Congrès de l`AJEFO Jour 1 – Atelier sur les vingt ans de la Charte

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Congrès de l`AJEFO Jour 1 – Atelier sur les vingt ans de la Charte
Congrès de l’AJEFO
Jour 1 – Atelier sur les vingt ans de la Charte – avec Me Ronald Caza, Me David
Leitch et Me Josée Bouchard et Me Martha Jackman
Montfort et la Charte
Me Ronald Caza, de Nelligan O’Brien Payne s.r.l., s’est servi de la célèbre décision dans
l’affaire Montfort pour illustrer ce que le gouvernement avait accepté en décidant de ne
pas faire appel de la décision de la Cour d’appel de l’Ontario. À l’aide d’extraits de la
décision, il a démontré que le gouvernement avait accepté entre autres les principes non
écrits de la Constitution comme un outil pour combattre l’assimilation et protéger les
institutions majeures des Franco-Ontariens. Ces principes sont le fédéralisme, la
démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et le respect et la protection des
minorités. L’appel établit que ce dernier principe est une caractéristique structurelle
fondamentale de la Constitution canadienne, qui explique et transcende à la fois les droits
des minorités expressément garantis dans le texte de la Constitution. Ces droits
comprennent le paragraphe 16(1) de la Charte qui proclame que le français et l’anglais
sont les langues officielles du Canada, et l’art. 23 de la Charte qui garantit le droit
général à l’instruction aux niveaux primaire et secondaire dans la langue de la minorité
francophone ou anglophone d’une province. Le principe structurel du respect et de la
protection des minorités est un principe fondamental de la Constitution qui a une
incidence directe sur l’interprétation à donner à la Loi sur les services en français de
l’Ontario et sur la légalité des directives de la Commission touchant Montfort
[paragraphes 103-125].
Me Caza a aussi fait valoir que le gouvernement de l’Ontario a également accepté que la
Loi sur les services en français était quasi-constitutionnelle. L’interprétation de la Cour
de l’article 7 était nettement favorable à la survie des Francophones de l’Ontario et ce
jugement on ne peut plus clair va beaucoup aider la communauté francophone. En effet,
en confirmant que les directives du gouvernement auraient eu pour effet de nuire au rôle
plus large de Montfort en tant qu’importante institution sur les plans linguistique, culturel
et éducatif, rôle vital pour la minorité francophone de l’Ontario, la Cour a noté que la Loi
sur les services en français enrichissait les droits linguistiques garantis par la Constitution
du Canada pour faire progresser l’égalité de statut ou d’emploi du français comme le
prévoit le paragraphe 16(3) de la Charte. L’un des objectifs sous-jacents de la loi est de
protéger la minorité francophone en Ontario. Un autre objectif sous-jacent est de faire
progresser le français et de favoriser son égalité avec l’anglais. Ces objectifs coïncident
avec les principes sous-jacents non écrits de la Constitution du Canada. Les principes
constitutionnels sous-jacents peuvent dans certaines circonstances engendrer des
obligations légales substantielles à cause de leur puissante force normative [paragraphes
127 - 143]. Me Caza y est allé de conseils avisés : On peut remplacer Montfort par toute
autre cause, du moment que le dossier de preuve est bien monté. Il faut recueillir les
preuves dès la première impression qu’il y a une cause car 90 % de la réussite repose sur
celles-ci. Il faut faire reposer la cause sur des faits, des faits et des faits. On se doit
d’analyser la décision de la Cour d’appel dans Montfort et se servir des mêmes principes
pour sauvegarder les autres institutions essentielles à la francophonie en Ontario.
L’article 23 et l’épanouissement de la minorité francophone
Dans sa conférence sur l’article 23 de la Charte, Me David Leitch a observé que celui-ci
était modelé sur la loi 101, adoptée au Québec six ans auparavant. L’effet concret de
l’article 23 a été de constitutionnaliser les droits scolaires de toutes les minorités de
langues officielles du Canada de la même façon que ces droits avaient été reconnus par la
loi 101 pour les anglophones du Québec, c’est-à-dire en limitant l’accès aux écoles de la
minorité principalement selon les acquis scolaires des parents ou le cas échéant, les sœurs
et les frères. Me Leitch s’est penché sur les conséquences de ce critère d’admission sur les
minorités francophones hors Québec.
Compte tenu de la faiblesse générale de la langue française en milieu minoritaire, Me
Leitch a constaté que même si les parents possèdent les acquis scolaires, leurs enfants
peuvent méconnaître le français. Dans ce contexte, les ayants droit risquent soit
d’abandonner leur droit de faire instruire leurs enfants en français, soit d’inscrire leurs
enfants aux écoles francophones malgré leur méconnaissance de la langue d’instruction et
les désavantages pédagogiques que subissent leurs enfants en conséquence. Me Leitch a
posé la question : quelle solution de rechange proposer ?
À son avis, la Charte pourrait être interprétée pour imposer aux provinces et aux conseils
scolaires des obligations de subventionner et d’offrir des cours de rattrapage linguistique
et ce, en vertu des articles 23 et 15. La Cour suprême du Canada a reconnu que l’article
23 devrait être interprété comme étant une disposition réparatrice des injustices du passé
et que l’implantation des écoles francophones ainsi que leur gestion par les conseils
scolaires francophones dépendaient entièrement du nombre de parents qui se
prévaudraient de ces écoles. Me Leitch estime que des cours de rattrapage linguistique
assumeraient le rôle réparateur de l’article 23 en encourageant les parents à envoyer leurs
enfants dans les écoles de minorité française malgré leurs faiblesses linguistiques et de ce
fait, contribueraient à l’épanouissement de la minorité, tel que prévu dans l’arrêt Beaulac.
Le danger des cours de rattrapage linguistique cependant serait de transformer les écoles
de la minorité en écoles d’immersion. Les conseils scolaires francophones peuvent donc,
s’ils exercent leur pouvoir de protéger l’environnement linguistique de leurs écoles, soit
résister à ces cours, soit demander des subventions supplémentaires des provinces. Ce
genre d’argumentation, a fait remarquer Me Leitch, tient de la nature collective des droits
consacrés par l’article 23.
Par ailleurs, Me Leitch a aussi fait remarquer que l’article 23 confère des droits aux
parents et à leurs enfants, c’est-à-dire aux individus. Il se demande si l’article 15 pourrait
être invoqué pour dire que l’absence de cours de rattrapage porterait atteinte aux droits à
l’égalité. Selon l’ancien juge en chef Dickson dans l’arrêt Mahe rendu en 1990, il
semblerait que l’article 15 ne puisse pas être invoqué dans le contexte de l’article 23.
Cependant, selon Me Leitch, il y a lieu de se demander si la méconnaissance de la langue
d’instruction pourrait être reconnue comme nouveau motif analogue afin de dépister la
discrimination à l’intérieur du groupe d’enfants admissibles aux écoles de la minorité. Me
Leitch a noté que dans l’arrêt Corbière, la Cour suprême a reconnu un nouveau motif
analogue à l’intérieur d’un autre groupe minoritaire, les autochtones. Il a affirmé que les
tribunaux devaient de plus en plus explorer la corrélation de l’article 15 et d’autres
dispositions constitutionnelles. Comme l’article 23 n’impose pas la connaissance de la
langue d’instruction par les enfants admissibles, l’absence de cours de rattrapage
linguistique dans les écoles de la minorité peut être vue comme une omission de tenir
compte de la situation défavorisée de certains enfants.
Cette étude a fait dire à Me Leitch qu’il serait bon de revoir la pertinence de l’article 15
dans le domaine des droits linguistiques.
L’article 15 et la rigidité du critère Law
Me Josée Bouchard a entretenu les congressistes sur les droits à l’égalité en vertu du
paragraphe 15 (1) de la Charte en analysant les décisions de la Cour suprême du Canada
dans Corbière et Lovelace, et de la Cour d’appel de l’Ontario dans Falkiner à la lumière
du critère établit dans l’affaire Law. Elle s’est demandé si la rigidité du critère rendait
difficile une approche tenant compte du contexte ou de la réalité sociale. Le critère de
Law se prête-t-il à une analyse de l’effet discriminatoire d’une loi et du contexte social?
Ou permet-il d’incorporer une analyse de l’intersectionalité des motifs de discrimination?
Pour répondre, Me Bouchard a expliqué que la première étape du critère de Law oblige la
personne qui invoque le paragraphe 15(1) d’identifier un groupe de comparaison afin de
démontrer l’existence d’une inégalité. Elle démontre que le fait de mettre l’accent sur
cette étape du critère de Law et de s’interroger sur l’identité du groupe comparateur plutôt
que de s’attarder sur les effets discriminatoires d’une loi n’est qu’un retour aux principes
d’égalité formelle. Il faut reconnaître que les caractéristiques personnelles se chevauchent
et l’intersectionalité des oppressions est une réalité dont il faut tenir compte dans le
discours de l’égalité. On ne peut considérer de façon indépendante les caractéristiques
d’une personne. Par exemple les mères célibataires qui reçoivent des avantages sociaux
sont marginalisées puisqu’elles sont à la fois femmes, mères célibataires et qu’elles
reçoivent ces avantages sociaux. Ces caractéristiques se chevauchent et n’existent pas de
façon séparée les unes des autres. Toutefois, la Cour d’appel compare ce groupe à trois
groupes distincts, soit aux hommes, aux personnes qui ne sont pas mères célibataires et
aux personnes qui ne reçoivent pas d’avantages sociaux. En utilisant trois groupes de
comparaison pour un seul groupe de personnes ayant des caractéristiques qui se
chevauchent, on oublie la réalité sociale, c’est-à-dire que l’inégalité de ces femmes est
liée au fait qu’elles sont à la fois femmes, mères célibataires et qu’elles reçoivent des
avantages sociaux. De plus, lorsqu’on identifie des groupes de comparaison entre
différents groupes déjà désavantagés, on augmente la hiérarchie des oppressions. Le
critère des groupes de comparaison est trop rigide pour bien cerner la différence de
traitement et les motifs de la distinction. Le problème selon Me Bouchard c’est qu’il faut
pour cela trouver une analyse qui mette l’accent sur l’égalité réelle. La troisième étape du
critère de Law, toujours selon Me Bouchard, pose la question à savoir si une loi a un objet
ou un effet discriminatoire au sens de la garantie d’égalité. Impose-t-elle un fardeau au
demandeur, l’individu touché est-il moins capable ou moins digne d’être reconnu ou
valorisé comme être humain ? C’est là qu’entre en jeu la différence de traitement sur la
personne dans sa réalité. Pour tester, il s’agit de comparer une personne raisonnable,
ayant les mêmes caractéristiques que le demandeur et de voir si la mesure impose un
fardeau ou un désavantage. Il faut donc être sensible aux différentes réalités et aux
expériences de chaque groupe pour parler d’un équilibre entre les droits. Il faut examiner
la correspondance entre les besoins, les capacités et la situation véritable, d’une part, et le
programme ou la loi d’autre part.
Me Bouchard a conclu en reliant le critère de Law aux différentes causes qu’elle a
analysées pendant sa présentation. Dans Falkiner, l’application du critère de Law peut
être rigide en partie si on ne se fonde pas trop sur la comparaison. Dans Lovelace, il y a
des difficultés à plusieurs niveaux : il faut considérer la réalité, l’effet d’amélioration
d’une loi qui peut cacher le préjudice et le programme ciblé et ses répercussions
économiques.
Les droits socio-économiques et la Charte
Me Martha Jackman, de l’Université d’Ottawa, a abordé sa présentation en rappelant aux
membres présents que les droits socio-économiques se sont déjà appelés droits du bienêtre ou droits de la pauvreté : Me Jackman a émis des doutes sur le fait que le nom a
changé en demandant si la réalité avait effectivement changé. Elle a noté qu’il est très
difficile de gagner des causes de pauvreté. Dans l’affaire Masse, contestant le droit du
gouvernement de couper les chèques de bien-être social de 20 %, la Cour suprême a jugé
que ce n’était pas discriminatoire. Dans Irshad, sur l’accès des nouveaux immigrants à
l’assurance santé, la décision a été dans le même sens. Dans la contestation de la Loi sur
la sécurité dans les rues (Safe Streets Act), la Cour a jugé que la loi n’entravait pas la
garantie prévue par l’article 15 de la Charte. Cependant, il y a certains gains, comme dans
Eldridge où la Cour a jugé que le régime de santé était défavorable aux personnes sourdes
par rapport à celles qui entendent. Le Nouveau-Brunswick a également eu une cause
gagnante avec J.G., à qui on avait enlevé les enfants sans lui donner droit à l’aide
juridique. En effet, la Cour a jugé que le gouvernement devait intervenir dans la vie
privée en lui accordant une aide juridique.
Dans l’affaire Falkiner, la décision a été favorable aux pauvres, à la lumière de l’article
15. Me Jackman a évoqué l’affaire Kimberley Rogers pour démontrer que cependant, les
pauvres sont rarement avantagés dans les décisions. Le gouvernement a coupé les
prestations d’assurance sociale de cette femme malade, lui retirant par le fait même
l’accès aux médicaments dont elle avait besoin pour survivre, la confinant à son
appartement d’où elle ne pouvait sortir que quelques heures par semaine pour faire des
courses ou aller à la pharmacie. Sans revenu et sans avantages sociaux, elle ne pouvait ni
manger, ni payer son loyer, ni se procurer ses médicaments : elle est morte dans son
appartement, condamnée pour cause de pauvreté.
Cette situation peut arriver parce que les tribunaux présument de l’innocence des
gouvernements et de la culpabilité ou de la paresse des pauvres et que les mesures que le
gouvernement prend pour pénaliser les assistés sociaux sont considérées comme
bénignes. Pourtant, à la lumière de l’affaire Rogers, ces politiques ont entraîné la mort
d’une femme. Pour Me Jackman, il est inconcevable de trouver que les politiques sociales
sont favorables aux pauvres et que la maigre pitance que les assistés sociaux reçoivent ne
les met pas d’emblée dans une situation qui porte atteinte à leurs droits et libertés à
l’égalité.