». Sophie n’a pas eu de
problème car elle-même et son compagnon travaillaient, mais aussi parce qu’ « il est
français (d’origine), ça peut jouer » ; d’ailleurs, lorsqu’elle se retrouve seule et au chômage,
elle oriente ses recherches uniquement vers le logement social.
ü Les autres constatent que les logements qui leur sont accessibles dans le privé sont « des
appartements anciens » dans lesquels « il manquait toujours quelque chose » : « ou bien
c’était pas propre, ou bien il manquait, ou il n’y avait pas de douche » (Nora). Si Sonia
évoque la discrimination à demi mots, « je me suis posée beaucoup de questions, et une
régie c’est pareil ! », Khadija dit clairement que la régie lui a demandé plus de garanties car
« il y a beaucoup de discrimination » et Abiba n’hésite pas à affirmer : « je pense que
franchement ils étaient racistes les propriétaires que j’ai eu ; je pense ils étaient vraiment
racistes ; il était très cher le T1 que j’avais, mais ils étaient vraiment prêts à louer pour
avoir de l’argent, mais ils étaient racistes ».
ü L’image du logement social reste celle du logement des immigrés et des personnes à
faibles ressources : « Qui dit loyers modérés euh…, forcément dit migrants, logements pour
des immigrés » (Farida). « Les HLM c’est pour les personnes qui sont en difficulté, qui n’ont
pas trop de moyens, et on doit leur faciliter l’accès à un appartement » (Abiba).
ü La recherche de logement a souvent été si difficile que l’accès à un logement social
satisfaisant est parfois considéré comme l’aboutissement d’un parcours : « Si je déménage
là, c’est pour y rester 15 ou 20 ans… Quitte à habiter quelque part, je veux habiter un
endroit où je veux moi et y rester plusieurs années ; c’est pas tous les ans courir pour
changer de logement » (Malika). « Je veux m’installer pour de bon et plus bouger quoi ;
enfin plus bouger on verra par la suite comme je dis » (Nora).
Quoiqu’il en soit, le logement HLM enfin obtenu est le plus souvent une source de
satisfaction qui contraste avec les difficultés passées. 5 personnes n’ont pas encore
déménagé au moment de l’entretien dans l’attente de la livraison d’un appartement neuf 187.
Les avantages du nouveau logement sont réels « beaucoup plus spacieux », « plus
propre » (Sonia). « 81 m² c’est mieux que 55 ; il n’y a pas de place perdue, c’est plus
fonctionnel ; 11 m² de terrasse, c’est le super appart. » (Farida). « C’était le paradis… Un
186
Contrat à Durée Indéterminée.
Au total, ce sont 6 personnes sur 10 qui ont accédé à un logement neuf grâce à la présence de l’AVDL dans les
commissions de pré-attributions des logements sociaux neufs.
187
- 64 -
appartement tout fait… Chauffage individuel, tout le confort » (Khadija). « Je suis bien
installée comme vous voyez » (Nora).
Une proposition adaptée de logement redynamise les personnes, pouvant les conduire
jusqu’à un retour à l’emploi : « Je vous jure en un mois et demi, plus personne ne m’a
reconnue, ça m’a enlevé 90% de mes soucis ! Je me suis retrouvée mais…moi-même ! Moimême, je me suis retrouvée moi-même ! Ça fait du bien… Je suis déjà allée à Conforama,
j’ai fait mon prêt CAFAL, j’ai acheté la machine à laver (rires) J’ai acheté mon frigo…
Quand ils m’ont annoncé pour l’appartement, j’ai repris mes cours d’informatiques, c’est
super bien ; j’ai repris ma recherche d’emploi, j’ai trouvé un poste de secrétaire » (Malika).
« Quand on m’a dit tu vas déménager le 1er octobre et tout, hop, je cours à la CAF, je vais
demander un prêt ; c’est vrai que maintenant j’achète plein de petites conneries (rires) des
bibelots et tout et tout… Ma mère elle m’a dit : ouh là là, vivement que tu déménages, tu
m’as envahi ! (rires) Ah ouais, maintenant j’ai des projets ! Et puis je pars une semaine en
vacances ; l’année dernière je suis pas partie» (Farida). « J’y croyais pas bien… J’étais
contente… C’était le paradis » (Khadija).
Pourtant tout n’est pas toujours parfait : Sonia a trouvé un appartement « sale » ; elle a du
« négocier » pour que des travaux soient effectués et concernant l’environnement, elle
trouve que « ça craint… On est tous collé l’un et l’autre ici ». Abiba et Karim trouvent que
leur logement, bien qu’il soit neuf, « est mal agencé » et surtout que « les murs sont très
très très très fins, on entend tout ». Sophie est très satisfaite de son logement mais beaucoup
moins de l’environnement : « Les escaliers il n’y a aucun respect, on jette les papiers par
terre, on fait pipi dans les montées d’escaliers, il y a des flaques. Et puis ça squatte
beaucoup au rez-de-chaussée juste devant la porte ; alors l’été, c’est dans la cour, la
musique, tous les jeunes qui sont en bas ; qu’il vente ou qu’il neige (rires) ils sont en bas ; ce
qui est gênant c’est quand on descend et qu’on voit un attroupement ».
Le logement social reste donc, pour les personnes aux petites ressources, le meilleur moyen
de se loger ; lorsqu’il est adapté, il facilite bie n-être et insertion ; lorsqu’il ne l’est pas
complètement, il reste source d’insatisfaction pour ses occupants.
2.1.4 : D’autres projets : l’accession à la propriété
3 personnes disent que la location en HLM sera provisoire et envisagent d’accéder un jour à
la propriété afin de ne plus être dépendantes et de se sentir vraiment chez soi. Michel
Bonetti nous dit : « Etre propriétaire de son logement c’est avant tout avoir le sentiment de
se posséder soi-même, se doter d’une capacité d’extension de soi et de son corps, qui en
retour permet de protéger le noyau intime de sa personnalité, son véritable corps »188 ;
Sonia l’exprime particulièrement clairement : « Je sais que je resterai pas ici ; j’ai envie
188
BONETTI Michel, Habiter Le bricolage imaginaire de l’espace, 1994, page 70.
- 65 -
d’avoir mon propre appartement ; je serai…plus tard, pas locataire ! Je serai propriétaire,
je pourrai faire ce que je veux, je dépendrai de personne ; dépendre des autres c’est
quelque chose (rires) que j’aime pas du tout, donc je ne dépendrai de personne, et puis…et
puis voilà, j’aurai pas besoin d’un organisme ou d’une personne qui sera à mon secours
parce que je suis maghrébine et que j’ai des difficultés à trouver un appartement ; une fois
que j’aurais mon appartement, je me sentirai chez moi » . Pour Nora c’est une question
d’avenir, une suite logique du retour en France : « On n’est pas venu ici pour rien en
France, faut qu’on bouge ; enfin on cherche un avenir pour nous, pour nos enfants ; on
aimerait…on espère acheter plus tard ». Les motivations apparentes peuvent être aussi
financières : « On va pas rester toute notre vie locataire à l’OPAC, on a des projets ; moi
j’ai un projet, j’ai un plan d’épargne logement parce que bon, j’ai pas l’APL tout ça, je me
dis autant acheter ; mais ça c’est des gens d’extérieur qui me disent, c’est des français189,
ils me disent : achète Khadija, pour ta retraite t’aura pas le loyer ».
Le parcours ascensionnel logement caractérise le désir d’ascension sociale, dans lequel est
également inclut le besoin de reconnaissance sociale ; si pour certains l’accession au
logement soc ial est déjà en soi le signe d’une certaine réussite, d’autres veulent aller plus
loin et espèrent un jour pouvoir accéder à la propriété.
2.2 « Le quartier, ça donne tout de suite une image »
Les quartiers sont très présents dans le discours des personnes ; même si Vénissieux et
Vaulx -en-Velin sont le plus souvent évoqués190, les personnes se réfèrent aussi à ce qui se
passe à Villeurbanne, ville caractérisée par une diversité de secteurs importante, avec d’une
part les quartiers « très très demandés » du centre ville (Gratte-Ciel et Charpennes) et
d’autre part ceux de l’Est de la commune.
2.2.1 : « Les quartiers, il y a ça, il y a ça… »
Les images concernant les quartiers « très chauds », voir « très très chauds » dans lesquels
les personnes ne veulent pas aller vivre relèvent de stigmates connus :
ü L’insécurité : « Il y a plein de seringues partout » (Malika). « On faisait brûler, puis
encore aujourd’hui, les voitures sur les parkings, et puis brûler tous les magasins » (Sophie).
Nora évoque « les regroupements de garçons dans l’allée… Quand ils se retrouvent tous,
chacun veut se faire montrer, puis ils s’énervent entre eux. Ils veulent un peu comme ils
disent “là jouer” entre eux donc c’est comme ça qu’après il y a des petites embrouilles et
que…plus il y a des groupes, plus euh…moins c’est bien quoi ». Khadija trouve que « si
c’est tous les soirs surveiller ma voiture, si c’est pour rentrer le soir devant l’allée et pas
être en sécurité… Si c’est pour vivre dans l’insécurité, si c’est pour avoir peur tous les soirs
189
190
Khadija est, elle aussi, française !
Il est intéressant de noter que le vocable “banlieue” est très peu utilisé.
- 66 -
à Laurent Bonnevay d’être agressée, laisse tomber ! On sera pas au calme, il y aura tout le
temps des problèmes ».
ü La violence : « Ça casse, ça pète, ça brûle » (Khadija). « Si vous dites quelque chose et
bien on vous dira si t’es pas contente, et puis des insultes grosses comme ça » (Sophie).
« C’est de la violence gratuite » (Sarah).
ü La délinquance : Sarah parle « des quartiers de délinquance », Sophie évoque « les petits
voyous, les petits délinquants ».
ü Les dégradations : « C’était cassé, il y avait des problèmes » (Mehdi). « Ils ont mis les
interphones, ils avaient mis une sorte de tableau décoratif dans l’allée, ça a même pas duré
une semaine » (Khadija).
ü Le bruit : « Il y avait plus de bruit » (Sonia). « Il y avait du bruit, des nuisances » (Mehdi).
« Vous arrivez le soir vous êtes fatiguée, votre voisin il prend la perceuse, la chaîne Hifi à
fond » (Khadija).
ü Le manque de respect : « Ben dans les banlieues c’est souvent ça, il y a pas de respect,
pas de tolérance » (Khadija). « Les locataires, ils respectaient pas les gens » (Mehdi).
ü La place de la femme : Farida est hébergée dans un quartier difficile : « Ma fille qui vient
d’avoir 13 ans, on lui reproche ses tenues, trop échancrées et tout ; on lui dit qu’elle est
une pute… Il faut sortir de là, oh ! ». Pour Sophie, « la femme est regardée (silence) sans
respect je dirai… Les hommes il se renferment complètement, ils ont déjà pas envie de se
mélanger avec les femmes… je parle des plus jeunes ».
Pour ceux qui habitent dans un quartier stigmatisé, l’image du quartier n’est pas sans
conséquence sur les relations avec l’extérieur. Sonia nous dit : « Si je voulais inviter une
personne ici, ben ça craint…“Je peux pas venir”, etc…, ou “Je ne viendrais pas à une
certaine heure” ou “Il faut que tu viennes me chercher” ; ben bon c’est vrai, il y a des
personnes, je vais les chercher à la station de métro, parce que bon, elles osent pas mettre
les pieds ici ». Du coup Sonia s’interroge sur l’amalgame qui peut être fait entre l’image du
quartier et l’image que les autres ont d’elle : « C’est vrai que si je suis dans ce quartier, je
dois aborder une personne pas très loin, je sais pas si cette personne me verra
autrement (sourire) Ça donne une image si vous voulez… On vous juge tout de suite ;
maintenant on vous juge parce que vous êtes dans…dans tel quartier ; c’est plein de choses
comme ça quoi ! C’est plein de choses comme ça qui font que…ben…(silence) Ouais…mais
ouais…(sourire triste) qui font ce que…qui font ce que vous êtes, enfin ce que vous êtes pour
les autres quoi ! Alors que moi…je m’estime…(silence) Moi je me sens pas différente des
gens en général, je me sens pas différente, je me sens plus exclue que différente ! Parce que
bon je le ressens ! ».
- 67 -
Il ne s’agit pas pour nous d’évaluer ce qui se passe réellement dans ces quartiers ; notons
simplement que ces représentations s’appuient la plupart du temps sur des situations vécues
ou transmises par des proches. Elles démontrent un besoin important de se démarquer des
problèmes de ces quartiers afin de ne pas être identifié aux “fauteurs de troubles”.
2.2.2 : « Ça va pas être bon pour mes enfants »
C’est avant tout pour les enfants que les personnes ne veulent pas habiter un quartier jugé
difficile : « Ce n’est pas un environnement pour mon enfant » (Malika). « C’est surtout pour
mes enfants l’environnement hein » (Nora). « Je vais pas mettre mes gosses dans les grands
ensembles, je vais leur donner quoi comme vie ? » (Farida). « Je veux pas faire grandir mon
fils dans des quartiers comme ça » (Karim).
Les difficultés des quartiers sont souvent associées à un déficit d’éducation : « Quelque part
les enfants sont un peu livrés à eux-mêmes ; les familles sont nombreuses, il y a beaucoup
d’enfants, on les laisse jouer dehors à n’importe quel moment ; donc ils grandissent un peu
tout seuls en faisant le maximum de bêtises et puis ça fait des petits voyous, des petits
délinquants » (Sophie). « C’est une question d’éducation, l’éducation des parents, la liberté
aux garçons, les filles on les marie au bled et ça donne le résultat » (Sarah). « Quand les
parents laissent les enfants dehors à 9-10 heures, 11 heures, c’est pas bon… On voit même
parfois des gamins de 10-11 ans comment ils parlent, ils sont dehors la nuit » (Nora). « Je
critique pas toutes les familles maghrébines, pas toutes, c’est vrai, il y en a elles galèrent
pour un logement, mais je veux dire moi je vois des mamans, elles font des ménages 10
heures dans la journée ou elles vont en Tunisie pendant 2 mois et elles laissent 7 gamins
derrière dans un appartement, je veux dire il y a quelque chose qui va pas » (Khadija).
Du coup, même si « on donne une éducation différente à nos enfants », même si « à la
maison les enfants sont bien élevés », même si « on les suit bien », même si on leur choisit
« un bon collège, bien suivi », même si « j’ai le temps de m’occuper de mes enfants »,
même si « en tant que parents je suis responsable », la crainte des mauvaises influences
extérieures est très présente : « Mes enfants je vais bien les élever, je sais pas les
fréquentations qu’ils auront dehors » (Khadija). « On ne peut pas savoir ce qui se passe
dehors parce qu’on n’est pas 24 sur 24 avec nos enfants ; ils peuvent se faire entraîner, ils
peuvent, ça c’est une chance sur deux…on a peur ! » (Nora). Sophie ne restera pas dans son
logement bien que l’appartement lui-même lui convienne : « Il (son fils) est très influençable
et il sera influencé par tous les petits copains en bas ».
La crainte de voir ses enfants “mal tourner” nous parait révélatrice de la conscience qu’ont
les personnes des difficultés à élever leurs enfants dans un contexte ségrégatif et
discriminant ; cette crainte justifie leur refus d’aller vivre dans les quartiers stigmatisés.
- 68 -
2.2.3 : Plutôt être mal logé que d’aller dans certains quartiers
Pour leurs parents déjà, la question de l’environnement était importante puisque certains ont
préféré être mal logés plutôt que d’aller vivre dans des quartiers non désirés ; les parents de
Farida ont même quitté un logement grand et plutôt confortable d’un quartier stigmatisé de
Villeurbanne pour un logement promis à la démolition dans le 6ème arrondissement de
Lyon : « J’avais un frère qui partait en vrille… Il était encore petit et pis ma mère elle avait
peur, ils ont voulu quitter l’environnement ». La maman de Sonia « préférait rester dans un
petit appartement si c’était pour aller dans le quartier à côté où c’était beaucoup plus
euh…on se sentait moins en sécurité ». Ce qui est recherché, c’est avant tout « le calme » et
« la tranquillité », les lieux « où il n’y a pas trop de problèmes ». Viennent ensuite, les
possibilités de déplacements, la proximité des commerces et celle de la famille et du travail.
Les quelques avantages attribués aux quartiers “difficile s” (services sociaux, commerces…)
ne suffisent pas à attirer les demandeurs de logement. 5 personnes ont refusé des
propositions concrètes à cause du quartier, et toutes affirment que si une proposition leur
avait été faite dans certains quartiers, elles auraient refusé. Mehdi a quitté l’appartement
HLM qui lui avait été attribué dans un immeuble difficile au bout d’une semaine, persuadé
que si il restait, il ne pourrait pas en changer : « Je suis resté une semaine (sourire) Bon c’est
vrai que j’ai fait une connerie quoi, j’ai fait une erreur / Vous avez fait une erreur de partir /
Non, non, d’accepter ce logement quoi, seulement bon c’est vrai que comme ça fait 3 ans
que j’attendais, j’étais content ; vraiment j’ai bien réfléchi vous savez, je me suis dit bon je
m’en vais, je retourne à mon ancien logement, bon en attendant une proposition / Vous
n’avez pas choisi de rester dans ce logement pour demander une mutation / Ah non ben je pense pas,
parce que je sais qu’une fois qu’on prend un logement, partir c’est difficile de changer,
parce que c’était assez grand quoi, donc voilà j’aurais pas eu de nouvelle proposition ».
Aller dans un quartier stigmatisé, ce serait ainsi risquer de ne plus pouvoir en sortir : « Ils
veulent quitter Vaulx-en-Velin, ils y arrivent pas, parce que les mutations, quand vous venez
des…c’est dur hein » (Khadija) ; il est donc préférable d’attendre.
Le parcours résidentiel au sein du parc social (les mutations d’une commune à l’autre, ou
seulement d’un quartier à l’autre) est perçu comme difficile, voire impossible ; du coup la
crainte de “l’assignation à résidence” dans certains quartiers stigmatisés fait que les
personnes refusent d’y accepter une proposition de logement, préférant attendre, même dans
des mauvaises conditions de logement.
- 69 -
3 RECHERCHE DE LOGEMENTS : « DES PARCOURS DE COMBATTANT »
_________________________________________________________________________
Le recours aux réseaux personnels (frère, sœur, beau-frère, ami, connaissance
professionnelle) permet à 5 personnes, à un moment donné de leur parcours, d’accéder à un
logement privé. Pour 3 d’entre elles, c’est même par 2 fois qu’un soutien personnel leur
facilite l’accès au logement. Mais les logements ainsi obtenus sont souvent des logements
de dépannage qui n’arrêtent pas les démarches en direction du parc social pour trouver un
logement plus approprié à leurs besoins.
3.1 : Des démarches à n’en plus finir
Toutes les personnes ont le sentiment d’avoir fait « énormément de démarches », « toutes
les démarches qu’il fallait », parfois en direction du parc privé ou des mairies, toujours en
direction du SIAL, gestionnaire du contingent Préfecture pour les plus défavorisés, et en
direction des bailleurs sociaux (dossiers déposés, en moyenne, dans 5 organismes différents
par chacune des personnes) 191. Soit « des tonnes de papiers à photocopier » (Sophie). « Je
me promenais toujours avec mes fiches de paies, mon contrat de travail, tout ce qu’ils
demandaient je l’avais en photocopie » (Khadija). La constitution des dossiers ne se fait pas
toujours sans incident : Farida a du mal à faire prendre en compte son changement d’adresse
lorsqu’elle est hébergée chez sa mère ; Mehdi a des difficultés à faire prendre en compte
son mariage : « Il y avait toujours un problème de dossier de toute façon ; je leur envoyais
comme quoi j’étais marié, les papiers, ils me disaient qu’ils avaient pas les papiers, c’est
bizarre ». Nora n’a pas pu s’inscrire chez un des bailleurs contacté parce qu’elle n’avait pas
encore de revenus en arrivant d’Algérie , et pour Abiba « ils avaient toujours perdu des
papiers, ils redemandaient toujours les mêmes papiers ». Khadija a rencontré des
problèmes d’enregistrement de dossiers : « Mon dossier il était pas enregistré, mon nom il
était inconnu dans l’ordinateur » et pour elle « c’est pas par hasard ». Mais personne ne va
plus loin sur ses doutes.
Toutes les demandes font l’objet de renouvellement chaque année et l’attente est longue :
« il faut attendre », « une attente permanente », « c’est long ». Le temps d’attente entre le
début des démarches et l’obtention d’un logement HLM va de 7 à 48 mois pour une
moyenne d’attente de près de 30 mois 192. Cette attente, jugée par tous comme très difficile,
est parfois ponctuée de profonds découragements : « Il faut subir pour se rendre compte que
c’est dur ; une maladie vous savez pas si elle est douloureuse ou pas, mais quand vous
l’avez c’est pas pareil » (Sarah). « Je fermais la porte de ma chambre, je me mettais à
chialer un bon coup… J’ai souvent pleuré » (Farida). « J’étais désespérée » (Sophie). « Ça
191
192
Voir annexe 4.
Rappelons que dans le Rhône le délai d’attente anormalement long a été fixé à 24 mois.
- 70 -
rend les gens à la déprime hein » (Malika). « J’étais pas bien du tout, j’ai eu beaucoup de
dépressions… Je tremblais, j’étais pas bien » (Nora). « Je commençais à paniquer… Il y
avait toujours rien, c’était épuisant pour moi… Je vous assure, moi j’ai, je peux dire, galéré
quoi » (Khadija). Du coup la recherche prend des allures de « parcours du combattant », de
« bataille sans fin », de « galère », d’endurance : « J’en ai enduré ».
Les maris semblent peu impliqués dans la recherche de loge ment : « Mon mari il n’avait
pas la notion, il ne se rendait pas compte de la difficulté d’obtenir un appartement »
(Samia). « Je vois mon mari…il serait incapable de…le travail
que j’ai fait sans me
vanter…je vous dis franchement il serait découragé » (Khadija). « Moi dans ce sujet j’ai
toujours laissé la décision à elle parce que c’est elle qui sait très bien » (Karim). Parfois ils
temporisent : « Il disait il faut attendre, il savait que j’étais sur les nerfs, il fallait bien qu’il
y en ait un qui calme le jeu » (Farida) ou baissent les bras : « Il me disait : laisse tomber,
non mais tu verras il y a rien, il y a rien, on reste là » (Khadija). Est-ce une histoire de
tempérament (« Mon mari c’est un tempérament plus calme qui se prend pas la tête », « Les
hommes ils sont plus découragés »), toujours est-il qu’il semble qu’en une génération la
prise en charge de toutes les démarches soit passée de la responsabilité de l’homme à celle
de la femme : « C’est mon père qui bougeait » (Khadija), « C’est mon papa qui gère tout, ma
mère elle connaît rien du tout des papiers » (Nora), « Comme disait ma mère, moi j’ai été
dépendante de ton papa » (Sonia).
Les femmes semblent donc être plus impliquées dans la recherche d’un logement adapté ; le
temps de la recherche nécessite investissement et énergie, non seulement pour gérer
l’attente mais également pour s’assurer de la prise en compte de la demande par les
différents organismes ; apparemment rien n’est fait pour simplifier les démarches, certains
incidents d’enregis trement des dossiers éveillant même les soupçons des candidats sur la
volonté des bailleurs de prendre en compte leur demande.
3.2 : Des stratégies de recherche
Certaines personnes essayent de mettre en place des stratégies de recherche, ou tout du
moins de mettre en avant certains éléments, espérant ainsi obtenir satisfaction : Samia
essaye de faire jouer le fait que ses parents sont locataires HLM au centre ville depuis 15
ans sans incident ; elle insiste auprès de son mari pour qu’il continue à travailler en intérim :
« Il faut travailler, je le motivais ; même si c’est de l’intérim, c’est du travail ». Malika écrit
aux bailleurs « en disant que mes parents sont à l’OPAC, que ça fait 24 ans que l’on cotise
et c’est vrai ! ». Les parents de Fouzia mettent en avant les problèmes de santé de leurs
enfants : « On a du faire écrire une lettre par notre médecin ; ça nous a appuyé si vous
voulez pour avoir un appartement ; il fallait vraiment justifier des maladies ! D’un côté
(petit rire) on pourrait croire que les maladies allaient nous sauver… Heureusement qu’on
- 71 -
avait ma sœur qui est asthmatique…presque je vais dire, et ma sœur qui avait besoin d’un
espace pour jouer ! Donc c’est malheureux mais c’est comme ça ».
Farida, lorsqu’elle était hébergée chez sa sœur, n’hésite pas à devancer la réalité : « On a
triché en disant que j’étais enceinte, donc ils ont trouvé un appartement relativement
vite » ; puis plus tard elle bénéficie du soutien d’un employeur conciliant : « J’ai eu un
appartement sur Villeurbanne par le 1%, mais j’étais pas embauchée, mais il m’a fait
comme si que » et enfin « La plus grosse connerie qu’il fallait pas faire, je l’ai faite… J’ai
donné ma dédite, dans l’espoir de trouver un appartement ; comme les choses avaient été
quand même faites relativement vite auparavant pour moi, alors je me suis dit, ben je vais
donner ma dédite… Je me disais que si j’attendais…si j’avais gardé mon appart., on m’en
aurait jamais proposé : vous en avez déjà un ! Et là tu comprends pas ! Quand je vois les
propos qu’on m’a tenu (rires) Maintenant avec la réflexion, je me suis dit finalement
heureusement que je suis partie parce que je crois que… En étant partie, avec 3 enfants
chez ma mère avec mon mari, j’ai vachement attendu longtemps pour qu’on m’en propose
un… Mais j’aurais été chez…c’est pas la peine, je serai pas au bout de mes peines…
Malgré le salaire, je suis sûre, je suis sûre ! Quand je vois le parcours du combattant que
ça a été, je le dis souvent hein : tu te rends compte, heureusement que je me suis tirée de
chez moi ! Je vais avoir un appartement au mois d’octobre, mais je serai chez moi, jamais
on me donne, jamais on me donne ».
Khadija écrit lorsqu’elle sait qu’un appartement se libère : « J’avais écrit beaucoup à
l’OPAC où habitait mes parents ; comme ils étaient 35 ans dans le quartier et il y avait
beaucoup d’appartements me disait le gardien ; ils m’ont dit : tente ta chance, insiste, dis
que…à la rigueur, dis que ta maman a des problèmes de santé, il faut que tu habites à côté
d’elle tout ça ; mentir un peu pour ton bien ça t’aidera » mais elle n’a jamais eu de réponse.
Abiba écrit au maire en lui disant qu’elle a donné sa dédite.
Nora fait son enquête avant d’accepter la proposition : « Dès que j’ai vu, j’ai dit ça à l’air
d’être assez bien, mais sans vous le cacher j’ai quand même demandé à des personnes
(rires) C’est vrai, on est venu moi et mon mari ici dans le quartier, dès qu’on m’a donné
l’adresse ; on a demandé, lui de son côté à des hommes du quartier, puis moi de mon côté :
alors c’est bon ici, je vais peut-être m’installer ici, etc…(rires) Une petite enquête avant
quoi, j’ai demandé aussi à la gardienne qui m’a dit : oui c’est un petit peu chaud mais ça
dépend ; ça dépend comment vous élevez vos enfants, mais en fin de compte non
c’est…c’est tranquille, franchement il y a rien à craindre ».
Une autre recherche serait nécessaire pour étudier l’efficacité de ces stratégies ; elles
mettent cependant en lumière les difficultés des demandeurs de logement à avoir prise sur
leurs demandes, mais aussi leur combativité pour aboutir. Le système d’attribution des
- 72 -
logements sociaux est à ce point opaque que chacun peut imaginer qu’il peut faire avancer
son dossier par tel ou tel moyen, plus ou moins légal ou cohérant.
3.3 : « On est qu’un no m et un numéro »
Le temps d’attente n’est jamais inactif et les personnes contactent régulièrement le SIAL et
les bailleurs pour savoir où en est leur demande : « J’avais été les voir » (Samia). « J’ai
relancé la Préfecture, parce qu’il fallait bien que je relance ; j’ai relancé les OPAC ;
j’appelais une fois par semaine » (Farida). « J’allais souvent à l’OPAC, j’allais à la
Préfecture » (Sarah). « J’appelais » (Abiba). « J’ai continué, j’ai appelé » (Sophie). « Je
relançais… J’allais voir si il y avait du nouveau » (Nora). « J’insistais un petit peu d’abord
par téléphone, j’allais les embêter… Je me déplaçais au moins une fois par mois… J’avais
beaucoup insisté » (Khadija). Mais si Samia a rencontré à la Préfecture « un monsieur
charmant », si Malika a reçu un courrier d’un OPAC « bien plus sympathique », si Sophie a
réussi à avoir un contact direct avec un agent de gestion locative qui « a bien voulu me voir,
on a discuté, et là je pense que c’est de là que j’ai pu avoir le logement », les relations avec
les réservataires et les bailleurs sont plutôt jugées très négativement et caractérisées par :
ü Des non-réponses : « Ils ne m’ont jamais répondu » (Malika). « On m’a même pas donné
de réponse » (Sonia). « Je suis restée 1 an sans nouvelle de rien… J’ai eu des réponses de
personnes » (Abiba). « J’ai eu des numéros de dossiers c’est tout (rires) C’est tout ce qu’ils
donnent hein, des numéros de dossiers » (Nora). « Je n’ai jamais eu de réponse » (Khadija).
« J’ai jamais eu de proposition » (Sonia). « Ça faisait 3 ans et demi que j’étais inscrit, j’ai
jamais eu une proposition » (Mehdi).
ü Où des réponses insatisfaisantes : « Vous me dites ouais en ce moment, y’en a pas, ceci,
cela… alors que ça construit, vous rénovez… C’est toujours la même chose, ils vous disent
il n’y a pas de logements vacants actuellement » (Malika). « On nous disait : il n’y a pas
d’appartement libre…sachant…sachant qu’il y avait des appartements libres, on le savait ;
et on nous a dit que c’était déjà pris, déjà fourni quoi, il n’y avait plus de place ; donc
qu’est-ce que vous voulez dire à partir du moment où vous savez…qu’on vous dit…enfin
c’est pris, c’est occupé, etc…c’est complet, vous pouvez rien dire » (Sonia).
« Quand
j’appelais, il fallait attendre : il faut attendre 1 an ; et puis quand j’ai eu 1 an d’ancienneté,
si vous voulez c’était : il faut attendre 2 ou 3 ans, c’était toujours le même discours ! »
(Sonia). « Votre dossier maintenant il est trop jeune, c’est minimum 1 an » (Farida). « Si
j’appelais par moi-même, toute seule, on me disait : mais Madame il faut que vous
attendiez » (Abiba). « Il va falloir attendre 2-3 ans avant de vous loger » (Sophie). « Fallait
que j’attende 1 an au moins » (Nora). « La dame à l’accueil, elle me dit : faut attendre, il y a
beaucoup de monde, Villeurbanne c’est beaucoup demandé… Il y a beaucoup d’attente… Si
on a quelque chose pour vous on vous appelle… On m’a jamais appelé » (Khadija).
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ü L’absence de raisons explicatives de l’attente et de la non-attribution : « Je leur disais :
donnez-moi une bonne raison, donnez-moi une bonne raison… Je vous jure, on ne m’a
jamais donné de raison… Encore on m’aurait donné une raison, ça irait ! Ils ont pas de
quoi donner une raison » (Malika).
ü L’absence de contact direct : « Je n’ai pas eu à faire directement aux personnes » (Samia).
« Ils veulent pas qu’on passe à l’agence… Elle m’a dit : vous téléphonez ! Quand on
téléphone, on nous jette comme du poisson pourri… Moi ce que j’ai pas aimé, c’est qu’il y
avait 1000 personnes qui répondent au téléphone et on sait pas qui s’occupe du dossier »
(Farida). « J’ai pas eu de contact ; c’était porte close (et chez un autre bailleur) J’ai du insister
parce qu’on vous la passe pas comme ça » (Sophie). « Il y avait personne, personne me
recevait dans les OPAC… Vous avez pas à qui vous adresser… J’ai dit : est-ce qu’il y a une
responsable au niveau logement ? Non, c’est à l’accueil, la dame chez qui vous déposez le
dossier, elle transmet en haut » (Khadija).
ü Le sentiment de ne pas être écouté : « Vous avez l’impression qu’on vous écoute pas,
qu’on vous entend pas, que ils savent pas ce que vous subissez » (Sarah). « On parle mais ça
sert à rien… On peut pas s’exprimer, tout ce qu’on dit ça ne sert à rien de le dire, pour ce
qui en reste après ! Ça sert à rien, ça fait pas réagir ; ça leur fait rien eux » (Abiba). « On
leur a dit aux HLM, mais ils ont rien pris en considération… On s’exprime souvent mais ça
sert à rien » (Karim). « Même si je parlais avec eux, je leur disais…n’importe quoi, ben ils
acceptaient pas hein ; vous êtes comme toute sorte…toute personne voilà » (Nora).
« Finalement on n’est pas entendu, quoiqu’il en soit on n’est pas entendu » (Farida).
ü Le sentiment que l’on cherche à vous décourager ou, au contraire que l’on vous donne de
faux espoirs : « Je pense qu’on décourage un peu les gens en leur disant 3 ans d’attente »
(Samia). « J’ai eu un entretien avec une dame de l’OPAC qui m’avait donné un espoir, qui
m’avait dit : oui vous allez avoir un appartement, etc…, j’étudie votre dossier ; j’ai attendu
son appel, je l’ai pas eu, j’ai jamais rien vu » (Sonia). « Elle m’a dit je vous rappellerai…
J’essayerai de vous aider… Elle m’a jamais rappelé… Elle a pas cherché à m’aider… A
l’accueil, c’est toujours du négatif » (Khadija).
ü Le sentiment d’un pouvoir exagéré : « C’est eux les patrons, la personne qui va vous
parler, même si c’est la secrétaire, c’est elle la patronne. A l’OPAC, c’était un garçon, un
jeune, il m’a regardé en me disant : je les ai tous attribué » (Malika). « Les gens font comme
ils veulent une fois qu’ils sont derrière un bureau » (Farida).
ü Le sentiment qu’il y a du piston : « J’ai rencontré des amis à moi qui ont été pistonnés…
C’est tout par piston » (Malika). « Si le feeling il passe bien, on est prêt à vous offrir pas mal
de choses, et puis il suffit que le feeling passe pas…» (Farida). « Je me suis dit : il y a du
piston, c’est sûr, sans être mauvaise langue hein, sans être jalouse ni envieux, mais des fois
il y a des trucs qui vous tuent quoi » (Khadija). Sonia raconte qu’elle conna ît une française de
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son école qui a bénéficié de plusieurs mutations au sein du même organisme ; le dernier
logement obtenu est un T3 pour 2 personnes alors qu’ « elle me dit que dans son immeuble,
il y a des personnes d’origine maghrébine, ils ont un F2 alors qu’ils ont un enfant ».
ü Le sentiment d’une absence de transparence : « On connaît pas, on sait pas comment ça
fonctionne » (Farida). « Je me demande, vous voyez, si c’était gardé dans les dossiers quoi, si
c’était mis à la poubelle, ça je ne sais pas non plus… Avant ils vous disaient les choses
franchement, même dans les OPAC ils vous disaient : voilà il y a pas de logement pour
vous, maintenant c’est plus dans l’hypocrisie, on ne vous dit plus les choses franchement…
C’est trop d’hypocrisie » (Khadija).
Le sentiment qui prédomine alors, c’est que « vous êtes qu’un nom et un numéro ». Lorsque
les personnes manifestent leur mécontentement, elles n’ont plus aucune chance d’obtenir un
logement de la part de ce bailleur. Malika a dénoncé le piston : « On m’a mis une croix
rouge, une croix rouge sur mon dossier tout simplement… Ils m’ont carrément rayé, ils
m’ont sorti de leurs ordinateurs… Je vais gueuler ? Ça sert strictement à rien ! Je l’ai fait
une fois et ça a aboutit à rien ». Farida insiste : « Ils m’ont envoyé carrément chier ».
Khadija relance régulièrement : « Ça avait mal accroché, je m’étais presque jetée avec elle,
je lui ai dit, écoutez Madame je viens vous voir régulièrement… “Oui mais vous êtes pas la
seule”; je dis : je le comprends tout à fait mais vous avez vraiment rien à me proposer ?
Elle me regarde, elle me dit : il y a rien à proposer… Vous avez l’impression d’embêter
plus qu’autre chose, puis on vous ridiculise un peu parce qu’on vous dit : bon tu finiras
bien par trouver un logement ». Du coup « vous faites comme tout le monde, vous faites la
queue » (Sonia), car « ça sert à rien les visites, il vaut mieux aller à l’AVDL » (Sarah).
Lorsqu’une proposition qui convient arrive enfin, certains doivent subir une enquête sociale,
non sans question, ni sans inquiétude. Farida témoigne : « Elle me dit une enquête sur le
comportement. Sur le comportement ? J’dis : il y en a qui sont expulsés, ils les relogent tout
de suite ! Je comprends pas ; sur le comportement ? Quel comportement ? Vous savez ça
commence à me courir sur les haricots là, parce que j’étais près du but et poum… J’ai dit
je vais pas l’avoir, je l’avais tellement espéré… Ils sont venus me rencontrer, ils m’ont posé
des questions qui n’avaient rien à voir avec le logement ; sur le moment j’ai répondu, je me
suis dit, si ça peut donner, si ils me donnent ce que je veux (rires) c’est fini on n’en parle
plus ». Sarah a également vu l’enquêteur : « Il est venu faire son enquête, il est venu voir
mon appartement, il a posé quelques questions : combien je gagnais, les fréquentations de
mes filles… Il est venu voir la personnalité je pense, la personne, comment elle est…
J’avais un peu le trac, j’avais peur quand même qu’on me le donne pas ».
Les relations des demandeurs de logement avec les réservataires et les bailleurs sociaux sont
globalement très mal vécues par les demandeurs ; nous sommes frappée par le manque de
communication mais aussi de considération (en tout cas vécu comme tel) des organismes
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vis-à-vis des personnes qui les sollicitent. Ce manque de considération, voire de respect,
serait bien sûr à étudier également du point de vue des bailleurs, mais il met en lumière le
fossé considérable qui sépare les différents protagonistes, fossé accru par le manque de
transparence dans le fonctionnement des organismes et dans le système d’attributions.
3.4 : « Vous je vous vois plus là-bas » ou l’absence de choix
Toutes les personnes rencontrées ont l’impression que le SIAL ou les bailleurs les verraient
plutôt dans certains quartiers dont en fait elles ne veulent pas : « On vous proposait tout de
suite plus ou moins au Tonkin, aux Buers, les quartiers plus ou moins (rires) difficiles »
(Samia). « On vous mettra toujours aux mêmes endroits (rires) si vous voyez ce que je veux
dire… C’est ce que je constate, on nous met toujours dans les mêmes endroits, alors je dis
nous, la population maghrébine, enfin étrangère en générale… Même si on vous donne un
appartement, en tout cas, ça sera pas au centre des Gratte-Ciel… La personne de l’OPAC
elle me dit : Vous je vous vois plus là-bas !… Vous je ne vous verrai pas dans les Buers,
parce que apparemment les Buers, ça bouge beaucoup, bon…vu que vous êtes une fille,
vous allez habiter seule, je vous vois plus au Tonkin. J’ai rien dit, parce que bon, je me
disais si elle me donne un appartement, pourquoi pas193 (rires) » (Sonia). « La dame de la
Préfecture elle me dit, il y a des appartements qui sont vides à Vaulx-en-Velin ou
Vénissieux ; quand elle m’a dit ça, j’ai bien compris que… Elle me dit : et le 5ème, vous
voulez pas ? Ben oui, le 5ème c’est pas mal ; “Point du jour” ? Ah ben pas Point du Jour
quand même (silence) Même si j’habite Villeurbanne, je connais ; je connais la réputation de
certains quartiers quand même… Je sais pas, il faut à tout prix qu’on nous donne dans les
grands ensembles ; moi j’en sors des grands ensembles, j’en veux plus, stop ! » (Farida).
Farida se voit même proposer un appartement dans le quartier que ses parents avaie nt fui à
cause des problèmes d’environnement : « Vous voyez le truc ? La régression (rires) Je suis
allée le visiter quand même, mais bon, non, avec mes enfants, non ! ». « Voilà on va nous
proposer dans certains secteurs, peut-être c’est plus facile d’habiter aux Minguettes, à
Vaulx-en-Velin, en zones sensibles quoi, pour une personne comme moi, je veux dire par
rapport à l’administration ça sera plutôt plus facile (silence) Ça veut pas dire bon, c’est en
général quoi, c’est des cas comme ça, les personnes d’origine africaine, bon je sais pas »
(Mehdi). « Un immigré qui demande dans le centre ville ou quoique ce soit, ça va être
difficile ; on va le faire attendre ou jamais lui donner un appartement ; autrement on va
l’envoyer à Vénissieux, à Vaulx-en-Velin ou dans les quartiers comme ça » (Abiba). « C’est
vrai qu’au début on m’a dit que on peut vous donner un appartement tout se suite si vous
193
Il peut arriver que le ménage puisse être refusé pour son propre intérêt (discrimination valorisante ?), intérêt
cependant définit pour lui par d’autres : « L’absence de définition du caractère adapté du logement et l’absence de
débat contradictoire entre les parties intéressées donnent au seul gestionnaire la latitude d’estimer cette adaptation »
dans Fonda Rhône-Alpes, Enquête La discrimination dans l’accès au logement social, Lyon, Juin 2003, page 11.
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voulez, aux Minguettes ou Vaulx-en-Velin, mais moi je veux pas… Je sais que si j’aurais
noté Minguettes en 1er choix, j’aurais tout de suite eu mon appartement ; mais bon c’est pas
ce que je veux » (Nora). « Bon je vous cache pas que dans les OPAC, on m’avait proposé
beaucoup les banlieues ; tout de suite on m’a dit : oui voilà sur Vaulx-en-Velin ; moi j’ai dit
moi ça m’intéresse pas…habiter les banlieues pour X raisons… Tentez votre chance à
Vaulx-en-Velin, à Vénissieux, vous verrez il y a des logements pour vous… Ça m’avait déçu
quand on vous dit : ouais, allez habiter Vaulx-en-Velin, et ça plusieurs fois hein… C’est
tout juste si elle me disait : vous retrouverez là-bas votre communauté » (Khadija).
Du coup, un très fort sentiment de non-choix apparaît, soit au moment de la proposition de
logement social, soit lorsque les personnes souhaitent en changer. L’impossibilité de choisir
a marqué le parcours de certains parents : ceux de Farida sont relogés en cité dans des
baraquements, leur logement du 6ème devant être démoli : « Mes parents disaient qu’ils
étaient obligés d’accepter… Ma mère elle pensait qu’elle avait pas le choix… On lui disait
qu’elle n’avait pas le droit de refuser… La 1ère chose qu’ils leur ont proposé, ils ont pris
quoi ». Sonia pense que « les gens qu’ont pas fait d’études, ben ils ont pas eu le choix, puis
on les pose là…et puis ils ne vont pas chercher à comprendre pourquoi on les a posés là ;
ils aiment pas du tout le quartier, ils aiment pas du tout l’endroit, et bien tant pis pour eux ;
et pis pour eux c’est comme ça, ils ont pas le choix ». Ses parents voulaient changer de
quartier mais « on pouvait constater qu’on pouvait pas y accéder ; dans le quartier il n’y
avait aucune personne d’origine maghrébine et…même à l’extérieur, on voit que c’était
beaucoup plus joli ». Elle-même a eu l’impression qu’elle n’avait « pas trop le choix de dire
oui ou non… C’est dommage, mais bon, à la base c’est comme ça (petit rire) On n’a pas trop
le choix… Je me dis en fin de compte, ils m’ont casé ici mais…mais j’ai pas eu le choix ».
Nora estime aussi qu’ « on peut pas choisir… C’est dommage qu’on peut pas choisir parce
qu’on…surtout qu’on peut payer, surtout si on a les moyens qu’on peut payer, normalement
on a le droit de choisir ». Lorsque le logement de ses parents est démoli, Mehdi dit : « ils
nous ont mis…» comme si la famille n’avait rien eu à dire.
Ce sentiment est renforcé par le fait que « si on refuse, on vous propose plus rien à la
Préfecture, on vous propose plus rien » (Samia). Abiba a refusé une proposition à cause du
secteur mais aussi à cause de son handicap, mais « pour eux c’était pas un argument
suffisant… On nous a dit que si on refusait encore et bien on n’aurait pas d’appartement ».
Farida relate une conversation avec le SIAL : « Vous demandez un F5, c’est trop grand. Je
lui dis : ben écoutez on peut changer le dossier, c’est pas grave, je vais demander un F4 !
Elle me dit : et puis vous avez vu les secteurs que vous avez demandés ? Je lui dis : c’est
pas grave, on refait les secteurs ! (silence) Je lui dis, si on peut s’arranger comme ça, il n’y
a pas de problème, c’est pas la peine de m’agresser quoi ! Puis elle me dit : quel secteur
vous voulez ? Je lui dis : ben le secteur que vous avez à me proposer, puisque de toute
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manière j’ai pas le droit de choisir mon secteur apparemment ! Elle me dit : Oui, mais bon
Villeurbanne c’est très difficile. Je lui dis : Villeurbanne, c’est très difficile, le 3ème c’est
très difficile, la Croix-Rousse c’est très difficile, c’est quoi qu’est pas difficile ? Elle me dit :
mais moi je vous donne un F6 si vous voulez, tout de suite aux Minguettes ! Je lui dis : ah
c’est gentil merci, sans façon ! Voilà ! Mais elle m’a…elle m’a agressée aussi ; t’essayes
d’avoir le secteur que tu veux, on n’en tient pas compte ; on te donne ce qu’on a… ça te
plaît, ça te plait ! La régression quoi ! On est en 2003…une régression pas possible, c'està-dire que ce qu’a vécu ma mère, ben moi on me le fait vivre quoi / Par rapport au non-choix /
Voilà c’est ça ! On parle toujours de l’avancement ; de l’avancement il n’y en a pas, c’est
pas vrai ! Quand on va dans dans…dans le vif du sujet, non c’est pas vrai ! ».
Sophie pense que si elle de mande sa mutation « je serai logée encore comme ici… Elle m’a
dit la dame de l’OPAC, écoutez pour l’instant vous n’avez pas le choix, en attendant vous
êtes là et ensuite vous demanderez votre mutation ; mais si c’est pour aller dans un endroit
où il y a encore les mêmes problèmes, je reste là ou je vais dans le privé ».
Abiba et Karim ont vécu un événement qui les a beaucoup choqués : très contents du
logement qui leur est attribué, ils avaient commencé à emménager lorsque l’OPAC leur a
dit qu’il y avait eu une erreur : ce logement n’était pas celui réservé pour le SIAL, il fallait
changer. Or l’autre logement est beaucoup moins bien agencé et leur plaît moins : « On
n’était pas content mais… (silence) On nous a dit : la Préfecture elle vous a donné celui-là,
il y a pas eu de discussion ; ils nous ont dit : c’est ça qu’il vous faut pour nous » (Karim).
Nora estime pourtant « qu’elle a le droit de refuser quand même, c’est mon droit de refuser,
je vais pas prendre un appartement parce que ça leur plaît, pas du tout hein ».
Cette question du choix (ou du non-choix) est une question très sensible, entre les
demandeurs de logement qui revendiquent à juste titre le droit de choisir le lieu où ils
souhaitent habiter (plus souvent d’ailleurs, il s’agit du lieu où ils ne veulent pas habiter) et
les réservataires et bailleurs qui reconnaissent mal ce droit, ou partiellement, surtout dans le
contexte actuel de crise du logement. Les écarts de représentation des lieux, la subjectivité
des critères des uns et des autres, soulignent une fois encore les difficultés de
communication et de compréhension de part et d’autres.
3.5 : « Quand on est appuyé, c’est beau quand même »
Que l’AVDL ait été connue par une amie, une sœur, la Mairie, les services sociaux, ou
encore « en passant devant », les personnes qui se sentaient « seules » dans leur recherche
ont enfin trouvé un appui dont les personnes apprécient la régularité : « elle m’appelait
régulièrement » ; « j’allais la voir régulièrement » ; « elle me donnait des rendez-vous » ;
« je venais souvent, souvent » ; « j’allais à tous les rendez-vous, régulièrement » ; « on était
en contact permanent ». La moyenne d’accompagnement à l’AVDL est de 14,6 mois. Les
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intervenants sociaux « bougent, écoutent, expliquent les démarches, conseillent, rassurent,
réconfortent, aident, téléphonent, envoient des fax, suivent les dossiers, appuient, poussent
les candidatures, présentent des dossiers en commissions ».
6 ménages ont obtenu un logement HLM neuf grâce à une intervention directe de l’AVDL
qui les a proposés en commission de pré-attribution sur les réservations du contingent
Préfecture (contingent du Grand Lyon pour l’un d’entre eux). Parmi les 4 autres ménages,
un a obtenu un logement sur le contingent Préfecture et 3 en direct auprès du bailleur, tous
grâce aux interventions préalables de l’AVDL. Il est intéressant de noter que Sophie a su se
saisir des contacts pris par l’intervenante sociale pour rentrer en relation directement avec
un bailleur et obtenir seule son relogement alors que la salariée de l’AVDL était
indisponible pour plusieurs semaines ; pourtant, Sophie met en avant son sentiment
d’abandon plutôt que celui de sa prise d’autonomie. Toutes les autres personnes sont
persuadées que sans l’AVDL elles n’auraient pas eu la proposition de logement et seraient
encore en train d’attendre. Elles expriment de la reconnaissance vis-à-vis de l’association
qui, au-delà de son appui technique dans les démarches, apporte un soutien, voire un
réconfort moral : « Très honnêtement, je me suis dit après, heureusement qu’il y a eu
l’AVDL ; déjà ça apporte un soutien moral, c’est important quand on est à la recherche
d’un logement d’être motivée psychologiquement ; et puis bon ça a porté ses fruits hein, je
crois que c’est normal, bravo ! Enfin je ne me l’attribue pas à moi mais plus à Mme A. ;
comme je dis toujours c’est grâce à Mme A. que j’ai eu le logement parce que ça aurait été
je crois un peu la croix et la bannière » (Samia). « Ça fait du bien ! Heureusement grâce aux
associations, il y en a qui arrivent à s’en sortir quelque part… C’est plus qu’un soutien
technique, c’est un soutien technique et moral, il y a les 2 ; et quand on a les 2, ça fait du
bien ; on se dit : oh, c’est bon, il y a quelqu’un qui pense à nous ; on voit qu’on prend soin
de vous » (Malika). « Je n’aurais pas eu l’aide d’une personne, je n’aurais rien eu, je crois
que je serais encore en train d’attendre… Ça me rassurait de savoir qu’une personne
m’aidait à côté…euh…oui, voilà, ça me rassurait » (Sonia). « J’en parle à ma mère, je lui
dis je rentre dans une association et tout, je vais voir ce que ça va donner mais je me suis
rendue compte que c’était pas évident ! Mais je crois que sans l’association, j’y serais pas
arrivée hein » (Farida). « Je crois que je serais encore en train d’attendre (rires) » (Sarah).
« C’est l’AVDL qui m’a positionné… Honnêtement je crois pas que j’aurais eu la
proposition de Villeurbanne, non je pense pas » (Mehdi). « Sans l’AVDL, je ne sais pas où
j’en serais (rires) On serait encore en train d’attendre » (Abiba). « C’est grâce à l’AVDL, à
100%, j’ai eu une bonne aide, c’est vrai que j’ai été bien suivie » (Nora). « Je m’en
souviendrai tout le temps… J’étais pas abandonnée… On n’oublie pas les gens qui vous ont
appuyé parce que c’aurait été pas grâce à Mme B., je serai encore en train de demander…
Heureusement que vous existez » (Khadija).
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Mais l’unanimité (ou presque) dans la reconnaissance ne doit pas nous empêcher d’entendre
le regret d’une certaine dépendance. Nous sentons de l’amertume dans ces propos d’Abiba :
« On avait quand même des réponses quoi, par les HLM… Ils lui répondaient, si elle posait
des questions, ils lui répondaient » (sous-entendu ils ne me répondaient pas à moi). Farida
évoque la fois où le bailleur lui a reproché de té léphoner : « C’est pas la peine de
téléphoner, il y a déjà votre association qui a téléphoné pour vous ; je dis : oui d’accord,
mais bon, l’association a téléphoné pour moi, ça m’empêche pas de téléphoner aussi, je
suis autonome ». Khadija nous explique qu’elle n’attendait pas tout de l’intervenante
sociale : « Bon moi à côté, je bougeais, je relançais mes demandes toute seule, je rappelais
Madame B… C’est pas elle, je lui dis voilà, je cherche un logement et j’attendais son coup
de fil ». Enfin, rappelons que Sonia souhaite devenir propriétaire afin de ne pas dépendre
d’un organisme pour accéder au logement parce qu’elle est d’origine maghrébine. La
question de fond évoquée à demi mots n’est-elle pas celle -ci : pourquoi toutes ces personnes
sont-elles dans l’obligation de passer par une association pour obtenir un logement HLM ?
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4 DIFFICULTES D’ACCES : « DES DISCOURS DE DINGUE
_________________________________________________________________________
Deux choses paraissent prépondérantes lorsque les personnes s’interrogent sur les raisons
des difficultés à accéder au logement social : d’une part de nombreux aveux
d’incompréhension : « on ne sait pas trop quoi penser, peut-être, je ne sais pas, aucune
idée, d’après ce qu’on m’a dit, il y a des choses que je ne comprenais pas, je ne cherchais
pas », et d’autre part la place accordée à l’origine en comparaison avec les autres raisons
évoquées. Les difficultés rencontrées, notamment celles liées à l’origine, incitent les
personnes à s’interroger sur leur intégration et leur identité.
4.1 Causes multiples et questions de priorités
4.1.1 : Le contexte socio-économique
Différentes raisons liées au contexte socio-économique sont évoquées pour expliquer les
difficultés d’accès au logement mais rarement sous forme de certitudes :
ü L’absence de travail : « Si les gens travaillent pas, l’OPAC est plus sceptique, on a plus
de mal à obtenir un logement » (Samia). « On m’a dit si je travaillais pas, c’est peut-être une
explication… Le chômage qui remonte » (Mehdi). « Si on a un travail, c’est plus facile »
(Abiba). « La difficulté, c’était le chômage » (Sophie). « Le salaire peut-être ça joue aussi ça,
je sais pas trop » (Nora). Et pourtant Farida et Khadija qui travaillent en CDI ont eu
beaucoup de difficultés aussi : « Je me suis dit : putain tu bosses, t’es pas prioritaire » ;
« C’est ça que j’arrive pas à comprendre ; moi quand même vous savez que mon loyer…je
suis fonctionnaire, tous les mois il va être sûr d’être payé ».
ü Les revenus précaires : « C’est peut-être parce que je perçois les API » (Malika). « J’ai
toujours eu des CDD194, il vaut mieux avoir un CDI » (Mehdi). « Mon allocation adulte
handicapé ne suffisait pas, il fallait avoir un salaire… Mon mari il n’avait pas de travail
régulier, il travaille en intérim, ça pose aussi des problèmes » (Abiba). « Mes revenus
étaient trop faibles parce que j’étais ASSEDIC » (Sophie). « Quand ils voient RMIstes, ouh,
comment vous allez payer votre loyer, ils pensent tout de suite à ça » (Nora). Et pourtant « il
y a des gens qui perçoivent les API et qui ont des logements ; il y a des gens qui perçoivent
le RMI et qui ont des logements » (Malika).
ü Les familles monoparentales : « Moi ce que je me suis dit, c’est qu’ils ont peur des
femmes seules avec un enfant ! Peut-être qu’ils se disent : ouais, une femme seule avec un
enfant, ça attire des ennuis ; j’en arrivais à me poser cette question » (Malika). « Il y a eu
aussi ce problème d’être seule avec des enfants… Non non, on va pas la mettre là-bas, il y a
assez d’enfants ; on met plus de femmes seules avec des enfants » (Sophie).
194
Contrat à Durée Déterminée.
- 81 -
ü L’inadéquation offre-demande : « Il y a beaucoup de gens qui cherchent un logement »
(Samia). « Voilà ce qu’ils vous disent : y’a pas de logement actuellement, y’a pas de
logement, y’a pas de logement » (Malika). « Les gens partent pas… En plus le logement
maintenant, il n’y en a plus beaucoup, il y a trop de monde dedans, enfin il y a trop…trop
de gens qui sont sur Villeurbanne… C’est un quartier très prisé en fait » (Farida). « Il y a
beaucoup de demandes d’après ce qu’on m’a dit, il y a beaucoup de demandes » (Sarah). « Il
y a pas beaucoup de logements, un manque de moyens » (Mehdi). Et pourtant « Ça construit,
ça construit, ça construit » (Malika), « ça construit de partout » (Farida). « Quand vous voyez
tous les appartements, des fois vous marchez dans la rue, puis il y a beaucoup
d’appartements » (Khadija).
ü Les choix politiques : « Les attributions, il faut habiter la commune ; ça ils le disent tous,
toutes les mairies elles le disent (rires) ; ils chantent tous la même chanson » (Farida).
Les personnes ont conscience de la multiplicité des raisons liées au contexte socioéconomique qui peuvent expliquer leurs difficultés d’accès au logement ; cependant, rien
n’est sûr, rien n’est très clair et beaucoup d’interrogations demeurent ; les incohérences ou
les ambivalences restent nombreuses, renforçant une fois encore le sentiment d’opacité du
système d’attribution.
4.1.2 : « Dans les priorités… il y a des priorités »
Le manque de logements provoque la mise en place d’un système de demandes
prioritaires195 : « Et cette liste prioritaire c’est quoi au juste / Pour moi liste prioritaire et bien il y
a pas mal de gens qui sont dans le besoin et comme il y a des constructions et bien il vont
faire un choix et ceux qui sur la liste prioritaire là ils vont faire un tri qui est la personne
qui est le plus dans le besoin » (Sarah). Mais lorsqu’il s’agit de savoir quelle est la personne
le plus dans le besoin, les choses semblent confuses : « Ils disent tous, enfin tout le monde,
la plupart des personnes disent : faut attendre au moins 1 an parce qu’il y en a beaucoup
qui sont prioritaires avant vous, qui sont au chômage, qui ont besoin d’appartements, parce
que les Rmistes ils disent qu’ils sont prioritaires, pas seulement les Rmistes mais…plusieurs
personnes qui sont serrées à la maison, qui veulent changer » (Nora). Nous pouvons tout de
même distinguer quelques constantes :
ü L’absence de logement : « Des femmes avec des enfants qui sont à la rue » (Samia). « Il y
en a à Perrache, il y en a qui dorment là-bas » (Farida). « Il y a des familles qui ont 4
enfants qui sont à l’hôtel » (Khadija).
ü Le surpeuplement : « Il y a beaucoup de gens qui sont…enfin m’a-t-on dit qu’il y avait
des familles avec 9 enfants dans des situations assez incroyables, dans des logements tout
195
Sur Villeurbanne, il existe une commission des demandes prioritaires ; une liste d’une quarantaine de ménages est
mise à jour tous les 2 mois entre réservataires, bailleurs, travailleurs sociaux afin de déterminer les ménages
prioritaires en fonction d’un certain nombre de critères.
- 82 -
petits » (Sarah). « Avoir un logement petit, les enfants, ça peut jouer peut-être » (Mehdi). « Il
y a des gens, ils sont 7 et tout » (Khadija).
ü L’hébergement : Nora est finalement considérée comme prioritaire car elle a « 3 enfants
qui se baladaient de chez ma mère à ma sœur ». Sophie parle de sa sœur qui est hébergée.
ü Certains statuts seraient plus prioritaires que d’autres mais rien n’est moins sûr et cela
provoque de la rancœur, surtout de la part des personnes qui travaillent : « C’est les gens, ils
ont besoin d’être habités, ils sont en foyer Sonacotra et tout, des dames divorcées dans des
foyers ; alors que vous, vous êtes embauchée, et des fois j’entendais le contraire ; on me
disait oui, vous êtes fonctionnaire, on prend en priorité des ouvriers ou des familles
nombreuses, mais j’ai entendu des discours de dingue quoi » (Khadija). Lorsque Farida
dépose son dossier à l’OPAC, le bailleur lui dit qu’elle est prioritaire « parce qu’on a
toujours payé notre loyer, parce qu’on a un bon dossier en fait, on a toujours payé le loyer,
on nous a rendu notre caution, on n’a jamais eu de problème. Ah, c’était super, ça fait
rêver hein ; mais je suis vite tombée (rires) de mes nuages là, à vitesse grand V en plus ». Le
bailleur lui dit ensuite que « j’étais pas Kossovarde, donc j’étais pas prioritaire, et puis que
j’étais pas dans le social, que j’étais pas quelqu’un qui était dans le social, que je faisais
pas partie du social, que j’avais un bon dossier, que j’étais prioritaire, que j’avais 3
enfants, tout ça, que j’étais prioritaire ; et puis d’un seul coup, la situation s’est retournée
contre moi, j’étais pas prioritaire… Alors bon, ils savent pas me le dire, je vais latter mon
mari, je vais me mettre au RMI et puis après je demanderai un château ! Dans le 6ème
pourquoi pas ? A ce moment là, je l’aurais ! Je dis : vous vous rendez compte des propos
que vous tenez ? Ce que vous encouragez ? Moi je les comprends, les gens qui se mettent au
RMI puisque tout leur est dû ! Je suis désolée, c’est quand même nous qui les payons ; je
paye des impôts. C’est le discours qu’ils tiennent ! Et je suis sûre que…un RMIste est en
face d’elle, elle va lui dire qu’il n’est pas prioritaire, c’est ceux qui sont salariés, voilà !
C’est ambigu quand même ! Je suis sûre parce que moi, c’est la copine à ma sœur qui est
au RMI, elle me dit : c’est bizarre, toi ils t’ont dit ça, et moi ils m’ont dit le contraire ».
Quoiqu’il en soit, il faut toujours un temps d’attente avant de pouvoir figurer sur la liste des
prioritaires : Sarah qui vit dans un T3 avec ses six enfants est en liste prioritaire mais elle
attend tout de même trois ans pour avoir une proposition. Nora qui est hébergée, rentre sur
la liste mais « pas au début, pas au début-début, mais après ».
Les réservataires et les bailleurs utilisent l’argument prioritaires pour faire patienter, contrer
les plaintes en faisant jouer la culpabilité : « La Préfecture s’occupait avant tout des gens
prioritaires ; donc dans les priorités, il y a des priorités ! C’est comme ça qu’il m’a
expliqué les choses ; il m’a dit : vous savez, vous au moins vous avez un logement et on a
des femmes avec des enfant qui sont à la rue ; bon ben c’est vrai que quand on vous sort ça,
très honnêtement on sait pas trop quoi répondre ; après tout on relativise, on se dit que
- 83 -
finalement c’est vrai qu’on a un toit quoi et bon ben j’ai dit : d’accord : j’ai quand même
déposé le dossier, et puis j’ai dit bon ben je vais prendre mon mal en patience » (Samia).
« J’étais pas prioritaire puisque j’avais déjà un logement… Fermez-la, ne vous plaignez
pas, c’est déjà pas mal, vous en avez un, il y en a d’autres qui n’en n’ont pas !… Au SIAL
on m’a dit : vous savez, vous n’êtes pas prioritaire, il est trop récent votre dossier ; alors je
lui dis : c’est quoi, vous attendez qu’il prenne de l’âge le dossier, il est meilleur ? Elle me
dit : vous vous rendez compte, il y a des gens qui attendent depuis 3, 4 ans, 5 ans ! »
(Farida). « Estimez-vous heureuse, il y a des cas plus prioritaires que vous, vous êtes quand
même fonctionnaire… J’ai dit : tout à fait, vous savez ce discours je l’ai entendu plu… tout
à fait, il y a des priorités dans la vie, je suis peut-être pas prioritaire mais on m’a dit que le
plomb c’était pas bien pour moi et l’humidité que c’était pas bien du tout » (Khadija).
Nous avons pris conscience en écoutant ces personnes, de l’opacité du système des
demandeurs prioritaires, voire même de sa perversité ; mis en place pour permettre aux plus
démunis d’accéder au logement, il représente, dans un contexte de pénurie, un frein au droit
au logement pour ceux dont la situation, sans être dramatique, est difficile. Il introduit une
différence de traitement à partir de critères qui ne sont pas clairement explicités ; du coup
toutes les interprétations sont permises, les personnes ayant le sentiment d’une très grande
subjectivité de ceux qui détiennent le pouvoir d’attribution (bailleurs), mais aussi de ceux
qui détiennent le pouvoir de propositions (réservataires, travailleurs sociaux, associations).
Là encore, une recherche plus précise sur ce sujet semblerait nécessaire.
4.2 « Quand ils ont vu ma tête » ou la question de l’origine
9 personnes sur 10 abordent la question de l’origine, 6 dans le premier quart de l’entretien,
3 avant le milieu de l’entretien. La discrimination est peu nommée de la sorte, le terme
n’apparaissant que 10 fois dans l’ensemble des entretiens, alors que la référence à la race
(racisme, raciste, race) apparaît 31 fois. Les personnes ne font pas de réelle distinction entre
les concepts, ce qui contribue aux interrogations qu’elles se posent : elles sentent que ce
n’est pas forcément du racisme mais ne savent pas vraiment le nommer autrement 196.
L’origine (citée 34 fois), ou la référence à une or igine (Maghrébin est cité 41 fois, arabe 39
fois, étranger 5 fois) ou même à la religion (musulman 6 fois), le patronyme (18 fois), et “la
tête” (9 fois) sont clairement identifiés comme sources de difficultés pour accéder au
logement. Si le sujet est souvent abordé sous forme d’interrogations et que des doutes
subsistent (« Est-ce une réalité ? Un état d’esprit ? Un sentiment un peu exagéré ? »), 6
personnes estiment clairement avoir subi directement racisme ou discrimination tandis que
3 autres croient que cela existe (« J’y crois, j’y crois », « Je pense que c’est une réalité »).
196
Seule Abiba affirme de manière claire que ses propriétaires privés étaient racistes, non pas parce qu’ils refusaient
l’accès de leurs logements aux personnes d’origine étrangère mais parce qu’ils leur louaient cher des appartements en
mauvais état, sans scrupule, exploitant ainsi leur difficulté à trouver un logement.
- 84 -
4.2.1 : L’origine
« Je crois qu’ils se basent sur les origines » nous dit Samia mais « il y a aussi des gens
d’origine étrangère qui vivent sur des très beaux quartiers, c’est pour ça qu’on n’arrive pas
trop à comprendre… J’ai été horrifiée, j’ai vu un reportage sur Paris, des gens qui vivaient
dans des taudis, des cafards, des rats ; c’était des immigrés, des africains, des maghrébins,
des gens qui cherchaient des appartements depuis des années, qui ont tout ce qu’il faut, un
travail, des fiches de paie ». Malika témoigne : « Je connais des femmes françaises, pas
loin, juste à côté, elles perçoivent l’API, ils leur ont donné. J’ai des copines françaises, je
leur dis : ouais toi tu y vas, ils vont te dire oui, moi ils vont me dire non (rires) et elles le
savent hein » ; mais « je sais pas si c’est du racisme parce qu’en général, il y a aussi des
arabes qui travaillent dans les HLM, c’est ça que je ne comprends pas, c’est pas forcément
du racisme, c’est peut-être qu’ils se disent : ouais les arabes… Parce qu’il y a des arabes
qui disent : ouais les arabes, ils foutent le bordel ! Moi, moi je le dis ! » (Malika). Mehdi
estime que « l’origine, on peut pas dire que ça n’existe pas, surtout en ce moment ». Sonia
raconte plusieurs expériences : « Arrivée à Lyon, j’ai été confrontée donc à…à beaucoup
d’échecs, je pense par rapport à ma nationa…enfin mes origines plutôt… Donc souvent au
téléphone j’avais un entretien positif : vous êtes la seule à avoir appelé, vous êtes la 1ère,
donc si vous vous présentez, vous allez avoir cet appartement ; et puis dès que je me
présentais, c’était…ben…c’était négatif ou on trouvait une excuse : on va le faire voir à
plusieurs personnes, il y a une personne qui est venue avant vous, alors que c’était pas vrai,
et donc forcément je me trouvais sans appartement ; je ne sais pas, je me suis posée
beaucoup de questions !… Et puis à l’AVDL je l’ai remarqué (rires) quand je parle avec la
population qui est dans la salle d’attente, c’est…des maghrébins, des africains, toujours des
personnes…des gens qui attendent depuis 2 ans, 3 ans… Donc, oui, je m’aperçois tous les
jours, comme je vous ai dit, dans le cadre du logement ou dans le cadre du travail, c’est la
même chose ; donc ça me fait râler quelque part ! Et je ne crois pas que je me fais des
films ! ».
La mère de Farida essaye de convaincre sa fille : « Moi ma mère elle me dit de toute
manière ils te donn…moi ma mère elle m’a dit, déjà, ça m’a super encouragé : ils te
donneront jamais, ton mari il est arabe, ils te donneront jamais (silence) Quand elle me
voyait très énervée elle me disait : mais j’te dis, j’te dis…parce que ça l’énervait plus
qu’autre chose, parce qu’elle était vachement concernée : ouais de toute manière, le fait
que ton mari soit un arabe, il lui donneront pas » mais « ah moi je m’y refuse à ça ! Non !
Je veux pas y penser, je veux pas peut-être l’admettre aussi…mais…(silence) Pas dans les
HLM ! Dans le secteur privé, je veux bien, mais si il y a ça dans les HLM, c’est pas
normal ». Pourtant à propos de l’enquête sociale, Farida a moins de doutes : « Je me suis dit
- 85 -
c’est parce qu’on est arabe, donc forcément on demande le comportement, je suis sûre !
Mais bon, comme je m’y refuse un petit peu, j e me suis dit bon…».
Une personne d’un OPAC fait remarquer à Khadija que « surtout, bon, vous êtes quand
même maghrébine ». Du coup « je sais pas si maintenant le…le…le mot racisme…avant
c’était plus voyant, maintenant c’est plus dans l’hypocrisie je trouve ».
L’origine aurait également un impact sur le type de logements attribués : « je sais pas moi,
peut-être que je me trompe, mais dans la résidence, ceux qui ont des appartements pareils
que le mien c’est plutôt des immigrés et ceux qui ont les appartements au rez-de-chaussée
c’est plutôt des immigrés, c’est des blacks ou des arabes ou… Les meilleurs appartements,
c’est plutôt pour les autres » (Abiba) ; et aussi sur la vie dans certains immeubles : Khadija
raconte qu’une association de locataires de l’immeuble de ses parents « faisait signer des
pétitions pour pas qu’il y ait des entrées de familles maghrébines (silence) ». Il y a eu
également une pétition « pour faire expulser mes parents et tout ça parce qu’on était famille
nombreuse de Tunisie ou du Maghreb… Quand on allait dans le jardin en bas et ben il y
avait même des clans ; les mamans ne mélangeaient pas avec nous parce qu’on était
maghrébins ; ils disaient : oui ça fait du bruit, c’est des arabes, c’est la famille X, c’est la
famille Y, c’est la famille Z, tous les noms des familles maghrébines ».
Même si c’est parfois sous forme d’interrogations, les personnes perçoivent clairement que
leur origine a quelque chose à voir avec leurs difficultés par rapport au logement ; certaines
ont vécu des expériences concrètes leur renvoyant la question de leur origine.
4.2.2 : Le patronyme
« Serait-ce mon patronyme, je ne sais pas, honnêtement je ne sais pas ? Les régies, c’est
encore autre chose, il y a aussi le problème du patronyme, il doit se poser aussi » mais « Ça
dépend ; dès fois vous allez tomber sur des gens qui vont même pas mettre le doigt dessus ;
en fait tout dépend de la personne que vous avez en face de vous, de la période » (Samia).
« Un tel il touche le RMI, il a un logement parce qu’il s’appelle François et une telle, elle a
un logement parce qu’elle s’appelle…euh…Françoise on va dire…et moi parce que je
m’appelle Malika, vous ne me donnez pas de logement ? Et pourtant, ils sont dans le même
cas que moi, alors moi je voudrais comprendre » (Malika). « Bon nous, on entend à la télé
des reportages tout ça, question raciste, si vous avez un nom arabe, il y a eu des émissions
qui ont…et même bon, avec les visages cachés tout ça, c’est véridique, si c’est un nom
Fatima ou un truc comme ça, ils vont pas vous le donner (rires) » (Sarah). « Je pense que le
nom ça peut jouer ; lui (son compagnon) il s’appelle B.D. (nom bien français), et pour moi de
toute façon, on se pose pas trop de questions parce que vu le prénom Sophie, on a un peu de
doutes… Donc j’ai pas trop rencontré de difficultés à cause de mes origines (silence) je
dirais grâce à mon prénom peut-être, tout simplement, parce que tous mes frères et sœurs
- 86 -
ont eu beaucoup plus de mal… Si c’est un nom typé, c’est une famille maghrébine, et
puis…et puis il adviendra ce qu’il adviendra, les bailleurs préfèrent pas (silence) » (Sophie).
« Mon nom, mon prénom, en commission je suis quand même maghrébine… Parce que vous
avez vu mon nom, donc vous m’avez mis une étiquette ?» nous dit Khadija qui a tenté
l’expérience de donner un faux nom au téléphone à un bailleur : «Au téléphone j’avais
donné mon faux nom, j’avais pas dit Mme T. j’avais donné un nom…j’ai dit je m’appelle
comme ça ; elle me dit ah…je vous assure, je l’aurai enregistrée, elle m’a dit : mais non,
n’allez pas habiter avec ces arabes hein, moi je vous déconseille à Bron Parilly tout ça…
Oui vous verrez avec ces arabes et tout vous serez jamais tranquille, moi d’ailleurs tous les
dossiers arabes je leur propose Bron Parilly ; elle m’a…au téléphone, je vous assure, sur la
tête de mes enfants, j’aurais enregistré ÇA je dis mais…franchement, je serai allée au
commissariat, mais j’ai dit non voilà, j’ai écouté avec mes oreilles… Après j’ai appelé je
pense 2-3 jours après ; j’ai dit allez, après tout à Bron il y a des coins sympas… Et puis bon
j’avais donné mon nom au téléphone elle me dit : non non non, mais si vous voulez je peux
vous proposer Bron Parilly, Bron Téraillon… C’était la même personne, la même voix ; on
n’aurait pas la caméra caché des fois, je dis des fois…je dis pas, c’est peut-être une dame
qui souffre, mais moi j’ai…j’ai été déçue »197.
Le patronyme est devenu l’élément principal d’identification et de catégorisation des
populations d’origine étrangère ; les personnes le perçoivent et ne sont pas dupes ; certaines
tentent même l’expérience de le prouver. Pour contrer la subjectivité liée au nom, le rapport
du GELD évoque, parmi ses préconisations, l’idée que les dossiers des demandeurs de
logement soient présentés en commission d’attribution sans évocation du nom de la
personne.
4.2.3 : « La tête »
« (Chez tel bailleur) ils m’ont dit, quand ils ont vu ma tête, il a dit : non ! Et ça, ça je l’ai
ressenti, réellement ressenti… Et la fille qui est secrétaire là-bas je la connais, elle m’a dit :
cherche pas, c’est bon, voilà ! » (Malika). « En fait (rires) c’est à la tête de la personne »
(Sonia). « Je lui ai dit : écoutez, je vais être franche avec vous, pourquoi ? Parce que vous
avez vu ma tête ? Vous avez vu ma tête, vous m’avez mis une étiquette ? C’est vrai que vous
avez vu ma tête mais je me fais quand même 1000 euros par mois, je suis fonctionnaire,
mon mari a un salaire de 9000, il est chef d’équipe, bon il a sa nationalité… Je préfère
encore qu’on me dise : avec ta tête et ben écoute, t’auras plus de difficulté puis voilà, je
sais où j’en suis, mais je me suis dit mais je suis…on est quand même…on a la nationalité
et tout ça…ça m’a fait mal » (Khadija).
197
La sœur de Sonia, à la recherche d’un employeur pour un contrat de qualification pour un BTS commercial,
envisage également de donner un faux nom au téléphone afin de « voir si ça change », vérifier ce qu’elle sait déjà
implicitement. Quant à Sonia, chez un précédent employeur, elle avait pour consigne de se présenter comme
« Mademoiselle Petit » lors des contacts téléphoniques ; nous en reparlerons.
- 87 -
Le faciès compterait parfois plus que la nationalité ? Les personnes ont beaucoup de
difficultés à l’admettre !
4.2.4 : La discrimination
Sonia compare Lyon et Bourg-en-Bresse, sa ville natale et constate que « Bourg-en-Bresse,
c’est plus petit, on sent moins la discrimination » tout en reconnaissant qu’étant chez ses
parents, elle ne faisait pas de recherche de logement. « Bon on m’avait dit aussi il y avait
une discrimination aussi, enfin comme quoi il y avait une discrimination / Qu’est-ce que vous
en pensez / Ben peut-être c’est vrai, enfin je pense, ben ça dépend quel office d’HLM hein ; je
pense bon au bout de 3 ans quand même ouais, 3 ans et demi ça fait beaucoup quand même,
pas de proposition, moi j’habite le secteur… Mais bon si on a un salaire, on a un peu plus
de chance, mais bon il y a toujours une petite…une petite discrimination…discrimination,
des petits problèmes quoi, bon au moins pour le secteur / C’est-à-dire / Je veux dire où on
veut habiter quoi, le secteur, ouais le secteur » (Mehdi). Lorsqu’en fin d’entretien, Kamel
nous demande des précisions sur l’objet de notre travail, nous lui expliquons que nous
travaillons sur la discrimination dite “raciale” ; il dit alors : « nous personnellement on l’a
vécu ! ».
Si le terme de discrimination est très peu employé, nous avons vu que bien d’autres signes
font pressentir aux personnes l’existence de discriminations dans le logement.
4.3 Intégration et identité
La difficulté à trouver un logement à cause de ses origines renvoie à la double question de
l’identité et de l’intégration. Les personnes qui se sentent parfois tiraillées entre deux
identités, s’estiment avant tout françaises et intégrées. Elles cherchent à comprendre les
raisons de la situation.
4.3.1 : L’intégration : une question qui ne se pose pas ?
« J’essaye de m’intégrer plus ou moins…de m’intégrer, je suis née ici, enfin c’est fou ce que
je dis ! Je suis née ici, je me sens complètement et entièrement française, mais…mais on se
pose beaucoup de questions… S’intégrer, ça me fait rire ce mot ; on nous dit “intégrée”
mais on est né ici, on n’est pas…“intégrée” , enfin je ne sais pas moi ; je me sens,
pratiquement, je me sens, enfin, française ! “Intégrée”, la question ne se pose pas, les gens
ne comprennent pas ». Comme Sonia, l’ensemble des personnes pense que la question de
l’intégration ne se pose pas pour elles et qu’il s’agit d’une « question bête » : « Bon,
intégrée, pour moi il n’a même pas son sens » (Samia). « Intégré ça ne veut rien dire pour
nous » (Farida). « Moi j’ai toujours été intégrée, je me sens pas concernée, pour moi ça se
pose pas l’intégration » (Sarah). « Moi je suis intégré, il y a pas de problèmes » (Mehdi).
- 88 -
Karim explique que la question de l’intégration se pose pour lui qui est arrivé en France
récemment mais qu’elle ne se pose ni pour sa femme, ni pour son fils : « immigré, c’est le
fait que vous êtes conscient que vous êtes immigré, c’est-à-dire vous prenez la
responsabilité, comme moi ce que j’ai fait ; voilà, j’arrive, je reste ici, ben j’y mets le prix ;
mais mon bébé, il avait pas le choix, il sait rien, il est bébé encore, il est pas immigré ».
Les discours attestent que l’assimilation a fonctionné : les personnes connaissent « l’histoire
de la France », « Mitterrand », « les philosophes, même les poètes » mais « moi, on me
demande l’histoire au Maroc, je sais rien du tout ; vous me parlez d’Hassam II avant, je
peux pas trop vous dire, je sais plus ou moins » (Sonia).
Malgré les difficultés rencontrées, tous les parents ont finalement renoncé à retourner vivre
définitivement dans leur pays et ont fait le choix de rester en France ou d’y résider une
partie de l’année : « donc ils se rendent compte…que oui…ils pensaient être ici
temporairement, parce que pour le travail, etc…ils se rendent compte en fin de compte que
non, et…nous on est là…et puis eux aussi ».
Le pays des parents est clairement identifié comme le pays des vacances ; Sarah et Nora qui
y ont vécu plusieurs années, témoignent des difficultés qu’elles ont eu à s’intégrer là -bas :
« à l’étranger je me sentais pas du tout à ma place (silence) Au début on m’appelait
l’immigrée… Je me voyais toujours différente des autres là-bas, je me disais c’est pas ici
que je devrais vivre ». Karim dit que bien qu’il parle l’arabe et soit en France depuis peu, il
est maintenant considéré comme immigré au Maroc.
Le point de vue de l’ensemble des personnes rencontrées, sur la question de l’intégration, ne
souffre d’aucune ambiguïté : non seulement elles sont intégrées, mais cette question ne
devrait même pas se poser pour elles qui sont nées ici ; leurs valeurs sociopolitiques sont
bien celles de la République française, leur attachement à leur pays d’origine étant limité à
certaines pratiques culturelles et à la pratique de certains aspects de la religion musulmane
(notamment le ramadan) 198.
4.3.2 : « Le cul entre deux chaises »
Les personnes affirment donc avec force leur identité française, sans pour autant renier leurs
origines et leur religion. Mais pour autant, l’intégration de ces français continue d’être
interrogée par des français (de souche ou d’origine européenne) qui ne cessent de leur
renvoyer leurs différences, les obligeant ainsi à s’interroger sur leurs appartenances et leur
identité « tant il est vrai que ce qui détermine l’appartenance d’une personne à un groupe
donné, c’est essentiellement autrui »199. Sonia parle de ses amies ou collègues qui lui
demandent toujours comment les choses se passent au Maroc alors qu’elle n’en sait rien !
198
199
Seule Abiba a décidé récemment de porter le foulard par conviction religieuse.
MAALOUF Amin, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998, page 35.
- 89 -
Farida évoque le jour où un collègue lui a demandé si elle se sentait française ou
algérienne ; elle raconte la discussion : « Déjà que tu me poses la question, toi comment tu
me sens ? Moi je sens que tu es très très…que tu es vachement…comment il a dit ? (silence)
Je trouve que tu es super bien intégrée ! Je suis née ici, je ne vois pas de quelle intégration
tu parles ; que tu parles de mes parents, oui je veux bien, mais moi je suis née ici donc…j’ai
aucune intégration à faire quoi ! (silence) Je lui dis : déjà tu tiens des…des propos
qu’ont…qui sont bêtes ! Je lui dis : ben tu vois, quand j’entends des trucs comme ça, le fait
que tu me parles comme ça, ça va toujours me renvoyer quelque part : vlan ! Tu…tu te sens
bien, t’es machin, mais…vlan, prends ça dans ta gueule ! Indirectement…(silence) Si on
arrive à lire entre les lignes et bien moi…je peux le prendre aussi comme ça ! Il me dit :
non il faut pas le prendre comme ça ! J’dis : ben j’suis désolée, mais tu le présentes de
façon… Que tu me dises : comment tu te sens, le cul entre 2 chaises ou…tu vois…j’veux
dire…je trouve que t’es bien intégrée… Je vois pas où est l’intégration, je suis née en
France, j’ai toujours vécu en France, je vois pas de quoi tu parles !». Selon Karim « les
enfants qui sont nés là, ici ils les considèrent des immigrés, là-bas ils les considèrent des
français, c’est trop pour eux, c’est difficile pour eux, il faut faire quelque chose ! ».
Du coup, « on se pose beaucoup de questions ». Sonia va jusqu’à parler d’exclusion : « on
est là et on n’est pas là en même temps ! Parce qu’ici on se sent un peu exclu, vous
allez…pareil…je suis d’origine marocaine, je vais au Maroc, on vous appelle un peu les
étrangers (rires) donc…quelque part on est un peu exclu. Donc on est un peu entre les
deux si vous voulez ! Ici vous vous sentez pas là-bas…chez vous ; là-bas vous vous sentez
pas vraiment chez vous ! C’est ce que je vous ai dit, il faut gérer tout ça ! (rires) ». Khadija
s’interroge sur son identité : « comme on dit grossièrement vous avez le cul entre 2 chaises ;
vous dites p’tain je suis quoi, je suis une arabe parce qu’en plus vous avez la religion et
tout ; je savais pas trop ; à l’école c’est bon, je suis française à l’école ; j’arrive à la
maison, je parle en arabe tout ça et tout ; je suis dans un quartier, on est avec des français,
faut respecter les français, mon père il nous a appris tout ça ; mon père…il a mis…on est
différent tout ça, et ça il aurait pas dû vous savez ». Vivre avec cette double appartenance
n’est pas facile, car si comme le dit Amin Maalouf , l’identité est faite de multiples
appartenances, « il est indispensable d’insister tout autant sur le fait qu’elle est une, et que
nous la vivons comme un tout »200. Ce sont encore les autres qui parfois aident à se
positionner : « non Khadija, t’es française, pourquoi tu cherches à…à toujours dire, oui
non, je suis une arabe ; non arrête, arrête ; et c’est des français qui m’ont dit ça ; arrête ils
m’ont dit ; tu te poses l’étiquette à toi toute seule et tu verras que ça va te mettre des
barrières dans le boulot, dans le logement, dans beaucoup de choses. NON ! T’es française,
200
MAALOUF Amin, Les identités meurtrières, 1998, page 36.
- 90 -
tu as la nationalité française, ton nom ben t’as un nom maghrébin parce que tes parents
t’ont donné un nom, comme nous on a un nom catholique, toi t’as un nom musulman ; après
je me suis dit : après tout c’est vrai, je suis en France, pourquoi…(silence) ».
Les tiraillements entre les deux appartenances semblent davantage être le fait de l’image ou
des interrogations qui leur sont renvoyées, du racisme ou de la discrimination, plutôt que
d’une interrogation existentielle qui viendrait de leur moi profond. Ce sont les autres qui
interrogent leur intégration, mais ce sont elles qui du coup se sentent dans une position
inconfortable, « le cul entre deux chaises ».
4.3.3 : Recherche d’explications
Ce qui transparaît dans les récits des personnes, c’est leur soif de comprendre, d’obtenir des
réponses aux questions soulevées, d’une part par le renvoi de leur différence qui peut
conduire jusqu’au sentiment d’exclusion, d’autre part par les différences de traitement (la
discrimination même si elle est rarement nommée comme telle). Les personnes cherchent
les raisons qui pourraient expliquer ces phénomènes.
Une des premières raisons serait la concentration et l’isolement des populations d’origine
étrangère, notamment maghrébine : « les maghrébins là-bas, dans les quartiers, ils sont
isolés ; je sais pas, ils sont coupés, ils sont pas ouverts sur les autres, sur les autres
civilisations ; et après eux, ils leur en veulent, comme quoi vous êtes pas ouverts ; mais bien
sûr l’enfant quand ils ouvre ses yeux, il trouve que Ahmed, Mohammed ; où il va apprendre
les traditions d’ici ? Concentrer, c’est ça dont je parle, la politique de concentrer les gens
qu’ont la même race…et ils font ça exprès, c’est pas par hasard, c’est exprès / Et pourquoi à
votre avis / (Silence) Ça veut dire pour eux, pour les autres peut-être, pour qu’ils se sentent
toujours que on n’est pas chez nous ; même t’es né là, même t’es pas chez toi ; peut-être ça
c’est une politique peut-être intelligente pour eux, peut-être c’est n’importe quoi (rires) »
(Karim). « Le problème…c’est d’avoir mis…enfin moi je sais, j’ai vécu…je peux en parler,
c’est d’avoir mis tous…de nous avoir…enfin de nous avoir tous mis ensemble, je dirais tous
les maghrébins ensemble hein ; comme on dit l’union fait la force (petit rire) » (Sophie). « En
banlieue c’est ça qui va pas, il y a trop de nationalités, il y a trop…ils ont mis trop…faut
pas nous mettre ensemble, faut pas que ça fasse comme Vaulx-en-Velin, Vénissieux ; vous
mettez plein de nationalités vous…voilà parce qu’on s’entendra pas ; moi je vous dis je suis
une maghrébine et je le sais ! » (Khadija).
Cette concentration fait que les familles vivent entre elles et ne connaissent pas de français
d’origine ; du coup, elles « n’arrivent pas à se mélanger avec d’autres cultures, avec
d’autres personnes » et les enfants sont élevés comme dans le pays d’origine : « dans les
pays du Maghreb, les enfants, l’éducation, c’est comme ça ; il n’y a pas de crainte, il n’y a
pas la crainte de l’homme, on laisse les enfants quand qu’ils ont 3-4 ans dehors, parce que
- 91 -
en Tunisie, parce que en Algérie, parce qu’au Maroc et ben c’est comme ça, ils sont dans la
rue » (Sophie).
La délinquance des jeunes des quartiers est également souvent pointée du doigt : « les gens
à force, même si ils sont pas pour, ils sont pas racistes, ils risquent de le devenir au fond
d’eux-mêmes ; ils sont pas racistes mais en voyant ça ils…ouais les arabes il y en a marre
tout ça, c’est normal » (Sarah). « C’est les jeunes qui sont en bas de l’allée tout ça ; moi je
critique pas mais ça a changé ; c’est plus la jeunesse qu’on était nous, notre génération à
nous ; c’est vraiment de la racaille maintenant ; je vois ma mère quand elle descend, elle a
quand même des fois, peur ; c’est des gamins de 15-16 ans qui fument le joint ; c’est vrai
qu’il y a des choses…où il faut être derrière ; et même le gardien il me dit des fois, c’est des
arabes comme nous, ça arrête pas quoi ; au mois d’août ils avaient brûlé 2 voitures… Et
après ben les logements ben ils deviennent plus durs, plus stricts» (Khadija). Mais le discours
est parfois nuancé car la majorité des personnes perçoivent bien que la délinquance est à la
fois cause et conséquence de la stigmatisation des maghrébins : « Ils vivent entre eux, ils
font du trafic, je pense que tout le monde a la chance d’être intégré mais il y a des
personnes, elles veulent pas s’intégrer ; bon quelque part je veux dire ils ont pas tort mais
ils ont pas raison à 100% ; je veux pas dire ils ont totalement raison c’est pas vrai parce
que tout le monde peut s’intégrer, tout le monde a la chance de…avoir un espoir de
s’intégrer bon que ce soit…dans tous les domaines, que ce soit un logement, un travail »
(Mehdi). « C’est pas que je les défends, c’est 50/50 » (Khadija). « Ils font souvent voir des
jeunes de quartier qui ont la rage, qui brûlent tout… Je dis pas qu’il faut aller jusque là,
mais parfois je comprends qu’ils en ont marre aussi, parfois je comprends ! Je dis pas que
ça les excuse, parce que personne voudrait avoir sa voiture brûlée ou…un magasin cassé
ou tout ce que vous voulez, mais je comprends qu’à un moment donné il y a un ras-le-bol !
Il y a un ras-le-bol et puis bon, ils ne se contrôlent pas non plus ; et puis ils en profitent
peut-être aussi et puis voilà…et puis tout le monde éclate, et puis…il n’y a pas assez de
communication peut-être. Ouais, il n’y a pas assez de communication, ça doit être ça ! »
(Sonia). Sophie explique qu’ « il y a quand même une grosse part d’effort à faire du côté des
immigrés, mais il y a aussi un pourcentage de la société d’accueil, une partie de l’accueil
qui pourrait être fait autrement » car « c’est bien d’accepter tout le monde mais faut
assumer, faut les loger, les aider…pour le travail tout ça » (Nora).
Le contexte local (21 avril 2002) et international (le 11 septembre 2001 et ses suites) doit
également être pris en compte : « On l’a vu avec les élections, un ras-le-bol général, les
gens en ont marre de façon générale, donc voilà quoi ! C’est vrai que les gens sont excédés
mais j’ai vu des reportages, des gens qui votaient Le Pen là où il n’y avait pas d’immigrés ;
donc je pense que c’est général quoi, mais il y a aussi le problème des immigrés » (Samia).
Et puis « les médias qui en rajoutent ».
- 92 -
Toutes ces difficultés finissent par créer un amalgame, au centre duquel se trouve la
religion : « j’essaye de leur expliquer, c’est pas parce que je suis maghrébine, c’est pas
parce que je crois et que j’ai certaines convictions religieuses, que c’est bon, je suis une
terroriste » (Sonia). « Les musulmans c’est devenu intégristes, c’est devenu terroristes ; on
associe musulman à beaucoup de choses qui n’ont rien à voir » (Abiba). Farida dit : « je
gamberge le soir avant de me coucher ; j’me dis : ouh là là, ils croient qu’on est des sectes,
des tribus ! ». Du coup, « on n’est pas comme les autres…ils connaissent pas ou ils ont une
image ; bon ils ont une image, soit de ce qu’ils ont entendu, soit du milieu familial, soit tout
ce que vous voulez ! Donc, t’es pas comme les autres, c’est différent ». Pourtant toutes les
personnes estiment qu’elles ne sont pas différentes et ne se perçoivent pas comme telles ; ce
sont les autres qui les perçoivent différentes, niant ainsi leur identité française et leur
intégration.
- 93 -
CONCLUSION
_________________________________________________________________________
Les récits de l’histoire logement des dix personnes rencontrées dans le cadre de notre
investigation montrent que cette histoire est jalonnée d’un certain nombre de difficultés.
Marqués par la précarité de mauvaises conditions de logement, tous les parcours réside ntiels
se terminent aujourd’hui, au moins provisoirement, dans le parc social. En ce sens ces
parcours ne différent pas fondamentalement des parcours de leurs parents.
Le logement HLM reste aujourd’hui la possibilité la plus sûre de bien se loger pour le s
populations d’origine maghrébine aux petites ressources.
Pourtant l’accès au parc social est semé d’embûches et les temps d’attente particulièrement
longs ; les personnes doivent donc solliciter une aide extérieure comme celle de l’AVDL
pour faciliter leur accès au logement.
Pour les demandeurs de logement, l’absence de communication avec les organismes HLM
rend difficile la maîtrise qu’ils peuvent avoir de leur recherche (manque d’informations,
absence de suivi des dossiers…). Cette absence de liens favorise l’émergence de doutes
quant aux raisons réelles pour lesquelles les personnes n’arrivent pas à obtenir un logement.
Parmi ces doutes, l’impact de leur origine apparaît de manière importante, notamment par le
biais de leur patronyme, voire de leur faciès. Cette perception de la discrimination liée aux
origines est renforcée par un fort sentiment de non-choix quant aux propositions de
logement qui leur sont faites.
Le ménage qui refuse une proposition de logement pour des motifs jugés irrecevables par le
SIAL ou le bailleur, s’expose à ne plus avoir de proposition. Malgré cette pression, les
personnes refusent d’aller dans des quartiers stigmatisés, résistant ainsi aux phénomènes de
ségrégation spatiale et d’assignation à résidence.
Mais la discrimination renvoie aux personnes leur différence et interpelle leur intégration,
même si elles-mêmes estiment que la question est déplacée ; elles affirment sans ambiguïté
leur nationalité française ; leurs discours tendent à montrer qu’elles sont en effet assimilées,
ce qui ne les empêche pas de manifester certains attachements à leur origine , notamment par
le biais de la pratique du ramadan.
- 94 -
Troisième partie :
Du concept d’identité
aux stratégies identitaires
« La première des revendications de chacun d’entre nous…c’est d’exiger
des autres qu’ils nous reconnaissent le droit à être ce que nous sommes…
Je ne peux critiquer quelqu’un que si je commence à lui reconnaître le
droit à être ce qu’il est, le droit à être là où il est et le droit à vivre de la
manière dont il vit, à partir d’un point de reconnaissance fondamental »
Joël Roman, rédacteur en chef de la revue Esprit
- 95 -
INTRODUCTION
_________________________________________________________________________
Après avoir posé le contexte de notre recherche puis restitué les récits des personnes
rencontrées dans le cadre de notre investigation, nous allons tenter, dans cette troisième
partie, de faire l’analyse de ces données.
L’identité est au cœur de notre question, mais aussi des récits recueillis ; il s’agit d’un
concept complexe, parfois galvaudé, pas toujours explicité. Nous allons essayer de mieux le
cerner ; nous rappellerons tout d’abord très succinctement son histoire sémantique, puis
nous restituerons les points de définition qui semblent aujourd’hui faire l’objet d’accords
entre chercheurs de différentes disciplines des sciences humaines ; enfin, nous donnerons
une définition adaptée de ce concept à notre recherche. Une fois ce cadre posé, nous
essayerons de relier ce concept à nos observations en montrant en quoi la discrimination
peut influer sur l’identité des personnes qui la subissent et interroge leur intégration.
Nous nous pencherons ensuite sur les réactions que les personnes nous ont laissé voir face
au sentiment de discrimination et nous nous interrogerons sur le concept de stratégies
identitaires. Dans la limite du corpus disponible, nous essayerons de voir quelles stratégies
les personnes mettent en place en terme d’identité.
Enfin, ce travail de recherche, concomitant à notre travail au sein de l’AVDL, nous amènera
à réfléchir sur des pistes d’actions concrètes pour lutter contre les discriminations.
Pour l’approche théorique de cette troisième partie, nous nous appuierons notamment sur
les travaux de chercheurs de différentes disciplines (Carmel Camilleri, Joseph Kastersztein,
Edmond Marc Lipiansky, Hanna Malewska-Peyre, Isabelle Taboada-Leonetti, Ana
Vasquez) dont les travaux ont été réunis dans un ouvrage collectif qui sera notre référence
principale pour définir théoriquement les termes d’identité et de stratégies identitaires201.
Mais nous alimenterons également notre réflexion par les travaux d’autres auteurs,
notamment Erving Goffman et Abdelmalek Sayad.
201
CAMILLERI Carmel, KASTERSZTEIN Joseph, LIPIANSKY Edmond Marc, MALEWSKA-PEYRE Hanna,
TABOADA-LEONETTI Isabelle, VASQUEZ Ana, Stratégies identitaires, ouvrage collectif, Presses Universitaires
de France, 2002 (1 ère édition : 1990), page 22.
- 96 -
1 LE CONCEPT D’IDENTITE
_________________________________________________________________________
1.1 L’identité : une question ancienne et complexe
L’identité semble être une notion dont l’histoire remonterait aux origines de la pensée.
Selon
J.C.
Kauffman,
« l’identité
est
un
processus
marqué
historiquement
et
intrinsèquement lié à la modernité » 202. Les philosophes grecs s’interrogeaient déjà pour
savoir comment concilier identité et changement, comment être le même et autre :
l’individu considéré tout au long de son existence, peut-il être le même malgré les
changements qui l’affectent ? Près de 2000 ans plus tard, au siècle des Lumières, la question
se précise : comment penser l’unité du moi dans le temps ? C’est également à cette époque
que commence à disparaître l’idée d’un destin où chacun aurait une place assignée et un
chemin déterminé. Mais l’identité reste alors une question technique , aux mains des
philosophes, qui touche peu le reste de la société.
Dans les années 1950, Erik Erikson joue un rôle central dans la mise en circulation du terme
et dans sa popularisation dans les sciences humaines ; il tente de dépasser la notion
d’identification que Freud a décrite comme le processus par lequel l’enfant s’assimile à des
personnes extérieures. Il met l’accent sur le rôle des interactions sociales dans la
construction de la personnalité et développe le concept de crise d’identité, la crise
correspondant à un tournant dans le développement de l’identité.
Dans les années 70, les travaux de Devereux insistent sur l’importance du cadre culturel
dans lequel se développe l’identité ; selon lui, il est impossible de concevoir des identités
indépendamment d’un certain modelage culturel. Aux Etats-Unis, le développement des
mouvements de revendications identitaires des minorités va renforcer et banaliser l’usage
du terme identité, en l’imposant aussi bien dans le vocabulaire médiatique que dans
l’analyse sociale et politique.
De nombreuses autres recherches viennent enrichir mais aussi complexifier le concept, mais
c’est surtout par l’entremise de l’interactionnisme symbolique que la notion d’identité
acquiert une place déterminante : « Cette école travaille précisément sur la manière dont les
interactions sociales, à travers des systèmes symboliques partagés, forgent la conscience
qu’a l’individu de lui-même » 203. E. Goffman conceptualise la notion de représentation de
soi et de l’identité à partir de la théorie du rôle ; par représentation de soi, « on entend la
totalité de l’activité d’une personne donnée, dans une occasion donnée, pour influencer
d’une certaine façon un des autres participants (de l’interaction) » 204 ; le rôle est « le
modèle d’action pré-établi que l’on développe durant une représentation et que l’on peut
202
KAUFFMANN Jean-Claude, L’invention de soi. Une théorie de l’identité, Paris, Armand Colin, 2004.
HALPERN Catherine, Faut-il en finir avec l’identité ?, Sciences Humaines n°151, juillet 2004, page 13.
204
GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne 1. La présentation de soi, Lonrai, Les Editions de minuit,
2001 (1 ère édition 1973), page 23.
203
- 97 -
utiliser en d’autres occasions »
205
. Dans « La mise en scène de la vie quotidienne »,
Goffman montre ainsi que le sujet adapte son comportement au regard des autres en
essayant de ne pas dévier de ce qui est attendu de lui. Son approche suppose une certaine
distance entre le Moi et l’identité, ou encore entre une identité existentielle et profonde qui
fait la continuité de la personne, et l’ensemble des différentes identités qu’il s’approprie tout
au long de sa vie.
D’autres recherches sociologiques insistent sur la place des déterminismes sociaux sur la
destinée des individus et des groupes en développant la notion d’identité imposée ou
aliénée. Les contextes historique, social et culturel dans lesquels se trouve le sujet
constituent des éléments dynamiques du processus identitaire.
Si les sciences humaines ont ainsi développé le concept d’identité, il résulte également
d’une réflexion critique puisée dans des textes de philosophes contemporains, notamment
chez Sartre pour qui « c’est le social par le regard d’autrui, qui vient barrer le rapport du
sujet à lui-même ; c’est la conscience du social qui surgit, entraînant une coupure dans le
Moi dont la valeur s’effondre. C’est dire que le sujet reprend à son compte le jugement
porté par autrui »206 ; c’est dans l’interaction Moi-Autrui que chacun se définit par le biais
de ses liens à autrui.
Aujourd’hui, nous pouvons constater que l’identité reste un concept phare, notamment par
l’importance prise par l’individu-sujet ainsi que par le biais du sentiment d’appartenance
identitaire (appartenances ethnique, sexuelle, religieuse…). « Si nous sommes entrés dans
l’ère des identités, c’est précisément parce qu’elles ne vont plus de soi, qu’elles sont
protéiformes et à construire »207. C’est au sujet lui-même de se construire, non plus dans le
cadre de la lutte des classes mais de ce que V. de Gaulejac et I. Taboada Leonetti appellent
“la lutte des places” ; ces auteurs dénoncent la croyance en la toute-puissance des capacités
de l’homme qui est venue « accabler l’individu du poids de la responsabilité de ce qu’il
pouvait devenir »208. Ainsi « l’excellence des uns entraîne l’exclusion des autres »209. Il
n’est donc pas facile de trouver sa place dans notre société actuelle ; elle n’est pas donnée à
priori et jamais acquise définitivement. Dans « La fatigue d’être soi » 210, Alain Ehrenberg
montre à quel point la quête d’identité dans nos sociétés post-modernes peut être
éprouvante, la dépression étant sans doute le symptôme caractéristique de cette difficulté à
déterminer soi-même son identité.
205
GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne 1. La présentation de soi, page 23.
DE GAULEJAC Vincent, Les sources de la honte, Paris, Desclée de Brouwer, 1997, page 160.
207
HALPERN Catherine, Sciences Humaines, juillet 2004, page 15.
208
DE GAULEJAC Vincent, TAOBADA LEONETTI Isabel, La lutte des places, 1995, page 20.
209
Ibidem, page 40.
210
EHRENBERG Alain, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob Poches, 2000.
206
- 98 -
1.2 L’identité : un concept riche et dynamique
Si l’ensemble des apports concernant le concept d’identité témoigne de sa richesse, sa
polysémie maintient de nombreuses ambivalences et des incertitudes dans son utilisation.
C’est pourquoi des chercheurs de disciplines différentes ont réuni leurs travaux dans un
ouvrage collectif intitulé « Stratégies identitaires » en essayant de dégager un certain
nombre de points d’accord autour de l’identité ; quatre points d’accord sont définis dans
l’introduction de l’ouvrage par E.M. Lipiansky, I. Taboada Leonetti et A. Vasquez.
ü Tout d’abord, l’identité est le produit d’un processus qui intègre les différentes
expériences de l’individu tout au long de la vie. La conception d’une identité qui serait
élaborée au cours des premières années de la vie pour parvenir à un point de fixation où elle
serait parachevée et stable est définitivement abandonnée. L’identité se façonne
progressivement, se modifie et se réorganise sans cesse.
ü Ce processus s’inscrit dans une interaction entre le sujet et le monde qui l’environne
(individus, groupes, structures sociales). La conscience de soi dépend de l’autre, des autres
et de l’expérience sociale, c'est-à-dire à la fois de l’interaction sociale interindividuelle mais
aussi structurelle ou super structurelle (la culture, les institutions, l’histoire, l’idéologie…).
« Dès le début de la vie, le regard de l’autre renvoie à chacun une image, une personnalité,
des modèles culturels et des rôles sociaux que le sujet peut rejeter ou accepter, mais par
rapport auxquels il ne peut éviter de se déterminer » 211.
ü L’identité présente un aspect multidimensionnel mais structuré. La diversité des
situations d’interactions vécues, provoque des réponses identitaires également diverses ; ces
identités « ne s’assemblent pas dans une simple juxtaposition d’identités, mais sont
intégrées dans un tout structuré, plus ou moins cohérent et fonctionnel »212. De son côté,
Amin Maalouf témoigne que l’identité est faite de multiples appartenances mais qu’elle ne
fait qu’une et qu’elle est vécue comme un tout : « L’identité d’une personne n’est pas une
juxtaposition d’appartenances autonomes, ce n’est pas un patchwork, c’est un dessin sur
une peau tendue ; qu’une seule appartenance soit touchée, et c’est toute la personne qui
vibre »213.
ü Enfin, malgré le caractère mouvant et changeant de l’identité, dans le temps et selon les
situations vécues, « le sujet garde une conscience de son unité et de sa continuité, de même
qu’il est reconnu par les autres comme étant lui-même » 214.
A partir de ces quatre éléments constitutifs de l’identité, nous retiendrons la définition
suivante donnée par J. Kastersztein et reprise par d’autres : l’identité est « une structure
polymorphe, dynamique, dont les éléments constitutifs sont les aspects psychologiques et
211
LIPIANSKI E.M., TABOADO LEONETT I., VASQUEZ A., Stratégies identitaires, 2002, page 22.
Ibidem, page 23.
213
MAALOUF Amin, Les identités meurtrières, 1998, page 36.
214
LIPIANSKI E.M., TABOADO LEONETT I., VASQUEZ A., Stratégies identitaires, 2002, page 23.
212
- 99 -
sociaux en rapport à la situation relationnelle à un moment donné, d’un agent social
(individu ou groupe) comme acteur social »215.
La déclinaison du concept d’identité confirme la notion d’appartenances multiples : identité
personnelle, groupale, culturelle, professionnelle, communautaire, sociale… Deux notions
se détachent cependant plus spécifiquement, dans la mesure où elles peuvent englober
toutes les autres, l’identité personnelle et l’identité sociale.
L’identité personnelle, ou identité pour soi, est la perception subjective, réflexive, ressentie,
qu’une personne a de son individualité, la conscience qu’elle a d’elle -même et la définition
qu’elle donne d’elle -même. Selon H. Malewska-Peyre, l’identité personnelle est comprise
comme « l’ensemble organisé (structuré) des sentiments, des représentations, des
expériences et des projets d’avenir se rapportant à soi »216.
L’identité sociale est l’appréhension objective des caractéristiques définissant un individu et
permettant de l’identifier de l’extérieur. Ces caractéristiques sont nombreuses : l’état civil,
le sexe, l’âge, la nationalité , l’origine, la religion, la profession, la situation matrimoniale et
familiale, les rôles sociaux.
Cependant, ces deux faces de l’identité ne sauraient être dissociées, l’une et l’autre étant
étroitement liées ; d’une part les caractéristiques qui constituent l’identité personnelle sont
en partie produites par l’environnement socio-culturel dans lequel l’individu évolue, et
d’autre part, le sujet peut jouer avec des éléments de son identité personnelle pour adapter
en partie son image sociale : « L’identité résulte donc des relations complexes qui se tissent
entre la définition extérieure de soi et la perception intérieure, entre l’objectif et le
subjectif, entre soi et autrui, entre le social et le personnel »217.
Mais les signes porteurs d’informations soc iales (“marqueurs d’identité”) sont-ils toujours
fiables et objectifs ? Ils sont parfois chargés de représentations qui, selon les contextes,
peuvent modifier la perception de l’identité sociale d’un individu. Dans « Stigmates »,
Goffman distingue l’identité sociale réelle et l’identité sociale virtuelle 218 ; la première
s’appuie sur des attributs que possède l’individu et qu’il est possible de prouver ; la seconde
s’appuie sur des représentations, des hypothèses quant à ce devrait être l’individu qui nous
fait face. Ainsi, à partir d’un attribut réel, les perceptions qu’une personne aura d’une autre,
peuvent changer. Goffman nomme stigmate, l’attribut qui est perçu négativement et qui
entraîne un discrédit, « mais il faut bien voir qu’en réalité c’est en termes de relations et
non d’attributs qu’il convient de parler. L’attribut qui stigmatise tel possesseur peut
215
KASTERSZTEIN Joseph, Stratégies identitaires, 2002, page 28.
MALEWSKA-PEYRE Hanna, Stratégies identitaires, 2002, page 112.
217
LIPIANSKY E.M., Stratégies identitaires, 2002, page 174.
218
Selon Goffman, nous percevons les autres en fonction d’attentes normatives et d’un certain nombre d’exigences :
« les exigences que nous formulons le sont « en puissance »… Le caractère attribué à l’individu, nous le lui imputons
de façon potentiellement rétrospective, c’est-à-dire par une caractérisation en puissance, qui compose une identité
sociale virtuelle », dans Stigmate, 2001, page 12.
216
- 100 -
confirmer la banalité de tel autre et, par conséquent, ne porte par lui-même ni crédit ni
discrédit »219 ; l’attribut ne jouera donc le rôle de stigmate que dans un contexte
d’interactions déterminé dans lequel « nous pensons qu’une personne ayant un stigmate
n’est pas tout à fait humaine. Partant de ce postulat, nous pratiquons toutes sortes de
discriminations, par lesquelles nous réduisons efficacement, même si c’est souvent
inconsciemment, les chances de cette personne. Afin d’expliquer son infériorité et de
justifier qu’elle représente un danger, nous bâtissons une théorie, une idéologie du
stigmate, qui sert parfois à rationaliser une animosité fondée sur d’autres différences »220,
telle que l’origine.
1.3 Discrimination et identité
A partir de notre expérience professionnelle et de notre travail de recherche, nous pouvons
observer que l’origine géographique, le patronyme, la couleur de peau, le faciè s ou bien
encore la religion peuvent être perçus comme des stigmates jetant un discrédit sur les
personnes, marquant ainsi une différence qui fait d’elles, si ce n’est des êtres dangereux,
tout du moins des suspects : « L’immigré, surtout de basse condition sociale, est tenu à une
sorte d’hypercorrection sociale. Socialement, voire moralement suspect, il doit avant tout
rassurer quant à la morale »221.
Il faut rechercher dans l’histoire et dans les caractéristiques de la société dans laquelle ces
attributs sont stigmatisés, ainsi que dans les valeurs des individus qui la composent, les
raisons qui font que ces attributs distinctifs prennent à un moment donné ou un autre, une
charge négative pour devenir stigmate. Nous avons vu dans notre 1ère partie, comment le
passé colonial de la France, la nature de l’immigration et les conditions d’accueil des
immigrés (mauvaises conditions de logements, ségrégation spatiale) pouvaient être à la fois
causes et conséquences du discrédit des populations d’origine étrangères ou supposées
telles 222. « Ce n’est pas cultiver le paradoxe que d’affirmer que l’immigré, celui dont on
parle, n’est en réalité que l’immigré tel qu’on l’a constitué, tel qu’on l’a déterminé ou tel
qu’on le pense et tel qu’on le définit. Il n’est peut-être pas d’objet social plus
fondamentalement déterminé par la perception qu’on en a »223.
Dans notre 2ème partie, ce sont les personnes rencontrées qui expriment le sentiment que leur
origine, leur nom ou leur “tête” interfèrent sur leurs difficultés à bien se loger. Ainsi ces
attributs joueraient le rôle de stigmates et susciteraient de la discrimination, vis-à-vis du
219
GOFFMAN Erving, Stigmate, 2001, page 13.
Ibidem, page 15.
221
SAYAD Abdelmalek, Immigration et « pensée d’Etat », 1999, page 13.
222
A ce propos, nous pouvons nous demander si la définition a priori des arabes comme “différents” n’a pas produit
chez un certain nombre d’entre eux, des comportements “différents”, qui permettent de justifier la perception des
arabes comme “différents” ?
223
SAYAD Abdelmalek, La double absence Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Collection
Liber Seuil, 1999, page 257.
220
- 101 -
logement ou dans d’autres domaines de la vie. Si neuf personnes sur dix évoquent ces
problèmes en ce qui concerne le logement, six identifient aussi la discrimination ou le
racisme, à l’école, dans les loisirs, dans les interactions ou dans le travail. Nous souhaitons
rapporter ici ce que les personnes ont pu nous dire sur la discrimination ou le racisme dans
ces différents domaines, car c’est bien l’ensemble des discriminations perçues, et non
seulement dans le domaine du logement, qui a des effets sur la question de l’identité et de
l’intégration.
Dans son école privée, les enfants reprochaient à Sonia d’être « pas comme les autres ».
Farida témoigne : « Déjà quand j’étais petite, ça m’était arrivé, quand on me disait : sale
arabe…on pouvait pas rétorquer hein ? J’ai vécu une très mauvaise scolarité moi,
uniquement pour ça. J’avais un prof, ancien mariste. Bon, on arrivait : les arabes au fond,
les français devant ! En plus il était directeur d’établissement hein ? Farida au tableau !
Fais-moi ça ! Bon, j’y allais…puis il me poussait : je rigole ! Tu sais ce qui
t’attends…toutes les années tu vas nous pondre un œuf, et puis tu toucheras les alloc., donc
je vois pas pourquoi t’irais travailler ; je ne vois pas pourquoi tu travaillerais au tableau,
allez, casse-toi, va au fond ! “Casse toi” en plus il me disait (silence) Et puis aussi, en 6ème,
en 5ème : j’en ai marre de travailler avec des arabes ! ». Abiba dénonce les orientations
précoces des jeunes d’origine étrangère vers des métiers manuels « au lieu de les
encourager à faire des études ; il y a déjà une ségrégation ».
Sonia, la plus jeune des personnes rencontrées évoque la discrimination dans les loisirs ou
les interactions : « il y a des endroits où vous pouvez pas rentrer, je parle des boîtes de nuit.
Bon je suis une fille, à la rigueur je passe, mais même des filles se font “refoulent” quand
même…Ça fait quand même mal quoi…On se sentait pas à sa place ! ». Elle raconte
également que certains parents d’amis ne veulent pas recevoir chez eux des jeunes d’origine
maghrébine. Farida évoque les petites réflexions du genre : « oh vous les arabes… ».
Mais c’est sans doute dans le travail que les situations de racisme ou de discrimination sont
les plus présentes. Samia dit que son mari se demandait pourquoi on lui donnait toujours le
même type de travail, « des choses pas intéressantes ». Sonia évoque sa difficulté à trouver
des employeurs ; elle raconte comment les choses se passent dans l’agence intérim dans
laquelle elle travaille : « on nous demande au téléphone d’avoir telle personne : on voudrait
une personne…je sais pas…souvent pour les travaux de secrétariat, etc…il faudrait une
secrétaire qui soit jeune, etc…et une BBR ! Alors j’ai appris qu’une BBR, c’était une Bleu
Blanc Rouge ! Bleu Blanc Rouge ! Donc ils savent pas qu’au téléphone c’est pas une BBR !
Comment leur dire ? Je peux pas ! Donc je suis obligée de…ben…de raccrocher (petit rire)
et de m’en tenir à ça… J’ai prospecté un client il n’y a pas longtemps, ça a donné des
résultats, il voulait des personnes présentables…euh…chez eux, car les personnes avaient
les clés des locataires ; et donc on leur a dit : oui, on vous enverra une personne
- 102 -
présentable, etc…mais une personne présentable, ça veut pas dire présentable que
physiquement, ça veut dire une personne française (petit rire) et non pas maghrébine ou
étrangère ». Chez un précédent employeur, Sonia faisait de la prospection téléphonique
sous le nom de Mademoiselle Petit ! Etre obligé d’utiliser un autre nom que le sien afin de
cacher sa véritable identité peut représenter une violence symbolique forte. Pourtant, bien
que son employeur actuel laisse Sonia libre d’utiliser le nom qu’elle souhaite, elle donne
souvent au téléphone le prénom d’une collègue, comme si elle acceptait le stigmate,
préférant alors le dissimuler plutôt que d’en accepter les conséquences ; Goffman désigne
comme “faux-semblant” cette attitude qui consiste à cacher le stigmate en vue de mieux se
faire accepter et rétablir l’équilibre de l’interaction, cette “couverture” constituant un aspect
important des techniques d’assimilation.
Sonia doit maintenant se déplacer en clientèle et elle appréhende beaucoup les réactions que
son origine va susciter auprès des clients : « je bloque là-dessus, ça me freine…je me dis on
va voir que je suis maghrébine, bon physiquement ça se voit, donc on va voir que je suis
maghrébine et euh…tout de suite, on va avoir une image…soit on va trouver une excuse,
soit j’aurai un entretien, gentiment mais hypocrite et…il y aura pas de résultats, et ça sera
un échec pour moi ».
Farida a travaillé dans des hôtels : « alors ça dans les hôtels par contre ils aiment bien les
arabes, ils les maltraitent mais ils aiment bien les arabes / Ils les maltraitent / Maltraitent :
dépêche-toi… J’ai travaillé 3 mois dans une société, 3 mois sans un jour de congé, de 6 h à
16 h tous les jours, dimanche compris ! Le temps que toutes les françaises prennent leur
congé. Après on pouvait prendre 1 mois, et puis après on n’avait jamais plus de congé, on
travaillait tous les jours… C’était à l’hôtel X ; en plus c’est des grands hôtels, pas des petits
hôtels, pas des bouibouis… J’ai travaillé là, sans m’arrêter, et puis un jour j’ai pas réussi à
me lever…ce jour là j’ai dormi toute la sainte journée et je me suis même pas rendu compte
que c’était l’heure d’aller bosser, rien, rien ! Je me suis levée le soir à 6 h ! J’ai appelé :
vous êtes renvoyée ! Bon j’ai eu juste à aller chercher mon salaire, voilà ». Dans
l’institution sociale où elle travaille maintenant, elle a entendu ces propos de la part d’un
collègue : « Oh ben toi, t’as qu’à manger ton couscous, pourquoi tu viens manger le pain
des français ? ». Khadija dit également qu’elle a rencontré le racisme dans le travail. Karim
exprime son incompréhension lorsqu’un employeur lui demande son origine : « c’est quoi le
rapport entre le travail et mes origines ? Mes origines, à la Préfecture, au commissariat,
okay, mais dans une boite de travail, moi je trouve que c’est…c’est abusé en fait ».
Toutefois deux personnes estiment qu’elles n’ont pas eu à subir ni racisme, ni
discrimination : Sarah parce que « je ne suis pas typée, paraît-il, je ne suis pas typée » (ce
qui est phys iquement vrai) et Sophie qui n’est pas typée non plus, et qui estime en plus que
- 103 -
son prénom français lui a permis de ne pas être trop identifiée comme maghrébine 224. Ainsi,
nous pouvons constater que lorsque les stigmates sont moins visibles, le racisme et al
discrimination sont moins présents.
Par contre, lorsqu’ils sont visibles, les stigmates qui disent l’origine, supplantent chez les
interlocuteurs des personnes rencontrées, un autre attribut de leur identité sociale, celui de la
nationalité française : « je suis française mais je ne passe pas ». Pourtant elles considèrent
cet attribut comme un élément important de leur identité personnelle : « Moi je me
considère française, je suis française ! ». C’est également un élément qui devrait faciliter la
reconna issance sociale ; c’est sans doute pourquoi Karim et les maris de Nora et Khadija
ont rapidement demandé la nationalité française qui apporte une certaine sécurité.
Mais bien que français, ils ne sont pas toujours bien perçus : « sortes d’agents troubles,
équivoques, ils brouillent les frontières de l’ordre national et, par conséquent, la valeur
symbolique et la pertinence des critères qui fondent la hiérarchie de ces groupes et leur
classement. Et ce que sans doute, on pardonne le moins à cette catégorie d’immigrés, c’est
précisément d’attenter à la fonction et à la signification diacritiques de la séparation que la
“pensée d’Etat”225 établit entre nationaux et non-nationaux »226.
Ce qui est d’abord perçu chez l’autre, c’est sa différence avec toute sa charge de
dépréciation. « La société lui dit qu’il fait partie du groupe le plus large, ce qui signifie
qu’il est un être humain normal, mais qu’en même temps il est dans une certaine mesure
“différent”, et qu’il serait vain de nier cette différence. Différence qui, cela va sans dire, a
d’ordinaire son origine dans cette même société, car elle n’importerait guère si elle n’avait
été collectivement conceptualisée… On lui dit qu’il est comme tout le monde et qu’il ne l’est
pas… Cette contradiction, cette farce, c’est son sort et son destin »227. Français, il reste
marqué par ce que Freud a appelé son étrangéité. Il est alors identifié par son interlocuteur à
un groupe que nous pourrions qualifier le groupe des maghrébins : « Le “maghrébin” se
comprend comme l’étranger des Français ou comme le bientôt-presque-Français auquel il
ne manque pas grand-chose pour l’être pleinement, sans toutefois jamais y parvenir […] Le
mot maghrébin condense la différence culturelle, la distance géographique, la position
sociale dominée, le passé colonial, bref les ingrédients d’une inadaptation aux normes
derrière lesquelles se profile une tentation xénophobe toujours contenue»228. Identifié par
son appartenance à un groupe social stigmatisé, « c’est la valeur de l’individu, donc son
image de soi, qui est plus ou moins sévèrement mise en question dans le cadre de cette
224
La collègue qui l’accompagnait à l’AVDL nous a même dit que vu son nom, son prénom et son physique, il était
possible de la prendre pour une personne de confession juive !
225
Sur la “pensée d’Etat ”, voir note 164, page 42.
226
SAYAD Abdelmalek, Immigration et « pensée d’Etat », 1999, page 13.
227
GOFFMAN Erving, Stigmate, 2001, pages 146 et 147.
228
GUENIF SOUILAMAS Nacira, Des beurettes, Paris, Hachette Littératures, 2003, pages 36 et 39.
- 104 -
identité prescrite »229 ; le sujet perçoit que cette identité sociale prescrite peut entraîner des
réactions négatives, parfois ouvertement racistes, ou discriminatoires.
En ce qui concerne le logement, la charge dépréciative que porte la personne à cause de son
origine, est encore alourdie par les représentations liées aux quartiers d’habitat social dans
lesquels nous retrouvons une forte concentration de populations d’origine étrangère ; à
cause des problèmes rencontrés dans ces quartiers, et bien que la plupart du temps ils
n’aient pas directement à voir avec le logement proprement dit, le sujet d’origine
maghrébine porte avec lui la difficulté pré-supposée à s’adapter à son environnement et à
s’approprier un logement.
Si à partir des récits des personnes que nous avons rencontrées, nous avons confirmation
que la discrimination liée aux origines ne se donne pas très facilement à voir en ce qui
concerne le logement, leur parcours et les difficultés rencontrées laissent entrevoir ce que le
GELD a appelé “un faisceau d’indices”. Chaque indice conduit les personnes à s’interroger,
explicitement ou implicitement, sur le poids de leur origine dans leurs difficultés à accéder à
un logement décent et un tant soit peu choisi.
Les logements indécents mais chers qui leur sont proposés dans le parc privé posent la
question du peu de reconnaissance et de respect dont elles font l’objet. Dans leur recherche
de logement social, la difficulté à déposer des dossiers recevables et les tentatives de
dissuasion à poser des demandes compte tenu des délais d’attente peuvent s’apparenter à
des refus de guichet. L’absence d’informations et l’impossibilité d’avoir un interlocuteur
découragent le demandeur , pouvant le conduire jusqu’au non-renouvellement de sa
demande. L’absence de transparence dans les processus et dans les décisions d’attribution,
et notamment le flou et les contradictions concernant les publics prioritaires, laissent penser
qu’il y a des différences de traitement et favorisent l’émergence du sentiment d’injustice. Le
refus des municipalités, relayé par les réservataires et les bailleurs, de loger des ménages
étrangers à leur commune (mais est-ce bien tous les ménages ?) donne l’impression d’être
indésirables. Les propositions ciblées dans des quartiers stigmatisés dans lesquels il y a déjà
une forte concentration de ménages d’origine étrangère, le sentiment de non-choix et la
difficulté de refuser une proposition qui ne convient pas, provoquent le sentiment d’être
identifié uniquement par son origine et poussé à vivre avec ceux qui sont considérés comme
semblables. La multiplication des exigences imposées peut donner le sentiment d’être
considéré comme “ménage à risques” (sans que le risque soit jamais clairement défini). Les
enquêtes sociales ne sont pas toujours justifiées par les revenus (Farida et son mari sont tous
les deux en CDI) et sont perçus comme des enquêtes de comportement « parce qu’on est
229
CAMILLERI Carmel, Stratégies identitaires, 2002, page 89.
- 105 -
arabe ». L’obligation de passer par un intermédiaire médiateur pour obtenir un logement
remet en cause les capacités d’autonomie.
Si l’ensemble de ces éléments soulève, chez les sujets concernés, des questions plutôt que
des certitudes, il n’en reste pas moins qu’ils ne sont pas sans conséque nce car
« indépendamment du degré d’insertion que ces populations atteignent dans la dimension
économique et relationnelle, c’est la discrimination dans le registre symbolique qui définit
leur spécificité »230. Nous allons donc essayer de voir quels sont les effets de la
discrimination telle qu’elle est perçue par les sujets, notamment en ce qui concerne leur
identité et leur intégration.
1.4 Identité, exclusion et intégration
La tension que les personnes ressentent entre l’identité sociale prescrite et leur identité
personnelle les oblige parfois à réinterroger leur identité. Vivre une double appartenance
culturelle n’est pas aisé surtout lorsqu’une des deux appartenances est stigmatisée et que
l’autre n’apporte pas une réelle reconnaissance sociale, le statut de “français tout court” leur
étant souvent refusé ; ce sont donc deux parties de soi auxquelles il est difficile de
clairement s’identifier, d’où le sentiment du « cul entre deux chaises ».
La stigmatisation des personnes issues de l’immigration maghrébine s’accompagne souvent
d’une absence de reconnaissance et d’un manque de valorisation, deux éléments essentiels
pour la constitution de l’identité. Ces déficits peuvent alors provoquer un sentiment
d’exclusion, exclusion réelle ou symbolique, comme l’exprime Sonia qui se sent exclue
bien qu’elle ait un logement et qu’elle soit en contrat de qualification : « C’est plein de
choses comme ça qui font que…qui font ce que vous êtes, enfin ce que vous êtes pour les
autres quoi ! Alors que moi…je m’estime (silence) Moi je me sens pas différente des gens en
général, je me sens pas différente, je me sens plus exclue que différente ! ».
Or, lorsque la question de l’exclusion est en jeu, celle de l’intégration n’est pas loin. A
partir du moment où l’identité française n’est pas pleinement reconnue aux personnes issues
de l’immigration maghrébine, leur intégration ne peut être également reconnue comme
aboutie et continue d’être interrogée, alors même que pour elles la question ne se pose pas.
Nous pouvons alors constater l’écart qui existe entre les perceptions des uns et des autres,
mesurer les difficultés de communication et nous inquiéter à la suite d’A. Sayad : « à
poursuivre une intégration qui, à proprement parler, ne dépend pas objectivement de la
volonté des agents, on risque de tout rater… L’invite à l’intégration, la surabondance du
discours sur l’intégration ne manquent pas d’apparaître aux yeux des plus avertis ou des
plus lucides quant à leur position au sein de la société et en tous les domaines de
l’existence, comme un reproche pour manque d’intégration, déficit d’intégration, voire
230
DE GAULEJAC Vincent, TAOBADA LEONETTI Isabel, La lutte des places, 1995, page 74.
- 106 -
comme une sanction ou un parti pris sur une intégration impossible, jamais totale et jamais
totalement et définitivement acquise»231.
La concentration des personnes d’origine maghrébine dans des quartiers stigmatisés vient
renforcer ce sentiment d’exclusion. Quand l’étranger est devenu français, « quand il n’y a
plus de dehors pour l’expulser, qu’est-ce qu’on fait ? On l’expulse dedans, on le met
dedans, on l’enferme… Ce n’est plus le dehors qui est à la fois fascinant et dangereux, ce
sont des boucles à l’intérieur de l’espace social »232. Selon Y. Grafmeyer, quelle que soit la
manière dont nous la définissons , la ségrégation est toujours un fait social de mise à
distance et une séparation physique 233. Le quartier devient alors emblème de l’étrangeté
menaçante à l’intérieur de la ville. Cette valeur symbolique du quartier explique
l’importance qu’il prend dans le discours des personnes et le besoin qu’elles ont de se situer
par rapport à lui. Malgré leur attachement à leurs communautés d’origine, la définition de
leur identité ne passe pas par les quartiers où elles sont regroupées. Cela nous amène à nous
poser la question des stratégies que les personnes mettent en place pour construire une
identité qui leur convienne et qui puisse être acceptée par les autres.
231
SAYAD Abdelmalek, La double absence Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, 1999, page 315 et 316.
HENRI Alain-Noël, Le point de vue des autres, dans DESIGAUX Jacques, SEFFAHI Mohamed (textes rassemblés
par), La ville à l’épreuve des quartiers, Rennes, Editions Ecole Nationale de la santé Publique, 1996, page 70.
233
D’après GRAFMEYER Yves, Sociologie urbaine, 1994.
232
- 107 -
2 REACTIONS A LA DISCRIMINATION ET STRATEGIES IDENTITAIRES
_________________________________________________________________________
En ouvrant ce chapitre, il nous faut rappeler que le recueil des récits a été centré uniquement
sur le parcours logement des personnes ; les stratégies identitaires que nous pouvons essayer
de mettre en lumière doivent être considérées dans ce contexte ; nous pouvons en effet
supposer que les difficultés d’accès au logement conduisent les personnes à mettre en place
des stratégies identitaires spécifiquement adaptées à leur recherche de logement, sans que
cela prévale pour l’ensemble de leur vie ; les enjeux ne seront en effet peut-être pas les
mêmes dans un autre contexte : « il faut donc comprendre qu’un même acteur puisse faire
appel à différents types de stratégie identitaire, successivement dans le temps, ou
synchroniquement, en fonction de l’enjeu qui est en cause »234. C’est pourquoi nous
n’étudierons pas les stratégies identitaires dans leur globalité. D’après ce qui nous a été dit,
nous allons tenter d’analyser les réactions développées face au sentiment de discrimination
et ce que cela traduit en termes de stratégies identitaires.
2-1 Les s tratégies identitaires : un domaine très vaste
La stratégie se définit comme « l’art de coordonner des actions, de manœuvrer habilement
pour atteindre un but » ; la définition en référence à la théorie des jeux en mathématiques,
parle d’« un ensemble de décisions prises en fonction d’hypothèses faites de comportement
des personnes intéressées par une conjoncture donnée »235. Cette dernière définition
présente l’avantage d’introduire la dimension d’interaction. Appliquée aux phénomènes
psychologiques et sociaux, la stratégie sous-entend « l’existence d’une certaine liberté
d’action des acteurs sur de possibles déterminismes sociaux ou existentiels »236. La notion
de stratégies identitaires postule que les acteurs sont capables d’agir sur leur propre
définition de soi. Dans « Stigmates », Goffman parle de la marge d’autonomie dans la
définition de soi qui permet au sujet d’intérioriser, de refuser ou de négocier l’emprise que
le stigmate va avoir sur lui. Ainsi, « tactiquement les acteurs vont réagir en fonction de la
représentation qu’ils se font de ce qui est mis en cause dans la situation, des enjeux et des
finalités perçues, mais également en fonction de l’état du système dans lequel ils sont
impliqués et qui fait peser sur eux une pression constante à agir dans tel ou tel sens »237.
Les typologies définissant les différents types de stratégies identitaires sont nombreuses et
varient d’un auteur à l’autre. Il serait long et fastidieux d’en faire une présentation
exhaustive d’autant plus que comme le dit C. Camilleri, les typologies n’ont rien de
définitif car « les individus aux prises avec ces problèmes sont des êtres vivants susceptibles
234
TABOADA-LEONETTI Isabelle, Stratégies identitaires, 2002, page 78.
Le Petit Larousse illustré 2005, Paris, 2004, page 1011.
236
TABOADA-LEONETTI Isabelle, 2002, page 48.
237
KASTERSZTEIN Joseph, Stratégies identitaires, 2002, page 31.
235
- 108 -
d’inventer indéfiniment de nouvelles réactions »238. De plus, les stratégies ne sont pas
indépendantes des paramètres de la personnalité des sujets concernés, d’où la nécessité
d’une certaine prudence dans l’utilisation de classifications. Nous avons donc choisi de
présenter ce que chaque personne a pu nous dire sur ses réactions face à la discrimination
avant de voir comment cela pouvait être relié à d’éventuelles stratégies identitaires.
2-2 Des réactions personnalisées face à la discrimination ou au racisme
Pour restituer les récits, nous les avons découpés, mélangés, indifférenciés 239; nous
souhaitons présenter ici les positionnements de chacune des personnes vis-à-vis de la
discrimination. C’est une façon de rappeler les limites de notre travail basé uniquement sur
le récit de dix personnes, ce qui ne nous permet guère de tirer des généralités. C’est aussi un
choix d’accorder un intérêt à chacun des positionnements, la parole des personnes étant,
nous le redisons, source directe de connaissances.
ü Samia prend du recul et relativise ce qui se passe tout en le minimisant. A propos de
l’élection d’avril 2002 et la présence de J.M. Le Pen au 2ème tour, elle dit : « Oh moi j’ai
pris du recul par rapport à ça, parce que je savais très bien qu’il ne passerait jamais au
2 ème tour, heureusement ; et puis en même temps on essaye de comprendre…mais bon, moi
j’en parlais plutôt sur le ton de la rigolade ! C’est vrai que la vie d’aujourd’hui, si on se
bouge pas, si on baisse les bras, on n’a rien ; que ce soit le travail, le logement, la qualité
de vie quoi en général, faut faire ses preuves, faut faire ses armes quoi… C’est vrai qu’en
ce moment on vit une période un peu difficile avec les élections mais bon il faut…il faut
passer au dessus quoi sinon on s’en sort pas (silence) Comment dirais-je ? Ça donne de
l’eau au moulin de l’autre quoi, donc faut dépasser la chose et pis faut se dire, on est là,
bien là (silence) On est comme tout le monde hein, on a le droit de vivre, de travailler, de se
loger, sans faire non plus une fixation en se disant que tout le monde est raciste ; je crois
qu’il y a aussi une part de responsabilité de chacun ; chacun aussi doit donner du sien ».
ü Malika a vécu douloureusement sa recherche d’un logement décent ; c’est sans doute elle
qui a le plus de difficultés à assumer la discrimination dans l’accès au logement car elle
estime ne pas les avoir subi ailleurs (« Il y a des têtes de cons partout » dit-elle cependant).
Elle parle d’injustice : « je suis dégoûtée… Il y a quelques années je serai descendue dans
la rue… J’en ai pleuré, j’en ai été malade ». Elle a essayé d’être revendicative, sans doute
agressive, mais elle a été « marquée d’une croix rouge » ; alors « aujourd’hui je reste la
même, je rentre avec le sourire, je sors avec le sourire, je me laisse plus avoir… Ils peuvent
bien faire ce qu’ils veulent, je m’en fiche ». Son insistance à affirmer son identité française
238
239
CAMILLERI Carmel, Stratégies identitaires, 2002, pages 110.
Même si nous avons tenu à chaque fois à préciser quel était l’auteur des paroles restituées.
- 109 -
peut paraître comme un besoin de se faire reconnaître à tout prix dans son appartenance la
plus attaquée, la plus remise en cause.
ü Sonia se pose beaucoup de questions ; elle a été confrontée à des situations concrètes de
racisme et de discrimination à différents niveaux, alors « ça me fait râler, je ne crois pas
que je me fais des films, je suis déçue ! J’essaye de ne pas être parano ». Elle essaye de
gérer au mieux les situations de discrimination : « ça va me vexer mais je reprends sur moi,
j’essaye de comprendre la chose…de me mettre à la place de ces personnes là, et puis
de…de relativiser…de pas…de…enfin ouais… Je ne vais pas dire tous les jours je
combats…etc (rires) Bien sûr que non, mais je sais qu’il y a des gens, ils sont pires que moi,
c’est ce que je me dis… Je ne suis pas non plus acharnée sur mon sort (rires) ! Donc voilà,
j’arrive plus ou moins à m’en sortir…». Pourtant Sonia porte en elle une appréhension
permanente quant à l’impact de son origine sur ses relations, son travail : « j’ai toujours
besoin de prouver que je ne suis pas comme ce qu’on croirait ». Sonia essaye d’aller vers
les autres et de faire en sorte d’en parler, « de casser un peu le tabou » par le dialogue, car
« la communication est importante, surtout à ce niveau là ». Ainsi faisant, Sonia adopte une
attitude prônée par Goffman : « Dés lors, donc, que l’individu stigmatisé s’aperçoit que les
normaux qui l’entourent ont de la peine à oublier son imperfection… c’est à lui de “briser
la glace” en montrant, par la façon qu’il a de parler ouvertement de son état, qu’il sait
s’en détacher pour mieux s’en accommoder »240. Sonia essaye aussi de trouver sa place et
cherche à être autonome, les difficultés rencontrées jouant un rôle de stimulant : « Moi ça
me donne envie de plus…ben…je vais pas vous dire d’évoluer, mais ça me donne plus envie
de…ben oui, d’évoluer dans mon quotidien, dans mes études, et dans tout ce que je fais en
fait, pour justement acquérir ce que je veux après…comme un appartement… Donc je me
dis ça me donne plus envie…pas la rage, mais plus envie de…de continuer et d’aboutir à ce
que je veux ! Donc si vous voulez je suis obligée de…de fixer des objectifs (rires) ! Je suis
obligée…tant mieux, parce que bon, sans objectif on ne va pas très loin ! Tant mieux…mais
bon, c’est un peu dommage ! ».
ü Farida a vécu plusieurs situations de racisme, à l’école (elle a réagi en refusant de
travailler) et au travail (elle a réagi de manière virulente puis humoristique), mais en ce qui
concerne le logement « moi je m’y refuse à ça…non, je veux pas y penser, je veux pas peutêtre l’admettre aussi…pas dans les HLM, dans le secteur privé je veux bien mais si il y a ça
dans les HLM c’est pas normal ». Malgré ce positionnement qui évoque la négation du
problème, elle estime pourtant qu’il n’y a pas beaucoup de changements entre la situation
de ses parents et la sienne, voire une régression. Elle est consciente que « les arabes »
doivent faire leur preuve mais elle réagit vivement lorsque des personnes l’interpellent sur
240
GOFFMAN Erving, Stigmate, 2001, pages 138-139.
- 110 -
son intégration. Pour sa fille, elle refuse la pression des jeunes de quartier, elle rejette
l’intégrisme.
ü Sarah pense que le racisme se comprend vu le comportement de certains jeunes : « moi je
vois, je rencontre ça partout en sortant dans le métro et tout, plusieurs fois je m’accroche
avec des petits jeunes, je résiste pas, j’interviens ! Une fois il y avait 2 jeunes qui tapaient
contre le côté chauffeur du métro, ils faisaient les fous…j’ai pas pu résister, rien dire ; les
gens ils restent à rien dire, ils ont trop peur ; alors j’ai commencé à rouspéter : c’est pas
intelligent ce que tu fais tout ça ; sauf que là ce que je dis c’est grave, j’ai dit : mais c’est
normal que Le Pen il monte, même moi je vote Le Pen je lui dis, je suis la 1ère à voter Le
Pen, je fais la guillotine moi, j’appuie dessus, c’est moi qui te coupe la tête ; je lui fais
comme ça et puis je me suis énervée… Alors en sortant du métro il y avait une dame… une
française hein, en sortant elle me dit : merci Madame (rires) C'est-à-dire qu’elle peut pas la
pauvre parler, elle a trop peur, elle a trop peur, et voilà il faut bien que quelqu’un le fasse
aussi… Bon je voterai pas Le Pen (rires) donc c’est pas possible mais c’est pour leur faire
comprendre pourquoi il y a eu… pourquoi il y a eu ça ». Sarah n’accepte pas la violence
qu’elle juge « gratuite » ; elle ne trouve pas d’excuses aux jeunes délinquants d’origine
maghrébine et comprend la réaction des bailleurs face aux dégradations ; si elle était
propriétaire, elle ne serait pas sûre de louer à des arabes. Cette désolidarisation de son
groupe d’appartenance traduit une forte volonté d’assimilation.
Nous pouvons constater que les deux femmes (Sarah et Nora) qui ont vécu quelques années
“forcées” en Algérie, sont les deux qui cherchent le plus à manifester leur assimilation à la
société française, soit qu’elles aient pris pleinement conscience en Algérie de la coupure
avec leur culture d’origine, soit aussi qu’elles se sentent redevables et qu’elles aient besoin
de prouver qu’elles ont bien leur place en France. Pour le reste, la vie de Sarah n’a pas été
facile : « j’ai combattu moi dans ma vie (rires) Ah oui, oui, j’ai été parmi les femmes (rires)
qui sont connues, décorées pour la patience, j’ai eu beaucoup de patience, de volonté ».
ü Mehdi laisse apparaître une certaine résignation ; pour lui il n’y a pas grand-chose à
faire pour faire face à la discrimination ; les associations comme l’AVDL sont là pour
défendre les personnes qui en ont besoin et pousser les candidatures des demandeurs de
logement. Lui estime n’avoir pas eu de problème d’intégration mais reconnaît que certains
jeunes en ont, même si les torts sont sans doute partagés, tout le monde ayant la possibilité
de s’intégrer, dans tous les domaines.
ü Abiba et Karim essayent de comprendre les mécanismes de la discrimination, Karim
tente même de les analyser ; selon lui l’intégration ne peut fonctionner que dans les deux
sens, et c’est bien la définition que nous avons essayé d’en donner dans notre 1ère partie ;
nous avons en effet vu que l’ intégration sous-entend l’idée d’ajustements réciproques entre
les parties : « Ils doivent m’intégrer quoi ; je voudrais que vous vous intégriez avec moi,
- 111 -
mais moi je vous prépare parce que je vous aime, je vous accueille pour m’aimer, je vous
donne l’occasion, je vous donne la base, mais si il n’y a pas de base, quelle intégration ?».
Abiba est défaitiste : « c’est l’injustice qui fait qu’il y a toujours de la violence, c’est
toujours un cercle vicieux, ça se terminera jamais ». Elle estime qu’« il faut toujours
donner des preuves qu’on est comme les autres ».
ü Sophie n’a pas vraiment vécu racisme ou discrimination grâce à son prénom dit-elle ;
mais comme Karim, elle pense que si les immigrés doivent faire des efforts pour s’intégrer,
la société d’accueil doit les y aider en commençant « par ne pas les mettre ensemble ». Elle
estime que les immigrés, « ils viennent d’ailleurs, c’est difficile d’en faire de bons
citoyens ». Elle est inquiète pour l’avenir des jeunes garçons des quartiers qui ne veulent
pas s’intégrer. Elle comprend les réactions de rejet et la méfiance des bailleurs à cause « des
petits voyous, des petits délinquants » ; il y a « un engrenage, et c’est ceux qui n’ont rien
fait qui payent pour les autres ».
ü Nora est la seule qui n’aborde pas la question de la discrimination, ni celle du racisme. A
son retour d’Algérie, son père l’a prévenu que la vie était très difficile en France : « il m’a
dit : ici c’est vraiment dur, on travaille pour donner ! Il a eu raison hein, c’est vrai que la
moitié de notre paie part directement dans les charges ». Du coup, Nora qui ne veut pas
décevoir son père, se donne à fond pour réussir sa réintégration en France : « ça m’a
vraiment éveillée, je crois que c’est ça qui m’a donné la volonté de bouger » ; et en effet,
elle n’a eu de cesse de bouger et de se battre pour travailler, avoir un logement… « Quand
on veut, quelque soit les difficultés, on peut trouver hein ; moi si je veux quelque chose, je
l’aurai, je sais que je l’aurai… Quand on veut avoir quelque chose, on travaille ». Elle veut
montrer qu’elle s’en sort mais nous avons senti de la souffrance derrière la façade et une
certaine fragilité derrière la solidité et la volonté affichées : « je peux pas dire que je
suis…heureuse toujours ; des fois, on est triste…mais je le faisais jamais montrer, enfin j’en
parlais pas…jusqu’à réussir ! ». Nora donne l’impression d’être dans une telle recherche
d’assimilation qu’elle ne peut même pas se permettre d’envisager la discrimination (ce qui
peut laisser supposer un cas de négation de la discrimination).
ü Khadija a vécu le racisme dans son quartier lorsqu’elle était enfant, puis la discrimination
dans sa recherche de logement même si « les choses ne sont pas dites franchement ».
Résultat, « c’est décevant … C’est dur…on le vit quoi, mais bon après on passe, on se dit il
faut pas s’arrêter là ; et puis moi je suis du caractère, je me dis ne t’arrête pas là, Lyon
c’est une grande ville, il y a des cons partout, il y a des gens bien partout… Ça fait
mal…mais bon, je me suis pas arrêtée là parce que je suis quand même une…une battante ;
et puis bon je ne baisse pas les bras, je suis autant française que les autres ». Pourtant
Khadija s’est interrogée sur son identité ; elle se sent « le cul entre 2 chaises » même si il
ne « faut pas se poser une étiquette à soi-même ». Ses amis lui disent : « ne te rabaisse
- 112 -
jamais, même si t’es plus pratique que technique, dis-toi toujours que tu es française ! ».
Aujourd’hui, Khadija est inquiète de l’évolution des politiques vis-à-vis des immigrés, « ça
fait peur » ; elle n’est pas complètement rassurée sur ce qui peut leur arriver malgré leur
nationalité française. Pourtant par ailleurs, Khadija comprend aussi les bailleurs, les
réactions de rejet et le racisme qui se développent à cause des problèmes de délinquance ;
elle juge sévèrement les jeunes des quartiers. « Il ne faut pas trop dire c’est la France, c’est
les flics, c’est raciste et tout ça ; non, et après c’est pour ça nous les logements on n’arrive
plus, alors ils nous généralisent, on a une étiquette et c’est dur pour nous… Faut pas tout
prendre au 1er degré…On a rien sans rien, il faut bouger ! ». C’est avant tout une histoire
personnelle, il ne faut pas non plus être trop exigeant et demander l’impossible !
A partir de ces réactions individualisées, nous allons essayer de faire une analyse plus
globale afin de dégager quelques tendances communes.
2-3 Deux objectifs majeurs : le logement et la reconnaissance de leur intégration
Malgré la prise de conscience des phénomènes de discrimination dans le logement, les
personnes ont tendance à les minimiser, voire à les nier, préférant évoquer des doutes que
des certitudes. Plusieurs hypothèses sont possibles pour expliquer ce comportement. Nous
avons vu que la discrimination, surtout lorsqu’elle fonctionne de manière systémique
comme cela semble être le cas pour l’accès au logement social, n’est pas facile à prouver ;
l’absence d’acteurs clairement identifiables comme racistes est un phénomène déconcertant
et complexe qui ne laisse pas beaucoup de place à l’action directe pour s’opposer à la
discrimination.
Nous pouvons aussi supposer que les personnes rejettent quelque chose de difficile à
supporter en refoulant la discrimination, tel un mécanisme de défense : «Dans nos
recherches empiriques, l’expérience du racisme est corrélée avec l’angoisse d’une façon
significative. Deux formes de réactions ont été observées : la première consiste à écarter ou
supprimer consciemment l’information ou l’expérience angoissante, la seconde à refouler
ou supprimer inconsciemment l’objet de l’angoisse… On nie l’existence du racisme, on
minore les effets de la stigmatisation, on oublie ou on déréalise la discrimination, on
transforme la réalité pour pouvoir la supporter »241.
Enfin, nous pouvons penser que les demandeurs de logement ne souhaitent pas s’opposer de
front à la discrimination, ni polémiquer, mais seulement obtenir le logement qu’ils
attendent. Compte tenu de l’importance du logement-habitat dans la vie que nous avons mis
en évidence dans notre 1ère partie, nous pouvons penser qu’ils se positionnent avec
pragmatisme en fonction de leurs priorités. « J’ai rien dit, parce que bon je me disais, si elle
me donne l’appartement, pourquoi pas ! » dit Sonia par rapport au choix du quartier
241
MALEWSKA-PEYRE Hanna, Stratégies identitaires, 2002, page 122 et 123.
- 113 -
déterminé pour elle par le bailleur. « Si ils me donnent ce que je veux (rires) c’est fini on
n’en parle plus » dit Farida à propos de l’enquête sur le comportement qu’elle attribue
pourtant au fait d’être « arabe ». « Il y a eu des gens qui ont eu des problèmes de
discrimination, je ne sais plus à quel OPAC, ils sont partis carrément à SOS Racisme… moi
je dis j’en viendrai pas là parce qu’il ne faut pas non plus trop rentrer dans le…les
commissions, elles donnent des logements à des familles maghrébines tout ça mais faut
pas…mais moi je dis je finirai par trouver » dit Khadija.
D’après l’enquête menée par la Fonda Rhône-Alpes à laquelle l’AVDL a participé, « les
ménages sont prêts à accepter de satisfaire à toutes les exigences, même en les sachant
iniques »242. Les personnes estiment sans doute qu’elles ne doivent pas s’opposer aux
bailleurs si elles veulent finir par obtenir un logement, le rapport de force étant par trop
inégal ; nous avons vu qu’elles n’obtiennent plus de logement lorsqu’elles vont un peu loin
dans la revendication. En terme de stratégie identitaire, nous pouvons penser que vis-à-vis
des bailleurs, l’objectif des personnes est le recours à ce que J. Kastersztein appelle
l’anonymat : « le recours à l’anonymat, source de dilution de la responsabilité, est fréquent
dans les organisations où toute prise de risque peut entraîner des conséquences néfastes
pour les acteurs »243. Selon A. Sayad, « rassurer les dominants est incontestablement le
prix qu’il faut payer pour assurer sa propre sécurité (toute relative) »244; cette fonction est
assurée en partie par les associations comme l’AVDL par le biais de l’accompagnement
social qui permet de rassurer le bailleur sur les potentialités du candidat à être un bon
locataire.
De manière plus large, il nous semble que les personnes se positionnent avant tout dans une
quête de reconnaissance de leur identité française (au-delà d’une simple question de
nationalité) dont elles revendiquent l’appartenance. Elles recherchent plutôt la similarisation
et la conformisation que la différenciation, affirmant souvent qu’elles ne sont pas
différentes. Mises en demeure, par l’effet de la stigmatisation, de tenir compte de leur
identité maghrébine, elles minimisent, sans les renier, l’importance de ce qui peut encore les
différencier du système social dominant (l’attachement au pays d’origine, la pratique
religieuse…). Elles acceptent certains attributs dévalorisants, se désolidarisant de leur
communauté d’origine pour tout ce qui concerne l’éducation des enfants et la délinquance
des jeunes : « Certains évacuent l’identité négative en s’assimilant au favorisé et en
transférant l’injonction dévalorisante de celui-ci sur les autres membres de leur ethnie,
dont ils se séparent ou tentent de se séparer : c’est, pour ainsi dire, l’“identité négative
déplacée”»245.
242
Fonda Rhône-Alpes, Juin 2003, page 12.
KASTERSZTEIN Joseph, Stratégies identitaires, 2002, page 34.
244
SAYAD Abdelmalek, Immigration et « pensée d’Etat », 1999, page 12.
245
CAMILLERI Carmel, Stratégies identitaires, 2002, pages 89-90.
243
- 114 -
Mais le fait de situer les problèmes essentiellement au niveau des quartiers stigmatisés, leur
permet peut-être d’éviter un rejet total qui pourrait créer des tensions internes trop
importantes puisque globalement elles ne renient pas le urs origines ; elles limitent et
circonscrivent le rejet aux quartiers stigmatisés dans lesquels, en toute cohérence, elles ne
veulent pas aller habiter. Cette attitude peut également relever d’une recherche
d’incomparabilité par déplacement de l’image négative vers un lieu avec lequel les
personnes concernées n’ont rien à voir ; cela permet au sujet d’éviter la comparaison là où il
s’estime mal placé ; lui est intégré et n’a pas de lien avec ceux qui refusent l’intégration.
Cela nous permet de mieux comprendre l’enjeu de leur positionnement vis -à-vis des
quartiers stigmatisés.
Cependant, le fait d’accepter, si ce n’est pour elles-mêmes, au moins pour certains membres
de leur communauté d’origine, le fait que la discrimination puisse se comprendre, n’est pas
sans effet. Les personnes prennent beaucoup sur elles-mêmes ; elles remettent peu en cause
le fonctionnement de la société et les perceptions à leur égard, mais cherchent à améliorer
leur condition en y consacrant beaucoup d’efforts et d’énergie : « si on se bouge pas, si on
baisse les bras, on n’a rien ; j’ai combattu moi dans ma vie ; quand on veut, quelles que
soient les difficultés, on peut ; j’ai bougé, bougé, bougé ; je serai capable de bouger tant
que j’ai la force et tout, ouais je serai capable ; on a rien sans rien, il faut bouger ». Ainsi
tout devient une affaire personnelle et l’accès au logement qui leur convient dépendra de
leur propre capacité à se bouger.
Les personnes s’inscrivent toutes dans une logique d’assimilation ; nous avons vu
éga lement que les maris venus du Maghreb demandent très vite la naturalisation ; cette
stratégie peut être comprise comme « des tentatives individuelles d’appropriation des
instruments sur lesquels le majoritaire fonde sa place sociale… qui vont permettre au
minoritaire d’endosser les attributs valorisants de sa nouvelle identité et de rejeter comme
inapproprié l’identité négative attachée à son groupe d’origine »246. Mais il peut également
s’agir tout simplement d’un souci pragmatique de mettre toutes les chances de son côté en
mesurant l’intérêt qu’il y a à s’affilier au groupe dominant et à s’adapter à l’environnement :
« maintenant là avec la Droite et tout…ils changent beaucoup de choses et je vous le dis,
c’est très dur maintenant pour les arabes ; non je dis “arabes”, c’est péjoratif, mais c’est
dur pour nous si on n’a pas la nationalité ».
C. Camilleri parle d’“opportunisme limité” pour évoquer ces “stratégies de l’alternance
conjoncturelle des codes ou des registres”, c’est-à-dire l’adoption des références d’un
système ou de l’autre en fonction des situations dans lesquelles la personne se trouve. Pour
A. Sayad, « l’enjeu semble être de se donner à soi-même et de donner de soi au moyen de
246
TABOADA-LEONETTI Isabelle, Stratégies identitaires, 2002, page 74.
- 115 -
stratégies de simulation et de dissimulation, de “faire semblant”, de bluff, l’image qui plaît
et dans laquelle on se complaît, l’image que l’on veut la plus conforme à ses intérêts
matériels et symboliques, l’image la moins éloignée de l’identité dont on se réclame »247.
Selon Goffman, « en tant qu’acteurs, les individus cherchent à entretenir l’impression selon
laquelle ils vivent conformément aux nombreuses normes qui servent à les évaluer »248 ; le
sujet stigmatisé est ainsi « obligé de surveiller et de contrôler l’impression qu’il produit »249
mais cette attitude est parfois très pesante. Samia, Farida, Sonia et Abiba expriment très
clairement la difficulté d’être toujours en représentation : « Faut faire ses preuves, faut
faire ses armes. J’ai toujours besoin de prouver que je ne suis pas comme ce qu’on croirait.
Il faut toujours donner des preuves qu’on est comme les autres ».
L’enjeu majeur pour un demandeur de logement d’origine maghrébine qui veut atteindre
son but (un logement), ce n’est pas de lutter contre la discrimination, c’est plutôt de
s’appliquer à donner de lui l’image la plus conforme à celle attendue par le bailleur, l’image
du bon locataire dont le comportement ne posera pas de problème. Les intervenants sociaux
de l’AVDL l’ont bien compris et s’appliquent à transmettre des conseils dans la façon de se
présenter et de valoriser ses atouts positifs aux yeux du bailleur, afin de contrer l’image
négative a priori.
Bien qu’elle ne semble pas toujours comprise par les réservataires ou les bailleurs, la
volonté des personnes de ne pas aller dans les quartiers stigmatisés s’inscrit également dans
cette logique de l’assimilation et du refus de la stigmatisation ; c’est également un moyen de
résister à la discrimination ; ainsi, même si ils ne s’y opposent pas de front, les demandeurs
de logement manifestent des modes de résistance face à la discrimination, notamment par
leur refus d’aller vivre dans des quartiers stigmatisés.
2-4 Tentative de schématisation du processus
Après avoir repéré quelles perceptions les personnes rencontrées avaient de la
discrimination vis-à-vis de leur origine, notamment en ce qui concerne le logement, nous
avons étudié les effets que cette perception provoquait sur leur identité et leur intégration.
Nous avons essayé de schématiser le processus que nous avons pu observer au cours de
cette recherche afin de mettre en lumière les liens qui nous sont apparus entre logement,
discrimination, identité et intégration, ainsi que leurs conséquences.
Le parcours logement des personnes rencontrées a été marqué dans leur enfance par des
conditions de logement difficiles, comparables à une grande partie des immigrés
maghrébins : cités de transit, logements insalubres, surpeuplés, démolitions… Tous les
parents terminent leur parcours dans le logement HLM, la plupart d’entre eux dans des
247
SAYAD Abdelmalek, Immigration et « pensée d’Etat », 1999, page 10.
GOFFMAN Erving, La mise en scène de la vie quotidienne 1. La présentation de soi, 2001, page 237.
249
GOFFMAN Erving, Stigmate, 2001, page 26.
248
- 116 -
quartiers non ou pas trop stigmatisés. Devenues adultes, les personnes connaissent
également des conditions de logement difficiles, le plus souvent dans le parc privé de
mauvaise qualité ; elles cherchent ardemment un logement dans le parc social mais restent
très fermes sur leur exigence : ne pas aller dans les quartiers stigmatisés où il y a une forte
concentration de populations d’origine étrangère et de nombreux problèmes sociaux. Elles
se heurtent à de nombreuses difficultés d’accès au parc social : délais d’attente très longs,
absence de suivi et de maîtrise de leur demande, propositions ciblées, absence de choix…
Ces trois éléments (mauvaises conditions de logement, difficultés d’accès au parc social,
concentration des populations d’origine maghrébine dans les quartie rs stigmatisés)
provoquent chez les sujets un sentiment de discrimination liée à leur origine ; ce sentiment
est plus ou moins explicite, souvent minimisé voire nié. Pourtant c’est bien la
discrimination qui fait que les personnes s’interroge nt sur leur identité ; elles sont
confrontées à un écart important entre leur identité personnelle (telle qu’elles se perçoivent
et se reconnaissent), leur identité sociale réelle (français) et l’identité sociale prescrite
stigmatisante, celle qui leur est sans cesse renvoyée avec toute la charge dépréciative
qu’elle comporte (français d’origine maghrébine). Non considérés comme français “tout
court” ou français à part entière, leur intégration est sans cesse interrogée comme si elle
n’était jamais définitivement acquise.
Dés lors, les personnes que nous avons rencontrées n’ont de cesse d’accéder au logement
social dans un quartier non stigmatisé et de faire reconnaître leur intégration. Nous pouvons
comprendre ces attitudes comme une forme de résistance à la discrimination par le refus du
regroupement stigmatisant et le refus de ce qui pourrait être considéré comme un
déclassement social ; c’est également un moyen de préserver leur intégration dont elles
attendent reconnaissance, et celle de leurs enfants.
- 117 -
Mauvaises
conditions
de logement
Difficultés
d’accès au parc
social
Concentration des
populations d’origine
maghrébine dans les
quartiers stigmatisés
SENTIMENT DE
DISCRIMINATION
Français
Ecart entre identité personnelle
et sociale réelle,
et identité sociale prescrite
Français d’origine maghrébine
Charge dépréciative
stigmatisante
INTEGRATION INTERROGEE
Recherche d’assimilation, similarisation,
conformisation ; négation de la différence
Rejet de la partie « défaillante » de la communauté d’origine
Résistance à la discrimination par le refus
du regroupement communautaire et du
déclassement social
Volonté d’accès au parc social
non stigmatisé
- 118 -
3 ENVISAGER LA LUTTE CONTRE LA DISCRIMINATION
_________________________________________________________________________
Au terme de ce travail de recherche, nous pouvons oser quelques préconisations, fruits de
nos observations et de notre réflexion, parfois partagées par d’autres. En effet, notre
investissement dans cette recherche a nécessité une distance vis-à-vis du terrain mais il s’est
également nourri des implications que nous avons pu avoir dans des groupes de travail ou
des actions que nous avons pu initier à l’AVDL ; cette double implication nous permet
d’avancer quelques pistes pour tenter d’enrayer ce problème de discrimination liée à
l’origine dans le logement.
« Ce qui est en jeu n’est pas que le règlement de litiges individuels, mais l’engagement de
l’ensemble des acteurs sociaux dans un processus de prise de conscience de la société toute
entière dans un travail sur elle-même » nous dit J.M. Belorgey250. Il nous semble
effectivement que le préalable à tout engagement dans la lutte contre les discriminations
doit être un travail sur les représentations, travail personnel et collectif à tous les niveaux ;
ce travail sur nos représentations (de l’immigration, des immigrés, des personnes d’origine
étrangère, notamment maghrébine…) doit permettre de résister aux
amalgames,
catégorisations et autres enfermements. Des outils existent pour mener ce travail sur les
représentations, notamment le théâtre, le théâtre forum, les jeux de rôle… Il peut se faire
également au sein de formations spécifiques en vue de prévenir et réduire les
discriminations. Ce travail de vrait être en priorité mené dans toutes les instances qui
travaillent avec des populations issues de l’immigration, y compris celles qui sont là pour
les aider et les accompagner. Il doit se faire aussi dans le cadre d’une démarche
d’intercompréhension : « S’agit-il de donner successivement la parole au préfet, au
représentant du patronat, à celui ou à celle des enseignants, des médecins, des pécheurs à
la ligne, etc., pour que chacun exprime le point de vue propre de sa catégorie ? Dans ce cas
il ne se passe rien : la grille de ce qui existe a été passée en revue, toutes les cases du
quadrillage techno-administratif sont remplies, et il n’y a aucune innovation. Si au
contraire est mise en œuvre une démarche d’intercompréhension, c’est-à-dire si, autour de
la table, chacun se laisse déstabiliser de sa case en interrogeant et d’abord en
s’interrogeant lui-même du point de vue de l’autre, alors peuvent naître, de cette
disjonction/jonction, des propositions inédites »251.
250
251
BELORGEY Jean-Michel, Lutter contre les discriminations – Stratégies institutionnelles et normatives, 2001, page 81.
BLANQUART Paul, Une histoire de la ville, 1997, page 182.
- 119 3-1 Au niveau de l’Etat et des colle ctivités territoriales
Si l’Etat a commencé à s’engager dans la lutte contre les discriminations , l’ensemble des
collectivités territoriales est également concerné , aussi bien par les questions de
discrimination que celles liées au logement : « les Mairies semblent jouer un rôle important
dans le déblocage, ou au contraire la crispation des phénomènes discriminatoires »252.
C’est donc l’ensemble des élus et leurs instances techniques qui doivent s’engager dans la
lutte contre la discrimination.
ü Un premier champ d’actions porte sur le volet même des discriminations ; il s’agit
d’afficher un discours clair et sans ambiguïté contre la discrimination et de se donner de
véritables outils de lutte dont l’efficacité soit réelle. Pour être effic iente , la HALDE devra
associer tous les acteurs engagés dans la lutte contre les discriminations et être représentée à
tous les échelons territoriaux. Elle devra autoriser des études fines à partir des patronymes
pour mesurer, à partir d’indicateurs précis, les discriminations ressenties, estimées ou
avérées ; coordonner des groupes de travail sur la question des discriminations afin
d’élaborer des diagnostics partagés et rechercher des solutions 253 ; organiser des campagnes
de sensibilisation des propriétaires et des citoyens ; réaliser des campagnes de formation des
professionnels 254; intervenir sur toute suspicion de discriminations en utilisant tous les outils
disponibles, y compris les recours en justice.
ü Le deuxième champ d’actions porte sur l’interculturalité qu’il s’agit de favoriser au-delà
des simples aspects folkloriques. Dans la notion d’interculturalité, il est sous-entendu que
« les diverses origines s’ouvrent les unes aux autres sans se dissoudre : chacune se
réinterprète à neuf dans sa particularité grâce à ces influences, provoquant de la sorte des
échanges stimulants et féconds pour tous, pour le bien d’une humanité à la fois commune et
foisonnante »255. L’annonce le 8 juillet 2004 de la création de la Cité nationale de l’histoire
de l’immigration va dans ce sens mais ne peut suffire 256. C’est tous les jours, au plus près du
terrain et des citoyens qu’il est nécessaire d’envisager l’interculturalité.
ü Le troisième champ d’actions porte sur la question du logement ; Patrick Simon rappelle
que « les discriminations s’expriment d’autant plus durement dans le domaine de l’habitat
que celui-ci est un bien rare et cher, et que sa localisation fait l’objet d’une concurrence
pour accéder aux secteurs les plus prestigieux, ou tout simplement mieux équipés et les
mieux habités »257. La situation de crise actuelle ne peut donc qu’exacerber les
discriminations ; elle appelle la nécessité de réaffirmer le droit au logement comme droit
252
Fonda Rhône-Alpes, Juin 2003, page 3.
Sur Villeurbanne, un groupe de travail sur les discriminations liées à l’origine se réunit depuis quelques mois à
l’initiative de l’adjoint à la Démocratie locale ; les avancées sont très lentes car les résistances sont très fortes mais
des actions concrètes sont attendues.
254
Un dispositif de formation des acteurs a déjà été mis en place par le FASILD en 2003, pour prévenir et réduire les
discriminations sur le marché du travail ; un autre concernant le logement se met en place en 2004, en lien avec
l’Union Sociale pour l’Habitat.
255
BLANQUART Paul, Une histoire de la ville, 1997, page 181.
256
L’objectif de cette Cité qui comprendra musée, expositions, séminaires, colloques et spectacles, est la
reconnaissance de l’histoire de l’immigration dans la construction de la nation française.
257
SIMON Patrick, Les discriminations ethniques dans la société française : une synthèse, IHESI, avril 2000.
253
- 120 fondamental et priorité nationale. Une telle déclaration doit être suivie d’actions concrètes ;
il s’agit avant tout de favoriser la construction d’une offre de logements adaptée à la
demande dans le diffus. Des interventions sur le coût du foncier permettraient aux bailleurs
sociaux d’acquérir plus facilement des terrains. Un meilleur encadrement du marché du
logement permettrait de limiter le niveau des loyers.
Parallèlement, il faut poursuivre le travail engagé contre l’enclavement des quartiers
stigmatisés et restaurer leur image ; pour ce faire, il serait souhaitable de s’appuyer sur les
capacités et les potentialités des habitants. Plutôt que de viser un utopique mélange des
populations, ne faut-il par rechercher avant tout l’égal accès de tous aux biens, aux services,
aux transports, quelque soit les lieux de résidence ? Pour concilier le droit au logement et le
droit à la Ville, il faudrait faciliter les mutations au sein du parc HLM et faciliter le passage
d’une commune à l’autre. Cela permettrait de lutter contre le sentiment d’assignation à
résidence et favoriserait le parcours logement des personnes peu fortunées.
Enfin, le renforcement des pouvoirs de la commission de médiation nous parait
indispensable ; nous avons vu en effet que les recours émanaient en majorité de personnes
issues de l’immigration ; la commission devrait disposer d’un pouvoir de coercition afin
d’obliger les bailleurs à faire des propositions en priorité aux personnes ayant dépassé le
délai d’attente anormalement long.
Ces actions de terrain ne pourront trouver leur efficacité que si dans le même temps,
chercheurs et acteurs du logement et de la Ville travaillent à inventer un autre concept que
celui de mixité sociale. Nous avons vu en effet combien cette notion pêche par son manque
de définition et de précisions, et comment elle peut desservir l’accès au logement des
popula tions d’origine étrangère. Il nous semble que nous pourrions travailler sur la notion
du vivre ensemble car c’est bien notre capacité à vivre les uns avec les autres avec nos
différences qui est interrogée aujourd’hui.
3-2 Au niveau des bailleurs sociaux
Nous avons vu l’importance du logement social pour les personnes issues de l’immigration
aux petites ressources258 ; nous estimons que les organismes HLM devraient encore mieux
assumer ce rôle et ses conséquences. L’Union Sociale pour l’Habitat s’est investie dans un
programme européen EQUAL 259 pour la prévention des discriminations dans le logement
social dont nous attendons les résultats. De notre point de vue, plusieurs actions paraissent
envisageables :
ü Produire une offre adaptée de logements.
ü Améliorer l’accueil des demandeurs et faciliter l’enregistrement des dossiers ; après le
numéro départemental unique, pourquoi pas un dossier unique, un imprimé identique,
complété des mêmes pièces justificatives pour tous les bailleurs d’un département ?
258
Plus de la moitié des ménages du Maghreb logent en HLM ; d’après l’enquête logement 2002, citée par Pierre
PEILLON, Droit au logement ? Qu’en avons-nous fait ?, Economie et Humanisme n°368, mars-avril 2004, page 25.
259
EQUAL est un programme d’application et de financement de la stratégie européenne de lutte contre les
discriminations.
- 121 ü Informer les demandeurs du suivi de leur demande et des éventuelles difficultés
particulières liées à leur candidature.
ü Améliorer la transparence du marché du logement social : aujourd’hui les ménages
postulent auprès de différents organismes HLM sans savoir pour quel logement ; ils
ignorent tout des disponibilités réelles et ce n’est pas le peu d’informations qui leur est
donné (voir 2ème partie) qui leur permet de connaître précisément les délais, les lieux, les
coûts des loyers… Améliorer la transparence sur la situation du marché est donc un élément
important pour éviter en amont le sentiment de discrimination260.
ü Repenser le système d’attribution : dans le système actuel, les ménages déposent leur
demande de logement puis attendent, plusieurs mois voire plusieurs années, suffisamment
longtemps en tout cas pour espérer obtenir le logement idéal ! Lorsqu’une proposition arrive
enfin, il est rare que l’idéal soit au rendez-vous ; les personnes doivent donner une réponse
très vite et nous avons vu qu’elles n’ava ient pas toujours réellement droit au refus, ou en
tout cas que leurs critères de refus devaient correspondre à des critères “entendables“ par le
réservataire et/ou le bailleur. Du coup, le risque est que la personne accepte un logement qui
ne lui convient pas ce qui, au vu de notre expérience, peut laisser craindre des problèmes
locatifs à venir ou en tout cas des frustrations et un sentiment de discrimination. Si elle
refuse le logement pour des critères non reconnus par ses interlocuteurs, elle s’expose à ne
pas avoir de propositions avant plusieurs mois. Pourquoi alors ne pas envisager un système
dans lequel les bailleurs publieraient la liste des logements à louer ? Les ménages
déposeraient leur candidature pour les logements de leur choix, iraient les visiter, seraient
sélectionnés ou pas sur des critères objectifs (voir point suivant). Il y aurait toujours la
frustration de ne pas être pris sur tel ou tel logement souhaité, mais les personnes pourraient
se faire ainsi une idée réaliste du parc de logement et déterminer leurs critères de choix à
partir de la réalité. Pour que ce système fonctionne sans discrimination, il faut qu’il y ait un
volume de logements suffisamment important ; il faut aussi maintenir le principe d’un délai
anormalement long au-delà duquel, si le ménage n’a pas été retenu par un bailleur alors que
lui-même aurait accepté tel ou tel logement visité, il puisse être considéré comme prioritaire
sur les propositions à venir 261.
ü Afficher des critères de sélection et d’attribution clairs, rendre les décisions plus
transparentes : cela doit s’envisager quelque soit le système d’attribution en place.
ü Définir et limiter les informations nécessaires à l’attribution, définir et limiter les critères
pouvant justifier une enquête sociale.
260
L’AVDL s’y emploie à son niveau, en faisant de son 1er accueil collectif, un temps d’information et de
sensibilisation de la situation du logement sur l’agglomération lyonnaise.
261
Un bailleur social interrogé sur la faisabilité technique de ce système estimait qu’il était tout à fait réalisable.
- 122 3-3 Au niveau des associations et des travailleurs sociaux
Les associations comme l’AVDL ainsi que l’ensemble des travailleurs sociaux ont
également un rôle important à jouer dans la lutte contre les discriminations. Ils peuvent :
ü Créer des espaces de paroles individuels et collectifs où la question de la discrimination
puisse être parlée et travaillée, développer une culture du dialogue sans gommer les conflits.
Durant le 1er semestre 2004, l’AVDL a ainsi initié un projet intitulé « Le Parcours
Logement En Questions » ; en utilisant la méthode du théâtre forum, nous avons réuni,
d’abord séparément puis ensemble, les différents protagonistes du logement pour travailler
sur les représentations des uns et des autres, dans une démarche d’intercompréhension.
Mieux comprendre ses propres représentations et celles des autres, les attentes des uns et
des autres, leurs difficultés, est une étape préalable ou concomitante à la recherche de
solutions. Parmi les protagonistes, des institutionnels, des travailleurs soc iaux et des
habitants usagers de l’AVDL ; malheureusement nous n’avons pas réussi à mobiliser les
bailleurs, mais le projet va se poursuivre à la demande de l’ensemble des participants qui
disent déjà avoir beaucoup appris les uns sur les autres ; la prochaine étape vise avant tout à
impliquer les bailleurs.
ü Travailler sur l’accueil et l’accompagnement : les intervenants sociaux doivent
transmettre une information la plus objectivée possible sur la situation du logement,
associer la personne à la mise en place de stratégies explicites, ne pas la déposséder de sa
recherche mais favoriser son autonomie ; le travail de médiation ne doit pas amener
l’intervenant social à se substituer au demandeur mais permettre de créer le lien entre lui et
son interlocuteur.
ü Intervenir à la moindre suspicion de discrimination ; nous avons déjà pu vérifier à
l’AVDL que lorsque nous intervenions auprès du réservataire ou du bailleur pour un refus
d’attribution mal justifié pour lequel nous soupçonnions une discrimination, notre
interlocuteur niait toute volonté de discrimination, mais le ménage accompagné finissait le
plus souvent par obtenir une autre proposition de logement. Nous devons cependant ne pas
oublier que « si le choix de la médiation est tout à fait compréhensible lorsque la victime
réclame un logement en urgence, cette stratégie empêche toute sanction des bailleurs
incriminés et décriminalise le délit de discrimination pour en faire un banal problème
social »262. C’est pourquoi, la stratégie d’action à mener doit être bien réfléchie avec la
personne concernée ; le travailleur social doit être à l’écoute afin de respecter ses priorités ;
il est là pour l’informer sur ses droits, les recours possibles (appel du 114, action en Justice
ou négociation avec le bailleur pour obtenir un autre logement) et l’accompagner dans son
choix, y compris dans un recours à la Justice.
262
SOS Racisme, Bilan et perspectives des politiques publiques de lutte contre les discriminations raciales et
ethniques dans l’accès au logement, Mars 2002, page 92.
- 123 ü Etre vigilants et veiller en permanence sur le rôle joué par les travailleurs sociaux et les
associations, notamment dans les instances de validation de la pertinence de la demande,
comme les commissions prioritaires.
ü Pousser les politiques et les institutions à s’engager dans la lutte contre les
discriminations ; les informer des constats du terrain, participer à des groupes de travail,
être force de propositions.
ü Favoriser le travail commun pour produire des outils de connaissances tels que l’enquête
de la Fonda Rhône-Alpes en 2003 ; sensibiliser et interpeller collectivement les pouvoirs
publics comme les associations l’ont fait avec le gel des financements du FASILD en 2003
et dans le cadre d’une recherche-action en cours 263.
D’autres pistes de travail sont sans doute possibles mais notre objectif n’est pas d’en faire
une liste exhaustive ; ces propositions nous semblent réalisables pour peu qu’elles soient
portées par une réelle volonté des acteurs de lutter efficacement contre la discrimination liée
à l’origine. Nous nous employons, en tant que directrice de l’AVDL, à favoriser les actions
qui sont à notre portée.
263
Nous participons notamment au groupe de travail intitulé : « Quelles stratégies pour dépasser les obstacles au
mieux vivre ensemble ? ».
- 124 CONCLUSION
_________________________________________________________________________
Nous retiendrons de l’identité qu’elle est dynamique, évolutive, multidimensionnelle mais
structurée, et qu’elle dépend beaucoup des interactions du sujet avec son environnement. Le
regard de l’autre détermine en grande partie la perception que le sujet a de lui. Lorsque ce
dernier est porteur de stigmates, quelle que soit la pertinence et l’origine de la négativité
attachée au stigmate, il développe des stratégies de type identitaire afin de gérer au mie ux sa
relation aux autres.
Les français d’origine maghrébine portent le stigmate de leur origine ; français, ils
perçoivent la discrimination qui les oblige à s’interroger sur leur identité. Ils cherchent
avant tout à se faire accepter comme français ; dans cette recherche d’assimilation, ils ne se
considèrent pas différents des français et rejettent ceux de leur communauté d’origine qui ne
s’intègrent pas et posent des problèmes dans les quartiers sensibles. Bien que percevant la
discrimination, notamment dans l’accès au logement, les personnes rencontrées ne
cherchent pas à l’affronter mais privilégient l’obtention d’un logement, quitte à investir
énormément d’énergie dans leurs démarches et à assumer les difficultés rencontrées.
A partir de tout ce que nous avons découvert au cours de notre recherche et à partir de nos
observations quotidiennes en tant que directrice de l’AVDL, nous estimons que la lutte
contre la discrimination liée à l’origine est un enjeu majeur pour notre société. Nous avons
donc terminé cette 3ème partie en proposant un certain nombre de pistes de travail, à
différents échelons, en vue d’améliorer la reconnaissance des personnes d’origine
maghrébine, de changer les perceptions négatives et de lutter contre les discriminations dont
elles font l’objet.
- 125 -
Conclusion
générale
« La vie, c’est d’abord un projet, des projets qu’il faut se
donner… Car la vie c’est construire, édifier, élever.
Pierre après pierre, pensée après pensée, acte après acte,
apprendre soi, apprendre le monde, pour se connaître,
le connaître, se changer et le changer »
Martin Gray
- 126 CONCLUSION GENERALE
_________________________________________________________________________
En nous appuyant sur notre expérience professionnelle, sur des études et des recherches,
ainsi que sur le positionnement de l’Europe et de l’Etat français, nous avons considéré
l’existence de la discrimination liée à l’origine géographique des personnes issues de
l’immigration comme un fait social établi. Dans le domaine du logement, la discrimination
prend des formes variées ; si des comportements racistes existent, la discrimination prend le
plus souvent la forme de discriminations indirectes d’ordre systémique, pouvant impliquer
chacun des acteurs lié s à la chaîne d’attribution des logements sociaux.
Pourtant, nous constations que les personnes d’origine maghrébine que l’AVDL
accompagnait dans leur recherche de logement, parlaient peu ou pas de la discrimination
qu’elles subissa ient, le sujet paraissant plutôt tabou. La lutte contre la discrimination étant
au cœur du projet politique de l’association, nous nous devions de comprendre comment les
personnes concernées par la discrimination que nous accompagnions, percevaient la
discrimination, comment elles la viva ient, quelles réactions elles développaient pour y faire
face. Pour envisager un positionnement clair de l’AVDL sur ce sujet, aussi bien sur le plan
politique que technique (l’accompagnement social lié au logement), nous avions besoin de
comprendre quels étaient les effets de la discrimination liée à l’origine sur les français issus
de l’immigration maghrébine en difficulté de logement, notamment en ce qui concerne leur
identité et leur intégration.
Avant de rencontrer les personnes concernées, il nous fallait tout d’abord comprendre dans
quel contexte historique, politique, social et économique s’était développée la
discrimination, en nous intéressant au sens et à l’évolution des termes et concepts employés
autour de l’immigration. Nous avons compris que la discrimination s’ancrait dans l’histoire
du colonialisme puis dans celle de l’immigration de la main d’œuvre de travail. Les
mauvaises conditions d’accueil et de logement des travailleurs immigrés d’origine
maghrébine, puis leur concentration dans des quartiers vite stigmatisés par les problèmes
sociaux liés à la crise économique, nous ont permis de faire le lien entre ségrégation spatiale
et discrimination. Nous avons essayé de montrer que bien que sous-tendue par la volonté de
mettre fin à la ségrégation spatiale, la politique de mixité sociale, très présente dans les
textes de lois sur le logement et sur la Ville, a plutôt tendance, dans le contexte urbain et
sociopolitique actuel, à desservir l’accès au logement des populations d’origine étrangère.
Cela nécessite sans doute un repositionnement des politiques publiques pour lequel nous
avons évoqué quelques pistes à la fin de notre mémoire.
Pour tenter d’apporter des éclairages à notre question, nous avons rencontré dix personnes
ayant été accompagnées par l’AVDL afin de leur demander de nous raconter leur histoire
logement ; nous cherchions à comprendre la place et le sens donné à la discrimination dans
chacune des histoires logement, ainsi que ses conséquences sur le plan identitaire. Nous
avons constaté que les personnes parlaient peu de leurs logements en tant qu’enfants mais
- 127 abordaient assez vite les problèmes rencontrés dans leur parcours d’adultes : difficultés à
trouver des appartements et mauvaises conditions de logement dans le parc privé, difficultés
d’accès au parc social, craintes liées à la concentration des populations d’origine étrangère
dans les quartiers stigmatisés…
Les récits mettent également en évidence les problèmes de communication des demandeurs
de logement avec les réservataires de logements socia ux et avec les bailleurs, au cours de
leurs recherches de logement vécues comme des véritables « parcours du combattant ».
Neuf personnes sur dix nous ont fait comprendre que toutes ces difficultés les interrogeaient
quant à l’existence d’une discrimination basée sur leur origine, leur patronyme ou leur
faciès. Six d’entre elles ont évoqué aussi des expériences de discriminations ou de racisme
dans d’autres domaines de leur vie (loisirs, école, travail). Percevant ainsi la discrimination,
les personnes tentent de l’expliquer essentiellement par le problème de concentration des
populations d’origine étrangère dans ce qu’elles appellent les “quartiers” ; cette
concentration rend difficile l’intégration, l’évolution des modèles d’éducation et leur
adaptation au contexte urbain français, ce qui favorise la délinquance des jeunes.
Ce sentiment d’être discriminé à cause de leur origine conduit les sujets à s’interroger sur
leur identité ; ils se sentent tiraillés entre leur origine qu’ils ne renient pas globalement, et
leur identité de français qu’ils revendiquent fortement ; pour eux, la question de leur
intégration ne se pose pas puisqu’ils sont nés en France 264 et qu’ils sont français. La
difficulté à se sentir ainsi « le cul entre deux chaises », à s’inscrire dans une double identité
dont aucune ne leur est pleinement reconnue, et la souffrance que cela génère, amènent les
personnes à défendre leur identité personnelle et leur identité sociale réelle (français) en
luttant contre l’identité sociale prescrite stigmatisante (français issus de l’immigration
maghrébine). Elles adoptent ainsi des stratégies identitaires qui visent l’assimilation, la
similarisation, la conformisation. Cela les conduit à se différencier de certains aspects
touchant à leur origine mais en limitant le rejet aux quartiers stigmatisés dans lesquels, de
manière très cohérente, elles ne veulent absolument pas aller habiter. Ce refus est également
guidé par le fait qu’une fois dans ces quartiers, elles risquent d’y être assignées, et par la
crainte de voir leurs enfants se laisser influencer et “mal tourner”. Elles préfèrent alors
supporter de mauvaises conditions de logement et attendre plus longtemps une proposition
adaptée à leur souhait, malgré le risque de ne plus obtenir de propositions si leur motif de
refus n’est pas jugé recevable.
Nous pouvons émettre l’hypothèse que la volonté d’assimilation et de reconnaissance
amène les personnes à minimiser, voire à nier la discrimination.
En ce qui concerne le logement, cette tendance à la minimisation peut se comprendre aussi
par la volonté de trouver un logement dans un contexte dans lequel les demandeurs de
logement sont plutôt incités à faire “profil bas” par une recherche d’anonymat (il ne s’agit
264
Seule Abiba n’est pas née en France mais y est arrivée toute petite.
- 128 pas de se rendre invisible, mais de donner l’image de soi qui correspond à celle attendue par
le bailleur).
Cependant, la très forte résistance à aller vivre dans les quartiers stigmatisés peut se
comprendre comme une résistance individuelle à la discrimination et une défense de leur
intégration par le refus du regroupement qui nuit à l’intégration. Mais pour ce faire elles
investissent énormément d’énergie, faisant de leur vie de tous les jours, un combat
personnel pour obtenir la place qu’elles souhaitent dans notre société et la reconnaissance
dont a besoin tout être humain.
En concluant ce travail, nous voulons dire le très grand intérêt que nous y avons trouvé mais
aussi rappeler les limites dues à notre position d’inexpérience et d’apprentissage. Il nous
paraît évident que les constats auxquels nous arrivons ne sont en fait que des hypothèses
qu’il s’agirait de vérifier et d’approfondir à une plus grande échelle. Cependant ce travail
nous a permis de faire évoluer notre regard sur les personnes que l’AVDL accompagne dans
leurs difficultés de logement ; nous pouvons maintenant envisager des pistes de travail
d’ordre à la fois politique et technique. Nous allons nous employer à les développer pour
participer à la lutte contre la discrimination liée à l’origine. Cette lutte , qui nous interpelle
dans notre capacité à vivre ensemble , doit être l’affaire de tous ; en effet, si nous avons
dissocié discrimination et racisme, notamment en ce qui concerne les attributions de
logements sociaux, la frontière entre les deux nous paraît bien fragile. Nous avons vu que la
ségrégation est aussi le résultat collectif émergeant de la combinaison de comportements
individuels discriminatoires, notamment dans les choix de nos lieux d’habitation. Nous
devons également nous interroger sur nos perceptions et nos représentations des personnes
d’origine maghrébine ; n’avons -nous pas souvent tendance à les voir par le prisme de leur
origine, si ce n’est dans nos relations individuelles, tout du moins dans notre appréhension
collective ? Sommes-nous toujours à l’abri de représentations globalisantes, catégorisantes,
négatives et stigmatisantes ? Ne contribuons-nous pas, même inconsciemment, à renvoyer à
ces personnes leur identité sociale prescrite en les désignant toujours en rapport avec leur
origine ?...
Nous souhaitons conclure par ces mots de Charles Rojzman : « Vivre ensemble. Comme si
c’était facile. Comme si on pouvait se contenter de demander aux autres de vivre ensemble.
Alors que la sociabilité est la question fondamentale de toute société humaine, à laquelle,
très concrètement, aucun d’entre nous n’arrive complètement à répondre lorsqu’il y est mis
au défi. La relation aux autres, en effet, est toujours difficile, lorsque que nous ne pouvons
ni nous identifier à eux, ni les assumer comme des parties de nous-mêmes. Sous des formes
plus graves, la violence et le racisme sont les symptômes de ce mal qui court à travers nos
vies individuelles et collectives et qui s’exacerbe à certaines époques comme c’est le cas
aujourd’hui… Nous subissons le fonctionnement inadapté, trop pyramidal, trop cloisonné et
pathogène de nos institutions en même temps que nous le perpétuons, parce que nous
sommes aussi porteurs de pathologies individuelles qui font écho au malaise collectif. Les
changements ne peuvent donc être que collectifs et individuels, les uns étant impossibles
- 129 sans les autres… Aujourd’hui les discriminations ethniques subies par les jeunes fils
d’immigrés maghrébins et africains contribuent fortement à l’augmentation des violences
qu’eux-mêmes font subir en retour… D’où l’importance de la lutte contre les
discriminations, visage autrement plus quotidien du racisme que la présence d’un électorat
frontiste… Plus généralement, ce qui est en cause, c’est le sens même des combats
politiques à mener… Il ne s’agit plus seulement de combattre le capitalisme, la
bureaucratie, la technocratie… en se contentant de lamentations et d’imprécations mais de
savoir, rapidement et concrètement, limiter leurs effets destructeurs et antisociaux…
Comprendre que nous sommes tous des “dictateurs ou bureaucrates au petit pied” et
travailler à transformer les institutions qui assurent la pérennité de l’Etat de droit, garant
de nos libertés »265. C’est un vaste chantier qui nous attend dont l’enjeu est fondamental
pour notre société ; dans un contexte difficile, chacun est invité à s’y engager avec
conviction, optimisme et rigueur !
265
ROJZMAN Charles avec Sophie PILLODS, Savoir Vivre ensemble – Agir autrement contre le racisme et la violence,
2001, Post-face, pages 269 à 275.
- 130 -
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Migrations, Juin 2003, 72 pages.
Mémoires :
l
CERRATO DEBENEDETTI Marie -Christine, DESS sociologie appliquée au
développement local, Lutter contre les discriminations ethniques à Villeurbanne – Pour
une intelligence de l’action, SYNTHESE, Lyon, Université Lyon II, 2004, 31 pages.
l ESTABEL Thierry, DHEPS, Nous, on n’écrit pas. Identité culturelle et socialisation
des Tsiganes et Yéniches sédentarisés en Haute-savoie : un procès d’interculturation,
Lyon, CCRA-Lyon II, 2003, 138 pages.
l GIBERT Geneviève, DHEPS, Image sociale, logement et intégration des immigrés
maghrébins en France. L’exemple de la rue de la Boube à Villeurbanne, Lyon, Université
Lyon II, 1985, 164 pages.
l HENKE Audrenne, DSTS, Femmes migrantes avec enfants en centre d’hébergement et
de réinsertion sociale : entre ruptures et reconstructions. Récits de vie de 4 femmes et
analyse de leurs réseaux, Lyon, CCRA-Lyon II, 2003, 144 pages.
l MERCIER Pierre, DSTS, Une réhabilitation du bricolage de l’habiter. Etude de (récits
de) parcours d’habiter d’hommes défavorisés et isolés socialement, Lyon, CCRA-Lyon II,
1999, 150 pages.
l
VISINTAINER Sabine, DSTS, L’accès au logement pour les usagers de la
psychiatrie, intégration ou normalisation ? Le cas de personnes locataires, après un
temps d’hébergement à l’Orloges LYON 1999, Lyon, CCRA-Lyon II, 2001.
- 137 Revues :
l Ecarts d’identité, Sociétés multiculturelles et travail social, n°98, Hiver 2001/2002.
l Ecarts d’identité, La question de l’immigré, n°100/101, Eté/automne 2002.
l Hommes et Migrations, Pour une éthique de l’intégration, Paris, n°1182, Décembre
1994, 65 pages.
l Informations sociales, Mémoires familiales et immigrations, Paris, CNAF, n°89, 2001,
151 pages.
l La lettre du FASILD, La lutte contre les discriminations raciales, Paris, FASILD, n°58,
mai 2003, 27 pages.
l Les cahiers du DSU, Discriminations raciales. Repérer et comprendre pour mieux agir,
Lyon, Centre de ressources et d’échanges pour le développement social et urbain RhôneAlpes, n°39, Hiver 2003-2004, 46 pages.
l Sciences Humaines, Les récits de vie, Auxerre, n°110, Février 2000, 58 pages.
l Sciences Humaines, Cultures La construction des identités, Auxerre, n°110, Novembre
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l Problèmes politiques et sociaux, PRETECEILLE Edmond, La ségrégation sociale dans
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Articles :
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« raciales ». Evolution du droit français et exigences du droit européen, Ecarts d’identité
n°99, Printemps 2002.
l BALLAIN René, Avec l’insertion dans le logement, de nouvelles figures d’associations ,
Annales de la recherche urbaine, Documentation française, Juillet 2001.
l BAROU Jacques, Le domicile de l’étranger, un choix bien souvent limité , L’école des
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l BEHAR Daniel, L’intégration à la française, entre rigueur et pragmatisme : le cas des
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Economie et Humanisme n° 361, Juin 2002.
l CABAGNI Sandrine, PUVILLAND Annick, BUREAU Agnès (dossier réalisé par), Ces
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l CLAVEL Gilbert, Pour une pratique interculturelle , Etudes, Juillet-Août 1990.
l CHAOUITE A. (Propos recueillis par), entretien avec M. LAHCINE, Discriminations :
que faire ? Ecarts d’Identité n°93, Automne 2000.
l DEBRAND Thierry, Habitat en chiffres, Les immigrés et leur logement, Habitat et
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l GASTAUT Yvan, Le multiculturel au miroir des médias, PROJET n°255 « Société,
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- 138 l HELFTER Caroline, L’assignation à résidence, Actualités Sociales Hebdomadaires
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Humaines n°69, Février 1997.
La France intègre toujours ses immigrés,
Sciences
l ROULLEAU-BERGER Laurence, Le chercheur et le citoyen face à la question des
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par Philippe FRITSH, PUL, 2000.
l VACHON Jérôme (propos recueillis par), Comment concilier droit au logement et
mixité sociale, Actualités Sociales Hebdomadaires Magazine, Septembre-Octobre 2004.
Vidéos :
l BOZZI Robert, Les gens des baraques, Paris, La médiathèque des trois mondes,
Documentaire, 1995, 88 minutes.
l Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, Discriminations,
ouvrons les yeux !, Paris, MRAP, Documentaire, 38 minutes.
Colloques, journées d’études :
l SOPHOCLE, colloque, L’errance en questions. Regards, pratiques, politiques, St
Etienne, 23 et 24 mai 2002.
l Les Etats Généraux du Logement, Lyon, 23 et 24 janvier 2004.
- 139 -
ANNEXES
« La création et l’imagination ne sont possibles qu’à partir d’une
certaine expérience et celle-ci n’est pas acquise par un élément d’un
ensemble, mais par l’ensemble des éléments. C’est donc à l’ensemble de
l’organisme social que revient le devoir d’imaginer »
Henri Laborit
- 140 -
Annexe 1 : Echantillon
Annexe 2 : Guide pour le recueil des récits
sur le parcours logement
Annexe 3 : Présentation des personnes rencontrées
et de leur parcours logement
Annexe 4 : Tableaux : « Les démarches effectuées »
« Les mots forts »
Annexe 5 : Le récit de Farida
Annexe 6 : Liste des sigles utilisés
- 141 -
Annexe 1
Relogements des ménages accompagnés
(Juillet 2002 à juillet 2003)
Nombre de ménages relogés : 79 Patronyme étranger : 66 dont nationalité française : 33
Parmi ces 33 :
REVENUS
COMPOSITION
FAMILIALE
STATUT
LOGEMENT
MOTIF DE LA
DEMANDE
(lors de la recherche)
RMI = 15
Personne seule = 6
Hébergés tiers = 13
Hébergement = 13
Prestations = 7
(API, AAH, ASS…)
Ménage
monoparental = 15
Locataire parc
privé = 14
Petit = 13
CDI = 7
Couple = 3
Intérim = 1
Couple avec
enfants = 9
Locataire parc
public = 4
Contrat qualif. = 1
Foyer = 1
CHRS = 1
Formation = 1
Humidité +
insalubrité = 3
Foyer-CHRS = 2
Problèmes
familiaux = 1
Regroupement
familial = 1
Congé parental = 1
Echantillon rencontré (10 ménages)
REVENUS
COMPOSITION
FAMILIALE
STATUT
LOGEMENT
MOTIF DE LA
DEMANDE
(lors de la recherche)
RMI = 3
dont 3 personnes
cumulant RMI + CDD
ou CDI temps partiel
Personne seule = 1
Hébergés tiers = 2
Hébergement = 2
Ménage
monoparental = 3
Locataire parc
privé = 7
Petit = 2
Prestations = 2
(API, AAH) dont 1
ménage cumulant AAH
+ intérim
Couple = 1
Sous-locataire = 1
ASSEDIC = 1
CDI = 2 dont 1 ménage
cumulant 2 CDI et 1
autre cumulant CDI +
congé parental
Intérim = 1
Contrat qualif. = 1
Petit + vente = 1
Petit + insalubre = 1
Couple avec
enfants = 5
Insalubre + cher = 1
Humidité = 1
Sous-locataire = 1
- 142 -
Annexe 2
Guide pour le recueil des récits sur le parcours logement
Question de départ :
« Je souhaiterais que vous me racontiez votre histoire par rapport au logement,
depuis votre petite enfance jusqu’à aujourd’hui : les lieux où vous avez habité, avec
vos parents d’abord, puis lorsque vous êtes devenu autonome ; les souvenirs que vous
avez des logements habités ; les recherches de logement que vous avez effectuées ? ».
Ce que nous cherchons à identifier (repères pour relances éventuelles) :
1/ Images et représentation du logement à toutes les étapes de la vie
= place et rôle du logement dans la vie des personnes (identité personnelle et sociale,
sociabilité, intégration, reconnaissance sociale…)
2/ Le parcours logement : comment s’est-il déroulé, construit ? Les recherches de
logement : démarches, difficultés, obstacles …
= analyse des difficultés rencontrées, place de la discrimination : est-elle nommée,
identifiée ? comment ? quelle place occupe t-elle par rapport aux autres difficultés ? quel
sens lui est attribué ?
3/ Les institutions, services, associations, professionnels, bénévoles… identifiés comme
obstacles ou comme ressources
= décalage entre les représentations de la personne et les discours affichés des institutions
ou leur objet social
3/ Les réactions, comportements, recherche de soutiens, mise en place de stratégies…
= ressources développées pour accéder au logement, stratégies
4/ Repérer les sentiments vécus tout au long de ce parcours : isolement, stigmatisation,
exclusion,
honte,
découragement,
démonstration, stimulation, colère…
frustration,
rejet,
déconsidération,
différence,
- 143 -
Annexe 3
Présentation
des personnes rencontrées 266
et de leur parcours logement
266
Par souci de confidentialité, tous les prénoms ont été modifiés, en conservant cependant la caractéristique de leur
origine.
- 144 -
Samia
(Entretien exploratoire du 17 mai 2002)
Samia, 35 ans, est née en France en 1968. Elle est d’origine algérienne et a plusieurs frères
et sœurs qui sont « pratiquement tous propriétaires ». Ses parents habitent un logement
HLM du centre ville de Villeurbanne (Gratte-Ciel) depuis plus de quinze ans après avoir
habité quelques temps le quartier de Cusset.
Samia est « française, tout de même, euh…avec mes origines quoi… Moi quand on me dit tu
es française, je rajoute toujours d’origine algérienne parce que c’est le 1er sentiment qui se
dégage quoi ». Elle n’est allée que deux fois en Algérie « mais il y a des attaches affectives,
maternelles ».
Samia s’est mariée en 2001 avec un marocain qui a pu obtenir une carte de séjour grâce au
mariage. Ils ont une petite fille de quelques mois.
Samia n’a pas fait d’études mais « c’est un choix, mes frères et mes sœurs, ils en ont fait » ;
elle est au chômage et bénéficie des ASSEDIC. Son mari travaille en intérim.
Depuis qu’elle a pris son indépendance, Samia a d’abord vécu pendant un an dans un petit
studio du parc privé qu’elle a pu obtenir « grâce à mon frère, par connaissance », mais il y
avait une mezzanine et avec le bébé « c’était trop dangereux… Et puis c’était au rez-dechaussée, c’était très froid l’hiver ». La famille s’est ensuite installée dans le logement de
type 2 dans lequel Samia nous reçoit ; c’est son frère qui est propriétaire.
Samia cherche un logement dans le parc social depuis seize mois ; elle a sollicité l’AVDL
depuis quatorze mois, en mars 2001 ; le ménage vient d’avoir une proposition d’un
logement HLM neuf de type 3 (réservation SIAL) dans un quartier du centre ville qui plaît
beaucoup à Samia.
Samia estime avoir beaucoup de chance (c’est un terme qu’elle emploie douze fois au cours
de l’entretien) ; chance d’être « intégrée » (« moi j’ai conscience de la chance que j’ai…
moi je suis jeune, je parle bien français, j’ai pas vraiment de handicaps ») ; chance d’avoir
une famille qui « renvoie une image positive » (tous ses frères travaillent et n’ont pas
rencontré de problèmes de délinquance) ; chance d’avoir obtenu un logement neuf dans le
centre de Villeurbanne.
- 145 -
Chez les parents
Indépendance
Naissance
en France en 1968
Entretien
17 mai 2002
Parcours logement
HLM
Obtention
Lieu
VILLEURBANNE
Cusset
Conditions de
logement
VILLEURBANNE
Gratte Ciel
2000-2001
2001-2002
1 juin 2002
PRIVE
Studio
PRIVE
T2
HLM
T3
"Grâce à mon frère,
par connaissance"
"C'est mon frère qui
est propriétaire"
Intermédiaire
AVDL
Réservation SIAL
VILLEURBANNE
VILLEURBANNE
Proche
République
VILLEURBANNE
République
"Trop petit"
"Trop dangereux"
Logement
neuf
"Très froid l'hiver"
"Je voulais une chambre
pour ma fille"
"C'est surtout le problème
des escaliers"
(rez-de-chaussée)
(4ème étage)
(mezzanine)
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
16 mois
AVDL : 14 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
ASSEDIC
Mari : intérim
Origine
algérienne
Mariage avec
1er enfant
un marocain
(obtient sa carte de résidence)
- 146 -
Malika
(Entretien exploratoire du 27 mai 2002)
Malika, 34 ans, est née en France en 1969. Elle est d’origine tunisienne et a plusieurs frères
et sœurs. Ses parents ont habité le quartier Olivier de Serres à Villeurbanne avant d’être
relogés dans un logement HLM du quartier du Tonkin au moment de la démolition
d’Olivier de Serres.
Malika est « française et fière de l’être ! Moi je me considère française ; je le dis très haut,
très fort et vive la France ». Elle nous explique qu’elle a trouvé « super » la mobilisation de
tous les français au moment de la coupe du Monde 98 et la mobilisation contre Le Pen. Elle
dit aussi qu’elle vote, que de toute façon, si il y en a chez elle qui ne se lèvent pas le jour
des élections, son père les lève avec « un coup de pied au cul » en disant : « moi j’ai pas eu
le droit de vote, vous vous l’avez, alors vous allez voter ! ».
Malika vit seule avec sa fille qui est née en 1999 ; elle est bénéficiaire de l’Allocation de
Parent Isolé.
Depuis 1998, Malika occupe un logement de type 1 du parc privé, petit, sombre et
bruyant qu’elle a trouvé par un ami de son frère. Ne supportant plus son logement, elle
passe une bonne partie de ses journées chez ses parents.
Malika a commencé ses recherches dans le parc social dès 1998 ; elle a sollicité l’AVDL en
novembre 2000. Par l’intermédiaire de l’association, elle a obtenu une proposition d’un
logement HLM de type 3 (accès direct) et devrait emménager prochainement.
Depuis qu’elle a eu cette proposition de logement, Malika explique qu’elle a repris des
cours d’informatique et qu’elle a un projet de travail avec un poste de secrétaire en
Contrat Emploi Solidarité.
- 147 -
Chez les parents
Indépendance
Naissance
en France en 1969
Parcours logement
1969-1978
1978-1998
1998-2002
1 juin 2002
PRIVE
HLM
PRIVE
T1
HLM
T3
Suite à
démolition
"C'est un ami à
mon frère"
Intermédiaire
AVDL
Accès direct
VILLEURBANNE
Tonkin
VILLEURBANNE
VILLEURBANNE
Obtention
Lieu
VILLEURBANNE
Olivier
de Serres
Conditions de
logement
"C'est trop petit"
"Je vous dis pas le bruit"
"J'ai pas la clarté,
j'ai pas la lumière,
je vis dans le noir"
"Je paye 2500 F"
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
4 ans
AVDL : 22 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
Entretien
27 mai 2002
Bénéficie de l'API
Poste de secrétaire
en vue (CES)
Origine
tunisienne
Naissance
de sa fille
en 1999
- 148 -
Sonia
(Récit du 29 mars 2003)
Sonia, 26 ans, est née en France, à Bourg-en-Bresse, en 1977. Française d’origine
marocaine, e lle a trois frères et trois sœurs dont une est handicapée et une asthmatique. Ses
parents habitent à Bourg-en-Bresse ; après avoir occupé un petit appartement en ville sans
confort (« il y avait une douche dans le couloir »), ils ont obtenu « un petit appartement en
HLM » (huit personnes dans un T3) dans un quartier populaire calme. Ils auraient souhaité
obtenir un appartement plus grand mais ils ne voulaient pas aller dans le quartier qui leur
était proposé ; un autre quartier les attirait mais « on pouvait constater qu’on pouvait pas y
accéder ».
Le père de Sonia est arrivé en France à l’âge de 19 ans ; « il a fait la guerre d’Indochine,
c’est un ancien combattant ; donc il a tout fait ici, tous ses repères sont ici…Ensuite il a
travaillé chez RVI pendant très très longtemps… Maintenant il a sa retraite, sa pension de
guerre…qui permet de vivre correctement ». Sonia estime avoir reçu une « éducation très
stricte » mais moins que ses frères et sœurs aînés. Ses frères ont été scolarisés au Maroc car
son père avait peur, « une peur de…ben de pas connaître, d’être euh…oui pour mon père en
fait, c’est une peur d’être totalement français ! Donc, de pas connaître un peu ses
origines », mais « il s’est rendu compte qu’il avait plus ou moins, presque gâché un peu
leur scolarité » car leur retour au lycée en France n’a pas été facile 267. Les parents
« pensaient être ici temporairement » mais « ils se rendent compte en fin de compte que
non ; et…nous on est là…et puis mes parents aussi ». Ils ont vendu leur maison à Fès
« parce que bon, une maison ils se sont rendu compte qu’elle était vide toute l’année,
euh…en plus c’était dans une ville où il n’y avait pas la plage ; donc la plage…on va en
vacances ! Donc on veut une ville où il y a la plage » ; du coup, ils ont acheté un
appartement à Tanger, ville jugée « européenne » au bord de mer.
Sonia est venue à Lyon en 2000 pour faire des études. Après un passage à l’Université, elle
prépare un Brevet de Technicien Supérieur de gestion en alternance : « j’ai cherché un
employeur pendant longtemps ! La rentrée pour mon BTS s’est faite au mois de septembre
en alternance ; bon moi je suis rentrée début novembre ! Et l’employeur que j’ai trouvé,
donc c’était dans un cabinet d’expertise comptable, cette personne m’a prise, justement,
parce que j’aurais des difficultés à trouver ailleurs ! Et bon je pensais pas, mais en
discutant avec les personnes, je me suis aperçue… parce qu’il avait changé de nom en
fait…je me suis aperçue que cette personne était aussi d’origine maghrébine (sourires) et je
pensais pas du tout ! Donc on a bien sympathisé, il m’a expliqué que d’une part ça serait
encore beaucoup plus difficile pour moi, dans le travail je parle… étant donné que je suis
une fille, donc c’est toujours plus difficile pour trouver du travail, parce que tu tombes
267
Or micro, Sonia nous racontera les difficultés de ses frères pour trouver du travail ; du coup, ils essayent de se
mettre à leur compte. Elle constatera qu’il y a beaucoup d’hommes d’origine maghrébine qui ouvrent des boutiques
d’alimentation ou petits restaurants, ou encore des boutiques de téléphonie internet pour avoir un travail
indépendant. Nous pouvons nous demander si il s’agit d’un effet de la discrimination à l’emploi ?
- 149 enceinte, etc…, mais en plus que j’étais maghrébine !…Et qu’heureusement, il m’avait
expliqué, c’était bien marrant, qu’heureusement, euh… physiquement j’étais pas…par
exemple, énorme ou quoique ce soit, parce que ça serait un autre problème ».
Le cabinet ayant rencontré des difficultés financières, Sonia travaille maintenant dans une
agence d’intérim comme assistante de gestion :« je connaissais une personne qui était à
l’intérieur de l’agence, c’est comme ça que j’ai pu rentrer ».
En arrivant sur Lyon, Sonia occupe d’abord une chambre, puis un studio en Résidence
Universitaire avant d’être hébergée quelques temps chez des amis en 2001. Elle commence
ses recherches dans le parc social mais en attendant qu’elles aboutissent, elle trouve un petit
T1 dans le privé par le biais d’un marchand de liste (« Ils nous demandent 1000 F et on a
six mois pour trouver un appartement et si on n’a pas trouvé et bien tant pis pour nous »).
Sa « cabane » comme elle l’appelle, étant vétuste, Sonia poursuit ses recherches dans le
parc social ; elle sollicite l’AVDL en février 2002.
En novembre 2002 elle est relogée dans un logement HLM de type 2 (accès direct) dans un
quartier HLM de Villeurbanne ; elle a du négocier des travaux à l’entrée mais son logement
est « spacieux » et il lui plaît ; par contre le quartier est stigmatisé, ses amis sont réticents à
venir la voir, et Sonia envisage un jour d’acheter un appartement.
- 150 Avant la
naissance
Chez
les parents
Indépendance
Naissance
en France en 1977
1977-2000
Entretien
29 mars 2003
2000-2001
2001
2001
Fin 2002
Quelques temps
Parcours logement
PRIVE
HLM
T3
Obtention
Chambre
puis studio
Résidence
Universitaire
Hébergement
chez
des amis
PRIVE
T1
HLM
T2
"Grâce à l'université,
au CROUS plutôt qui
aide les étudiants"
"J'ai habité quelques
temps chez des
amis"
Marchand de listes
"Ils nous demandent
1000 F et on a 6 mois pour
trouver un appartement et
si on n'a pas trouvé et bien
tant pis pour nous"
Intermédiaire
AVDL
Accès direct
VILLEURBANNE
Cusset
VILLEURBANNE
Jacques Monod
"Cétait petit… Humide"
Quartier stigmatisé
"C'était vétuste, mal isolé"
"J'avais des hivers où il
faisait froid"
"J'appelle ça une cabane"
Etat du logement
moyen à l'entrée
mais travaux pris en
charge par le bailleur
Lieu
BOURG-EN-BRESSE
"En ville"
BOURG-EN-BRESSE
Quartier populaire
"calme"
Conditions de
logement
"Un petit appartement
"Un petit appartement
"J'étais dans une
en ville"
"Il y avait une douche
dans le couloir"
en HLM"
8 personnes
dans un T3
petite chambre
de 9 m² pour les
étudiants… ensuite
j'ai eu un studio pareil"
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
2 ans
AVDL : 10 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
Hébergement
Etudiante
à l'université
6 frères et sœurs
Origine
Marocaine
BTS Contrat de qualifiaction
Cabinet d'expert comptable
Agence d'intérim
- 151 -
Farida
(Récit du 7 août 2003)
Farida, 40 ans, est née en France en 1963 ; d’origine algérienne, elle a acquis la nationalité
française automatiquement à l’âge de 16 ans. Farida a dix frères et sœurs. Son père est arrivé
en France à l’âge de 16 ans ; « il travaillait chez Berliet, comme tout le monde » dit Farida en
riant ; il est maintenant décédé.
La mère de Farida a rejoint son mari en 1953. Le père habitait alors dans un garni dans lequel
il n’avait pas le droit de recevoir sa famille ; le couple a passé les premières nuits dans un
jardin des Brotteaux (Lyon 6ème) avec trois enfants.
La famille occupe ensuite un logement privé à Communay avant d’arriver dans le quartier
Olivier de Serres à Villeurbanne en 1967 dans « un grand appartement qui était très bien
mais l’environnement moins ». Un des garçons « partant en vrille », les parents ont peur et,
en 1973, ils quittent l’environnement jugé néfaste pour un petit appartement « très très
vieux » avec « des alcôves plus que des chambres » mais « l’environnement était meilleur » ;
ce logement est obtenu grâce à la sœur de Farida qui « connaissait bien le propriétaire ». En
1975, « ça a été frappé d’alignement et il fallait détruire » ; la famille qui pense ne pas avoir
le choix, accepte d’aller dans une cité de transit dans le quartier Saint-Jean à Villeurbanne.
Elle vit jusqu’en 1983 dans « des préfabriqués », « des baraquements » jugés « archaïques »
(pas d’eau chaude, chauffage au bois ou au mazout, électricité qui « laisse à désirer »). Des
maisons leur sont promises sur place mais la construction tardant à venir, les « jeunes ont
trouvé la solution de tout casser à l’intérieur (des baraquements qui se libéraient), et à la fin, par
la suite, ils ont construits » ; la famille finira donc par obtenir « une maison correcte » que la
maman de Farida occupe toujours.
Farida vit en couple avec un algérien qui est né à Lyon avant 1962 mais qui n’a jamais
demandé la nationalité française : « tous les mois de septembre, il est super motivé, il va
chercher un dossier à la Préfecture, il arrive, il le met dans le tiroir… il l’envoie pas !... Tous
les mois de septembre ! Il m’a fait ça je sais pas combien de fois ».
Ils ont trois enfants de 13, 7 et 2 ans.
Farida a toujours travaillé, occupant différents emplois : « Quand on n’a pas fait de grandes
écoles, recherche d’emploi, c’est à l’usine, donc l’usine, tu bosses, ils te veulent ! Ça il y a
pas de problèmes ! J’ai jamais eu de problèmes pour travailler ; j’ai fait tout et n’importe
quoi d’ailleurs… Les sales boulots… Gardez des enfants la nuit… Dans la boulangerie, à
travailler à 5 heures du matin, finir à 8 heures du soir, du lundi au samedi… Qu’est-ce que
j’ai fait encore ? J’ai fait euh…ben des ménages ! Des ménages… J’ai travaillé à l’usine,
dans les hôtels…Alors ça dans les hôtels par contre ils aiment bien les arabes ! Ils les
maltraitent mais ils aiment bien les arabes : j’ai travaillé 3 mois dans une société, 3 mois
sans un jour de congé, de 6 heures à 16 heures , tous les jours, dimanche compris… Et après
j’ai préféré les usines, parce qu’au moins on travaillait du lundi au vendredi ; quand ils
avaient besoin de nous le samedi, ils nous le faisaient savoir, on avait une petite prime à la
fin du mois, c’était mieux hein, je préférais l’usine, même si c’était dur, ça fait rien ! Au
moins on avait 2 jours de congé quand même (silence) Et puis après euh…et puis après je me
- 152 suis dit, ah ben tiens je vais essayer de faire de la restauration de collectivité, puisque
j’adore faire la bouffe, faire plaisir, mettre les petits plats dans les grands plats. Alors j’ai
trouvé restauration de collectivité, je suis bien ! Les handicapés, je les aime bien, je
m’entends bien avec le personnel… Là je suis en congé parental… de temps en temps je vais
aux nouvelles… une fois par semaine, je vais boire le café avec eux ».
Le compagnon de Farida travaille aussi en Contrat à Durée Indéterminée.
En 1984, Farida a pris son indépendance ; hébergée chez sa sœur en HLM, elle réussit à
obtenir un logement HLM à Vaise (Lyon 9ème) « en direct avec ma sœur » qui explique au
bailleur qu’elle l’héberge avec son ami : « on a triché en disant que j’étais enceinte ». Le
logement obtenu est « un faux T3, la cuisine était dans la salle à manger ».
En 1991, Farida réussit à obtenir un T3 de 55 m² à Villeurbanne par le 1% patronal : « j’étais
pas embauchée mais il (employeur intérim) m’a fait comme si que ». Situé dans « un quartier
très très calme », le logement devient trop petit ; ne supportant plus son logement, Farida
donne sa dédite en 2002, espérant ainsi accélérer le processus d’attribution ; elle se retrouve
alors hébergée chez sa mère avec son compagnon et ses 3 enfants.
En recherche d’un nouveau logement HLM depuis 2001, Farida sollicite l’AVDL en août
2002. En juillet 2003, la famille a été positionnée sur un logement HLM de type 4 sur un
programme neuf livrable en septembre (réservation SIAL) dans un quartier assez proche du
centre ville.
- 153 Avant la
naissance
Chez les parents
Indépendance
Naissance
en France en 1963
1963-1967
Entretien
7 août 2003
1967-1973
1973-1975
1975-1983
1983-1985
1984
1984-1991
1991-2002
2002-2003
1 octobre 2003
HLM
T3
HLM
T3
Hébergement
chez sa mère
HLM
T4
"En direct avec
ma sœur"
(déjà logé en HLM)
"On a triché en
disant que j'étais
enceinte"
"J’ai eu un
appartement
sur Villeurbanne
par le 1% ; j'étais
pas embauchée
mais il m’a fait
comme si que "
"La plus grosse
connerie qu'il
fallait pas faire, je
l'ai faite… j'ai
donné ma dédite"
"Retour chez
maman, retour
à la case départ"
Intermédiaire
AVDL
(proposition en
commission de
pré-attribution)
Réservation SIAL
Quelques temps
Parcours logement
Père
Privé
Privé
Privé
Cité de transit
dans un garni
Obtention
Lieu
Conditions de
logement
HLM
Maison T6
COMMUNAY
1 chambre
"Ma mère est arrivée
en France avec
3 enfants…
Ils avaient dormi
dans le jardin
des Brotteaux"
Hébergement
chez sa sœur
en HLM
"Je pense qu'il
y a du avoir
des aides
d'assistantes
sociales"
"On avait une sœur
qui habitait avec
son mari…ils
connaissaient bien
le propriétaire"
"Ca a été frappé
d'alignement et il
fallait détruire"
"Les jeunes ont
trouvé la solution
de tout casser à
l'intérieur, et à la
fin, par la suite,
ils ont construit"
VILLEURBANNE
Olivier
de Serres
LYON 6ème
VILLEURBANNE
Saint-Jean
VILLEURBANNE
Saint-Jean
LYON 9ème
LYON 9ème
Vaise
VILLEURBANNE
Proche Buers
VILLEURBANNE
Saint-Jean
VILLEURBANNE
Quartier
périphérique
mais non
stigmatisé
"On avait un grand
appartement qui
était très bien
mais
l'environnement
moins"
"Très très vieux"
"Une maison
correcte"
Hébergement
"C'était un faux T3"
"3 enfants dans
55 m²"
"55 m², 5 dedans"
"Tout le temps
le bordel"
"C'était un quartier
très très calme"
"Le secteur
j'aimais bien"
Hébergement
Logement neuf
"Préfabriqués"
"Baraquements"
"Alcôves plus que "On se chauffait au
des chambres"
bois ou au mazout"
"Il y avait pas
"L'environnement
l'eau chaude"
était meilleur"
"L'électricité ça
"Dans le 6ème
laissait à désirer"
c'était trop sympa"
"Archaïque"
"4 chambres
en haut, salon,
salle à manger
et cuisine
en bas"
"La cuisine était
dans la salle à
manger"
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
2 ans
AVDL : 12 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
"Moins d'intimité…
"Il y a 81 m², c'est
plus de contraintes"
mieux que 55"
"Plus d'espace mais "11 m² de terrasse"
moins d'intimité"
"C'est le super
"Moins d'autorité
appart."
sur ses enfants"
Différents emplois ("tous les sales boulots") avant CDI dans
la restauration (association de personnes handicapées)
10 frères et sœurs
Origine
algérienne
Acquisition d'office
de la nationalité
française à 16 ans
Naissance
1er enfant
Congé parental
d'éducation
Conjoint : CDI
Compagnon algérien né en France
Naissance de 2
autres enfants
Décès du père
- 154 -
Sarah
(Récit du 16 septembre 2003)
Sarah, 38 ans, est née en 1965. Française d’origine algérienne, elle a sept frères et soeurs. Son
père était maçon, il est décédé en 1985.
Sarah ne connaît pas le parcours logement de ses parents avant sa naissance ; elle sait que son
père avait construit une villa à Vaulx-en-Velin, « une belle villa » avec « un jardin, des
moutons, des poules, des dindons ». En 1970, « cette villa a été détruite parce qu’ils devaient
construire une rue… On nous a fait déménager ». La famille est relogée en location, au rez-dechaussée d’une « vieille maison » ; la tante de Sarah occupe le 1er étage. Le père essaye alors de
construire une villa à Décines mais « il est tombé malade, il était cardiaque, il a pas pu
terminer, il a pas trouvé les moyens…mes frères, ils se sauvaient, ils l’aidaient pas… après il
en a eu marre, et puis ma mère elle lui a dit t’as qu’à vendre, et puis il l’a vendu, il a pas
terminé la villa ».
En 1972, la vieille maison qu’occupe la famille « risquait de tomber, il y avait des fissures…On
nous a évacué la nuit… Il n’y avait ni lumière, ni rien…». Pendant un ou deux ans, la famille
est relogée dans un logement HLM de type 2 : « C’était vraiment un changement, un grand
changement ». « Après ils ont fait des travaux dans les immeubles là-bas, ils ont transformé
deux appartements en un, ils ont fait des T6, des T5 je crois ou T6, donc on nous a relogés,
c’était au rez-de-chaussée ». La maman de Sarah occupe toujours un T6 avec un neveu (« tant
qu’elle paye son loyer ! »).
Sarah souhaitait faire des études en « sanitaire et social » : « j’ai fait 1 an et après ma mère,
soit disant elle a dit que, enfin mon frère lui avait dit : non il faut pas qu’elle continue làdedans parce qu’on voit des hommes nus tout ça, des femmes nues et c’est le sale boulot tout
ça et puis ça m’a tout cassé (silence). Là j’ai arrêté à cause de mon frère, j’ai arrêté à cause de
lui (silence) ».268
En 1984, à 19 ans « ils m’ont mariée en Algérie 269… Je suis partie là-bas, j’ai vécu 15 ans, 15
ans quand même et puis je suis revenue 270».
La vie en Algérie est difficile pour Sarah : « C’est l’esclavage, la belle-famille, c’est le linge à
la main, la cuisine toute la journée, vous êtes devant les fourneaux et puis vous êtes pas…
(silence) Vous comprenez rien ; si on sortait il fallait demander la permission au grand
marabout là (rires) Fallait demander la permission à son père, et son père c’était toujours non
et que moi je comprenais pas ça (silence) J’ai souffert là-bas, vraiment c’est l’esclave, le femme
est esclave, faire le pain, surtout le linge, j’en ai des souvenirs le linge à la main, j’avais des
irritations, tous les doigts là, je restais trois jours pour que ça guérisse, non c’est vraiment un
mauvais souvenir… Ils allaient à l’école le matin (en se tournant vers sa fille) tu te souviens
268
En fin d’entretien, lorsque nous essayerons de dater son parcours Sarah aura ces mots : « toute mon enfance là j’en garde pas des bons
souvenirs c’est pour ça que j’ai…je m’analysais l’autre jour je me disais mais pourquoi j’ai pas la mémoire ? C’est tellement comme un
cauchemar que vous essayez d’effacer ; en m’analysant je me dis que c’est parce que je ne veux plus me remémoriser tous ces mauvais
moments que j’ai passé ».
269
Les 2 sœurs aînées de Sarah ont également été mariées en Algérie et y sont restées ; la plus jeune « ne s’est pas laissée faire ».
270
En fait, de 1994 à 1999, Sarah fait des allers-retours entre les 2 pays, ce qui explique qu’elle ne fasse pas encore de recherches de
logements : « je faisais des va et vient, je coupais pas les ponts, je pouvais pas rester trop longtemps, je revenais chaque fois, jusqu’au
moment où j’ai décidé de venir m’installer avec mes enfants, de revenir carrément avec mes enfants ».
- 155 (sourires), ils allaient à l’école le matin, je leur faisais quelque chose de vite fait à midi parce
que j’avais pas le temps puis je terminais à 3 heures de l’après-midi (silence). C’était monter à
la terrasse, c’était le rinçage ; le rinçage c’est pire que le lavage, le rinçage c’est dans des
bassines et tout, c’est… (silence) Je me dis que le Bon Dieu il m’a récompensée d’avoir
patienté d’avoir gardé confiance (silence) Puis là-bas vous avez rien, vous devez toujours tendre
la main et encore on vous donne pas (silence) ».
« Et il a fallu attendre plusieurs années ; moi j’ai patienté, patienté, patienté et quand ses
parents ils sont morts…parce que je voulais toujours venir moi ici en France, revenir en
France et lui jamais ; il disait non non parce que c’était le soutien de famille quoi, c’était lui
son père sa mère donc ouais, les relations c’était pas la joie quoi, jusqu’à ce que ses parents
soient décédés puis là il a accepté / Il vous a laissé partir / Voilà il m’a laissé partir (silence) ». En
1999, Sarah revient donc en France, d’abord avec les enfants les plus jeunes (la 5ème fille naîtra
en Algérie dans une période où Sarah fait des allers-retours, le 6ème en France) puis les aînées la
rejoignent.
Pendant cinq ans, Sarah est hébergée tantôt chez sa mère, tantôt chez sa soeur, souvent da ns un
climat conflictuel, sa mère lui reprochant sans cesse d’avoir quitté son mari et l’Algérie, sa
sœur se servant d’elle comme « boniche ».
En 1999, un ami de son beau-frère lui loue un appartement de type 3 qu’elle occupe toujours ;
Sarah vit seule avec ses six enfants (5 filles de 18 à 8 ans et un garçon de 7 ans). Le logement
étant trop petit, elle commence alors des recherches dans le parc public. Sarah a sollicité
l’AVDL en octobre 2000 ; elle a été acceptée en commission d’attribution pour un loge ment
HLM de type 5 sur un programme neuf livrable fin septembre 2003 (réservation SIAL).
Sarah fait quelques heures de ménages et perçoit un complément de RMI.
- 156 Chez les parents
Indépendance
Naissance
en France en 1965
Parcours logement
Obtention
Lieu
Conditions de
logement
Entretien
16 septembre 2003
1965-1970
1970-1972
1972-1973 ou 74
1974-1984
VILLA
dont les parents
sont propriétaires
Vieille
maison
en location
HLM T2
HLM T6
"Mon père avait
construit une villa,
il était maçon"
"Cette villa elle a été
détruite parce qu'ils
devaient construire
une rue…
On nous a fait
déménager"
"On nous a évacué
la nuit…il n'y avait
ni lumière ni rien…
C'est un truc qui
traumatise un
gamin"
"Ils ont refait des
travaux"
"On nous a relogé"
VAULX
EN
VELIN
VAULX
EN
VELIN
VAULX
EN
VELIN
VAULX
EN
VELIN
"C'était une belle
villa… on avait un
jardin, on avait des
moutons, on avait
des poules, on avait
des dindons"
"Une vieille maison"
"C'était une
location quoi"
"La maison risquait
de tomber, il y avait
des fissures"
"On a été évacué
dans un T2…
C'était vraimment
un changement, un
grand changement"
"On nous a relogés,
c'était au
rez-de-chausssée…
dans un T6,
bon c'était grand"
1984-1994
1994-1999
1999-2003
1 octobre 2003
Hébergement
chez la sœur
et/ou la mère
PRIVE
T3
HLM
T5
"L'ami de mon
beau-frère avait
cet appartement
donc il nous l'a
loué"
Intermédiaire AVDL
(proposition en
commission de
pré-attribution)
Réservation SIAL
ALGERIE
"Chez ma mère c'était
pas le grand amour
donc fallait pas rester"
"Chez ma sœur, elle
avait 2 chambres et ils
étaient 4 et nous 3"
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
VILLEURBANNE
Quartier
périphérique
mais non
stigmatisé
"6 enfants sur un T3"
"A 7 dans un T3"
"Les 2 petits ils
dorment dans le
débarras"
Logement
neuf
en rez-de-chaussée
3 ans
AVDL : 32 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
VILLEURBANNE
Quartier
proche du
centre ville
API
7 frères et sœurs
Origine
algérienne
Père maçon
"Ils m'ont mariée
en Algérie"
Naissance des 4
premiers enfants
Décès du père en 1985
Naissance des 2
derniers enfants
CDD pour quelques
heures de ménages
plus complément RMI
- 157 -
Mehdi
(Récit du 18 septembre 2003)
Mehdi, 36 ans, est né en 1967. Français d’origine algérienne, il a huit frères et sœurs.
Mehdi parle très peu de ses parents, de son enfance. En une phrase, il résume son parcours
logement : « Ben moi j’habitais à Villeurbanne, à Olivier de Serres avec mes parents ; bon ben
après on a déménagé à Bron ; bon je suis resté à peu près 10 ans et puis après j’ai pris un
appartement à Villeurbanne ». Dans le quartier Olivier de Serres, « il y avait 5 ou 6 bâtiments,
c’était ancien, vraiment ancien, c’était vieux ». Le quartier a été démoli en 1984 et la famille a
été relogée à Bron dans une « résidence », un HLM de type 4 : « on était bien, ça va, c’était
résidentiel ». Le père de Mehdi décède en 1995 ; un peu plus tard, sa mère va vivre à côté
d’une de ses filles.
En 1996, Mehdi commence des démarches pour trouver un logement ; au bout d’un an, à 30
ans, il trouve un petit logement de 25 m² par l’intermédiaire d’un propriétaire privé avec lequel
il rentre en contact par le biais d’une petite annonce dans un journal gratuit : « Bon je
travaillais trois heures par jour, bon il m’a demandé un garant, bon après il est sympathique, il
est gentil quoi ; bon après c’était trop petit, j’ai contacté la Mairie, on m’a envoyé à
l’AVDL » : « il a fallu que je passe par l’AVDL hein ; c’est l’AVDL qui les a contacté bon
après ils m’ont proposé un logement ; moi c’est vrai comme je vivais dans 25 m2 je me suis dit
bon je vais aller là-bas, après j’ai été là-bas bon j’ai vu que c’était pas ça quoi ». Le logement
HLM proposé à Mehdi en septembre 2002, est un type 1 dans le quartier du Tonkin à
Villeurbanne ; au bout d’une semaine, Mehdi donne sa dédite : « Il y avait des bruits…C’était
cassé, il y avait des problèmes… Les locataires, ils respectaient pas les gens… Il y avait des
bruits, des nuisances ». Il retourne alors dans son ancien logement.
Début 2003, Mehdi reprend contact avec l’AVDL : son logement est mis en vente par le
propriétaire, il est menacé d’expulsion et doit impérativement partir. En juillet, l’AVDL le
positionne en commission de pré-attribution sur un logement HLM de type 2 sur un programme
neuf livrable début novembre 2003 ; la candidature est retenue compte tenu de l’expulsion pour
vente.
Depuis 2000, Mehdi est marié avec une algérienne dont la situation administrative vient d’être
régularisée.
Mehdi travaille quelques heures par semaine et touche un complément de RMI : « je travaille
le dimanche au marché aux puces, là bon peut-être je vais travailler à Saint-Fons à l’usine,
j’attends une proposition, et là bon j’ai rendez-vous avec l’ANPE 271 pour voir le problème
d’insertion quoi ; moi j’ai eu le niveau CAP272 fraiseur ; j’ai commencé comme magasinier,
bon après en 92-93 j’ai travaillé comme agent d’entretien et après sur les marchés avec les
camions poubelles pour nettoyer et tout ; moi j’ai arrêté parce comme j’ai une tendinite au
genou ; ça fait que j’ai pas pu continuer quoi ; bon après la société elle a été rachetée, on a été
licencié, les CDD, et après je travaillais que le dimanche ».
271
272
Agence Nationale Pour l’Emploi.
Certificat d’Aptitude Professionnelle.
Avant la
naissance
- 158 Chez les parents
Indépendance
Naissance à Lyon en 1967
Parcours logement
Ne sait pas
1967-1984
1984-1997
1997-2002
2002
1 semaine
2002-2003
1 novembre 2003
PRIVE
T3
HLM
T4
PRIVE
Studio
HLM
T1
PRIVE
Studio
HLM
T2
"Ils ont démoli
le quartier"
"Je me suis inscrit bon
j'ai lu les journeaux,
j'ai trouvé par un
propriétaire sur le 69"
"C'est l'AVDL qui les
a contactés, bon
après ils m'ont
proposé un
logement"
(bailleur social)
Retour à l'ancien
logement
Expulsion pour vente
Intermédiaire AVDL
(proposition en
commission de
pré-attribution)
Réservation SIAL
BRON
Parilly
VILLEURBANNE
VILLEURBANNE
Tonkin
VILLEURBANNE
VILLEURBANNE
Quartier proche
centre ville
"C'était ancien,
"C'était une
"Je vivais dans 25 m²"
"Il y avait des bruits"
"Il est trop petit quoi,
Logement neuf
vraiment ancien,
c'était vieux"
résidence quoi…
c'était résidentiel"
"C'était cassé, il y avait
des problèmes… les
locataires ils respectaient
pas les gens… Il y avait
du bruit, des nuisances"
c'est un 25 m²"
Obtention
Lieu
Conditions de
logement
Entretien 18 septembre 2003
VILLEURBANNE
Olivier de Serres
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
"C'est cher"
3 ans et demi
AVDL : 7 mois
Situation
socio-professionnelle
Niveau CAP fraiseur mais travaille comme
magasinier puis agent d'entretien (CDD)
Autres évènements
8 frères et sœurs
Origine algérienne
Mort du père
en 1995
Agent d'entretien en CDD + complément RMI
Mariage en 2000
avec une algérienne
(elle obtient sa carte de résidence)
- 159 -
Abiba et Karim
(Récit du 14 novembre 2003)
Abiba, 27 ans, est née en Algérie en 1976. Arrivée d’Algérie en France à l’âge de 3 ans, elle a
acquis la nationalité française en 1998 mais « je ne me sens pas complètement française… je
suis d’origine algérienne mais […] si je vais là-bas on ne me considèrera pas comme une
algérienne parce j’ai pas vécu là-bas, je n’ai pas la culture, la manière de vivre tout ça, c’est
pas pareil ».
Abiba est l’aînée de cinq frères et sœurs qui sont tous nés en France. Son père est arrivé en
France en 1972 ; il vivait dans un foyer d’Oyonnax avant de faire un regroupement familial ; la
famille occupe alors et toujours, un logement HLM de type 4 dans « un quartier d’immigrés »
sachant qu’à Oyonnax « la plupart c’est des immigrés » dit Abiba en riant.
Abiba est mal voyante ; dès l’âge de 7 ans, elle vit en internat à Villeurbanne dans un institut
spécialisé. De 1995 à 1997, elle réside dans un foyer de jeunes filles dans Lyon 6ème, puis elle
trouve avec difficultés, un logement de type 1 dans le privé « pas super quoi ».
En 1999, Abiba se marie avec Karim, un marocain qui obtiendra sa naturalisation française
grâce au mariage en 2002. Abiba trouve un autre T1 dans le privé par l’intermédiaire d’un
marchand de liste ; le logement est sale et petit, surtout lorsque arrive le premier enfant en
2002.
Abiba a commencé ses recherches dans le parc social en 2000 ; elle a sollicité l’AVDL en juin
2001 ; quatorze mois après, l’association positionne la famille en commission de pré-attribution
sur un loge ment HLM neuf de type 3 (réservation SIAL).
Le couple héberge les deux petites sœurs de Karim en attendant la venue de leurs parents en
France. Abiba est enceinte d’un deuxième enfant.
Abiba est bénéficiaire de l’Allocation aux Adultes Handicapés ; « en fait j’ai un niveau bac
littéraire spécialité math et j’ai fait une formation informatique bureautique en fait, et les
postes que je demandais c’était plutôt hôtesse d’accueil ou standardiste quelque chose comme
ça quoi ». Abiba aimerait travailler mais ne trouve rien : « j’ai envoyé plusieurs CV273 des
lettres et tout ça, à des postes avec la qualification que j’ai et tout ça, et on est toujours
intéressé par mon CV et ma lettre de motivation et puis quand on me voit et tout ça ben on veut
plus (rires) . Parce que dans mon CV je dis pas que je suis handicapée ça apparaît pas quoi ».
Karim, 28 ans, travaille en intérim.
273
Curriculum Vitae.
- 160 Avant la
naissance
Chez les parents
Indépendance
Naissance
en Algérie en 1976
Parcours logement
Entretien
14 novembre 2003
1976-1979
1979-1995
1995-1997
1997-1999
1999-2002
2002
Père
ALGERIE
dans un
foyer
depuis 1972
FOYER
de jeunes filles
PRIVE
T1
PRIVE
T1
HLM
T3
Père dans un
foyer en France
HLM
T4
et internat
dès l'âge de 7 ans
"C'est la seule
régie qui avait
accepté de me
donner un
appartement"
"J'avais payé une
agence mailing pour
avoir cet appartement…
Pendant 3 ou 4 mois
j'allais chercher des
listes mais je ne
trouvais pas"
Intermédiaire
AVDL
(proposition en
commission de
pré-attribution)
Réservation SIAL
VILLEURBANNE
Charpennes
VILLEURBANNE
Charpennes
Obtention
Regroupement
familial
Lieu
OYONNAX
"Quartier d'immigrés"
et Villeurbanne
(internat)
LYON 6ème
Conditions de
logement
"Pas super quoi"
"Dans l'allée c'était
toujours sale"
"C'était pas nettoyé"
"C'est devenu trop petit"
Logement neuf
"Il y avait des rats"
"Il est pas bien agencé"
"Les murs ils sont
vraiment très très
très très fins, on
"Si on a le choix je crois qu'on n'irait pas
entend tout… C'est
habiter là-bas"
mal insonorisé"
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
2 ans
AVDL : 14 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
VILLEURBANNE
Charpennes
Bac littéraire
Allocation Adultes Handicapés
Formation informatique
bureautique
5 frères et sœurs
"Depuis cette époque
ils (les parents)
habitent toujours
le même HLM F4"
Conjoint : intérim
Naturalisation
française en 1998
Mariage en 1999
avec un Marocain
Naturalisation
du conjoint
Naissance du 1er enfant
- 161 -
Sophie
(Récit du 17 novembre 2003)
Sophie, 33 ans, est née en France en 1970. Française d’origine tunisienne, elle porte un prénom
français : « C’est parce que mes parents ont craqué sur le prénom » dit-elle en riant. Elle a
trois frères et deux sœurs. Son père, grutier, est arrivé en France en 1963 ; sa mère le rejoint en
1968 avec leurs deux premiers enfants ; ils vivent alors dans une chambre de bonne à Lyon
qu’ils occupent toujours à la naissance de Sophie. En 1976, la famille obtient, par
l’intermédiaire d’une connaissance de travail du père, le rez-de-chaussée d’une villa à
Montchat : « c’était correct, il y avait une cour, un jardin, un potager ». En 1982, on leur
propose d’acheter la maison mais il y a trop de travaux à effectuer et les parents de Sophie
préfèrent acheter un appartement de type 4 à Villeurbanne. Mal conseillés financièrement (« ils
savaient pas, ils connaissaient pas, ils savaient à peine lire et écrire ; ils savent lire mais bon,
ils lisent pas entre les lignes »), ils sont obligés de revendre en 1990 lorsque les enfants
grandissent et que les allocations familiales diminuent. Ils achètent un appartement de type 4 au
Mas du Taureau à Vaulx-en-Velin : « alors vous voyiez le cirque sur Vaulx-en-Velin, il y a des
années en arrière, quand on faisait brûler puis encore aujourd’hui les voitures sur les parkings
et puis brûler tous les magasins du Mas du Taureau, je veux dire il fallait penser à après ;
après revendre c’était impossible quoi ». Après le départ de Sophie, ils revendront pourtant,
prendront une location à Villeurbanne avant de louer un T2 à Vénissieux une fois que tous
leurs enfants auront quitté le foyer ; aujourd’hui, les parents de Sophie vivent entre la France et
la Tunisie où ils ont une maison : « quand ils sont trop longtemps là-bas et ben ils ont besoin
de nous voir ; ils sont pris quand même entre deux mais ils arrivent à rester plus longtemps làbas parce que bien sûr c’est leur pays natal et ils ont toute leur famille (silence). Elle (la mère)
est mieux, elle est mieux et puis même quand elle repart… quand elle est là-bas moi je sais je
vois quand je passe quelques jours là-bas, elle est bien, elle est différente, elle a le moral, elle a
envie de sortir, d’aller à la plage ; ici elle est pas bien, elle a mal à la tête, elle déprime ;
moins de temps elle reste en France, mieux elle se porte ».
Sophie a un parcours logement très mouvementé. En 1990, elle vit avec un compagnon dans un
T2 privé à Vaise ; la séparation du couple l’a conduit à être hébergée quelques temps chez une
copine. Elle se remet en ménage avec un français de souche qui deviendra le père de ses deux
enfants nés en 1996 et 2003. Après une période de rejet, son compagnon a fini par être accepté
par les parents de Sophie ; la vie de couple est marquée par une alternance de périodes de vie
commune et de séparations.
Le couple vit d’abord dans une chambre de bonne à Vaise (« c’était très mignon ») puis change
souvent de logements : en 1996, Sophie et son compagnon vivent quelques mois dans un T2 à
Vaulx -en-Velin, puis 1 an dans un logement HLM à Villeurbanne, obtenu grâce à une
connaissance qui travaille chez le bailleur. De 1997 à 2000, ils obtiennent un logement qui
appartient à l’employeur du compagnon de Sophie, « quelque chose de plus sympa, de plus
standing ». De 2000 à 2001, le couple retrouve un appartement HLM, par petite annonce, mais
Sophie ne supporte pas ce logement ; ils retournent dans le privé dans l’appartement d’un ami,
mais cette fois-ci c’est son compagnon qui n’aime pas le logement.
- 162 En 2002, il prend un logement à son nom. Après une nouvelle tentative de vie commune, le
couple se sépare début 2003 ; Monsieur donne sa dédite pour le 1er septembre ; Sophie,
enceinte, se voit dans l’obligation de partir ; elle commence des démarches vers le parc social
et sollicite l’AVDL en mars 2003.
L’intervenante sociale de l’AVDL étant absente plusieurs semaines, Sophie contacte
directement les interlocuteurs de cette intervenante chez deux bailleurs sociaux ; elle réussit à
sensibiliser une personne à sa situation et obtient, en accès direct, un logement HLM de type 4 ;
elle est relogée en septembre 2003, juste avant d’accoucher.
Sophie vit maintenant seule avec ses deux enfants. Coiffeuse, elle est actuellement au chômage
et touche les ASSEDIC ; elle sait qu’elle pourra trouver du travail sans problème mais pour
l’instant elle n’y a pas intérêt financièrement car il faudrait faire garder le bébé. Elle aimerait
reprendre des études mais ne sait pas très bien quoi.
- 163 Avant la
naissance
Chez les parents
Indépendance
Naissance
en France en 1970
1972-1976
Entretien
17 novembre 2003
1976-1982
1982-1990
1990
1990
1996
Quelques temps
Parcours logement
PRIVE
Chambre
de bonne
PRIVE
Chambre
de bonne
Obtention
Lieu
LYON
Conditions de
logement
PRIVE
Rez-de-chaussée
d'une villa
T4
PROPRIETAIRE
T4
PROPRIETAIRE
T4
"Par l'intermédiaire
d'une
connaissance
de son (le père)
travail"
"Mes parents
avaient
acheté"
"C'est devenu
difficile"
(financièrement)
"Ils ont revendu"
"Ils ont acheté
sur Vaulx-en-Velin"
LYON
LYON
Montchat
"C'était une
"C'était une villa"
chambre de
"On était au
bonne, on était 5 rez-de-chaussée"
dans une chambre" "C'était correct"
"Il y avait des
"Une cour, un
matelas par terre" jardin, un potager"
VILLEURBANNE VAULX-EN-VELIN
PRIVE
T2
Hébergement
chez une
copine
1996-1997
1997-2000
2000-2001
2001-2002
2002-2003
2003
HLM
PRIVE
Logement
du patron de
Monsieur
HLM
PRIVE
PRIVE
HLM
T4
"C'était une
connaissance de
mon ami qui
travaille à
LOGIREL"
Par l'employeur
de Monsieur
"L'annonce se
trouvait sur le 69"
Par une régie
En partie par
l'intermédiaire de
l'AVDL
Location au nom
de Sophie
Monsieur garant
Co-location
"J'ai trouvé par
un copain, c'était
son appartement"
Location au nom
de Sophie
VILLEURBANNE
VILLEURBANNE
Quelques mois
PRIVE
Chambre
de bonne
PRIVE
T2
VILLEURBANNE
VILLEURBANNE
VILLEURBANNE
Accès direct
VAISE
VAISE
VAULX-EN-VELIN
"C'était encore
"J'ai vécu avec
"C'était aussi
"C'était un peu
"Quelque-chose
"L'appartement
"L'appartement
Bel appartement
très chaud"
"On faisait brûler
les voitures et
puis brûler les
magasins"
quelqu'un dans
un petit T2
en location"
une chambre
de bonne mais
c'était très
mignon"
plus grand"
de plus sympa
de plus standing"
je ne le
supportais pas"
il (son compagnon)
aimait pas"
Appartement
"de transition" à
cause de
l'environnement
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
VILLEURBANNE
Quartier pas trop
excentré mais
immeuble un peu
"sensible" :
dégradations
7 mois
AVDL : 7 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
Location au nom
de Monsieur qui a
donné sa dédite
Toujours indépendante financièrement : COIFFEUSE
Arrivée du père
en 1963
et de la mère
en 1968
5 frères et sœurs
Origine
tunisienne
Père grutier
Les parents ont
revendu pour un
T4 en location
à Villeurbanne
puis un T2 à
Vénissieux
Licenciement
Missions de
Chômage (ASSEDIC)
en 2000
courtes durées
Voudrait reprendre des études
Naissance
du 1er enfant
Vie maritale
Séparation
Alternance de vie commune et séparations avec le père de ses enfants, un français de souche
Naissance du
2ème enfant
Séparation
début 2003
- 164 -
Nora
(Récit du 26 novembre 2003)
Nora, 32 ans, est née en France en 1971. Française d’origine algérienne, elle a sept frères et
sœurs dont une est décédée petite. Son père est arrivé en France en 1962 ; il a travaillé 38 ans
dans la même entreprise, « il a eu sa médaille d’argent, il a même eu sa médaille d’or » dit
Nora en nous montrant des photos ; il est maintenant à la retraite mais garde des contacts avec
ses anciens collègues. Depuis peu, la maman de Nora travaille ; Nora l’a aidée à trouver
quelques heures de ménage pour « bouger », sortir de la maison et ne pas avoir toujours ses
petits enfants à garder !
Avant sa naissance, les parents de Nora habitaient « un petit appartement » à Saint Genis Laval
mais Nora « ne sait pas trop ». En 1971, ils obtiennent un logement HLM de type 5 dans le
8ème arrondissement de Lyon où ils vivent toujours avec quatre garçons ma jeurs encore à la
maison.
En 1987, à 16 ans, Nora part en vacances pour la première fois en Algérie ; un cousin qui
construit une maison pour ses parents, tombe amoureux d’elle et la demande en mariage. Nora
reste en Algérie et se marie ; ce n’était pas vraiment un choix : « c’était entre les deux parce
que j’avais 16 ans, c’était le moment de l’adolescence donc ma maman elle avait très très
peur… entre nous, un peu des deux ; moi aussi je préférais me marier… parce que j’ai vu
que… l’adolescence c’est vrai que l’on change beaucoup c’est un moment où… on se
métamorphose beaucoup (rires). On grandit quoi et puis ma maman elle a pas voulu que…
enfin surtout en Algérie la femme dès que… bon elle se marie vierge, il faut qu’elle soit droite,
qu’elle fréquente pas de garçons (rires) alors que nous à cet âge on commençait à ouvrir les
yeux (rires). Donc c’est vrai qu’elle a eu un petit peu peur pour ça c’est vrai un petit peu elle
m’a poussée 274… Heureusement que je suis tombée sur un mari vraiment… parce que je
connais pas du tout hein et… comme il est très très gentil jusqu’à présent on n’a rien, enfin je
touche du bois (rires). Non mais bon, ouais ça va, très très gentil, patient… Puisqu’il m’a
vraiment aimé ; lui c’était vraiment le coup de foudre ; lui c’était moi ou… c’est vrai qu’il a
convaincu ma maman c’était un peu… c’était de sa faute parce qu’il voulait vraiment se
marier avec moi, il m’aimait MOI mieux que mes autres sœurs ».
Nora reste 11 ans en Algérie : « c’était un peu dur pour moi, j’étais seule, vraiment seule,
voisins pis voisins voisines, mais il y avait une petite limite parce que je connaissais pas trop,
enfin ils ont pas la même mentalité DU TOUT… J’ai toujours gardé ma mentalité à moi, j’ai
pas voulu changer parce que je suis telle que je suis et que… je vais pas changer et puis c’est
vrai qu’on n’avait pas du tout la même mentalité… En plus c’était la première fois que j’étais
partie en Algérie donc (rires) donc je connaissais pas un mot arabe, pas du tout un mot arabe
tout au début ; heureusement que j’avais mon beau-père qui parlait bien français parce qu’il a
vécu ici quand même hein… donc il m’expliquait à chaque fois qu’est-ce que ça veut dire ; ma
belle-mère elle comprenait pas du tout, donc il m’expliquait chaque fois ce que ça veut dire
tout ce qu’elle me disait ; puis mon mari aussi il parle bien français, il a fait des études parce
que c’est vrai qu’à l’époque, c’était la France qui faisait l’école en Algérie, donc il a appris
bien le français ».
274
Quant aux sœurs de Nora, « elles ont réussi à pas… elles ont réussi à pas se marier (en Algérie) ».
- 165 Trois enfants (13, 11 et 7 ans) naissent en Algérie. La famille revient en France en 1999 : « en
fait il y a eu des problèmes de l’autre côté ; mon beau-père était décédé, enfin par les
terroristes, donc c’est vraiment un cas spécial, donc une bombe à la maison chez lui, mort sur
le coup ; c’est là que ça lui (son mari) a travaillé la tête ; vous savez hein il y a eu un moment où
en Algérie vraiment on n’avait pas envie du tout d’y penser parce c’est ça qui l’a bousculé ; il
m’a dit bon ben je veux plus rester ici, je veux plus voir… ces choses ; ça l’a travaillé c’est vrai
que ça nous… on était bien installé, je dis pas qu’on n’était pas bien installé, pour lui c’était ça
et pour moi c’était euh… les personnes, je me sentais pas… pas à l’aise ; tous les deux on
n’était pas bien ».
Nora revie nt d’abord seule l’été 1999, puis ses enfants la rejoignent pour la rentrée scolaire ; ils
sont hébergés soit chez ses parents, soit chez sa sœur , puis Nora trouve un appartement en
sous-location par l’intermédiaire d’une association ; la sous-location est assortie d’un contrat de
travail de deux ans avec une régie de quartier pour le gardiennage et l’entretien de l’immeuble.
Le mari de Nora arrive en France ; il demande tout de suite la nationalité française qu’il
obtiendra en 2002.
Nora poursuit ses démarches vers le parc social et sollicite l’AVDL en novembre 2000 ; la
famille a été relogée dans un logement HLM de type 4 (réservation SIAL) en juillet 2002.
Nora travaille à temps partiel en CDI dans une entreprise de nettoyage ; elle aimerait faire autre
chose que du ménage : « Dans le nettoyage on n’est pas reconnu… On se sent…un peu
rabaissée ; moi je me suis dit que j’allais pas trop m’impliquer… Je le fais parce que c’est un
mi-temps et que j’ai le temps aussi de m’occuper de mes enfants parce qu’ils grandissent et
tout ; toute une journée comme vous voyez je suis à la maison je leur fais à manger, le soir je
leur fais à manger puis après je pars travailler. J’ai beaucoup de temps avec mes enfants, ça
me dérange pas, mais des fois je craque, je me dis qu’est-ce que j’ai fait là, parce que j’aime
bien m’habiller, j’aime bien discuter, j’aime bien les relations, j’aime bien beaucoup de choses
(rires) Donc ce métier c’est pas ma place ici ; mais j’ai pas le choix parce que comme j’ai
quitté la France après la troisième ! Normalement je devais passer en seconde, j’y suis pas
allée parce que je me suis mariée ; c’est ça qui me bloque tout, j’ai pas un bon niveau. J’ai fait
l’année dernière un bilan de compétence, ça a abouti à secrétariat comptabilité mais il
faudrait que je fasse une remise à niveau ; je sais pas, j’ai pas le courage, je me sens pas de
tout reprendre pour avoir le bac… Peut-être faire autre chose, travailler sur quoi, je sais pas ;
c’est vrai que c’est dur ; un niveau de troisième, refaire quelque chose quoi, c’est toujours un
point d’interrogation parce que la plupart des métiers ils demandent un niveau bac, bac + 1,
bac + 2, ou bien ils demandent dans l’emploi de l’expérience, un bon niveau ; à mon niveau il
y a pas… Ce que je souhaite, j’aimerais bien, j’aimerais bien trouver un travail parce que ça
m’intéresserait, mais c’est dur, très dur, c’est dommage qui prennent pas des
personnes… enfin qui… j’aurais pu faire des stages un peu partout et peut-être réussir (silence)
Mais l’emploi c’est une des choses que je cherche maintenant, c’est le seul souci là en ce
moment, c’est l’emploi ; j’aimerais bien changer, plus faire de nettoyage parce que j’en ai
vraiment ras le bol ; je le fais mais des fois je me sens mal, je suis obligée et en plus j’ai un
CDI, je peux pas démissionner ; bon si je trouve autre chose je démissionne sur le champ ;
j’aimerais retourner à l’ANPE, être suivie par un conseiller, voir ce que je peux faire, ce que
j’aurais envie de faire parce que moi-même je sais pas ce que j’ai envie de faire».
Le mari de Nora est au chômage ; ils touchent un complément de RMI.
- 166 -
Avant la
naissance
Chez les parents
Indépendance
Naissance
en France en 1971
1971-1987
Entretien
26 novembre 2003
1987-1999
1999
1999-2002
2002
PRIVE
Sous-location
T3
HLM
T4
Intermédiaire
assistante sociale
Intermédaire
AVDL
Réservation SIAL
LYON 8ème
VILLEURBANNE
VILLEURBANNE
Quartier excentré
mais "tranquille"
Quelques mois
Parcours logement
PRIVE
Obtention
Lieu
Conditions de
logement
HLM
T5
ALGERIE
Obtention
du logement
en 1971
St GENIS
LAVAL
LYON 8ème
ALGERIE
Ne sait pas trop
9 dans un T5
"Je faisais droite à
"C'était seulement
"J'ai réussi à
"Un petit appartement"
(4 frères encore chez
les parents en 2003)
gauche, 2 jours par çi,
2 jours par là"
un contrat d'insertion
de 2 ans"
avoir ce que je
voulais"
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
30 mois
AVDL : 20 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
Hébergement
chez la mère
et/ou la sœur
Gardiennage-entretien puis agent d'entretien à mi-temps (CDI)
Conjoint : chômage
Arrivée du père
en 1962
A travaillé 38 ans
dans la même
entreprise
7 frères et sœurs
dont 1 est décédé
Mariage en Algérie
à 16 ans
Origine algérienne
Naissance des
3 enfants
Demande de
nationalité française
du mari
(par mariage)
- 167 -
Khadija
(Récit du 3 décembre 2003)
Khadija, 29 ans, est née en France en 1974. Française d’origine tunisienne, elle a sept frères et
sœurs dont une est décédée. Son père est arrivé en France en 1939 ou 1940. Khadija ne connaît
pas très bien son parcours. En 1969, la famille occupe un logement privé de type 3, « grand »
mais « ancien » à Lyon 3ème. En 1974, l’immeuble devant être détruit, la famille est relogée
dans un HLM de type 4 dans le quartier de Montchat à Lyon : « il n’y avait pas de salle de
bains, pas de chauffage, ils ont rénové il y a pas longtemps ». Comme d’autres familles
maghrébines du quartier, la famille de Khadija (neuf personnes dans un T4) rencontre des
difficultés avec le voisinage (plaintes à cause du bruit, pétitions…). Mais les parents de Khadija
résident toujours dans ce logement.
En 1998, Khadija commence à rechercher un logement. En 2000, ses démarches en direction du
parc social n’aboutissant pas, elle prend un appartement de type 2 dans le privé, juste avant son
mariage avec un tunisien vivant en Italie (ils se sont connus en Tunisie pendant les vacances et
sont restés fiancés 4 ans avant de se marier). « Le bâtiment avait 100 ans, il était tout pourri…
Il y avait de l’humidité, il y avait du plomb… ».
Poursuivant ses recherches de logement HLM, Khadija a sollicité l’AVDL en décembre 2001.
L’association a présenté sa candidature en commission de pré-attribution pour un logement
HLM neuf de type 3 (réservation COURLY). Le ménage a été relogé en octobre 2002.
Khadija a deux enfants. Elle est fonctionnaire et travaille comme auxiliaire de vie pour la Ville
de Lyon : « j’ai été aidée par une dame comme Mme B. (de l’AVDL) ; j’étais dans une
association d’aide à domicile mais je voulais rentrer dans la fonction publique et il fallait
quand même… elle a fait comme Mme B., des suivis, des rendez-vous, elle connaissait du
monde à la Ville de Lyon mais elle m’a testée… elle m’a testée… Elle m’a aidée, je lui ai dit :
avec ce que je gagne à l’association, je trouverai pas un logement, il me faudrait déjà un
boulot stable et pas un CDD parce qu’à l’association, c’était bien, mais c’était 4 heures à 6
heures par jour ; dans les régies ils m’avaient dit il faut quand même un revenu 3 fois le loyer
et tout. Elle m’avait dit : il y a un journal officiel de la Ville de Lyon et tous les 15 jours il y a
des commissions pour postuler ; je crois que pendant six mois - sept mois j’allais toutes les
semaines la voir : qu’est-ce que vous avez fait, les démarches et tout, je lui montrais tout. Elle
savait qu’il y avait une maison pour personnes âgées qui allait s’ouvrir et qu’ils cherchaient
des gens, et un jour elle m’a dit : il y a une maison de retraite qui va s’ouvrir, ils cherchent des
auxiliaires de vie ; comme vous avez raté le concours d’aide-soignante, vous allez postuler
comme auxiliaire de vie ; elle me dit : si vous voulez j’appelle la personne je vois si… Je lui
dis : non laissez je vais y aller moi ; c’est où y faut que j’aille ? Elle me dit : non vous savez et
tout… elle m’avait pas dit c’est raciste, pas du tout, parce qu’au niveau de la Ville de Lyon,
c’est pas ça ; ils regardent pas ça ; elle m’a dit : non laissez je vais appeler la personne ; je lui
dis : non laissez je vais y aller moi ; envoyez mon C.V. avec votre courrier et moi je vais y
aller ; je vais aller à l’entretien mais ne m’appuyez pas ; je vais y aller je dirai même pas que
c’est de votre part.
Ce jour là je suis allée à la Ville de Lyon, la présentation c’est important, je m’étais mise sur
mon 31, bien coiffée, bien arrangée ; on m’avait dit Mme G. elle est en haut, elle vous attend
- 168 devant ; elle m’avait vu arriver, je me suis présentée et je lui ai dit : je postule pour ce poste
parce que je suis très intéressée, tout le blablabla, mais c’était sincère parce que je voulais
vraiment un travail ; je lui dis : moi je me permets d’insister et il me faut une réponse très
rapidement et tout. Elle me dit : écoutez la maison de retraite ouvre je suis en train de faire des
entretiens d’embauche, il y a pas de problème ; qui c’est qui vous envoie ? Je lui dit écoutez,
j’ai même pas dit le nom, j’ai dit vous savez que vous avez un journal qui sort tous les 15 jours
que je reçois à mon domicile : ah très bien, ça a été de la chance, alors vous avez vu
l’annonce. C’est après que je lui ai dit, mais pas tout de suite ; elle me dit : bon écoutez vous
avez de l’expérience c’est bon vous passez la visite médicale cet après-midi tant que j’ai la
réponse vous commencez demain matin / Ouh là ! C’était en quelle année / C’était il y a 7 ans ; elle
m’a dit : vous êtes une battante, vous savez ce que vous voulez ; je lui ai dit : écoutez dans la
vie il vaut mieux savoir ce qu’on veut (rires). Elle a rigolé, elle m’a dit : vous au moins vous
êtes directe ; j’ai dit (en riant) : moi je passerais pas par 4 chemins, j’ai besoin d’un revenu
stable et je vous cache pas que financièrement j’ai besoin d’avoir un travail, de rentrer dans la
fonction publique parce que j’ai envie de passer les concours pour évoluer, d’aide-soignante à
infirmière si il le faut, mais déjà on va pas brûler les étapes, je cherche un travail et j’ai envie
de travailler aux personnes âgées parce que j’ai une expérience de 10 ans dans les hôpitaux en
gériatrie, voyez vous-même le C.V. ; elle m’a dit : je vous fais confiance et c’est là que j’ai
commencé. J’ai été mobile pendant 3 ans puis j’ai eu un poste fixe ; j’ai raté mon concours
d’aide-soignante d’un demi point, il y avait un poste d’aide-soignante je l’ai frôlé ».
Le mari de Khadija travaille comme façadier en CDI.
Avant la
naissance
- 169 Chez les parents
Indépendance
Naissance
en France en 1974
Parcours logement
Obtention
Lieu
Conditions de
logement
1974-2000
2000-2002
2002
PRIVE
T3
HLM
T4
PRIVE
T2
HLM
T3
Arrivée dans ce
logement en 1969
"Ils allaient le
détruire"
Par une régie
Intermédiaire AVDL
(proposition en
commission de
pré-attribution)
Réservation SIAL
LYON 3ème
Guillotière
F3
LYON
Montchat
VILLEURBANNE
Maisons Neuves
VILLEURBANNE
Quartier tranquille
9 personnes dans un T4
"Le bâtiment il avait 100
Logement neuf
"Il y avait pas de salle de
bains, pas de chauffage, ils
ont rénové il y a pas
longtemps"
ans, il était tout pourri"
"Il y avait de l'humidité,
il y avait du plomb"
"3è étage sans ascenseur"
"C'était le paradis…
un appartement tout
fait… chauffage gaz
individuel, tout le confort"
"C'était ancien"
Durée des démarches
Durée accompagnement
AVDL
4 ans
AVDL : 11 mois
Situation
socio-professionnelle
Autres évènements
Entretien
3 décembre 2003
Fonctionnaire : auxiliaire de vie en CDI
Conjoint : CDI
Arrivée du père
en 1939 ou 1940
7 frères et sœurs
dont une est décédée
Mariage en 2000 avec un
Tunisien vivant en Italie
Origine tunisienne
Naissance 1er enfant
Naturalisation
du conjoint
(par mariage)
Naissance 2ème enfant
- 170 -
Annexe 4
Tableaux :
« Les démarches effectuées »
« Les mots forts »
- 171 -
Les démarches effectuées
SAMIA
MALIKA
SONIA
FARIDA
SARAH
MEHDI
ABIBA
KARIM
SOPHIE
NORA
KHADIJA
Préfecture (SIAL)
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OPAC Villeurbanne
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OPAC du Rhône
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OPAC Grand Lyon
OUI
OPAC de l’Ain
OUI
AXIADE
OUI
OUI
SLPH
OUI
SVU
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
BATIGERE
OUI
S.A. G. Rosset
OUI
SAGECO
OUI
SVHLM
NON
NON
Mairies
REFUS
OUI
OUI
SEMCODA
REGIES
OUI
1
OUI
OUI
Au début
Au début
OUI
OUI
2
NON
Propriétaires
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
OUI
2
1
(petites
annonces)
1
- 172 -
Les mots forts
Difficile/Difficultés
Pas facile/dur/lourd
Problème, souci
Maghrébins (nes)
Arabes
Origines
Raciste/Racisme/Race
Différence/différent
Prioritaires ou priorités
Immigrés
Chance
Patronyme
(nom typé/prénom)
Discrimination
Ils ont vu ma tête/ la tête
qui ne passe pas…
Exclu/Exclusion
Musulman
Etrangers (ère)
Pistonné,piston
Black, africain
LE PEN
Injustice
Terroriste
Intégriste
Un Mohammed, un Ali
SAMIA
MALIKA
SONIA
FARIDA
SARAH
MEHDI
11
1
14
19
8
7
10
16
5
2
16
10
2
4
1
3
1
5
10
1
7
6
1
3
4
12
3
9
3
4
12
1
4
1
9
3
1
1
ABIBA
KARIM
11
SOPHIE
NORA
KHADIJA
TOTAL
9
36
18
134
20
2
4
9
13
1
8
5
8
2
3
1
1
2
2
28
15
14
2
10
5
12
16
6
2
4
2
107
41
39
34
31
31
31
29
28
18
2
5
6
2
1
1
6
9
3
6
7
1
2
3
2
2
1
1
1
1
3
1
2
1
1
2
2
1
1
2
3
1
10
9
7
6
5
5
4
4
3
3
3
1
- 173 -
Annexe 5
Le récit de Farida
- 174 -
Récit de Farida
Le 7 août 2003
Ce que j’aimerais, c’est que vous me racontiez votre histoire logement / Ouh là / Les logements où vous avez
habité, depuis l’enfance, les souvenirs que vous en avez, les difficultés éventuellement liées au logement ; et
puis à partir du moment où vous avez voulu être autonome et cherché un logement, comment ça s’est
passé…Que vous me racontiez votre parcours logement / D’accord ! Et bien enfant, on était sur Communay,
qui à l’époque était une commune de l’Isère, et qui est devenu une commune lyonnaise, et bon j’étais un peu
petite ; puis on est arrivé en …67… oui en 67, rue O. ; là on avait un grand appartement qui était très bien,
mais l’environnement moins ! Mais bon !... On est parti en …73…pour aller dans le 6ème ; alors là c’était
vachement plus clean (rires) mais l’environnement était meilleur ! Mais, on n’est pas resté longtemps car ça a
été frappé d’alignement et il fallait détruire ! C’était des très, très vieux appartements ; on vivait dans des
alcôves, plus que des chambres ; des alcôves et… un espèce de grand salon et une cuisine / C’était donc un
choix de vos parents de…/ pour pouvoir quitter… Le tremplin pour pouvoir quitter O. ; et ensuite, ils sont
arrivés… on est resté 1 an et demi, ça fait donc… 74… non 73 ; on est arrivé dans l’année… dans l’année 75
allée M. On était dans les préfabriqués bien sûr, on se chauffait au bois ou au mazout, c’était du préfabriqué !
Ils avaient construit 4 maisons solides, puis ils ont arrêté. A l’époque c’était V. (bailleur social). Donc, on est
allé… donc, allée M., dans les préfabriqués ; bon on avait une salle à manger, une cuisine, 1…2… on avait 4
chambres ! On était un paquet, hein / Pour combien d’enfants / 11 ! (silence) 11 enfants, dont… sur les 11, il y
en avait 4 de moins, les aînés ; il restait 4 filles et 3 garçons. Et donc, il y a eu… on a attendu, ils nous avait
promis qu’ils nous feraient des appartements, des maisons individuelles mitoyennes… enfin, elles sont pas
individuelles si elles sont mitoyennes ! Euh… ils nous ont rien fait, donc il a fallu faire, euh… brûler… Les
jeunes du quartier ont brûlé les maisons qui étaient vides pour pas que d’autres viennent habiter alors qu’ils
avaient promis qu’ils nous faisaient construire des… Il y a eu des émeutes quoi, en quelque sorte / Les
maisons en dur ou…les baraquements / Non, non, les baraquements qui étaient dans un pitable… il y avait pas
d’eau chaude, il y avait pas… on avait que l’eau froide, donc euh… l’électricité, ça laissait à désirer ! Les
préfabriqués c’est fait pour un temps / Et donc, pour éviter qu’il y ait d’autres familles qui arrivent dans ces
préfabriqués, les jeunes ont…/ les jeunes ont trouvé la solution de tout casser à l’intérieur ! Et à la fin, par la
suite, ils ont construits / D’accord / Ca a été efficace ! ça a été efficace parce que… ils nous ont fait 4
maisons… Pendant des années, elles y étaient ces 4 maisons, euh… 6 ans. On voyait pas d’autres
constructions ; on voyait par contre des gens qui venaient habiter dans les maisons, qui quittaient les
préfabriqués, ils les avaient mis dans du solide, et d’autres venaient, pour pas perdre de loyers je pense…
voilà ! Donc après, quand ils sont partis, d’autres ont pas eu le temps d’arriver, qu’ils ont tout cassé, tout brûlé,
alors du coup ils ont construits / C’était en quelle année / Ça c’était avant 80 … ça devait être dans les années
en 77…78, ou 79 peut-être / D’accord, donc vous êtes restés 4 ans / Dans les préfabriqués ! Enfin un peu plus
car il a fallu qu’ils construisent ! Maintenant on monte une maison en 8 mois, à l’époque on mettait un peu
plus de temps. Donc je pense qu’on est arrivé en… 83 dans la maison ; en 83…84. Il a fallu du temps ; après
les émeutes, il a fallu construire, ils ont pas fait ça tout de suite… et puis ils avaient dit les jeunes qu’ils
continueraient, dès qu’il y aurait une famille qui quitterait… donc ils ont pris les choses au sérieux quoi !
Voilà, donc ils ont construit… et puis ils ont construit du solide comme les autres. Et là on a eu une maison
correcte quoi ! Il y a 4 chambres en haut, salon, salle à manger et cuisine en bas / Ca vous changeait / Ah oui !
Parce nous on avait la salle de bains en haut, dans les préfabriqués, je me souviens, qu’on descendait avec des
grosses bassines qu’on mettait à chauffer… enfin des grosses marmites qu’on mettait à chauffer pour pouvoir
se doucher quoi ! Ou ne serait-ce que pour se laver la tête ! Parce qu’on avait l’eau froide mais on avait pas
- 175 l’eau chaude ! Alors mélanger l’eau froide l’eau chaude, c’était vraiment, euh… archaïque comme système /
Vous étiez enfant, comment vous avez vécu ces passages, d’abord de O. où vous aviez du confort au 6ème /
Dans le 6ème, malgré les alcôves, on avait l’eau chaude quand même ; on voulait prendre une douche, on
allait prendre une douche ; il y avait une cabine douche, il y avait un petit cellier où le propriétaire avait mis
un espèce de vasistas et il nous a fait une cabine douche hein ? On avait une douche, on avait tout quoi ! C’est
important, c’est vachement important l’eau / Et ensuite / Bien mes parents, ils savaient pas les lois, parce
qu’ils étaient illettrés ! Mais euh… si ils avaient su que… ils quitteraient pas l’appartement, donc ils leur
donneraient quelque chose… la 1ère chose qu’ils leur ont proposé, ils ont pris quoi ! Mais il y avait une dame
là-bas qui était italienne, je me souviens bien, qui disait : « Mais partez pas, partez pas, ils vont vous
dédommager ! ». Mais nous on savait pas de quoi elle parlait ! D’abord parce que nous on était petit et puis ma
mère elle comprenait pas, elle disait : « Je comprends pas moi, comment voulez-vous qu’on parte pas ? ». Mes
parents disaient qu’ils étaient obligés d’accepter ; ma mère elle disait : « ben oui »… elle paniquait… plutôt
que de se retrouver à la rue ! Parce qu’elle, elle a mal vécu sa venue en France, parce qu’elle est restée… Mon
père les a fait venir, mais bon mon père habitait dans un garni ! Donc il pouvait pas la faire, euh… la faire
habiter dans le garni… c’était pas… c’était interdit, les femmes étaient interdites dans le garni, donc euh… il
l’a emmenée, je me rappelle, ma mère elle nous a raconté qu’ils avaient dormi dans le petit jardin de Brotteaux
qu’il y ava it… et ma mère elle est arrivée en France avec 3 enfants, hein, elle en avait un de 6 mois / Avec les
3 enfants ils dormaient dans le jardin / Dans le jardin, ouais ! C’était le parcours du combattant ! Ils ont galéré
mes parents ! Ils sont arrivés en 53 en France ; ils nous racontent / Votre père est arrivé est 53 / Non, non, ma
mère est arrivée en 53, mon père était là, était là depuis l’âge de 16 ans, ça faisait de nombreuses années qu’il
était là / Il travaillait / Oui ! il travaillait ! il travaillait chez Berliet… comme tout le monde (rires) ! Qu’est
devenu Renault maintenant, mais à l’époque, c’était Berliet / (Problème d’enregistrement : manque un petit bout de
l’entretien) O. c’était quel bailleur ? Vous vous rappelez ?/ Ben je me rappelle parce qu’ on l’appelait Mr S. !
Les bâtiments S. / Vos parents ils l’ont trouvé tout seul ce logement là / Oh je pense qu’il y a du avoir des
aides d’assistante sociale / Je n’ai pas bien compris pourquoi vos parents ont laissé ce logement plutôt
confortable pour aller dans un très vieux logement du 6ème / Parce que quand on est arrivé, bon on arrivait de
la campagne, j’avais un frère qui partait en vrille ! Donc on était obligé hein ? Moi ma mère elle l’a fait placer
par un juge, parce qu’il n’arrêtait pas de faire des conneries ! Il était petit encore et pis ma mère elle avait
peur ; ils ont voulu quitter l’environnement ! On avait une sœur qui habitait avec son mari et sa fille dans le
6ème, donc ils connaissaient bien le propriétaire, alors comme ma sœur elle montait au-dessus, elle a dit qu’il
y avait ses parents qui prendraient juste en dessous, comme ça il perdait personne quoi, il gardait toujours son
loyer quoi / Et vous avez vécu comment ce changement / J’étais contente ! Même si le logement était moins
confortable j’étais contente de quitter le quartier, parce que… dans le 6ème, c’était trop sympa, c’était trop
bien ; les gens étaient vachement gentils ; ils récoltaient des vêtements, ils donnaient des vêtements…
Beaucoup de… de… de social ... pour un secteur comme le 6ème ! Je me rappelle, on habitait au 39 rue R., on
avait l’école juste en face ! Après les cours l’assistante sociale venait voir si tout allait bien… elle nous
emmenait… [.] Ca a été court, 1 an et demi, mais ça a été un super apprentissage / Le logement allait être
démoli, c’est pourquoi vous êtes parti / Voilà ! Ma mère elle pensait qu’elle avait pas le choix, qu’il fallait
qu’elle parte quoi ! Sinon elle se retrouvait à la rue / C’est là qu’on vous a proposé l’allée M. / On n’a pas eu
le choix ! La voisine elle avait dit à ma mère, n’acceptez pas parce qu’ils peuvent vous proposer mieux et la
dédommager ! Parce qu’ils ont pas le droit de la foutre dehors ! Mais ma mère elle me disait : « Je vais me
retrouver dehors… c’est pas possible… avec mes enfants, non ! » Donc elle avait… en plus c’était en plein
hiver donc… (rires) c’était pas… ça allait pas être simple quoi ! Et donc, ce qui fait qu’elle a accepté, elle
savait pas… parce que d’un côté la voisine lui disait ça, et de l’autre côté, quand on lui proposait, on lui disait
qu’elle avait pas le droit de refuser hein, sinon vous allez vous retrouver dehors ! Maman elle dit : « Ils savent
- 176 ce qu’ils disent quand même » / C’était qui qui lui avait proposé / V. je pense… La mairie, toute manière du
6ème ; quand c’est frappé d’alignement, ils doivent reloger ! Donc je pense que il y a de ça aussi, quoi / Vous
êtes toujours allée M. / Oui ! Ils sont restés à l’allée M. / Mais vous / Ben moi… alors moi c’est un petit
parcours du combattant (rires) ; mais moins combattant que celui de mes parents quand même ! C'est-àdire que… ben moi… je… je… j’ai habité dans le 9ème arrondissement, Vaise ! Comme j’étais avec mon
copain, et puis bon… j’habitais chez ma frangine en attendant de trouver un appartement ; elle a appelé les
HLM en leur disant qu’elle avait un couple ; parce qu’elle avait un F3… elle a dit qu’elle avait son beau-frère
à la maison, plus moi, et que… ça leur faisait trop ; donc on a triché en disant que j’étais enceinte, donc ils ont
trouvé un appartement tout de suite / Ah oui / Relativement vite oui ! J’ai demandé en quelle année ? euh ?...
J’ai demandé en 85… en 84, et je l’ai eu en 84, 2 ou 3 mois après / C’était quel bailleur / K. (bailleur social) /
C’était une proposition préfecture ou en direct / En direct avec ma sœur ! Voilà, donc on a fournit les fiches
de paies, tout ça… c’était rue A. dans le 9ème à Vaise vers la piscine. C’était un F3 mais pour moi c’était un
faux F3 parce que… c’est vrai qu’il y avait 2 chambres, mais il n’y avait pas de cuisine, donc euh… la cuisine
était dans la salle à manger. D’ailleurs il y a eu une réhabilitation, il n’y a plus de F3 là -bas, les F3 ils les ont
transformé en F2. Et euh… euh… on avait une salle à manger, un petit peu comme celle -ci (en montrant la taille
du bureau) puis il y avait la cuisine quoi ; il y avait pas de séparation, rien… Après par la suite, j’ai eu une
fille… et comme moi j’avais fait un salon et une chambre, donc j’ai déménagé ! A l’époque, j’avais demandé
sur Villeurbanne… donc on m’a donné sur Villeurbanne. J’ai cherché par moi-même ; mais au début ça m’a
été refusé parce que les attributions, il faut habiter la commune ; ça ils le disent tous, toutes les mairies elles le
disent, dans le 4ème c’est pareil (rires) ; ils chantent tous la même chanson ! Et donc euh… à l’époque,
l’employeur que j’avais… parce que je travaillais en intérim, donc… dans le champ de l’insertion, moi je
travaillais sur Décines ; moi on me proposait, j’acceptais ! dans le ménage, à l’usine, n’importe… Et euh…à la
force des choses, j’ai eu un appartement sur Villeurbanne ; par le 1%, mais j’étais pas embauchée, mais il m’a
fait comme si que ! L’association avait insisté / L’association / Oui E., c’était une association ; j’étais allée les
voir pour leur dire que j’avais fait animatrice, et tout ça… que je voulais changer de boulot parce que mes
parents commençaient à vieillir… euh changer d’appartement, pardon ; changer d’appartement… et la boite
que j’avais à l’époque, donnait que sur le secteur Décines… puisque c’était plus leur secteur : Villeurbanne,
Décines, Meyzieu, tout ça… la boîte d’intérim elle me donnait plus dans ces secteurs, je préférais m’avancer
parce à l’usine on commence à 7 h le matin ; donc moi de Vaise, traverser tout Lyon quoi ! Je le faisais ! Parce
que j’avais pas le choix, mais bon, je voulais me rapprocher parce bon… je me suis dit c’est dans le secteur
que je vais trouver, hein / Donc l’association vous a aidée à avoir ce logement / Voilà, je l’ai eu, je me suis
installée dans un petit F3 de 55 m2 avec G. (bailleur social) Donc euh... j’avais demandé… après bon j’ai eu des
enfants ; j’ai eu un autre copain, donc d’autres enfants, ce qui faisait 3 enfants dans un F3 de 55 m2 ; je suis
restée quand même 11 ans et demi dans un quartier que j’aimais beaucoup, parce… malgré qu’il était pas loin
des Buers et tout ça, c’était un quartier très très calme ! La majeure partie sont des personnes âgées… très
tolérantes parce que… Moi j’avais quand même mis un petit peu le hola au début ; « vous vous garez pas là,
vous faites pas ci, vous faites pas là ». Bon j’ai dit : écoutez, moi je pensais que c’était les jeunes qui
empêchaient de vivre les vieux, mais apparemment… je crois que c’est le contraire qui se produit… Mais moi
je suis désolée… Je me pousse, c’est votre place d’accord… Vous avez vos habitudes, je les respecte, mais je
veux pas qu’on me dise tu fais pas ci, tu fais pas là sous prétexte que ça fait 40 ans qu’ils sont là quoi ! Je paye
mon loyer comme eux, et beaucoup plus cher qu’eux ! Mais ça a été très bien car ça a été dit avec beaucoup de
diplomatie, euh… j’ai pris des pincettes… et pis ça a été très, très bien : bonjour, bonsoir, on plaisante, on se
rencontre, on plaisante… il y a de l’humour… Ce que je ne supporte pas c’est qu’on parle sur Pierre Paul ou
Jacques ! J’étais au 88 rue C., à l’allée 10, le secteur j’aimais bien ! Bon il y avait un secteur, la… la 1ère bande
de 1 à 7, j’aimais pas parce que… c’était pas terrible, mais après comme c’était derrière, les gens ils venaient
- 177 pas ; le 10 et le 12 c’est un peu derrière, les gens ils viennent pas, le soir il n’y a pas de petits jeunes qui
venaient avec leur bière…/ C’était des jeunes / C’était…bon, c’était des jeunes quoi ! Bon, ce qu’on leur
demandait c’était de ramasser leurs bouteilles de bière au lieu que de les balancer là -dessous, si vous
voulez…c’est tout ! Quand c’est dit gentiment !... Si vous allez les agresser, forcément… C’est quand on leur
dit : « Mais non, vous nous embêtez pas, nous aussi on a été jeune » ! Le problème c’est plus les rodéos… ils
viennent d’avoir le permis, mais bon quand ils connaîtront les frais d’une voiture, ils s’amuseront moins avec
les pneus ! Pour l’instant c’est papa, maman qui payent, mais après ils verront bien…/ Vous avez finalement
quitté ce logement / La plus grosse connerie qu’il fallait pas faire, je l’ai faite / C'est-à-dire / J’ai donné ma
dédite… dans l’espoir de trouver un appartement. Comme les choses avaient été quand même faites
relativement vite auparavant pour moi… alors je me suis dit , ben je vais donner ma dédite, parce que toujours
le même problème : « Oui bonjour, voilà, pour l’appartement untel et tout… ». « Vous avez combien de dédite
à donner ? ». « Ben j’ai 3 mois à donner »… « Ah non, non, il est libre de suite, si nous on a quelqu’un, non on
donne pas »… Normal / Donc vous aviez commencé des recherches / Des recherches, dans le 69, comme une
idiote, dans le privé, parce que moi j’étais persuadée que je n’avais pas le droit aux HLM / Compte tenu de vos
ressources / Non pas compte tenu de mes ressources ; comme on m’avait donné j’étais toute seule avec ma
gosse…/ Oui…/ En HLM… bon je me suis dit maintenant c’est le secteur privé puisque j’ai… des enfants, on
est 2 salariés, j’ai 3 enfants et 2 salariés !... Je suis allée me renseigner au centre social des Buers en
demandant si j’avais le droit aux HLM ? L’assistante sociale me dit : « Je ne comprends pas pourquoi vous me
posez cette question, vous avez droit aux HLM » ! Je lui dis : « Ben je sais pas parce que euh…j’ai 3 enfants,
il y a 2 salaires, je sais pas moi, les plafonds je les connais pas quand on est salarié euh… » / Vous avez donc
donné votre dédite pensant trouver un logement dans le privé / Oui (rires) mais après j’ai commencé à faire
mes HLM, les HLM… j’ai commencé à faire les HLM (rires) Et c’est là que je me suis dis : « Oh ben tiens, si
les HLM ils ont quelque chose à me proposer, on sait jamais ! ». Alors je suis allée à l’OPAC X.… Alors
j’amène les originaux, les photocopies : « Oh vous êtes prioritaires »… (avec une petite voix gentiment
ironique)…Oh plein de papillons dans les yeux ! / Prioritaires / Oui parce que on a toujours payé notre loyer,
parce qu’on a un bon dossier en fait ! On a toujours payé le loyer, on nous a rendu notre caution, on n’a jamais
eu de problèmes… (même ton de voix que précédemment) Ah c’était super, ça fait rêver hein ! Mais je suis vite
tombée (rires) de mes nuages, là ! A vitesse grand V en plus / C’était quand ça / Et ben c’était le 14 mai / Cette
année / L’année dernière, en 2002. Et puis donc, j’étais ravie d’avoir presque un appartement : « Tout est
impeccable okay, c’est bon, tout ça, dès qu’on a quelque chose, on vous appelle… Appelez-moi jeudi ! ».
J’appelle jeudi : « Ah ben non, on n’a pas de dédite ! ». « Je vous rappelle… je vous rappelle quand ? ». « Ah
ben non, ah ben non… » (silence) Du coup j’ai monté mon dossier à la Préfecture ; comme j’avais donné ma
dédite et que j’allais être dehors, j’y avais droit ; parce qu’avant j’étais pas prioritaire, puisque j’avais déjà un
logement ! Ils voulaient pas prendre mon dossier ! Alors là j’ai rempli les papiers, j’ai monté le dossier, j’ai
commencé à déménager !... J’ai dit, au pire des cas si je trouve pas, je vais chez ma mère hein ? J’en ai parlé
avec ma mère bien sûr, parce que moi je ne le supportais plus mon appartement ! 55 m2 , 5 dedans !... Mon fils
avec le transat…/ Vous n’avez pas demandé que la dédite soit stoppée / J’ai demandé… j’avais demandé à
changer d’appartement, si ; qu’on me propose un appartement plus grand, mais… les gens partent pas ! C’est
ce qu’elle m’a expliqué la dame au téléphone mais elle me dit : « Vous comprenez, ils ont élevé tous leurs
enfants, pis ils partent pas ! Tant qu’ils payent leur loyer, on ne peut rien faire ! ». Je trouve que c’est pas
normal ; il y en a une, elle est toute seule, son mari est décédé… Elle me dit : « Mais qu’est-ce que vous
voulez que je vous dise ? Là il y aurait des impayés, là on agirait ! Mais on peut pas agir, on peut rien faire, on
est obligé de patienter ». Patienter ! je dis : « Vous vous rendez compte j’ai 3 enfants !... ». J’ai commencé à
déprimer ; alors bon, le médecin, il me dit : « Vous êtes en train de faire la déprime post-natale ». Je lui dit
non, alors il me dit : « Ben écoutez, je vois pas » ; je lui ai dit non, moi je supportais plus chez moi ; je me
- 178 tirais, je voulais plus rester chez moi ! J’en pouvais plus, mais plus du tout, ça a été très très, très difficile
hein ? Parce que c’est tout le monde qui prend hein… aussi bien les enfants, que le mari, que la mère… que
tout le monde quoi, tout ce qui est autour quoi ! On devient exécrable, on s’en rend pas compte hein ! On s’en
rend pas compte / Et à cette époque, vous faisiez beaucoup de démarches / Ah ben… j’ai fait le 3ème (rires) la
mairie du 3ème, la mairie de 4ème, avant de venir à l’AVDL hein ? J’ai fait euh… l’OPAC X… euh…
l’OPAC R., d’ailleurs ils m’ont… ils m’ont écrit en disant que ma demande serait à renouveler… il y a pas
longtemps, cette semaine. J’ai fait euh… T., K. aussi ; (doucement) à K. ils m’ont proposé Vaulx-en-Velin,
donc c’était pas possible, et puis je suis venue à l’AVDL début septembre / Vous étiez déjà chez vos parents /
Oui ! oui, oui, je suis allée chez ma mère, mon père est décédé, depuis le 7 juillet j’étais chez ma mère /
D’accord, avec mari et enfants / Oui, j’avais pas le choix (rires), avec mari et enfants (rires), ouais, ouais,
c’était obligé ! Je voulais pas rester, je voulais pas, je pouvais pas rester… je pouvais plus ! J’avais
l’impression que c’était tout le temps le borde l chez moi, j’avais l’impression que… mes enfants avaient pas
d’espace, euh… ils arrêtaient pas de se chamailler… déjà la chambre était pas très grande, et puis en plus elles
étaient 2 dedans… le petit il était en bout de lit de… de notre lit… En fait on a gardé des supers souvenirs
quand on était nous les uns sur les autres ! Mais moi maintenant que je me positionne en tant que mère, ben je
le trouve ça insupportable / Ah oui ! Quand vous étiez petite, ça ne vous a pas gêné / (rires) Ca m’a pas gêné,
ça m’a pas gêné du tout ! Quand le père le soir qui… qui criait : « Allez, couchez-vous, demain il y a l’école et
tout », pis nous qui rigolions sous les draps ! Autrement non, ça j’en ai gardé des bons souvenirs, mais c’est
vrai que moi, je me positionne en ta nt que mère maintenant, c’est vrai que maintenant… je vois que pour le
linge déjà… En plus on habitait au 4ème étage sans ascenseur… alors enceinte déjà, je pouvais plus monter ; à
la fin de ma grossesse, je suis pratiquement restée 1 mois chez ma mère hein / Vous êtes donc maintenant chez
votre mère depuis 1 an / Le fait de retourner chez ma mère c’était super ! (ton à la fois amusé et ironique). C’était
bien ! Je me suis dit : ouh là, retour chez maman ! Retour à la case départ, c’est bien ! Ça va me faire un petit
stage ! Et puis après je vois que… les débuts c’est toujours bien (rires) Dans tous les… dans tous les domaines,
c’est toujours bien ! Et puis, après… moins d’intimité… moins de… plus de contraintes quand même ; plus
d’espaces mais moins d’intimité… moins d’autorité sur ses enfants… moins de tout / Votre maman elle vivait
toute seule / J’ai un frère… qui est encore à la maison. Donc, oui… tu… j’avais pas le droit de disputer mes
enfants, j’avais pas le droit de… (silence) Alors je suis venue à l’AVDL, avec Mme C… donc je me suis
inscrite ; l’AVDL m’a fait visiter euh… J’ai quand même relancé euh… j’ai relancé la Préfecture, parce qu’il
fallait bien que je relance ; j’ai relancé l’OPAC Y. qui m’a… euh l’OPAC Y… l’OPAC X… Ils m’ont envoyé
carrément chier, hein / Pourtant, d’après ce que vous me disiez tout à l’heure, le 1er accueil là-bas avait été
très bon / Oui, mais comme j’appelais une fois par semaine puisqu’on m’a demandé d’appeler une fois par
semaine, et bien ça va plus : « De toute manière, si on a quelque chose à vous proposer, on vous proposera,
c’est pas la peine de téléphoner, euh… il y a déjà l’association qui a téléphoné pour vous ! ». Je dis : « Oui
d’accord, mais bon, l’association a téléphoné pour moi, ça m’empêche pas de téléphoner aussi, je suis
autonome » ! Mais je savais pas que l’association avait appelé. « Oui il faut arrêter un petit peu »… Je lui ai
dit : « pourquoi vous leur avez pas dit à eux ? pourquoi vous le dites à moi ? de toute manière, quand je verrai
Mme C. je lui ferai part de ce que vous me dites, hein »… Puis voilà quoi ! Donc après je suis allée voir
la…la… la Préfecture ; ils m’ont dit : « Vous savez vous n’êtes pas prioritaires, il est trop récent votre
dossier » ! Alors je lui dis : « C’est quoi, vous attendez qu’il prenne de l’âge le dossier, il est meilleur ? ». Je
lui dis : « Expliquez-moi pourquoi ? ». Elle me dit : « On n’explique rien au téléphone ! ». Je lui dis : « Ben
j’arrive ! ». J’ai raccroché, j’y suis allée ! Et je lui ai dit : « Ben qu’on me dise ! ». Elle me dit : « Vous vous
rendez compte, il y a des gens qui attendent depuis 3, 4 ans, 5 ans !... ». Je lui dis : « Non je comprends pas,
c’est pas vrai ! Parce que moi j’ai beaucoup de gens autour… ils attendent pas ce temps là ». Elle me dit :
« Non mais de toute manière votre dossier maintenant il est trop jeune ; c’est minimum 1 an !… De toute
- 179 manière, vous demandez un F5, c’est trop grand ». Je lui ai dit : « Ben écoutez on peut changer le dossier,
c’est pas grave, je vais demander un F4 ! ». Elle me dit : « Et puis vous avez vu les secteurs que vous avez
demandé ? ». Je lui dis : « c’est pas grave ! On refait les secteurs ! » (silence) Je lui dis, si on peut s’arranger
comme ça, il y a pas de problème, c’est pas la peine de m’agresser quoi ! Puis elle me dit : « Quel secteur vous
voulez ? ». Je lui ai dit : « Ben le secteur que vous avez à me proposer, puisque de toute manière j’ai pas le
droit de choisir mon secteur apparemment ! ». Elle me dit : « Oui, mais bon Villeurbanne c’est très difficile !».
Je lui dit : « Villeurbanne, c’est très difficile, le 3ème c’est très difficile, la Croix-Rousse c’est très difficile,
c’est quoi qu’est pas difficile ? ». Elle me dit : « Mais moi je vous donne un F6 si vous voulez, tout de suite
aux Minguettes ! ». Je lui ai dit : « Ah c’est gentil merci, sans façon ! ». Voilà ! Mais elle m’a…elle m’a
agressée aussi / Vous vous êtes sentie agressée / Je me suis dit ben putain, tu bosses… t’es pas prioritaire…
T’essayes d’avoir le secteur que tu veux, on n’en tient pas compte… finalement on n’est pas entendu ! Quoi
qu’il en soit, on n’est pas entendu ! On te donne ce qu’on a… ça te plaît, ça te plait ! La régression quoi ! On
est en 2003… une régression pas possible, c'est-à-dire que… ce qu’a vécu ma mère, ben moi on me le fait
vivre quoi / Par rapport au non-choix / Voilà c’est ça ! On parle toujours de l’avancement, de l’avancement…
il n’y en a pas, c’est pas vrai ! Quand on va dans, dans… dans le… dans le vif du sujet, non c’est pas vrai ! Ou
alors les gens font comme ils veulent une fois qu’ils sont derrière un bureau, je sais pas d’où ça vient… Si le
feeling il passe bien, on est près à vous offrir pas mal de choses, et puis il suffit que le feeling passe pas… Et
puis, la dame de l’OPAC, elle a raconté aussi des conneries à Mme C. en disant : « Oui, non, non, c’est pas
vrai, elle appelle jamais, elle demande rien ». J’ai trouvé ça gonflé de sa part ! (silence) Moi ma mère elle me
dit de toute manière ils te donn… moi ma mère elle m’a dit, déjà, ça m’a super encouragé !... « Ils te
donneront jamais, ton mari il est arabe, ils te donneront jamais ! » (silence) Euh… pour en revenir à l’OPAC,
on m’a dit que j’étais pas Kossovarde, donc j’étais pas prioritaire / On vous a dit ça comme ça / Ah oui ! Et
puis que j’étais pas dans le social, que j’étais pas quelqu’un qui était dans le social, donc que…/ Que vous
n’aviez pas de problèmes sociaux / Que je faisais pas partie du social !... Que j’avais un bon dossier, que
j’étais prioritaire, que j’avais 3 enfants, tout ça, que j’étais prioritaire… et puis d’un seul coup, la situation
s’est retournée contre moi, j’étais pas prioritaire… j’avais pas… Alors bon, ils savent pas me le dire, je vais
latter mon mari, je vais me mettre au RMI et puis après je demanderai un château ! Dans le 6ème pourquoi
pas ? Je dis là, à ce moment là je l’aurais ! Je dis : « Vous vous rendez compte des propos que vous tenez ? ce
que vous encouragez ? ». Moi je les comprends, les gens qui se mettent au RMI… puisque tout… tout leur est
du ! Je suis désolée, c’est quand même nous qui les payons ; je paye des impôts… C’est le discours qu’ils
tiennent ! Et je suis sûr que… un RMIste est en face d’elle, elle va lui dire qu’il n’est pas prioritaire, c’est ceux
qui sont salariés… voilà ! C’est ambigu quand même ! Je suis sûr parce que moi… c’est… c’est… la copine à
ma sœur, qui est au RMI, elle me dit : « C’est bizarre, toi ils t’ont dit ça, et moi ils m’ont dit le contraire » ! Au
lieu de dire, il n’y a rien en ce moment… euh… rappelez-nous ou passez… ils veulent pas qu’on passe à
l’agence… déjà à Villeurbanne ils veulent pas qu’on passe à l’agence ; parce que moi je suis passée, elle m’a
dit : « Ah non non, mais on passe pas pour demander un… vous téléphonez ! ». Quand on téléphone, on nous
jette comme du poisson pourri ! Moi déjà j’avais fait faire le changement d’adresse ; elle me dit : « Non, non,
non, vous êtes toujours au 88 ». Je lui dis : « Non ! je suis au 0 allée M. »… « Faites-nous parvenir un papier
comme quoi euh… vous êtes bien au 0 allée M. ». Pas de problème, je fais photocopie du papier de la CAF…
je leur ai fait passer, je leur dis : « Ca va là ? maintenant vous en êtes sûr ? ». Elle me dit « OK, d’accord, on
va faire… » ; mais ça, ça s’est passé…au mois de mai…c’est au mois de… d’avril au moins qu’ ils m’ont
demandé le changement d’adresse quoi ; je l’ai donné, je suis partie, elle m’a dit OK on va le faire, j’ai
rappelé, elle m’a dit mais vous êtes toujours au 88 ; mais non ! j’ai fait le changement d’adresse, je vous ai
amené le papier ! donc voilà quoi ! Puis bon, moi ce que j’ai pas aimé, c’est qu’il y avait 1000 personnes qui
répondent au téléphone et on sait pas qui s’occupe du… du… du dossier ! Que là l’OPAC rue A. je sais que
- 180 c’est Mme P. qui s’occupe de mon dossier ! Elle m’a dit : « Même si je suis pas là, vous inquiétez pas, de
toute façon, j’ai le nez dans le… dans le dossier ! ». Voilà / Vous disiez que votre mari est arabe et votre
maman disait que peut-être…/ Ah moi je m’y refuse à ça ! Non ! Je veux pas y penser !... Je veux pas peut-être
l’admettre aussi… mais euh… (silence) Pas dans les HLM ! Dans le secteur privé, je veux bien mais si il y a ça
dans les HLM c’est pas normal (Fin de la 1ère face de la cassette) Qui dit loyers modérés euh…, forcément dit
migrants ! Logements pour des immigrés / Pour vous le rapport il est… évident / Ah oui, ah oui, oui…parce
que c’est des gens qui ont… qui ont…qui ont… de petites… qui sont en bas… Ca va changer, c’est clair !
Parce que nous nos parents étaient illettrés… donc on n’a pas eu la chance de faire de longues années dans la
scolarité, mais euh… je pense… enfin… ça va amener à changer ! Pour l’instant oui c’est encore ça quoi !
Pour moi l’OPAC, c’est pour les gens… à loyer… à revenus modérés… (silence) Pas forcément les arabes,
mais bon… tout… tout immigré quoi ! Bon parce quand ils viennent de là -bas… ils viennent pas dans des
pays où ils sont super riches, ils sont super bien, hein ? Il n’y aura pas d’américain ou d’anglais, hein ? C’est
clair ! Ca sera toujours des… des… des pays en voie de développement ou sous-développés, hein ? Ils
viennent ici pour s’en sortir quoi, c’est leur Amérique à eux quoi, voilà ! Donc je pense que... pour moi c’est
ça… pour moi l’OPAC c’est ça… enfin les HLM pour moi c’est ça / Il y a aussi des français d’origine / Oui
bien sûr ! Il y en a aussi, mais bon ceux-là on n’en parle pas parce que déjà c’est… c’est leur pays, donc…
c’est déjà différent… c’est déjà différent… c’est des leurs, donc… Nous… nous non ! Pour nos parents ! Bon
je veux dire pour nos parents, ça n’a pas été facile (Problème d’enregistrement : manque un petit bout de l’entretien)
Ça arrive plusieurs fois hein ? Très souvent, surtout… dans mon boulot d’ailleurs ; dans le social, je ne pensais
pas que c’était dans ce secteur qu’on allait me… Je suis agent de service dans un service d’handicapés
physiques et mentaux / Qu’est-ce qui vous est arrivé / Oh des réflexions : « Oh non, oh vous les arabes ! »…
(silence) J’étais à peine rentrée dans ma boîte, une semaine après j’y ai eu droit ! J’ai signé mon contrat, et une
semaine après j’y ai eu droit… Qu’est-ce qu’on m’a dit ?... : « Oh ben toi, t’as qu’à manger ton
couscous ! Pourquoi tu viens manger le pain des français ? ». « Ecoute pendant 132 ans tu l’as pas trouvé
dégueulasse ton pain chez nous, alors je vois pas pourquoi je… je me gênerai hein ?… Le tien non plus il est
pas dégueulasse ton pain ! ». Je suis devenue mauvaise, c’est vrai ! Je me suis retrouvée dans le bureau du
directeur ! Et euh… mon directeur a pas apprécié du tout, parce qu’il avait entendu ce qui s’était dit : « Je ne
veux pas de ça dans mon établissement », et euh… bon euh… mon directeur il m’appelle le lendemain matin,
« Farida tu viens dans mon bureau » ; je lui dis oui d’accord… et… ce monsieur était déjà dans le
bureau…Comment il s’appelait déjà ? je me rappelle plus ! On va dire qu’il s’appelait André… Alex, il
s’appelait !… Il s’appelait Alex ! Et euh… il me dit : « Alex a quelque chose à te dire ». Il dit : « Oui euh…les
propos qui ont été tenus hier, je m’excuse ». Le directeur me dit : « Est-ce que tu acceptes ses excuses ? ». Je
lui ai dit « non » ! « Pourquoi ? ». « Ben parce que vous l’avez obligé ! Ça doit sortir du cœur, et là ça sort
uniquement de la bouche, son pardon ! Je suis désolée, je peux pas ! » (silence) / Et ça s’est arrêté là quand
même / Ben non ! (rires) Après c’est moi qui lui faisais des misères ! (rires) J’étais en train de laver le sol, il
passait, hop : « Tu sors de ma cuisine »… « Pour l’instant c’est de la cuisine, bientôt ça sera de ton pays (rires)
que tu pourras sortir ». Après il me disait : « Oh… ben…il m’en faut 10 comme toi ! ». Je lui dis : « Mais
t’inquiète pas, avec mes compatriotes on est des millions » ; « Ah ben si c’est toi qui me le fais, je me
laisserais faire » ; « Ah non, non, je veux pas me salir les mains pour toi » ! (rires) « Je t’enverrai mes
compatriotes ! » / Donc si je comprends bien, ça c’est un petit peu transformé, de part et d’autre, disons, sur
un terrain humoristique / Voilà ! Et puis après… Je… je lui ai fait ressentir qu’ il m’avait fait
mal !…voilà…surtout ! Je lui ai bien fait ressortir qu’il m’avait fait mal et… après ça m’a passé ! Et lui il a
bien compris qu’il… qu’il m’avait fait mal quoi ! Donc après, on a pu s’en amuser / C’est la 1ère fois que vous
étiez directement confrontée à ce genre de…/ Non ! Déjà quand j’étais petite, ça m’est arrivé ! Ca m’était
arrivé ! Quand on me disait «sale arabe » … euh… On pouvait pas rétorquer hein ? J’ai vécu une très
- 181 mauvaise scolarité moi, uniquement pour ça. J’avais un prof., ancien mariste. Bon, on arrivait : « Les arabes
au fond, les français devant ! ». Après… En plus il était directeur d’établissement hein ? « Farida au tableau !
Fais-moi ça ! ». Bon, j’y allais… puis il me poussait : « Je rigole ! Tu sais ce qui t’attends… toutes les années
tu vas nous pondre un œuf, et puis tu toucheras les alloc., donc je vois pas pourquoi t’irais travailler ; je ne
vois pas pourquoi tu travaillerais au tableau, allez, casse-toi, va au fond ! »… « Casse toi » en plus il me
disait / Un instituteur, directeur d’école / Ouais ! (silence) Et puis aussi, en 6ème, en 5ème… : « J’en ai marre
de travailler avec des arabes ! ». Je prends mon livre, je le ferme, je faisais plus rien. Après je me suis
retrouvée chez la directrice, « meneuse de galerie », alors que je suis désolée, il voulait pas travailler avec
nous… j’ai simplement fermé le livre ! « Vous avez été jugée comme meneuse de galerie », alors que je ne
l’étais pas ! Du coup j’ai arrêté l’école relativement tôt, à 16 ans, et puis après j’ai travaillé, travaillé,
travaillé…/ Et dans votre recherche d’emploi, ça s’est passé comment / (rires) Quand on n’a pas fait de
grandes écoles, recherche d’emploi, c’est à l’usine, donc l’usine, tu bosses, ils te veulent ! Ca il y a pas de
problèmes ! J’ai ja mais eu de problèmes pour travailler ; j’ai fait tout et n’importe quoi d’ailleurs… Les sales
boulots… Gardez des enfants la nuit… Dans la boulangerie, à travailler à 5 h du matin, finir à 8 h du soir, du
lundi au samedi… Qu’est-ce que j’ai fait encore ? J’ai fait euh… ben des ménages ! Des ménages… J’ai
travaillé à l’usine, dans les hôtels… alors ça dans les hôtels par contre ils aiment bien les arabes ! Ils les
maltraitent mais ils aiment bien les arabes / Ils les maltraitent / Maltraitent euh… : « dépêche-toi… » euh…
j’ai travaillé 3 mois dans une société, 3 mois sans un jour de congé, de 6 h à 16 h / Tous les jours / Tous les
jours ! Dimanche compris ! Le temps que toutes les françaises prennent leur… leur congé. Après on pouvait
prendre 1 mois et puis après on n’avait jamais plus de congé, on travaillait tous les jours, puisque… C’était à
l’hôtel M., je me rappelle, l’hôtel M., en plus c’est des grands hôtels, pas des petits hôtels, pas des bouibouis…
Maintenant il a été racheté par A. derrière la Part-Dieu. Voilà j’ai travaillé là, sans m’arrêter, et puis un jour
j’ai pas réussi à me lever… Ce jour là j’ai dormi toute la sainte journée et je me suis même pas rendu compte
que j’avais… que c’était l’heure d’aller bosser ! Rien, rien ! Je me suis levée le soir à 6 h ! J’ai appelé : « Vous
êtes renvoyée ! ». Bon j’ai eu juste à aller chercher mon salaire, voilà ! (silence) Et après j’ai préféré les usines,
parce qu’au moins on travaillait du lundi au vendredi ; quand ils avaient besoin de nous le samedi, ils nous le
faisaient savoir, on avait une petite prime à la fin du mois, c’était mieux hein, je préférais l’usine, même si
c’était dur, ça fait rien ! Au moins on avait 2 jours de congé quand même (silence) Et puis après euh… et puis
après j’ai trouvé ce petit boulot, je me suis dit, ah ben tiens je vais essayer de faire de la restauration de
collectivité, puisque j’adore faire la bouffe, faire plaisir, mettre les petits plats dans les grands plats. Donc…
puis on m’a envoyé chez les particuliers, mais il falla it toujours que je me jette avec eux, parce que les
particuliers… pas le permis, donc avec l’argent qu’ils me donnaient il fallait que je rentre en taxi, c’était plus
possible… alors je me suis tirée ! Alors j’ai trouvé restauration de collectivité, je suis bien ! Les handicapés, je
les aime bien… je m’entends bien avec le personnel… Là je suis en congé parental… de temps en temps je
vais aux nouvelles… une fois par semaine je vais boire le café avec eux… Donc voilà / Pour en revenir au
logement, vous n’avez pas eu l’impression aussi que, euh…/ Je me suis rendue compte quand même que
c’était le parcours du combattant ; même avec l’association je me suis dit… je me suis dit… je pensais… je
sais pas… je me suis dit par rapport à l’association, oh ça va aller vite, ils vont pas m’emmerder, j’ai une
association, je fais valoir mes droits, ils sont là pour m’appuyer, et tout ça ! Mais non c’est difficile !... Ça
construit de partout, mais… (rires) c’est très, très difficile ! Mais pas que pour moi hein ? C’est aussi bien pour
l’association… que pour moi… je me suis rendue compte que pour l’association, c’est… c’est pas évident du
tout hein ? C’est pas évident ! Que sur… moi je voyais… oh ça vient d’être construit, il y a 50 appartements,
bon tu vas voir l’associa tion, j’imagine que… (sourire) l’association a le droit sur 50 appartements… alors qu’il
y en a qu’1 ou 2 quoi ! Et encore, ça il faut le savoir, bien sûr / Et même, elle n’a pas de droit proprement dit /
Oui, oui bien sûr, mais elle peu appuyer euh…/ Pour vous l’association c’est donc un moyen de faire valoir
- 182 vos droits / Ben oui, parce que moi j’ai vu que déjà par rapport à l’OPAC… le fait que… l’OPAC X., le fait
que… il y a une association qui a appelé juste avant moi, et moi je ne savais pas, donc j’ai appelé aussi, pour
euh… pour pas qu’on m’oublie !... parce qu’on m’avait demandé d’appeler de temps en temps ! Alors quand
j’ai appelé et puis qu’on m’a envoyé balader, on me dit : (petite voix) « Oui y’a déjà votre association qui a
téléphoné », bon déjà c’est… c’est que ça les emmerde qu’il y ait l’association qui intervienne… quoi qu’il en
soit quoi / Mais par rapport à la personne qui vous avait plus ou moins fait un peu… miroiter un logement au
départ, vous ne lui avez jamais dit…/ Oui mais non… mais le, le… le plus beau de tout, c’est que j’arrive
jamais à l’avoir au téléphone ! (petite voix) : « Ah elle est pas là Mme R., ah ben elle est en réunion Mme R., ah
elle est pas là Mme R., ah elle est en réunion… » ; elle est jamais là !... Elle a un salaire et elle est jamais là !
Moi je le dis, je dis : « Ah bon mais comment elle fait pour toucher un salaire pour être jamais là ? » ; « Oh,
oh, elle est en rendez-vous à l’extérieur, qu’est-ce que ça veut dire ? ». Je dis : « Ben je sais pas, j’essaye de
l’avoir, j’arrive pas à l’avoir !... ». « Ben expliquez-moi votre problème ! »… J’explique mon problème !... On
est entendu, mais on n’est pas écouté par contre ! Voilà ! Mais bon… c’est pas grave ! Et puis bon ben, quand
je suis rentrée dans l’association, c’est vrai qu’on nous a prévenu hein ? D’entrée de jeu, à la réunion, on nous
a dit… (silence) Faut pas… mais moi déjà avant… je veux dire moi je suis tranquille, je rentre dans une
association, et tout ça… J’en parle à ma mère, je lui dis je rentre dans une association et tout, je vais voir ce
que ça va donner mais je me suis rendue compte que c’était pas évident ! Mais je crois que sans l’association,
j’y serai pas arrivée hein / Il y aurait bien eu une proposition un jour / Oui mais dans 10 ans, c’est pas la peine
hein ? J’aurais… acheté (rires)… J’espère !... (rires) Mais non, mais non, mais non… non, j’aurais pas tenu 10
ans ! Ma mère… déjà ça fait 1 an que ça dure ! Bon, il y a des fois où je venais à l’association, euh… bon…
avec les larmes aux yeux he in ? Parce que… c’est dur hein ? C’est, c’est lourd hein ? C’est lourd ! Par rapport
à ce que je me disais au départ quoi ! C’est vrai que je me disais, il y a 50 appartements, bon l’association elle
en a 50, bon elle va bien m’en trouver un ! On attend juste qu’ils finissent de construire ! Mais c’est ça, c’est
parce qu’on connaît pas, on sait pas comment ça fonctionne… Il y a quand même des commissions, il y a
quand même euh… Tout ça ! On s’imagine que l’association va prendre son téléphone : « On a une personne,
elle a un très bon dossier, donc vous la prenez, on appelle la Préfecture si ça va pas », point barre ! Moi je
pensais que ça marchait… que ça fonctionnait comme ça quoi. Et c’est vrai qu’une fois qu’on est dedans, on
se rend compte que c’est pas si évident que ça hein ? Au contraire il faut vraiment se battre quoi… [.] C’est
euh… c’est une bataille sans fin ! Là on s’en rend compte, oui ! oui ! (silence) Puis en plus le logement
maintenant… il n’y en a plus beaucoup, il y a trop de monde dedans ; enfin il y a trop… trop de gens qui sont
sur Villeurbanne en fait ! Voilà ! C’est un quartier très prisé en fait ; comme le secteur 4ème… Je choisis des
secteurs que… très prisés (rires) / Vous aviez eu une proposition à Vaulx-en-Velin ; vous n’iriez pas habiter
Vaulx-en-Velin ou Vénissieux / Non ! Non, non ! La dame de la Préfecture elle me dit, il y a des appartements
qui sont vides hein ? Quand elle m’a dit ça, j’ai bien compris que… Bon en même temps, quand je lui ai
demandé… Elle me dit : « Et le 5ème , vous voulez pas ? ». Je lui dis : « Ben oui, le 5ème c’est pas mal… ».
« Point du jour ! ». « Ah ben pas Point du Jour quand même ! » (silence) Même si j’habite Villeurbanne, je
connais euh… je connais la réputation de certains quartiers quand même ! Voilà ! Je sais pas, il faut à tout prix
qu’on nous donne dans les grands ensembles ! Moi j’en sors des grands ensembles, j’en veux plus ! Stop ! Je
vais pas mettre mes gosses dans les grands ensembles ! Je vais leur donner quoi comme vie ? Déjà là ça fait 1
an qu’ils sont chez mes parents, moi mes filles… ma fille qui vient d’avoir 13 ans, on lui reproche ses tenues,
trop échancrées et tout, machin… On lui dit qu’elle est une pute ! Je me suis dis : pouf…ça y est c’est parti !
Ça commence ! Elle me dit : « Je suis une pute, machin… j’veux plus m’habiller comme ça… ». Je lui
dis non ! ça serait leur donner raison, ça serait leur donner raison ! Ton tee-shirt il est pas échancré, tu le portes
! Et puis… le qu’en dira t’on, ta mère elle l’a… elle l’a subi, tu vas pas t’amuser à le subir aussi non, merde !
Il faut sortir de là oh ! (silence) A la piscine, elle s’est fait agresser par une merdeuse / Une fille / Ah ben oui,
- 183 les filles rentrent dans le jeu des garçons donc, les garçons si t’es comme ça, t’es comme ça, t’es comme ça…
J’veux rien dire, mais… comme j’ai dit à ma fille…euh… c’est pas pour autant qu’elles seront plus
appréciées. Y’a un minimum quand même ; en jogging, en jogging ou en short jusque là pour aller se baigner,
c’est ridicule ! Je me suis jamais mis en short pour me baigner ! Mais ma fille, euh non ! Je lui dis, elle sont
jalouses parce qu’elles en rêveraient mais elles peuvent pas / Et vous espérez qu’en changeant de quartier ça
ira mieux / Ah ben oui ! Attendez, moi ma fille ça ne m’intéresse pas qu’elle réagisse comme ça, qu’elle se
mette… qu’elle s’habille comme elle s’habille ! Ben dans le quartier, bon ben elle me dit : « Maman, il n’y a
plus personne qui parle avec moi »… Je lui dis : « Ben tu t’en fous »… C’est vrai que ce n’est pas évident
pour elle quoi / Alors là, vous avez une proposition de logement / Ah oui ! Une super proposition de logement
(rires) Un logement neuf, c’est inespéré (rires). J’ai vu Mme X… donc qui m’a donné le plan de mon
appartement… qui est pas mal ! Un type 4, traversant, avec les 3 chambres ensemble, parce que Mme S.
m’avait montré un… un… un autre plan d’appartement, mais je pense que c’est les plans qu’on avait dû lui
donner comme ça ! Alors il y avait le salon… et une chambre qui donnait dans le salon ! Ca m’embêtait un
petit peu… Alors que là les 3 chambres sont ensemble. Voilà ! Et puis j’avais le choix d’avoir un garage…
Comme il n’ y a pas de cave, j’ai pris un garage et pis… Et elle m’a dit Mme P. : « vous verrez, vous serez
bien ! ». Je lui ai dit : « Oui, c’est ce que m’a dit Mme C. : vous verrez, vous serez bien là-bas ! ». Je lui ai dit :
« ah ben maintenant vous savez, j’ai appris qu’il vaut mieux un petit chez soi, qu’un grand chez les autres ! »
2
(rires) / Il y a combien de mètres carrés / Il y a 81 m ! C’est mieux que 55 et puis, ben maintenant… comme
ils sont agencés maintenant, il n’y a pas de place perdue, c’est plus fonctionnel… et… il y a… 11 m2 de
terrasse / Même une terrasse / Une terrasse ! de 11 m2 ! Ah ouais, c’est le super appart. / Réservation
Préfecture / Oui… Préfecture. Mais Mme C. m’a bien fait peur ! « Ah vous allez passer en commission le 10
juin ». J’appelle le 11 : « Ah ben vous êtes pas passée en commission ! ». « Ah, pourquoi ? ». « Ben il y a un
complément d’enquête ! ». J’dis : « Mais c’est pas vrai ça ! Un complément d’enquête sur quoi ? ». « Pour
savoir si vous avez tout payé vos loyers… Est-ce que vous avez gardé le papier comme quoi on vous a rendu
votre dé… on vous a rendu votre caution ? ». « Ouais, je crois qu’il est dans mon sac ; je vous l’amène tout de
suite ! ». Je lui ai amené tout de suite et tout…, pis elle me dit : « Ah ben ils veulent faire un… un… une
enquête sur le comportement ! ». « Sur le comportement ? ». J’ dis : « Il y en a qui sont expulsés, ils les
relogent tout de suite (petit rire). Ils sont relogés tout de suite ! ». Et je lui dis : « Je comprends pas, sur le
comportement ? quel comportement ?... Vous savez Mme C., ça commence à me courir sur les haricots là ! ».
Parce que… j’étais près du but et… poum !... (silence) / Vous l’avez vécu comment / Alors là j’ai dit, j’vais pas
l’avoir ! Je suis pas passée en commission, c’est foutu ! Ils ont du l’attribuer à quelqu’un d’autre ! Je l’avais
tellement espéré la 1ère fois !.../ Et l’enquête / J’ai trouvé ça ridicule ! Je comprends pas pourquoi !... Enfin je
comprends pas pourquoi… j’ai bien ma petite idée là -dessus aussi hein ? Je me suis dit c’est parce qu’on est
arabe ! Donc… forcément on demande le comportement ! Je suis sûre ! Mais bon… comme je m’y refuse un
petit peu, je me suis dit… bon… Ou alors c’est parce que le secteur où on est, il est bien ! On le sait qu’il est
bien ! Il y a jamais la police… enfin il y a jamais la police… ils viennent sans qu’on les appelle, ils viennent
faire un tour, là, les trucs de proximité, là… bon et puis… ce qui est pas plus mal, hein ? Tant mieux ! Ils
viennent, ils font leur tour, ils regardent si tout va bien, et puis point ! Il y a jamais eu de police appelée parce
qu’il y a eu une bagarre ou que ça se tire dessus…/ A l’allée M. / Non ! Où j’étais avant parce à l’allée M.
(rires) Non, à C. ! Là où j’étais… Parce qu’on voulait une enquête de mon comportement avant ! Alors ma
sœur elle me dit : « Je comprends pas, qu’est ce que ça veut dire ? ». « Ben des fois que je chercherais la
merde à mon voisin, par exemple, je pense… ça doit être ça ! Je pense que ça doit être ça quoi ! Mais bon !...».
« Ah bon ! mais ils font ça maintenant ? ». Je lui dis : « Ouais, ouais… Mais c’est pas plus mal, parce que d’un
côté, c’est… c’est…ils restructurent mieux ! ». Mais en même temps, bon ben quoi…ça suffit que… ils
suffisent qu’ils fassent une enquête chez le voisin et que le voisin, il ne peut pas te saquer ! Il peut
- 184 t’assassiner ! Ah… sans que tu lui ais rien… que tu lui ais jamais rien fait aussi ! Donc c’est un truc à double
tranchant !... C’est au petit bonheur la chance hein / Comment ça s’est passé cette enquête / Ils sont venus me
rencontrer… Ils m’ont posé des questions qui n’avaient rien à voir avec le logement… d’ailleurs je l’ai dit à
Mme C. Ils m’ont demandé si mes enfants euh… quelles écoles ils fréquentaient ? Si c’était des bonnes
élèves ? Si elle s avaient déjà redoublé ? Euh… Oui, oui !... Ils m’ont demandé… euh… les fiches de paies
de… de… de mon mari, les papiers de la CAF… euh… les revenus euh… donc les impôts… sur le revenu. Et
pis, ils étaient deux, il y avait une jeune et un moins jeune ; lui il posait des questions un peu… je… je… je
comprenais pas les questions ! Enfin, j’y ai répondu, je les comprenais les questions je veux dire, mais je ne
comprenais pas pourquoi, pas le sens…/ Vous ne lui avez pas demandé / Non ! J’ai pas demandé parce que
j’étais un petit peu… découragée ! J’étais un petit peu… pas bien, parce que j’étais pas passée en commission
pour le 1ère commission ; et entre temps, on m’envoie un mec et une nana pour me dire… euh… depuis
combien de temps… le loyer de ma mère ?... [.] Je l’ai dit à Mme C., il m’a posé des questions
complètement… à côté de la plaque quoi, enfin pour moi ! Peut-être par pour lui, je sais pas / Des questions
sans lien avec le logement / Du tout, du tout : quel type de collège ma fille fréquentait, si c’était un bon
collège, si c’était une bonne élève… je lui ai dit oh oui ! Si c’était un collège public… Voilà ! C’est vrai que…
pourquoi pas ! Mais bon c’est vrai que… j’sais pas… ça m’a un peu… (silence) Sur le moment j’ai répondu…
t’sais… je me suis dit… si ça peut donner… si ils me donnent ce que je veux… (rires) c’est fini, on en parle
plus (rires). Et puis après je me suis dit, mais pourquoi ils m’ont posé des questions sur mes enfants, sur l’école
qu’elles fréquentaient… Et ma sœur elle me dit : « Oh c’est certainement pour voir si… si… si les enfants sont
bien élevés ! ». Oui mais j’lui dis : « On peut être top à l’école, et être une vraie racaille dehors ! ». Ca veut
rien dire ! Et l’inverse aussi ; j’ai un neveu, il est… un ange à l’école, il est infect à la maison ! (rires) Bon le
pauvre petit, il a que 4 ans mais bon… C’est vrai que à l’école il bouge pas, à la cantine il est sage… Ma sœur
elle en revient pas !... (silence) Mais bon c’est vrai que je lui ai pas demandé… Mais bon, tout ça là… je me
suis rendue compte que pour avoir un appartement… et pis bon ben, bon je crois que en ville, c’est partout
pareil, c’est difficile ! Actuellement, il y a des difficultés un petit peu partout… Et donc Mme P. elle m’a aussi
demandé un garant / Oui / Alors… le garant, j’en ai trouvé un mais je sais pas si il va aller / Pourquoi / Parce
qu’il est en profession libérale ! Donc pas de… fiche de paie ! Ma soeur m’a dit que je pouvais le présenter
quand même ; normalement… attends ! il a acheté un appartement… Bon il faut que j’appelle Mme P. et voir
avec elle ! En fait je savais pas que mon beau-frère était en profession libérale quoi… parce que bon, il est
dans un bureau, quoi… que son patron et lui… mais il est en profession libérale. Mon mari il m’a dit, tu
présentes… tu dis que Mourad va le faire… Et quand je lui en ai parlé à Mourad, il m’a dit oui mais je suis en
profession libérale ; je lui ai dit ça ne t’a pas empêché d’acheter ton appart. ? Il m’a dit oui… Mais il m’a dit
mais attends l’OPAC c’est peut-être autre chose, pose la question, moi ça ne me gêne pas, au contraire bien
sûr, mais faut voir avec l’OPAC ; j’ai des revenus annuels, il y a que ça que je peux fournir quoi / Et votre
mari, il s’est un peu occupé de cette recherche de logement / Du tout ! Lui il travaille ! (rires) Du tout ! Si au
début… mais alors lui, il me faisait trop rire… parce que… lui il appelait encore sur le 69, alors que j’étais en
plein dans les HLM… voilà quoi ! Mais c’est lui qui m’a dit, ben écoute si tu peux plus tenir, donne ta dédite,
tu trouveras un appartement ! Parce que… nous c’est vrai que pour nous ça coulait de source ! Il fallait donner
d’abord sa dédite pour trouver un appartement ! Surtout que quand on a demandé, c’était en plein mois de mai,
les gens ils déménagent, c’est la période pour déménager ! Mais bon…/ Si vous aviez su vous l’auriez pas
fait / (silence) (hésitations) Euh… si on me promettait… pas trop tard après d’avoir quelque chose… sinon je
l’aurais pas fait ! J’aurais attendu mais chez moi ! Avec euh… du Lisanthia et de l’Exomil, euh… mais bon je
voulais pas non plus retomber dans cette engrenage… donc voilà / Et votre mari il disait quoi / Il faut
attendre ! Il savait que j’étais sur les nerfs, il fallait bien qu’il y en ait un qui calmait l’autre quoi ! Il calmait le
jeu : « Ben oui, qu’est ce que tu veux que je te dise, on a tout fait !... Ben maintenant il faut attendre ! ». « J’en
- 185 ai marre… » ; j’arrivais : « j’en ai marre », avec mes dossiers… « J’en ai marre… ». Ça m’est arrivé plusieurs
fois de pleurer, hein quand même, oh là là ! Mais bon, je me disais, que si j’attendais… si j’avais gardé mon
appart. on m’en aurait jamais proposé : « Vous en avez déjà un ! ». Et là tu comprends pas ! Quand je vois les
propos qu’on m’a tenus !... (rires) ; maintenant avec la réflexion… je me suis dit… finalement heureusement
que je suis partie parce que je crois que euh… en étant partie, avec 3 enfants chez ma mère avec mon mari,
mes 3 enfants… j’ai vachement attendu longtemps pour qu’on m’en propose un… mais j’aurais été chez…
c’est pas la peine, je serai pas au bout de mes peines ! Malgré le salaire ! Je suis sûre !... Je suis sûre !
Maintenant hein ? Quand je vois le parcours du combattant que ça a été… je le dis souvent hein ? Tu te rends
compte, heureusement que je me suis tirée de chez moi ! Je vais avoir un appartement au mois d’octobre !
Mais je serai chez moi, jamais on me donne ! Jamais on me donne : « Fermez-là, vous plaignez pas, il y en a à
Perrache… il y en a qui dorment là -bas »… Je suis sûre qu’on m’aurait sorti ça ! (silence) « C’est déjà pas mal,
vous en avez un, il y en a d’autres qui n’en n’ont pas… » (silence) Avec les enfants pour la CAF275 je crois
qu’il y a des surfaces à respecter ; avec 3 enfants je crois que c’est 70 et nous on était à 55 ! Parce qu’il y a pas
longtemps j’étais allée demander si j’avais droit au… au prêt CAF pour acheter des meubles… Bon j’ai pas
eu… j’ai pas eu le droit… (rires) Bon c’est surtout que j’avais pas d’appart. quoi ! L’assistante sociale m’a
expliqué… je lui ai dit : « Non, non, c’est pour savoir ». Elle me dit : « Non mais après, rien ne vous empêche
de refaire… ». Moi c’est vrai, quand on m’a dit tu vas déménager le 1er octobre et tout, hop, je cours à la CAF,
je vais demander… C’est vrai que l’assistante sociale par contre, elle était… très… comme il y avait trop de
monde, c’est l’assistante sociale qui m’a calculé, elle était choquée que, que, que… je sois encore chez mes
parents ! Avec 3 enfants ! Elle me disait : « Je comprends pas, vous êtes encore chez votre maman, on vous a
rien proposé ? ». En fait on m’avait plus ou moins proposé puisqu’il y avait une association qui m’avait
proposé des appartements…/ On vous avait fait des propositions / A O. !… (rires) Vous voyez le truc ? La
régression !... (rires) C’était un logement COURLY 276 que… que la COURLY trouvait pas, qu’ils avaient pas
trouvé à reloger dedans… (rires) Je suis allée le visiter quand même ! Mais il y en avait 2 en plus ! L’un face à
l’autre, dans le même étage… Mais bon… non, avec mes enfants… non (fin de la seconde face) Bon mais c’est
vrai que maintenant j’achète plein de petites conneries ! (rires) Des bibelots et tout et tout… Ma mère elle m’a
dit : « Ouh là là, vivement que tu déménages, tu m’as envahi ! » (rires) Ah ouais, maintenant j’ai des projets !
Et puis maintenant je pars une semaine en vacances ! L’année dernière je suis pas partie, parce que j’ai dit
attends, si ils nous appellent…/ Dans l’attente / Ah ouais, vraiment dans une attente permanente ! Avec des
moments de découragement ! Je fermais la porte de ma chambre, je mettais à chialer un bon coup et puis… je
descendais…/ Et votre maman elle a vécu comment cette période là / « Oh, mais pourquoi tu te plaints ?... Il y
en a qui sont à la rue, euh… tu devrais remercier Dieu !... Tu m’as moi !… T’es pas dehors !... C’est pas
grave !... C’est le Bon Dieu qui décide ! ». Voilà !… Donc elle m’a remonté le moral ! (silence) Elle m’a
remonté le moral, elle me disait : « C’est pas grave… ». Des fois quand elle me voyait euh… très énervée elle
me disait : « Mais j’te dis, j’te dis… » parce que ça l’énervait plus qu’autre chose, parce qu’elle était
vachement concernée, elle : « Ouais de toute manière, le fait que ton mari soit un arabe, il lui donneront pas,
ils lui donneront pas ; va lui dire qu’il fasse sa carte française ! » (rires) C’est comme pour les retraites ; quand
ils ont fait les papiers à la CRAM277 et tout ça, euh… : « Vous touchez ça ». « Et pourquoi ma collègue elle
touche mieux ? ». « Oh ben elle, elle est française, vous faites la carte française, vous toucherez comme
elle ! ». Parce que les retraites, quand on est français, on touche plus qu’un étranger / Ah bon / Ah oui, ah oui,
au moins 30% de plus. Mon père a fait 14 ans d’armée française, c’est un ancien combattant, et ben quand on
a demandé une pension d’ancien combattant, on nous a dit non parce qu’il était algérien, il fallait qu’il soit
275
Caisse d’Allocations Familiales.
COmmunauté URbaine de LYon.
277
Caisse Régionale d’Assurance Maladie.
276
- 186 français ! Pourtant il n’y avait pas d’Algérie ou de France, l’Algérie était française… Oui mais… [.] / Et votre
maman elle ne l’a jamais fait non plus / Non plus ! Le plus gros était fait hein ? Comme elle dit : « La vie elle
est derrière moi, elle est plus devant… Il aurait fallu que je le fasse avant ! » / Et vous vous avez toujours eu la
nationalité française / Non, à 16 ans, c’était automatique, par la loi de Mr Giscard… qui l’a donné à tous
français né après 63, après 62 pardon, et je suis née en 63… je l’ai eu d’office (L’entretien est interrompu par Mme
C. qui entre dans le bureau. Les deux femmes évoquent un problème qu’il y a eu au moment de la proposition de logement :
Farida n’a pas reçu comme elle aurait dû la proposition du SIAL ; heureusement, l’AVDL l’avait bien positionnée en précommission d’attribution et avait déjà contacté l’OPAC pour dire que la famille acceptait la proposition. Mme C. s’en va et
l’entretien reprend) Non c’est vrai, là elle me rappelle des trucs, des moments que… c’est pour ça que je vous ai
dit que j’ai souvent pleuré ! Parce que quand elle m’a dit… J’ai appelé pour un papier, je me souviens pas
pourquoi… Ah oui, je devais la rappeler, parce qu’elle m’avait dit : « Rappelez-moi, je pars en vacances,
rappelez-moi pour prendre rendez-vous ». « A ben Madame vous avez reçu le papier ? ». « Quel papier ? Ah
ben non, j’ai pas reçu le papier ». « Vous n’avez pas reçu la proposition SIAL ? ». Je lui dis non ! Elle me dit :
« Mais… tout le monde l’a reçu sauf vous ! ». « Ben oui, mais moi… je n’ai rien reçu ! ». « Il faut vite que
j’appelle la… la… l’OPAC parce que pour eux… pour eux, ils vont prendre ça comme un refus ! Comme vous
n’avez pas répondu, ils vont prendre ça pour un refus ». Finalement euh… comme elle avait bien fait son
boulot aussi, il faut le dire… heureusement que l’OPAC m’avait déjà dessus ! Mais ça il fallait le savoir aussi
!... C’est vrai que… c’est vrai que des petits trucs comme ça, ça me décourageait complètement ! Parce que je
disais que c’était pas… c’était pas… c’est des choses qui… des fois comme on dit, des petits détails euh…
peuvent avoir une grosse importance quoi ! Parce qu’un petit truc comme ça, j’aurais pu passer à l’as et… et
ça venait pas de moi ! Mais à moi, on m’aurait demandé de prouver que ça venait pas de moi (silence) / Pour
finir avec la question des nationalités dont on parlait tout à l’heure, on n’a pas parlé de votre mari / Mon
mari il est originaire de la Croix-Rousse ! Donc il est né à la Croix-Rousse , il a toujours vécu à la CroixRousse hein / Malgré ça il n’a pas la nationalité française / Non, parce qu’il est né avant 63, il est de 60 / Et
il n’a jamais voulu la demander / Ah ben si ! Tous les mois de septembre, il est super motivé, il va chercher
un dossier à la Préfecture, il arrive, il le met dans le tiroir… il l’envoie pas !... Tous les mois de septembre ! Il
m’a fait ça je sais pas combien de fois…/ Vous ne savez pas pourquoi / Non ! Enfin si… je pense que… je
crois savoir pourquoi, parce que ça fait beaucoup de… de…de papiers à fournir, prendre des rendez-vous, y
allez euh… (soupir) C’est l’administration quoi ! Et puis tout le monde sait que l’administration, c’est pas si
simple quoi ! Et puis bon ben voilà quoi ! Et puis bon lui c’est pas son truc tout ce qui est administratif, donc
voilà…/ Et vous donc vous avez eu la nationalité française à 16 ans et…/ Ben nous on a eu une éducation très
stricte par les frangines déjà, puisque… par les frangines, et puis par mes parents quoi… on était euh… Sans
oublier mes origines hein ? Mais bon c’est vrai que bon moi une fois… on m’a posé une fois une question…
On m’a demandé euh… c’était une période où… donc au début où… quand j’étais à mon poste, c’est un
éducateur qui m’a demandé : « Et Farida, comment tu te sens toi ? Tu te sens française ou algérienne ?». « Ben
déjà que tu me poses la question… Toi comment tu… tu me sens ? ». « Moi je sens que tu es très très… que tu
es vachement… », comment il a dit ? (silence) « Je trouve que tu es bien super bien intégrée ! ». « Je suis née
ici ! Je ne vois pas de quelle intégration tu parles ! Que tu parles de mes parents, oui je veux bien, mais moi je
suis née ici donc euh… j’ai aucune intégration à faire quoi ! » (silence) Je lui dis : « Déjà tu tiens des… des
propos qu’ont… qu’ont… qui sont bêtes ! ». Moi je me sentais… je lui dis : « Ben tu vois, quand j’entends des
trucs comme ça, et ben, le fait que tu me parles comme ça, et ça va toujours me renvoyer quelque part :
vlan !... Tu… tu te sens bien, t’es machin, mais… vlan ! Prends ça dans ta gueule ! Indirectement… (silence) Si
on arrive à lire entre les lignes et bien moi… je peux le prendre aussi comme ça ! ». Il me dit : « Non il faut
pas le prendre comme ça ! ». J’dis : « Ben j’suis désolée, mais tu le présentes de façon euh… Que tu me dises :
« Comment tu te sens, le cul entre 2 chaises ou euh… tu vois… j’veux dire euh… « je trouve que t’es bien
- 187 intégrée », je vois pas où est l’intégration, je suis née en France, j’ai toujours vécue en France ! Je vois pas de
quoi tu parles ! » / La question de l’intégration ne se pose pas / Non ! Voilà ! C’est une question bête ! Intégré
ça ne veut rien dire pour nous… Ou alors euh…ou alors je sais pas… des fois j’y réfléchis parce que bon,
quand on me dit… comme ça… sur le moment je dis ça, mais… pour moi c’est pas anodin hein ? J’y
gamberge le soir avant de me coucher ; j’me dis : « ouh là là, ils croient qu’on est des sectes ! des tribus ! ». Et
puis… C’est vrai… que… il n’y a pas d’intégration, bon je suis née ici, j’ai toujours vécu ici ! J’ai ma religion,
soit ! Toi tu dois avoir la tienne, comme… comme toute personne quoi, j’veux dire, chacun mène sa vie hein ?
Mais euh… je vois pas… j’arrive pas à comprendre l’intégration là -dedans, ce qu’elle venait faire quoi…
Parce que nous euh… je trouve « bien intégrée »… pourquoi ? pour quelqu’un qui vient d’où ? Qu’il me dise ?
Qu’il m’explique ! J’ai toujours vécu, je suis dedans ! Voilà !... Moi c’est vrai que ça me… Mais bon, c’est
pas pour autant que j’en oublie mes origines, que j’en oublie ma religion euh… je pratique mon ramadan…
point barre ! J’vois l’autre fois j’étais à LIDL, il y a une dame qui me dit : « Ben excusez-moi, j’étais avant
vous ». Je lui dis : « Excusez-moi mais votre religion vous empêche de mentir ! ». Parce que pour moi j’ai pas
la même religion qu’elle ! Elle me dit : « Vous vous foutez de moi ? ». Je lui dis : « Pas du tout ! Je sais que
votre religion vous empêche de mentir ! A partir du moment où vous faites la prière en tant que musulmane,
vous portez votre voile… je sais que vous avez pas le droit de mentir ! ». Moi on n’a pas la même religion, pis
elle a vu que ma mère avait le voile et tout, elle me dit : « Pourquoi on n’a pas la même religion ? ». Je lui dis :
« Parce que moi je me couvre pas, je ne pratique pas la prière, je pratique que mon ramadan !... Et si j’ai envie
de mentir, je peux mentir ! ». Voilà ! Il y a une marge entre elle et moi ! De toute manière, au départ nous on
voulait pas la mettre, c’est eux qui l’ont mise hein ? Alors bon, vous l’avez mise, il faut l’accepter ! Ca veut
pas dire que… que… qu’elle soit mieux que moi hein ? Ou que je sois mieux qu’elle ! (rires) Ah c’est
compliqué la vie ! franchement ! (rires) Non, on pratique le jeun à la maison, mon mari, moi et l’aînée et puis
c’est tout ! On vole pas… en contrepartie, on vole pas, on… on évite de mentir ! Parfois on arrondit les angles
quand même ! De toute façon j’en ai en horreur en général… Je fais pas de mensonge, parce qu’autrement les
enfants… la confiance est importante hein ? Pour moi la confiance c’est quelque chose… Si on perd la
confiance… C’est très important, c’est plus important que l’amitié, que… pour moi la confiance, c’est…
primordial ! Parce qu’on donne pas sa confiance comme ça à n’importe qui ! Alors les enfants si on
commence à leur mentir ! (silence) Bon, je m’excuse mais je dois y aller ; c’était très intéressant, je vous
remercie / C’est moi qui vous remercie (fin de l’enregistrement).
L’entretien a duré un peu plus d’1h30
- 188 -
NOM DU CANDIDAT
PRENOM
Madame VOISIN
Agnès
DIRECTRICE DE
RECHERCHE
PRENOM
Madame MAUREL
Elisabeth
DATE
JANVIER 2005
DIPLOME : Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme Supérieur en Travail Social (D.S.T.S.)
TITRE : LOGEMENT ET DISCRIMINATION
SOUS-TITRE : Effets de la discrimination liée aux origines, analysés à travers le parcours
logement de personnes issues de l’immigration maghrébine
RESUME : La discrimination dite “raciale” est au cœur des problèmes de logement rencontrés par les personnes
d’origine maghrébine. La discrimination est un phénomène complexe qui prend souvent la forme d’une
discrimination indirecte systémique comme c’est le cas pour l’accès au logement social ; c’est l’enchaînement de
décisions et de pratiques qui, dans un système complexe aux enjeux multiples, finit par provoquer la discrimination.
A travers les récits des parcours logement de français d’origine maghrébine qui ont fait appel à l’Association
Villeurbannaise pour le Droit au Logement pour les soutenir dans leur recherche de logement, nous cherchons à
comprendre quels sont les effets de la discrimination sur les personnes qui la subissent, notamment en ce qui
concerne leur identité et leur intégration.
Leurs mauvaises conditions de logement dans le parc privé, leurs difficultés d’accès au logement social et la
ségrégation spatiale dans certains quartiers stigmatisés conduisent ces demandeurs de logement à s’interroger sur la
discrimination. Ils la perçoivent, même s’ils ont tendance à la minimiser, parfois à la nier. Leur origine, leur
patronyme, leur “tête” jouent comme autant de stigmates qui rendent difficile leur parcours logement. Cette
discrimination (dans le logement mais aussi d’autres domaines de la vie) amène les sujets à s’interroger sur leur
identité ; ils se sentent “le cul entre deux chaises”. Bien que leur origine leur soit renvoyée avec toute sa charge
dépréciative liée au contexte spécifique de la société française, et bien que leur intégration continue ainsi à être
interrogée, les personnes s’inscrivent dans une logique d’assimilation et d’indifférenciation en affirmant leur
identité française. Si elles ne rejettent pas globalement leurs origines, elles déplacent l’image négative qui y est
rattachée sur les quartiers stigmatisés à forte concentration de populations maghrébines, dans lesquels, en toute
cohérence, elles refusent d’aller habiter. En interrogeant leurs réactions face à la discrimination et leurs stratégies
identitaires, nous avons pu comprendre que les personnes ne s’opposent pas de front à la discrimination mais
concentrent leur énergie sur l’obtention du logement souhaité. Cependant, leur refus d’aller vivre dans les quartiers
stigmatisés peut se comprendre comme une résistance à la discrimination et une défense de leur intégration.
Lutter contre la discrimination liée aux origines dans le logement est l’affaire de tous, chacun étant interpellé dans
ses représentations de l’immigration maghrébine et dans sa capacité de “vivre ensemble ”. Elle doit faire l’objet de
transformations profondes des pratiques, au niveau de l’Etat, des bailleurs et des intervenants sociaux.
MOTS-CLES : discrimination, logement, identité, intégration, ségrégation spatiale, mixité socia le.
Nombre de pages (version informatique) : 188
Volume des annexes : 6
Centre de formation : COLLEGE COOPERATIF RHONE-ALPES (C.C.R.A.)

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