Le low cost à toutes les sauces

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Le low cost à toutes les sauces
Q
DIMANCHE30SEPTEMBRE2012 P
ZOOM P
2
Avec des compagnies comme Ryanair ou easyJet (ici à l’EuroAiport), le low cost a d’abord touché le secteur aérien, où il s’est imposé. Peut-il le faire dans d’autres domaines ?
PHOTO ARCHIVES DNA
CONSOMMATION Une tendance confortée par la crise
Le low cost à toutes les sauces
On connaissait l’avion low cost, le hard discount alimentaire et les voitures à bas prix. L’UNPI souhaite élargir
le concept au logement. Le low cost est-il soluble dans tout ? Enquête.
Consommer
à l’unité
En Espagne ou Grèce, les
marques ont déjà adapté
leurs produits aux budgets
des ménages ultraserrés.
Fin août, Jan Zijderved,
patron Europe d’Unilever, a
annoncé que son groupe
(qui commercialise des
marques comme Dove,
Skip, Knorr) comptait vendre de plus petites quantités pour rendre les prix
plus abordables. Cible de
ce « marché de la pauvreté »: ceux qui comptent les
centimes à la caisse.
« En Indonésie nous vendons des échantillons individuels de shampoing pour
2 à 3 centimes pièce et
pourtant nous gagnons de
l’argent », expliquait-il au
Financial Times.
En Espagne, le groupe a
commencé à vendre de
petits paquets de lessive
permettant de ne faire que
cinq machines. Ce modèle
deviendra-t-il une réalité
dans l’Hexagone ? Chez
Unilever France, on se
refuse à commenter. E. B.
Google a lancé cette semaine
au Japon sa Nexus 7, une
tablette présentée comme
« low cost ». Ce modèle de
consommation peut-il réussir
dans la technologie ? PHOTO AFP
U
n immeuble sans ascenseur, des appartements avec des pièces
standardisées où le
« superflu » serait banni :
l’Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI) propose de construire des logements « low cost » pour faire
baisser les prix de l’immobilier.
« Il ne s’agit pas de construire
au rabais, précise Paul Philippot, délégué général de l’UNPI.
La maison à 100 000 euros n’a
pas fonctionné car il s’agissait
d’un produit bas de gamme.
Notre démarche est différente :
construire autrement en industrialisant le process. »
L’idée serait d’uniformiser les
normes de construction des bâtiments pour pouvoir ensuite
produire en usine, à la chaîne,
des modules de salles de bain
ou de cuisine par exemple.
Après l’aérien, le low cost s’invite dans tous les secteurs d’activité.
La SNCF lancera, elle aussi, en
2013 des TGV à bas coût entre
Paris, Lyon, Marseille et Montpellier.
« Jamais les Français
n’ont été aussi
sensibles aux prix »
Pour faire face à la baisse du
pouvoir d’achat des consommateurs, les entreprises adaptent leurs stratégies. « Le low
cost est l’expression de la simplicité économique, explique
Pascal Perri, économiste et
PDG de PNC, agence de conseil
en stratégie low cost, il répond
à la demande d’usage des consommateurs ».
« Jamais les Français n’ont été
aussi sensibles aux prix, obser-
UNE TRANSPARENCE INDISPENSABLE
« Les consommateurs sont plutôt favorables au low cost, encore
faut-il que la transparence soit totale sur les conditions d’achat et
que les indications ne soient pas mentionnées en tout petits caractères dans les contrats. » Eric Haeffelé, président d’UFC Que Choisir
Bas-Rhin, note en tout cas que les plaintes sur les compagnies aériennes auprès de l’association sont peu nombreuses, « preuve que
les problèmes sont assez rares ». Au plan national, l’UFC Que Choisir
a réussi à faire supprimer des clauses jugées abusives dans les contrats de compagnies low cost, à la suite d’actions en justice.
Il est néanmoins évident que « le low cost constitue une formidable
opportunité pour le consommateur », fait remarquer Eric Haeffelé.
« Le fait que ce soit possible montre bien que la clientèle paye habituellement dans le prix à la fois la publicité, le logo et bien d’autres
éléments, et des marges trop importantes ». Pour l’association,
l’aspect dumping social ne semble pas systématiquement à porter
au discrédit de cette forme de commerce: des entreprises classiques
imposent aussi des salaires très bas et de dures conditions de travail.
L’ÉCHEC DE LA
MAISON A 100 000 €
En quelques années, le choix
de Dacia, qui fabrique la
Logan pour la maison-mère
Renault, a prouvé son
efficacité. PHOTO ARCHIVES AFP
ve Gabriel Tavoularis, directeur adjoint du département
consommation du Credoc, Ils
recherchent les promotions et
les prix les plus bas sur Internet ».
Et cela ne va pas s’arrêter. Le
Credoc estime que le pouvoir
d’achat va diminuer de 0,5 % à
1 % pendant les trois ou quatre
ans à venir.
Le low cost, s’il reste un marché de niche, peut toucher tous
les secteurs d’activité. « On
peut faire du low cost dans
toutes les activités où il y a de
la segmentation, avance Pascal
Perri. On pourrait imaginer des
experts-comptables low cost
pour des entreprises de moins
de neuf salariés, avec une standardisation des tâches, et même des cliniques low cost qui
en se spécialisant dans des gestes réduiraient leurs charges
de fonctionnement. »
Le club des entreprises low cost
qu’il co-préside réunit une
vingtaine de sociétés dont une
entreprise de chauffage, une
agence de publicité ou encore
une chaîne de salons de coiffure. Parmi ses clients, Pascal
Perri a même conseillé une société de services funéraires, filiale de la mairie de Paris.
Seule limite au modèle : le luxe
et les nouvelles technologies.
« C’est tout le paradoxe des
consommateurs français, explique Gabriel Tavoularis, du
Credoc, ils sont prêts à des arbitrages serrés sur leur budget
alimentaire pour pouvoir
s’acheter le dernier Iphone ou
des lunettes griffées par un
créateur de marque, quel qu’en
soit le prix. »
A PARIS, ELODIE BÉCU
R
Fin 2005, Jean-Louis Borloo
lançait à grand renfort de communication « la maison à
100 000 euros ». Cinq ans plus
tard, constat d’échec : seules
800 maisons sont sorties de
terre – contre 30 000 annoncées
par le ministre – et pour des prix
situés entre 130 000 et 150 000
euros.
La maison à « 15 euros » par jour
ensuite promise par Christine
Boutin a aussi été un flop : son
successeur Benoist Apparu a
reconnu dans une interview à
Capital en 2009 que seules une
dizaine étaient sorties de terre.
Pour l’économiste Emmanuel
Combe, l’immobilier n’est pas un
secteur où le low cost peut rencontrer du succès.
« Avec la crise, les gens ont
divisé leur mode de consommation en deux univers : les commodités dans lesquelles ils ne
mettent pas d’affect et pour
lesquelles ils ne veulent pas
payer cher, et les biens « affectifs » comme le logement pour
lequel ils ne veulent pas d’un
espace standardisé. D’autant
que quand vous achetez un bien
immobilier low cost se pose la
question de la revente : quelle
en sera alors la valeur ? »
E. B.
« On ne veut plus payer pour du superflu »
Trois questions à Emmanuel
Combe, économiste, auteur
de Le low cost (La Découverte 2001).
Sur quoi repose le modèle du
low cost ?
Il consiste à prendre un produit et à le simplifier à l’extrême. Quand vous prenez un
avion de Ryanair vous voyez
la différence avec Air France.
Le service se concentre sur
l’essentiel : pour un avion
par exemple, c’est la sécurité
et la ponctualité. Le reste est
payé en option par le consommateur. Le développement de cette tendance correspond à une attente d’un
retour au besoin minimaliste : le consommateur en a
marre de payer pour du superflu.
Dans quels secteurs se déve-
Emmanuel Combe : « Le low
cost a une influence énorme
sur le reste du marché ».
loppe-t-il ?
Il domine dans l’aérien, il est
présent dans l’automobile.
Mais même si la Logan est un
succès, la voiture low cost
reste une niche de marché,
tout comme la banque en
ligne. Dans l’alimentaire, le
hard discount pèse 14 % de
parts de marché.
Ces faibles pourcentages ne
doivent pas faire oublier une
chose : le low cost a une influence énorme sur le reste
du marché. Il incite les gens à
comparer et du coup tire
l’ensemble des prix vers le
bas. Le consommateur qui
n’achète pas à bas coût y
gagne lui aussi ! Si on laisse
de côté l’alimentaire, le low
cost profite finalement à ceux
qui n’en ont pas besoin.
Quels sont les effets sur
l’emploi ?
Il existe une idée reçue : ce
sont les salariés qui paient ce
que gagne le consommateur.
La réalité est plus complexe.
Le modèle repose sur une
hausse de la productivité.
Prenons l’exemple de l’aé-
rien : il y a moins d’hôtesses
pour faire le même travail. La
logique voudrait donc que le
nombre d’emplois dans l’aérien baisse, or il est resté le
même, voire a légèrement
progressé. Pourquoi ? Avec la
baisse des prix, la demande a
augmenté… et il faut des
salariés pour y répondre.
Par ailleurs, il ne faut pas
réfléchir uniquement par
secteur d’activité mais de
manière plus globale.
Le low cost est l’allié du luxe !
Quand un Anglais vient passer des vacances en France à
bord d’un avion à bas coût, il
a davantage à dépenser une
fois sur place et monte en
gamme quand il réserve une
nuit d’hôtel. Le low cost créé
des emplois induits dans le
tourisme et la restauration.
PROPOS RECUEILLIS
PAR ELODIE BÉCU
R
PTE 01